Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023

Cahiers Louis Josserand - Édition n°3

Éditorial

[Doctrine] Covid-19 et droit de l’indemnisation – La prise en charge des dommages liés à la crise sanitaire – (Partie II)

Lecture: 2 min

N6257BZR

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par Olivier Gout – Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3 – Doyen de la Faculté de droit et Jonas Knetsch – Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Le 26 Juillet 2023

Sous la responsabilité scientifique de MM. Taro Nakahara, Olivier Gout et Jonas Knetsch.


 

Propos introductifs

Dans le premier numéro des Cahiers Louis Josserand, nous avons eu le grand plaisir de publier les contributions écrites de la première session d’un séminaire franco-japonais sur la prise en charge des personnes qui ont été touchées, directement ou indirectement, par l’épidémie de Covid-19. En constituant un groupe de travail composé d’universitaires des deux pays, nous souhaitions alors contribuer à l’effort collectif de la recherche en droit pour apporter des éléments de réponse aux questions qui ont été soulevées par les conséquences économiques, politiques et sociales de la crise sanitaire.

Les échanges de cette première rencontre ont encore dû se tenir, pour des raisons de distanciation sociale, sous la forme d’un webinaire et nous ne savions pas alors si la deuxième session pourrait avoir lieu, comme cela avait été prévu, au Japon. L’amélioration de la situation sanitaire nous a heureusement donné l’opportunité de nous retrouver en personne à Tokyo les 19 et 20 novembre 2022. Le Gouvernement japonais venait tout juste de décider de la réouverture des frontières aux ressortissants étrangers, ce qui nous a permis de reprendre nos travaux dans de bonnes conditions grâce à l’accueil chaleureux qui nous a été réservé à l’Université de Tokyo.

Aussi sommes-nous particulièrement heureux de publier, dans ce troisième numéro des Cahiers Louis Josserand, la suite de nos réflexions franco-japonaises sur la réparation des dommages liés à la crise sanitaire de Covid-19. Complémentaires au premier dossier, les contributions ici réunies portent sur les différents modèles de réparation qui ont été envisagés à l’échelle nationale et à l’étranger ainsi qu’aux adaptations nécessaires pour les faire évoluer : les fonds d’indemnisation, l’assurance privée et la Sécurité sociale. Elles envisagent également les préjudices considérés comme réparables dans chacun des systèmes de responsabilité. Une fois de plus, notre séminaire a permis de croiser les regards portés sur la question de la prise en charge des victimes par les spécialistes du droit de la responsabilité, du droit des assurances, du droit de la protection sociale, du droit du travail et du droit administratif.

Comme pour la première session, notre groupe de recherche, composé d’une quinzaine d’universitaires français et japonais, s’est appuyé sur une collaboration entre plusieurs centres de recherche : l’Unité de recherche Louis Josserand de l’Université Jean Moulin Lyon 3, le laboratoire CERCRID (UMR 5137) de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne et la Graduate School of Law and Politics de l’Université de Tokyo. Ont également contribué à nos travaux des membres de l’unité de recherche de droit public de Lyon 3 ainsi que deux universitaires d’autres établissements (Université de Strasbourg, University of Essex). Que l’ensemble des participants et des établissements associés à ce projet soient chaleureusement remerciés !

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Actualité

[Evénement] Retour sur... le colloque international « La fraude fiscale en France, en Europe et à l’international Contradictions, efficacité et nouvelles technologies », du 5 mai 2023

Lecture: 2 min

N6356BZG

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Le 26 Juillet 2023

Colloque international sous la direction scientifique de Georges Cavalier, Maître de conférences, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3


 

Le 5 mai 2023, l’Équipe Louis Josserand et le Centre de droit de l’entreprise ont organisé (mode hybride), en partenariat notamment avec les éditions Larcier – Bruylant, un colloque international ayant pour thème « La fraude fiscale en France, en Europe et à l’international – Contradictions, efficacité et nouvelles technologies », et visant à « identifier les problèmes persistants dont souffre encore la lutte contre la fraude fiscale en France, en Europe et à l’international pour suggérer des pistes d’amélioration, notamment grâce aux nouvelles technologies ». 

Jean-Luc Pierre, Alexis Bavitot, Pablo Guédon, et Georges Cavalier, membres de l’Équipe, ont notamment participé à ce colloque, avec d’autres collègues de notre Faculté (Lukasz Stankiewicz, Benjamin Ricou).

Le colloque a réuni cent soixante participants (dont de nombreux étudiants) venants de France, d’Allemagne, d’Autriche, du Brésil, du Canada, du Cameroun, des États-Unis d’Amérique, d’Irlande, d’Italie, du Maroc, de Suisse, etc.

Le colloque a été ouvert par un discours de bienvenue du doyen Olivier Gout et du Professeur Jean-Christophe Roda (Directeur du Centre de droit des affaires), ainsi que du Professeur Thierry Lambert (Directeur de la Revue internationale et européenne de droit fiscaléditions Larcier-Bruylant, où seront publiées les contributions – numéro 2/2023).

Les différents participants au symposium ont formulé plusieurs propositions qui pourraient être mises en œuvre notamment au niveau de l’Union européenne, par exemple afin de trouver un équilibre entre la protection du secret professionnel de l’avocat et son utilisation abusive en matière fiscale, ou la mise en place d’un système coordonné de retenues à la source remboursables à percevoir par l’Union européenne, mais aussi par les États-Unis et le Japon. Le colloque a mis l’accent sur les nouvelles technologies qui devraient compléter et non supplanter les interventions humaines.

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Actualité

[En librairie] Comptes-rendus d’ouvrages

Lecture: 6 min

N6355BZE

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Le 26 Juillet 2023

Droit des assurances, Ellipses, 4e éd. 2023

Sabine Abravanel-Jolly, Maître de conférences HDR, Centre du droit de la Responsabilité et des Assurances, équipe de recherche Louis Josserand

Matière complémentaire du droit des obligations, le droit des assurances en emprunte en partie les règles, mais en étend aussi le domaine d’application.

En effet, jouant un rôle économique et social fondamental dans la société française, le contrat d’assurance est devenu omniprésent, tant dans la vie privée que dans les relations d’affaires.

Tenant compte de la division, incontournable, dégagée par la réglementation des assurances, entre les branches assurances de dommages et assurances de personnes, ce manuel traite en première partie du « droit commun du contrat d’assurance », où sont envisagés successivement la Vie du contrat, les Droits et Obligations des parties par rapport à chaque élément du contrat d’assurance (risque, prime et sinistre), ainsi que les Procédures contentieuses spécifiques au contrat d’assurance.

Dans la deuxième partie, sont ensuite étudiées les « règles propres à chaque catégorie d’assurance » : de dommages, puis de personnes.

L’étude est précédée d’une introduction présentant les spécificités de l’opération d’assurance, la classification des assurances, les règles prudentielles et, enfin, à la différence du contrat de droit commun, les nombreux intervenants au contrat d’assurance, ce qui révèle les nombreuses applications du mécanisme de la stipulation pour autrui.

Cet ouvrage poursuit un objectif tant pédagogique que doctrinal : il présente certes le régime juridique de la matière, mais il fait aussi état des différentes conceptions doctrinales tout en proposant, lorsque cela le nécessite, une autre alternative. Il s’adresse ainsi, non seulement aux étudiants et professionnels du droit, néophytes en droit des assurances, mais aussi aux acteurs avertis de la matière.

Cette quatrième édition est à jour des tout derniers textes, notamment parmi les nouveautés, de la loi n° 2021-402, du 8 avril 2021, relative à la réforme du courtage N° Lexbase : L9832L3K, de la loi n° 2021-1837, du 28 décembre 2021, réformant l’assurance des catastrophes naturelles N° Lexbase : L1734MAH, de la loi n° 2022-270, du 28 février 2022, consacrant la résiliation à tout moment en assurance emprunteur, dite loi « Lemoine » N° Lexbase : L5715MBB, ou encore de la loi n° 2022-1158, du 16 août 2016, sur le pouvoir d’achat N° Lexbase : L7050MDH mettant en place la résiliation « en trois clics ».

Et cela, sans oublier l’analyse des nombreuses décisions récentes qui ont encore fait évoluer le droit des assurances, par exemple à propos de la déclaration légale des risques, de la faute dolosive, ou encore des exclusions contractuelles.

Enfin, les grandes questions du droit des assurances font l’objet de développements très approfondis, suggérant parfois de nouvelles solutions.

***

Droit des transports 2023/2024, coll. « Dalloz Action », Dalloz, 1re éd., novembre 2022, Ouvrage collectif, Philippe Delebecque (dir.)

Xavier Delpech, Professeur associé à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Discipline transversale, excellent « laboratoire » du droit administratif comme du droit des obligations, d’une grande technicité et ancré dans la pratique, le droit des transports présente un vif intérêt. Cette matière, au cœur de l’économie contemporaine, faite d’échanges de plus en plus nombreux, et d’une dimension profondément internationale, est aujourd’hui au carrefour des évolutions du monde moderne où les exigences de la protection de l’environnement prennent progressivement le pas sur celles de la pure et simple croissance. Tous les modes de transport (routier, ferroviaire, fluvial, aérien), leurs infrastructures et les contrats qu’ils portent ne cessent de se diversifier.

La terminologie l’atteste : ne parle-t-on pas de transport intelligent et multimodal, de drones, de logistique, de co-voiturage… et même de droit à la mobilité ? Le présent ouvrage répond aux questions nouvelles posées par l’évolution des pratiques, sans oublier d’en exposer les bases qui tiennent à l’organisation et à la régulation des transports, aux critères du contrat de transport, aux principes fondamentaux de la responsabilité des opérateurs de transport, au statut des intermédiaires ou encore aux garanties offertes par les assureurs.

Au-delà des entreprises de transport, confrontées à des problèmes de gestion et de responsabilité, l’ouvrage s’adresse aux collectivités et administrations soucieuses de répondre aux usagers des transports, ainsi qu’aux avocats, magistrats et juristes spécialisés.

Sous la direction du Professeur Philippe Delebecque, spécialiste de ces questions, cet ouvrage est rédigé par une équipe d'auteurs pluridisciplinaire composée d'universitaires et d'avocats, alliant maîtrise théorique et expérience pratique de la matière : Nicolas Balat, Murielle Bénéjat, Cyril Bloch, Isabelle Bon-Garcin, Stéphane Carré, Xavier Delpech [professeur associé à l’Université Lyon 3, membre de l’Équipe Louis Josserand et du Centre de droit de l’entreprise], Pascal Dupont, Jérémy Heymann [professeur à l’Université Lyon 3, directeur du CREDIP], Julie Laborde dit Bouriat, Isabelle Lelieur, Jean Arié Lévy, Sébastien Martin, Stéphane Mouton, Marie-Odile Nicoud, Christophe Paulin, Louis Perdrix, Sébastien Ranc, Laurent Siguoirt.

***

Droit du cinéma, 3e édition, LexisNexis, décembre 2022, 650 p.

Pascal Kamina, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Le droit du cinéma est une matière complexe qui mêle le droit public et le droit privé, le droit international, les libertés fondamentales et le droit de la concurrence. Il est fortement influencé par les pratiques et les usages de la filière cinématographique. Son cadre unique a subi une refonte importante à partir de 2009, qui s’est tout d’abord traduite par l’adoption d’un nouveau code, le Code du cinéma et de l’image animée, complété en 2014 par une partie réglementaire et l’adoption du Règlement général des aides du CNC. Une seconde vague de réformes, initiée par la loi n° 2016-925, du 7 juillet 2016, relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi « Liberté de création » N° Lexbase : L2315K9M, a porté sur la transparence des comptes de production et d’exploitation des œuvres, le régime des contrats de production audiovisuelle, le régime des visas, celui des spectacles cinématographiques, et les sanctions administratives. Enfin, le cadre réglementaire a été récemment modifié afin de renforcer les obligations des services de vidéo à la demande, et d’ajuster celles des services de télévision. La troisième édition du droit du cinéma, fortement enrichie par rapport à la précédente, est à jour de l’ensemble de ces réformes. L’ouvrage aborde notamment : les questions institutionnelles et internationales, les concepts clés (définitions et nationalité de l’œuvre cinématographique), les règles applicables à l’ensemble de la filière cinématographique (publicité, sûretés cinématographiques, visas et classification, dépôt légal), le régime de la production, de la distribution, de l’exploitation en salles (conditions d’exercice, location des films, classement des salles, spectacle cinématographique, programmation, contrôle des recettes), de l’exploitation des œuvres sur les marchés secondaires (télévision, vidéo et VOD), et le soutien à l’industrie cinématographique (soutiens financiers, contribution des services audiovisuels, mécanismes fiscaux).

newsid:486355

Actualité

[Agenda] Vie de l’Équipe Louis Josserand – Agenda

Lecture: 2 min

N6349BZ8

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par Équipe Louis Josserand

Le 26 Juillet 2023

MAI

  • 4 mai 2023

« À la découverte de la justice algorithmique »

Conférence de Géraldine Vial, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes et d’Étienne Verges, Professeur à l’Université de Grenoble Alpes

Dir. scientifique : François Chénedé et William Dross

  • 5 mai 2023

Colloque « La fraude fiscale en France, en Europe et à l’international : contradictions, efficacité et nouvelles technologies »

Dir. scientifique : Georges Cavalier

  • 24 mai 2023 et 15 juin 2023

Cycle de conférences à Paris « Dix ans de mariage pour tous »

Dir. scientifique : Hugues Fulchiron

Coordinatrice scientifique : Marie Pincet

  • 25 mai 2023

Conférence à Paris « Le contrôle de l’accès des mineurs à la pornographie en ligne »

Dir. scientifique : Hugues Fulchiron

Coordinatrice scientifique : Margot Musson

JUIN

  • 13 juin 2023

Colloque « Le contentieux de l’assistance éducative : enjeux, actualités et perspectives »

Dir. scientifique : Christine Bidaud et Younès Bernand

  • 14 juin 2023

Conférence « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement »

Présentation du rapport final du groupe de travail sur le contentieux de l’environnement près la Cour de cassation.

François Molins, procureur général, Cour de cassation, membre du groupe de travail

Mathilde Bloch, vice-présidente chargée de l’instruction à Marseille, membre du groupe de travail

Jean-Baptiste Perrier Professeur Aix-Marseille, membre du groupe de travail

Capucine Lanta de Berard, avocate à Paris, membre du groupe de travail

Patrick Mistretta

Dir. scientifique : Patrick Mistretta

  • 21 juin 2023

Colloque « Responsabilité et assurance en matière de construction et de promotion immobilière : les réponses à vos questions quotidiennes »

Dir. scientifique : Luc Mayaux et Pascal Dessuet, Professeur à l’ICH, Chargé d’enseignements à l’Université de Paris-Est Créteil et Directeur Délégué Construction Immobilier chez AON France

SEPTEMBRE

  • 28 septembre 2023

Colloque « La Réforme des retraites : impacts, objectifs et perspectives »

Dir. scientifique : Jessica Attali-colas

  • 6 octobre 2023

Séminaire international « Les familles plurielles »

Dir. scientifique : Hugues Fulchiron

  • 19 octobre 2023

Colloque international « Regards croisés sur l’actualité du droit de la famille »

En partenariat avec l’Association Henri Capitant – France/Québec

Dir. scientifique : Blandine Mallet-Bricout, Hugues Fulchiron et Christine Bidaud

  • 1er décembre 2023

Colloque « La franchise participative »

Dir. scientifique : Adrien Bézert

  • 11 décembre 2023

Colloque « La réforme des MARD »

Dir. scientifique : Thibault Goujon-Béthan

newsid:486349

Affaires

[Chronique] Formalisme applicable au cautionnement d’une dette de loyers commerciaux : rappels utiles et perspectives

Réf. : CA Lyon, 10 janvier 2023, n° 20/04875 N° Lexbase : A836487W

Lecture: 21 min

N6344BZY

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par Cécile Granier, Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : cautionnement • bail commercial • mention • nullité • confirmation


 

1. Avec la décision de la cour d’appel de Lyon datée du 10 janvier 2023, c’est encore un cautionnement qui est tombé sous les coups du formalisme. Le non-respect des exigences légales de forme lors de la conclusion de ce contrat constitue en effet l’un des motifs classiques de remise en cause du cautionnement, généralement invoqué au moment où la caution est activée par le créancier. La décision commentée en offre une énième illustration. La nullité d’un cautionnement consenti par deux époux en garantie de la dette de loyers commerciaux contractée par la société dirigée par l’époux est prononcée pour non-respect de la réglementation relative à la mention obligatoire.

2. Il est aisé d’imaginer le soulagement des cautions qui, avec cette décision, voient s’évanouir une dette de 150 000 euros. Ce soulagement doit être d’autant plus notable que le contentieux s’est étalé sur plus de quatorze années (avec un passage devant la Cour de cassation en 2014, dans le cadre d’une première action référé) et que plusieurs décisions préalables avaient conclu à l’efficacité du cautionnement. Une décision en référé, faisant suite à une action en paiement du créancier, avait même qualifié de contestations non sérieuses les arguments développés quant à la validité du cautionnement par les défendeurs. Alors qu’ils avaient été écartés à ce stade par le juge de l’évidence, ces mêmes arguments fondent pourtant, au fond, cette décision d’annulation.

3. Outre son opportunité évidente pour les cautions, cette décision intéressera également les juristes confrontés à ces contrats courants de la vie des affaires que sont le bail commercial et le cautionnement. Certes, la décision est rendue sur le fondement d’un texte « doublement abrogé ». La réglementation de la mention manuscrite fut jusqu’en 2016 logée dans les articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation N° Lexbase : L1158K7Z. La recodification à droit constant de ce code par l’ordonnance du 14 mars 2016 [1] aboutit à son transfert au sein de l’article L. 331-1 N° Lexbase : L1165K7B. Avec la récente réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 [2], cette réglementation a fait son entrée dans le Code civil et se trouve désormais codifiée à l’article 2297 N° Lexbase : L0171L8T. Corrélativement, cette ordonnance abroge plusieurs textes du Code de la consommation, dont les articles L. 331-1 et suivants N° Lexbase : L1165K7B (art. 32). En l’espèce, le contrat de cautionnement litigieux avait été conclu en 2004. Conformément au principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, ce sont les articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation N° Lexbase : L1158K7Z qui ont vocation à s’appliquer. Pour autant, la solution n’est pas dénuée d’enseignements, ce qui s’explique par trois considérations. Tout d’abord parce que les textes abrogés [3] – dont le contenu est quasi identique – ont encore vocation à s’appliquer pendant un temps certain. S’il en était encore besoin, ce contentieux illustre que le temps des réformes et le temps judiciaire ne concordent guère. Ensuite, malgré les modifications substantielles effectuées par l’ordonnance du 15 septembre 2021, notamment en matière de formalisme du cautionnement, une partie de la solution rendue est de nature à éclairer utilement la mise en œuvre de certaines dispositions issues de cette réforme. Enfin, la décision contient une motivation fournie et pédagogue sur différents aspects d’une réglementation qui est source d’un contentieux fréquent, ce qui ne peut que retenir l’attention. La cour d’appel de Lyon aborde successivement l’applicabilité du formalisme (I), sa mise en œuvre (II) et, in fine, sa sanction (III).

I. L’applicabilité du formalisme

4. Dès l’origine, c’est-à-dire dès la loi du 31 décembre 1989 [4], le formalisme imposé en matière de cautionnement a eu un champ d’application limité. D’abord réservée aux cautionnements de crédits immobiliers et de crédits à la consommation, l’obligation d’apposer une mention manuscrite dans le contrat, à peine de nullité de celui-ci, fut étendue en 2003 à tous les cautionnements conclus par des personnes physiques par acte sous seing privé. Malgré cette extension, la législation est restée placée dans le Code de la consommation jusqu’à la récente réforme du droit des sûretés (entrée en vigueur le 1er janvier 2022). Cette contradiction entre la situation du texte – dans le Code de la consommation – et son champ d’application personnel – tous les cautionnements conclus par les personnes physiques – a pu autoriser certains créanciers à développer une argumentation qui a été mobilisée dans le contentieux tranché le 10 janvier 2023. Le bailleur commercial avançait que les cautions devaient justifier de leur qualité de consommateurs pour se prévaloir des dispositions protectrices du Code de la consommation. Cet argument était en l’espèce opportun pour le créancier puisque l’époux était dirigeant de la société débitrice, ce qui lui ôtait la qualité de consommateur au sens de l’article liminaire du Code de la consommation. La cour d’appel de Lyon ne souscrit pas à cette interprétation. Adoptant une lecture littérale des articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation N° Lexbase : L1158K7Z et reprenant une jurisprudence établie (par exemple, Cass. com. 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B N° Lexbase : A5284IAX), elle affirme que « ces textes sont applicables à toute personne physique […], peu important que la caution soit avertie ou non et peu important le caractère commercial du cautionnement ». Seule la qualité de personne physique doit donc être prise en compte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 confirme le bien-fondé de cette solution. L’insertion dans le Code civil, et donc dans le droit commun, d’une disposition relative à la mention devant être apposée par toute personne physique confirme que ce dispositif ne relève pas du champ du droit spécial. L’extraction du dispositif du Code de la consommation devrait ainsi faire perdre toute assise à l’interprétation restrictive prônée par le créancier bailleur.

5. Le créancier avançait ensuite que les cautions ne justifiaient pas de sa qualité de « créancier professionnel ». Or cela constitue une condition expresse de l’application du formalisme anciennement prévu par le Code de la consommation. Une double interrogation découlait implicitement de cet argumentaire. En premier lieu, à qui incombe la charge de la preuve de la qualité de « créancier professionnel » ? En second lieu, est-ce que le bailleur commercial est, en l’espèce, un créancier professionnel ? Pour répondre à cette seconde question, la cour d’appel de Lyon délivre à un syllogisme particulièrement étayé. L’effort de motivation se comprend au regard du contexte. Dans la même affaire, dans le cadre d’une action en référé préalable, la question des contours de la notion de « créancier professionnel » a été au centre d’une décision de cassation (Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-21.605, F-D N° Lexbase : A6644MYQ), ce qui atteste des incertitudes qui l’entourent. La cour d’appel de Lyon commence par définir la notion de créancier professionnel au sens de l’article L. 341-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L1158K7Z. Il s’agit de celui « dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale ». Il faut d’emblée souligner que la définition retenue ne recoupe pas totalement celle du professionnel figurant dans l’article liminaire du Code de la consommation. Cette dernière n’opère en effet aucune distinction entre les activités en rapport direct ou indirect avec l’activité de la personne concernée ou entre ses activités principales et accessoires. La Cour précise ensuite la méthodologie à suivre pour appliquer cette définition. À cet égard, si « […] le créancier est une société », il faut rechercher « si l’opération litigieuse constituait, au sens de l’objet social de la société, une opération de nature à favoriser directement ou indirectement le but poursuivi par celle-ci, son extension ou son développement ». Malgré certaines formules vagues, dont le sens peut interroger (« au sens de l’objet social », « le but poursuivi »), l’on comprend qu’il faut comparer le fait générateur de la créance avec l’objet social de la société créancière pour déterminer si le premier entretient un lien direct ou indirect avec le second. En l’espèce, l’objet social du créancier visait plusieurs types d’opérations, à savoir l’acquisition directe ou indirecte d’immeubles, leur gestion et leur location. La créance de loyer au cœur du litige trouvant son origine « dans la signature d’un contrat de bail commercial portant sur un local industriel », la juridiction en déduit que le créancier est un professionnel au sens de l’article L. 341-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L1158K7Z.

À la lecture de ce syllogisme, plusieurs remarques peuvent être formulées. Tout d’abord, la cour d’appel de Lyon retient une interprétation large et autonome de la catégorie des « créanciers professionnels ». Elle reprend notamment à son compte, tout en la complétant, la solution rendue par la Cour de cassation en 2014 dans la même affaire : la notion de créancier professionnel ne se limite pas aux établissements de crédit (Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-21.605, F-D N° Lexbase : A6644MYQ). Les bailleurs commerciaux peuvent donc également être qualifiés comme tels. Ensuite, malgré la motivation fournie, la méthodologie préconisée peut laisser craindre une certaine casuistique, qui n’est pas sans rappeler celle que rencontrent les juges lorsqu’ils doivent jauger de la qualité de non-professionnel d’une SCI (voir par exemple Cass. civ. 3, 7 novembre 2019, n° 18-23.259, FS-P+B+I N° Lexbase : A9982ZTU). En l’espèce, la configuration est relativement simple et la cour établit sans difficulté un rapport direct entre le fait générateur de la créance et l’une des activités principales du créancier. Gageons que la caractérisation de ce lien sera moins évidente en cas d’opération « de nature à favoriser indirectement le but poursuivi » par la société, « son extension ou son développement ». Remarquons enfin que l’exigence tenant à la qualité de créancier professionnel n’a pas été reprise par l’article 2297 du Code civil N° Lexbase : L0171L8T issu de la réforme de 2021. Depuis le 1er janvier 2022, le formalisme applicable au cautionnement ne concerne que ceux conclus par une personne physique, peu importe le statut du créancier. Cependant, le raisonnement exposé conserve une utilité certaine en droit du cautionnement. La qualité de créancier professionnel constitue en effet une condition d’applicabilité de deux autres dispositifs protecteurs de la caution : l’obligation de mise en garde (C. civ., art. 2299 N° Lexbase : L0173L8W) et l’obligation de consentir un cautionnement proportionné aux capacités financières de la caution (C. civ., art. 2300 N° Lexbase : L0174L8X). L’on peut donc raisonnablement déduire de la décision commentée que les bailleurs commerciaux, qualifiés de créanciers professionnels, seront tenus de satisfaire à l’obligation de mise en garde et à l’exigence de proportionnalité lorsqu’ils se feront consentir un cautionnement par une personne physique en garantie des loyers commerciaux. Pour déterminer s’ils entrent dans la catégorie des « créanciers professionnels », ils pourront s’appuyer sur les utiles indications fournies par cette décision.

Pour conclure sur ce premier point, revenons à la seconde question implicitement posée, celle de la charge de la preuve de la qualité de créancier professionnel. La cour d’appel se contente d’affirmer que c’est « au juge » de rechercher, eu égard à l’objet social, s’il existe un rapport, direct ou indirect, avec les activités de la société. Elle ne semble ainsi faire peser la charge de la preuve ni sur l’une ni sur l’autre des parties. Bien que cela puisse paraître éloigné des principes probatoires érigés par les articles 1353 du Code civil N° Lexbase : L1013KZK et 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D, une telle affirmation peut se comprendre au regard du raisonnement qui incombe au juge : il s’agit de comparer l’objet social et le fait générateur de la créance. Dès lors, la seule production des statuts et du contrat de cautionnement suffit, aucune preuve supplémentaire n’étant requise.

Les conditions tenant aux qualités de la caution et du créancier étant remplies, la Cour aborde ensuite la mise en œuvre du formalisme.

II. La mise en œuvre du formalisme

6.  Depuis 2003, un formalisme strict conditionne la validité du cautionnement lorsqu’il est consenti par une personne physique. Le cautionnement est ainsi devenu, dans cette configuration, un contrat solennel (C. civ., art. 1109 N° Lexbase : L0816KZA). Ce formalisme consistait jusqu’en 2021 en l’apposition par la caution d’une formule manuscrite précisément déterminée par la loi, la finalité étant de lui permettre de mesurer la portée d’un engagement souvent lourd (C. consom., art. L. 341-2 N° Lexbase : L1158K7Z devenu C. consom., anc. art. L. 331-1 N° Lexbase : L1165K7B). Lorsque le cautionnement est consenti de façon solidaire, une seconde formule, conçue sur le même modèle, devait être apposée (C. concom., art. L. 341-3 N° Lexbase : L1157K7Y devenu C. consom., anc. art. L. 331-2 N° Lexbase : L1164K7A) En l’espèce, chacune de ces mentions est jugée non conforme aux exigences légales par la cour d’appel de Lyon.

7. En ce qui concerne, en premier lieu, la mention relative à la solidarité des cautions, il était assez aisé de constater qu’elle ne remplissait pas les exigences requises par l’ancien article L. 341-3 du Code de la consommation N° Lexbase : L1157K7Y. Le jugement de première instance avait d’ailleurs statué en ce sens, ce que contestait la société créancière. Les époux caution s’étaient contentés de mentionner sur le contrat de bail commercial « bon pour caution personnelle et solidaire avec renonciation au bénéfice de discussion et de division […] ». L’absence d’explicitation des conséquences de ces renonciations, notamment le fait que des cautions solidaires s’engagent « à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement » le débiteur (C. consom., art. L. 341-3) contrevenait clairement au texte.

Une telle mention serait-elle toujours insuffisante si le cautionnement avait été conclu en 2022 ? Avec la réforme de 2021, le législateur a tenté d’assouplir le formalisme afférent à la conclusion du cautionnement, notamment en n’imposant plus de mention prédéterminée. Pour autant, bien que sa forme ne soit plus imposée, l’exigence d’apposition d’une mention – plus nécessairement manuscrite – dotée d’un contenu minimal persiste. Les cautions solidaires doivent toujours reconnaître dans la mention qu’elles ne pourront plus « exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions » (C. civ., art. 2298, al. 2 N° Lexbase : L0172L8U). Or cela n’est pas le cas en l’espèce. Non conforme en 2004, cette mention le serait également en 2022. Voilà une bonne illustration offerte aux bailleurs commerciaux « professionnels » – souvent moins familiers des rouages du droit du cautionnement que les établissements de crédit – de ce qu’il ne faut pas faire.

8. Concernant, en second lieu, la mention relative à l’engagement de caution stricto sensu, la difficulté concernait spécifiquement la durée de l’engagement. Parmi plusieurs autres informations, l’article L. 341-2, ancien, du Code civil exigeait en effet que la caution précise expressément la durée pendant laquelle elle s’engageait envers le créancier à rembourser les sommes dues au prêteur. En l’espèce, la mention apposée au bas du bail commercial prévoyait que l’engagement de caution portait sur toutes les sommes dues par le débiteur au bailleur « en principal, intérêts de toutes natures, frais et accessoires en exécution du présent bail commercial et pour la durée d’application de celui-ci, dans la limite d’une somme de cent cinquante mille euros (150 000 euros) TTC (…) ». La durée n’était donc pas précisée de façon « numérique », mais par référence à celle du bail dont les loyers étaient cautionnés. L’essence du contrat de cautionnement étant de payer la dette du débiteur principal (C. civ., art. 2288 N° Lexbase : L0129L8B), la référence directe à cette dette principale – les loyers commerciaux – apparaît logique. Néanmoins, en ce qui concerne la mention, elle est jugée insuffisante par la cour d’appel de Lyon pour que soient remplies les exigences formelles requises par la loi. La juridiction estime en effet que même si l’article « ne précise pas la manière dont la durée de l’engagement de caution doit être exprimée dans la mention manuscrite, il n’en demeure pas moins que, s’agissant d’un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention doit être exprimée sans qu’il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l’acte […] ».

9. Replacée dans le contexte actuel, c’est-à-dire dans le contexte post-réforme, cette interprétation paraît bien sévère, voire dépassée. Afin de réduire un contentieux pléthorique, le législateur de 2021 a choisi de substituer à une mention prédéterminée une mention dont la forme est laissée à l’appréciation des parties et in fine du juge. Certaines informations doivent toutefois nécessairement figurer dans la mention, à savoir la qualité de caution, la nature de l’obligation contractée et la limite de l’engagement (C. civ., art. 2297, al. 1er N° Lexbase : L0171L8T). La référence à la durée de l’engagement de la caution ne figure donc plus dans la nouvelle mouture du texte. À rebours de la motivation des juges de la cour d’appel de Lyon, l’on peut postuler que cette référence a été abandonnée, car le législateur estime qu’il ne s’agit pas d’un élément central pour que la caution mesure la portée de son engagement [5]. Certes, le fait que le bail commercial puisse faire l’objet d’une continuation au-delà de son terme, soit du fait de l’absence de congé délivré (C. com., art. L. 145-9 N° Lexbase : L2009KGI), soit du fait d’une tacite reconduction expressément convenue génère une incertitude quant à l’étendue de l’engagement de la caution et est source de risques pour cette dernière. Néanmoins, la stipulation d’un plafond n’est-elle pas de nature à suffisamment la protéger ? C’est cette conception qui semble avoir été adoptée par le législateur en 2021. Ce n’est pas celle retenue par la cour d’appel de Lyon en 2023, qui est restée imperméable aux évolutions intervenues entre-temps et qui conclut à la non-conformité de la mention manuscrite en ce qui concerne la durée du bail. Après quatorze ans de procédure, avec un débiteur liquidé et une caution dirigeante, la solution peut paraître difficile à comprendre pour le bailleur-créancier, et ce d’autant plus que sous l’empire du droit post-réforme, la mention aurait été jugée conforme aux exigences légales et le cautionnement efficace. Au terme de son raisonnement, la cour d’appel de Lyon est enfin conduite à statuer sur la sanction du formalisme.

III. La sanction du formalisme

10. La non-conformité de la mention relative à la solidarité du cautionnement est sanctionnée par l’inefficacité de cette solidarité [6]. Ce défaut n’était donc pas susceptible de remettre en cause l’obligation de paiement des cautions, mais seulement ses modalités. À l’inverse, le défaut affectant la mention relative à l’engagement de caution a toujours été, et est encore, sanctionné par la nullité du cautionnement [7]. Une fois qu’elle est prononcée par le juge, cette sanction s’accompagne d’une disparition rétroactive de l’engagement contracté (C. civ., art. 1178 N° Lexbase : L0900KZD). Au terme de la solution développée par la juridiction lyonnaise, c’était donc le sort qui attendait logiquement le cautionnement litigieux. Le créancier faisait toutefois état d’un ultime argument afin de sauver sa garantie. S’appuyant sur le caractère relatif de la nullité, il avançait que l’absence de contestation de la validité du cautionnement par les défendeurs lors des premières instances en référé équivalait à une confirmation tacite de l’engagement par les époux.

11. À la différence de la nullité absolue, la nullité relative est susceptible de faire l’objet d’une confirmation (C. civ., art. 1181 N° Lexbase : L0897KZA), ce qui emporte renonciation à la nullité. En l’espèce, la nature relative de la nullité n’était pas discutée. Le formalisme attaché au cautionnement a, a priori, bien pour objet la sauvegarde d’un intérêt privé (C. civ., art. 1179 N° Lexbase : L0899KZC), celui de la caution[8]. C’est donc l’existence d’une confirmation qui était au centre du dernier point de discussion. La confirmation est désormais définie par la loi comme l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce (C. civ., art. 1182 N° Lexbase : L0896KZ9). S’il est acquis qu’elle peut prendre la forme d’une exécution volontaire de l’acte (C. civ., art. 1182, précité), et donc être tacite, la confirmation reste soumise à des conditions strictes posées par la jurisprudence et que la cour d’appel de Lyon rappelle : la connaissance du vice affectant l’acte et la volonté de le réparer.

11. Ces deux conditions sont-elles remplies en cas d’absence de contestation par la caution de la validité du cautionnement dans le cadre d’une instance en référé ayant précédé l’instance au fond ? La Cour apporte logiquement une réponse négative, qui semble fondée tant en droit qu’en opportunité. Sur le plan juridique, aucune des deux conditions susmentionnées ne semble remplie dans l’hypothèse visée. La non-contestation de la validité du cautionnement atteste en effet bien plus vraisemblablement de l’ignorance du vice que de sa connaissance. La cour d’appel justifie notamment sa solution en se référant à un arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2018[9] qui a retenu que la satisfaction des deux conditions de la confirmation ne « peut résulter de l’absence de contestation de la validité de l’acte avant l’instance en cause ou même de l’invocation de sa validité dans une autre instance ». Considérant que l’action en référé est une instance autre, la juridiction retient que l’absence de contestation à ce stade « ne permet pas de considérer […] » que les cautions « […] avaient effectivement connaissance du vice l’affectant et l’intention de le réparer ». Alors qu’il est fondé sur un texte abrogé, un même raisonnement pourrait être adopté sur le fondement du nouvel article 2297 du Code civil N° Lexbase : L0171L8T puisque la sanction reste identique à la suite de la réforme de 2021. En opportunité, cette solution doit également être approuvée. La solution inverse aurait eu des conséquences inopportunes puisqu’une caution qui aurait été mal conseillée dans le cadre d’une première action – bien souvent une action en référé en paiement intentée par le créancier à son encontre – aurait perdu le droit d’invoquer les arguments tenant à la validité du contrat. Cette dernière solution s’inscrit donc dans la ratio legis même du formalisme : la protection de la caution.


[1] Ordonnance n° 2016-301, du 14 mars 2016, relative à la partie législative du code de la consommation N° Lexbase : L0300K7A.

[2] Décret n° 2021-1191, du 15 septembre 2021, modifiant le décret du 5 novembre 2020 relatif à l'expérimentation prévue à l'article 20 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 N° Lexbase : L8942L7C.

[3] C. conso., anc. art. L. 341-2 et s. N° Lexbase : L1158K7Z et C. consom., anc. art. L. 331-1 et s. N° Lexbase : L1165K7B.

[4] Loi n° 89-1010, du 31 décembre 1989, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles N° Lexbase : L2053A4S.

[5] Voir en ce sens, A. Gouëzel, Le nouveau droit des sûretés, Dalloz, 2023 n° 142.

[6] Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10.699, FS-P+B+I N° Lexbase : A0443G7K ; C. civ., art. 2297, al. 2 N° Lexbase : L0171L8T.

[7] C. consom., anc. art. L. 341-2 N° Lexbase : L1158K7Z ; C. civ., art. 2297, al. ler N° Lexbase : L0171L8T.

[8] Voir en ce sens, Cass. com., 5 février 2013.

[9] Cass. civ. 1, 28 novembre 2018, n° 17-30.966, F-D N° Lexbase : A9299YNQ.

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Affaires

[Chronique] Vérification de la régularité d’un chèque : une obligation, plusieurs débiteurs

Lecture: 10 min

N6350BZ9

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par Jordi Mvitu Muaka, Doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Responsabilité civile • obligation de vigilance • banque • chèque falsifié


 

Un acte, plusieurs parties. Le chèque est un instrument de paiement courant dont la réalisation fait intervenir plusieurs personnes entre le client émetteur du chèque, sa banque tirée et la banque du bénéficiaire, raison pour laquelle on l’a parfois assimilé à un effet de commerce tel que la lettre de change [1]. Étant par nature destiné à circuler entre plusieurs mains – de son émission à son encaissement –, la régularité du titre peut être invalidée du fait des éventuelles altérations sur l’écriture du chèque et ses mentions obligatoires après son émission. Face à cet écueil, la loi impose un contrôle de la régularité formelle du chèque à chacune des parties impliquées dans l’opération de paiement. La cour d’appel de Lyon dans l’arrêt commenté reconnaît également cette obligation de contrôle pour le sous-traitant d’un établissement bancaire à qui l’on a confié la vérification de la validité des chèques et le renvoi des chèques non conformes le cas échéant. Les juges d’appel ont privé d’effet une clause limitative de responsabilité prévue dans le contrat cadre conclu entre la banque accipiens du chèque et son sous-traitant, pour les condamner in solidum au versement des dommages et intérêts au profit du client victime.

Faits. En l’espèce, une société commerciale avait émis un chèque en règlement d’une facture de son fournisseur qui a été falsifié au moment de sa remise, le nom de l’émetteur et du bénéficiaire ayant été remplacés par celui d’un tiers. Ce dernier était titulaire d’un compte auprès d’une banque qui avait sous-traité les vérifications et les contrôles des chèques soumis à l’encaissement par ses clients auprès d’une société spécialisée. Le contrat cadre conclu entre ces derniers prévoyait une clause limitative de responsabilité en cas de fraude sur les chèques traités. Bien que falsifié, le chèque sera encaissé au bénéfice d’un tiers, et la société émettrice assignera au remboursement des sommes versées sa banque tirée, la banque accipiens et son prestataire, reprochant à chacun d’entre eux un défaut de vigilance sur la régularité d’un chèque qui présentait, d’après le tireur, des anomalies apparentes. À la banque tirée, il était précisément reproché de ne pas avoir procédé aux vérifications d’usage sur le chèque au moment de sa réception, à la banque accipiens est reproché le fait d’avoir encaissé le chèque sans déceler une quelconque irrégularité et, enfin, au prestataire, il est reproché d’avoir manqué de vigilance face à des irrégularités grossières telles que l’absence de similarité entre la signature sur l’endos du chèque et celle sur son recto, ou encore l’absence d’identité entre le numéro de compte figurant au recto du chèque et le nom du titulaire du compte qui y était inscrit.

Motifs de la cour d’appel. Saisie en appel de ce litige, la juridiction lyonnaise a fait droit à l’action en réparation de la société émettrice du chèque falsifié en décidant que l’obligation de contrôle de la régularité des chèques incombe tant à la banque tirée qu’à la banque réceptrice, la responsabilité de chacune d’elles étant engagée si une irrégularité apparente sur le titre n’a pas été décelée. Ensuite, s’agissant du sous-traitant, la nature de la mission lui ayant été confiée justifie l’engagement de sa responsabilité à l’égard des tiers dès lors qu’il ne décèle pas l’irrégularité apparente d’un chèque soumis à son contrôle. Le cas échéant, l’action du tiers peut être exercée en dépit de l’existence d’une clause limitative de responsabilité convenue entre le sous-traitant et la banque accipiens. La cour d’appel de Lyon procède dans cet arrêt à une assimilation de la faute contractuelle à une faute délictuelle, pour juger que la société émettrice était fondée à rechercher la responsabilité délictuelle du sous-traitant sans avoir à démontrer une faute délictuelle distincte du manquement contractuel de ce dernier dans l’exécution de ses prestations de vérification des chèques de la banque réceptrice du chèque falsifié.

Portée de l’arrêt. La décision des juges lyonnais est riche de deux enseignements. Le premier, qui s’apparente à un rappel, indique que la vérification des chèques incombe tant à la banque du tireur qu’à celle auprès de laquelle le titre a été déposé. Cette règle émane directement des dispositions applicables en matière de traitement des chèques (C. mon. fin., art. L. 131-38 et s. N° Lexbase : L9348HDL). De plus, la présente décision contribue à éclairer le régime du chèque car elle souligne que l’exécution de cette obligation de vigilance n’est pas soumise aux conventions interbancaires sur la gestion des chèques ainsi qu’aux usages entre établissements bancaires sur le traitement informatisé de ces titres (I.). Ces conventions visent en pratique à simplifier et à accélérer la gestion de cet instrument de paiement. Le second enseignement apporté par l’arrêt de la cour d’appel de Lyon concerne l’extension de cette obligation de vigilance, qui est un trait particulier du statut des établissements bancaires [2], au professionnel sous-traitant chargé contractuellement de la vérification des chèques remis par les clients de son cocontractant (II.).

I. Une obligation de vigilance partagée entre la banque tirée et la banque accipiens

Une double responsabilité. Le contrôle de la régularité des chèques est attribué à la fois à la banque tirée et à la banque présentatrice. La réalisation des vérifications par l’une n’exonère pas la seconde de cette même charge [3]. Cela revient à exiger le contrôle d’un chèque au moment de sa remise puis au moment de sa transmission à la banque tirée, ce qui peut représenter une charge journalière considérable, en raison du temps qu’il faut affecter à l’examen de ces pièces lorsqu’à la même date, de nombreux chèques sont présentés à l’encaissement. De plus, la réglementation bancaire impose que tout chèque de plus de cinq mille euros soit acheminé physiquement avant tout encaissement de la banque présentatrice vers la banque tirée. En pratique, les établissements bancaires ont recours à des conventions interbancaires qui vont faciliter le traitement des chèques en simplifiant notamment la présentation du titre pour faciliter le paiement en chambre de compensation. Mais la cour d’appel de Lyon, en se basant sur l’effet relatif des contrats, énonce clairement que ces conventions sont inopposables aux tiers, en dépit de la répartition de la charge du contrôle de la validité des chèques qu’elles peuvent prévoir.

Perte de l’original d’un chèque falsifié. La banque tirée avançait également que le chèque falsifié lui avait été transmis de manière informatisée, l’original ayant été détruit à l’issue de sa présentation, de sorte que seule la banque accipiens pouvait déceler les irrégularités formelles sur le titre. Sans surprise, les juges lyonnais rejettent cette analyse, comme l’a déjà fait la Cour de cassation saisie d’une question similaire [4], et considèrent que la disparition de l’original d’un chèque supposé falsifié, loin d’exonérer la banque tirée de son obligation de vigilance, emporte renversement de la charge de la preuve de la régularité du titre. À ce titre, les juges d’appel reprennent une position récente de la Cour de cassation attribuant à la banque tirée la charge de démontrer qu’un chèque émis par son client n’était pas affecté d’anomalies apparentes, à moins que ce chèque n’ait été restitué au client tireur [5]. Mais si la banque tirée et la banque présentatrice sont les débitrices souvent concernées par la vérification des chèques, dans la décision des juges lyonnais, l’obligation de vigilance s’agissant des chèques a été étendue au sous-traitant de la banque présentatrice.

II. Une obligation de vigilance étendue au sous-traitant de la banque présentatrice

Indifférence de la qualité de banquier. La société sous-traitante soutenait qu’elle n’était pas tenue à l’obligation de vigilance imputable aux établissements bancaires car elle n’était pas intervenue dans l’opération en qualité de banque. De même, n’étant liée contractuellement qu’à l’égard de la banque présentatrice, la société sous-traitante considérait également que seul son cocontractant pouvait engager sa responsabilité pour ne pas avoir décelé les irrégularités du chèque traité par ses services. Or, une clause limitative de responsabilité dans le contrat-cadre signé entre les parties l’exonérait dans ce cas précis.

Assimilation de la faute contractuelle à une faute délictuelle. La cour d’appel de Lyon reconnaît une faute contractuelle à l’encontre de la société sous-traitante qui n’a pas procédé à une vérification sérieuse de l’irrégularité du chèque validé. La juridiction lyonnaise réalise une assimilation de la faute contractuelle à une faute délictuelle, telle que l’a consacrée la Cour de cassation [6], en vertu de laquelle « le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l'égard d'un tiers au contrat lorsqu'il lui cause un dommage ». Cette jurisprudence, qui consacre la responsabilité délictuelle d’un contractant à l’égard des tiers pour un manquement contractuel, aboutit en l’espèce à condamner la société sous-traitante à réparer le préjudice subi par le tireur du chèque falsifié pour une faute dont son cocontractant n’aurait pas pu se prévaloir pour obtenir des dommages et intérêts en raison de la clause limitative de responsabilité convenue entre les parties. Dans cet arrêt, cette clause a été privée d’effet quant à l’action en responsabilité du tiers à l’encontre du sous-traitant.

Extension de l’obligation de vigilance. Il s’agit donc d’une extension de l’obligation de vigilance au bénéfice des tiers en raison de la nature des prestations exécutées par la société sous-traitante. Ce constat est également confirmé par la condamnation in solidum du sous-traitant et de la banque tirée en réparation du même préjudice matériel subi par le tireur victime du décaissement frauduleux de sommes d’argent opéré sur son compte bancaire. Cette condamnation in solidum intervient habituellement lorsque la victime agit simultanément contre la banque tirée et la banque présentatrice et, à l’inverse, c’est lorsque l’une n’est pas mise en cause que l’autre peut être tenue de réparer l’entier dommage [7]. Ainsi, le traitement des chèques, quelle que soit la qualité de celui qui en a la charge, ou le moment où il s’opère, impose de redoubler de vigilance sur la régularité formelle de ce titre.

 

[1] M. Jeantin, P. Le Cannu, T. Granier et R. Routier, Instruments de paiement et de crédit, Dalloz, 2010, 8e éd., n° 26.

[2] J.-F. Riffard, Le banquier, le compte et le contrôle : retour sur une notion fondamentale, mais négligée, RD bancaire et fin. nov-déc., 2018, dossier 40.

[3] Cass. com., 23 juin 1999 : RD bancaire et bourse, 1999, n° 73, p. 96, obs. Crédot et Gérard.

[4] Cass. com., 9 juillet 2002, n° 00-22.788, FS-P N° Lexbase : A1146AZH : D., 2002, p. 2676.

[5] Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-20.031, FS-B N° Lexbase : A12998SW : J. Lasserre Capdeville, Précision notable sur la preuve en matière de chèque falsifié, Lexbase affaire, novembre 2022, n° 736 N° Lexbase : N3340BZQ.

[6] V. dernièrement : Cass. ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963 N° Lexbase : A85133AK : JCP E, 2020, 1066, note D. Bakouche ; JCP G, 2020, 92, note M. Mekki.

[7] Cass. com., 3 décembre 2002, n° 00-20.566, publié au bulletin N° Lexbase : A2033A43 : D., 2003, p. 1756.

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Autorité parentale

[Chronique] PMA par un couple de femmes et consentement forcé à l’adoption : première application de l’article 9, de la loi du 21 février 2022

Réf. : CA Lyon, 2e ch. B, 9 juin 2022, n° 21/09303 N° Lexbase : A427077B

Lecture: 6 min

N6319BZ3

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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : intérêt de l’enfant • adoption • procréation médicalement assistée


 

L’adoption requiert en principe le consentement du parent à l’égard duquel la filiation est déjà établie, mais il est des situations qui justifient que ce consentement soit forcé et l’adoption prononcée. Par sa récente loi modifiant l’adoption, le législateur consacre expressément un tel pouvoir au profit du juge lorsque l’intérêt de l’enfant le justifie : l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, rendu le 9 juin 2022, en constitue l’une des premières applications.

En l’espèce, un enfant naît en 2018 par procréation médicalement assistée (PMA) réalisée en Belgique dans le cadre d’un projet parental entre la mère ayant accouché et son épouse. En 2019, la première – reconnue seule mère de l’enfant juridiquement – consentit dans un premier temps à l’adoption plénière de l’enfant par la seconde, pour finalement se rétracter un mois après à la suite de la séparation du couple. L’ex-conjointe de la mère saisit alors la justice afin que soit ordonnée cette adoption sur le fondement de l’article 348-6 du Code civil N° Lexbase : L5155MEN, mais elle se heurta à un rejet de ses prétentions, le tribunal considérant que le refus opéré par la mère n’était pas abusif au sens de la disposition précitée et ne pouvait dès lors justifier le prononcé de l’adoption. En effet, il se fonda sur le comportement de la requérante et en particulier de son incapacité à prendre soin de l’enfant au regard des soins particuliers que son état de santé nécessitait à sa naissance et de la poursuite de son seul intérêt.

L’ex-compagne de la mère biologique interjeta appel de la décision, estimant que le refus opposé par celle-ci n’était pas légitime, mais constituait « une mesure vindicative à la suite de leur séparation », et démontrant l’intérêt qu’elle portait à l’enfant ainsi que la nécessité de lui reconnaître un lien de filiation à son égard. Surtout, elle invoqua deux réformes récentes en droit de la famille : la loi bioéthique du 2 août 2021 N° Lexbase : L4001L7C dont les dispositions transitoires autorisent à l’égard d’un enfant né d’une PMA avant son entrée en vigueur la réalisation d’une reconnaissance conjointe après sa naissance afin d’établir la filiation à l’égard des deux femmes à l’origine du projet parental (art. 6, IV N° Lexbase : Z86083TH), et la loi portant réforme de l’adoption du 21 février 2022 N° Lexbase : L4154MBH permettant – temporairement jusqu’à trois ans après sa promulgation – au juge de passer outre le refus de consentement de la mère légale pour prononcer l’adoption à l’égard du tiers ayant participé au projet parental lorsque l’enfant est né d’une PMA réalisée à l’étranger (art. 9 N° Lexbase : Z99350TX)

La mère ayant accouché réfuta tout désintérêt de sa part au sens de l’article 348-6 du Code civil N° Lexbase : L5155MEN et rejeta la conformité du prononcé de l’adoption requise avec l’intérêt supérieur de l’enfant au regard notamment de l’instabilité psychologique de la requérante.

Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Lyon infirme dans son arrêt du 9 juin 2022 le jugement de première instance et prononce l’adoption plénière par la requérante à la lumière de l’intérêt de l’enfant. Bien qu’elle estime que le refus de la mère légale était abusif, elle rejette tout désintérêt de l’enfant « au risque d’en compromettre la santé ou la moralité » : ces conditions étant cumulatives, l’article 348-6 du Code civil ne saurait trouver à s’appliquer. En réalité, la cour se fonde sur l’article 9 de la loi de réforme de l’adoption, soulignant que chacune des conditions d’applicabilité prévues par le texte est remplie – la preuve d’un projet parental commun et la réalisation d’une AMP à l’étranger avant la publication de la loi – et que le critère de la contrariété avec l’intérêt de l’enfant du refus de reconnaissance conjointe opposée par la mère biologique est également caractérisé. Elle souligne à cet effet l’affection portée par la requérante à l’enfant et la nécessité de ce dernier de se voir reconnaître un lien de filiation avec les deux personnes ayant porté le projet parental. À ce titre, elle motive spécialement sa décision conformément aux exigences de la loi.

Cet arrêt constitue l’une des premières applications de cette disposition de la loi du 21 février 2022 et s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure qui a admis, par le biais d’une interprétation extensive de l’article 348-6 du Code civil, le prononcé de l’adoption plénière par la compagne de la mère biologique sur le seul fondement de l’intérêt de l’enfant, malgré l’opposition (TGI Lille, 14 octobre 2019, n° 19/1037, AJ Fam., 2020, p. 248, obs. F. Berdeaux) ou la rétractation du consentement par cette dernière (TGI Pontoise, 24 novembre 2020, N° 19/01979, AJ Fam., 2020, p. 182, obs. L. Brunet). Un tel raisonnement semble pourtant difficilement cohérent avec la lettre de l’article qui exige de prouver un désintérêt de la part du parent à l’égard de l’enfant. Fondées sur le « vide juridique qui a pour conséquence de laisser l’établissement de la filiation de cet enfant à l’égard de sa mère d’intention au bon vouloir unilatéral de sa mère » (TGI Pontoise, préc.), ces décisions ont pu être interprétées comme une application anticipée des nouveautés à venir (L. Brunet, préc.) et le prononcé d’une adoption plénière sur le seul fondement de l’intérêt de l’enfant a d’ailleurs été approuvé par la Cour de cassation elle-même (Cass. civ. 1, 3 novembre 2021, n° 20-16.745, F-D N° Lexbase : A06747BL) même si la mère légale avait en l’espèce effectivement donné son consentement pour ne s’opposer qu’ultérieurement à l’adoption.

Dès lors, il convient de souligner la rigueur juridique de l’arrêt en ce qu’il exclut spécifiquement l’application de l’article 348-6 du Code civil à défaut de caractériser un désintérêt pour l’enfant de la part du parent légal. Reste à déterminer si les autres juridictions du fond suivront, sous l’impulsion de la possibilité qui leur est désormais offerte de mobiliser la loi sur l’adoption.

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Copropriété

[Chronique] La confirmation de l’absence d’exclusivité de l’action en responsabilité contre le syndicat de copropriétaires en cas d’infiltrations ayant leur origine dans les parties communes

Réf. : CA Lyon, 25 avril 2023, n° 22/02736 N° Lexbase : A43089SD

Lecture: 5 min

N6347BZ4

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par Pierrick Maimone, Doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Responsabilité du syndicat de copropriétaires • responsabilité d’un copropriétaire • cumul d’actions • responsabilité du fait des choses • infiltrations


 

Par un arrêt du 25 avril 2023, la cour d’appel de Lyon vient se prononcer sur le cumul des actions en responsabilité contre un syndicat de copropriétaires et contre l’un des copropriétaires.

En l’espèce, un propriétaire possédant deux terrasses a décidé d’y effectuer des travaux. Si, sur la première, la pose d’une véranda a empêché de réaliser une étanchéité complète de la terrasse, le propriétaire a découvert la seconde, sans pour autant procéder aux réfections nécessaires pour traiter les eaux pluviales. Des suites de ces carences, l’appartement situé sous celui du propriétaire ayant réalisé les travaux a subi de nombreuses infiltrations d’eaux. Ce dégât des eaux a détérioré le salon. De plus, cet appartement étant alors loué, son propriétaire a connu des difficultés avec son locataire, qui a rompu son bail. Le propriétaire subissant ces désagréments a, dès lors, assigné en justice le premier propriétaire pour obtenir l’indemnisation de son préjudice matériel et de son préjudice économique lié à la perte des loyers normalement perçus. La demande ne porte néanmoins que sur la terrasse où la véranda a été installée.

Le tribunal de grande instance de Bastia a, le 20 novembre 2018, retenu notamment la responsabilité du propriétaire ayant réalisé les travaux en le condamnant à indemniser les préjudices allégués par le demandeur. La cour d’appel de Bastia, dans un arrêt du 4 novembre 2020, infirme intégralement le jugement de première instance au motif que, principalement, les terrasses étant des parties communes, seule la responsabilité du syndicat de copropriétaire, sur le fondement de l’article 14 de la loi n° 65-557, du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis N° Lexbase : L5536AG7, pouvait être engagée. Ce faisant, la victime se pourvoit en cassation. Par un arrêt du 26 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel mais seulement en ce qu’il a refusé de condamner le propriétaire ayant réalisé les travaux à indemniser les préjudices précités. En effet, la Cour de cassation affirme que « la responsabilité du syndicat au titre de l'article 14 précité n'est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire [1] ». Elle renvoie alors l’affaire à la cour d’appel de Lyon qui devait donc se prononcer sur la seule responsabilité du propriétaire des terrasses à l’égard des infiltrations d’eaux subies par le demandeur.

La cour d’appel de Lyon reprend alors l’arrêt de la Cour de cassation en confirmant qu’un cumul des actions en responsabilité contre le syndicat de copropriétaires, sur le fondement de l’article 14 de la loi n° 65-557, du 10 juillet 1965, précitée N° Lexbase : L5536AG7 et contre l’un des copropriétaires, fondée sur les articles 1240 et suivants du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9, est parfaitement possible. La position des arrêts se comprend aisément. En effet, c’est bien plutôt l’arrêt de la cour d’appel de Bastia qui était surprenant. La question du cumul d’actions ne pose principalement des difficultés que lorsque ces actions sont exercées à l’égard de la même personne. Or, dans l’espèce, le syndicat de copropriétaires et le propriétaire ayant réalisé les travaux sont, à l’évidence, deux personnes différentes. De plus, « l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit simplement un régime de responsabilité du syndicat assimilable à une responsabilité "de plein droit" [2] », c’est-à-dire qu’il ne ferme pas la porte à une action en responsabilité contre l’un des copropriétaires. Dès lors que, selon la cour d’appel de Lyon, les travaux ayant causé les dommages ont été réalisés sur « la partie superficielle du revêtement et non sur la structure même de l’ouvrage », la responsabilité du défendeur devait être examinée en tant qu’il a la jouissance exclusive de la terrasse. 

La cour d’appel de Lyon vient alors analyser la responsabilité du fait des choses du gardien de la terrasse. En effet, dans le cadre d’un dégât des eaux, la Cour de cassation a déjà affirmé que la faute n’était pas le seul fondement mobilisable et que, dès lors, les juges du fond sont tenus de voir si le propriétaire du bien où se trouve la cause des infiltrations ne peut pas voir sa responsabilité de plein droit engagée [3], sur le fondement donc de l’article 1242 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7. La principale question résidait alors dans le fait de la chose, la terrasse étant inerte. La jurisprudence admet depuis longtemps qu’une chose inerte n’exclut pas nécessairement la responsabilité du fait des choses et que, ainsi, si la chose était affectée d’un vice ou était dans une position anormale, alors le fait de la chose pouvait être caractérisé [4]. Les juges d’appel relèvent ainsi que, conformément à l’expertise, le défaut d’étanchéité de la terrasse ne résultait pas « d’une vétusté normale ». Ce faisant, la terrasse était affectée d’un vice. Le fait de la chose était donc caractérisé. Ensuite, la cour d’appel lyonnaise a relevé qu’il a contribué a causé le dégât des eaux et, ainsi, les préjudices résultant des travaux de réfection que le demandeur a dû entreprendre du fait des infiltrations et de la perte de jouissance de l’appartement, du fait des loyers perdus, faute d’avoir pu trouver un locataire. Le montant des indemnisations accordées par le tribunal de grande instance de Bastia n’étant pas contesté par le défendeur, la cour d’appel de Lyon vient donc le confirmer.

 

[1] Cass. civ. 3, 26 janvier 2022, n° 20-23.614, FS-B N° Lexbase : A53097KT, § 9.

[2] P.-É. Lagraulet, Infiltrations : cumul des responsabilités, AJDI, 2022, 530.

[3] Cass. civ. 3, 22 mars 2018, n° 17-13.467, F-D N° Lexbase : A7812XHS.

[4] Par ex., v. : Cass. civ. 2, 8 juin 1994, n° 92-19.546, publié au bulletin N° Lexbase : A7305AB8 ; Cass. civ. 2, 11 février 1999, n° 97-13.456, publié au bulletin N° Lexbase : A0082CHI.

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Covid-19

[Doctrine] Les préjudices réparables en cas de contamination par la Covid

Lecture: 18 min

N6314BZU

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par Stéphanie Porchy-Simon, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe de recherche Louis Josserand

Le 26 Juillet 2023

Introduction*

L’étude de la question des préjudices causés par la Covid peut correspondre à deux grandes séries d’hypothèses. Au plus fort des différentes vagues épidémiques, et peut-être aujourd’hui encore dans le cas des individus présentant des facteurs de risque, une angoisse, ressentie par une personne non encore contaminée, peut naître du seul fait du risque que celle-ci puisse survenir. Il s’agirait donc ici d’une hypothèse classique de préjudice d’anxiété, dont on sait que le droit français a plusieurs fois reconnu le caractère réparable [1]. Non lié toutefois à une contamination effective, ce cas ne sera pas, compte tenu du sujet qui nous était aujourd’hui assigné, développé davantage ici.

Une seconde hypothèse est celle des préjudices subis par une personne qui a effectivement contracté le virus. D’apparence plus classique, notamment dans le cas où cette contamination aura altéré de manière provisoire ou définitive l’état de santé de l’intéressé, cette question est toutefois triplement complexe.

Elle l’est tout d’abord du fait de la difficulté à identifier un fait générateur source de responsabilité, qui pourrait ouvrir la perspective d’une action en réparation de l’éventuelle victime. L’indemnisation des préjudices causés par une contamination par la Covid suppose en effet que celle-ci puisse constituer un fait générateur de responsabilité, ou que les conséquences qui en découlent puissent être prises en compte au titre de la solidarité nationale, ce qui est loin d’être acquis en l’état du droit positif [2].

À supposer ce fait générateur établi, ce sont ensuite des difficultés sur le terrain du lien de causalité entre le fait générateur et les préjudices subis qui pourront interdire leur réparation. L’état antérieur de la victime pourrait, à cet égard constituer un premier obstacle. En effet dans la très grande majorité des cas, et notamment lors de la prise en charge dans les services de réanimation ou, plus généralement, lorsque la maladie conduit à une hospitalisation et cause donc une réelle atteinte corporelle, les patients présentaient d’importants facteurs de risque, liés à l’âge ou à des éléments de comorbidité. Ceux-ci pourraient donc compromettre la preuve du rôle causal de la contamination dans les préjudices subis, bien que la jurisprudence française soit unanime à rejeter le rôle des états antérieurs seulement latents [3]. Un second obstacle peut être lié à l’imputabilité même des troubles à la faute éventuelle, comme le démontre l’exemple des Covids dits « longs » , dont les manifestations sont très diverses et les causes exactes encore mal documentées.

En considérant ces questions résolues, tout en gardant à l’esprit qu’elles constitueront le plus souvent des obstacles difficilement surmontables pour les demandeurs, reste donc celle de l’identification des préjudices subis par les victimes de telles contaminations.

Partant du principe qu’en tant que maladie, la Covid créait une atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne contaminée, au moins temporairement, l’identification des préjudices réparables sera donc menée au prisme des catégories de la nomenclature Dintilhac, en distinguant, comme celle-ci nous y invite, le cas des victimes principales (I.) de celui des victimes par ricochet (II.).

I. Les préjudices de la victime directe contaminée par la Covid

La victime contaminée par la Covid peut subir, du fait de la maladie qui en découle, des préjudices de nature très variés (A.) bien qu’un focus doive être plus spécialement opéré sur l’impact spécifique de la contamination en elle-même (B.).

A. La diversité des postes de préjudices réparables

Dès l’instant où la contamination a causé à la victime une maladie symptomatique, et a fortiori, si elle en conserve des séquelles, celle-ci peut en principe, en application de la nomenclature Dintilhac qui constitue, en droit français, la trame d’indemnisation de toute atteinte corporelle, demander réparation de tous les préjudices qui en découlent.

Une première difficulté pourrait toutefois résulter de la détermination de l’éventuelle date de consolidation, notion qui constitue une des clés d’articulation de la nomenclature. Rappelons en effet que celle-ci se définit le plus habituellement comme le « moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une aggravation [4] ». Or, sa fixation peut poser des difficultés dans le cas des maladies évolutives, dont l’exemple des Covids dits « longs » pourrait être une illustration, bien que les données médicales ne semblent pas exclure, pour l’heure, la réalité d’une stabilisation de l’état des personnes concernées, à moyen ou long terme.

Cet obstacle étant écarté, la victime contaminée pourra solliciter, selon la réalité des atteintes subies et la preuve qu’elle en apportera, l’indemnisation de tous les postes de la nomenclature, dont principalement les dépenses de santé et les pertes de gains professionnels, actuels ou futurs. Leur énumération serait toutefois ici dépourvue d’intérêt.

Certains postes semblent toutefois appeler des commentaires plus particuliers.

Sur le terrain patrimonial, tel nous semble être le cas de l’incidence professionnelle, qui vise à indemniser, selon le rapport Dintilhac, les « incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage. Il convient, en outre, de ranger dans ce poste de préjudice les frais de reclassement professionnel […] [5] ». Certains des aspects de ce poste pourront trouver une application toute particulière dans le cas de contamination par la Covid et, surtout, dans les hypothèses de Covids longs. La pénibilité du travail peut ainsi être accrue dans le cas de la persistance de fatigues chroniques, qui pourraient même entraîner, dans les cas les plus graves, l’abandon de la profession, cause de perte de salaires, de droit à la retraite, etc., mais aussi d’insertion sociale [6]. Si la prise en compte de ces aspects des préjudices est possible, se pose toutefois la question de leur évaluation car, bien que classés par la nomenclature dans la catégorie des postes patrimoniaux, c’est ici en partie une atteinte extrapatrimoniale qui est en jeu, que les modes très rudimentaires d’évaluation de l’IP ne permettront que difficilement de prendre en compte [7].

Au sein des postes extrapatrimoniaux, la maladie causée par la Covid peut avoir des incidences plus spécifiques sur la vie personnelle et familiale de la victime, et être cause de souffrances récurrentes. Celles-ci pourront être saisies dans la phase antérieure à la consolidation par le biais habituel du déficit fonctionnel temporaire (DFT) ou des souffrances endurées, et pour celle qui lui est postérieure, par le déficit fonctionnel permanent (DFP). On retrouvera concernant ce dernier poste la difficulté habituelle inhérente à la valorisation des souffrances chroniques, que les modes d’évaluation du DFP ne permettent qu’imparfaitement de saisir [8].

Sur ce terrain, les solutions demeurent donc très classiques : la Covid est la cause d’une maladie qui, dans la mesure où elle cause une atteinte à l’intégrité corporelle de la victime, peut voir ses composantes indemnisées conformément au droit commun de la responsabilité.

Une autre question mérite toutefois l’attention : au-delà de ce premier acquis, peut-on en effet réparer plus spécifiquement le fait même d’avoir été contaminé par le virus de la Covid ?

B. L’impact spécifique de la contamination

Si on se limite aux catégories de la nomenclature Dintilhac qui, bien qu’ayant en principe un caractère purement indicatif, n’est que rarement dépassée par la jurisprudence, deux postes semblent mobilisables pour saisir cette réalité : le préjudice lié aux pathologies évolutives, et le préjudice permanent exceptionnel.

Le préjudice lié aux pathologies évolutives trouve ses racines dans le préjudice spécifique de contamination (VIH, Hépatite) qui avait été créé par la jurisprudence pour tenir compte des conséquences multiples liées à l’infection par un virus dont les conséquences, principalement extrapatrimoniales, étaient particulièrement fortes, notamment lors de l’apparition du VIH dans les années 1980 [9]. La nomenclature Dintilhac en a repris l’idée mais en le définissant aujourd’hui de manière plus stricte, comme le « préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital [10] ». Loin du poste fourre-tout que constituait initialement le préjudice spécifique de contamination, son objet est donc aujourd’hui principalement d’indemniser l’angoisse liée à la connaissance du caractère pathogène et des risques d’évolution d’une maladie.

Son contenu est-il toutefois adapté à une contamination par la Covid ? On peut douter, dans ce cas, de la réunion de certains de ses éléments constitutifs.

On peut notamment souligner que l’on ne sera pas toujours en présence d’une pathologie « mettant en jeu le pronostic vital », bien qu’une telle affirmation doive être nuancée selon le contexte. Il est certain que cette crainte était sans doute beaucoup plus forte en février 2020, lors de l’apparition de l’épidémie, alors que l’on ignorait tout à la fois la nature exacte du virus en cause, sa gravité, et les réponses thérapeutiques qu’il convenait de lui apporter, qu’elle ne l’est aujourd’hui. La contamination par ce virus s’est très largement banalisée, de telle manière que, depuis le 1er février 2023, l'isolement systématique d’une semaine n'est d’ailleurs plus obligatoire en cas de test positif. Cette angoisse est également très variable selon la situation personnelle de la victime contaminée, et principalement selon la présence, ou non, de facteurs de comorbidité dont on sait aujourd’hui à quel point ils contribuent à la gravité de la pathologie et aux risques de séquelles [11].

On peut également se demander si, comme le veut la définition du poste ici étudié, l’angoisse ressentie par la personne contaminée est, dans le cas de la Covid, réellement liée au caractère évolutif de la maladie. Lors du premier confinement, cette angoisse pouvait en effet sembler avoir des causes plus diffuses, liées au climat extrêmement anxiogène engendré par les mesures gouvernementales. De même, dans le cas des Covids longs, où le préjudice lié aux pathologies évolutives peut sembler à première vue le plus adapté, l’angoisse est sans doute davantage liée à l’absence de connaissances médicales totalement fiables sur l’évolution et la nature des symptômes qu’à la crainte intrinsèque d’une mise en jeu du pronostic vital.

La mobilisation du  préjudice permanent exceptionnel (PPE) peut  susciter les mêmes incertitudes. Rappelons en effet que celui-ci a été défini, depuis un arrêt de principe de la deuxième chambre civile du 16 janvier 2014, comme un préjudice extrapatrimonial « atypique, directement liés au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable  [12] ». Il en ressort, en lien avec son caractère exceptionnel, que dès l’instant où la souffrance arguée par la victime peut être réparée par un des postes de la nomenclature, le PPE ne saurait être mobilisé. Ceci réduit son champ à portion congrue puisque, le plus souvent, l’atteinte extrapatrimoniale ressentie pourra être indemnisée, soit dans le cadre des souffrances endurées antérieures à consolidation, soit dans celui du DFP, pour la phase post-consolidation. Au-delà, on peut d’ailleurs douter de la parfaite coïncidence de la définition de ce poste avec les préjudices ressentis par la victime de la Covid, car ces derniers sont liés à la contamination, voire à la maladie, sans que, dans la plupart des cas, celles-ci n’aient été la cause d’un handicap permanent. Il n’en irait différemment que dans les formes les plus graves, sources de séquelles définitives, encore que le caractère résiduel de ce poste s’érige à nouveau comme un obstacle à son admission.

On voit donc que si les conséquences classiques liées à l’atteinte à l’intégrité corporelle causées par la Covid peuvent évidemment faire l’objet d’une indemnisation selon les catégories habituelles de la nomenclature Dintilhac, il semble plus difficile d’indemniser les pures conséquences morales de la contamination en elle-même, encore que cette affirmation soit variable selon la période à laquelle le virus a été contracté, et le profil du demandeur.

Les effets préjudiciables de cette contamination ne sauraient toutefois être étudiés sous le seul angle de la victime directe. Ses proches peuvent en effet, en tant que victimes par ricochet, en subirent également des effets dommageables.

II. Les préjudices des proches de la victime contaminée par la Covid

La situation des victimes par ricochet doit être appréhendée différemment selon que le proche contaminé est (A.) ou non décédé des suites de cette maladie (B.), sachant que nous n’aborderons ici que le cas spécifique des préjudices extrapatrimoniaux subis, les préjudices économiques étant en l’espèce dépourvus de toute spécificité [13].

A. Les préjudices des proches en cas de décès de la principale

Tout décès d’une victime principale cause des préjudices extrapatrimoniaux à ses proches, mais comment tenir compte des circonstances particulières du décès liées à la Covid ? Celles-ci ont en effet pu être particulièrement éprouvantes, notamment durant la première période d’urgence sanitaire, où lorsque la personne concernée était en maison de retraite ou hospitalisée, les mesures de lutte contre la Covid ont totalement interdit aux proches de lui rendre visite et de l’assister dans ses derniers instants. On se rappelle également que le principe était celui de la mise en bière immédiate, sans possibilité de toilette mortuaire et que les réunions sur les lieux de culte pour les funérailles, voire dans les cimetières ou crématoriums, étaient limitées à vingt personnes [14]. De tels éléments ont donc été à l’évidence sources de graves traumatismes pour les proches, qui ont ajouté des souffrances à celles intrinsèquement liées au décès. Par quel biais celles-ci pourraient être juridiquement appréhendées ? Deux postes de la nomenclature doivent retenir l’attention.

Le premier est le préjudice d’affection, dont l’objet est précisément d’indemniser les souffrances liées à la perte du proche. Celui-ci vise donc en principe plus la perte en elle-même que les circonstances du décès. Toutefois, la jurisprudence accepte de manière classique de majorer l’indemnisation de ce poste, dont l’évaluation est largement faite par recours aux valeurs des référentiels, en cas d’événements exceptionnels. Tel est notamment le cas dans le cas d’accidents collectifs [15]. On peut toutefois imaginer que les circonstances ayant entouré les décès de proches lors des mesures sanitaires d’urgence, telles que l’impossibilité de rendre visite à la personne avant sa mort, ou la restriction du nombre de personnes lors des enterrements qui a pu empêcher certains proches d’être présents, ou à ceux qui l’étaient d’être suffisamment entourés, puissent relever d’une même logique.

Le second poste mobilisable est le préjudice d’accompagnement, qui consisterait plutôt ici d’ailleurs en la perte de la possibilité d’accompagner le proche décédé.

Ce préjudice a été défini assez largement par le rapport Dintilhac comme celui ayant « pour objet d’indemniser les troubles et perturbations dans les conditions d’existence d’un proche [16] ». Il englobe donc « le préjudice moral subi par les proches de la victime pendant la maladie traumatique jusqu’à son décès [17] ». La jurisprudence en a toutefois limité le champ en considérant, aux termes d’une définition plus stricte, qu’il visait à « indemniser les troubles et perturbations dans les conditions d'existence d'un proche qui partageait habituellement une communauté de vie affective et effective avec la victime [18] ».

Quelle qu’en soit l’acception, ou les critères de limitation, ce poste pourrait saisir les souffrances morales liées au fait de ne pas avoir pu accompagner la personne défunte. Son cœur de cible est en effet de saisir les douleurs subies par les proches pendant la période antérieure au décès. Or, si le plus généralement, il s’agit d’indemniser les souffrances subies du fait des conditions de l’accompagnement effectif, rien ne nous semble en exclure sa reconnaissance lorsque celui-ci a été rendu impossible. On ne saurait en effet douter que le fait d’être empêché d’entourer un proche dans la période précédant son décès, ou de lui rendre visite, puisse être la source de souffrances morales intenses.

Si la réparation semble donc possible sous l’angle d’une analyse menée en purs termes de préjudices réparables, soulignons toutefois à nouveau que l’obstacle lié à la condition de causalité pourrait ici s’avérer rédhibitoire. Les souffrances spécifiques subies par les proches, objets des précédents développements, sont en effet liées aux mesures mises en place dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire plus qu’à la contamination elle-même, rendant très illusoire leur indemnisation par l’éventuel responsable de cette dernière.

Un fois envisagée la situation des victimes par ricochet dans le cas du décès de leur proche, l’hypothèse des préjudices indemnisables en cas de survie de celui-ci doit en fin être évoquée.

B. Les préjudices des proches en cas de survie de la principale

Lorsque la victime principale survit, les proches ne peuvent obtenir une indemnisation que dans la mesure où celle-ci conserve des séquelles de la maladie. Si la personne contaminée guérit dans un délai normal, sans qu’il n’en résulte aucun handicap, ceux-ci n’auront droit, compte tenu de la définition des postes ci-dessous évoqués, à aucune indemnisation. Les développements qui suivent ne concernent donc que les cas où la contamination par la Covid aurait causé un handicap à la victime principale.

Dans de telles circonstances, le premier poste mobilisable est le préjudice d’affection dont le contenu vise ici à indemniser le « préjudice que subissent certains proches à la suite de la survie de la personne handicapée (…) à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de la victime directe [19] ». La mobilisation de ce poste semble donc doublement limitée. Même si la jurisprudence a précisé que sa reconnaissance n’était pas liée à un degré particulier de handicap de la victime principale [20], il suppose quand même que l’état de celle-ci soit grave, ainsi que le démontre notamment la référence à sa « déchéance ». Ceci en limitera donc l’application, dans le cas d’une contamination par la Covid, aux formes les plus sévères de cette maladie. De plus, ce poste ne peut le plus souvent être invoqué que par un cercle familial étroit, suffisamment proche en tout cas pour subir un préjudice moral du fait de la dégradation de l’état de santé de la victime principale.

Le second poste mobilisable par les proches est le préjudice extrapatrimonial exceptionnel dont l’objet est d’indemniser le « changement dans les conditions d’existence dont sont victimes les proches de la victime directe pendant sa survie handicapée [21] ». Il inclut donc le retentissement concret sur la vie des proches du handicap de la victime, et inclut le préjudice sexuel par ricochet. On peut notamment envisager la réparation de ce poste dans les hypothèses de Covids longs ou pour ceux ayant causé à la victime de graves séquelles, dès l’instant où cet état de fait aura eu des répercussions sur les conditions de vie des proches.

 

La forme orale de l’exposé a été conservée.

[1] Pour une vision d’ensemble : P. Jourdain, Les préjudices d’angoisse, JCP,  2015, 739.

[2] V. en ce sens les actes de la première partie de ce colloque : Covid-19 et droit de l’indemnisation, in Cahiers Louis Josserand, Lexbase, juillet 2022 N° Lexbase : N6257BZR.

[3] Pour un rappel récent de cette solution acquise : Cass. civ. 2, 9 février 2023, n° 21-12.657, F-D N° Lexbase : A15169DI.

[4] Cette définition issue de la « Mission d’expertise 2006 mise à jour en 2009 » de l’Aredoc, et reprise dans sa mise à jour de 2023, fait aujourd’hui consensus. Pour consulter le texte de la mission : [en ligne].

[5] Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, dirigé par J. P. Dintilhac, Cour de cassation, 2005, p. 36 [en ligne].

[6] Insertion de la dévalorisation sociale dans l’incidence professionnelle : Cass. civ. 2, 6 mai 2021, n° 19-23.173, FS-P+R N° Lexbase : A32544RX : D., 2021, 1983, Gaz. Pal. 21 septembre 2021, p. 70.

[7] Pour une synthèse de ces difficultés, v. par exemple, M. et J.-D. Le Roy, F. Bibal et A. Guégan, L’évaluation du préjudice corporel, LexisNexis, 22e éd., 2022, n° 255 et s.

[8] V. par exemple, Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Précis Dalloz, 9e éd., 2022, n° 215 et s.

[9] Y. Lambert-Faivre, L’indemnisation des victimes post-transfusionnelles du sida, hier, aujourd’hui et demain…, RTD civ., 1995 ; L. Morlet-Haïdara, Le préjudice spécifique de contamination, RCA, 2013, ét. 11. Jurisprudence : Cass. civ. 2e, 20 juillet 1993 : RTD civ., 1994, 107, obs. Jourdain ; D., 1993, 526, note Chartier ; RCA, 1993, n° 378 ; Cass. civ. 2e, 1er février 1995 : RCA, 1995, n° 126 ; RTD civ., 1995, 626, obs. Jourdain.

[10] Rapport Dintilhac, préc. p. 42 [en ligne].

[11] « Maladies chroniques, états de santé et risque d'hospitalisation et de décès hospitalier pour COVID-19 lors de la première vague de l’épidémie en France: Étude de cohorte de 66 millions de personnes », 9 février 2021 [en ligne] ; « Étude sur les facteurs de risques d’hospitalisation et de décès pour Covid 19 lors de la deuxième vague de 2020 », consultable [en ligne].

[12] Cass. civ. 2, 16 janvier 2014, n° 13-10.566, F-P+B N° Lexbase : A7808KTD.

[13] Les proches pourront donc être indemnisés de leur perte de revenus ou de leur frais dans les termes du droit commun.

[14] Décret n° 2020-293, du 23 mars 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 8 et 12-5 N° Lexbase : L5507LWU.

[15] V. par exemple : F. Bibal, L’impact du caractère collectif de l’évènement dommageable dans l’indemnisation individuelle, onzième États généraux du dommage corporel, Événement traumatique collectif et dommage individuel, Gaz. Pal. HS, 6 février 2019, p. 17 ; S. Porchy-Simon, La nécessaire sauvegarde de la dimension individuelle de l’indemnisation des victimes d’accidents collectifs, onzième États généraux du dommage corporel, préc., p. 13.

[16] Rapport Dintilhac, préc. p. 44 [en ligne].

[17] Ibid. [en ligne]

[18] Cass. civ. 2, 21 novembre 2013, n° 12-28.168, FS-P+B N° Lexbase : A0485KQZ.

[19] Rapport Dintilhac, préc. p. 46 [en ligne]. F. Delbez, Fiche pratique 1 : préjudice extrapatrimonial en cas de survie de la victime directe : le préjudice d’affection, Gaz. Pal., 18 mars 2011.

[20] Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-15.907, F-D N° Lexbase : A6763E3U (pas de nécessité d’une atteinte particulièrement grave). Dans le même sens : Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-16.282, F-D N° Lexbase : A0730S8K : Gaz. Pal., 6 juin 2017, p. 67 ; Cass. civ. 2, 8 juin 2017, n° 16-19.185, F-P+B N° Lexbase : A4307WHY ; Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, n° 18-10.794, F-D N° Lexbase : A6670ZYP.

[21] Rapport Dintilhac, préc. p. 46 [en ligne].

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Covid-19

[Doctrine] Les préjudices réparables résultant du dommage corporel lié à la Covid-19 en droit japonais de la responsabilité civile

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N6407BZC

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par Taro Nakahara, Professeur à l’Université de Tokyo

Le 26 Juillet 2023

L’auteur a été subventionné par la Fondation Kagami attachée à Tokyo Marine.


 

Introduction*

1. Quels préjudices consécutifs à la crise de Covid-19 sont réparables en droit de la responsabilité ? Cette question présuppose l’imputabilité du dommage [1] subi par la victime à tel ou tel fait générateur de la responsabilité et l’existence du lien de causalité entre ce fait générateur et le préjudice [2]. Comme les collègues japonais l’ont montré dans leurs interventions dans notre premier séminaire [3], les caractères imprévisible, insaisissable et irrésistible de ce nouveau virus feront obstacle à l’affirmation de la responsabilité des personnes physique ou privée. En ce sens, la réparabilité des préjudices que nous abordons ici ne sera qu’une question hypothétique, parfois illusoire. Mais cela ne revient pas à dire qu’il est inutile pour nous d’y réfléchir, bien au contraire. Même si elle sera rarement posée, la question de la réparabilité des préjudices consécutifs à la Covid-19 met à l’épreuve notre droit commun de la responsabilité.

2. Les types de préjudices envisageables sont nombreux. En droit de la responsabilité administrative, où on discute, par exemple, de l’éventuelle faute de la collectivité locale d’avoir demandé à plusieurs reprises aux restaurants de raccourcir leurs horaires d’ouverture sans motif raisonnable, la réparation du préjudice purement économique des restaurants sera mise en cause. Concernant la responsabilité civile, la crise sanitaire de la Covid-19 est une source des divers préjudices moraux. Citons, par exemple, l’intervention de Monsieur Rias dans notre premier séminaire [4] qui a fait remarquer qu’une atteinte à la liberté d’aller et de venir et au respect de la vie familiale des personnes âgées pourra entraîner la responsabilité des établissements les accueillant qui ont pris des mesures préventives inadéquates pour limiter les sorties et restreindre les déplacements. Les étudiants ont également été victimes de cette « politique préventive ». Tout récemment, un étudiant japonais, qui s’était inscrit dans une université privée, a engagé un procès civil contre celle-ci en insistant sur le manquement à son obligation de dispenser des enseignements « en présentiel ». Or, le tribunal de première instance de Tokyo a rejeté la demande au motif que les mesures prises par l’université étaient raisonnables compte tenu de la situation sanitaire [5].

3. Mais c’est évidemment le dommage corporel [6] qui est de première importance. Ce dommage peut tout d’abord consister en une contamination par la Covid-19, occasionnée sur le lieu de travail, dans des lieux d’enseignement et les établissements accueillant des personnes âgées, ou même dans les établissements hospitaliers (infection nosocomiale). Un dommage corporel peut résulter ensuite des soins médicaux, non seulement de ceux pratiqués pour un traitement de la Covid-19, mais aussi d’une prescription de médicaments ou d’une vaccination. Nous traitons donc d’abord des régimes divers de l’indemnisation (I) et abordons ensuite des questions spécifiques des séquelles, qui se poseront notamment dans le contexte de la Covid dite « longue » (II).

I. Régimes de l’indemnisation des victimes du dommage corporel lié à la Covid-19

4. Le droit commun de la responsabilité civile joue encore le rôle de régime général de l’indemnisation des victimes du dommage corporel, bien qu’un certain nombre de dispositifs existants d’indemnisation sociale soient mobilisables (A). Il s’agit donc de l’appliquer aux cas individuels du dommage corporel lié à la Covid-19 (B).

A. Diversité des régimes de l’indemnisation des victimes

5. Le trait commun des dispositifs d’indemnisation sociale, dont font partie les fonds d’indemnisation [7], se trouvent dans leur caractère forfaitaire (1) tandis que le droit commun de la responsabilité civile, caractérisé par sa généralité, est utilisé par les victimes pour obtenir une réparation complémentaire (2).

1) Dispositifs d’indemnisation sociale mobilisables dans le contexte de la Covid-19

6. Il n’y a au Japon aucun dispositif d’indemnisation sociale spécifique à la Covid-19 ni de revendication politique pour en créer. Trois dispositifs préexistants peuvent être mobilisés.

Il faut d’abord signaler l’existence du régime de la compensation des accidents du travail [8] qui sert à indemniser celui qui a été contaminé par la Covid-19 dans le contexte de son travail. En cas de survie, le travailleur contaminé sera indemnisé des frais médicaux engagés et de la perte de revenus durant sa période d’inactivité et il bénéficiera également d’une indemnité d’invalidité résiduelle. En cas de décès, les ayants droit du travailleur auront droit à une indemnité sous forme de capital ou de rente. Le financement de ce dispositif est assuré principalement par les cotisations des entreprises.

Ensuite, le régime de la compensation des dommages vaccinaux [9] s’applique au cas de vaccination contre la Covid-19. La loi sur la vaccination, modifiée en 2020 pour englober la vaccination contre la Covid-19, prévoit un régime de l’indemnisation directe financé par l’État et les collectivités locales. En cas de survie du vacciné, l’indemnisation consistera à verser les frais médicaux engagés et la pension d’invalidité tandis qu’en cas de décès, elle aura pour objet d’allouer à ses ayants droit l’indemnité de décès et les frais funéraires.

Finalement, le régime de la compensation des dégâts sanitaires dus aux effets secondaires des médicaments [10] est également disponible pour celui qui a été endommagé par les médicaments prescrits pour soigner sa Covid-19. C’est l’Agence des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, une institution administrative indépendante dotée d’une personnalité morale, qui a la charge de ce régime. La victime survivante recevra une indemnité qui couvre les frais médicaux engagés ainsi qu’une pension d’invalidité ; en cas de décès, ses ayants droit recevront une indemnité compensatoire du décès et des frais funéraires. Le financement de ce dispositif, qui est un véritable fonds d’indemnisation, est assuré principalement par les cotisations des producteurs et vendeurs des médicaments.

7. Ces régimes spéciaux ont évidemment le mérite de la facilité et la rapidité. À la grande différence de l’action en responsabilité, les victimes n’auront pas à prouver la faute de telle ou telle personne et bénéficieront d’une indemnisation au terme d’une procédure quasi administrative.

Néanmoins, ces régimes ne sont pas complètement favorables aux victimes. D’une part, la charge de la preuve du lien de causalité pèsera toujours sur les victimes : par exemple, un travailleur contaminé doit établir que la contamination est due à son travail afin que celle-ci soit reconnue comme un accident du travail. D’autre part et surtout, les victimes ne seront indemnisées que de manière limitative et forfaitaire [11]. À la différence de plusieurs fonds d’indemnisation en France dont le FIVA, les régimes japonais précités ont pour vocation seulement d’indemniser certains chefs de préjudices et les sommes versées sont toujours plafonnées ou partielles. C’est pourquoi les victimes devront recourir à l’action en responsabilité pour être intégralement indemnisées. Il est encore à ajouter qu’au Japon, depuis toujours, il n’y a aucun régime général d’indemnisation sociale en matière d’accidents médicaux comparable au système de l’ONIAM en France.

2) Droit commun de la réparation du dommage corporel

8. La pratique japonaise de la réparation du dommage corporel a été toujours guidée par ce qui est pratiqué dans le domaine des accidents de la circulation, dont les acquis sont aujourd’hui réputés former le droit commun en la matière [12]. Les préjudices sont classifiés en deux catégories : préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, ce qui vaut non seulement pour la responsabilité délictuelle, mais aussi pour la responsabilité contractuelle [13].

Les préjudices patrimoniaux se divisent en deux catégories : les préjudices positifs et négatifs. D’une part les préjudices positifs sont définis comme les dépenses pour le rétablissement de la victime et composés de plusieurs chefs de préjudice : frais de traitement, frais d’hospitalisation, frais d’assistance familiale ou d’une tierce personne, etc.  D’autre part, les préjudices négatifs consistent en la perte de revenus [14]. Ces préjudices sont déterminés poste par poste et évalués distinctement.

En revanche, les préjudices extrapatrimoniaux, souvent appelés « Isharyô » en japonais (littéralement une somme d’argent de consolation), désignent en général les préjudices moraux. Leur spécificité se trouve dans leur intégralité et leur flexibilité. À la grande différence de la pratique française symbolisée par la nomenclature Dintilhac, les préjudices extrapatrimoniaux ne sont pas divisés en chefs de préjudice, mais traités dans leur ensemble. En conséquence, leur évaluation est laissée à la discrétion des juges du fond [15], ce qui est insatisfaisant, mais considéré comme indispensable pour réaliser une solution équitable.

9. Un préjudice par ricochet est également reconnu dans la mesure où il existe un lien de causalité adéquat entre ce préjudice et le dommage initial. La jurisprudence développe en effet des règles diverses selon le type de victimes, et les proches de la victime du dommage corporel sont les plus favorisés, même si on peut observer une certaine complexité.

En cas de décès de la victime immédiate, la jurisprudence japonaise adopte une solution assez artificielle (et isolée sous un aspect de droit comparé). La créance de dommages et intérêts, réputée née dans le patrimoine du défunt, sera immédiatement héritée par ses proches, qui vont l’exercer envers le responsable [16]. Il ne s’agit donc pas de préjudice par ricochet. Par ailleurs, il existe un seul véritable préjudice par ricochet : les préjudices moraux subis par les proches du défunt, qui seront réparés conformément à l’article 711 du Code civil japonais. Cet article dispose en effet que : « Celui qui a porté atteinte à la vie d’autrui est tenu de dommages et intérêts envers le père, la mère, le conjoint et les enfants de la victime, alors même que ceux-ci n’auraient subi aucune lésion dans leurs droits patrimoniaux. » [17]

En cas de survie de la victime immédiate, les préjudices subis par les proches sont toujours indirects [18]. Par exemple, celui qui a dépensé les frais médicaux pour la victime directe ou les frais de voyage pour l’assister peut demander au responsable de rembourser ces frais à titre de réparation des préjudices par ricochet [19]. En revanche, les préjudices moraux subis par les proches sont rarement réparés, à la différence du droit français : ils sont réparables seulement à condition qu’ils soient équivalents aux préjudices qu’ils subiraient en cas de décès de la victime immédiate [20], à savoir que la victime directe a subi une séquelle considérable.

B. Application du régime général en matière de Covid-19

10. Même aux préjudices consécutifs à la crise de Covid-19, les règles du droit commun de la réparation du dommage corporel s’appliqueront comme telles, à l’égard des victimes directes (1) aussi bien qu’à l’égard des victimes indirectes (2).

1) À l’égard des victimes directes

11. Les victimes directes peuvent obtenir la réparation des préjudices qu’elles ont subis, à savoir les préjudices patrimoniaux positifs et négatifs ainsi que les préjudices moraux (appréhendés de manière globale), sans aucune modification des règles générales dans la plupart des cas (sur les séquelles, v. cependant II-A). Il est encore une fois à souligner qu’une véritable difficulté consiste à imputer le dommage à telle ou telle personne. Parmi les conditions de la responsabilité civile, la faute et le lien de causalité seront particulièrement ardus à prouver.

Concernant la faute, la victime doit établir un manquement à une obligation de sécurité (dans un sens large) en demandant la réparation du dommage de contamination à son employeur ou à l’établissement qui l’a accueillie. Cependant, l’obligation de sécurité en droit japonais est toujours une obligation de moyens : la victime aura du mal à établir une prévisibilité et une « évitabilité » de l’infection ainsi qu’un manquement à une obligation de prendre des mesures adéquates pour la prévenir [21]. La victime qui prétend avoir subi un dommage corporel à cause d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins doit prouver une faute médicale, dont le critère se trouve dans la conformité au « niveau médical », comme l’a relevé Monsieur Morimichi Sumida dans notre premier séminaire [22]. Il sera néanmoins difficile de prouver la faute médicale compte tenu de l’insuffisance des connaissances scientifiques sur la Covid-19, qui ne sont toujours pas consolidées.

La preuve du lien de causalité est encore plus difficile à rapporter. La forte transmissibilité du virus et la grande variété de ses effets empêcheront de juger si tel ou tel symptôme a pour origine un manquement à une obligation de sécurité [23]. En particulier, la différence des réactions individuelles, inhérente au corps humain, fera obstacle à la caractérisation d’une faute.

12. Face à ces problèmes, les juges japonais s’efforceront probablement de rationaliser les règles de preuve en utilisant les techniques de présomption du fait de l’homme, dont un exemple a été expliqué par Morimichi Sumida à propos de la vaccination [24]. Ajoutons encore que la jurisprudence japonaise allège parfois la charge de la preuve par une autre voie : le médecin (et l’hôpital qui est responsable du fait de ses actes) sera responsable d’une atteinte à la possibilité considérable de survivre ou d’éviter une séquelle grave [25] en cas de manquement au standard médical. C’est une version japonaise de la théorie de la perte de chance, même si sa conséquence consiste en la réparation d’un préjudice extrapatrimonial spécial et non pas en la réparation partielle à la Française des préjudices totaux en fonction de la probabilité. Cette théorie pourra s’appliquer à certains accidents médicaux liés à la Covid-19.

2) À l’égard des victimes indirectes

13. S’agissant des victimes indirectes, la spécificité de la Covid-19 apparaîtra dans l’évaluation des préjudices moraux des proches de la victime directe décédée. Afin de prévenir la transmission du virus, les proches n’ont été autorisés à accompagner la victime directe ni au moment du décès ni après celui-ci, ce qui est une source non négligeable de souffrances morales. Celles-ci seront prises en compte dans l’évaluation des préjudices moraux au sens de l’article 711 du Code civil japonais précité.

À la différence de la pratique française et de la nomenclature des chefs de préjudices, la question de savoir s’il est nécessaire de reconnaître un préjudice autonome ne se posera pas dans la pratique japonaise où l’évaluation des préjudices moraux est laissée à la discrétion des juges du fond. Cette évaluation fait référence à toutes les circonstances de l’espèce telles que le degré du dommage, la nature de l’acte dommageable et les caractéristiques de la victime et de l’auteur du fait dommageable. Il est fort probable que les juges tiendront compte de l’impossibilité d’accompagner un proche au moment du décès, même si le mode de l’évaluation de ce préjudice ne sera pas détaillé dans le jugement.

14. Ajoutons enfin qu’il existe un autre type de victimes indirectes : l’employeur de la victime directe de la contamination qui a subi une baisse de revenus à cause de son absence. Il s’agit d’une question classique dite du « préjudice d’entreprise », dont le régime de la réparation est souvent discuté. La plupart des tribunaux, inspirés par un arrêt rendu par la Cour suprême [26], admettent la réparation de ce préjudice seulement dans la mesure où trois conditions se réunissent : l’impossibilité de remplacer la victime directe dans cette entreprise, le caractère individuel de cette dernière et l’existence d’une unité économique entre les victimes directe et indirecte. Il en résulte que le « préjudice d’entreprise » n’est guère réparable, ce qui vaudra également dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19.

II. Questions spécifiques aux séquelles dues à la contamination par la Covid-19

15. Un des traits caractéristiques de la contamination par la Covid-19 est l’extrême variété des séquelles : sentiments de fatigue et de lassitude, troubles aspiratoires, olfactifs, du goût, de la mémoire ou du sommeil, voire une dépression. Même s’il s’agit de phénomènes minoritaires, il convient d’analyser les conséquences juridiques de cette Covid dite « longue ». Nous traitons successivement de deux questions : celle de la réparabilité des préjudices liés aux séquelles (A) et celle de l’adaptation aux changements ultérieurs (B).

A. Réparabilité des préjudices liés aux séquelles

16. Une victime des séquelles de la Covid-19 dépensera plus de frais, perdra plus de revenus et endurera plus de souffrances morales. Mais il n’est pas évident d’admettre que ces désavantages doivent être tous imputés au responsable et leur réparation mis à sa charge. Il faut qu’ils soient rattachés aux responsables, d’une part (1). Et même s’ils sont rattachés aux responsables, il reste à déterminer le montant des dommages et intérêts, d’autre part (2).

1) Rattachement des préjudices aux responsables

17. Pour pouvoir être réparé, un préjudice consécutif aux séquelles doit passer deux tests du rattachement aux responsables. Un test consiste à vérifier s’il y a un lien de causalité factuel, rapport de condition sine qua non, entre le fait générateur et ce préjudice [27], dont nous avons déjà souligné la difficulté (v. supra, n° 11).

18. Il est, en outre, à vérifier si ce préjudice tient un lien de causalité juridique avec le fait générateur [28]. Il s’agit là de la question délicate de la « causalité adéquate », dont le critère est vivement discuté depuis toujours. Si l’on veut laisser de côté le détail de la discussion, il s’agit de mesurer la probabilité générale de la naissance de tel ou tel symptôme à l’origine de l’atteinte initiale : si elle est suffisamment élevée, il existera un lien de causalité adéquat [29]. Cette précision sera importante en matière de séquelles de la Covid-19 dont la variété est extrême, car elle sert à exclure de prétendues « séquelles », notamment psychologiques, qu’il convient d’imputer à d’autres facteurs.

2) Détermination du montant des dommages et intérêts

19. Même si un préjudice consécutif aux séquelles est rattachable aux responsables, le montant des dommages et intérêts pourra être réduit en raison de l’existence d’une prédisposition de la victime. La diminution de l’indemnité en raison de la prédisposition de la victime est justifiée en droit japonais dès lors que son degré dépasse le seuil normalement envisageable [30]. Dans le contexte des séquelles de la Covid-19, il importera donc de mesurer le caractère normal de tel ou tel facteur de risque inhérent à la victime [31] : les caractéristiques ordinaires telles que son âge ne seront pas pris en compte, tandis que l’existence de facteurs spécifiques tels qu’une obésité excessive et un caractère extrêmement inquiet auront pour résultat de réduire proportionnellement le montant des dommages et intérêts.

20. Quant à l’évaluation des préjudices, une des spécificités des séquelles de la Covid-19 se trouve dans le calcul de la perte de revenus. Cette dernière est en principe évaluée en fonction de la baisse actuelle du revenu, ce qui a pour effet de refuser toute réparation lorsque la victime n’a pas éprouvé la baisse actuelle de son salaire en dépit des dégâts sanitaires. Mais la jurisprudence fait une exception pour ce cas en admettant la réparation de la perte de revenus en fonction d’un taux objectif d’invalidité [32]. Cette solution s’appliquera également aux cas des séquelles de la Covid-19. Mais il existera aussi des séquelles qui ne causent pas directement l’incapacité ou l’invalidité du travail, telles que le brain fog. Ce type de troubles devra être pris en compte lors de l’évaluation des préjudices extrapatrimoniaux.

B. Adaptation aux changements ultérieurs

21. La spécificité des séquelles se trouve non seulement au stade de la condamnation aux dommages et intérêts, mais aussi dans la phase ultérieure. Il se peut que la situation sanitaire de la victime s’améliore ou s’aggrave ultérieurement, ce qui est probablement le cas également pour les séquelles de la Covid-19. Cela nous amène à nous interroger sur la possibilité de remettre en cause un jugement ayant alloué l’indemnité sous forme de capital [33], d’une part (1) et sur la possibilité d’obtenir les dommages-intérêts sous forme de rente, modalité plus adaptée à un changement ultérieur, d’autre part (2).

1) Possibilité de remettre en cause un jugement rendu sous forme de capital

22. Un procès civil a pour vocation de vérifier si tel ou tel droit substantiel du demandeur existe. Un jugement condamnant un défendeur au versement de dommages-intérêts en réponse à l’exercice d’une action en responsabilité a pour effet de déclarer l’existence d’une créance de la réparation du dommage. Or, dans la pratique japonaise, on considère généralement que la créance de la réparation du dommage est unique, dans la mesure où il s’agit d’un même fait générateur et d’une atteinte à un même intérêt protégé. En conséquence, les règles de la chose jugée s’appliquent à la créance intégrale de la réparation, ce qui aboutit aux solutions suivantes, parfois indésirable en matière de séquelles : une fois le jugement rendu, la victime ne pourra plus demander à obtenir la réparation supplémentaire et le responsable ne pourra plus obtenir une réduction du montant des dommages et intérêts.

23. Il existe certes des exceptions à ces solutions. La victime peut dès le début demander la réparation partielle des préjudices, c’est-à-dire demander seulement la réparation des préjudices déjà subis et prévisibles à ce moment-là, tout en réservant la possibilité de demander ultérieurement une réparation complémentaire [34]. Mais pour cela, elle doit indiquer précisément qu’il s’agit d’une demande partielle et devra intenter une action après si nécessaire, ce qui n’est pas très commode [35]. Le responsable peut, pour sa part, contester l’exécution du jugement condamnant des dommages et intérêts en raison de l’amélioration ultérieure de la situation sanitaire de la victime. Mais cette contestation est très rarement justifiée : pour le moment, nous connaissons seulement un arrêt rendu par la Cour suprême qui a admis sa possibilité en cas d’abus de droit de la victime [36]. En conséquence, la victime aussi bien que le responsable devront en général se résigner au jugement initial rendu sous forme de capital [37].

2) Disponibilité d’un jugement sous forme de rente

24. Cela nous amène à nous interroger sur la disponibilité d’un jugement sous forme de rente, qui consiste à condamner le responsable à verser périodiquement une somme d’argent à la victime. Sa vertu se trouve dans sa flexibilité : la victime ou le responsable pourront réclamer une adaptation du montant des dommages-intérêts à la situation actuelle de la victime, ce qui a le mérite indéniable d’empêcher une « sur-compensation » ou une « sous-compensation ». La pratique japonaise de la réparation du dommage corporel a longtemps méconnu cette possibilité : aucun texte législatif ne la prévoit clairement et aucune garantie n’existe pour les paiements récurrents. Or, grâce aux efforts menés par une partie des praticiens, la disponibilité d’un jugement sous forme de rente a été officiellement reconnue en 1996 avec l’introduction dans le Code de la procédure civile d’un article permettant la modification d’un jugement rendu sous forme de rente (Code de la procédure civile japonais, art. 117 [38]), ce qui signifie par conséquent qu’une telle forme de jugement est admise.

25. Il faut avouer qu’il est encore extrêmement rare que les juges rendent des jugements sous forme de rente, probablement parce que les victimes ne veulent pas entretenir les relations avec les responsables pendant longtemps et que les responsables sont réticents à rester débiteurs à long terme [39]. Mais de plus en plus de jugements font droit aux demandes d’une rente formulées par la victime ou le responsable, et ce en particulier pour les frais d’assistance familiale ou d’une tierce personne, qui constituent des chef de préjudices patrimoniaux positifs, particulièrement adaptés à une rente, s’agissant d’un préjudice récurrent, subi en fonction de la situation de la victime.

Quid de la perte de revenu résultant de l’invalidité résiduelle [40], chef de préjudice patrimoniaux négatifs ? Pendant longtemps, la plupart des victimes ont été réticentes à demander une rente parce que celle-ci n’aboutira pas à un rétablissement complet de leurs vies, mais la situation a changé car la rente a le mérite de pouvoir échapper à la diminution du montant des dommages-intérêts dus à la capitalisation : le taux légal d’intérêt utilisé pour la capitalisation est trop élevé, ce qui est désavantageux pour les victimes. Un arrêt rendu en 2020 par la Cour suprême en matière d’accident de la circulation a finalement fait droit à la demande de la réparation de la perte de revenu résultant d’invalidité résiduelle sous forme de rente : selon la Cour, la nécessité d’adapter le montant des dommages et intérêts valant également pour les préjudices passifs, un jugement sous forme de rente sera justifié dans la mesure où il est conforme au principe fondamental de la responsabilité délictuelle, à savoir l’exigence de la réparation intégrale et équitable [41]. La portée de cet arrêt est vivement discutée. Premièrement, cet arrêt ne fait allusion qu’à un accident de la circulation. Mais il n’y a aucune raison pour ne pas élargir la solution à d’autres cas de dommage corporel. Deuxièmement, cet arrêt suppose d’être dans un cas où un changement de la situation de la victime est suffisamment probable [42]. La spécificité des séquelles de la Covid-19 se trouvant dans son incertitude, notamment dans sa durée, il nous paraît qu’a priori, aucun obstacle n’existe pour appliquer la solution présentée par la Cour suprême à ce cas.

 

Le style oral de cette contribution a été conservé.

[1] Aux termes de l’article 709 du Code civil japonais, disposition phare du droit japonais de la responsabilité civile, « Quiconque a volontairement ou par faute, porté atteinte au droit ou à un intérêt juridiquement protégé d’autrui est tenu de réparer le préjudice qui en résulte ».  Selon cette formule, « l’atteinte au droit ou à un intérêt juridiquement protégé d’autrui » et le « préjudice » sont les notions distinguées, comparables aux notions du « dommage » et du « préjudice » en droit français.  Il est cependant à noter que le « dommage » en droit japonais (« l’atteinte au droit ou à un intérêt juridiquement protégé d’autrui ») est une notion juridique qui a pour but de sélectionner les intérêts protégés en droit de la responsabilité civile, bien qu’ils ne soient pas strictement limités, à la différence du droit allemand.  Sur la structure générale du droit japonais de la responsabilité, v. T. Nakahara, La responsabilité, in Association Henri Capitant, Droit du Japon, LGDJ, 2016, p. 79.

[2] Plus précisément, une partie de la doctrine distingue le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage du lien de causalité entre le dommage et le préjudice, à la lumière de la théorie allemande de la distinction entre la haftungsbegründende Kausalität et la haftungsausfüllende Kausalität.

[3] T. Tsuda, La possibilité d’engager la responsabilité administrative pour les dommages causés par les mesures de lutte contre la Covid-19, Les Cahiers Louis Josserand – Lyon 3, juillet 2022 , n° 1 N° Lexbase : N2390BZK ; I. Ohsawa, La responsabilité civile des « entrepreneurs » en cas de contamination par la Covid-19, ibid. N° Lexbase : N2381BZ9 ; M. Sumida, Accidents de vaccination et responsabilité civile en droit japonais, ibid. N° Lexbase : N2388BZH.

[4] N. Rias, La responsabilité des établissements accueillant des personnes âgées, Les Cahiers Louis Josserand – Lyon 3, juillet 2022, n° 1 N° Lexbase : N2389BZI.

[5] Tribunal de première instance de Tokyo (Section locale de Tachikawa), 19 octobre 2022, inédit.

[6] La vie, le corps et la santé méritant indéniablement d’être protégés, la différence structurelle avec le droit français (v. supra, note 1) est largement négligeable dans ce domaine.

[7] Sur la notion de l’indemnisation sociale et des fonds d’indemnisation v. J. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d’indemnisation, LGDJ, 2013, spéc. n° 338-341, p. 227-230.

[8] Loi sur la compensation-assurance des accidents du travail, art. 12-8 et s.

[9] Loi sur la vaccination, art. 15 et s.

[10] Loi sur l’Agence des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, art. 16 et s.

[11] Sur la vaccination, v. M. Sumida, supra, note 1.

[12] Sur le droit japonais de la réparation du dommage corporel, v. H. Hatano, Préjudices corporels au Japon – Entre cohérence et spécificité, in Association Henri Capitant, IRDA et ARIDA, Le préjudice : entre tradition et modernité, Bruylant-LB2V, 2015, p. 81.  Sur la notion de préjudice en général, v. encore H. Morita, Notion de préjudice en droit japonais, ibid., p. 23.

[13] Les régimes des responsabilités contractuelle et extracontractuelle étant quasi identiques en matière de dommage corporel, les discussions développées dans ce rapport s’appliquent à tous les deux. Nous ne distinguerons donc pas ces deux sortes de responsabilités. Sur les préjudices contractuel et extracontractuel en droit japonais, v. T. Saito, Distinction des préjudices délictuel et contractuel, in Association Henri Capitant, IRDA et ARIDA, Le préjudice : entre tradition et modernité, Bruylant-LB2V, 2015, p. 91.

[14] La perte de revenus est réparable non seulement pour un travailleur mais aussi pour un non travailleur.  Elle sera évaluée en fonction de la perte actuelle des salaires à l’égard du travailleur tandis qu’elle sera calculée en se référant aux critères objectifs tels que le salaire moyen pour le non travailleur.

[15] Les juges du fond ne sont pas tenus de préciser le détail de l’évaluation des préjudices extrapatrimoniaux dans le jugement (Ancienne Cour suprême, 5 avril 1910, Minroku vol. 16, p. 273 ; Ancienne Cour suprême, 10 juin 1914, Keiroku vol. 20, p. 1157).

[16] Ancienne Cour suprême, 16 février 1927, Minshû vol. 5, p. 150 (préjudices patrimoniaux) ; Cour suprême, 1er novembre 1967, Minshû vol. 21, n° 9, p. 11249 (préjudices extrapatrimoniaux). Il est à noter que cette solution est vivement critiquée par la doctrine.

[17] Cela signifie que les proches de la victime possèdent deux sortes de créances de la réparation des préjudices extra-patrimoniaux en cas de décès de la victime directe : celle du préjudice extrapatrimonial subi par le défunt et héritée de lui et celle du préjudice extrapatrimonial subi par eux-mêmes.  Cette complexité n’est que superficielle car la pratique les évalue en bloc.

[18] V. T. Nakahara, Le préjudice économique pur. Rapport japonais, in Association Henri Capitant, IRDA et ARIDA, Le préjudice : entre tradition et modernité, Bruylant-LB2V, 2015, p. 53, spéc. n° 23, p. 65.

[19] Ancienne Cour suprême, 12 février 1937, Minshû vol. 16, p. 46 (frais médicaux engagés pour la victime directe) ; Cour suprême, 25 avril 1974, Minshû vol. 28, n° 3, p. 447 (frais de voyage pour l’assistance de la victime directe).

[20] Cour suprême, 5 août 1958, Minshû vol. 12, n° 12, p. 1901.

[21] I. Ohsawa, supra, note 1.

[22] M. Sumida, supra, note 1. Sur le droit japonais de la responsabilité médicale, v. aussi I. Ohsawa, La responsabilité civile médicale au Japon, Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, 2019, n° 23, p. 54.

[23] I. Ohsawa, supra, note 1.

[24] M. Sumida, supra, note 1.

[25] Cour suprême, 22 septembre 2000, Minshû vol. 54, n° 7, p. 2574 (atteinte à la possibilité de survie) ; Cour suprême, 11 novembre 2003, Minshû vol. 57, n° 10, p. 1466 (atteinte à la possibilité d’éviter une séquelle grave).  Sur ces arrêts, v. H. Morita, supra, note 10, n° 11, p. 29.

[26] Cour suprême, 15 novembre 1968, Minshû vol. 22, n° 12, p. 2614.  Sur cet arrêt, v. T. Nakahara, supra, note 12, p. 65-66.

[27] Il s’agit plus précisément du lien de causalité entre le fait générateur et le dommage (v. supra, note 2).

[28] Il s’agit, selon une partie de la doctrine, plus précisément du lien de causalité entre le dommage et le préjudice (v. supra, note 2).

[29] Rappr. Cour suprême, 9 septembre 1993, Hanrei-jihô n° 1477, p. 42 rendu sur la conséquence du suicide de la victime d’un accident de la circulation.

[30] Cour suprême, 29 octobre 1996, Minshû vol. 50, n° 9, p. 2474 (prédisposition physique) ; Cour suprême, 24 mars 2000, Minshû vol. 54, n° 3, p. 1155 (prédisposition psychologique).

[31] Ce qui est d’ailleurs le cas pour les préjudices nés de la contamination par la Covid-19 en général. V. aussi I. Ohsawa, supra, note 1.

[32] Cour suprême, 22 décembre 1981, Minshû vol. 35, n° 9, p. 1350.

[33] Cette question ne se posera pas quant aux dispositifs d’indemnisation sociale précités (v. cependant, en matière d’indemnité d’invalidité résiduelle, infra, note 36) : les frais médicaux seront versés en fonction des frais actuellement dépensés par le bénéficiaire ; l’indemnité pour la perte de revenu durant la période d’inactivité sera allouée en fonction de la durée actuelle de la période d’inactivité du bénéficiaire.

[34] Cour suprême, 18 juillet 1967, Minshû vol. 21, n° 6, p. 1559 ; Cour suprême, 17 juillet 1986, Minshû vol. 40, n° 5, p. 941.

[35] La doctrine est en général très critique à  l’égard des arrêts précités en note 27 et affirme que la victime peut toujours demander la réparation supplémentaire, qu’elle ait précisé ou non qu’il s’agisse d’une demande partielle.

[36] Cour suprême, 25 mai 1962, Minshû vol. 16, n° 5, p. 1157.  La solution est assez critiquable et certains auteurs insistent sur le fait que le débiteur de la créance de réparation peut demander à restituer les sommes versées en fonction de l’amélioration de la situation sanitaire de la victime (v. avis complémentaire exprimé par le juge Kazutomo Ijima attaché à l’arrêt rendu à propos des frais d’assistance par la Cour suprême au 20 décembre 1999, Minshû Vol. 53, n° 9, p. 2038).

[37] La victime est plus favorisée si elle réussit à parvenir à un règlement amiable avec le responsable.  Ce contrat de transaction a d’ailleurs pour effet de fixer la relation juridique entre la victime et le responsable : le responsable reconnaît sa dette de réparation tandis que la victime renonce à demander la réparation supplémentaire. Mais la jurisprudence adopte une solution favorable à la victime en matière de séquelles en recourant à la technique de l’interprétation du contrat : selon la Cour suprême, au regard des volontés rationnelles des contractants, la victime ne renonce qu’à la créance de réparation des préjudices déjà subis ou prévus, mais nullement à la créance de réparation des préjudices imprévus au moment de la transaction (Cour suprême, 15 mars 1968, Minshû vol. 22, n° 3, p. 587), ce qui lui permettra d’agir ultérieurement en justice pour la réparation supplémentaire des préjudices éprouvés par les séquelles.

[38] L’article 117 du Code de la procédure civil japonais dispose : «  Si, au regard d'un jugement définitif et exécutoire ordonnant une réparation par versements périodiques pour des dommages survenus avant la fin des plaidoiries, un changement significatif est survenu après la conclusion des plaidoiries en termes de gravité de l'invalidité résiduelle, de niveau de salaire ou de toute autre circonstance ayant servi comme base de calcul du montant des dommages et intérêts, une action peut être intentée pour modifier le jugement à condition toutefois que cela ne s'applique qu'à la partie du jugement portant sur des paiements périodiques qui deviendront exigibles après la date d'introduction de l'action. / L'action visée à l'alinéa précédent est de la compétence exclusive du tribunal de première instance. »

[39] Ces arguments ne valent pas pour le cas (fréquent notamment en matière d’accident de la circulation) où une compagnie d’assurance est débitrice de la réparation. C’est pourquoi de plus en plus de compagnies d’assurance offrent aux victimes un choix entre le capital et la rente.

[40] Dans le cadre des dispositifs d’indemnisation sociale, la technique de la rente est utilisée pour l’indemnité d’invalidité résiduelle allouée par tous les régimes spéciaux présentés dans I., A., 1) (loi sur la compensation-assurance des accidents du travail, art. 12-8, al. 1er, 6° ; loi sur la vaccination, art. 16, al. 1er, 3° et al. 2, 3° ; loi sur l’Agence des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, art. 16, al. 1er, 2°).  Si le degré d’invalidité du bénéficiaire change après l’ouverture de rente, le montant octroyé à la victime sera modifié en fonction du degré d’invalidité actuel (loi sur la compensation-assurance des accidents du travail, art. 18-2 ; décret d’application de la loi sur la vaccination, art. 15 et 22 ; décret pour la loi sur l’Agence des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, art. 7, al. 2).  L’efficacité de ce système est cependant réduite car la classification des degrés d’invalidité est assez sobre et la somme versée est en tous cas forfaitaire, parfois insuffisante pour réparer tous les préjudices totaux résultant des séquelles.

[41] Cour suprême, 9 juillet 2020, Minshû vol. 74, n° 4, p. 1204.

[42] En l’espèce, la victime fut très jeune et son taux d’incapacité de 100 %, ce qui signifie que l’amélioration de son état de santé est concevable, sinon certaine.

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Covid-19

[Doctrine] Le « quoi qu’il en coûte » à la française. Mobiliser la protection sociale pour faire face au Sars-Cov-2

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par Morane Keim-Bagot, Professeur de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Strasbourg, UM Dres 7354

Le 26 Juillet 2023

Le 12 mars 2020, le Président Macron prononçait une allocution [1] dans laquelle il affirmait : « le Gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte. Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu’il en coûte. L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l’activité, puis de relance. Quoi qu’il en coûte [2]. »

Dès le départ, cela transparaît dans les termes de l’adresse aux Français, les finalités affichées sont plurielles et font immédiatement pressentir une volonté d’action globale de lutte contre les conséquences sociales économiques et sanitaires de la crise [3]. Ce « quoi qu’il en coûte », annoncé de manière relativement vague, il faut l’admettre, au début de la crise, s’est par la suite développé en plusieurs volets disparates, qui ont pour point commun une hausse considérable des dépenses publiques.

Au premier rang de ces dépenses, l’on retrouve logiquement celle de l’assurance maladie. Par « effet ciseau » [4], malgré l’ampleur des dépenses, les recettes ont été contractées pour ne pas en faire peser le coût sur les individus et les entreprises. Aux côtés des organismes de Sécurité sociale appelés à une réactivité sans précédent, l’État a également engagé de nombreuses et conséquentes sommes à travers d’autres mécanismes, notamment le financement de l’activité partielle dispensée par l’Unédic (assurance chômage).

Aussi, force est de constater que, dans la tempête, les mécanismes de protection sociale ont fait office de remparts [5]. Ainsi, la crise sanitaire a montré le rôle central d’un modèle de protection sociale qui se donne l’ambition et les moyens d’offrir à tous les résidents sur son territoire un accès au système de soins, qui entend maintenir les revenus de la plus large part de la population et maintenir l’activité économique [6]. La protection sociale apparaît ainsi comme l’institution centrale de « l’interdépendance collective ». En conséquence, mais c’était hautement prévisible, nous assistons aujourd’hui à une explosion de la dette sociale [7] soumise à de nombreuses critiques quant aux aides versées aux entreprises dont seules les plus grandes d’entre elles semblent en sortir indemnes [8].

Il ne s’agira pas dans cette présentation, à grands traits [9], d’étudier des mécanismes des finances publiques, mais bien de tenter de présenter succinctement comment la protection sociale a pris une place centrale dans la lutte contre la crise. Il s’agira encore de montrer comment cet épisode est représentatif des mouvements idéologiques, le plus souvent caricaturés à l’envi, qui secouent les équilibres mêmes de notre système de Sécurité sociale, entre solidarité et universalité et comment il met en lumière la place de plus en plus importante prise par l’État dans les assurances sociales.

En somme, la crise sanitaire et ses réponses par la protection sociale révèlent à la fois l’extraordinaire réactivité des mécanismes de protection sociale pour faire face à une crise dans une situation d’urgence, mais également les importantes tensions qui secouent la Sécurité sociale et l’assurance chômage dans leur avancée à tâtons vers une universalité à ce jour non atteinte.

Après un bref retour sur les différents instruments mobilisés au sein de la protection sociale française pendant la crise, au-delà de la seule Sécurité sociale (I), il sera utile de revenir sur une autre question : qui paye le quoi qu’il en coûte ? Cette question révèle le phénomène de fiscalisation voire de financiarisation des ressources du système qui le font basculer en son économie de la solidarité socioprofessionnelle vers la solidarité nationale et l’universalité. Ce mouvement financier et idéologique transfère l’imputation des coûts et donc des risques sur l’ensemble des citoyens de la nation et n’est pas neutre de conséquences (II).

I. La protection sociale, rempart contre la crise

Comment la protection sociale a-t-elle été mobilisée pour la mise en œuvre du « quoi qu’il en coûte » [10] ? C’est d’abord l’assurance maladie qui a été lourdement sollicitée puis rapidement l’assurance chômage [11].

Au sein de la Sécurité sociale, il est à noter néanmoins, de manière plus marginale, que la branche famille a été mobilisée pour couvrir de nouvelles situations de précarité et que la branche recouvrement s’est consacrée à la gestion des reports de paiement des cotisations ou d’aides aux entreprises [12] (gel des cotisations sociales, indemnités journalières Covid) [13]. Ces différentes solutions ont été soutenues par des financements très importants de l’État qui s’est imposé pour l’occasion comme un véritable acteur de la protection sociale ce qui pourrait être analysé comme rompant considérablement avec la tradition française.

A. Mobiliser l’assurance maladie

Les interventions de l’Assurance maladie ont été considérablement renforcées. Elles ont pris des formes multiples et il ne convient pas de revenir sur chacune d’entre elles, ce qui ne présenterait d’autre intérêt que de réaliser un catalogue. À nouveau, nombreux sont les articles parus sur la question qui pourraient utilement être consultés.

L’on peut néanmoins citer certains des instruments les plus significatifs des politiques mises en œuvre parmi lesquels la mesure la plus emblématique constituée sans nul doute par la prise en charge à 100 % pour les actes et prestations dispensés aux assurés dans les centres ambulatoires dédiés à la Covid-19 pour les tests virologiques et sérologiques, pour les consultations initiales d’information du patient et la mise en place d’une stratégie thérapeutique réalisée à la suite d’un dépistage de la Covid-19. En France, pendant toute la période de crise sanitaire, les Français n’ont subi aucun ticket modérateur, ni pour les tests [14], ni pour les soins, ni pour les vaccinations. Il est à noter, sans qu’il soit lieu de s’en étonner néanmoins que les masques n’ont jamais fait l’objet d’une prise en charge.

Ont été également facilités à la fois les téléconsultations et les télésoins. Ainsi, en lieu et place du taux de remboursement normal de la consultation médicale, les téléconsultations étaient remboursées à 100 % pour tous. Depuis le 30 septembre 2022, le taux a été ramené à celui de 70 %. On notera par ailleurs que la pratique s’est tellement généralisée que si elle était encouragée dans un premier temps, la PLFSS pour 2023 prévoyait de ne plus prendre en charge les arrêts maladie prescrits par téléconsultation par un praticien qui n’est pas le médecin traitant [15] et d’imposer une consultation physique pour tout renouvellement. Très discutée, cette règle devait faire l’objet de modifications substantielles, conduisant finalement le législateur à voter en l’article 101 que l’arrêt de travail prescrit par téléconsultation ne pouvait donner lieu à IJSS, si son incapacité physique n’a pas été constatée par un médecin traitant ou un autre médecin ayant reçu l’assuré en consultation depuis moins d’un an. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2022 [16].

L’on a également vu émerger des mesures qui s’apparentaient à des dispositifs de soutien à l’activité pour les professionnels de santé libéraux en leur versant des aides destinées à couvrir leurs charges fixes lorsque leur activité avait considérablement diminué

Il faut citer encore la très forte mobilisation de la technique des arrêts maladie. Elle a débuté très tôt et s’est considérablement étendue très rapidement, évidemment pour permettre d’offrir un revenu de remplacement aux malades, mais également pour gérer la situation des salariés privés de travail par la fermeture ou le ralentissement de l’activité de leur entreprise. Le décret n° 2020-73, du 31 janvier 2020, portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus N° Lexbase : L7381LUW a déterminé des conditions dérogatoires des indemnités journalières délivrées pour les personnes faisant l’objet d’une mesure d’isolement. Puis, a été admise la possibilité d’ouvrir le droit aux indemnités journalières sans que soient remplies les conditions d’ouverture de droit relatives aux durées minimales d’activité ou à une contributivité minimale et, ce, en l’absence de délais de carence [17].

En cela l’on a consciemment détourné les arrêts maladie de leur objet principal objectif : il ne s’agissait pas tant d’offrir un revenu de remplacement aux seuls malades, mais de mobiliser cette technique afin de prévenir la propagation de la pandémie.

Ainsi, les différents textes successifs en ont étendu le bénéfice [18] sous la forme d’arrêts de travail dérogatoires. D’abord l’extension a bénéficié aux assurés contraints de rester chez eux pour s’occuper de leurs enfants de moins de seize ans. Ils ont ainsi pu bénéficier d’un arrêt de travail pendant toute la durée de la fermeture de l’établissement accueillant l’enfant, et ce sans délai de carence [19]. Cette finalité préventive a également conduit à en faire bénéficier les personnes partageant le domicile de personnes considérées à risque.

B. Mobiliser l’assurance chômage

Très rapidement toutefois, il est apparu que la prévention de la destruction des emplois ne devait pas revenir à l’assurance maladie. Aussi, à compter du 1er mai 2020, a été décidé un basculement vers le dispositif d’activité partielle avec transfert d’indemnisation vers l’État et l’Unédic. Il ne s’agissait pas seulement de rétablir la cohérence du système. Il s’agissait également d’admettre que le régime de l’indemnité journalière de Sécurité sociale du ressort de l’assurance maladie n’est pas favorable à l’ensemble des salariés privés de travail en raison de la baisse d’activité ou de la fermeture de tout ou partie de l’entreprise.

En effet, en maladie, si l’on cumule indemnité de base et maintien de salaire à la charge de l’employeur [20], l’indemnité telle qu’elle est légalement déterminée, protection sociale de base [21] et protection sociale complémentaire obligatoire [22], l’indemnité passe rapidement de 90 % à deux tiers du salaire brut au bout de trente jours et à 50 % au bout de soixante jours, alors que l’indemnité au titre de l’activité partielle représente 70 % du salaire brut (84 % du salaire net et même 100 % de celui-ci au niveau du Smic).

En conséquence, l’on va basculer de la prise en charge par l’assurance maladie d’arrêts maladie dérogatoires vers un système d’activité partielle longue durée [23] supporté par l’assurance chômage [24]. Dans un premier temps, il appartenait à l’entreprise de verser l’indemnité. Elle était alors intégralement remboursée par l’État, via l’Agence de services et de paiement pour les salaires jusqu’à 4,5 fois le Smic [25]. Pour étendre encore la protection, elle a été généralisée aux particuliers employeurs, mais également aux intermittents du spectacle, aux journalistes pigistes, aux bénéficiaires de contrats d’apprentissage ou de professionnalisation, ou encore à certains travailleurs saisonniers. Le financement de ce dispositif est réparti pour deux tiers à la charge de l’Unédic et pour un tiers à l’État [26]. Au 6 juillet 2020, ce ne sont pas moins de 1 444 000 demandes d’autorisation préalable d’activité partielle qui avaient été déposées. 1 068 000 entreprises et 14 000 000 de salariés étaient concernés. 6,3 milliards d’heures chômées avaient été demandées, soit 446 heures chômées demandées en moyenne par salarié. Une étude publiée le 3 septembre 2020, la Dares tire un premier bilan statistique du recours à l’activité partielle entre mars et juillet 2020. Au mois d’avril 2020, au plus fort de la crise sanitaire, ce sont 8,8 millions de salariés provenant de près d’un million d’entreprises qui avaient cessé en toute ou partie de travailler [27]. Toutefois, au-delà de l’activité partielle, il aurait été impensable que les allocataires de l’assurance chômage ne puissent bénéficier de l’indemnisation alors que la recherche et la reprise du travail étaient rendues impossibles en raison de la crise. Aussi, un ensemble de dispositions est venu conforter leur situation, soit en prolongeant les droits de ceux arrivant en fin de droit, soit en permettant l’indemnisation des travailleurs indépendants et des commerçants [28].

Cette solution a pu être particulièrement critiquée comme accordant un droit de tirage aux entreprises sans aucun contrôle administratif, l’absence de réponse dans les 48 heures valant autorisation. Comment les anciennes Direccte auraient-elles pu procéder au contrôle effectif des demandes [29]. Cela paraît absolument impossible matériellement.

La protection sociale française a mis en œuvre des mesures nombreuses, coûteuses et particulièrement protectrices des citoyens et des entreprises. Mais on le voit, l’État est intervenu massivement dans le financement de ces mesures. Aussi, la mise en œuvre du « quoi qu’il en coûte » pose une question sous-jacente cruciale : qui paye ? Comment sont financés les dispositifs ? Le débat est récurrent et trop bien connu depuis les années 1980 : si c’est l’État, alors, on s’éloigne peu à peu de la protection sociale à la française, soit des assurances sociales financées par la solidarité socioprofessionnelle et se pose en filigrane la question de la démocratie sociale, à travers leur gouvernance paritaire [30]. Il confine toutefois à la caricature à vouloir tout résoudre en termes de tension entre solidarité et universalité.

II. Le « quoi qu’il en coûte » : vers un renforcement de la logique universelle ?

À nouveau, il serait illusoire de prétendre, en quelques lignes, à une analyse approfondie des termes du débat qui occupent juristes, sociologues et économistes depuis une trentaine d’années. Il s’agira seulement d’offrir quelques clés de lecture des questions qui se posent en termes d’imputation des coûts de telles politiques sociales qui s’appuient sur les organismes de Sécurité sociale, au sein de la Sécurité sociale ou de l’assurance chômage. Ce, parce que ces imputations révèlent les logiques que l’on entend mettre en œuvre et les politiques sociales qu’elles sous-tendent. En somme, la conception que l’on retient en France de notre protection sociale, en ces soubassements.

A. Fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale ?

Il sera question ici de l’imputation réelle des coûts du « quoi qu’il en coûte » et de ses implications sur les équilibres nationaux. En effet, la dette abyssale à la sortie de la crise a été conçue pour être patiemment compensée, notamment par l’impôt [31]. Or il ne s’agit pas seulement d’une mutation des techniques, mais bien d’une mutation des logiques au profit du mouvement dit d’universalisation de la protection sociale française [32], c’est-à-dire de bénéfice de la protection à tous les résidents sur le territoire français qu’ils contribuent ou non au financement du régime par leur travail. Une logique qui se détache de la solidarité socioprofessionnelle qui se matérialise par un financement essentiellement supporté par la cotisation.

Se demander qui paye les conséquences de la crise, ce n’est pas rechercher des responsabilités, pour autant qu’une telle responsabilité collective puisse être identifiée [33], c’est rechercher les mécanismes d’imputation et comment ils conditionnent le bénéfice des prestations.

Même si les « instruments juridiques et comptables ne permettent pas directement d’imputer les dépenses ou pertes de recettes à la pandémie de Covid-19 » [34], la Cour des comptes estime que la hausse des dépenses en lien avec la pandémie pour la seule année 2020 serait de l’ordre de 27,1 milliards d’euros dont 22 pour les seules dépenses de l’assurance maladie [35]. Le régime d’assurance chômage a enregistré des déficits historiques s’élevant à -17,4 milliards d’euros en 2020 et 9,3 milliards d’euros en 2021. Celui de l’Unédic qui s’élevait à 36,8 milliards en 2019 aurait atteint 63,4 milliards en 2021 avant de refluer [36].

Antérieurement à la crise sanitaire, la LFSS pour 2018 [37] avait considérablement modifié les équilibres de financement de la Sécurité sociale en prévoyant dans son article 8 la suppression des cotisations maladie et chômage des salariés et en contrepartie une augmentation de la contribution sociale généralisée de 1,7 point. Le législateur a présenté cette réforme comme un dispositif de gain de pouvoir d’achat au bénéfice des salariés.

Il y avait, en réalité derrière le phénomène une double volonté : assurer la pérennité des comptes de la Sécurité sociale lorsque le marché du travail est exsangue, mais également affirmer l’idée selon laquelle pour alléger le coût du travail, il faut que les ménages supportent une part plus importante du financement des prestations.

Elle accélérait surtout le phénomène de fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale que l’on connaît surtout depuis les années 1980. Pour exemple, dans le régime général, la part des impôts et des taxes affectées est passée de 2 à 41 % de 1987 à 2018, sachant que la contribution sociale généralisée (CSG) en représente les trois quarts. La part des cotisations a reculé de 90 à 54 % au cours de la même période.

Or contrairement aux cotisations de Sécurité sociale, la CSG est prélevée sur tous les revenus, salariés ou non-salariés [38]. C’est pourquoi cette fiscalisation est traditionnellement présentée comme une rupture avec l’esprit de la Sécurité sociale de 1945, fondée sur la solidarité socioprofessionnelle.

Au risque d’énoncer des lapalissades, lorsque c’est l’ensemble des citoyens et des résidents sur le territoire qui participe au financement par l’impôt, alors, ce n’est plus la solidarité entre les travailleurs qui est à l’œuvre, mais la solidarité nationale [39]. En revanche, l’universalité de la protection sociale s’impose, sans considération des revenus du travail, pour les prestations en nature. Et l’on voit poindre le risque d’une dissolution des assurances sociales dans un système de solidarité nationale [40].Or ce phénomène interne à la Sécurité sociale, particulièrement étudié, doit également être observé au sein de l’assurance chômage [41].

Au-delà de la fiscalisation des ressources de la protection sociale, d’aucuns évoquent dorénavant leur financiarisation, même, dans la mesure où l’amortissement de la dette notamment par la caisse d’amortissement de la dette sociale se fait au moyen d’emprunts sur les marchés financiers. Avec tous les risques que cela comporte…

B. Conflits de logiques : solidarité/universalité

Le mouvement vers l’universalité [42] devrait en toute logique s’appréhender différemment selon que l’on se concentre sur les prestations en nature ou en espèces.

En espèces, elles ne devraient bénéficier qu’aux travailleurs salariés et indépendants sous la forme de revenus de remplacement ou d’aides économiques. D’ailleurs, en matière de Covid-19, dans le cadre de l’assurance maladie, point de droits nouveaux pour ceux qui ne contribuent pas au système par les revenus de leur travail. La redistribution ne s’est faite qu’à destination de ceux qui contribuent effectivement.

Mais ce serait occulter le rôle fondamental qui a été donné à l’assurance chômage. Or en matière de chômage, les questions se posent avec la même acuité. Dans son programme de campagne en 2017, le candidat Macron avait ainsi insisté sur ce que « parce qu’il assume en dernier ressort la responsabilité du chômage et de la précarité, l’État prendra en charge le système d’assurance chômage en y associant l’ensemble des parties prenantes, et en particulier les partenaires sociaux ». Il s’agissait de viser une assurance chômage « plus universelle et plus juste » [43]. Or là encore c’est la fiscalisation des ressources du chômage qui doit conduire à son étatisation. Et de cette fiscalisation naît le déclin de sa logique assurantielle [44].

Quant aux prestations en nature, pour lesquelles l’universalité doit jouer à plein, elles ont, en effet, pendant un temps, bénéficié à tous. Elles sont toutefois porteuses de leurs lots de questionnements. L’universalisation fondée sur la solidarité nationale laisse une plus grande place à l’État dans les décisions au détriment du paritarisme. Faut-il alors lier sources du financement de la Sécurité sociale et décisions de prise en charge des soins ? Universalisation et étatisation ? Faut-il y voir alors le fondement de certaines décisions de déremboursement prises pendant la crise ? Lorsque le 12 juillet 2021, le Président de la République annonce la fin du remboursement des tests Covid non prescrits médicalement pour ceux dans la population qui ne bénéficiaient pas d’un schéma vaccinal complet, de quelle universalité est-il question ?

Alors que 160 millions de tests avaient été effectués depuis mars 2020, et qu’au printemps, il y en avait encore près de 2 millions par semaine, la fin de la gratuité systématique des tests de dépistage de la Covid-19 entre en vigueur le 15 octobre 2021. Les tests RT-PCR, antigéniques et les autotests sous supervision n’ont plus été automatiquement pris en charge sans ticket modérateur par l’assurance maladie. Seul, le dépistage pour raison médicale est demeuré gratuit, c’est-à-dire lorsqu’il a été prescrit par un médecin. Pour les personnes majeures non vaccinées, les tests PCR, antigéniques ou les autotests dits de « confort », c’est-à-dire pour obtenir un passe sanitaire valide ou pour voyager sont devenus « payants » à partir du 15 octobre 2021. Sans qu’il s’agisse de la pertinence discutable de la mesure en matière de santé publique, elle interroge toutefois quant au mécanisme de solidarité ici mobilisé. Et il ne s’agit que d’un exemple peut-être un peu plus signifiant pour tous.

Nous n’avons malheureusement fait qu’effleurer des questions, toutes techniques qu’elles puissent paraître, qui portent cependant en elles celles cardinales de notre modèle social.

 

[2] La formule est empruntée à Mario Draghi, gouverneur de la BCE qui, le 26 juillet 2012, évoquait la préservation de l’euro « whatever it takes ».

[3] Th. Lambert, Quoi qu’il en coûte ! Et maintenant ?, Lavoisier, Gestion & Finances publiques, 2021/3, n° 3, p. 6

[4] B. Ramdjee, Les finances sociales à l’épreuve de la crise de la Covid-19, Dr. soc., 2022, p. 911.

[5] R. Lafore, Le système de protection sociale à l’épreuve du Covid-19 : des constats et quelques enseignements, RDSS, 2020, p. 981.

[6] N. Guilhembet, D. Hoyrup, Le temps de sortie de la crise, Regards, septembre 2020, p. 21.

[7] V. par exemple S. Laye, Le « quoi qu’il en coûte » aura été une aubaine scandaleuse pour le CAC 40, Marianne, 23 mars 2023, qui évoque un « corporate welfare » entre État Providence classique et économie libérale [en ligne].

[8] Dossier spécial « La dette sociale », paru à Droit social en septembre 2022, v. en particulier  F. Guiomard, La « dette Covid » symptôme de la financiarisation de la gestion de la protection sociale, Dr. soc., 2022. 598 ; B. Ramjdee, Les finances sociales à l’épreuve de la Covid-19, Dr. soc. 2022, p. 911 ; N. Guilhembet, D. Hoyrup, Le temps de sortir de la crise, Regards EN3S, septembre 2020, n° 57, p. 21.

[9] G. François (dir), Crise sanitaire et droit social, BJT, mai 2020, p. 57-90.

[10] A. Derue, Le droit de la protection sociale et l’urgence sanitaire Covid-19, BJT, mai 2020, p. 82.

[11] Lorsqu’est créée la Sécurité sociale en 1945, elle n’intègre pas d’assurance chômage en vertu du précepte bien connu selon lequel assurer le chômage, c’est l’encourager. Lorsque l’assurance chômage émerge, elle le fera en dehors de la Sécurité sociale et il en est encore ainsi aujourd’hui, v. B. Oudin, La convention du 31 décembre 1958 relative à la création de l’allocation chômage, Dr. soc., 1959, 370 ; L. Camaji, Chômage [en ligne].

[12] A. Turc, Dispositif d’aide, de réduction, déduction et exonération des cotisations et contributions sociales, JCP S. 2020.3098 ; Exonération et aide au paiement des cotisations et contributions sociales liés au Covid-19, JCP S. 2022.1199

[13] Les mesures de soutien financier ont été neutres pour les organismes de sécurité dans la mesure ou les ressources non recouvrées à ce titre sont intégralement compensées par l’État qui reverse à l’ACOSS et à la CCMSA la totalité des cotisations dues.

[14] Le rétablissement d’un ticket modérateur pour les tests PCR a pris effet au 1er mars 2023.

[15] D’après la CNAM, en 2021, ce ne sont pas moins de 190 000 arrêts maladie qui ont été prescrits par téléconsultation par un médecin n’étant pas le médecin traitant de l’assuré.

[16] Cons. const., décision n° 2022-845 DC,  du 20 décembre 2022 N° Lexbase : A070783L , selon laquelle  « les dispositions contestées peuvent avoir pour effet de priver l'assuré social ayant eu recours à la téléconsultation du versement des indemnités journalières alors même qu'un médecin a constaté son incapacité physique de continuer ou de reprendre le travail. La seule circonstance qu’un autre médecin ait pu prescrire un arrêt de travail ne permet pas déduire que ledit arrêt ait été indûment prescrit ».

[17] En vertu de l’article, le point de départ pour le versement des IJSS en cas d’arrêt maladie est normalement le quatrième jour, v. CSS, art. R. 323-1, 1° N° Lexbase : L5192KW9.

[18] Loi n° 2020-290, du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 N° Lexbase : L5506LWT.

[19] Décret n° 2020-227, du 9 mars 2020, adaptant les conditions du bénéfice des prestations en espèces d'assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au Covid-19 N° Lexbase : L3714LWH.

[20] C. trav.,, art. L. 1226-1 N° Lexbase : L8858KUM.

[21] CSS, art. R. 323-1 et s. N° Lexbase : L8821KUA.

[22] Qui ne s’applique que si le salarié justifie d’un an d’ancienneté, ou si l’entreprise a intégré des dispositions plus favorables dans l’acte fondateur de sa prévoyance.

[23] Décrets n° 2020-325 N° Lexbase : L5679LWA et n° 2020-314 N° Lexbase : L5675LW4, du 25 mars 2020 et ordonnance n° 2020-346, du 27 mars 2020 N° Lexbase : L5883LWS.

[24] R. Dalmasso, Les trois âges de l’activité partielle, Dr. soc., 2020, p. 612.

[25] À l'échéance habituelle de la paie, l'employeur doit rémunérer ses salariés à hauteur de 70 % de leur rémunération brute, et effectuer une demande d'indemnisation en ligne (25). La note d'information éditée par le ministère du Travail précise que l'allocation est versée à l'entreprise par l'Agence de services et de paiement dans un délai moyen de douze jours (26). Cette note précise que « le reste à charge pour l'entreprise est donc nul pour les salariés dont la rémunération n'excède pas 4,5 Smic ». Si, pour cette crise, les salariés ne sont donc pas mieux indemnisés de leurs heures chômées que par le passé, le changement, pour les employeurs, est fondamental. Ils ne participent plus du tout au financement (27) du dispositif pour leurs salariés dont la rémunération se situe en deçà de 4,5 Smic, soit dans l'immense majorité des cas.

[26] V. C. trav., art. L. 5122-1, II N° Lexbase : L4382MGE : « Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'État. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'État et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. Une convention conclue entre l'État et cet organisme détermine les modalités de financement de cette allocation ».

[28] M. Badel, L’indemnisation du chômage total à l’heure du Covid-19, Dr. soc., 2020, 687.

[29] R. Dalmasso, précité.

[30] V. not. Y. Ferkane, Le paritarisme à l’épreuve de l’universalisation de la protection sociale, RFAS, 2018, n° 4, p. 103 ; J. Damon, Nouveau Regard sur « le paritarisme : définitions et délimitations », Regards, 2022, n° 60, p. 161.

[31] R. Pellet, État, privatisation et fiscalisation de la protection sociale. Bilan pour contribuer à une refondation radicale, Dr. soc., 2020, 2 parties, p. 658 et 750. Plus largement, sur la diversification et la fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale, v. A. Dort, Fiscalité et Sécurité sociale (Étude de la fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale), préf. E. Oliva, L’Harmattan, 2019 ; M. Navarro, G. Zucman, Quel avenir pour le financement de la protection sociale ?, RCE, 2007/1, n° 1, p. 157.

[32] M. Elbaum, L’universalité dans les réformes de la protection sociale : un terme « à tout faire » qui nuit à la clarté des enjeux et des choix sociaux (première partie et deuxième partie), RDSS, 2020, p. 737 et s.

[33] G. Huteau, La responsabilité collective vis-à-vis de la dette sociale : l’échec et le défi, Dr. soc., 2022, p. 628.

[34] F. Guiomard, « La dette covid », symptôme de la financiarisation de la gestion de la protection sociale, Dr. soc., 2022, p. 598.

[35] Cour des comptes, Les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, juillet 2021.

[36] Unédic, Situation financière de l’assurance chômage pour 2022-2024 [en ligne]. Et v. L. Joly, Le financement de l’assurance chômage : un facteur d’insécurité sociale, Dr. soc., 2022, 1033

[37] Loi n° 2017-1836, du 30 décembre 2017, de financement de la sécurité sociale pour 2018 N° Lexbase : L7951LHX ; Ch. Willmann, LFSS 2018 : une fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale « en marche », Lexbase Social, janvier 2018, n° 725 N° Lexbase : N2082BXE.

[38] Pour autant, le pas vers la TVA sociale n’a pas été franchi.

[39] Sur la solidarité, v. A. Supiot (dir.), La Solidarité. Enquête sur un principe juridique, Odile Jacob, 2015 ; A. Stergiou, La solidarité, fondement des droits sociaux, in I. Daugareilh, M. Badel, La Sécurité sociale. Universalité et modernité. Approche de droit comparé, Pédone, 2019, p. 463.

[40] R. Pellet, 2018, précité.

[41] L. Joly, Le financement de l’assurance chômage : un facteur d’insécurité sociale, précité ; C. Cadoret, L. Caussat, E. Robert, L’assurance chômage est-elle en voie d’universalisation ?, RFAS, 2018, n° 4, p. 223 ; B. Coquet, Vers l’assurance chômage universelle, Dr. soc. ; 2018, p. 592 ; A. Bouilloux, Assurance ou couverture universelle ? Retour sur les mots du chômage, Dr. soc., 2018. 583.

[42] M. Borgetto, La Sécurité sociale à l’épreuve du principe d’universalité, RDSS, 2016, p. 11 ; L. Isidro, L’universalité en droit de la protection sociale, des usages aux visages, Dr. soc., 2018. 378 ; N. Kerschen, Universalité et citoyenneté sociale, in I. Daugareilh,M. Badel, précité, p. 451.

[43] A. Bouilloux, Assurance ou couverture universelle ? Retour sur les mots du chômage, Dr. soc., 2018. 518.

[44] S. Tournaux, La profonde déstabilisation du droit du chômage, RDSS, 2022.147.

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Covid-19

[Doctrine] Les spécificités de l'indemnisation des préjudices liés à la Covid-19 en droit administratif

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N6327BZD

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par David Mongoin, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Nos sincères et chaleureux remerciements à nos collègues Sara Brimo et Hervé de Gaudemar pour avoir accepté de relire cet article et nous avoir fait profiter de leurs lumières sur le droit administratif de la responsabilité. Il va de soi que je demeure seul « responsable » des développements qui suivent.


 

La première des spécificités, en tout cas au regard du droit privé [1], tient au fait que seule l’indemnisation et non la réparation devrait être évoquée en droit administratif si l’on consent à reconnaître que la réparation procède d’une logique de reconstitution d’un ordre antérieur perturbé (réaménagement), alors que l’indemnisation procède davantage d’une logique de compensation de cet ordre perturbé (dédommagement). Ainsi, la principale finalité de la responsabilité civile est d’assurer à la personne lésée la réparation, en nature ou en équivalent pécuniaire, de son dommage comme en témoigne le libellé même de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9 : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer  ». La fonction principale de la responsabilité administrative [2], quant à elle, est d’assurer à la personne lésée l’indemnisation de son dommage comme en dispose les principes jurisprudentiels historiques dégagés par le Conseil d’État [3]. Cette différence se fonde sur au moins deux considérations.

La première tient à la procédure contentieuse administrative et plus précisément à la nécessité de faire « naître » un acte administratif. En effet, conformément à l’adage « pas de décision [administrative], pas d’action [contentieuse] », le requérant doit « lier le contentieux » en obtenant de l’administration une décision administrative préalable, ce qui va de soi dans le cadre du recours pour excès de pouvoir qui est un recours contre un acte administratif, mais qui implique, pour les recours de plein contentieux dans lesquels s’inscrivent les recours en responsabilité, que le requérant adresse une demande indemnitaire à l’administration avant toute saisine du juge administratif. L’action en responsabilité porte donc sur l’acte juridique, implicite ou explicite, né de cette demande et ne saurait donc être en tant que tel « réparé », tant il doit aller de soi qu’il est impossible, par nature, de « réparer » un acte, et qu’il est seulement possible d’en indemniser les effets jugés préjudiciables. Certes, il serait possible de rétorquer qu’une telle formule est abusive dans la mesure où il ne s’agit pas tant in fine de « réparer » un acte, que bel et bien d’indemniser un préjudice, dont une demande a dû être préalablement adressée à l’administration. Reste que selon nous, cette exigence procédurale illustre justement la différence de logique entre la responsabilité administrative et la responsabilité civile, et qu’il est donc bien trop restrictif de n’y voir qu’une simple règle contentieuse sans aucune portée sur le fond du droit, dans la mesure où cette règle est justement une déclinaison contentieuse du fond du droit de la responsabilité administrative, et précisément de sa logique indemnitaire.

La seconde tient au fond du droit et plus précisément à l’intégration dans le droit de la responsabilité administrative de différents régimes de responsabilité sans faute qui ne sauraient reposer, par définition, sur une faute juridique à réparer mais, au plus et au mieux, sur une situation juridique à indemniser [4], ou encore au développement contemporain des fonds d’indemnisation qui se fondent strictement sur une logique indemnitaire et témoignent du glissement plus général que l’on peut discerner d’une obligation d’indemnisation pesant sur une personne publique, dans le cas d’un fait dommageable qui peut lui être imputé à un droit pour une victime d’un tel fait à être indemnisée [5].

Le cœur de la confusion entre la responsabilité civile et la responsabilité administrative nous semble tenir au fait que la responsabilité civile s’impose dans les esprits comme l’archétype même de la responsabilité juridique. Reposant sur une analogie avec la notion civiliste de responsabilité, c’est-à-dire sur une responsabilité fondée sur « un manquement à une obligation [juridique] préexistante » (Marcel Planiol), on juge alors logiquement que la responsabilité administrative n’est qu’une responsabilité civile de droit administratif [6], puisque l’administration a désormais l’« obligation » juridique d’indemniser un préjudice en cas de faute, et même sans faute lorsque les conditions exigées sont satisfaites. Or, la responsabilité civile ne constitue, malgré son indéniable importance historique, qu’une expression de la responsabilité juridique parmi d’autres [7] et il est non seulement possible mais certainement nécessaire de désolidariser l’idée d’« obligation » qui la fonde juridiquement de la logique de « réparation » qui la légitime moralement. Certes, désormais pèse bien sur l’administration le plus souvent une « obligation » juridique, mais celle-ci repose sur une logique d’indemnisation dans laquelle la dimension fondamentalement « morale » de la responsabilité civile est largement absente – ce qui justifie encore que cette obligation ne soit « ni générale ni absolue ». Cette confusion entre la responsabilité civile et la responsabilité administrative est d’ailleurs problématique, non seulement parce qu’elle conduit inéluctablement à un alignement du droit de la responsabilité administrative sur celui de la responsabilité civile aujourd’hui largement attestée [8], mais aussi parce qu’elle obscurcit l’unité du droit public de la responsabilité. Si l’on récuse le principe même d’une responsabilité civile des gouvernants ou des fonctionnaires pour des actes relatifs à l’exercice de leurs fonctions, c’est certes « parce qu’il y a une telle disproportion entre la faute politique commise et ses conséquences pécuniaires que l’on ne peut pas faire jouer le mécanisme des misérables patrimoines privés [9] », mais cela tient aussi et bien plus profondément au caractère largement « objectif » du droit public, par rapport au caractère plus « subjectif » du droit privé : les autorités publiques, constitutionnelles ou administratives, titulaires non pas de droits subjectifs mais de compétences objectives, agissent ultimement au nom de l’État, ce qui induit que la responsabilité civile de leurs actes et actions lui sont imputables. Là encore, la logique qui préside à la responsabilité administrative est très différente de celle de la responsabilité civile. Bref, si les termes de réparation et d’indemnisation sont souvent confondus dans le discours ordinaire du droit, qu’il soit jurisprudentiel ou doctrinal, il conviendrait, selon nous, de les différencier plus rigoureusement [10].

Mais la question de la spécificité de l’indemnisation en droit administratif ne se limite pas à ces considérations d’ordre théorique et revêt une dimension pratique particulièrement bien révélée par la crise sanitaire liée à la Covid-19. Avant d’aborder les mécanismes effectivement envisagés et/ou appliqués dans ce cadre, il convient de revenir sur l’exclusion d’un mécanisme d’indemnisation alternatif à la responsabilité : celui du fonds d’indemnisation fondé sur le principe juridique de solidarité nationale [11].

La crise sanitaire et les atteintes portées à la « protection de la santé » ont bien évidemment constitué un terrain propice à l’évocation de la constitution d’un fonds d’indemnisation fondé sur le principe de « solidarité nationale [12] ». Cette notion de « solidarité nationale » se retrouve dans l’alinéa 12 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 N° Lexbase : L6815BHU qui dispose que « [l]a Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales », tandis qu’aux termes du onzième alinéa de ce même texte N° Lexbase : L6815BHU, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Ce n’est néanmoins qu’avec la décision n° 87-237 DC, du 30 décembre 1987 N° Lexbase : A8160AC9 que sera véritablement consacré le « principe » constitutionnel de solidarité nationale, le Conseil constitutionnel affirmant alors « qu'il incombe au législateur, lorsqu’il met en œuvre le principe de solidarité nationale, de veiller à ce que la diversité des régimes d'indemnisation institués par lui n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité de tous devant les charges publiques [13] ». Par ailleurs, dans sa décision du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé (décision n° 89-269 DC N° Lexbase : A8222ACI), le Conseil Constitutionnel a qualifié la protection de la santé d’« objectif de valeur constitutionnelle » considérant dès lors, selon une formule constante, qu’« il incombe au législateur comme à l’autorité réglementaire, selon leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes posés par le onzième alinéa du Préambule, leurs modalités concrètes d’application ; qu’il leur appartient en particulier de fixer des règles appropriées tendant à la réalisation de l’objectif défini par le Préambule ». Conformément au régime juridique de cette catégorie d’« objectif à valeur constitutionnelle [14] », la protection de la santé n’a qu’une nature constitutionnelle relative s’épuisant en une obligation de moyen (un objectif assigné au législateur) et nullement de résultat (c’est à la loi d’en déterminer la portée exacte) [15].

S’il s’agit bien d’un principe constitutionnel en tant qu’elle est subordonnée à une action du législateur, voire du pouvoir réglementaire, la solidarité nationale n’a pas, à l’instar de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé, de valeur juridique autonome. Le juge administratif rappelle ainsi régulièrement qu’il est impossible d’en invoquer le principe en l’absence de dispositions législatives qui le mettent en œuvre [16]. En d’autres termes, la mise en œuvre de la « solidarité nationale » de l’alinéa 12 du Préambule de la Constitution de 1946 N° Lexbase : L6815BHU restant subordonnée à l’existence de mesures législatives, son principe ne saurait être opposé aux autorités administratives en dehors de cette hypothèse [17]. La solidarité nationale restant donc soumise à l’appréciation souveraine de l’organe législatif, ce dernier peut adopter des textes déclaratifs dépourvus de toute épaisseur normative, c’est-à-dire proclamant le principe sans l’accompagner de modalités indemnitaires concrètes, ou alors mettre en place des mécanismes précis, et notamment instaurer un fonds d’indemnisation. Ce dernier dispositif, apparaissant comme un outil efficace pour lutter contre la multiplication des procédures contentieuses, a d’ailleurs connu un réel succès depuis le début des années 1990 :  fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles, institué en 1991 à la suite de l’affaire du sang contaminé ; fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) créé en 2001 pour indemniser les victimes de l’exposition à cette fibre et leurs proches ; le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) créé le 1er janvier 2020, et bien sûr l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) créé en 2002. Ce dernier fonds d’indemnisation a joué un rôle important dans le cadre de la Covid-19 puisqu’il a pu être mobilisé pour des personnes ayant contracté le virus dans un établissement de soin, mais aussi par des personnes ayant subis des dommages liés à la vaccination [18].

C’est donc assez naturellement que différentes propositions de loi (deux à l’Assemblée nationale en 2020 et une au Sénat en 2021) ont visé à créer, au nom de la « solidarité nationale », un fonds général dédié à l’indemnisation des victimes de la Covid-19, qu’il s’agisse des personnes souffrant de séquelles temporaires ou définitives ou de symptômes persistants du virus, mais aussi, des ayants droit des personnes décédées des suites de cette maladie. Si les modalités précises pouvaient différer selon les différentes propositions de loi, toutes reposaient sur l’idée qu’au-delà même de la question de la responsabilité de l’État, la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19 constitue un devoir au nom de la « solidarité nationale », bref qu’au-delà de la question de la responsabilité de l’État, il y a la question de la solidarité de la société. En effet, si la solidarité nationale se rattache irréductiblement à la question de la responsabilité, elle s’en distingue non seulement au regard de la logique qui y préside (la logique de la solidarité relève d’un devoir moral de la société envers ses membres, alors que la logique de la responsabilité est une obligation juridique de l’État envers les victimes de son action), qu’au regard des modalités qui s’y appliquent (le dispositif du fonds d’indemnisation permet de dépasser la stricte notion de responsabilité puisque, dès lors que la victime est en mesure de faire état d’un dommage envisagé par le fonds, elle peut obtenir une indemnisation) [19].

Cette idée qu’au-delà de la responsabilité de l’État envers ses citoyens s’impose la solidarité de la société envers ses sociétaires, et singulièrement ceux qui ont mis en péril leur vie pendant la crise sanitaire, se dévoile pleinement en arrière-fonds des débats parlementaires. Comment dès lors expliquer le rejet d’un fonds général d’indemnisation des victimes de la Covid-19 fondé sur la solidarité nationale ? On peut sans nul doute mettre en avant des considérations conjoncturelles – notamment l’état des finances publiques, car qui dit solidarité nationale dit, le plus souvent, fonds financé par les contribuables ou encore la précocité de ces propositions législatives, voire leur radicalité, certaines proposant la reconnaissance d’un principe de présomption d’imputabilité irréfragable –, mais s’est imposée aussi et surtout une considération de fond : le souhait de ne pas créer un précédent prématuré à court terme (la création d'un fonds d'indemnisation des victimes d’une maladie infectieuse ayant très largement circulé dans la population, bien au-delà des seules situations professionnelles, aurait constitué une première), incertain à moyen terme (incertitude liée à l’état encore très parcellaire des connaissances scientifiques à cette époque sur les effets à long terme sur la santé de la Covid-19), et problématique à long terme (le législateur se serait lié, sur le plan des principes, pour les prochains virus réputés, à lire les débats parlementaires, inéluctables).

La logique qui s’est imposée a donc consisté à aligner la question de l’indemnisation des pathologies générées par la Covid-19 sur celle des maladies professionnelles, la Covid-19 étant vue comme un virus respiratoire transmissible, et ce même si ses conséquences factuelles n’étaient pas seulement sanitaires, mais également sociales, économiques et politiques, et à laisser jouer le droit commun de la responsabilité administrative, principalement pour les préjudices liés aux mesures de gestion de la crise sanitaire créée par la Covid-19 [20]. Les multiples et diverses conséquences préjudiciables liées à la Covid-19 posent ainsi la question des spécificités de leur indemnisation en droit public. Pour tenter d’y répondre, et ce sans aucune prétention d’exhaustivité, nous différencierons les préjudices liés à la Covid-19 (I.) des préjudices liés aux mesures sanitaires prises dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire (II.).

I. Les préjudices indemnisables liés à la Covid-19

Il s’agira de se concentrer sur les procédures d’indemnisation qui peuvent être mises en œuvre en cas de contamination d’un agent dans l’exercice de ses fonctions publiques (A.) et d’un usager des services publics (B.).

A. Les préjudices indemnisables pour les agents publics

La Covid-19 ayant été reconnue, ainsi que nous l’avons dit, comme une maladie professionnelle, les victimes putatives bénéficient d’une présomption d’imputabilité. Il convient de rappeler le régime avantageux qu’offre la reconnaissance de la contamination par la Covid-19 en maladie professionnelle. En effet, le régime de la maladie professionnelle permet la prise en charge totale des frais médicaux, l’octroi d’une allocation temporaire d’invalidité si l’agent public est en mesure de conserver son activité ou d’une rente viagère d’invalidité s’il ne l’est plus [21]. Seuls les personnels publics soignants bénéficient de la présomption d’imputabilité au service en cas de contamination par la Covid-19. Pour les autres, il sera nécessaire d’apporter la preuve que le virus a été contracté à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Or, si les personnels les plus à risque ont été évidemment les personnels soignants, le reste des agents publics n’était pas en reste... En effet, pendant notamment les confinements, au-delà du soin, d’autres secteurs d'activité publique ont continué de fonctionner afin d’assurer la continuité des services publics essentiels à la vie de la Nation : les forces de sécurité, les personnels de l’Éducation nationale et des crèches chargés notamment d'accueillir les enfants de soignants, les services de propreté et de salubrité publiques, etc.

Si l’agent public estime que le régime de la maladie professionnelle ne suffit pas à indemniser l’ensemble de ses préjudices, il est possible d’envisager l’engagement de la responsabilité de son employeur. De façon générale, l’employeur public a une obligation de sécurité et de protection de la santé des agents placés sous son autorité [22] laquelle l’oblige, d’une part, à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses agents et, d’autre part, d’assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet. Le Conseil d’État reconnaît la possibilité pour un agent ou ses ayants droit, en cas de décès, de rechercher la responsabilité pour faute (simple) de l’employeur en raison de sa carence dans son obligation de sécurité. Durant la période d’état d’urgence sanitaire, les employeurs ont eu une obligation de sécurité « renforcée » envers leurs agents devant exercer leurs fonctions en présentiel : dans la mesure, ils devaient mettre en place les mesures dites « barrières » recommandées par le Gouvernement [23]. À titre illustratif, chaque employeur devait donc s’assurer du respect des règles de distanciation en adaptant l’organisation du lieu de travail ou encore s’assurer que le matériel nécessaire au respect des gestes « barrières » se trouvait à disposition des agents. Si l’employeur public a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant pas en place les mesures de sécurité prévues pour prévenir toute contamination par la Covid-19, alors sa responsabilité pourrait potentiellement être engagée permettant d’indemniser des préjudices non couverts par le régime de la maladie professionnelle, comme le préjudice d’agrément ou encore le préjudice esthétique.

B. Les préjudices indemnisables pour les usagers des services publics

Afin de ne pas multiplier les exemples, nous ne retiendrons que celui, à tous égards important et symbolique, de l’école publique. En cas de dommage consécutif d’une contamination à l’école publique, trois collectivités peuvent voir leur responsabilité administrative engagée. C’est d’abord le cas de l’État et possiblement sur deux fondements : pour défaut de surveillance devant le juge judiciaire lorsque le préjudice est imputé à une faute commise par un membre du personnel enseignant (par exemple, du fait de ne pas avoir fait respecter les gestes barrières [24]) et/ou pour défaut d’organisation du service public de l’enseignement devant le juge administratif. C’est ensuite la commune en tant que propriétaire de l’école, voire l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) en tant qu’affectataire des locaux pour le temps périscolaire, sur le fondement d’une présomption (simple) de faute, tenant, par exemple, à l’absence de désinfection de l’espace scolaire. C’est enfin la commune (ou l’EPCI), cette fois-ci en qualité de gestionnaire du service de la restauration scolaire, voire de l’Accueil de loisirs associé à l’école (ALAE), pour une faute dans l’organisation (une absence de désinfection du site, par exemple) ou dans le fonctionnement du service (un défaut de surveillance par exemple entraînant un non-respect des distances barrières) devant le juge administratif.

Il est également possible qu’une victime cherche à engager la responsabilité pénale de l’exécutif, que ce soit le maire ou le président d’un établissement public de coopération intercommunale. Le principal fondement pénal est celui du délit non intentionnel prévu à l’article 121-3 du Code pénal N° Lexbase : L2053AMY, applicable à la crise sanitaire en vertu de l’article L. 3136-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8575LWI. Il permet d’engager leur responsabilité pénale sous réserve de prouver une faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Cet article pose en effet le principe que si l’intention décide du crime ou du délit, lorsque la loi le prévoit, il peut aussi y avoir délit « en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Ces autorités locales, dans les cas où ils n’ont « pas causé directement le dommage, mais […] ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou […] n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Le juge doit donc opérer une appréciation in concreto pour déterminer si l’élu local (le maire, le président d’un établissement public local, etc.) a accompli les diligences adéquates au regard de sa connaissance effective du risque. La connaissance du danger par l’élu qui n’a pas pris les mesures adéquates pour y remédier, est un fait de nature à justifier la reconnaissance de sa responsabilité pénale [25].

Outre la responsabilité de l’État, comme « personne morale », celle des établissements hospitaliers peut être envisagée par ses usagers, comme d’ailleurs ses agents publics. En effet, alors que des « clusters » ont été dénombrés au sein de nombre d’établissements hospitaliers, notamment ceux de Saumur ou de Cholet, l’engagement de la responsabilité des hôpitaux pour défaut d’organisation du service de soins est envisageable. Les établissements de soins ont-ils commis des manquements dans la gestion de cette épidémie ? Les mesures mises en place pour éviter la propagation du virus au sein des services et entre les patients ont-elles été suffisantes ? Juridiquement, la responsabilité pour faute du service public hospitalier peut trouver son origine dans un problème d’organisation et de fonctionnement du service. C’est le cas notamment de l’insuffisance dans la surveillance des patients ou des locaux [26], du mauvais entretien des locaux et du matériel, de la réalisation tardive d’un examen [27], de l’insuffisance de personnel ou encore de la relation défectueuse entre le médecin et le personnel paramédical [28]. Au sein des établissements hospitaliers, pourraient être également constitutifs d’une faute l’absence de séparation suffisante entre les patients non atteints et ceux atteints par la Covid-19, l’absence de mise en quarantaine, l’insuffisance des moyens de protection, la pénurie de respirateurs ou de personnels, ainsi que la saturation des services de réanimation.

Preuve de la gravité de la situation, le 17 mars 2020, un document remis à la direction générale de la santé visait à aider les médecins à opérer des choix dans l’éventualité d’une saturation des lits de réanimation pour les patients de la Covid-19. Autrement dit, la pénurie et le manque de moyen ont conduit à faire des choix entre les patients qui, selon leurs chances de survie, valaient la peine d’être réanimés ou non. Par conséquent, les patients qui pensent avoir contracté la Covid-19 au cours d’un séjour à l’hôpital, ou dont la prise en charge au titre d’une infection à la Covid-19 a été défectueuse, auront la possibilité d’engager la responsabilité de l’établissement hospitalier pour faute. Toutefois, en matière d’engagement de responsabilité, il sera indispensable de prouver, soit que le virus a été contracté au cours d’un passage à l’hôpital et que l’établissement a commis des manquements dans la prévention de la propagation du virus, soit que la prise en charge au titre d’une infection à la Covid-19 a été défectueuse en raison, notamment, d’un manque de moyens. Au-delà de la reconnaissance des préjudices indemnisables liés directement à la Covid-19, se pose la question de l’indemnisation des préjudices causés par les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire.

II. Les préjudices indemnisables liés aux mesures prises en raison de la Covid-19

Afin d’ordonner nos propos, nous évoquerons tout d’abord la question de l’indemnisation des préjudices liés à l’activité des gouvernants (A.) puis celle de l’indemnisation des préjudices liés à l’activité des services publics (B.).

A. L’indemnisation des préjudices liés à l’activité des gouvernants

Des obligations de protection de la santé des populations existant dans le droit positif, la qualification de leur transgression nécessite d’étudier les conditions propres de l’engagement de la responsabilité de l’État et sa possible défaillance dans sa recherche d’équilibre entre liberté et sécurité. Il pèse en effet sur l’État, en qualité de personne morale de droit public, des obligations générales de protection de la santé des populations et des obligations plus spécifiques en cas de « crise sanitaire [29] ». Il existe ainsi dans le Code de la santé publique, une série de dispositions relatives à « la lutte contre la propagation internationale des maladies », qui consacrent autant de compétences de l’État pour mener cette lutte (CSP, art. L. 3115-1 et s. N° Lexbase : L9963KXB). Ces dispositions confèrent à la puissance publique, et plus particulièrement aux préfets, des prérogatives de puissance publique pour instaurer, par exemple, des contrôles (CSP, art. L. 3115-1 N° Lexbase : L9963KXB) ou encore pour prendre « toute mesure individuelle permettant de lutter contre la propagation internationale des maladies », à l’instar des mesures de quarantaine ou de confinement (CSP, art. L. 3115-10 N° Lexbase : L8567LW9). Ce risque pour la santé publique renvoie l’État à ses obligations en matière de sécurité sanitaire. L’existence d’un risque pour la santé des populations ne renvoie plus ici l’État à une obligation « abstraite » de protection de la santé, mais à une obligation concrète d’intervention. Il ne s’agit pas d’une obligation générale et indéfinie, à l’instar de l’« objectif à valeur constitutionnelle » de protection de la santé, mais bien d’obligations positives d’intervention qui fondent la légalité de son action et en conséquence conditionnent l’engagement de sa responsabilité. De façon faussement paradoxale, se noue un lien insécable entre les compétences détenues par l’État et la qualification de son éventuelle carence fautive : les personnes publiques qui bénéficient de compétences doivent en effet les exercer pleinement, sauf à se voir reprocher une incompétence négative (une carence fautive), mais aussi limitativement, sauf à se voir reprocher une incompétence positive (un excès de compétence).

Distincte de la responsabilité pénale des gouvernants [30], la responsabilité de l’État est soumise à un régime juridique qui s’ordonne en effet autour, non pas tant de la notion de « faute », mais de celle de « carence », même si une telle « carence » sera, en cas de préjudice direct et certain, toujours jugée « fautive [31] ». La carence est ainsi davantage l’expression d’une responsabilité du fait « de ne pas avoir permis d’éviter », qu’une responsabilité causale du type « a créé les conditions de ». Cela découle du principe ontologique d’indisponibilité des compétences. On peut parler de principe ontologique dans la mesure où l’idée générale qui a présidé à l’avènement de cette notion de compétence est consubstantielle à la formation même du droit public : les « pouvoirs » de l’administration ne sont pas, indépendamment de la façon dont on les appréhende ou les qualifie, des « droits subjectifs », mais des « compétences objectives ». Cela signifie que lorsqu’une autorité publique est investie d’une compétence, elle ne peut se comporter comme « un propriétaire », c’est-à-dire qu’elle ne peut pas, en principe, en user (usus), en disposer (abusus) ou encore en tirer les fruits (fructus) discrétionnairement, a contrario d’un individu qui est le « maître », le « sujet » de ses droits. Quoi qu’il en soit désormais de la pleine effectivité de ce principe, cette responsabilité ressortit à la compétence exclusive du juge administratif puisqu’elle porte sur les « compétences » des autorités administratives.

Dans le cas de la Covid-19, ont été alléguées à l’État des carences dans la gestion de la crise sanitaire, notamment dans l'approvisionnement en masque, gels hydroalcooliques, en tests de dépistage et encore en nombre de lits de réanimation. Il lui a été également reproché une organisation défaillante, avec des personnes retrouvées en état de solitude, des malades ne pouvant être accompagnés par leurs proches, même en fin de vie, etc. L’État a dû, sous l’effet de la nécessité, faire des choix au regard d’une situation méconnue et incertaine et le juge, a posteriori, doit contrôler, sous la lumière de la juridicité, s’il a justement agi (justement non au sens de justice, mais au sens de justesse). La démarche du juge est donc pragmatique, revenant à apprécier si au regard des connaissances du danger que l’on pouvait avoir, l’État a agi (être) comme il devait le faire (devoir être) [32]. En matière de santé publique, la responsabilité administrative de l’État a déjà été reconnue à plusieurs reprises en raison soit d’agissements fautifs (actions positives) soit de carences avérées (actions passives). Ainsi, dans l’affaire du Mediator, une faute de l’État a été reconnue du fait de son abstention à prendre les mesures adaptées consistant en la suspension ou au retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Mediator à compter de la mi-1999, date à laquelle les éléments d’information sur le risque étaient connus [33]. Autre exemple, dans l’affaire du sang contaminé, la responsabilité de l’État a également été engagée en raison d’une carence fautive dans l’organisation générale du service public de la transfusion sanguine, du contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l’édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, en ce que l’État n’a pas pris les mesures nécessaires, pourtant existantes, alors que le risque était connu depuis 1984 [34].

Une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire. En effet, l’obligation de démontrer une faute lourde, c’est-à-dire d’une particulière gravité, a été abandonnée et seule une faute simple est en effet désormais exigée en la matière [35]. Les mesures prises par l’État étaient-elles proportionnées compte tenu des connaissances scientifiques et de l’éventail des mesures à sa disposition ? À l’impossible nul ne semble devoir être tenu, pas même l’État ! C’est ce qui découle notamment du premier jugement rendu, en l’occurrence celui du tribunal administratif de Paris du 28 juin 2022 (n° 2012679 N° Lexbase : A806878C).

Ce jugement nous renvoie aux premiers temps de la crise de la Covid-19, c’est-à-dire au printemps 2020. Les mesures prises par le Gouvernement avaient alors fait l’objet de nombreuses dénonciations, soit d’ailleurs pour en critiquer la trop faible ou au contraire la trop grande ampleur. Au-delà des nombreux référés sur lesquels il s’était immédiatement prononcé, le juge administratif a également été saisi de recours en responsabilité par lesquels les requérants entendaient contester la gestion de la crise sanitaire par les pouvoirs publics.

En l’occurrence, le tribunal administratif de Paris a jugé que l’État a commis une double faute dans la gestion de la crise sanitaire : une première faute en s’abstenant de constituer préalablement un stock de masques respiratoires suffisant [36], et une seconde faute dans la communication sur l’inutilité du port de telles protections par la population. Précisons que le tribunal n’a pas retenu de faute de l’État en ce qui concerne le stock de gel, le dépistage ou encore la date du début du confinement.

Relativement à la première faute, l’absence de constitution d’un stock de masques est considérée comme fautive alors que la gestion de la pénurie de masques ne l’est pas. La faute tient au fait de ne pas avoir, en temps normal, suffisamment anticipé la survenance d’une épidémie quelconque, mais ne tient pas au comportement des autorités publiques pendant la crise de la Covid-19, en temps anormal, qui ont pris des mesures (réquisition, moyens exceptionnels pour commander des masques dans l’urgence, etc.). Puisque l’obligation d’agir pour une autorité publique demeure de moyen et non de résultat et varie selon qu’elle s’exerce en situation disons normale ou dans le cas de circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire anormales, la faute retenue a donc été une faute d’anticipation et non une faute de gestion stricto sensu.

La seconde faute reconnue porte quant à elle sur la communication du Gouvernement en février et mars 2020, sans désigner nominativement les personnes à l’origine des déclarations litigieuses  – en l’occurrence, la porte-parole du Gouvernement et les ministres de la Santé de l’époque [37]. Comme le souligne Anne Jacquemet-Gauché, cette reconnaissance est doublement novatrice : « D’une part, le tribunal accepte de connaître du contenu de déclarations politiques dont la teneur portait sur l’inutilité générale, pour la population, de porter un masque. Il considère que la faute découle "du caractère contradictoire avec les données scientifiques disponibles" des déclarations faites – et l’on relèvera accessoirement la subtilité du qualificatif retenu. D’autre part, la faute est généralement, on le sait, une faute de service, commise au sein de l’administration. Ici, les auteurs sont nominativement identifiables et membres du gouvernement. Et pourtant, le tribunal anonymise et collectivise la faute. Il la considère, de surcroît, comme étant de nature administrative (et non politique) et commise par l’administration, alors que le ministre s’exprimait en l’occurrence moins en tant que chef de service, qu’en tant qu’autorité politique [38] ». Deux fautes reconnues, mais pas de responsabilité engagée. En effet, l’engagement de la responsabilité administrative suppose la réunion de trois conditions : une faute, un préjudice subi par la victime et un lien de causalité. Le tribunal juge que la contamination des requérants par le virus n’est donc pas en lien suffisamment direct – il est vrai que l’on voit mal comment démontrer que la contamination par la Covid-19 résulterait de l’absence du port du masque, tant les sources d’exposition se sont révélées multiples [39] – avec les deux fautes identifiées pour diverses raisons : le virus est particulièrement contagieux, le port du masque n’est pas un support de protection infaillible et il existait d’autres mesures de protection. Puisque la causalité n’est pas établie, la responsabilité de l’État ne peut être retenue.

L’affaire du sang contaminé nous avait offert la formule « responsable mais pas coupable [40] », la crise sanitaire de la Covid-19 nous donne un exemple d’un « coupable (au sens de fautif), mais pas responsable ». Il faut néanmoins immédiatement préciser que ce cas de « faute sans responsabilité » est courant dans la jurisprudence administrative car il arrive en effet régulièrement que le juge administratif, au vu des éléments de l’affaire, reconnaisse une ou des fautes, mais non la responsabilité d’une personne publique en l’absence d’au moins l’une des conditions requises pour ce faire. Cela conduit à condamner le comportement de l’État, en particulier sa carence à agir, sans indemniser les victimes, induisant une intéressante déconnection entre la responsabilité (reconnue) et l’indemnisation (exclue). Quoi qu’il en soit, la condamnation de l’État pour carence fautive, même sans indemnisation, a une vertu symbolique : elle est réconfortante pour les requérants qui sont confortées dans leur statut de « victimes » et stigmatisante pour l’État dont est reconnue la commission d’une faute (et en l’occurrence de deux fautes distinctes) [41].

Terminons ces développements en évoquant la question de la police administrative et plus spécifiquement la responsabilité des mairies dans la gestion de la crise sanitaire. Au titre de ses pouvoirs de police administrative, le maire est notamment le garant de la salubrité publique et de la santé publique [42]. Il est de jurisprudence constante, que les maires ont la possibilité d’aggraver, dans leur commune, des mesures de police prises par l’État [43] et que pèse sur eux une « obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient [44] ». On s’aperçoit néanmoins que plusieurs décisions du juge administratif ont censuré les décisions de maires qui ont pris des initiatives au titre de la gestion de l’épidémie de la Covid-19 : c’est le cas notamment du maire de Sceaux qui a souhaité imposer le port d’un masque dans l’ensemble de la ville [45], ou encore du maire de Lisieux qui a souhaité établir un couvre-feu à l’ensemble de sa population [46]. Ces censures ont été fondées sur le fait qu’il n’était pas prouvé, en l’espèce, l’existence de circonstances locales justifiant de durcir les mesures étatiques, conformément à la logique de l’arrêt du Conseil d’État du 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains N° Lexbase : A2252B8W. Par exemple, s’agissant des mesures de couvre-feu, le juge administratif a jugé que le « défaut de respect des règles du confinement dans la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ne saurait être regardé comme une circonstance particulière de nature à justifier une restriction à la liberté de circulation particulièrement contraignante [47] ». De façon générale, il faut garder à l’esprit que quelle que soit la mesure de  police en cause, cette dernière doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi. Ainsi, toutes les mesures qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent donc être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent. Cela signifie fondamentalement qu’à chaque fois qu’une mesure de police moins contraignante peut atteindre le même objectif, cette dernière doit être privilégiée [48]. Si les juridictions administratives exercent donc un contrôle de proportionnalité, reste que, s’agissant de mesures de mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, le contrôle juridictionnel est cantonné à l’« erreur manifeste », c’est-à-dire que le juge administratif ne retiendra le principe d’une responsabilité qu’en cas d’erreur grossière. Plus encore, « le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises [49] ». Dans ces conditions, des mesures attentatoires aux libertés peuvent être considérées comme régulières au regard des exigences juridiques, la gravité de la situation justifiant ici la gravité des atteintes aux libertés fondamentales. Si le principe commun de l’exception en droit public demeure, c’est-à-dire que l’application du droit normal implique une situation factuelle normale, on s’aperçoit qu’en période d’exception et notamment d’urgence sanitaire, le contrôle normal est l’exception et le contrôle restreint est la règle. De même, l’étude des préjudices indemnisables liées à l’activité des services publics montrera qu’en période d’exception et notamment d’urgence sanitaire, la liberté est l’exception et l’interdiction la règle.

B. L’indemnisation des préjudices liés à l’activité des services publics

De façon générale, en période d’exception, la liberté est l’exception et l’interdiction la règle [50], et tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. On ne s’étendra pas sur la réalité des atteintes portées aux libertés économiques et notamment à la liberté d’entreprendre (par exemple avec la fermeture des salles de spectacles ou encore des centres commerciaux) pour se contenter de relever que ce n’est bien que par exception que certaines activités économiques ont été autorisées. Ces activités qualifiées « d’essentielles » ont été identifiées par la législation d’urgence comme étant celles des « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». La question de l’indemnisation des préjudices économiques nés de la crise et des mesures permettant de la combattre se pose avec une acuité certaine à l’issue de la pandémie. L’éventualité d’une mise en œuvre de la responsabilité de la puissance publique doit ici être évoquée avec la fin de la crise sanitaire [51] qui permet de discerner la réalité des dommages économiques. Le régime de responsabilité sans faute en général et spécifiquement celui pour rupture d’égalité devant les charges publiques du fait d’un acte règlementaire ou législatif légal ne peut pas trouver à s’appliquer, en raison du défaut de « spécialité » des préjudices subis et parce qu’en matière de police sanitaire, la responsabilité sans faute est soumise à une disposition expresse du législateur.

En effet, force est de constater que c’est l’ensemble des opérateurs économiques dont l’activité a été empêchée par les mesures de confinement qui ont subi un préjudice, et non pas seulement quelques-uns d’entre eux. Dès lors, c’est le régime de responsabilité pour faute qui doit être retenu et nous retrouvons là les éléments mis en exergue précédemment, non sans souligner que là aussi l’établissement du lien de causalité pose la plus grande difficulté. La puissance publique pourrait tout d’abord s’exonérer par la faute de la victime, si cette dernière avait accepté de prendre des risques comme maintenir une activité économique dans un secteur non essentiel. Surtout, la force majeure, qui est caractérisée en l’espèce comme nous l’avons vu, pourrait exonérer partiellement ou totalement la puissance publique de sa responsabilité.

Au-delà, on se concentrera sur la responsabilité en matière de concessions de service public [52]. L’indemnisation des préjudices subis par le délégataire d’un service public n’est pas une fatalité pour les personnes publiques concessionnaires dans l’hypothèse de l’épidémie de la Covid-19 en raison de deux fondements :

Le premier des fondements est la convention de délégation qui peut, possiblement, comporter des clauses de révision de prix, des clauses de réexamen ou de « revoyure », voire des clauses d’indemnisation en cas de crise. Mais même si la convention comporte une clause d’indemnisation qui pourrait trouver à s’appliquer dans la survenance de la crise de la Covid-19, la personne publique ne pourra indemniser le délégataire que dans la mesure où la somme demandée ne constitue pas une libéralité, c’est-à-dire si elle n’est pas complètement disproportionnée par rapport au préjudice subi.

Le second fondement réside dans les dispositions de l’ordonnance n° 2020-319, du 25 mars 2020, portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 N° Lexbase : L5734LWB. Cette ordonnance, qui déroge aux stipulations contractuelles qui lui sont moins favorables, trouve à s’appliquer, jusqu’au 23 juillet 2020, à tous les contrats publics, et pas seulement aux contrats de la commande publique. En pratique, deux dispositions peuvent plus particulièrement trouver à s’appliquer. Tout d’abord, le délégataire peut se fonder sur le 5° de l’article 6 de cette ordonnance N° Lexbase : L5734LWB pour solliciter une avance sur les sommes qui lui sont dues, à la condition toutefois que le concédant ait pris l’initiative de suspendre l’exécution de la concession. Par ailleurs, il peut solliciter une indemnisation sur le fondement du point 6° du même article 6 N° Lexbase : L5734LWB. Mais il doit alors démontrer que, par une de ses décisions, l’autorité délégante a modifié significativement les modalités d’exécution prévues au contrat et que, de ce fait, l’exécution de la convention impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire. Et dans ce cas (seulement), le concessionnaire aura droit à l’indemnisation de ses surcoûts.  En l’absence de précision sur ce point, la question se pose de l’interprétation qu’il convient d’avoir de la notion de surcoût.

Au-delà, force est de relever que nombre d’obligations contractuelles ont été totalement inexécutables du fait de la pandémie et surtout des mesures prises pour y faire face. Le 29 février 2020, le ministre de l’Économie et des Finances a expliqué que le coronavirus était un cas de « force majeure » pour les entreprises, en particulier dans les marchés publics de l’État, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles. Dans le même sens, une note de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie recommande aux personnes publiques de « ne pas hésiter à reconnaître » que les difficultés issues de la crise du coronavirus relèvent d’« un cas de force majeure [53] », ce qui nous conduit à envisager deux théories distinctes  : la théorie de la force majeure mais aussi la théorie de l’imprévision.

Le cas de force majeure équivaut à un cas d’impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l’exécution de tout ou partie d’un contrat. Le premier effet de la force majeure est d’exonérer les parties de leurs obligations contractuelles et donc de leur responsabilité contractuelle. Un cas de force majeure est classiquement compris comme un évènement « imprévisible », « irrésistible » et « extérieur » aux personnes concernées (catastrophe naturelle, incendie, etc.) [54]. Si la condition d’extériorité (sous-entendue extérieure aux parties au contrat) est objective, les conditions d’« imprévisibilité » et d’« irrésistibilité » sont subjectives et relèvent de la casuistique. Ainsi, des intempéries dont l’intensité et les conséquences n’étaient pas exceptionnelles au regard de précédentes intempéries ont été jugées comme ne constituant pas un évènement imprévisible [55] alors qu’au contraire, des intempéries d’une violence et d’une durée exceptionnelles ont été jugées comme présentant un caractère imprévisible [56]. Enfin, un évènement sera juridiquement considéré comme  « irrésistible »  lorsque les parties au contrat ne pouvaient pas empêcher l’évènement tant dans sa survenance (l’évènement est inévitable) que dans ses effets (ses effets sont irrésistibles). En jurisprudence, si une épidémie ne constitue pas nécessairement, c’est-à-dire en elle-même, un cas de force majeure [57], la gravité de la Covid-19 (virus létal, diffusion massive, etc.) a poussé à opter pour sa qualification de force majeure par les juridictions [58]. Les juridictions judiciaires sont allées également dans ce sens concernant la pandémie en elle-même.

La notion d’imprévision est, quant à elle, une notion jurisprudentielle classique qui ne permet pas de suspendre les obligations contractuelles, mais donne un droit à indemnité pour permettre précisément la poursuite de l’exécution du contrat. Si l’arrêt de principe en droit administratif est ancien [59], cette jurisprudence est toujours d’actualité et a même été codifiée – codification à jurisprudence constante peut-on dire – au point 3 de l’article L. 6 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4463LRQ : « Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ». Ainsi, constitue une imprévision un évènement extérieur, imprévisible et bouleversant temporairement l’économie du contrat. La finalité poursuivie par le Conseil d’État lorsqu’il a mis en œuvre ce mécanisme d’indemnisation est le suivant : un évènement extérieur empêche le contrat d’être exécuté dans les conditions initialement envisagées et cela génère un déficit d’exploitation qu’il convient d’indemniser. Cela vise donc l’hypothèse dans laquelle les obligations contractuelles peuvent être poursuivies, mais à un coût exorbitant pour l’un des cocontractants. Pour que le contrat continue à s’exécuter afin d’assurer la continuité du service public, alors même que l’économie contractuelle est bouleversée, il faut prévoir une indemnisation. En d’autres termes, il faut que le délégataire puisse être partiellement indemnisé afin justement de pouvoir assurer la continuité du service public. À titre d’exemple, a pu être indemnisée au titre de l’imprévision une société concessionnaire du service public de distribution du gaz dont le coût a considérablement augmenté du fait de la Première Guerre mondiale. De même, le juge a fait droit à la demande fondée sur l’imprévision présentée par une société en charge de la fourniture de l’eau en raison de la pollution du site de captage d’eau qu’elle utilisait pour se fournir en eau [60]. Le Conseil d’État avait ainsi accepté que l’équilibre du contrat puisse être considéré comme bouleversé lors d’une augmentation drastique des charges ou d’une forte diminution des ressources d’exploitation due à un évènement extérieur [61]. Le recours à cette notion centrale de « bouleversement » implique le dépassement du prix-limite que les parties pouvaient normalement envisager (donnée subjective) ainsi qu’un déficit important (donnée objective). Et dans ce cas, le délégataire aura droit à être indemnisé d’une partie du déficit qu’il aura supporté, à la condition de démontrer le lien de causalité, c’est-à-dire que son déficit trouve bien sa cause dans l’évènement qu’il invoque. Bien plus, il conservera à sa charge une partie de ce déficit, la part restant à sa charge variant en fonction de plusieurs critères et notamment de sa diligence dans la gestion de la crise ou de sa situation financière.

 

[1] Par spécificité, nous entendons ici non seulement la spécificité des règles de droit administratif par rapport au droit privé (le droit administratif comme droit dérogatoire du droit commun) mais aussi la spécificité des règles applicables en droit administratif lors de la crise sanitaire par rapport au droit administratif commun (le droit administratif d’exception par rapport au droit commun de l’administration).

[2] On lira, toujours avec profit, Danièle Lochak, Réflexions sur les fonctions sociales de la responsabilité, in Le droit administratif en mutation, Publications du CURAPP, PUF, 1993, p. 275-316.

[3] Pour s’en convaincre, on se reportera aux conclusions historiques de la jurisprudence administrative en matière de responsabilité administrative dans Hervé de Gaudemar et David Mongoin, Les grandes conclusions de la jurisprudence administrative, 1831-1940, LGDJ, coll. « Les grandes décisions », 2015, vol. I. On s’apercevra alors, par exemple, que les régimes de responsabilité sans faute reposent sur des considérations de justice et plus précisément d’équité, c’est-à-dire qu’ils reposent in fine sur l’idée que si les actions des pouvoirs publics font peser des sujétions sur les citoyens qui doivent les supporter, lorsqu’elles dépassent pour certains d’entre eux ce qu’il est « normal » de leur imposer, il est équitable de compenser financièrement ces sujétions anormales, c’est-à-dire d’indemniser ceux qui les subissent.

[4] Ainsi, le refus symptomatique du juge administratif, jusqu’à l’arrêt du Conseil d’État du 24 novembre 1961, n° 48841, Ministre des travaux publics c/ Consorts Letisserand, publié au recueil Lebon [en ligne], d’indemniser le préjudice moral ne s’expliquait pas tant par la difficulté spécifique liée à l’indemnisation d’un préjudice immatérielle (difficulté de monnayer les larmes), mais par le fait que dans le cadre de la responsabilité administrative l’intégralité du préjudice n’avait pas nécessairement à être intégralement indemnisée (les larmes ne se monnayent pas).

[5] V. Sara Brimo, Régimes législatifs spéciaux de responsabilitéJurisClasseur Administratif, Fascicule n° 960, juillet 2013 (réactualisation en 2023). Sur ce point spécifique aussi, on relèvera la puissance du modèle du droit privé (ici l’article 1382 du Code civil N° Lexbase : L1018KZQ) conduisant de nombreux auteurs à voir dans le concept de responsabilité « un mécanisme essentiellement réparatoire », à l’instar de Pierre-Marie Dupuy, Responsabilité, in Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de culture juridique, PUF, coll. « Quadrige », 2003, p. 1343.

[6] Si les deux objections ici formulées peuvent être surmontées, alors il est juste de considérer, conformément à l’approche usuelle, que la responsabilité administrative ne désigne rien d’autre que le droit administratif de la responsabilité civile. Une autre possibilité serait de réserver la notion de réparation au régime de responsabilité administrative pour faute, mais même dans ce cas-là, on peut s’apercevoir, par exemple avec la faute de service, que la notion de faute en droit administratif dépasse largement celle d’obligation pour s’ordonner bien davantage autour de l’idée d’un dysfonctionnement du service (public), contrairement au droit civil où la faute est strictement conçue comme « un manquement [juridique] à une obligation préexistante ».

[7] Le droit de la responsabilité s’ordonne in fine autour de quatre grands types de responsabilité reposant sur quatre logiques distinctes : pénale (sanction) ; civile (réparation) ; administrative (indemnisation) ; politique (destitution).

[8] Que nous assistions aujourd’hui à un alignement du droit de la responsabilité administrative sur le droit de la responsabilité civile, avec notamment le souci de plus en plus prégnant du juge administratif d’indemniser l’intégralité du préjudice de la victime (perte de chance, préjudice d’anxiété, etc.), ne nous semble pas invalider notre approche, même s’il dit beaucoup des transformations qui affectent aujourd’hui la réalité du droit administratif, et demain, sans guère de doute, sa pérennité…

[9] Maurice Hauriou, Introduction à l’étude du droit administratif français, préface à la 5e édition de son Précis de droit administratif et de droit public général, Paris, Librairie de la Société du Recueil général des lois et des arrêts, 1903, p. XXV.

[10] Dans le sens d’une nécessaire distinction, v. Christine Lazerges, La victime sur la scène pénale en Europe, PUF, 2008, p. 228-246.

[11] Morgane Sappia, Il n’y aura pas de fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19, Revue Droit et Santé, 2022, n° 11, p. 413-415.

[12] Sur la notion de « solidarité nationale », v. Jonas Knetsch, La solidarité nationale, genèse et signification d’une notion juridique, Revue française des affaires sociales, 2014, n° 1-2, p. 32-43.

[13] Voir Nathalie Jacquinot, « La constitutionnalisation de la solidarité », in Maryvonne Hecquard-Théron (dir.), Solidarité(s) : perspectives juridiques, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2009, p. 101-117.

[14] Cette catégorie, qui désigne des finalités assignées au législateur que le Conseil constitutionnel croit pouvoir déceler dans le texte constitutionnel, illustre moins sa respectueuse autolimitation devant le Parlement que l’impérieuse nécessité de hiérarchiser (sans le dire…) les droits et libertés constitutionnels.

[15] Dans sa décision n° 2019-823 QPC, si le Conseil constitutionnel reconnaît visiblement pour la première fois qu’il découle de la Charte de l’environnement de 2004, non plus un « objectif d’intérêt général », mais un « objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » (considérant 4), il réaffirme aussi, pour ce qui nous intéresse, que la protection de la santé constitue un « objectif à valeur constitutionnelle » (considérant 5).

[16] Dans son arrêt du 10 décembre 1962, le Conseil d’État a notamment jugé que « le principe ainsi posé [par l’alinéa 12 du préambule], en l’absence de toute disposition législative en assurant l’application, ne saurait servir de base à une action contentieuse en indemnité », CE 10 décembre 1962, Société indochinoise de constructions électriques et mécaniques, Rec. CE., p. 676.

[17] V. Jean-Marie Pontier, « Solidarité nationale et indemnisation », RDP, 2013, n° 5, p. 1099 et s.

[18] On lira, sur ces deux hypothèses, les textes d’Olivier Gout N° Lexbase : N6264BZZ et de Jonas Knetsch N° Lexbase : N6281BZN dans le présent dossier.  

[19] Les victimes peuvent en effet, grâce au fonds, faire valoir leur droit à indemnisation sans avoir à engager de procédures judiciaires, et ce de façon simple et rapide puisque les fonds assurent la fonction de dédommagement à titre principal, sans que la victime ait à faire valoir son droit à indemnisation par une action en responsabilité individuelle.

[20] Le droit administratif classique de la responsabilité n’a pas vocation à toujours jouer dans le cadre de la Covid-19. Par exemple, un régime législatif spécial s’applique en matière de vaccinations obligatoires (loi n° 64-643, du 1er juillet 1964 [en ligne]). La question de l’indemnisation sur le fondement du régime des vaccinations obligatoires étant traitée dans une autre contribution, elle est exclue de celle-ci.

[21] La rente viagère est calculée au regard de la gravité des séquelles et des revenus antérieurs à la contraction du virus. Les ayants droit d'une personne décédée de la Covid-19 peuvent également bénéficier de cette rente.

[22] Décret n° 85-603, du 10 juin 1985 N° Lexbase : L1018G89, art. 2 et 2-1 ; décret n° 82-453, du 28 mai 1982 N° Lexbase : L3033AI8.

[23] Décret n° 2020-293, du 23 mars 2020, art. 2 N° Lexbase : L5507LWU.

[24] Le Conseil d’État a déjà reconnu, dans le cas d’une épidémie de rubéole, que le fait pour une institutrice en état de grossesse d’être exposée en permanence aux dangers de la contagion comportait pour l’enfant à naître un « risque spécial et anormal » qui, lorsqu’il entraîne des dommages graves pour la victime, est de nature à engager au profit de celle-ci la responsabilité de l’administration qui l’emploie : CE, 6 novembre 1968, n° 72636, Saulze N° Lexbase : A4550B7N,  ou encore CE, 29 novembre 1974, n° 89756, Époux Gevrey N° Lexbase : A0136B9W.

[25] Cass. crim. 2 décembre 2003, n° 03-83.008, F-P+F N° Lexbase : A5242DAE.

[26] CE, 27 février 1985, n° 39069-48793, Centre hospitalier de Tarbes N° Lexbase : A3761AMA.

[27] CE, 16 novembre 1998, n° 178585 N° Lexbase : A9102ASW.

[28] CE 4e-5e s.-sect. réunies, 27 juin 2005, n° 250483 N° Lexbase : A8689DIN.

[29] Il n’existe pas de définition juridique de la « crise sanitaire ». En revanche, le Code de la santé publique renvoie au Règlement sanitaire international (RSI)  de l’OMS pour définir la notion de « risque pour la santé publique », de nature à justifier l’exercice de ces prérogatives. Au sens de l’article 1 du Règlement sanitaire international [en ligne] (qui est un article de définition des notions utilisées dans ce règlement afin que chaque État membre de l’OMS (194 actuellement) partage un vocabulaire commun), une situation de risque pour la santé publique « s’entend de la probabilité d’un événement qui peut nuire à la santé des populations humaines, plus particulièrement d’un événement pouvant se propager au niveau international ou présenter un danger grave et direct ».

[30] On notera que l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, convoqué le 24 octobre 2022 devant la Cour de justice de la République pour sa gestion de la Covid-19, a été placé sous le statut de « témoin assisté » – statut intermédiaire entre simple témoin et mise en examen. Il risquait une mise en examen à l'issue de son audition pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « abstention volontaire de combattre un sinistre », comme l’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mise en examen le 10 septembre 2021. Précisons que cette mise en examen a été annulée par la Cour de cassation par un arrêt du 20 janvier 2023, ce qui a eu pour effet de lui attribuer automatiquement le statut de « témoin assisté ». En d’autres termes, elle reste mise en cause pour « abstention volontaire de combattre un sinistre », mais il ne lui est plus directement reproché d’infraction.

[31] Dans la jurisprudence administrative, en principe toute carence est fautive, c’est-à-dire que dès lors que le juge croit pouvoir discerner « une carence », cela signifie qu’il reconnaît « une faute » d’une autorité publique du fait du non-exercice de ses compétences. L’arrêt de principe est celui du Conseil d’État n° 84768, du 26 janvier 1973, Driancourt N° Lexbase : A7586B8H (Rec. CE., p. 77) : « L’illégalité de la décision par laquelle le préfet de police a enjoint au propriétaire d’un bar de mettre fin à l’exploitation d’appareils à jeux installés dans son établissement constitue, à supposer même qu’elle ne soit imputable qu’a une simple erreur d’appréciation, une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ». Pour être plus précis et donc plus juste, toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, si bien sûr il en est résulté un préjudice direct et certain (CE 1re-6e s.-sect. réunies, 30 janvier 2013, n° 339918, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4379I4X : « En principe, toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain »). On relèvera que dans les précédentes affaires sanitaires le reproche principal fait à l’État portait justement sur son inaction : inaction à retirer les lots de sang contaminé (affaire du sang contaminé) ou encore inaction à retirer l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament (affaire du Mediator).

[32] L’appréciation de la carence fautive est conditionnée par la question de savoir à partir de quel délai l’inaction est-elle constitutive d’une faute ? Ce délai est variable selon l'état des connaissances scientifiques sur les risques encourus et la connaissance qu'avait l’administration de ces risques pour la santé.

[33] CAA Paris, 31 juillet 2015, ministre des Affaires sociales et de la santé N° Lexbase : A3176NNX : AJDA, 2015, concl. F. Roussel ; arrêt confirmé par CE 1re-6e ch. réunies, 9 novembre 2016, n° 393902, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0619SGZ, n° 393108, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0615SGU, n° 393904 N° Lexbase : A0616SGW) : AJDA, 2017, p. 426, note Sara Brimo.

[34] CE, 9 avril 1993, n° 138653 N° Lexbase : A9437AMH.

[35] CE 1re-6e ch. réunies, 9 novembre 2016, n° 393902, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0619SGZ.

[36] La responsabilité de l’État dans la pénurie de matériels d’équipements de protection individuelle et en particulier de masques apparaît difficilement contestable : à l’amorce de la crise, la France ne disposait d’aucun stock de masques FFP2 (masques essentiellement destinés aux soignants) et le stock d’État de masques chirurgicaux disponibles au 31 décembre 2019 n’était composé que de 97 millions de masques.

[37] On mesurera la tension manifeste entre la déclaration d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, le 26 janvier 2020 aux termes de laquelle « nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées » et celle de son successeur, Olivier Véran, pour qui « en fonction de la durée de l’épidémie, nous ne savons pas si nous en aurons suffisamment à terme » (17 mars 2020).

[38] Anne Jacquemet-Gauché, Covid-19 : l’État fautif, mais pas responsable – à propos de la décision du Tribunal administratif de Paris du 28 juin 2022, disponible sur le site du Club des juristes [en ligne].

[39] Néanmoins, il n’est pas à exclure qu’à terme, d’autres juges voient dans l’absence de port du masque une perte de chance, en l’occurrence la perte de chance de se soustraire à la maladie (raisonnement fréquent dès lors que le préjudice est multi-causal). Cela conduirait à octroyer une indemnisation, même modeste. L’hypothèse d’un préjudice d'anxiété pourrait aussi être évoquée même si ce préjudice demeure exceptionnel lorsqu'il est reconnu de façon indépendante, et qu’il faudrait pouvoir démontrer la réalité d’une angoisse réelle liée à la Covid-19 liée, par exemple, à l’absence de port de masque et à la peur d’une contamination.

[40] Cette formule est extraite de l’interview de l’ancienne ministre de la Santé, Georgina Dufoix, sur la chaîne de télévision TF1, le 4 novembre 1991 : « Je me sens profondément responsable ; mais pour autant, je ne me sens pas coupable, parce que vraiment, à l’époque, on a pris des décisions dans un certain contexte, qui étaient pour nous des décisions qui nous paraissaient justes ». Elle sera relaxée le 9 mars 1999 par la Cour de justice de la République du crime d’homicide involontaire.

[41] Voir le jugement récent, dans l’affaire du Chlordécone, du tribunal administratif de Paris du 24 juin 2022 N° Lexbase : A616878X. Le tribunal a relevé des « négligences fautives » de l’État dans l’utilisation de ce pesticide mais a rejeté les demandes d’indemnisation sur le préjudice d’anxiété.

[42] CGCT, art. L. 2212-2 N° Lexbase : L0892I78.

[43] CE, 18 avril 1902, n° 04749, Commune de Néris-Les-Bains N° Lexbase : A2252B8W.

[44] CE, sect., 18 décembre 1959, Les films Lutétia N° Lexbase : A2581B84.

[45] CE, ord., 17 avril 2020, n° 440057, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A87973KZ.

[46] TA Caen, 31 mars 2020, n° 2000711 N° Lexbase : A49823KQ.

[47] TA Montreuil, 3 avril 2020, n° 2003861 N° Lexbase : A66213KG.

[48] CE, 19 mai 1933, Benjamin N° Lexbase : A3106B8K.

[49] CE, ord., 22 mars 2020, Syndicat des jeunes médecins, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A03603KK.

[50] Nous reprenons ici, en la renversant, la fameuse formule du commissaire du Gouvernement Edmond Corneille, dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État de 1917, n° 59855, Baldy N° Lexbase : A7421B7Y : « [L]a liberté est la règle et la restriction de police l’exception ».

[51] Les dispositions permises dans le cadre de l’état d'urgence sanitaire et du régime de sortie de crise instauré par la suite pour lutter contre l'épidémie liée à la Covid-19, ont pris fin le 31 juillet 2022, la loi n° 2022-1089, du 30 juillet 2022 N° Lexbase : L5682MDS mettant fin à ces deux régimes d'exception.

[52] Une concession de service public est une forme de contrat juridique où un concessionnaire, une société privée le plus souvent, prend en charge les frais d’exploitation et d’entretien courant d’un service public.

[53] Ministère de l’Économie, note du 18 mars 2020 de la Direction des affaires juridiques, La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire.

[54] L’article 1218 du Code civil N° Lexbase : L0930KZH dispose qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

[55] CE, 13 mars 1991, n° 80846, Entreprise Labaudinière N° Lexbase : A1288AR7.

[56] CE 6e-10e s.-sect. réunies, 27 janvier 1989, n° 80064, Compagnie d’assurances le groupe Drouot N° Lexbase : A2377AQ4.

[57] Des juges du fond ont en effet refusé de qualifier de force majeure l’épidémie de grippe H1N1 en 2009, le virus de la dengue ou encore celui du chikungunya, en raison des risques jugés limités (connaissance de la maladie, risques de diffusion, absence de létalité, etc.) :  CA Paris, 25  septembre 1996, n°  1996/08159 ; CA Besançon, 8  janvier 2014, n°  12/02291 N° Lexbase : A0447KTQ ; CA Nancy, 22  novembre 2010, n°  09/00003 N° Lexbase : A1459GLM ; CA Basse-Terre, 17  décembre 2018, n°  17/00739 N° Lexbase : A5434YRP.

[58] CA Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098 N° Lexbase : A73603IG.

[59] CE, 30 mai 1916, n° 59928, Compagnie d’éclairage du gaz de Bordeaux N° Lexbase : A0631B9A.

[60] CE 7e-5e s.-sect. réunies, 14 juin 2000, n° 184722, Commune de Staffelfelden N° Lexbase : A9265AGA.

[61] CE 2e-7e ch. réunies, 21 octobre 2019, n° 419155, Société Alliance, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9739ZR7.

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Covid-19

[Doctrine] La crise sanitaire et la responsabilité administrative. Le cas de « Global Dining »

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N6317BZY

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par Nobuyuki Takahashi, Université de Kokugakuin

Le 26 Juillet 2023

今回の報告では、日本におけるコロナ危機をめぐる数少ない訴訟の一つを取り上げた上で、日本における損害賠償制度の一局面について説明したい。予め断わっておかなければならないが、これほど重大な危機であったにもかかわらず、報道による限り、国や地方自治体に対してその責任を問う訴訟は日本ではほとんど提起されなかった。唯一に近い例外が今回取り上げる「グローバルダイニング訴訟」である。

Dans ce rapport, je vais traiter l’un des rares recours liés à la crise du Corona au Japon, ainsi qu’expliquer un aspect du régime de compensation des dommages occasionnés par l’action des entités publiques. Or il faut préciser à l’avance que, au Japon, malgré la gravité de la crise, très peu de recours ont été lancés contre l’État ou les collectivités territoriales. La seule exception, ou presque, est le contentieux administratif nommé « Global Dining » selon la société requérante, qui fait l’objet de cette intervention.

この訴訟については後に詳しく取り上げるが、序章として、なぜ日本でこれだけ訴訟が少ないのか、という点について先に考えてみたい。

まずは、そもそも行政訴訟の数が少ない。数年前の統計ではあるが、行政事件訴訟は年間2000件程度しか提起されていない。また、コロナ危機が始まった後も、その数は増えなかったようである。

Avant d’entrer dans les détails, en guise d’introduction, je vais tout d’abord examiner les raisons pour lesquelles il existe si peu de recours au Japon.

Avant tout, traditionnellement, le volume de recours administratifs reste très faible. Bien que les statistiques datent de quelques années, en moyenne, seuls quelque deux mille procès administratifs sont intentés par an. De surcroît, ce nombre ne semble pas avoir augmenté même après le début de la crise sanitaire.

これに関しては、幾つかの要因を挙げることができる。以前より大幅に安くなっているとはいえ、特に弁護士費用がかかるために、訴訟へのアクセスは必ずしも開かれていない。また、そもそも日本人の性格(moeurs)として、訴訟提起は好ましいことではないと思われている。集団の和を乱す、ということで社会的圧力を受けるかもしれず、このことが人々を萎縮させているのである。

また、勝訴できる可能性が低いことも問題となる。正確な統計は知られていないが、一般に行政訴訟の勝訴率は数パーセントであると言われており、膨大なコストをかけるに値しないと考えられている。

À cet égard, plusieurs facteurs peuvent être mentionnés : l’accès aux juges n’est pas toujours ouvert, notamment en raison des frais de justice, même s’ils sont nettement moins élevés qu’il y a dix ans ou vingt ans. En outre, les mœurs des Japonais ne favorisent pas les actions en justice en tout état de cause. Ils peuvent être soumis à une pression sociale pour avoir perturbé l’harmonie du groupe, ce qui les amène à ressentir de la réticence.

Un autre problème est la faible probabilité de réussite des recours. Bien que des statistiques précises ne soient pas connues, il est généralement admis que le taux de succès dans les litiges administratifs n’est que de quelques pourcent, ce qui ne vaut pas les coûts énormes impliqués.

また、日本におけるコロナ危機の特徴として、以前に津田先生が報告したように、行政庁は権力的な手段を慎重に回避しており、権力行使が必要な場合にも、必要最小限なものにとどめていたといえる。それでも感染対策が功を奏したのは、政府の「自粛要請」に応えて、国民の大多数が自主的に自由を制限したからである。もちろん、社会における評判の低下といった社会的制裁をおそれて要請に従っていた者も多かったと推測される。

Aussi, l’une des caractéristiques de la crise sanitaire au Japon, comme l’a précédemment rapporté M. Tsuda, est que les autorités administratives ont soigneusement évité toute mesure restrictive et, même au cas où le recours au pouvoir était nécessaire, elle a été maintenue au minimum nécessaire. Néanmoins, ces mesures de prévention ont été suffisamment efficaces, car la majorité de la population a volontairement restreint ses libertés en réponse à la « sollicitation de restriction » du Gouvernement. Bien entendu, on peut présumer que nombre d’entre eux ont accédé à cette sollicitation par crainte de sanctions sociales telles que l’atteinte à leur réputation dans la communauté.

それでも、法的な観点からは、大規模なロックダウンが繰り返し命令された欧米諸国に比べれば、日本政府や知事がとった措置は比較的穏健なものであり、経済的損害を受けた事業者(飲食店や観光業者等)への補償金の支払いも相応に充実していた。これらの要因により、訴訟提起が少なく済んだと言える。

Néanmoins, du point de vue juridique, les mesures prises par le Gouvernement et les gouverneurs ont été relativement modérées par rapport aux pays occidentaux où l’ordre de confinement a été donné à plusieurs reprises. Aussi, les compensations aux entreprises grièvement touchées (tels que les restaurants et les opérateurs touristiques) ont été raisonnablement substantielles.

Tous ces facteurs nous amènent à conclure que le nombre de recours judiciaires reste très faible dans ce pays d’Extrême-Orient.

もっとも、このような訴訟の少なさは、日本人の美徳として捉えられることもあるが、必ずしも好ましいものではない。裁判官が法律の内容を具体化する機会が乏しいことから、行政法の発展にはマイナスである上に、法的安定性が確保されないままとなってしまう。

Toutefois, si ce faible niveau de litiges est parfois considéré comme une « vertu » des Japonais, il n’est pas nécessairement souhaitable du point de vue de l’État de droit. Le manque des occasions pour les juges de concrétiser le contenu des lois est nuisible pour le développement du droit administratif et perpétue également l’instabilité juridique.

このような日本固有の状況を踏まえると、グローバルダイニング訴訟は偉大な試みであった。訴訟提起に際しては、提訴者に対する厳しい批判がインターネット上に溢れていた。感染防止対策に対して消極的であるだけでなく、反省することもなくさらに訴訟を提起して社会の和を乱している、といった主張が多かったのである。

Compte tenu de cette situation singulière au Japon, le recours « Glaobal Dining » a été une tentative inédite. Lorsque le procès a été intenté, internet a été rempli de critiques sévères à l’encontre du plaignant : non seulement l’entreprise refusait de prendre des mesures anti-Covid, mais elle perturbait également l’harmonie sociale en l’intentant sans le moindre remords.

しかし、感染防止対策が必要であることと行政庁の行き過ぎを是正することは、両立可能である。対策といっても様々なものがある以上、その一つ一つの必要性や合理性を司法の場で検討することは不可欠であるからである。後に詳しく検討するように、原告も感染防止対策全般についてはその必要性を認めていたが、いわゆる夜間営業規制(couvre-feu) については、その合理性が認められないとして強固に反対していた。

Il est toutefois possible de concilier la nécessité de mesures de prévention avec la remise en cause des excès des pouvoir administratif. En effet, comme l’administration est dotée de multiples moyens, il est essentiel d’examiner la nécessité et la rationalité de chacun d’entre eux dans les processus judiciaires. Comme nous le verrons plus en détail, le requérant reconnaissait la nécessité des mesures préventives en général, mais s’est fermement opposé à la fermeture des restaurants et bars à 20 heures, au motif que sa rationalité ne saurait être reconnue.

結論としては、東京地方裁判所は原告の訴えの一部を認めて、知事の発した命令には違法性が認められるとした。しかし、知事には過失が認められないとして、国家賠償の支払は命じなかった。

結論の当否はさておき、このような分析的思考は、科学的な証拠に基づいた政策形成(EBPM)を促進するものであるが、残念なことに日本の世論や政治からその重要性を全く理解していない。このような状況を変えていくためにも、今回の訴訟には重要な意義があるだろう。

En conclusion, le tribunal de district de Tokyo (tribunal de première instance) a approuvé une partie de la plainte de « Global Dining » en déclarant que l’ordre émis par la gouverneure de Tokyo était illégal. Toutefois, les juges n’ont pas ordonné le versement d’une indemnisation, le requérant n’ayant pas réussi à prouver la faute de l’administration.

Abstraction faite de la pertinence des conclusions, ce type de réflexion « analytique » favorise l’élaboration de politiques fondées sur des données scientifiques (Evidence Based Policy Making), mais malheureusement, l’opinion publique et les milieux politiques japonais n’en perçoivent pas suffisamment l’importance. C’est pour cette raison que ce recours serait d’une importance cruciale pour changer le paradigme de notre pays.

A.訴訟提起に至る状況

まず第一部では、訴訟に至る経緯について、当時の日本の感染状況等も踏まえて説明しよう。

フランスと同様に、2020年は日本にとっても混乱の年であった。第1波と第2派を乗り切ったものの、安倍晋三総理大臣は体調不良を理由に9月に辞任し、官房長官であった菅義偉が首相の座に就いた。しかし、2020年11月ごろから第3波が到来し、2021年1月には感染者数がピークに達した。

Dans la première partie, j’expliquerai les circonstances qui ont précédé le contentieux, en tenant compte de la situation de l’infection dans l’archipel depuis le début de la crise.

Comme en France, l’année 2020 a été une année de bouleversements pour le Japon. Après avoir surmonté la première et la deuxième vague, le Premier ministre Shinzo Abe a démissionné en septembre pour des raisons de santé, et son premier secrétaire de cabinet, Yoshihide Suga, l’a remplacé. Cependant, la troisième vague a débuté vers novembre 2020 et le nombre de personnes infectées a atteint un pic en janvier 2021.

このような感染再拡大を受けて、菅首相は特措法の改正に着手して、2021年2月には大幅な法改正が実現した。(la loi sur les mesures spéciales pour la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses (ci-après « loi pandémique ») 改正箇所は数多いが、本報告との関係で重要となる点のみを説明しよう。

En réaction à cette nouvelle vague d’infection, le nouveau Premier ministre a entrepris une révision de la loi anti-pandémique (loi sur les mesures spéciales pour la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses), qui a été largement modifiée en février 2021. Les modifications étant nombreuses, je traiterai seulement les éléments significatifs concernant la présente intervention. 

改正前には、緊急事態が宣言された状況でも、知事は強制的な命令を発することはできなかった。すなわち、例えば、飲食店に対して休業要請をすることはできるが、この要請に従わなかった場合にも、事業者の氏名を「公表」することしかできなかった。

Avant la modification, les gouverneurs ne pouvaient pas émettre d’ordres impératifs, même dans les cas où « l’état d’urgence sanitaire » avait été déclaré par le Premier ministre (à noter aussi que dans le droit japonais, la préfecture est une collectivité territoriale qui jouit d’une certaine autonomie vis-à-vis de l’État et le chef de la préfecture – le gouverneur – est élu par le suffrage universel des habitants). Ainsi, ils pouvaient, par exemple, demander la fermeture d’un restaurant, mais en cas de non-respect, ne pouvaient que « publier » le nom de l’exploitant ayant commis l’infraction dans le cadre de sanction.

不思議なことに、日本の行政法においては、この公表は一種の制裁として位置づけられている。すなわち、企業や個人にとって不名誉な事実を公表することでその社会的評価を低下させること、間接的に義務の履行を促しているのである。

De façon curieuse (surtout pour nos collègues français), dans le droit administratif japonais, cette « publication » est considérée comme une sorte de sanction. En d’autres termes, en rendant publics des faits déshonorants pour une entreprise ou un individu, l’administration tente de détériorer leur réputation sociale, ce qui les incite indirectement à remplir les obligations.

しかし、元々、このような公表制度には大きな問題があると主張されてきた。国民が無関心であれば、公表は必ずしも実効的な制裁にはならないし、逆に、国民が過剰に反応して、制裁が行き過ぎたものになるおそれもあるからである。

Cependant, les publicistes japonais ont longtemps fait valoir qu’un tel système posait des inconvénients majeurs : l’efficacité de la publication sera considérablement réduite si le public reste indifférent au sujet, ou, à l’inverse, si le public réagit de manière excessive, la sanction pourra dépasser les bornes.

Si je cite une histoire ironique qui est survenue au début de la crise, les décisions de « publications » concernant les salons de pachinko qui n’ont pas respecté la demande de fermeture, ont conduit les clients à fréquenter ces salons, ce qui signifie que les autorités publiques ont réalisé – contre leur grès – une intense promotion pour ces entreprises.

そのため、改正後には、緊急事態宣言が発令されている場合には、知事の命令に違反した者に対して、裁判所が低額の金銭的制裁(過料)を課すことができるようになった。もっとも、その額は最大30万円(2000euros)に過ぎず、抑止力としては十分ではないと当初から考えられていた。

Ainsi, la modification de 2021 a permis aux tribunaux d’imposer une faible sanction pécuniaire (appelé Ka-ryô (過料)) à ceux qui ont violé l’ordre de la gouverneure durant la période de l’état d’urgence. Toutefois, le montant maximal n’étant que de 300 000 yens (environ 2 000 euros), ce nouveau régime était considéré dès le départ comme insuffisant.

 実際、懲役刑やより高額な罰金刑を導入するという選択肢もなかったわけではない。しかし、欧米諸国に比べると、日本でのコロナウィルスの被害はそれほど大きいものではなかった。また、日本人が公権力に対して従順であることから、この程度の制裁でも十分効果的であると政府は考えていたのかもしれない。そのため、政府も国会も、比例原則を重視して、このような穏健的な対策を選んだのである。

En effet, la possibilité d’introduire des peines de prison ou des amendes plus élevées n’était pas écartée. Cependant, nous devons retenir que, par rapport aux pays occidentaux, le coronavirus n’a pas causé autant de dégâts au Japon. En plus, le Gouvernement a probablement jugé que ce niveau de sanction serait suffisamment efficace/coercitif, vu la docilité du peuple japonais à l’égard des autorités publiques. En conséquence, la Diète ainsi que le Gouvernement ont opté pour ces mesures modérées, en privilégiant le principe de proportionnalité.

さて、2020年末から始まる第3派は徐々に拡大して、年末年始にも多くの人々が自粛を余儀なくされた。そして、2021年1月7日は緊急事態宣言が発令されて、地域ごとに差はあるものの、特に感染者数が高かった首都圏(東京都含む)においては、最終的には3月21日まで緊急事態が続いた。

Or la troisième vague, qui a débuté à la fin de 2020, s’est progressivement étendue, obligeant les Japonais à s’abstenir pendant les vacances de fin d’année et du Nouvel An. Le 7 janvier 2021, sous la forte pression de l’opinion, l’état d’urgence a été déclaré pour la deuxième fois, et bien qu’il y ait eu des divergences entre les régions, dans la métropole de Tokyo (y compris les préfectures de Tokyo, Kanagawa, Chiba, et Saitama), où le nombre de personnes infectées était particulièrement élevé, l’état d’urgence a finalement été maintenu jusqu’au 21 mars.

そして、飲食店に対しては、感染防止対策の実施の他、酒類提供の時間帯の制限(夜7時まで)、営業時間の制限(夜8時まで)といった厳しい措置がとられた。政府はこのような措置により、間接的に人々の外出を抑制しようとしたのである。

Des mesures strictes ont alors été prises à l’encontre des restaurants et des bars, y compris des restrictions sur les heures pendant lesquelles des boissons alcoolisées pouvaient être servies (jusqu’à 19 heures), les heures d’ouverture (jusqu’à 20 heures) et le nombre de personnes servies. Par ces dispositions, le Gouvernement a indirectement tenté de décourager les gens de fréquenter ces lieux.

当然のことであるが、この第3派は飲食店業界に深刻な損害を与えた。日本においては、特に年末年始や年度末の3月に多くの会合が開かれるために、この期間に営業できないことは大幅な売り上げ低下をもたらしたのである。コロナ危機が1年近く続いたことから、事業の継続を断念して閉店した店舗も数多かった。

Il va de soi que cette troisième vague a causé de sérieux dommages au secteur de la restauration. L’impossibilité d’opérer pendant cette période a provoqué une baisse cruciale des ventes, d’autant plus qu’au Japon de nombreux banquets ont lieu pendant cette période. La crise de Corona ayant duré près d’un an, de plus en plus de restaurants ont renoncé à poursuivre leur activité et ont fermé leurs portes.

政府と県は、飲食店に対する補助金を増やしたり、融資をしたりすることで支援を続けていたが、それでも飲食業界の不満は高まっていた。このような状況の中、グローバルダイニング社の経営する26店舗においては、夜間営業と酒類の提供を続けていた。その理由として、会社は従業員の雇用を守る義務があり、営業を続けることで利益を確保することは「正当な理由」にあたることを主張していた。

Le Gouvernement et les préfectures ont continué à apporter leur soutien en augmentant les subventions et les prêts aux restaurants, mais le secteur de la restauration était de plus en plus frustré. Dans ces circonstances, la société « Global Dining » a continué à opérer la nuit et à servir des boissons alcoolisées dans ses vingt-six restaurants. En même temps, elle a fait valoir qu’elle a le devoir de sauvegarder l’emploi de ses salariés et que la poursuite de ses activités pour obtenir les bénéfices constituait un « motif justifié » défini par la loi.

注意を要するのは、緊急事態宣言が発令された1月初めにおいては、特措法はまだ改正されていなかったことである。法律が改正された効力が生じたのは2月13日であったことから、これ以降、知事は強制的な命令を発することができるようになった。この新しい権限をいつ、どのような場合に行使できるのか、これがこの訴訟の争点であった。

Il est à noter qu’au début du mois de janvier, lorsque la déclaration d’urgence a été émise, la loi anti-pandémique n’avait pas encore été modifiée. Ce n’est que le 13 février que la loi modifiée fût entrée en vigueur, ce qui signifie qu’à partir de cette date-là, la gouverneure pouvait émettre des ordres obligatoires. L’enjeu de ce contentieux était donc de savoir quand et dans quelles circonstances ce nouveau pouvoir pouvait être exercé.

2021年1月に入ると、感染者数は徐々に減っていたが、その減り具合は十分なものではなかったために、首都圏では緊急事態が延長された。それと同時に、要請を無視して営業を続けるグローバルダイニング社に対する批判も強まっていた。医療従事者の一部は公然と会社の方針を非難しており、緊張が高まっていたのである。

En janvier 2021, le nombre de personnes infectées diminuait progressivement, mais ce rythme n’étant pas encore suffisant, l’état d’urgence a été prolongé dans la région métropolitaine. Dans le même temps, les critiques se sont multipliées à l’égard de « Global Dining », qui a continué à fonctionner au mépris des demandes de la part de la gouverneure Yuriko Koike. La tension grimpait, certains professionnels de la médecine condamnant ouvertement l’orientation de l’entreprise.

東京都の調査によれば、およそ2000店舗が要請に従わずに夜間営業や酒類提供を続けていたようである。もっとも、その多くは個人経営の小企業であり、グローバルダイニングのような大企業は総じて要請に従っていた。また、グローバルダイニング社は自社のHPで営業を続けることを公然と表明していた。

Selon des inspections de la préfecture de Tokyo, environ deux mille établissements ont continué à mener des activités nocturnes et à servir de l’alcool sans se conformer à cette demande. Néanmoins, la plupart d’entre elles étaient de petites entreprises, tandis que les grandes entreprises – excepté « Global Dining » – la respectaient en général.

これらの要因が東京都の怒りを買ったのかもしれないが、その後、東京都の内部でどのような検討がされたのかは不明である。結果としては、3月18日に、知事は特措法45条3項に基づきグローバルダイニング社の経営する26施設に対して使用制限命令を発した 具体的には、夜20時から朝5時までの営業を停止することと、種類の提供を夜19時から朝11時まで止めることであった。

Il me semble que ces éléments auraient suscité la colère de la gouverneure Koike, mais on ne saurait déterminer quelles considérations internes ont ensuite été prises au sein de l’administration. En réponse, le 18 mars, la gouverneure a émis un ordre de restriction d’utilisation à l’encontre de vingt-six établissements exploités par « Global Dining », en vertu de l’article 45, aliéna 3, de la loi anti-pandémique, leur imposant notamment de suspendre leurs activités de 20 heures à 5 heures du matin et de ne plus servir des boissons alcoolisées de 19 heures à 11 heures.

このタイミングは注意を要するだろう。当時、感染状況が飛躍的に改善したことから、政府は3月21日で緊急事態宣言を解除することを既に決めていた。したがって、この命令は21日までの4日間しか効力を有しないことになる。(緊急事態宣言が解除されると、知事の命令の権限それ自体も消滅するため)

Le timing de cette décision nous semble particulièrement intéressant. À ce moment-là, le Gouvernement avait déjà décidé de lever l’état d’urgence le 21 mars, étant donné que la situation de l’infection s’était suffisamment améliorée. Cet ordre ne restait donc en vigueur que pendant quatre jours, jusqu’au 21 mars.

この状況にある種の違和感を覚える者は多いだろう。緊急事態宣言が解除されるのであれば、慌てて命令を発する必要もなかったと思われる。また、4日間だけの休業が感染防止に果たしてどれだけ寄与しただろうか。感染防止という本来の目的を離れて、知事が世論の批判をかわすために、あるいは知事の面子を守るために、権限を行使した疑いもある。

Certains d’entre vous peuvent ressentir un certain malaise face à cette situation. Vu que l’état d’urgence ne durerait pas pour longtemps, il n’y aurait pas eu besoin de délivrer cet ordre dans la hâte. Par ailleurs, dans quelle mesure la fermeture de quatre jours contribue-t-elle réellement à la prévention des infections ? Certains soupçonnent la gouverneure d’avoir exercé son autorité en se détournant de l’objectif initial de prévention des infections, afin d’éviter les critiques publiques ou de préserver sa propre réputation.

その後、グローバルダイニング社はこの命令を直ちに受け入れ、夜間営業と酒類提供を止めた。したがって、命令違反に対する過料の手続がとられることはなかった。しかし、その直後に、命令の違法性を争うために、営業停止によって受けた損害の賠償を求めて訴訟を提起したのである。

Par la suite, l’entreprise a accepté l’ordre immédiatement et a cessé ses activités. En conséquence, aucune procédure d’amende pour violation de l’ordre n’a été engagée. Toutefois, peu de temps après, elle a intenté un recours devant le tribunal de district de Tokyo, pour contester l’illégalité de la décision et demander une indemnisation pour les dommages subis du fait de la suspension des opérations.

これが訴訟に至る経緯である。大まかな紹介であったが、判決のポイントを理解するためには必要にして十分であろう。

Voici le déroulement de cette affaire. Bien qu’il s’agisse d’une présentation sommaire, elle est probablement suffisante pour comprendre les points clés de ce recours.

Loi anti-pandémique, article 45, alinéa 3 :

Si le gestionnaire d’établissement ne respecte pas à une demande en vertu du paragraphe précédent sans un motif justifié, le gouverneur peut ordonner audit gestionnaire de prendre des mesures relatives à ladite demande uniquement s’il estime que cela est particulièrement nécessaire pour prévenir la propagation d’une nouvelle grippe, protéger la vie et la santé des citoyens et éviter de perturber la vie et l’économie nationales.

B.判決の内容とその分析

この第二部では、当事者の主張と判決の内容について分析しよう。

本件は、原告であるグローバルダイニング社は、東京都を被告として国家賠償法に基づき損害賠償を求める事案である。この国家賠償法はフランス法にいう「過失に基づく行政責任」に当たるものであり、損害を金銭で救済することに特徴がある。

Dans la deuxième partie, j’analyserai les arguments des parties et les considérants de l’arrêt. Dans cette affaire, le requérant, « Global Dining », demande des dommages et intérêts au titre de la « loi sur l’indemnisation étatique » (国家賠償法/Kokka Baisyô Hô) contre la préfecture de Tokyo.

En gros, cette loi est équivalente au régime français de la « responsabilité administrative avec faute », et elle se caractérise par le fait qu’elle prévoit une réparation pécuniaire des dommages.

もっとも、本件で原告は、損害賠償が主な目的ではないとして、請求額を104円(1店舗1円×26店舗×4日間)としていた。すなわち、命令の違法性を裁判所に認めてもらうことにより、会社の信用を回復することが目的だったのである。

Toutefois, dans ce cas, le requérant a fixé sa demande à 104 yens (1 yen par établissement x 26 établissements x 4 jours), puisque l’indemnisation n’était pas son objectif principal. Autrement dit, il s’agissait de restaurer la confiance de l’entreprise en faisant reconnaître par le tribunal l’illégalité de l’ordre.

より具体的には、この(1)使用制限命令が同社を狙い撃ちしたもので、平等原則に反すること、(2)会社がHP上で営業の継続を表明したことが命令の理由であり、これは表現の自由及び営業の自由を侵害すること、(3)3月18日の時点では、実質的には緊急事態には当たらなかったとして、使用制限命令も違法になること、(4)使用制限命令は特措法45条3項の定める要件を満たしていないこと、を主張した。(この他にも、特措法それ自体の違憲性も主張していたが、この点についてはここではとりあげない)

Plus précisément, elle a fait valoir que (1) l’ordre de restriction d’utilisation la visait d’une manière arbitraire et violait le principe d’égalité (2) un des motifs de l’ordre était que la société avait déclaré sur son site web la poursuite des exploitations, ce qui violait la liberté d’expression (3) à cette date du 18 mars, l’ordre était illégal, car du point de vue substantiel, la situation d’infection ne justifiait pas l’état d’urgence et (4) l’ordre ne répondait pas aux exigences énoncées à l’article 45, alinéa 3, de la loi anti-pandémique

さらに原告は、使用制限命令に至るプロセスを明らかにするために、都知事や東京都のコロナ対策責任者を証人として呼ぶことを求めたが、東京地裁は、客観的事実に関しては提出済みの証拠等で足りるとの理由で、この証人採用を認めなかった。

En outre, « Global Dining » a demandé que la gouverneure et les responsables de la santé publique soient convoqués comme témoins afin de clarifier le processus ayant conduit à la décision, mais le tribunal a refusé de les appeler au motif que les preuves déjà présentées étaient suffisantes pour trancher le litige.

それぞれの論点についてより詳しく説明すると、(1)については、当時、要請に従っていなかった飲食店は2000近くあったが、それらのうち、命令の対象となったのは、グローバルダイニング社の経営する店舗がほとんどであった。そうすると、合理的な理由なく同社が狙い撃ちにされた疑いがあり、これが平等原則に反すると主張された。

Pour entrer dans les détails, en ce qui concerne l’argument (1), près de deux mille restaurants ne s’étaient pas conformés à la demande, mais parmi ceux-ci, la plupart des restaurants visés par l’ordre étaient ceux exploités par le requérant. Il a donc allégué qu’il avait été ciblé sans motif raisonnable et que cela était contraire au principe d’égalité.

(2)東京都は、同社がHP上で表明したことが客の増加を招いていたとして、特に命令が必要であると考えていた。しかしながら、原告はHP上での表明は憲法上認められた表現の自由に当たるとして、このことを理由に命令を発することは許されないと主張した。

(2) La gouverneure a fait remarquer que l’ordre était d’autant plus nécessaire que les annonces faites par le requérant sur son site internet entraînaient une hausse de la fréquentation. Cependant, « Global Dining » a fait valoir que cette affirmation constituait une liberté d’expression reconnue par la Constitution et qu’il n’était pas acceptable d’émettre un ordre sur ce fondement.

(3)先に述べたように、3月18日の時点では、感染者数が減っていたことから緊急事態宣言が解除されることが既に決まっていた。そうすると、形式的には緊急事態ではあるものの、実質的には緊急事態とは言えない状況であったとも考えられる。そうであるならば、使用制限命令を発する前提が失われていることが争点となった。

(3) Comme mentionné plus haut, le 18 mars, compte tenu de la baisse des infections, le Gouvernement a décidé que l’état d’urgence serait levé au bout de quelques jours. On pourrait alors considérer que, bien que l’état d’urgence fût formellement en vigueur, du point de vue substantiel la situation ne correspondait pas à l’état d’urgence. Si tel était le cas, la question était que la condition préalable à la délivrance de l’ordre avait disparu.

(4)特措法によると、命令を発することができるのは「正当な理由」がなく、かつ「特別の必要」がある場合に限られる。原告は、雇用を維持することが正当な理由に当たること、そして、店舗では十分な感染対策を講じていたことから、「特別の必要」まではなかったことを主張していた。

(4) Aux termes de la loi anti-pandémique, l’ordre de restriction ne peut être émis si l’administré fait valoir l’existence d’un motif justifié. Aussi, la prise de l’ordre devrait être particulièrement nécessaire pour qu’il puisse être légal. Le plaignant a donc contesté que le maintien de l’emploi constituait un motif justifié et qu’il n’existait pas cette « nécessité particulière » étant donné que ses restaurants mettaient en place des mesures adéquates de contrôle des infections.

では、裁判所はこれらの主張にどのように答えたのだろうか。先に紹介したように、裁判官はこの命令の違法性を認めたが、職務上果たすべき注意義務を果たしていたとして、過失を認めなかった。行政庁の対応を非難しつつも損害賠償の支払いを認めなかったという意味では中途半端な解決ではあった。しかし、感染対策が最優先されていた風潮の中で裁判所が違法性を認めたことは極めて画期的であり、その後の行政運営に大きな影響を与えた。

Alors, comment le tribunal a-t-il réagi à ces arguments ? Comme évoqué précédemment, les juges ont reconnu l’illégalité de l’ordre, mais n’ont pas retenu la faute au motif que les agents publics avaient rempli le devoir de diligence qui leur incombait dans le cadre de leurs fonctions.

Il s’agissait d’une solution « mitigée » dans le sens où ils condamnaient d’une part l’attitude de la gouverneure, mais ne permettaient pas, d’autre part, l’indemnisation. Cependant, le fait que le tribunal ait reconnu l’illégalité dans une atmosphère où la priorité était accordée aux mesures anti-Covid a été extrêmement novateur et a laissé un impact significatif sur la gestion administrative ultérieure.

まず、争点1については、東京都が原告以外の事業者に対しても命令を発出する準備を進めていたことを理由に、必ずしも原告を狙い撃ちにしていたわけではなかったと判断した。

En ce qui concerne l’argument (1), le tribunal a estimé que la gouverneure métropolitaine ne visait pas arbitrairement le requérant, puisqu’il s’apprêtait à émettre des ordres aux autres opérateurs.

次に、争点3については、緊急事態宣言が現実に発せられていた以上は、命令を発する権限を知事は有していたとして、原告の主張を退けた。しかし、裁判所は、感染状況が改善していたという事実を認めた上で、この事実は争点2・4の判断に際して考慮すべきであるとしていた。

Concernant l’argument (3), la justice a rejeté le raisonnement du plaignant, en prétendant que tant que l’état d’urgence est formellement maintenu, le pouvoir de restriction reste accordé au gouverneur. Toutefois, elle a reconnu que la situation de l’infection s’était améliorée au moment de la décision et que ce fait devait être pris en compte lors de la considération des arguments (4).

裁判所が特に重視したのは争点2と4である。まず、雇用の維持が「正当な理由」に当たるか否かについては、正当な理由は限定的に解釈されるべきであること、また、東京都から補助金が支払われることで損害が一定程度救済されることを挙げて、原告の主張を否定した。

C’est sur les arguments (2) et (4) que le tribunal a mis notamment l’accent. En premier lieu, il a rejeté l’argument quant à savoir si le maintien de l’emploi constituait un « motif justifié », en soulignant que cette notion devait être interprétée de manière limitée et que le versement de la subvention par la préfecture réparerait les dommages dans une certaine mesure.

他方で、「特別の必要」については、裁判所はこの要件を厳格に解している。

まず、裁量権の有無については、法律で「特別の・・・」という限定が課されていることから、行政庁に認められる裁量権の幅は狭いとしている。これは、行政庁の判断にわずかな不合理な点があれば、違法性を認めることができることを意味する。(日本法においても、広い裁量権が認められる場合には、裁判所は著しく不合理な判断でなければ違法にすることはできない。)

En contrepartie, en ce qui concerne la « nécessité particulière », le tribunal en a donné une interprétation stricte. Tout d’abord, au regard du pouvoir discrétionnaire, il précise que la marge de liberté dont dispose le gouverneur est étroite, vu que le législateur a ajouté cette notion de « particulièrement » à l’alinéa 3. Cela signifie que l’illégalité peut être déclarée s’il y existe une moindre défaillance dans la décision de l’administration (même en droit japonais, lorsqu’un large pouvoir discrétionnaire est reconnu, le tribunal ne peut rendre une décision illégale à moins qu’elle ne soit manifestement injustifiable).

次に、政府の発したガイドラインによれば、使用制限命令を発することができるのは、集団感染(クラスター)が起きる可能性が高いことが実際に確認された場合に限られていた。都知事もこのガイドラインに従うべきであるが、実際には、原告の経営する店舗においては、客数の制限や換気の徹底、消毒の実施等を行っており、クラスター発生の可能性が現実に高いとは言えなかった。

Deuxièmement, selon les circulaires émises par le Gouvernement, un ordre de restriction d’utilisation ne peut être délivré que si la probabilité d’un « cluster » est effectivement confirmée. Mais dans cet arrêt, cette possibilité a été jugée minime étant donné que dans les établissements gérés par le requérant, le nombre de clients était limité, la ventilation était strictement contrôlée et d’autres mesures de désinfection étaient suffisamment pratiquées.

三つ目として、命令が発せられた当時、感染はほぼ収束していた上に、要請に従わずに夜間営業を続けていた店舗は2000近くに上っていた。そのため、原告の経営するわずか30弱の店舗に4日間だけの命令を発するだけでは、感染防止効果はほとんど期待できなかった。そうすると、命令を発するだけの特別の必要性は認められないとされた。

Troisièmement, au moment où l’ordre a été émis, l’infection était quasiment maîtrisée et environ deux mille restaurants et bars ne respectaient pas la demande de restriction. Par conséquent, la délivrance de l’ordre pour seulement quatre jours à une vingtaine d’établissements de « Global Dining » pouvait difficilement être considérée comme efficace et nécessaire pour la lutte contre la Covid. Ainsi, les juges ont conclu que cet ordre ne répondait à aucune nécessité particulière.

結局、裁判所は、命令の必要性を十分に説明することを東京都に求めたものの、東京都が試みた説明が全く不十分で不合理であったと判断して、命令の違法性を認めたのである。

En définitive, bien que le tribunal ait exigé de la gouverneure une explication approfondie de la nécessité de l’ordre, il n’a pas réussi à convaincre les juges de façon adéquate et raisonnable. Ce serait cette inertie qui aurait poussé les juges à reconnaître son illégalité.

では、なぜ裁判所は過失を認めなかったのだろうか。地裁が特に重視したのは、以下の2点であると考えられる。

まず、特措法の改正後、初めてのケースであったことから、参照すべき先例が未だなかったこと、そして、命令発出に際して、知事は東京都の専門家会議の意見を聴取したが、専門家たちはいずれも命令の必要性を認めていたことである。

Alors pour quelles raisons le tribunal n’a-t-il pas déclaré la faute de l’administration ?

Nous estimons qu’il a attaché une importance particulière aux deux points suivants : premièrement, comme il s’agissait du premier cas après l’amendement de la loi anti-pandémique, aucun précédent ne pouvait être consulté. Deuxièmement, peu avant la décision, la gouverneure a tenté de recueillir l’avis du groupe d’experts de la préfecture, qui ont tous reconnu la nécessité de l’ordre.

このような状況では、知事にとって命令の適法性を判定することは容易ではなかった。また、当時の風潮では、知事が専門家の意見に従わずに命令の発出を取りやめることはおよそ期待できなかった。裁判所はこれらの理由から過失を否定したのである。

Dans ces circonstances, il n’était pas aisé pour la gouverneure de déterminer la légalité de la décision. De surcroît, dans le climat tumultueux de l’époque, on pouvait difficilement s’attendre à ce que la gouverneure renonce à la stratégie rigoureuse contre le gré des experts. C’était pour ces raisons que le tribunal a nié l’existence de la faute.

従来も、違法性を認めつつも過失を否定したという事例は少なくない。典型的なのは、ある法律の解釈について二つの説があり、それぞれに合理性が認められるのであれば、行政庁が採用した解釈が後に違法であることが判明したとしても、過失は認められないとするものである。本件に限らず、法律の解釈には曖昧さがつきまとうことから、仮に事後的に法解釈の誤りが判明したとしても、行政庁の責任を問うべきではない、というのがその理由である。

Les précédents nous montrent que de temps en temps les juges essaient d’écarter la faute des agents publics tout en admettant l’illégalité de la décision. Citons un exemple typique : s’il est en général reconnu que le texte de la loi peut être interprété différemment et que chaque interprétation est estimée raisonnable, alors même si l’interprétation adoptée par l’administration s’avère ultérieurement illégale, il ne devrait pas y avoir de faute.

Comme une ambiguïté est plus ou moins inhérente à l’interprétation des lois, il est souhaitable que l’administration ne soit pas tenue responsable même si son interprétation s’avère fautive a posteriori. Le tribunal de Tokyo aurait fait sien ce fondement pour trancher ce litige.

私見としても、本件で過失を認めて賠償の支払いを命じると、今後の行政運営に深刻な萎縮効果をもたらしてしまうと考える。特に感染防止対策のように、不確実性の中で迅速な判断が求められる分野においては、行政の責任を限定する必要は極めて大きいと言える。その意味では、本判決の理由付けには十分賛成することができる。

Pour ma part, reconnaître la faute dans cette affaire et ordonner le versement d’une indemnité aurait un sérieux « chilling effect » sur les activités administratives. En particulier dans des domaines tels que la prévention des infections, où des décisions urgentes sont recommandées face à l’incertitude, la nécessité de limiter la responsabilité administrative est extrêmement importante. En ce sens, nous pouvons pleinement souscrire au raisonnement de cet arrêt.

しかしながら、本訴訟で東京都が十分な説明を放棄していたことは極めて残念である。実際、決定に際して誰が主導権を握っていたのか、特に知事の小池百合子が積極的に関与していたのか、あるいは、受動的な立場にとどまっていたのか、といった点は、感染症対策における政治家と専門家の関係を考える上で重要な点である。また、仮に世論の圧力に押されて命令を出したとするならば、行政過程が歪められたことになってしまう。

Il est pourtant regrettable que les dirigeants métropolitains aient renoncé à fournir des explications adéquates au cours de cette procédure. En effet, la question de savoir qui a pris l’initiative de la décision, et en particulier si la gouverneure Koike a participé activement ou si elle est restée dans une position passive, est un élément important pour analyser la relation entre les politiciens et les experts dans la crise sanitaire. En outre, si l’ordre a été émis sous la pression de l’opinion publique, force est d’admettre que le processus administratif a été faussé.

結局、裁判官が都知事らの証人採用を拒否したために、これらの疑問は解消されないままであった。法治国の原理からは、単に行政行為の客観的な違法性を判定するだけでなく、決定に至るプロセスの妥当性も吟味する必要がある。裁判官がこの必要性を軽視したことは残念であったが、政治家や公務員を世論の批判から守るためには仕方のないことであろうか。

Finalement, ces questions sont restées en suspens, car les juges ont refusé de convoquer les principaux acteurs comme témoins. Or le principe de l’État de droit exige non seulement de déterminer l’illégalité objective d’un acte administratif, mais aussi d’examiner la fiabilité du processus qui a conduit à la décision. Il est dommage que le pouvoir judiciaire n’ait pas fait preuve de ce principe dans cette affaire, mais peut-être était-ce inévitable afin de protéger la gouverneure et ses agents de la critique publique ?

その後、グローバルダイニング社は判決を不服として控訴したが、その後、控訴を取り下げたことから、判決は確定した。コロナ危機もようやく収束したことから、今後、更なる訴訟が提起されることもなさそうである。皮肉なことに、日本は行政法の発展の機会を失ったとも言えるだろう。

Par la suite, seul « Global Dining » a fait un appel de cette décision, mais l’a ensuite retiré, ce qui signifie que le jugement est devenu définitif. La crise de Corona étant enfin maîtrisée, il semble peu probable que d’autres actions en justice soient intentées à l’avenir. Ce qui semble un peu ironique pour nous, les publicistes japonais, car en maîtrisant d’une manière satisfaisante cette crise, le Japon a en même temps perdu une précieuse occasion de développer son droit administratif.

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Covid-19

[Doctrine] Contamination par la Covid-19 dans un contexte médical : l’intervention de l’Oniam (Office national d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux et d’infections nosocomiales et affections iatrogènes)

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N6264BZZ

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par Olivier Gout, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Doyen de la Faculté de droit

Le 26 Juillet 2023

Par hypothèse, les milieux ou environnements médicaux sont des lieux propices pour contracter de nouvelles maladies. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer.

D’abord, parce que ce sont des lieux collectifs qui peuvent concentrer une population importante, à l’image des transports en commun, des universités, des écoles, des salles de cinéma ou de théâtre ou encore des prisons. Un brassage plus important de la population augmente incontestablement le risque de contamination. C’est mathématique.

Ensuite, parce que les établissements médicaux accueillent des patients porteurs de maladies contagieuses, dont la Covid-19. Il est donc plus probable de rencontrer le virus dans un établissement de soins que dans un autre lieu. De surcroît, les patients qui fréquentent les établissements de soins pour des raisons médicales, et donc porteurs d’une pathologie quelconque, sont par hypothèse affaiblis, fragilisés par leur état de santé. À ce titre, ils sont sans doute plus susceptibles que d’autres de contracter des bactéries ou virus et donc la Covid-19, leur système immunitaire pouvant être affaibli. Si aujourd’hui, en France, les établissements de soins sont les rares lieux où le port du masque reste obligatoire et n’a jamais cessé de l’être, ce n’est pas le fruit du hasard. Pour donner un ordre de grandeur, Santé publique France recensait plus de 44 000 cas de Covid-19 contractés au sein d’établissement de santé entre janvier 2020 et le 14 février 2021 [1].

Quid alors de l’indemnisation d’une personne ayant été contaminée par la Covid-19 dans un contexte médical ? Peut-elle obtenir réparation ? Si oui, en agissant contre qui ?

Avant d’y répondre, qu’il soit permis de rappeler le modèle français du droit de l’indemnisation pour les dommages causés dans un contexte médical en raison de son caractère assez atypique dans l’environnement international.

Le modèle qui s’applique est celui résultant de la loi n° 2002-303 dite « Kouchner », du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : O3700A9W. Il repose sur un subtil équilibre alternant responsabilité et solidarité [2]. Le jeu de cette complémentarité s’exprime notamment par le fait que la solidarité prend parfois le relai de la responsabilité.

Plus précisément, et en privilégiant une approche pédagogique, deux situations doivent être distinguées.  Soit le dommage allégué par une victime engage la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé : dans ce cas, la victime est tenue de la mettre en œuvre. Soit le dommage n’engage aucune responsabilité : dans ce cas la victime n’est pas pour autant démunie, elle pourra formuler une demande d’indemnisation auprès d’une structure que l’on appelle l’Oniam, l’Office nationale des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales, qui est un fonds d’indemnisation. Pour dire les choses autrement, si la loi dite « Kouchner », du 4 mars 2002, précitée N° Lexbase : O3700A9W pose le principe d’une responsabilité médicale pour faute [3], la victime pourra, en l’absence de faute du corps médicale, s’adresser à un fonds d’indemnisation pour la prise en charge de ses dommages [4].

Ceci étant rappelé, et toujours pour la clarté du propos, il n’est pas inutile de s’arrêter sur la terminologie, et en particulier sur ce qu’il convient d’entendre par accident médical, affection iatrogène ou une infection nosocomiale [5].

Un accident médical est une formule générique qui recouvre les différentes hypothèses dans lesquelles un dommage corporel (aggravation de l’état du patient, décès) survient dans le cadre de l’activité médicale. Notion large et compréhensive, l’accident médical vise aussi bien les conséquences de l’abstention que de l’action médical. L’accident médical peut donc être défini comme un événement entraînant des conséquences dommageables, qu’il soit iatrogène (dû à une activité médicale) ou qu’il résulte de la non-réalisation d’un soin nécessaire (abstention).

L’affection iatrogène s’entend des conséquences négatives d’une action médicale positive, excluant les abstentions d’agir. Ces actions iatrogènes vont des effets indésirables les plus bénins et les mieux acceptés, aux plus graves. Les événements iatrogènes graves sont ceux qui entraînent des conséquences hors de proportion avec l’état de santé antérieur du patient. Cette affection est directement liée au traitement délivré. Un traitement médical délivré [6] peut ainsi donner des prises à la mobilisation de l’Oniam dans la mesure que nous évoquerons plus loin.

Quant à l’infection nosocomiale, il s’agit d’une catégorie particulière d’accident médical. C’est une infection acquise à l’hôpital, définie comme toute maladie provoquée par des micro-organismes et contractée dans un établissement de soins par un patient ; elle apparaît au cours ou à la suite d’une hospitalisation alors qu’elle était absente lors de l’admission à l’hôpital.

Le fait de contracter la Covid-19 au sein d’un établissement de santé se rattache à cette dernière situation. On a même pu parler de la « Covid-19-nosocomiale » à propos de laquelle il n’y a pas aujourd’hui, à notre connaissance, de jurisprudence spécifique.

Plusieurs raisons peuvent expliquer le fait qu’un patient contracte une infection nosocomiale, outre celles évoquées, en commençant cet exposé : cela peut résulter d’une faute d’un établissement de santé qui n’a pas pris toutes les précautions nécessaires pour prévenir cette infection. Mais cela peut arriver alors même qu’un établissement de santé a fait diligence pour prévenir pareille situation.

Quoi qu’il en soit, des règles spécifiques existent aujourd’hui, s’agissant de la prise en charge de la victime d’une infection nosocomiales. Ce sont ces règles que nous allons envisager ensemble en évoquant les hypothèses d’intervention de l’Oniam (I.) et l’exercice de la saisine de l’Oniam (II.).

Notons à titre liminaire que l’Oniam peut également intervenir dans un tout autre contexte, celui tenant à la vaccination contre la Covid-19 [7]. Les domaines d’intervention de l’Oniam n’ont en effet cessé de s’accroître ces dernières années.

I. Hypothèses de saisines de l’Oniam

En l’état actuel des textes, l’Oniam peut être appelé à intervenir dans deux hypothèses différentes pour indemniser une victime ayant contracté une Covid-nosocomiale. La première hypothèse est marginale. Elle se rencontre lorsqu’un établissement de soins parvient à établir qu’il n’est pas responsable de l’infection contractée par la victime : il s’agit d’une intervention à titre subsidiaire (A.). La seconde, à titre principal, reste toutefois également marginale en raison de la nécessité d’établir un seuil de gravité du dommage consécutif à l’infection nosocomiale (B.).

A. Une intervention à titre subsidiaire

La première hypothèse est celle qui résulte de l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH. Selon ce texte, lorsque la victime n’est pas en mesure de réclamer la réparation de son dommage à un responsable, tout particulièrement à un établissement de santé si l’on s’en tient à notre sujet d’intervention, elle bénéficie de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale lorsque le dommage subi correspond aux critères généraux de compétence de l’Oniam.

La compétence de l’Oniam est donc ici une compétence subsidiaire soumise à la condition préalable négative de l’absence de responsabilité civile ou administrative d’un acteur de santé [8].

Tel est le cas lorsque la victime n’est pas en mesure de rapporter la preuve de la faute d’un médecin. Tel est le cas également lorsqu’un établissement de santé, sur lequel pèse une responsabilité de plein droit, s’est exonéré par la preuve étrangère. En effet, aux termes de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH, « les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère [9] ».

Il en résulte qu’une forte majorité des infections nosocomiales donnent lieu à des offres d’indemnisation amiable proposées par les établissements de soins. Selon un rapport de la CNaMed [10], un peu plus de trois quarts des infections nosocomiales relèvent de la responsabilité. Il faut en effet savoir que la cause étrangère visée par l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH permettant à l’établissement de soin d’échapper à sa responsabilité est particulièrement complexe à établir, puisque la vulnérabilité ou les prédispositions de la victime ne sauraient constituer une telle cause d’extériorité si l’on s’en remet à la jurisprudence [11]. L’extériorité fait également défaut pour les infections exogènes et environnementales, dès lors que les germes à l’origine de l’infection sont internes à la sphère d’activité de l’établissement [12].

Mais si par extraordinaire un établissement de soins parvient à s’exonérer de sa responsabilité, la solidarité nationale prendra le relai, l’Oniam pouvant en effet être sollicitée pour indemniser la victime.

Dans ce cas, il conviendra alors d’appliquer l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH, conditionnant l’indemnisation à l’hypothèse où l’infection est directement imputable à des actes de prévention de diagnostic ou de soins, et où elle a eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci, et qu’elle présente un caractère de gravité fixé par décret. Ce texte est celui qui joue pour tous les cas d’ouverture de la solidarité nationale, c’est-à-dire à côté des infections nosocomiales qui nous intéressent, aux affections iatrogènes et aux accidents médicaux.

Il importe de souligner que l’accès à l’Oniam est assez limité, les textes subordonnant l’indemnisation à des conditions assez strictes.

C’est un décret n° 2003-314, du 4 avril 2003, relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales [13] N° Lexbase : L7906BBG qui fixe quatre critères de gravité.

Le premier est le taux d’APIPP (Atteinte permanente à l'intégrité physique et/ou psychique) qui est fixé à 24 %. Le droit à réparation est ouvert aux victimes dont le taux d’APIPP est supérieur à 24 %, ce qui correspond à des lésions très graves. Ce taux de 24 % correspond à l’étendue de la diminution des aptitudes de la personne à la suite de lésions corporelles.

Le deuxième critère retenu est l’arrêt temporaire des activités professionnelles et les gênes temporaires sont constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire. Ainsi, une infection nosocomiale présente également le caractère de gravité exigé par la loi lorsque la durée du déficit fonctionnel temporaire total ou partiel résultant de l’infection est au moins égale à six mois consécutifs, ou six mois non consécutifs sur une période de douze mois.

Enfin, à titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être également reconnu lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l’activité professionnelle qu’elle exerçait avant la survivance de l’infection nosocomiale, ou lorsque l’infection occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique dans ses conditions d’existence (CSP, art. D. 1142-1 N° Lexbase : L2332IP3).

Le domaine d’intervention de l’Oniam est donc déterminé par des critères dont la simplicité de mise en œuvre n’est pas la première qualité…

La raison d’être de ce seuil de gravité est très clairement de restreindre le recours à la solidarité nationale afin de limiter le coût de l’indemnisation pour ne pas grever trop lourdement les finances publiques. Le législateur a en effet souhaité privilégier la réparation des dommages les plus insupportables pour ne faire bénéficier du dispositif d’indemnisation que les victimes les plus gravement atteintes.

Cela procède d’un choix politique qui s’intègre dans le cadre d’une politique publique de mutualisation d’un risque sociale. S’il est tout à fait compréhensible de fixer des limites à un système d’indemnisation fondé sur la solidarité de la collectivité, c’est cependant un seuil élevé qui a été retenu, ce qui évince du champ du dispositif légale la majorité des victimes.

Ceci étant dit, l’intervention de l’Oniam dans le contexte ici évoqué sera des plus marginales, pour ne pas dire un cas d’école, puisque dès que le seuil de gravité du dommage dépassera 25 %, c’est-à-dire un pourcent de plus de ce qui est exigé par l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH, on entrera dans un dispositif conduisant l’Oniam à intervenir à titre principal.

B. Une intervention à titre principal

Sous la pression des assureurs, qui cherchaient à être déchargés de la lourde charge financière de l’indemnisation des infections les plus graves pesant sur les établissements de soins, l’article premier de loi n° 2002-1577, du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale N° Lexbase : L9375A8Q a supprimé presque tout intérêt au recours à l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L4432DLQ et introduit un nouvel article L. 1142-1, II dans le Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH.

Selon ce texte, les dommages résultant d’infections nosocomiales contractées dans un établissement, service ou organisme intervenant en matière de santé « correspondant à un taux d’incapacité permanente supérieur à 25 % ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale. Il en est de même en cas de décès du patient ».

Dès lors, depuis cette loi n° 2002-1577 de décembre 2002, précitée N° Lexbase : L9375A8Q, les infections nosocomiales relèvent de la solidarité nationale lorsque les conditions légales tenant notamment au seuil de gravité du dommage sont satisfaites. Le législateur a ainsi souhaité transférer la charge de cette indemnisation à l’Oniam, établissant ainsi une répartition distributive de la réparation en matière d’infections nosocomiales entre la solidarité et l’assurance. Pour les dommages dont le seuil de gravité est égal ou inférieur à 25 %, ce sont les assureurs des établissements de santé qui indemniseront les victimes, en vertu de la responsabilité de plein droit que nous évoquions précédemment. Pour les dommages dont le seuil de gravité est supérieur à 25 %, l’Oniam sera compétent. L’Office n’intervient plus en raison de la cause du dommage mais de leur gravité. Il a ainsi été clairement affirmé par les juridictions françaises que l’Oniam doit indemniser la victime sans pouvoir arguer de la responsabilité d’un établissement de santé [14].

Ce dispositif conduit à formuler au moins deux observations.

La première tient au fait qu’il sera le plus souvent extrêmement compliqué pour les victimes de la Covid-19 de prétendre à la solidarité nationale dans la mesure où les symptômes sont heureusement pour la plupart assez rarement sérieux, ou du moins dépasseront difficilement le seuil de ces 25 %. Le taux de 25 % correspond à un handicap assez lourd dans les faits (perte d’une jambe, d’un bras, ou traumatisme très grave). Si les cas de contamination sont nombreux dans les établissements de soins, la plupart des victimes devraient donc passer sous les radars de la solidarité nationale, sauf si un variant se révélait bien plus dangereux dans les mois ou années à venir. On ne saurait toutefois ignorer les décès résultant de ce virus, tout particulièrement chez les patients âgés ou chez ceux souffrant de facteurs de comorbidité, c’est-à-dire de maladies graves rendant le malade plus vulnérable, justifiant alors une indemnisation. Les concernant, l’hypothèse d’indemnisation des ayants droit paraît plus probable.

La seconde observation, que l’on peut formuler sous forme d’interrogation, est de se demander si malgré un comportement fautif, l’établissement de soins doit pouvoir échapper à toute responsabilité. À vrai dire, il convient de noter que la loi envisage un recours de l’Oniam contre l’établissement de santé pour faute prouvée [15]. La solution paraît légitime. Mais peut-on aller plus loin et envisager une action de la victime contre l’établissement de soins ? Le législateur n’a sans doute pas vu l’intérêt pour une victime disposant d’un droit à réparation automatique, de préférer une action en responsabilité pour faute. Ceci étant dit, la Cour de cassation est venue corriger le dispositif sur ce point en permettant à la victime de l’infection nosocomiale d’envisager une responsabilité pour faute de l’établissement de santé plutôt que de solliciter la solidarité nationale [16]. La solution paraît heureuse car la responsabilité civile revêt aussi une fonction préventive qui ne saurait être ignorée.

On pourrait ainsi imaginer qu’un établissement de soins qui ne pratique pas de test PCR avant hospitalisation, qui ne propose aucun message de prévention, qui ne contrôle pas le port du masque obligatoire, qui ne met pas de gel hydroalcoolique à disposition dans son enceinte, aurait un comportement fautif de nature à permettre d’engager sa responsabilité. L’ensemble des mesures que nous venons d’évoquer et qui sont destinées à éviter la propagation de la Covid-19 sont en effet prescrites par les autorités de santé.

II. L’exercice de l’action en indemnisation auprès de l’ONIAM

Il ne s’agit pas d’évoquer ici la procédure qui implique la saisine préalable d’une commission, la commission de conciliation et d’indemnisation. Seules les questions de fond retiendront notre attention, ou du moins certaines questions de fond, celles nous paraissant les plus importantes.

Pour mettre en œuvre la solidarité nationale dans l’hypothèse d’une infection à la Covid-19 dans un établissement de soins, il convient de satisfaire à plusieurs conditions. Nous ne reviendrons pas sur celle relative au seuil de gravité du dommage que nous avons déjà évoquée. En revanche, nous nous attarderons sur la question de la preuve de l’infection nosocomiale (A.) et de l’état antérieur de la victime qui méritent l’une et l’autre certaines précisions (B.). 

A. La preuve de l’infection nosocomiale

Un premier débat pourra s’engager sur le terrain de la preuve de l’infection nosocomiale. À vrai dire, il y a deux discussions possibles à ce stade. Qu’entend-on tout d’abord par infection nosocomiale, une hésitation sur sa qualification pouvant exister, et surtout comment établir que l’infection a bien été contractée dans un établissement de soins, afin de pouvoir actionner le dispositif de la solidarité nationale ?

Le dictionnaire de l’Académie nationale de médecine définit l’infection nosocomiale comme « une infection contractée par un malade à l’occasion de soins reçus dans un établissement hospitalier ou en dehors de celui-ci, sans préjuger de la qualité du soignant ». Si l’on cherche une définition juridique, il importe de se reporter à l’article R. 6111-6 du Code de la santé publique N° Lexbase : L3664INZ qui vise quant à lui « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé ».

Plus généralement, le flou de cette notion a conduit la jurisprudence à devoir en affiner les contours, aux termes de solutions ayant un intérêt particulier dans le cadre de la Covid.

Il importe ainsi de rappeler, en premier lieu, l’éviction de la distinction des infections exogènes et endogènes, comme l’avait rappelé notre collègue Stéphanie Porchy-Simon lors de son intervention au précédent séminaire à laquelle nous renvoyons [17]. Ce débat, qui avait pu opposer le Conseil d’État et la Cour de cassation, n’existe plus depuis 2011, le Conseil d’État ayant rejoint sur ce point la Cour de cassation [18].

L’important, pour que l’infection soit qualifiée de nosocomiale, tient au fait que celle-ci doit présenter un lien avec l’hospitalisation. En ce sens, le Conseil d’État a affirmé, dans une décision de principe du 21 juin 2013, que l’infection nosocomiale est celle « survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation [19] » lors de celle-ci, tout en admettant la possibilité d’une preuve contraire à partir d’un arrêt du 23 mars 2018 [20].

L’appréciation du caractère nosocomial repose donc sur des critères de lieux et de durée [21].

S’agissant du lieu, la question qui importe est d’abord celle de la qualification d’établissement de soins au sens de la loi. Avant la loi n° 2002-303 dite « Kouchner », du 4 mars 2002, précitée N° Lexbase : O3700A9W, il avait été admis qu’une infection nosocomiale pouvait être contractée dans un cabinet médical [22]. Il n’est pas certain que cette solution continue de s’appliquer [23]. Quoi qu’il en soit, il existe aujourd’hui un débat sur le point de savoir si les EHPAD, les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, peuvent être qualifiés d’établissements de soins. Dans la mesure où ils délivrent des prestations de santé, la question est aujourd’hui posée, sans qu’une réponse des tribunaux n’ait été donnée. Mais on peut imaginer qu’elle devra être tranchée dans les mois à venir.

Quant à la durée de l’incubation, il s’agit d’un élément qui paraît fondamental puisqu’un laps de temps est généralement requis entre l’hospitalisation et les premiers symptômes, délai qui doit être apprécié au cas par cas selon le type de germe en cause, étant entendu que le délai d’incubation peut également varier selon la personne. Comme il a en effet été relevé, dans des périodes d’épidémie généralisée et de grande ampleur, la certitude que la maladie a été contractée au sein de l’établissement de soins et que l’intéressé n’était pas déjà malade lors de son admission, peut poser des difficultés [24].

Dans le cas de l’infection par la Covid, c’est en pratique la durée du délai d’incubation qui conditionnera le plus souvent la qualification d’infection nosocomiale.

Dans la mesure où il incombe à la victime de prouver le caractère nosocomial de l’infection, il est possible pour cette dernière de se prévaloir d’un test PCR négatif. Mais certaines difficultés peuvent persister. On sait en effet qu’il existe des cas de faux négatifs. De surcroît, et tout particulièrement en début de pandémie, il paraissait impossible en raison de l’inexistence de ces tests de pouvoir se prévaloir d’un élément de preuve de ce type. Par ailleurs, les hospitalisations non programmées, c’est-à-dire en urgence, ne permettent pas de se préconstituer une preuve.

Pour ces raisons, une note de la commission nationale des accidents médicaux (CNaMed) [25] relative à la Covid-19 nous renseigne assez précisément sur ce point et pourra se révéler d’un précieux secours pour trancher la difficulté qui nous préoccupe [26]. Cette commission considère ainsi que, depuis la mi-janvier 2022, ce sont les variants Omicron qui circulent en France, avec une période d’incubation plus courte que les précédents. Elle est actuellement comprise en moyenne entre deux et quatre jours (au lieu de cinq à sept jours) [27].

Ainsi, lorsque les premiers symptômes sont apparus après l’entrée à l’hôpital, le fait que la contamination, avec un variant Omicron, soit intervenue à l’hôpital est improbable si le délai est inférieur à deux jours, vraisemblable si le délai est de deux à cinq jours, certaine si le délai est supérieur à cinq jours.

Lorsque les premiers symptômes sont apparus après le départ de l'hôpital, le fait que la contamination soit intervenue à l'hôpital est certaine si le délai est de moins de deux jours, vraisemblable si le délai est de deux à cinq jours, improbable si le délai est supérieur cinq jours.

Comme le précise la CNaMed dans sa note, ces chiffres sont toutefois susceptibles de changer au gré des variants pour lesquels les périodes d’incubation peuvent évoluer, risquant donc de poser de réelles difficultés de qualification et d’identification du régime de la réparation.

Rappelons également que, dans l’hypothèse d’un patient pris en charge successivement dans plusieurs établissements pouvant conduire à un doute sur la structure au sein de laquelle la Covid a été contractée, la jurisprudence pourrait mobiliser à nouveau la théorie dite de la causalité alternative, déjà mise en œuvre dans le cas des infections nosocomiales [28].

B. L’incidence de l’état antérieur

C’est une question récurrente en droit de l’indemnisation du dommage corporel, qui dépasse largement le cadre de notre étude mais qui présente un intérêt particulier à propos de la Covid-19.

Il est possible, une nouvelle fois, de nous appuyer sur une étude dont les éléments avaient déjà été présentés lors du premier séminaire [29].

Une grande part des malades ayant gardé de graves séquelles ou étant décédés à la suite de l’infection par la Covid-19, présentait en effet des facteurs de risques liés notamment à l’âge, au surpoids, ou des facteurs de comorbidité. Les études menées par le groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE, constitué par la Cnam et l’ANSM, ont notamment démontré le rôle majeur de l’âge. Ainsi, lors de la première vague, « par rapport aux 40-44 ans, le risque d’hospitalisation est doublé chez les 60-64 ans, triplé chez les 70-74 ans, multiplié par [six] chez les 80-84 ans et par [douze] chez les 90 ans et plus. L’association est encore plus marquée pour le risque de décès avec, par rapport aux 40-44 ans, un risque multiplié par [douze] chez les 60-64 ans, par [trente] chez les 70-74 ans, par [cent] chez les 80-84 ans et par presque [trois cents] chez les 90 ans et plus [30] », le même constat ayant été réalisé lors de la deuxième vague. Les maladies préexistantes ont également joué un rôle majeur, dont notamment, aux termes de l’étude réalisée lors de la deuxième vague, la trisomie 21 (risque multiplié par dix pour l’hospitalisation et vingt-huit pour le décès), le retard mental (risque multiplié par quatre pour l’hospitalisation et six pour le décès), une transplantation rénale préalable (risque multiplié par cinq pour l’hospitalisation et  six pour le décès), ou du poumon (risque multiplié par quatre pour l’hospitalisation et douze pour le décès), la mucoviscidose (risque multiplié par deux fois et demie pour l’hospitalisation), ou une insuffisance rénale en dialyse (risque multiplié par trois fois et demie pour l’hospitalisation et trois pour le décès) [31].

L’état antérieur paraît donc important, pour ne pas dire déterminant, pour mesurer l’indemnisation de la victime. Il convient en effet seulement d’indemniser les dommages imputables à la contraction de la Covid-19 et non l’état de santé initial du patient. De plus, il est crucial de bien différencier, en cas de décès, le patient décédé du Covid, du patient décédé avec la Covid- 19 en raison d’une pathologie.

La solidarité nationale n’a pas pour objectif d’indemniser les conséquences de la pathologie initiale du patient, mais d’indemniser les conséquences de l’infections nosocomiales.

Comment, dès lors, appréhender juridiquement cette réalité des états antérieurs ?

Il n’est pas inutile de bien distinguer l’état antérieur et les prédispositions de la victime. L’état antérieur, qui peut être connu ou pas par la victime lors de l’infection, n’a pas forcément d’incidence sur le fait de contracter ou pas une infection. En revanche, les prédispositions relèvent quant à elles du terrain à développer une pathologie donnée et peuvent être définies comme « toute particularité génétique, physiologique ou comportementale de nature à influer sur le risque de dommage [32] ».

L’indemnisation doit-elle alors prendre en considération ces situations ? Selon une jurisprudence aujourd’hui célèbre, « le droit de la victime à obtenir indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique, lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable [33] ».

Cette décision n’interdit toutefois pas de prendre en considération l’état antérieur de la victime afin d’évaluer des préjudices, l’indemnisation devant être strictement imputable aux conséquences de l’infection nosocomiales. Si l’état de santé de la victime est imputable à sa pathologie initiale et non à l’infection nosocomiale, la victime peut ne percevoir qu’une partie de l’indemnisation [34]. La création d’un fonds d’indemnisation pour les infections nosocomiales a pour but d’indemniser les conséquences strictement imputables au dommage, et non la pathologie initiale de la victime. Dans ces cas, les tribunaux pourront recourir à la technique de la perte de chance lorsqu’une infection nosocomiale compromet les chances d’un patient d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation [35]. Si les conséquences de la contamination à la Covid-19 ne sont responsables que d’une partie de l’état de santé actuel de la victime en raison d’un lourd état antérieur, l’indemnisation pourra être limitée à ce titre.

Mais dans le même temps, comment refuser ou limiter une indemnisation à une victime ou ses ayants droit au motif que son âge, son diabète favorisent les formes graves ? En l’absence de Covid-19, une victime aurait pu continuer à vivre plusieurs années. Refuser une indemnisation à des ayants droit au motif que la victime est décédée à soixante-quinze ans de la Covid-19 est-il raisonnable, alors qu’on indemnisera sans hésiter une victime plus jeune qui n’avait pas de facteurs de prédisposition ?

Ces développements montrent toute la difficulté de trouver le juste milieu pour indemniser les victimes souffrant d’un état antérieur. Mais comme on l’a dit, la question n’est pas spécifique à la Covid-19 et la solution est le fruit d’un choix politique. Dès lors que l’on accepte d’indemniser l’accident médical non fautif, c’est-à-dire l’aléa thérapeutique qui, par hypothèse, ne permet pas de dégager une responsabilité quelconque, si ce n’est la faute à « pas de chance », on mesure que le choix qui est fait par le législateur dépasse largement les seules considérations juridiques.

 

[1] Site de Santé publique France, Signalement d’infections à SARS-CoV-2 nosocomiales. Mars 2020 – Février 2022, Point au 24 février 2022 [en ligne].

[2] V. par ex. M. Bacache, Réparation de l’accident médical : la solidarité nationale au secours de la responsabilité civile, D., 2010, chron., 1119 et s.

[3] CSP, art. L. 1142-1, I, al. 1er N° Lexbase : L1910IEH.

[4] CSP, art. L. 1142-1, II, al. 1er N° Lexbase : L1910IEH.

[5] Nous évoquerons ici la clarification qu’à tenter d’opérer la CNaMed.

[6] Comme un médicament ayant des effets indésirables.

[7] V. sur ce point : J. Knetsch, Perspectives d’un fonds d’indemnisation spécifique pour les dommages vaccinaux.

[8] Sur la question, v. : M. Bacache-Gibeili, Traité de droit civil, La responsabilité civile extracontractuelle, n° 836.

[9] Ce texte déroge ainsi à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH qui dispose que : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ».

[10] Ce rapport, rendu en 2013, est certes ancien, mais il s’agit du dernier dont nous disposons : [en ligne].

[11] V. par ex. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-69. 151, F-P+B+I N° Lexbase : A5815E3R ; CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 10 octobre 2011, n° 328500, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7422HYK.

[12] Cass. civ. 1, 18 février 2009, n° 08-15. 979, FS-P+B N° Lexbase : A2732EDK : RDSS, 359, obs. A. Vignaon-Barralut ; RTD civ., 2009, p. 543, obs. P. Jourdain ; CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 17 février 2012, n° 342366, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8545ICH : AJDA, 2012, p. 16665, étude H. Belrahali-Bernard ; Cass. civ. 1, 14 avril 2016, n° 14-23.909, FS-P+B N° Lexbase : A6889RIY : JCP, 2016, n° 1117, n° 9, obs. Ph. Stoffel-Munck.

[13] V. CSP, art. D. 1142-1 N° Lexbase : L2332IP3.

[14] CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 21 mars 2011, n° 334501, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5755HIY : Gaz. Pal., 3 et 4 août 2011, p. 11, note C. Laterro ; RTD civ., 2011, 555 obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-20. 433, FS-P+B N° Lexbase : A1988KH4 : p 1, n° 133.

[15] CSP, art L. 1142-17, dernier al. N° Lexbase : L4429DLM.

[16] Cass. civ. 1, 28 septembre 2016, n° 15-16. 117, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2310R4C : D., 2016, 2347, note Bacache D. 201724 ; obs. O. Gout.

[17] S. Porchy-Simon, Colloque « Covid-19 et droit de l’indemnisation » : la responsabilité médicale appliquée au traitement des malades de la Covid, Cahiers Louis Josserand, juillet 2022 N° Lexbase : N2393BZN.

[18] CE, 10 octobre 2011 : O. Gout, D., 2012, 55 ; AJDA, 2011, 1926  ; D. Cristol, RDsan. et soc., 2011, 1158. V.  ant. CE, 11 février 2011 : A. Arnaud et D. Cristol, RDsan. et soc., 2011, 553, admettant une présomption de caractère exogène du germe.

[19] CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 21 juin 2013, n° 347450, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2090KHU : C. Lantero, AJDA, 2013, 2171 ; CE, 4e-5e ch. réunies, 8 juin 2017, n° 394715 N° Lexbase : A6116WKQ ; CE, 4e-5e ch. réunies, 30 juin 2017, n° 401497, mentionné au tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1794WLZ. V. également sur le rôle de l’expert : B. Gachot et P. Corita, Le risque médico-judiciaire des infections nosocomiales, Méd. et droit, 2019, n° 159, p. 137 ; M. Le Coq et alii, Pourquoi le diagnostic d’infection nosocomiale est-il si difficile à poser en expertise ?, RFDC, 2021-3, p. 297.

[20] CE sect., 23 mars 2018, n° 402237 N° Lexbase : A8527XHB ; L. Marion, AJDA, 2018, 1230 ; D., 2018, 674. Cette solution a été récemment reprise par CE, 5e-6e ch. réunies, 1er février 2022, n° 440852, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A12737LQ.

[21] V. encore S. Porchy-Simon, article précité, N° Lexbase : N2393BZN.

[22] Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-21.903 N° Lexbase : A7452AHH.

[23] V. Cons. const., décision n° 2016-531 QPC, du 1er avril 2016 N° Lexbase : A7045RA8.

[24] S. Porchy-Simon, art. précité, N° Lexbase : N2393BZN.

[25] Cette commission est une instance indépendante placée auprès des ministres chargés de la Justice et de la Santé, et qui a été créée par la loi n° 2002-303 dite « Kouchner », du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : O3700A9W. Cette commission a diverses missions dont celle de rédiger des rapports et de formuler des propositions visant à une application homogène des dispositifs d’indemnisation issues de la loi.

[28] Cass. civ. 1, 3  mai 2018, n° 17-13.561, FS-P+B N° Lexbase : A4382XMA : D., 2018, 1017 ; Ch. Quezel-Ambrunaz, La fiction de la causalité alternative, D., 2010, 1162 ; Cass. civ. 1, 17  juin 2010 : O.  Gout,  JCP, 2010, 870 ; C. Bonnin, La reconnaissance de la condamnation in solidum pour les infections nosocomiales, D., 2011, p. 283.

[29] S. Porchy-Simon, art. précité, N° Lexbase : N2393BZN.

[30] Maladies chroniques, états de santé et risque d'hospitalisation et de décès hospitalier pour COVID-19 lors de la première vague de l’épidémie en France : Étude de cohorte de 66 millions de personnes, 9 février 2021 ; Étude sur les facteurs de risques d’hospitalisation et de décès pour Covid 19 lors de la deuxième vague de 2020, consultables  : [en ligne].

[31] Étude précitée [en ligne].

[32] S. Hocquet-Berg, Les prédispositions de la victime, Mélanges H. Groutel, Litec, 2006, p. 169.

[33] V. par ex. : Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 15-24.541, F-D N° Lexbase : A7112R48 ; Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 18-24.095, FS-P+B+I N° Lexbase : A06753MX ; et surtout v. : Cass. civ. 1, 6 avril 2022, n° 20-18.513, F-B N° Lexbase : A32187SY dans le cas particulier d’une infection nosocomiale.

[34] CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 12 mars 2014, n° 358111, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9171MGR.

[35] V. par ex. : CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 17 février 2012, n° 342366, mentionnée aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8545ICH.

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Covid-19

[Doctrine] La prise en charge par des fonds d’indemnisation des dommages liés à la vaccination contre la Covid-19

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N6281BZN

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par Jonas Knetsch, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 26 Juillet 2023

Alors que nous avons laissé dernière nous la phase aigüe de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 [1], l’heure est désormais au bilan des mesures prises par les autorités publiques pour limiter les conséquences sanitaires, sociales et économiques de la pandémie sur le territoire français [2]. Les juristes sont, eux aussi, associés à cet effort de rétrospection et la Cour de cassation se prononce désormais régulièrement sur des questions de droit liées à la crise sanitaire de 2020-2022 en n’hésitant pas à faire évoluer le droit sur des aspects qui dépassent bien souvent le seul contexte pandémique [3]. De manière plus générale, bien que l’on puisse percevoir – comme ailleurs dans la société – une volonté de la part des juristes de « tourner la page », il est fort probable que les effets de la crise sanitaire demeurent un sujet de préoccupation dans de nombreuses branches du droit.

Lors de la publication de la première partie de notre étude en juillet 2022 [4], la campagne de vaccination contre la Covid-19 avait déjà donné lieu à des résultats très positifs. Désormais, près de 38 millions de personnes en France ont reçu les trois doses de vaccin [5], auxquelles s’ajoutent ceux qui, du fait de leur état de santé ou de leur âge, se sont vu injecter une quatrième, voire une cinquième dose, conformément aux recommandations des autorités sanitaires [6]. À l’échelle de l’Union européenne, près de 942 millions de doses des vaccins Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca et Janssen ont été administrées [7]. Contrairement à ce que certains redoutaient, les effets secondaires graves sont rares au sein de la population vaccinée et rien ne laisse penser à l’heure actuelle que les vaccins autorisés dans l’Union européenne puissent provoquer des effets néfastes à moyen ou long terme sur la santé des personnes vaccinées.

Pour autant, l’on ne saurait passer sous silence les effets indésirables attribués au vaccin. Selon les statistiques communiquées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), près de 194 000 effets indésirables ont été déclarés sur un total de 156 millions d’injections [8]. L’écrasante majorité d’entre eux sont « attendus et non graves », mais des « signaux confirmés » sont rapportés pour l’hypertension artérielle, la myocardite ou péricardite et des saignements menstruels importants, lesquels s’ajoutent à une dizaine d’autres effets déjà sous surveillance, dont on ignore encore le lien (ou l’absence de lien) avec la vaccination [9]. Ces effets indésirables, à condition que l’on puisse les imputer à la vaccination contre la Covid-19 et qu’ils provoquent des conséquences préjudiciables, soulèvent dès lors l’indemnisation des personnes concernées.

Alors que, dans la première partie de cette étude, nous faisions état des différents régimes de responsabilité qui pouvaient être invoqués pour obtenir une indemnisation complémentaire à la prise en charge par l’assurance-maladie, il nous paraît indispensable d’aborder plus en détail les dispositifs d’indemnisation qui sont détachés des mécanismes de responsabilité. Il s’agira en particulier d’étudier les régimes relevant d’un fonds d’indemnisation et, en particulier, ceux mis en œuvre par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), lequel avait été désigné par le ministre de la Santé comme le débiteur d’une réparation intégrale des accidents médicaux imputables à la campagne de vaccination.

L’objectif des autorités publiques était alors de rassurer les professionnels de santé afin d’obtenir leur concours dans le déploiement de la campagne vaccinale et, pour cela, de soustraire à la responsabilité médicale les demandes de réparation liées à la survenance d’effets secondaires graves qui auraient pu être évités.

Cette volonté de transférer à des mécanismes de solidarité l’indemnisation des victimes de dommages liés à la vaccination contre la Covid-19 se confirme lorsque l’on étudie les solutions adoptées à l’échelle européenne et internationale. Les conventions d’achats anticipés conclues entre la Commission européenne et les laboratoires pharmaceutiques contiennent toutes une clause de garantie qui assure aux fabricants des vaccins une couverture financière des dommages et intérêts susceptibles d’être mis à leur charge. Il en est de même pour les demandes formulées ailleurs dans le monde à la suite d’une vaccination réalisée dans le contexte du programme COVAX destiné à garantir une distribution équitable des vaccins, y compris dans les pays les moins développés.

Quelle place occupent les fonds d’indemnisation dans la prise en charge des dommages vaccinaux liés à la crise sanitaire de Covid-19, en France et ailleurs ? À quelles difficultés sont et seront confrontées les personnes s’estimant lésées pour obtenir une réparation intégrale ? Et quelles sont les potentialités de la technique des fonds d’indemnisation à l’échelle européenne et internationale ?

Pour répondre à ces interrogations, nous aborderons successivement les régimes spéciaux mis en œuvre par l’Oniam (I) et les solutions adoptées dans le contexte européen et international (II).

I. La prise en charge des dommages vaccinaux par l’Oniam

Créé par la loi du 4 mars 2002, l’Oniam est devenu au fil des années un acteur primordial en matière d’indemnisation des victimes de dommages survenus dans un contexte médical. Depuis sa création, l’Office a connu au fil des années une extension considérable de ses compétences [10] et réunit aujourd’hui en son sein une pluralité de services chargés de mettre en œuvre les quinze chefs de compétence prévus par la loi et les sept régimes d’indemnisation différents ainsi qu’autant de procédures différentes [11].

La prise en charge des dommages vaccinaux présente la particularité de relever potentiellement de trois régimes d’indemnisation différents (A) dont l’application aux effets secondaires graves des vaccins contre la Covid-19 soulève deux questions principales : l’appréciation de l’imputabilité des troubles invoqués au vaccin (B) et l’étendue de la réparation accordée aux victimes (C).

A. La diversité des régimes d’indemnisation

1) Le dommage vaccinal, un accident médical de droit commun ?

En instituant un dispositif d’indemnisation pour les accidents médicaux non fautifs, la loi du 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA a permis aux victimes de dommages résultant d’un acte de soins d’obtenir une réparation intégrale, alors même qu’aucune responsabilité pour faute d’un professionnel de santé ne peut être engagée. Rappelons en effet que l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH prévoit que « lorsque la responsabilité […] d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient […] au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret ».

Bien que peu abordés sous cet angle [12], les dommages pharmaceutiques relèvent de la compétence de droit commun de l’Oniam au même titre que les dommages résultant d’un acte de soins au sens strict. La prescription d’un médicament étant un acte médical, la législation permet de qualifier d’« accident médical » ou d’« affection iatrogène » la survenance d’effets secondaires graves d’un médicament [13]. Une personne s’estimant victime d’un dommage causé par le vaccin contre la Covid-19 pourrait donc saisir une commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) ou agir directement contre l’Oniam pour espérer une indemnisation par la solidarité nationale sur ce fondement.

La condition d’anormalité ne devrait pas susciter de difficultés majeures, les effets secondaires du vaccin pouvant être qualifiés de « conséquences anormales » au regard de l’état de santé du patient. En effet, la jurisprudence récente apprécie de manière assez large cette exigence en considérant que l’anormalité est constituée « lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement » [14]. Au regard de la typologie des effets indésirables rapportés dans les rapports publics [15], il est fort probable que cette condition ne fasse pas obstacle à une demande d’indemnisation de la part des personnes concernées.

Pour autant, il est peu probable que les troubles liés à la vaccination contre la Covid-19 puissent donner lieu à une prise en charge au titre du régime d’indemnisation de droit commun applicable aux accidents médicaux non fautifs, le principal obstacle étant le seuil de gravité qui conditionne l’accès à l’indemnisation prévue à l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH. Le caractère de gravité des conséquences anormales s’apprécie désormais au regard des critères énoncés par le décret du 19 janvier 2011. Ce texte impose au demandeur que soit établi un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur ou égal à 24 %, sauf si la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l’activité professionnelle ou que l’accident médical occasionne « des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence » [16], ce qui limite considérablement l’accès à une indemnisation sur ce fondement.

2) Le régime d’indemnisation spécifique aux vaccinations obligatoires

Le deuxième régime qui pourrait être invoqué est celui de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8875LH8 relatif aux vaccinations obligatoires. Selon ce texte, « la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par [l’Oniam] » [17].

À la différence de ce qui est prévu pour les accidents médicaux de droit commun, ce régime est mis en œuvre directement par l’Oniam sans que le demandeur ait à saisir une commission d’indemnisation au préalable [18]. C’est le service dit « des missions spécifiques » qui se prononce sur la recevabilité d’une demande fondée sur ce régime, la décision de l’office pouvant être contestée devant les juridictions administratives.

Durant la crise sanitaire, l’Oniam a été chargé de la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire contre la Covid-19, administrée en application de la loi n° 2021-1040, du 5 août 2021, relative à la gestion de la crise sanitaire N° Lexbase : L4664L7U. Ce texte a institué une vaccination obligatoire pour les professionnels du secteur de la santé [19], soulevant ainsi la question de l’indemnisation des dommages survenus dans un contexte où la vaccination est le résultat d’une obligation et non pas d’un choix libre et éclairé du patient. Le régime de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8875LH8 n’étant applicable qu’aux dommages imputables à l’une des vaccinations obligatoires mentionnées aux articles L. 3111-2 et suivants du même code N° Lexbase : L8873LH4, il a fallu que le législateur étende ce régime aux vaccinations obligatoires contre la Covid-19 [20]. L’importance pratique de ce régime reste cependant très limitée, à en croire les premières statistiques publiées par l’Oniam. En effet, son rapport d’activité pour l’année 2021 fait seulement état de vingt-quatre nouvelles demandes sans préciser si celles-ci se rapportent à la vaccination contre la Covid-19 ou à d’autres vaccinations obligatoires [21].

Un facteur de complexité s’ajoute ici en raison du contexte professionnel dans lequel survient le dommage. En effet, une affection qui se déclare à la suite d’une vaccination devrait en principe relever du droit des risques professionnels et du régime « accidents du travail/maladies professionnelles » de l’assurance-maladie. Si l’hésitation est permise quant à la qualification d’accident ou de maladie [22], il n’en demeure pas moins qu’il a fallu clarifier l’articulation entre la réparation forfaitaire prévue par la législation sur les risques professionnels et le régime spécial d’indemnisation de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8875LH8. Dans un arrêt du 22 mars 2005, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur d’une application cumulative des deux régimes, le travailleur invoquant un dommage consécutif à une vaccination obligatoire pouvant prétendre aux prestations de l’assurance-maladie et à une indemnisation complémentaire de la part de l’Oniam [23].

Si la jurisprudence écarte ainsi le caractère exclusif du régime AT/MP, il subsiste cependant une difficulté majeure, liée à la preuve d’un lien d’imputabilité « directe » des dommages à la vaccination obligatoire. Alors que, pour l’application du droit de la Sécurité sociale, le demandeur peut se prévaloir la présomption d’imputabilité propre aux accidents du travail, le régime de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8875LH8 exige la démonstration d’un lien causal entre la vaccination et le dommage invoqué. Or bien que la preuve n’incombe pas exclusivement au demandeur, l’Oniam recherchant d’office la réalité du lien d’imputabilité [24], force est de constater qu’une indemnisation du demandeur se heurte fréquemment à l’exigence d’un lien d’imputabilité directe.

3) Le régime d’indemnisation spécifique aux mesures sanitaires d’urgence

Les demandeurs peuvent encore envisager la mise en œuvre d’un troisième régime d’indemnisation. En effet, depuis une loi du 9 août 2004 [25], l’article L. 3131-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9616HZ8 prévoit une réparation intégrale « des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins » qui sont réalisées en application de mesures sanitaires d’urgence [26]. Peu remarqué par la doctrine juridique, ce régime a été très rarement appliqué depuis sa création, en l’absence de menaces sanitaires graves [27], jusqu’à la survenance de la pandémie de Covid-19 [28]. Comme pour les vaccinations obligatoires, la demande est adressée directement à l’Oniam qui se prononcera directement sur la recevabilité et le bien-fondé de la demande [29].

C’est ce régime, d’application exceptionnelle jusque-là, qui a concentré l’attention des autorités publiques durant les premiers mois de la crise sanitaire. En effet, en décembre 2020, alors même que l’article L. 3131-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9616HZ8 réserve les « actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun » [30], le ministre de la Santé a cherché à rassurer le corps médical en invoquant la prise en charge des dommages liés à la campagne de vaccination contre la Covid-19 au titre de la solidarité nationale, laissant entendre que ce régime était d’application automatique et exclusive [31]. Dans une lettre adressée au président de l’Ordre national des médecins juste avant le début de la campagne de vaccination, celui-ci affirmait que « les dispositions protectrices des articles L. 3131-3 et L. 3131-4 [du Code de la santé publique] permettent, d’une part, aux personnes vaccinées de voir réparer leurs dommages sur le fondement de la solidarité nationale […], d’autre part, aux professionnels de santé en urgence des actes sans risquer de voir leur responsabilité engagée, sauf faute caractérisée » [32].

S’il est vrai que l’article L. 3131-20, alinéa 1er, du Code de la santé publique N° Lexbase : L5647LW3 a rendu ce régime d’indemnisation applicable aux dommages imputables à une mesure sanitaire prise en réponse de la crise sanitaire de Covid-19 [33], il serait inexact d’affirmer que la réparation des effets indésirables d’une vaccination est automatique. Encore faut-il, en effet, que soit établie l’imputabilité du dommage à la vaccination, principal obstacle à une indemnisation au titre de la solidarité nationale [34].

B. L’imputabilité du dommage à la vaccination

Pour être mis en œuvre, l’ensemble des régimes d’indemnisation qui viennent d’être évoqués nécessitent la démonstration du lien de causalité entre le dommage invoqué par le demandeur et la vaccination contre la Covid-19. Il sera souvent délicat de distinguer les désagréments et affections qui auraient frappé la personne vaccinée dans tous les cas et ceux qui doivent être qualifiés d’effets secondaires du vaccin.

Contrairement à ce qui est prévu pour d’autres régimes d’indemnisation relevant de la compétence de l’Oniam [35], les textes législatifs et réglementaires n’instituent aucune présomption d’imputabilité. Pour autant, il serait inexact d’affirmer que la preuve de l’imputabilité repose sur le seul demandeur [36], la procédure devant l’Oniam étant régie par des règles qui s’écartent du droit commun de la preuve. En effet, dès lors que le dossier est considéré comme recevable par l’office (ou, dans des cas plus rares, par une commission de conciliation et d’indemnisation), une expertise est diligentée afin de déterminer si le dommage a effectivement été causé par un acte de soins ou de prévention [37], en l’occurrence par la vaccination contre la Covid-19.

Dans la pratique, l’Oniam a fait savoir que, pour apprécier l’imputabilité du dommage à la vaccination, « il s’appuie sur les publications scientifiques, les analyses de pharmacovigilance réalisées par les centres régionaux de pharmacovigilance, le dossier médical du demandeur et, le cas échéant sur des expertises le plus souvent collégiales » [38]. Selon les premiers éléments statistiques, l’appréciation par l’Oniam de cette condition est assez stricte, conduisant à un rejet de la plupart des dossiers d’indemnisation. Ainsi peut-on lire dans un rapport d’information présenté à l’Assemblée nationale qu’à la date du 31 mars 2022, seulement quatre des quatre-cent-quarante demandes déposées avaient été accueillies favorablement par l’Office [39], suscitant des réactions très critiques, y compris dans les médias [40].

Il n’est pas certain cependant que cette approche peu favorable aux demandeurs résiste à un contrôle par les juridictions. Les premières décisions, rendues en référé, témoignent d’une conception plus ouverte de la condition d’imputabilité ou, du moins, d’une volonté de soumettre les conclusions de l’Oniam à un réexamen par un expert judiciaire [41].

Il faudra également attendre l’attitude des juridictions quant à l’application éventuelle des présomptions d’imputabilité, reconnues dans des cas similaires. Rappelons, en effet, que le Conseil d’État s’est prononcé récemment en faveur d’une preuve par présomptions, dans un contexte d’incertitude scientifique, pour l’établissement du lien entre une vaccination obligatoire contre l’hépatite B et le développement d’une myofasciite à macrophages [42]. On peut également trouver des illustrations d’un tel aménagement probatoire dans le contentieux relatif aux dommages imputables aux mesures sanitaires d’urgence prises en réponse à la recrudescence de la grippe A (H1N1) [43].

Cette ligne jurisprudentielle pourrait conduire l’Oniam à infléchir son interprétation stricte du lien d’imputabilité et à apprécier avec davantage de souplesse les dossiers d’indemnisation qui lui sont soumis.

C. La distinction entre effets indésirables ordinaires et dommage vaccinal

L’une des questions les plus délicates est celle de l’application du principe de réparation intégrale en présence d’une demande d’indemnisation relative à des effets indésirables du vaccin contre la Covid-19. Comme on le sait, la vaccination a provoqué chez la grande majorité des personnes vaccinées une sensation de fatigue, des douleurs musculaires autour du point d’injection, voire à des états fiévreux passagers. Pour autant, ces troubles ont généralement été perçus par la population comme des effets habituels et ordinaires de toute vaccination.

Sur le plan juridique, la survenance de ces effets secondaires soulève cependant des difficultés quant à l’identification des dommages vaccinaux susceptibles d’être indemnisés. Comment distinguer ceux-ci des désagréments passagers, laissés en dehors du champ du régime d’indemnisation, alors que l’article L. 3131-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9616HZ8 proclame l’application du principe de réparation intégrale et que le droit français rejette, du moins en apparence, l’adage de minimis non curat praetor en matière de responsabilité civile ?

À lire le rapport d’information parlementaire consacré aux effets indésirables des vaccins contre la Covid-19, l’Oniam est confronté à des difficultés qui ne sont pas sans rappeler la discussion sur l’introduction d’un seuil de gravité en matière de réparation du préjudice moral [44]. On peut ainsi lire cette affirmation quelque peu contradictoire selon laquelle « il n’existe pas de conditions de seuil de gravité des dommages et tous les préjudices extrapatrimoniaux et patrimoniaux, temporaires et permanents, sont indemnisables, à l’exception des troubles attendus, brefs et transitoires de la vaccination (douleur au point d’injection, fièvre, nausées, fatigue, etc.) » [45].

Si une ouverture du régime d’indemnisation aux effets bénins de la vaccination contre la Covid-19 ne correspond pas aux attentes du corps social et conduirait certainement à obérer sérieusement le budget de l’Oniam, il n’en demeure pas moins que la délimitation des dommages vaccinaux est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, les mêmes désagréments pourront être ressentis différemment selon les personnes vaccinées et conduire à des répercussions plus ou moins contraignantes selon la situation professionnelle ou familiale de chacun. À l’étranger, des commissions pluridisciplinaires ont été instituées afin de circonscrire la catégorie des dommages qui dépassent le niveau habituel d’une réaction vaccinale [46]. Il faut espérer que les services de l’Oniam se sont appuyés, eux aussi, sur des compétences médicales que juridiques pour élaborer un cadre méthodologique adapté au traitement des dossiers d’indemnisation. Il faut s’attendre en effet à ce que leur nombre augmentera dans les mois à venir, même s’il restera très probablement – et fort heureusement – extrêmement marginal au regard du nombre de personnes vaccinées en France [47].

II. La dimension européenne et internationale de la prise en charge des dommages vaccinaux par des fonds d’indemnisation

Considérés comme une technique de socialisation des risques et, partant, comme un mécanisme alternatif au droit de la responsabilité (civile et administrative), les fonds d’indemnisation ne sont pas uniquement présents en droit interne. Leurs potentialités se confirment dès lors que l’on tourne son regard vers le droit européen et international. Comme cela a été indiqué dans notre précédent rapport, les contrats d’achats anticipés conclus entre la Commission européenne et les laboratoires pharmaceutiques contiennent tous une clause de garantie qui assure aux fabricants des vaccins une prise en charge au titre de la solidarité des dommages et intérêts susceptibles d’être mis à leur charge. S’agissait-il alors de susciter la création de fonds de garantie dédiés afin de ne pas faire peser sur les fabricants de vaccins la charge financière liée à une éventuelle indemnisation de victimes d’effets secondaires graves ? Une telle décision a été prise dans le contexte du programme COVAX destiné à garantir une distribution équitable des vaccins, y compris dans les pays les moins développés, mais sous la forme d’un fonds géré par une société privée.

Seront donc abordés dans cette deuxième partie la mise en œuvre des clauses de garantie insérées dans les contrats d’achat anticipé (A) et le fonds d’indemnisation mis en place dans le contexte du programme COVAX (B).

A. Quelle mise en œuvre pour les clauses de garantie des contrats d’achat anticipé ?

La distribution du vaccin contre la Covid-19 au sein de l’Union européenne a donné lieu à d’importants efforts de coordination entre la Commission européenne et les États membres. Approuvée par les chefs d’État et de gouvernement des vingt-sept États membres, la stratégie de l’Union reposait notamment sur la négociation par la Commission européenne de contrats d’achats anticipés avec les entreprises pharmaceutiques. Ces contrats stipulent qu’en échange du droit d’acheter un certain nombre de doses de vaccin à un prix déterminé, l’Union européenne contribue au financement du développement du vaccin par l’intermédiaire de l’instrument d’aide d’urgence, lequel fut institué peu après le début de la crise sanitaire [48].

À la demande des laboratoires pharmaceutiques, ces contrats contiennent tous des clauses dites de garantie (indemnification clauses) [49]. Inspirées de la pratique contractuelle des pays de Common Law, ces clauses prévoient que dans le cas où un laboratoire engagerait sa responsabilité civile vis-à-vis d’une tierce personne, l’État membre participant devra le dédommager, le dégager de toute responsabilité et même prendre en charge les frais de procédure vis-à-vis d’une personne ayant subi une atteinte « à l’intégrité physique, psychique et émotionnelle » ou un dommage matériel [50]. Les parties entendent ainsi protéger les laboratoires pharmaceutiques contre les conséquences financières d’une éventuelle responsabilité civile à l’égard des personnes vaccinées.

Comme nous l’avions indiqué dans notre première étude, l’existence des clauses de dédommagement soulève la question de la mise en œuvre concrète de la garantie promise par les États membres [51]. La garantie implique-t-elle une démarche proactive de la part des États, consistant à indemniser directement les victimes qui se sont manifestées auprès des laboratoires pharmaceutiques ? La création d’un dispositif d’indemnisation dédié est-elle indispensable pour l’exécution d’un tel engagement [52] ?

À bien y réfléchir, il est peu probable qu’en France, les autorités publiques se décident à transférer à l’Oniam la charge financière résultant de cette garantie. Bien que l’indemnisation des victimes de dommages vaccinaux fasse partie de ses missions, il ne nous semble pas que l’office puisse en l’état actuel de la législation se substituer à un fabricant qui serait assigné en responsabilité par une personne vaccinée. Une telle mesure se heurterait dans tous les cas à la réglementation des finances publiques, applicable à l’Oniam, qui est une personne morale de droit public, aucune ligne budgétaire n’étant prévue pour une telle substitution.

Il est plus probable que la mise en œuvre de la garantie prenne une autre forme, plus discrète. On peut notamment imaginer que les autorités publiques, alertées par un laboratoire pharmaceutique au sujet d’une action en responsabilité initiée à son encontre, invitent le demandeur à s’adresser à l’Oniam afin d’obtenir une réparation intégrale de ses dommages, ce qui aurait pour effet de priver d’objet le contentieux engagé. À supposer que le demandeur persiste dans sa démarche juridictionnelle, il serait tout à fait concevable qu’à la suite d’une condamnation du laboratoire pharmaceutique (largement hypothétique, rappelons-le [53]), l’État se substitue directement au débiteur des dommages et intérêts ou lui reverse le montant de l’indemnité à un stade ultérieur. Ces deux voies paraissent davantage en phase avec l’objectif de confidentialité qui a entouré, au moment des négociations des contrats d’achat anticipé, la stipulation des clauses de garantie, qu’une intervention directe de l’Oniam.

B. Le fonds d’indemnisation mis en place dans le contexte du programme COVAX

À l’échelle internationale, un fonds d’indemnisation spécifique a été institué pour compléter le programme COVAX [54]. Cette initiative est née du constat d’une impossibilité financière pour bon nombre de gouvernements nationaux de se procurer des vaccins au moyen de contrats d’achat directement auprès des laboratoires pharmaceutiques. Fruit d’une coopération entre la Banque mondiale, l’OMS, le G20, la Commission européenne et une série d’organisations non gouvernementales, le programme COVAX fut établi en juin 2020 afin de distribuer un total de deux milliards de doses de vaccins dans quatre-vingt-douze États en voie de développement. Selon les premiers bilans, cet objectif est en passe d’être atteint [55] et il faut se féliciter de la réussite de ce dispositif résultant d’une concertation rapide entre acteurs publics et privés [56].

Afin de protéger les États concernés d’un afflux de demandes indemnitaires émanant de personnes vaccinées, les parties prenantes du programme ont institué un No Fault Compensation Program, destiné à canaliser les réclamations en dehors des juridictions nationales [57]. Administré par une filiale de l’assureur américain Chubb, ce fonds d’indemnisation a été créé d’emblée pour un nombre limité de dossiers, son budget étant prévu pour satisfaire au maximum 25 000 demandes de réparation [58].

Outre le fait qu’il s’agisse d’un fonds administré par une entreprise privée, l’originalité de ce dispositif réside encore dans le protocole d’indemnisation qui a été négocié entre les parties prenantes du programme COVAX et qui se lit comme un calque de la réglementation qui régit un fonds d’indemnisation « à la française » [59]. Ainsi peut-on lire que, pour être éligible à une compensation, il faut démontrer le décès de la personne vaccinée ou un dommage corporel grave qui ait provoqué une incapacité totale ou partielle permanente [60]. L’imputabilité de ce dommage à la vaccination doit être établie « selon la prépondérance des probabilités », traduction maladroite de la balance of probabilities, expression qui désigne le standard de la preuve en matière civile dans les pays de Common Law [61]. Quant à l’évaluation de l’indemnité due, le protocole précise que devront être pris en compte le PIB du pays d’origine du demandeur ainsi que la gravité du dommage invoqué [62].

À l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’informations sur l’activité du fonds d’indemnisation et il ne semble pas que l’existence de ce dispositif ait été décisive pour que certains gouvernements nationaux, hésitant à rejoindre le programme COVAX, surmontent leurs réticences [63]. Très original en raison de son statut et de la nature juridique de sa réglementation, le No Fault Compensation Program ouvre cependant de nouvelles perspectives pour l’analyse des potentialités des fonds d’indemnisation comme technique de gestion de crises, sanitaires ou non.

 

[1] V. cependant A. Maad, Qui meurt encore du Covid-19 en France ?, Le Monde, 17 mars 2023 (« Trois ans après le premier confinement, la tendance est à l’accalmie depuis le début de l’année, mais la maladie continue de tuer une vingtaine de personnes par jour. ») [en ligne].

[2] V. seulement O. Véran, Par-delà les vagues : journal de crises au cœur du pouvoir, éd. R. Laffont, 2022 ; E. Hirsch, Une éthique pour temps de crise, éd. du Cerf, 2022 ; A. Rousseau, La blessure et le rebond. Dans la boîte noire de l’État face à la crise, Odile Jacob, 2022 ; M. Payet, Le ministère des bras cassés, Albin Michel, 2022.

[3] À titre d’exemple, v. à propos des garanties des pertes d’exploitation en matière d’assurance Cass. civ. 2, 19 janvier 2023, n° 21-21.516 et 21-23.189 FS-B+R N° Lexbase : A937388N ; Cass. civ. 2, 1er décembre 2020, n° 21-19.343 N° Lexbase : A54858W3, 21-15.392 N° Lexbase : A45218WD, 21-19.342 N° Lexbase : A54888W8 et 21-19.341 N° Lexbase : A45408W3, FS-B+R.

[4] Les responsabilités liées à la vaccination contre la Covid-19, Cahiers Louis Josserand, 2022, n° 1 (l’ensemble des contributions au numéro spécial La prise en charge des dommages liés à la crise sanitaire : regards franco-japonais est en accès libre [en ligne].

[5] 54,67 millions de personnes en ont reçu au moins une.

[6] V. les informations mises à jour sur le site internet [en ligne].

[7] Les chiffres émanent de l’Agence européenne des médicaments [en ligne].

[8] V. le site internet [en ligne].

[9] Ibid.

[10] Cette extension des compétences a compliqué considérablement la gestion administrative et financière de l’Oniam, ce qui a été critiqué vigoureusement par la Cour des comptes dans son rapport de 2017 (Le rapport public annuel 2017, t. 1 : Les observations, 2017, p. 67 et s.). La situation semble s’être stabilisée au cours des dernières années. V. déjà S. Hocquet-Berg, L’Oniam ou La grenouille qui veut se faire aussi gros que le bœuf..., Resp. civ. assur., 2004, focus 30.

[11] Pour une présentation détaillée, v. G. Viney/P. Jourdain/S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd. 2017, LGDJ, n° 286 ; C. Bergoignan Esper, Litec Droit médical et hospitalier, Fasc. 18-50 : Responsabilité médicale. Règlement amiable en cas d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales, 2022, n° 55 et s. ; Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 6e éd. 2023, n° 867.

[12] V. cependant D. Vion et A.-C. Maillols, La réparation des dommages médicamenteux, RGDM, 2004 (n° 13), p. 293 ; Ph. Pierre, De la responsabilité à la solidarité nationale, RGDM, 2012 (n° spécial Les responsabilités du fait des médicaments dangereux), p. 83 ; C. Bortoluzzi, La sécurité des médicaments, th. Paris 2/Pise, 2017, n° 718 et s.

[13] La qualification précise est contestée en doctrine. Certains auteurs privilégient la notion d’affection iatrogène (Ph. Pierre, De la responsabilité à la solidarité nationale, art. préc. [note 10], spéc. n° 7 : « les dommages causés par les médicaments ne rel[èvent] pas à notre sens des accidents médicaux mais de la seule iatrogénie médicamenteuse » ; en ce sens aussi C. Bortoluzzi, th. préc. [note 10], spéc. n° 720). D’autres retiennent une acception plus large de la notion d’accident médical (v. A.-C. Maillols, La responsabilité du fait des médicaments, th. Montpellier 1, éd. de Santé, 2003, p. 808). Le législateur n’ayant pas prévu de régime distinct pour ces deux catégories d’événements, la question peut demeurer ouverte.

[14] CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 29 avril 2015, n° 369473, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3367NH8 ; CE, 5e-6e ch. réunies, 13 novembre 2020, n° 427750, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A544734I ; Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-16.824, FS-P+B+I N° Lexbase : A9421RSQ. Sur le tout, v. les obs. de P. Jourdain, Les précisions du Conseil d’État sur la condition d’anormalité du dommage, RTD civ., 2021, p. 432 ainsi que L. Bloch, Réflexions sur le normal et l’anormal en matière de responsabilité médicale, Resp. civ. assur., 2022, étude 8).

[15] OPECST, Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français, Doc. AN, 2022, n° 5263, p. 45 et s. (syndromes pseudo-grippaux, thromboses atypiques, myocardites et troubles menstruels).

[16] Décret n° 2011-76, du 19 janvier 2011, relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L2346IPL.

[17] Sur ce régime, v. G. Viney/P. Jourdain/S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd. 2017, LGDJ, n° 356 et s. Pour un exposé de l’évolution historique de ce régime, v. A. Rouyère, Contentieux administratif (contentieux de la responsabilité) et vaccinations, in : M. Bélanger (dir.), Droit, éthique et vaccination, éd. LEH, 2006, p. 71. V. également D. Ngirabatware, L’indemnisation des accidents vaccinaux, mém. Bordeaux 4, éd. LEH, 2013, spéc. p. 20 et s.

[18] Une commission d’indemnisation ad hoc avait été instituée par la loi du 4 mars 2002, mais elle fut supprimée en 2008. Désormais, les décisions sont prises directement par l’Oniam. V. sur ce point G. Viney/P. Jourdain/S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., 2017, LGDJ, n° 358 avec plus de détails.

[19] Loi n° 2021-1040, du 5 août 2021, relative à la gestion de la crise sanitaire, art. 12 N° Lexbase : Z19263UC. Selon ce texte, sont visés, outre les personnes exerçant leur activité dans un établissement de santé (au sens très large), les psychologues, ostéopathes, chiropracteurs, sapeurs-pompiers, personnels de la sécurité civile et personnes exerçant l’activité de transport sanitaire.

[20] Selon l’article 18 de la loi du 5 août 2021 N° Lexbase : Z10680TI, « la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire administrée en application du I de l’article 12 est assurée conformément à l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique ». Sur l’application de ce régime dans le contexte de la vaccination contre la Covid-19, v. M. Denimal, Le régime juridique applicable au recours des victimes des vaccins contre le virus du Covid-19, Gaz. Pal., 26 avril 2022, p. 11 ; M.-L. Moquet-Anger, L’indemnisation des victimes de dommages causés par des vaccins, JCP A, 2022, act. 55.

[21] Oniam, Rapport d’activité de 2021, 2022, p. 33. Comp. OPECST, Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français, Doc. AN, 2022, n° 5263, p. 53 (« Les rapporteurs ont été surpris par ce nombre relativement faible – bien qu’en hausse – de demandes, au regard du nombre de déclarations faites dans le cadre de la pharmacovigilance. »).

[22] Sur cette question plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, v. en particulier M. Keim-Bagot, De l’accident du travail à la maladie : la métamorphose du risque professionnel, th. Strasbourg, Dalloz, 2013, n° 44 et s. (« bousculement de la distinction entre l’accident et la maladie »).

[23] Cass. civ. 2, 22 mars 2005, n° 03-30.551, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3893DHN, RDSS, 2005, p. 506, obs. P.-Y. Verkindt ; D. ,2005, p. 2053, note Y. Saint-Jours.

[24] V. infra, B. L’imputabilité du dommage à la vaccination.

[25] Initialement codifiées aux articles L. 3110-1 et suivants du Code de la santé publique N° Lexbase : L8935GT4, une loi du 5 mars 2007 a transféré les dispositions relatives à ce régime à l’article L. 3131-4 du même code N° Lexbase : L9616HZ8.

[26] Pour une présentation analytique de ce dispositif, v. G. Viney/P. Jourdain/S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd. 2017, LGDJ, n° 360 et s. V. également F. Blanco, La loi du 4 mars 2002 et les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation, PUAM, 2004, p. 190 ; S. Hocquet-Berg, L’Oniam ou La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf…, Resp. civ. assur., 2004, focus 30.

[27] V. cependant pour une application à un cas de narcolepsie survenue à la suite d’une vaccination contre la grippe A (H1N1), CE, 4e-5e ch. réunies, 27 mai 2016, n° 391149, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0384RRN, Rev. Dr. & Santé, 2016, p. 698, obs. P. Véron ; CAA Lyon, 6e ch., 16 janvier 2023, n° 20LY02528 N° Lexbase : A940488S. V. également TA Cergy-Pontoise, 4 novembre 2014, n° 1201770 N° Lexbase : A8950M8Y, Gaz. Pal., 21-22 janvier 2015, p. 4, concl. S. Merenne (refus de reconnaître un lien d’imputa­bilité entre la vaccination et le syndrome de Guillain-Barré).

[28] M. Denimal, Le régime juridique applicable au recours des victimes des vaccins contre le virus du Covid-19, Gaz. Pal., 26 avril 2022, p. 11.

[29] V. CSP, art. R. 3131-1 à R. 3131-3-5 N° Lexbase : L2434LQ9.

[30] CSP, art. L. 3131-4 N° Lexbase : L9616HZ8.

[31] Lettre du ministre des Solidarités et de la Santé au président de l’Ordre national des médecins, 23 décembre 2020 (le texte est consultable sur le site internet du Ministère : [en ligne]). Sur la valeur normative de cette lettre, v. déjà notre étude Les responsabilités liées à la vaccination contre la Covid-19, Cahiers Louis Josserand, 2022, n° 1 N° Lexbase : N2384BZC.

[32] Ibid.

[33] Selon ce texte, « les dispositions des articles L. 3131-3 et L. 3131-4 sont applicables aux dommages résultant des mesures prises en application des articles L. 3131-15 à L. 3131-17 ». Ces derniers visent les mesures d’urgence sanitaire prises par le Premier ministre, notamment celles permettant « la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire » (CSP, art. L. 3131-15, al. 1er, 9° N° Lexbase : L4891L7B).

[34] En ce sens aussi M.-L. Moquet-Anger, L’indemnisation des victimes de dommages causés par des vaccins, JCP A, 2022, act. 55 (« la preuve de la causalité demeure une réelle difficulté et fait souvent l’objet d’hésitations de la part des experts »).

[35] V. par exemple, pour l’indemnisation des victimes de dommages d’origine transfusionnelle (hépatites B et C ; virus T lymphotropique humain), la présomption légale instituée par l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA, rendue applicable par l’article L. 1221-14, al. 2, du Code de la santé publique N° Lexbase : L1608LZL. Comp. également la présomption d’imputabilité applicable aux dommages liés à une atteinte par le VIH, que la jurisprudence déduit de l’article L. 3122-2, al. 4, du Code de la santé publique N° Lexbase : L8727GTE.

[36] V. cependant M.-L. Moquet-Anger, L’indemnisation des victimes de dommages causés par des vaccins, JCP A, 2022, act. 55

[37] CSP, art. L. 1142-9 N° Lexbase : L0669LTX, R. 3111-29, al. 1er N° Lexbase : L7630IGP, et R. 3131-3-1 N° Lexbase : L2432LQ7. Sur cette procédure, v. G. Viney/P. Jourdain/S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., 2017, LGDJ, n° 301 (accidents médicaux de droit commun), 358 (vaccinations obligatoires) et 360 (mesures sanitaires d’urgence) ; Ph. le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 13e éd. 2023, n° 6423.14.

[38] Oniam, Rapport d’activité pour 2021, 2022, p. 41 [en ligne].

[39] OPECST, Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français, Doc. AN, 2022, n° 5263, p. 53.

[40] C. Coq-Chodorge/R. Le Saint, Les effets indésirables de l’office public d’indemnisation des accidents médicaux, Mediapart, 8 novembre 2022 (« au lieu de faciliter la vie des malades, [l’Oniam] la complique bien trop souvent »).

[41] Ordonnant une expertise en référé pour établir notamment « si les troubles constatés par le patient et transcrits par les médecins qu’il a consultés sont en lien avec la vaccination contre le Covid 19 », v. CAA Bordeaux, 8 mars 2023, n° 22BX03136 N° Lexbase : A71389HT. Pour une appréciation critique du fonctionnement de l’Oniam, v. G. Viney/P. Jourdain/S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd. 2017, LGDJ, n° 317.

[42] CE, 5e-6e ch. réunies, 29 septembre 2021, n° 432627, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A029748I, RDSS, 2021, p. 1047, concl. Barrois de Sarigny ; JCP A, 2021, 2372, note C. Paillard. V. aussi CAA Lyon, 6e ch., 14 février 2013, n° 12LY00954 N° Lexbase : A1214MRE (présomption du lien d’imputabilité entre la vaccination Tétracoq et l’histiocytose langerhansienne en raison du fait que la victime était en bonne santé et qu’un bref délai s’est écoulé entre la dernière injection et les premières manifestations de la maladie).

[43] Comp. CAA Lyon, 6e ch., 30 juin 2021, n° 19LY03108 N° Lexbase : A74924QK (« la narcolepsie avec cataplexie dont souffre Mme G... doit être regardée comme imputable à la vaccination qu’elle a reçu le 14 décembre 2009, ce que d’ailleurs l’Oniam ne conteste pas »).

[44] V. notre étude Les limites de la réparation du préjudice extrapatrimonial en Europe, in : C. Quézel-Ambrunaz/Ph. Brun/L. Clerc-Renaud (dir.), Des spécificités de l’indemnisation du dommage corporel, Larcier, 2017, p. 175. Pour une application concrète de cette question, v. J. Knetsch, Les actions civiles en réparation fondées sur une violation du RGPD, JCP G, 2022, 1062, spéc. n° 11 et s.

[45] OPECST, Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français, Doc. AN, 2022, n° 5263, p. 50.

[46] Tel est le cas notamment de l’Allemagne où la Commission permanente des vaccins (Ständige Impfkommission) auprès de l’Institut Robert-Koch, l’équivalent de l’Institut Pasteur, développe actuellement des critères pour distinguer les réactions vaccinales ordinaires et les dommages vaccinaux. Pour plus d’informations, voir le site internet [en ligne]. Sur le tout, v. notre étude Responsabilités et vaccination contre la COVID-19. Rapport allemand, in : Grerca (dir.), Responsabilité civile et crise sanitaire, Larcier, à paraître.

[47] Les 440 dossiers déposés à l’Oniam au 31 mars 2022 correspondent à une proportion de 0,00008 % de la population ayant reçu au moins une dose de vaccin. Voilà de quoi être rassuré sur l’innocuité des vaccins développés, fabriqués, prescrits et administrés en un temps record pendant la crise sanitaire.

[48] Art. 4, 5 (b) du Règlement n° 2016/369, relatif à la fourniture d’une aide d’urgence au sein de l’Union européenne N° Lexbase : L0374K7Y, tel que modifié par le Règlement n° 2020/521, du 14 avril 2020, portant activation de l’aide d’urgence […] pour tenir compte de la propagation de la Covid-19 N° Lexbase : L6819LWH.

[49] Le sens du terme anglais indemnification n’est pas tout à fait identique à celui du terme français indemnisation, le mot anglais renvoyant au fait de garantir quelqu’un contre une perte plutôt qu’à la compensation d’un dommage. Nous avons préféré l’expression « clauses de garantie » à celle de « clauses d’indemnisation » ou celle, utilisée dans notre première étude, de « clauses de dédommagement ».

[50] Pour une traduction française de la clause insérée dans le contrat conclu avec AstraZeneca, v. J.-S. Borghetti/D. Fairgrieve/E. Rajneri, La clause d’indemnisation contenue dans le contrat conclu entre la Commission européenne et AstraZeneca, D., 2021, p. 972, spéc. n° 3.

[51] Sur cette question dans un contexte international, v. A. Gorodensky/J. Kohler, State capture through indemnification demands? Effects on equity in the global distribution of COVID‑19 vaccines, Journal of Pharmaceutical Policy and Practice, 2022 (vol. 12), p. 50.

[52] Sur la création d’un régime d’indemnisation spécifique, v. par exemple l’étude de K. Watts/T. Popa, Injecting Fairness into COVID-19 Vaccine Injury Compensation: No-Fault Solutions, Journal of European Tort Law, 2021 (vol. 12), p. 1.

[53] Pour une analyse des différents obstacles à l’établissement d’une responsabilité civile des fabricants, v. notre étude Les responsabilités liées à la vaccination contre la Covid-19, Cahiers Louis Josserand, 2022, n° 1 N° Lexbase : N2384BZC. En plus des références qui y sont indiquées, on pourra également consulter M. Kaliński, Liability for Damages Caused by COVID-19 Vaccination, European Research Studies Journal, 2021 (vol. 24), p. 1065 ; S. Halabi, Solving the Pandemic Vaccine Product Liability Problem, UC Irvine Law Review, 2021 (vol. 12), p. 111.

[54] Sur ce programme, v. en langue française L. Sermet, La coopération sanitaire internationale au prisme du COVAX. Plan d’attribution collective des vaccins contre le Covid-19, Les cahiers de droit de la santé, 2022 (n° 33), p. 175.

[55] En avril 2023, plus de 1,95 milliards de doses avaient été distribuées, dont près de 400 millions au Bangladesh, au Pakistan et à l’Indonésie. Pour plus d’informations détaillées, v. les statistiques consultables sur le site [en ligne].

[56] E. Budish et al., Distributing a billion vaccines : COVAX successes, challenges, and opportunities, Oxford Review of Economic Policy, 2022 (vol. 38), p. 941.

[57] Pour une présentation du programme, v. le site internet [en ligne] (accessible en anglais, français et espagnol).

[58] Il faut noter par ailleurs que l’administrateur du fonds n’acceptera aucune demande après le 30 juin 2027.

[59] Le protocole peut être consulté sur le site internet [en ligne].

[60] Point 2 j) du protocole. Le texte y ajoute le cas d’une malformation ou d’une maladie congénitale entraînant une invalidité permanente chez l’enfant à naître ou le nouveau-né d’une femme qui a reçu un vaccin.

[61] Point 2 k) du protocole.

[62] Point 9 du protocole.

[63] Les réticences s’expliquent en particulier par des craintes quant à la responsabilité civile en présence d’effets secondaires graves des vaccins. Sur ce point, v. S. Halabi, Solving the Pandemic Vaccine Product Liability Problem, UC Irvine Law Review, 2021 (vol. 12), p. 111, spéc. p. 145 et s. (l’auteur cite l’exemple de la Thaïlande en précisant que ce pays « has entered into only a nonbinding commitment with COVAX and has identified the liability and compensation matter as material to its decision to participate. »).

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Covid-19

[Doctrine] Compensation des pertes de revenu dues à la Covid-19 pour les travailleurs

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par Yojiro Shibata, Professeur à l’Université Chukyo

Le 26 Juillet 2023

Cet article a pu être écrit grâce aux subventions offertes par la Société Japonaise pour la Promotion des Sciences (JSPS - KAKANHI nos de subvention 17K03415, 20KK0301 et 21K01185).


 

Introduction

A. Compensation des pertes de revenu d'activité pendant la crise du coronavirus

Quand on réfléchit à la compensation du revenu pendant la crise du coronavirus, on s’aperçoit des problèmes de discordance entre la volonté et la réalité concernant le congé : d'une part, un travailleur veut prendre des congés, mais il ne peut le faire ; d'autre part, en revanche, un autre travailleur ne veut pas prendre de congés, mais il est forcé de le faire. Dans le premier cas, le travailleur peut-il prendre des congés pour s'occuper de sa famille en raison de la fermeture des établissements scolaires ou de l'arrêt des services à domicile pour les personnes âgées dépendants, demandés par le Gouvernement afin d'éviter la propagation du virus et, si oui, peut-il avoir une compensation ? Dans le second cas, le salaire est-il garanti à l’autre travailleur lorsqu’il est amené à ne pas travailler pour des raisons liées à son employeur ?

Dans cet article, nous aborderons le second cas mentionné ci-dessus qui a fait naître un débat animé. Mais évoquons tout d’abord rapidement le premier cas car c’est celui qui a posé un problème au début de la crise, au Japon. Le 27 février 2020, le Premier ministre japonais a « demandé » de manière impromptue la fermeture de tous les établissements d'enseignement primaire, collèges et lycées à partir du 2 mars afin de limiter la propagation de la Covid-19. Il s’agissait d’une « demande » et non d’une contrainte pour les établissements scolaires à fermer, et la décision a appartenu à chaque commune ou établissement scolaire. Mais en réalité, la plupart l’ont fait. De ce fait, certains parents-salariés ont été amenés à s'absenter du travail pour s'occuper de leur(s) enfant(s) qui étaient dans l’enseignement primaire. Le 13 mars 2020, face à cette situation, nous avons créé une subvention pour ces parents-salariés qui étaient assurés par l'assurance chômage. Précisément, cette subvention est allouée à l'employeur s'il crée un autre congé payé que celui de la loi sur les normes de travail et que son salarié prend effectivement ce congé (elle a expiré fin mars 2021, mais a été rouverte à partir du 1er août 2021). Elle compense le salaire payé pendant ce congé (mais avait été plafonnée initialement à 8 330 yens (60 euros) par jour, et a été relevée à 15 000 yens (107 euros) par la suite ; elle est de 8 355 yens (60 euros) depuis le 1er octobre 2022). Au début, elle avait été réservée aux parents-salariés, mais a été étendue, le 18 mars 2020, aux parents-freelances sous certaines conditions, en tant que mesure exceptionnelle, suite à la critique sévère du fait qu’ils ne pouvaient en bénéficier, bien qu’ils travaillent également en élevant leurs enfants : la différence de traitement entre les salariés et les indépendants y compris les freelances a posé un problème (v. infra, Catégories socio-professionnelles insuffisamment couvertes par la protection sociale même après les réformes : freelances, entrepreneurs indépendants et étudiants travaillant à temps partiel)[1]. Cependant, la subvention forfaitaire pour les parents-freelances n'avait été que de 4 100 yens (29 euros) parce que leur durée de travail n'est pas fixe et qu'ils ne sont pas affiliés à l'assurance chômage. Même si elle s'est élevée à 7 500 yens (54 euros) après (elle est de 4 177 yens (30 euros) depuis le 1er octobre 2022), l'écart n'en subsiste pas moins entre le montant pour les salariés qui sont assurés par l'assurance chômage et pour les freelances (elle est financée par les cotisations chômage pour les parents-salariés et par le budget général pour les parents-freelances).

Ainsi, le gouvernement japonais a pris de nombreuses mesures de compensation pour le travail au nom des mesures d'urgence dans la crise du coronavirus. Certes, ces mesures ont été temporaires, mais elles conduiront à réviser le droit du travail et de la protection sociale par rapport aux changements récents dans la manière de travailler.

B. Caractéristiques du système japonais de protection sociale

Avant d'entrer dans le vif du sujet, résumons ici brièvement les caractéristiques du système japonais de protection sociale. Le système japonais de protection sociale repose, comme en France, sur les assurances sociales selon les catégories socio-professionnelles. Nous constatons, au Japon, une dichotomie entre les régimes pour les salariés et pour les résidents incluant les indépendants, relative aux assurances maladie et de pensions. Nous avons accompli une généralisation des assurances sociales assez tôt (en 1961) en créant des régimes pour les résidents qui couvrent toute personne dépourvue des qualifications nécessaires pour s’affilier aux régimes organisés selon les professions. Pourtant, le système japonais se différencie du système français en ce qu’il existe une grande différence de niveau de prestations entre salariés et indépendants (par exemple, en ce qui concerne le champ d’application personnel, la notion des ayants droit existe dans les régimes pour les salariés, ce qui permet à ces ayants droit d'avoir droit aux prestations sans payer la moindre cotisation, alors qu'elle n'existe pas dans les régimes pour les indépendants. Puis, sur le plan des prestations, l'assurance maladie pour les indépendants n'a pas l'indemnité journalière obligatoire en cas de maladie et de maternité. Enfin, sur le plan du financement, les indépendants s'acquittent de toutes leurs cotisations, parce qu'il n'existe pas de cotisations patronales à la différence des régimes pour les salariés). En outre, la qualification d’assurés des régimes des salariés se limite aux salariés « réguliers », tandis que les salariés « précaires », distingués des salariés « réguliers » selon leur durée de travail hebdomadaire et leurs jours de travail mensuels, s’affilient aux régimes pour les résidents et les indépendants.

Les assurances chômage et d'indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles (assurance AT/MP) sont réservées, par définition, aux salariés, et les indépendants sont exclus de leur champ d’application (mais s'agissant de l'assurance AT/MP, nous avons une assurance facultative en faveur d'une partie des indépendants (v. infra, Élargissement de champ d'application personnel de l'assurance AT/MP aux entrepreneurs indépendants )). Les salariés précaires peuvent bénéficier de l’assurance AT/MP, alors qu’ils peuvent le faire difficilement pour l’assurance chômage [2] en raison des conditions d’affiliation et d’attribution de ses allocations, ce que nous verrons par la suite (v. infra, Catégories socio-professionnelles insuffisamment couvertes par la protection sociale même après les réformes : freelances, entrepreneurs indépendants et étudiants travaillant à temps partiel).

Les mesures prises par le gouvernement en raison de la Covid-19 pourraient métamorphoser le système japonais de protection sociale axé sur les « salariés » « réguliers ».

Nous présenterons tout d’abord l’indemnité à titre d’absence du lieu de travail pour des raisons liées à l’employeur en évoquant les mesures exceptionnelles prises lors de la crise de la Covid-19 (I.), puis, les problèmes qui y sont liés (II.) avant de montrer l'orientation des réformes après la crise (III.).

I. Indemnité à titre d'absence du lieu de travail pour des raisons liées à l'employeur

Le droit japonais du travail et de la protection sociale dispose de compensations de salaire perdu par l'employeur lorsqu'un salarié est amené à ne pas travailler pour des raisons liées à l'employeur. C’est en faisant des réformes que le gouvernement a promu leur utilisation (A.), et, en outre, créé une aide financière en cas d'absence temporaire du travail allouée directement aux travailleurs (B.) durant la crise du coronavirus.

A. Compensations du salaire perdu par l'employeur

1) Indemnité à titre d'absence du lieu de travail et subvention à l'ajustement des effectifs

Selon l'article 26 de la loi sur les normes de travail, même si l'employeur n'a commis aucune faute, « dans le cas d'absence des salariés du travail pour des raisons liées à l'employeur, ce dernier est tenu de leur verser une indemnité égale à au moins 60 % de leur salaire moyen pendant les périodes où ils ne travaillent pas » : c’est l’indemnité à titre d'absence du lieu de travail [3]. Cette indemnité concerne tous les salariés, quel que soit leur statut.

C'est à l'employeur ayant versé cette indemnité que la « subvention à l'ajustement des effectifs » est allouée. Cette subvention est fondée sur l'assurance chômage et donc financée par la cotisation patronale chômage. Elle est semblable à l’activité partielle (chômage partiel) en France et affectée à une partie de l'indemnité à titre d'absence du lieu de travail pour les assurés dont la durée d'assurance chômage est supérieure à six mois, lorsque l'employeur a été forcé de réduire ses activités pour motif économique. Elle joue un rôle important en période de récession car elle permet à l'employeur de maintenir l'emploi dans son entreprise et de contenir le chômage. En effet, les employeurs ont tiré pleinement parti de cette subvention lors des chocs pétroliers et, plus récemment, de la crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers.

2) Réformes pendant la crise du coronavirus

Depuis février 2020, le Gouvernement japonais a mis en place des réformes qui ont amélioré la subvention à l’ajustement des effectifs et qui concernent les trois points suivants : en premier lieu, l'augmentation du taux de subvention. Son taux originel en dehors des périodes exceptionnelles est de deux tiers pour les PME [4] et de la moitié pour les grandes entreprises, mais il s'est élevé respectivement à quatre cinquièmes et à deux tiers (et même à cent pour cent et à trois quarts si l'employeur a évité tout licenciement par le biais de, par exemple, la fermeture temporaire de son établissement) [5] ; en deuxième lieu, l'augmentation de son montant. Comme cette subvention a un montant maximal journalier, l'employeur verse une indemnité à titre d'absence du lieu de travail moins élevée en vue de ne pas prendre en charge le surcoût. C'est la raison pour laquelle le montant maximal journalier est passé de 8 330 yens (60 euros) à 15 000 yens (107 euros) ; enfin en troisième lieu, l'élargissement du champ d'application personnel. La condition de durée de l'assurance chômage fixée à plus de six mois a été supprimée. De plus, le Gouvernement japonais a alloué une subvention d'urgence en dehors de l'assurance chômage dont le montant et le taux sont identiques à la subvention à l'ajustement des effectifs au profit des salariés qui ne sont pas assurés par l'assurance chômage (ceux dont la durée de travail hebdomadaire ne dépasse pas vingt heures).

3) Problèmes relatifs à l'indemnité à titre d'absence du lieu de travail et à la subvention à l'ajustement des effectifs

Néanmoins, l'indemnité à titre d'absence du lieu de travail et la subvention à l'ajustement des effectifs ont été insuffisantes à cause des problèmes suivants.

En ce qui concerne la subvention à l'ajustement des effectifs, certains employeurs se sont retrouvés confrontés à un manque de fonds en attendant son versement au début de la crise parce qu'il a fallu aux employeurs attendre deux mois pour avoir cette subvention après sa demande, en raison de la multitude des documents à préparer pour deux raisons : en premier lieu, c'est la catégorie socio-professionnelle des demandeurs : celles qui ont le plus souffert surtout au début de la crise étaient les PME et TPE des secteurs de la restauration et des services. Par conséquent, c'est l'employeur lui-même qui a préparé les documents en l'absence d’un personnel capable d’accomplir les procédures ; en second lieu, pour des raisons historiques : le ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales a complexifié les procédures afin d'appliquer rigoureusement les règles de versement de la subvention après la faillite de Lehman Brothers parce que nombreux ont été ceux qui l’avaient reçue de manière frauduleuse au moment de sa banqueroute [6].

Ainsi, le ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales a largement simplifié les procédures en réduisant le nombre des rubriques à remplir ainsi que les documents à remettre, et aussi a augmenté le nombre d’agents qui s'occupent de leur examen depuis mai 2020 [7]. Toutes ces mesures ont permis de raccourcir la période d'attente du versement à moins de deux semaines.

Toutefois, rappelons que la subvention à l'ajustement des effectifs est allouée à l'employeur qui a versé l'indemnité à titre d'absence du lieu de travail. Nombreux ont été les employeurs qui n'ont pas versé l'indemnité en raison d’un manque de fonds ou de la complexité des procédures (v. supra). Nous constatons que plus les salariés sont précaires et les entreprises petites, moins nombreux sont les employeurs qui versent l'indemnité. Certains employeurs n'ont pas versé l'indemnité en prétendant une fermeture due à un cas de force majeure [8] et non à leur responsabilité en tant qu'employeur.

B. Compensations directes pour les travailleurs

C'est la raison pour laquelle une indemnité lors de l'absence du lieu de travail allouée directement aux travailleurs a été requise, alors que la subvention à l'ajustement des effectifs est allouée à l'employeur.

1) Chômage « présumé [9] »

En raison des nombreuses catastrophes naturelles que le Japon connaît, les Japonais sont habitués à des arrêts d’activité pour cause de crises. Dans les années 1950, certains employeurs ont dû cesser leurs activités en raison des dégâts provoqués par les fortes pluies ou les typhons. Ils n'ont pas pu verser l'indemnité à titre d'absence du lieu de travail, bien que leurs salariés qui étaient assurés par l'assurance chômage aient été amenés à ne pas travailler. Qui plus est, ils n’avaient pas réussi à trouver d'autres emplois. À ce moment-là, même s'ils n'étaient pas effectivement en chômage, ils ont reçu directement (non pas indirectement par le biais de l'employeur) une allocation de l'assurance chômage en application d'une loi exceptionnelle considérant cette situation comme une fin du contrat de travail ou même du chômage : on appelle cela le chômage « présumé ». Cette loi a eu un effet limité à des zones géographiques et dans le temps.

En 1963, l’article 25 qui a perpétué le dispositif de chômage « présumé » a été inséré dans la loi sur l'aide fiscale extraordinaire relative aux catastrophes naturelles. Désormais, il n'est pas nécessaire d'instituer une nouvelle loi exceptionnelle, mais simplement de désigner des « zones sinistrées » par décret en application de l'article 25 de ladite loi pour que le ministre de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales mette en place le chômage « présumé ». Le ministre a fait appel à ce dispositif lors des séismes de 2011, 2016 et 2018 ainsi que du typhon de 2019 depuis une dizaine d'années seulement.

Pourtant, il est difficile d'appliquer l'article 25 de la loi à la crise sanitaire, parce que cette loi concerne des « catastrophes naturelles » comme les séismes, les tempêtes ou les typhons, et non les maladies infectieuses. Dès lors, il faut une autre loi afin d'appliquer le même dispositif à la Covid-19.

2) Aide financière pour faire face à l'absence du lieu de travail en raison de la Covid-19

Dans ce contexte, la loi sur les mesures spéciales temporaires de la loi sur l'assurance chômage afin de faire face à l'impact de la Covid-19 a été adoptée en juin 2020. Elle a stipulé une aide financière pour l'absence du lieu de travail dans le cadre du « programme de stabilisation de l'emploi » prévu par l'article 62 de la loi sur l'assurance chômage. Le Gouvernement japonais a alloué cette aide financière aux salariés des PME qui sont assurés par l'assurance chômage, quelle que soit la durée d'assurance, et ne reçoivent pas d'indemnité à titre d'absence du lieu de travail en raison de la Covid-19 ainsi qu'aux salariés précaires des grandes entreprises qui sont dans la même situation. Ce n'est pas l'employeur mais le salarié lui-même qui demande cette aide financière, et, de plus, le salarié la reçoit directement sans passer par son employeur. Son montant s’est élevé à 80 % du salaire moyen (et s’élève maintenant à 60 %. Le montant maximal était de 11 000 yens (79 euros) par jour et est maintenant de 8 355 yens (60 euros)). En outre, le Gouvernement japonais a alloué le même type d'aide financière financée par le budget général également aux salariés qui ne sont pas assurés par l'assurance chômage.

II. Problèmes des compensations lors de l'absence du lieu de travail

Comme nous l'avons observé précédemment, le gouvernement a pris de nouvelles mesures dans la crise de la Covid-19 tout en ayant recours aux politiques des crises antérieures. Pourtant, ces mesures ont révélé les catégories socio-professionnelles insuffisamment protégées (A.), et ont posé également des problèmes juridiques dans le cadre des mesures prises pour les salariés dans la crise de la Covid-19 (B.).

A. Catégories socio-professionnelles insuffisamment couvertes par la protection sociale même après les réformes : freelances, entrepreneurs indépendants et étudiants travaillant à temps partiel

1) Crises « centennales » du XXIe siècle et réformes postérieures [10]

Nous avons déjà connu trois grandes crises sociales qui sont normalement considérées comme des « centennales » durant ce début de XXIe siècle : la crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers en automne 2008, le séisme du 11 mars 2011 sur la côte Pacifique du Tōhoku, et la crise sanitaire causée par le coronavirus depuis 2020. Face à ces crises, le Gouvernement japonais a renforcé le système de protection sociale.

Lors de la crise de 2008, l'employeur a mis fin aux contrats de travail des intérimaires et n’a pas reconduit les contrats de travail des salariés en CDD. De ce fait, le Gouvernement japonais a pris des mesures d’urgence pour l'emploi. S'agissant d'abord de la subvention à l'ajustement des effectifs, ses conditions d’attribution ont été assouplies, son montant relevé et sa durée allongée. Ensuite, le Gouvernement japonais a mis en place le « programme d'urgence de formation des ressources humaines » qui permet l'accès à la formation professionnelle et donne aussi une allocation pour pallier le coût de la vie pendant cette formation professionnelle pour ceux qui sont exclus de l'assurance chômage.

Le 11 mars 2011, un séisme géant a eu lieu au Japon. Il a causé des ravages dans la région du Tōhoku (région du nord-est), non seulement par l'effondrement des bâtiments, mais aussi par des tsunamis violents et par l'accident nucléaire de Fukushima. À la suite de cette catastrophe, le Gouvernement japonais a développé les mesures prises lors de la crise financière en 2008. À titre d'exemple, lorsqu’un salarié a été amené à ne pas travailler en raison de la suspension ou de la destruction de son lieu de travail, il a bénéficié d'une allocation de l'assurance chômage même s'il n'était pas effectivement en chômage (chômage « présumé », v. supra, Compensations directes pour les travailleurs). De plus, le Gouvernement japonais a élargi là encore l'application de la subvention à l'ajustement des effectifs.

Parallèlement, le Gouvernement japonais a renforcé depuis la crise de 2008 des filets de sécurité pour les salariés précaires. Il a lancé des réformes de la loi sur l’assurance chômage pour que ces derniers puissent bénéficier des allocations chômage. Au moment de la crise de 2008, la qualification d’assuré de l’assurance chômage du Japon s’est limitée aux salariés dont la durée de travail hebdomadaire dépasse vingt heures et, notamment, qui ont la possibilité de travailler plus d’un an en continu. Par conséquent, nombre de salariés à temps partiel ou en CDD ont été exclus de l'assurance chômage. C'est ainsi que les réformes de l'assurance chômage en 2009 et 2010 ont raccourci la durée de travail continu nécessaire pour l’assuré d’un an à trente et un jours au profit des salariés en CDD (et aussi, certains salariés travaillant moins de trente jours sont éligibles à l'assuré pour « travailleurs de jour »).

À noter aussi que le nombre de chômeurs de longue durée (depuis un an ou plus) a augmenté après les crises en 2008 et 2011, et que la proportion de chômeurs qui n'ont pas perçu d'indemnités de chômage a atteint 77 % au Japon [11]. Tout cela a conduit à créer un « deuxième filet de sécurité » tendu entre l’assurance sociale et l’aide sociale [12]. Ce « deuxième filet de sécurité » se compose de deux lois. D'abord, la loi sur le soutien pour les demandeurs spécifiques d’emploi a été instaurée en 2011 et a pérennisé certaines mesures temporaires mises en place à l'occasion de la crise de 2008. Il s’agit  notamment de l'accès à la formation professionnelle et l’attribution d’une allocation pour pallier le coût de la vie pendant cette formation professionnelle pour ceux qui ne perçoivent pas d'indemnités de chômage, ainsi que pour ceux qui ont plus de difficultés à trouver un emploi et qui sont exclus de l'assurance chômage. Ensuite, la loi sur les services et le soutien de l'indépendance aux personnes défavorisées [13] a été instituée en 2013 (mise en vigueur en 2015). Elle vise les personnes exclues même de ladite loi de 2011 et a surtout stipulé pour elles l'allocation à court terme de logement sous condition de ressources (v. infra, Autres enjeux : sur le point plus global que l'activité professionnelle) ainsi que le service de consultation par la collectivité locale pour trouver un emploi ou favoriser leur indépendance.

Toutefois, les travailleurs qui ont souffert des défauts dans les filets de sécurité sont différents de ceux de la crise de 2008 [14]. En ce qui concerne les salariés précaires, le Gouvernement japonais a amélioré leurs filets de sécurité après les crises de 2008 et 2011. Toutefois, en restant exclus de l'assurance chômage même par les réformes, les travailleurs à temps partiel dont la durée de travail hebdomadaire ne dépasse pas vingt heures, les étudiants (cf. infra, Problèmes juridiques des mesures au profit des salariés : travailleurs à temps partiel et en particulier, étudiants travaillant à temps partiel) qui ont perdu leur emploi (bon nombre d’entre eux travaillent à temps partiel même pendant la période des cours au Japon) et les entrepreneurs indépendants comme les freelances [15] se sont trouvés dans une situation extrêmement difficile lors de la crise du coronavirus.

2) Augmentation du nombre de freelances

Le nombre de freelances a augmenté au niveau mondial avant la crise de la Covid-19, et ce, pour trois raisons [16]. D'abord, il y a une raison technique : avec le développement de la numérisation, le modèle commercial qui accepte des commandes ou instructions par le biais d'internet et fournit des services individuellement s’est aussi développé ; puis, une raison du côté des employeurs : comme nous l'avons déjà évoqué, nous avons renforcé les filets de sécurité et la protection sociale en faveur des salariés précaires, ce qui rend plus coûteux leur emploi. C'est ainsi que l'employeur a recours aux entrepreneurs indépendants et aux freelances afin d'éviter la réglementation du droit du travail et les charges sociales pour les salariés précaires ; et enfin, une raison du côté des travailleurs : le nombre de personnes qui souhaitent travailler de manière moins restrictive augmente. Par exemple, le libre choix du temps et du lieu de travail attire les personnes qui assument leurs charges familiales ou ont de multiples emplois. Dans ces situations, le nombre de travailleurs appelés « travailleurs de plateformes » ou gig worker (en français « travailleurs à la tâche »), augmente aussi, surtout dans les secteurs de la livraison de nourriture comme en France (en revanche, peu nombreux sont ces travailleurs dans le secteur des VTC au Japon en raison de la réglementation appuyée par les taxis existants).

Il faudrait que le freelance assume le risque de son activité professionnelle car il peut maîtriser son activité : c'est lui qui détermine quand il quitte son activité professionnelle ou même prend sa retraite. Il en résulte qu'il se classe dans la catégorie « entrepreneur indépendant » en droit japonais. Dès lors, pour le droit du travail, il n'est pas salarié et ne peut s'affilier non plus au régime des assurances sociales pour les salariés au Japon (v. supra, Caractéristiques du système japonais de protection sociale et infra, Élargissement de champ d'application personnel de l'assurance chômage aux entrepreneurs indépendants). Mais, en réalité, il n'est pas suffisamment protégé par le droit du travail et de la protection sociale bien que ses conditions de travail puissent se rapprocher du salariat dans l'hypothèse, par exemple, où il serait soumis à des ordres et des directives d'une entreprise, ou bien où il ne pourrait pas maîtriser ses durée et lieu de travail du fait des exigences du donneur d'ordre. Il est vrai que nous discutons de la politique sur le travail assimilé à du travail salarié, mais les mesures au profit de ce type de travail étaient insuffisantes au moment de l'apparition du coronavirus [17].

3) Mesures au profit des freelances et leurs problèmes

Comme nous l'avons déjà observé, il existe des garanties de pertes de revenu d'activité lors de l'absence du lieu de travail et du chômage pour les salariés. En ce qui concerne l'absence du lieu de travail, les salariés perçoivent l'indemnité versée par l'employeur et subventionnée par l'assurance chômage, sinon une nouvelle aide financière versée directement par l'assurance chômage. S'agissant du chômage à la suite du licenciement ou de la non-reconduction des contrats de travail des salariés en CDD, ils perçoivent une allocation de l'assurance chômage (de plus, une loi sur les mesures spéciales temporaires (v. supra, Aide financière pour faire face à l'absence du lieu de travail en raison de la Covid-19) a prolongé de soixante jours supplémentaires cette allocation en tant que mesure exceptionnelle et temporaire). Par contraste, il n'existe pas de garanties concernant les pertes du revenu d'origine professionnelle pour les indépendants dans les mêmes circonstances [18]. Il est difficile, quant à eux, de distinguer l'interruption d'activité du chômage en toute hypothèse.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement japonais a alloué dans le cadre du ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie, une subvention pour les dirigeants de PME ou les entrepreneurs indépendants dont les ventes ont diminué de plus de 50 % en raison de la crise du coronavirus, en vue de soutenir la poursuite ou le relèvement de leurs activités. Son montant maximal est de 2 000 000 yens (14 286 euros) pour les dirigeants de PME et 1 000 000 yens (7 143 euros) pour les entrepreneurs indépendants. On appelle cela la «  subvention pour la durabilité des entreprises  » (elle a expiré le 15 février 2021) [19]. En outre, dans le cadre de la politique du même ministère, il a alloué une aide financière pour les entrepreneurs indépendants qui paient un loyer et dont les ventes ont diminué (elle a expiré le 15 février 2021). Son taux maximal était des deux tiers du loyer et sa durée maximum de six mois.

Certes, la subvention pour la durabilité des entreprises a eu pour objectif de répondre à une situation d'urgence, mais elle a un problème non négligeable. Elle est allouée à l’entrepreneur indépendant qui n'a pas cotisé, mais non au salarié-assuré de l’assurance chômage qui a supporté la charge de cotisation chômage afin de se préparer à des risques de baisse de revenu. De plus, il est possible que son montant soit plus élevé que les prestations de l’assurance chômage pour le salarié-assuré. Il faut ajouter le fait que cette subvention pour l'entrepreneur indépendant est financée par le budget général dont une des parties est prise en charge par le salarié. Ainsi, il faut remarquer le manque de cohérence relative à son montant et ses financements [20].

B. Problèmes juridiques des mesures au profit des salariés : travailleurs à temps partiel et en particulier, étudiants travaillant à temps partiel

Il n'en reste pas moins qu'une nouvelle aide financière versée directement au salarié (v. supra, Aide financière pour faire face à l'absence du lieu de travail en raison de la Covid-19) pose, quant à elle, des problèmes. En premier lieu, le taux d'indemnisation du salarié varie selon la réaction de l'employeur. Plus précisément, lorsque ce dernier verse à son salarié une indemnité conformément à l'article 26 de la loi sur les normes de travail, son montant est égal à 60  % de son salaire moyen, tandis que l'employeur ne le fait pas ou ne peut pas le faire et que le salarié la demande directement au Gouvernement japonais – au ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales en termes plus précis – dans le cadre de l'aide financière, son montant est égal à 80 %. Bref, le salarié est mieux indemnisé en cas de non-respect de la loi de la part de l'employeur [21]. En deuxième lieu, certains employeurs ne reconnaissent pas qu'ils n'ont pas versé l'indemnité ou même qu'ils ont indiqué l'absence du salarié du lieu de travail, alors que le salarié a besoin de preuves du non-versement ou de l'indication de l'absence de la part de l'employeur afin de demander l'aide financière. Certes, le salarié peut demander l'aide financière sans preuves de l'employeur, mais il faut plus de temps dans les procédures et donc son versement prend plus de temps aussi dans ce cas-là.

Abordons le deuxième point ci-dessus. Le problème qui se pose est l'interprétation de l'« absence » du lieu de travail, car les salariés précaires incluant les étudiants travaillant à temps partiel, travaillent le plus souvent selon un système dans lequel l'employeur décide les journées et horaires de travail de ses salariés chaque semaine ou chaque mois : on appelle cela le « système de rotation atypique [22] ». Ce dernier se caractérise par des journées et horaires de travail irréguliers, variables et imprévisibles. L’employeur ne fournit pas un nombre de jours et d’heures de travail fixes au moment de la conclusion du contrat de travail. C'est pour cela que certains employeurs ont prétendu que la fermeture temporaire ou le raccourcissement des heures d'ouverture de leur magasin ne signifierait pas l'« absence », donc ne concernait pas non plus l'indemnité à titre d'absence du lieu de travail subventionnée par l'assurance chômage, parce qu'ils n'avaient pas encore décidé des jours et horaires de travail de leurs salariés. Par conséquent, les salariés précaires et les étudiants travaillant selon le système de rotation atypique n'ont reçu ni l'indemnité conformément à l'article 26 de la loi sur les normes de travail ni l'aide financière versée directement au salarié.

Le problème du « système de rotation atypique » est finalement l'incertitude des heures de travail. Nous le pensons donc de la même façon que les contrats « zéro heure » aux pays européens [23]. Les contrats « zéro heure » sont des contrats de travail qui n’ont pas d’heures de travail régulières et fixées : le salarié travaille chaque fois que l'employeur l'appelle (« travail sur appel » ou « travail à la demande »). De ce fait, il n'existe pas d’heures de travail « garanties » et le salarié n'est pas rémunéré pendant son temps d'attente. Face à cette situation, une directive [24] réglemente les contrats « zéro heure » en Europe. Elle prévoit, par exemple, l'obligation d’information concernant « le nombre d’heures rémunérées garanties » et « le délai de prévenance minimal auquel le travailleur a droit avant le début d’une tâche » (Directive (UE) n° 2019/1152 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019 N° Lexbase : L0121LRW, art. 4), la prévisibilité minimale du travail (Directive (UE) n° 2019/1152 préc., du 20 juin 2019 N° Lexbase : L0121LRW, art. 10) et les mesures pour éviter les pratiques abusives pour les contrats à la demande (Directive (UE) n° 2019/1152 préc., du 20 juin 2019 N° Lexbase : L0121LRW, art. 11). Le Code français du travail d'ailleurs prévoit que, à défaut d'une convention ou d’un accord, « la durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine » (C. trav., art. L. 3123-27 N° Lexbase : L6808K9Z). Les politiques contre l'incertitude des heures de travail en Europe et en France sont des pistes intéressantes pour l'amélioration du « système de rotation atypique ».

Il faut ajouter que les filets de sécurité après les réformes qui ont eu lieu après les crises ne visent toujours pas les étudiants travaillant à temps partiel. À titre d'exemple, la qualification d’assuré de l'assurance chômage a été bien assouplie lors des réformes de 2009 et 2010 (v. supra, Crises « centennales » du XXIe siècle et réformes postérieures), mais la loi sur l'assurance chômage ne s'applique toujours pas aux étudiants (art. 6 de cette loi) et donc, ces derniers ne perçoivent toujours pas non plus d'allocations de l'assurance chômage. Néanmoins, l'élargissement du champ d’application personnel de la subvention à l'ajustement des effectifs et l'aide financière versée directement au salarié visent les étudiants travaillant à temps partiel (v. supra, Réformes pendant la crise du coronavirus et Aide financière pour faire face à l'absence du lieu de travail en raison de la Covid-19). Cela signifie que leur place sur le marché du travail change, ce qui rend souhaitables les mesures appropriées en leur faveur.

III. Pour l'amélioration de la protection sociale après la crise du coronavirus

A. Renforcement du filet de sécurité en faveur des entrepreneurs indépendants

Le Gouvernement japonais a renforcé les filets de sécurité au profit des salariés précaires lors de la crise financière de 2008. Néanmoins, la crise de la Covid-19 a révélé un manque de filets de sécurité pour les entrepreneurs indépendants et les freelances. C’est pourquoi il a pris des mesures temporaires et exceptionnelles afin de combler une partie de ces défauts, mais elles ne sont pas forcément cohérentes dans leur ensemble. Nous tirons ainsi une leçon importante de la crise de la Covid-19  : c’est qu’il est indispensable de préparer et d’organiser des filets de sécurité, et ce, en faisant preuve de cohérence afin de surmonter les crises sociales qui pourraient se produire dans l’avenir. Tenant compte de la transformation et de la diversification du travail, nous devrions désormais accorder de l’importance à la protection des travailleurs à temps partiel et des freelances, peu protégés jusqu’ici. Pour ce faire, il est nécessaire non seulement d'observer l'évolution des politiques dans les pays européens y compris en France, mais également de séparer, parmi les problèmes suscités par la Covid-19, ceux qui ne sont que temporaires et, au contraire, ceux qui sont permanents, toujours présents potentiellement dans notre société et mis en lumière par cette crise afin de prendre des mesures appropriées en termes de protection sociale.

1) Élargissement de champ d'application personnel de l'assurance chômage aux entrepreneurs indépendants

Les entrepreneurs indépendants sont-ils qualifiés d'assurés de l'assurance chômage dans le cadre juridique actuel ? Ils le seraient s'ils avaient des relations continues d'affaires avec une entreprise et recevaient une rémunération en échange de leur travail ou de leurs services. Pourtant, la loi sur l'assurance chômage écarte de la qualité d'assurés les salariés dont la durée de travail hebdomadaire ne dépasse pas vingt heures et, sauf les travailleurs âgés de plus de soixante-cinq ans, ne prend pas en compte le cumul de la durée de travail hebdomadaire pour le compte des différents employeurs. Par conséquent, très peu nombreux sont les entrepreneurs indépendants qui sont qualifiés d'assurés de l'assurance chômage [25].

Il est vrai que le Gouvernement japonais a étendu aux non-assurés de l'assurance chômage comme les indépendants les prestations destinées aux salariés durant la crise de la Covid-19. Mais, ce ne sont pas les cotisations sociales mais bien le budget général qui finance ces prestations, bien que ces dernières s'appuient sur les assurances sociales. De ce fait, elles se limitent à des mesures en cas d'urgence, et il semble difficile de les rendre permanentes.

2) Élargissement de champ d'application personnel de l'assurance AT/MP aux entrepreneurs indépendants

L'assurance AT/MP au Japon repose sur la responsabilité de l'employeur en matière d'indemnisation des accidents du travail prévue par la loi sur les normes de travail [26]. Cela justifie qu'une blessure ou une maladie liée aux accidents du travail est mieux indemnisée qu’une liée à la vie privée, et que la cotisation AT/MP est à la charge exclusive de l'employeur. Dans le cadre actuel, il est difficile, en théorie, d'élargir le champ d'application personnel aux entrepreneurs indépendants. Cependant, il existe une assurance facultative pour certains indépendants énumérés par la loi et les règlements [27]. Le livreur de repas à domicile à vélo peut s'y affilier depuis septembre 2021, ce qui est apprécié sur le plan du renforcement du filet de sécurité en faveur des entrepreneurs indépendants. Toutefois, dans le cas où les indépendants s'y affilient, plusieurs obstacles surgissent : le type de travail concerné est limité, sa cotisation est à la charge de l'assuré, et il faut un organisme regroupant des indépendants d'un certain secteur d'activité et gérant les procédures administratives. En outre, l'administration certifie, semble-t-il, que les travailleurs éligibles à l’affiliation à l'assurance facultative ne sont pas salariés, mais indépendants. Cela conduirait les juges à écarter l'existence de contrat de travail lors d’un contentieux. Allant plus loin, il se peut qu'un donneur d'ordre (ou une plateforme de mise en relation par voie électronique) oblige les travailleurs indépendants à s'affilier à l'assurance facultative afin d'éluder la responsabilité qu’il a envers eux [28].

3) Orientation des réformes : sur la base de la situation européenne et française

Dans l'Union européenne, on débat de l'application de la protection sociale aux indépendants depuis avant la crise de la Covid-19. Ainsi, une recommandation [29] demande aux États membres de fournir un accès à une protection sociale – y compris les prestations de chômage et AT/MP – adéquate pour tous les travailleurs salariés ainsi que les travailleurs non salariés (elle n'a pas de force contraignante). En revanche, il n'existe pas pour l'instant le même type d'action au Japon. Afin d'organiser des filets de sécurité au profit des indépendants, nous devrions réviser la manière d'appliquer les assurances chômage et AT/MP : une fois qu'un travailleur sera « salarié », les assurances chômage et AT/MP s'appliqueront à lui, tandis que s’il ne l’est pas, il ne sera pas possible de les lui appliquer. Dans ces conditions, afin d'étendre le champ d'application personnel des assurances chômage et AT/MP, il faudrait soit redéfinir ce qu’est un « salarié » [30], soit moduler le champ d'application personnel en fonction des objectifs desdites assurances. De plus, nous devrions également envisager dans quelle situation et quelle protection nous garantissons aux travailleurs non « salariés ».

Si les assurances chômage et AT/MP s'appliquaient aux indépendants, il faudrait s'interroger sur qui prend en charge les cotisations. Si jamais les assurances chômage et AT/MP s'appliquaient aux indépendants, cela ne justifierait pas forcément que les cotisations soient à la charge du donneur d'ordre. En ce qui les concerne, les plateformes en France prennent en charge la cotisation, dans la limite d'un plafond, lorsque le travailleur indépendant recourant, dans l'exercice de son activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes, souscrit une assurance couvrant les risques d'accidents du travail ou adhère à l'assurance volontaire (C. trav., art. L. 7342-2 N° Lexbase : L3222LUU). La notion dite de « responsabilité sociale des plateformes » mérite notre attention parce qu'elle ouvre une « troisième voie », partageant les charges financières de l'assurance entre indépendant et plateforme (donneur d'ordre).

B. Soutien à l'emploi et au développement de l'employabilité

Comme nous l'avons déjà vu, le gouvernement favorise la subvention à l'ajustement des effectifs durant une période de dégradation de l'emploi (v. supra, Compensations du salaire perdu par l'employeur). Toutefois, certains dénoncent cette subvention qui est susceptible d'entraver les mutations industrielles, même si elle est efficace pour maintenir temporairement l'emploi. Elle freinerait la croissance économique à moyen et long terme et aurait finalement un effet négatif sur l'emploi et le salaire. Ainsi, il est nécessaire non seulement de maintenir l'emploi, mais aussi de faciliter la mobilité de la main-d'œuvre avec la promotion d'emploi pour les chômeurs. Le gouvernement devrait renforcer le soutien de l’emploi à moyen-long terme pour que les chômeurs puissent exercer un nouveau métier et/ou combler la pénurie de main-d'œuvre dans certaines branches (par exemple, dans les technologies de l'information et les services à la personne dépendante)  [31].

Surtout, il est nécessaire de garantir l'accès à la formation professionnelle dans le but de s'adapter à l'évolution technologique. Dans la pratique de l’emploi « à long terme », un des piliers classiques des relations professionnelles japonaises, la formation professionnelle n'était pas suivie par le salarié de sa propre initiative, mais lui était « offerte » par chaque entreprise : c’est l'« on-the-job training » (OJT) en anglais. Par contre, en France, le Code du travail garantit la formation professionnelle « tout au long de la vie » en tant qu’« obligation nationale » à « chaque personne, indépendamment de son statut ». De plus, afin de favoriser l'accès à la formation professionnelle, chaque personne dispose dès son entrée sur le marché du travail et jusqu'à la retraite, indépendamment de son statut, d'un compte personnel de formation (C. trav., art. L. 6111-1 N° Lexbase : L2128MGW et L. 6323-1 et s. N° Lexbase : L7273K9A). Là encore, le développement du droit à la formation professionnelle mérite notre attention.

C. Autres enjeux : sur le point plus global que l'activité professionnelle

Avant de finir, nous évoquerons, sur le point plus global que l'activité professionnelle, des lacunes dans le système japonais de protection sociale relevées par les mesures d'urgence pour faire face à la crise du coronavirus.

Premièrement, le soutien aux parents qui gardent les enfants est insuffisant, comme le montre le fait que les mesures d'urgence dans la crise de la Covid-19 ont commencé par une subvention pour les parents-salariés amenés à s'absenter du travail pour s'occuper de leur(s) enfant(s) (v. supra, Compensation des pertes de revenu d'activité pendant la crise du coronavirus). Il faut ajouter le fait que le gouvernement a alloué les allocations temporaires spéciales pour les parents sous condition des ressources : il a alloué une seule fois 10 000 yens (71 euros) par enfant concerné pour les parents qui gardent leur(s) enfant(s) dans le cas où celui-ci a quinze ans ou moins au moment du 31 mars 2020, et une seule fois 50 000 yens (357 euros) par enfant concerné pour les familles monoparentales qui gardent leur(s) enfant(s) né(s) après le 2 avril 2003. De plus, prenant en considération l'allongement de la crise, il a alloué 100 000 yens (714 euros) par enfant concerné pour les parents qui gardent leur(s) enfant(s) né(s) après le 2 avril 2003.

Deuxièmement, l'allocation logement est aussi insuffisante. Au Japon, en ce qui concerne l'allocation logement, pendant un demi-siècle, il n’a existé que l’aide au logement prévue par la loi sur l’aide sociale pour les personnes à faible revenu [32]. Dans ce contexte, la loi sur les services et le soutien de l'indépendance aux personnes défavorisées a institué l’allocation à court terme de logement [33] sous condition de ressources dans le cadre du « deuxième filet de sécurité » (v. supra, Catégories socio-professionnelles insuffisamment couvertes par la protection sociale même après les réformes : freelances, entrepreneurs indépendants et étudiants travaillant à temps partiel). Cette allocation vise les personnes défavorisées qui ont perdu leur propre logement ou ont eu des difficultés à payer le loyer d’un logement à bail à la suite de la perte de leur emploi. Son montant est équivalent au loyer (mais plafonné) et son attribution, temporaire. Son champ d'application personnel a été étendu durant la crise de la Covid-19. Plus précisément, elle concerne non seulement les personnes défavorisées sans emploi depuis moins de deux ans, mais aussi celles dont les revenus diminuent considérablement sous l'influence de la crise de la Covid-19 même si elles sont actives. Avec cette réforme, le nombre de bénéficiaires a fortement augmenté.

Certes, les mesures prises concernant le soutien aux parents qui gardent leurs enfants et l'allocation logement sont temporaires. Mais elles se situent en dehors des assurances sociales (les allocations familiales ne s'inscrivent pas dans les assurances sociales au Japon). Il est donc envisageable de les développer davantage et de les pérenniser tout en résolvant les problèmes du système existant [34].

***

Résoudre les problèmes provoqués par la crise de la Covid-19 est, pour nous, se préparer à une éventuelle prochaine crise sociale. Ainsi, tandis que nous faisons des tests de dépistage de la Covid-19, celle-ci aussi, nous fait passer un test sur deux points importants : d'une part, la possibilité de construire des dispositifs juridiques cohérents afin de surmonter la crise sociale dans l'état actuel, et d'autre part, la possibilité d’accomplir des progrès sociaux à l'occasion de cette pandémie qui pourront se révéler utiles à l'avenir.


[1] De plus, depuis juin 2020, une subvention est allouée, comme mesure exceptionnelle dans cette crise, aux employeurs dont les entreprises emploient moins de trois cents salariés, à condition que ces derniers créent un autre congé payé que le congé de courte durée pour les soins à un membre dépendant de la famille prévu par la loi, et que leurs salariés prennent effectivement plus de cinq jours de ce congé. Pourtant, son bénéficiaire se limite à l'assuré de l'assurance chômage parce qu'elles sont prévues dans le cadre de l'assurance chômage. En d'autres termes, certains salariés à temps partiel, les entrepreneurs indépendants et les freelances n'en bénéficient pas.

Les mesures prises sont disproportionnées entre les personnes âgées et les enfants, ce que certains auteurs critiquent : les freelances ne bénéficient pas de subventions lorsqu'ils sont absents pour s'occuper d'une personne âgée dépendante de la famille tandis qu'ils en bénéficient pour leur(s) enfant(s) dans l’enseignement primaire (T. Nakano, Shingata-corona ni kanren-suru kyūgyō to syotoku-hosyō : syakai-hosyō-hō no kanten kara (« Absence sur le lieu de travail en raison de la crise de la Covid-19 et garantie de revenus : du point de vue de droit de la protection sociale »), Hanrei-jihō, n° 2473, p. 130).

[2] L’assurance chômage s’inscrit dans les assurances sociales au Japon, parce qu'elle est régie non par la convention collective, mais par la loi, à la différence de la France.

[3] Cette indemnité ’ait l'objet de critiques parce que son taux fixé à au moins 60 % du salaire m’yen n'est pas suffisant, que le « salaire moyen » des salariés précaires ne recevant pas diverses allocation’ de l'entreprise diminue en raison de sa méthode de calcul, et que cette indemnité n'est pas allouée tous les jours mais seulement les jours ouvrables. Pour ces raisons, son taux effectif n'est qu'autour de 40 % du salaire (S. Wakita, Corona-ka to hatarakikata : koyō-kiki wo dō norikoeruka (« Problèmes liés au coronavirus et manière de travailler : comment surmonter la crise de l'emploi ? »), Rōdō-hōritsu-junpō, n° 1982, p.9).

[4] Les PME sont définies selon la branche d'activité, le capital social et le nombre de salariés.

[5] Des mesures similaires avaient été mises en place lors de catastrophes, à la suite de fortes pluies ou de typhons.

[6] K. Hamaguchi, Shingata-coronavirus-kansenshō to koyō-mondai (« Covid-19 et problèmes liés à l'emploi »), Rōdō-hōrei-tsushin, n° 2576, p.3.

[7] En même temps, le Pôle emploi japonais avait commencé à accepter les demandes en ligne, ce qui a contribué également à simplifier les procédures. Cependant, il a été forcé de les interrompre en raison de la fuite de données personnelles. Cela a montré que le Japon est en retard dans le domaine de la numérisation.

[8] Selon une interprétation administrative, l'employeur se dispense de l'indemnité conformément à l'article 26 de la loi sur les normes de travail en qualité de cas de force majeure lorsqu'un événement dont l'origine est en dehors de l'entreprise suscite l'absence des salariés du lieu de travail et que l'employeur ne peut rien faire pour l’éviter, malgré toute l’attention qu’il porte à la gestion de sa société.

[9] K. Hamaguchi, Shingata-coronavirus-ka niokeru nihon no rōdō-rippō-seisaku (« Politique législative d'emploi au Japon pour les problèmes liés à la crise de la Covid-19 »), Rōdō-hōritsu-junpō, n° 1975=1976, pp. 54 et s. et p. 57.

[10] Y. Mizumachi, Corona-kiki to rōdō-hō (« Crise du coronavirus et droit du travail »), Chūō-rōdō-jihō, n° 1264, pp. 16 et s. ; 21 seiki no kiki to shakai-hō : corona-kiki ga akirakanishita shakai-hō no kadai (« Crises du XXIe siècle et droit social : enjeux du droit social révélés par la crise du coronavirus »), Hōritsu-jihō, vol. 92 n° 12, p. 63.

[11] International Labor Office (ILO), The Financial and Economic Crisis : A Decent Work Response, 2009, p. 16 [en ligne].

[12] Pour les détails du système d'aide sociale au Japon, v. not., E. Kasagi, L'aide sociale au Japon à la recherche d'un niveau de vie minimum, Droit social, n° 10, 2020, pp. 842 et s.

[13] Le premier alinéa de l’article 2 de cette loi définit les personnes défavorisées comme « des personnes qui souffrent actuellement de difficultés économiques et risquent de ne pas pouvoir maintenir un niveau de vie minimal ». Cette loi ne vise pas ceux qui ne peuvent pas actuellement maintenir des normes minimales, parce qu’ils s’adressent à l’aide sociale.

[14] Y. Mizumachi, Lehman-kiki, corona-kiki to freelance : freelance no anzenmō no kadai (« Crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers, crise du coronavirus et freelances : enjeux des filets de sécurité pour les freelances »), Toshi-mondai, vol. 111 n° 8, p. 13 ; Corona-kiki to rōdō-hō (« Crise du coronavirus et droit du travail »), op. cit., note 10, p. 17.

[15] Selon la « ligne directrice afin d'améliorer l'environnement pour les freelances » (mars 2021) élaborée par le secrétariat au Cabinet du Premier ministre, la Commission pour l'équité des pratiques commerciales, l'agence pour les PME et le ministère de la Santé, de l’Emploi et des Affaires sociales, le freelance se définit comme une personne qui satisfait en même temps aux conditions suivantes : ne pas avoir de magasin, ne pas employer de personnel, et acquérir des revenus par le biais de son expérience, ses connaissances ou sa compétence.

[16] Y. Mizumachi, Lehman-kiki, corona-kiki to freelance : freelance no anzenmō no kadai (« Crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers, crise du coronavirus et freelances : enjeux des filets de sécurité pour les freelances ») , op. cit.,  note 14, pp. 13 et s. ; Corona-kiki to rōdō-hō (« Crise du coronavirus et droit du travail »), op. cit., note 10, pp. 21 et s.

[17] Le projet de loi sur les freelances a été déposé en février 2023 (il est en débat actuellement). Il définit le freelance comme entrepreneur, qu’il soit particulier ou représentant d’une personne morale, qui est une des parties de la sous-traitance et qui n’emploie pas de personnel. Ensuite, il prévoit des mesures à prendre par les particuliers ou les personnes morales qui sous-traitent le travail à ce freelance de deux manières : d’une part, du point de vue du droit de la concurrence, des mesures afin de garantir l’équité dans la transaction (par exemple, l’interdiction d'abuser d'une position dominante) et d’autre part, du point de vue du droit du travail, des mesures afin d’améliorer l'environnement de travail (par exemple, afin de prévenir et de faire face de façon appropriée aux harcèlements).

[18] Nous avons observé le même type d’écart de garantie dans le domaine de l’emploi des handicapés. La loi sur la prise en charge globale de la vie quotidienne et sociale des handicapés, stipule le soutien continu pour l’emploi qui offre des opportunités d'emploi ainsi qu’une formation adéquate afin d’améliorer leurs connaissances et compétences. On distingue en deux types les établissements qui offrent des opportunités d'emploi en fonction des difficultés qu’il y a pour eux à travailler dans une entreprise ordinaire : le type A qui conclut un contrat de travail avec la personne handicapée, et le type B qui ne le fait pas. La personne handicapée travaillant dans un établissement de type A est concernée par la subvention à l'ajustement des effectifs, tandis que celle qui travaille dans un établissement de type B ne l’est pas car elle n’est pas salariée.

[19] L’aide financière de soutien à la relance des entreprises, successeur de la subvention pour la durabilité des entreprises, a été créée en janvier 2022 (elle s’est terminée le 30 juin 2022). Elle a concerné également les dirigeants de PME ou les entrepreneurs indépendants dont les ventes avaient diminué de plus de 30 % en raison de la crise du coronavirus. Son montant varie en fonction du chiffre d'affaires annuel et de combien de pour cent le chiffre d’affaires mensuel a diminué par rapport à un mois de référence. Son montant maximal est de 2 500 000 yens (17 857 euros) pour les dirigeants de PME et de 500 000 yens (3 571 euros) pour les entrepreneurs indépendants.

[20] Y. Mizumachi, Lehman-kiki, corona-kiki to freelance : freelance no anzenmō no kadai (« Crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers, crise du coronavirus et freelances : enjeux des filets de sécurité pour les freelances »), op. cit., note 14, p. 14 ; Corona-kiki to rōdō-hō (« Crise du coronavirus et droit du travail »), op. cit note 10, p. 22.; 21 seiki no kiki to shakai-hō : corona-kiki ga akirakanishita shakai-hō no kadai (« Crises du XXIe siècle et droit social : enjeux du droit social révélés par la crise du coronavirus »), op. cit., note 10, p. 66.

[21] Le fait que cette aide financière a été versée au salarié ne soustrait pas l'employeur à l'indemnité conformément à l'article 26 de la loi sur les normes de travail, mais en réalité, certains employeurs ne la versent pas.

[22] Tel est le cas surtout dans les secteurs de la restauration et des services qui ont souffert durant la crise de la Covid-19.

[23] K. Hamaguchi, Shift-sei-Arbeit ha zéro-rōdō-keiyaku ka ? (« Le système de rotation atypique est-il identique aux contrats zéro heure ? »), Rōki-junpō, n° 1784, p. 5.

[24] Directive (UE) 2019/1152 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne N° Lexbase : L0121LRW.

[25] K. Marutani, Freelance heno sitsugyō-hoken : risuku ha shakaika saretanoka (« Assurance chômage pour les freelances : son risque est-il socialisé ? »), Hōritsu-jihō, vol. 92 n° 12, p. 77.

[26] Pour les détails de l’assurance AT/MP au Japon, v. not., E. Kasagi, La notion de maladies professionnelles et son évolution en droit de la sécurité sociale japonais, Droit social, n° 12, 2020, pp. 1020 et s.

[27] Elle assume en principe les mêmes prestations que l'assurance AT/MP pour les salariés.

[28] Néanmoins, les juges accordent de l'importance aux réalités et non aux formalités en ce qui concerne la qualification du contrat de travail. Dès lors, il est toujours possible que le livreur de repas à vélo à domicile soit qualifié de salarié.

[29] Recommandation du Conseil n° 2019/C 387/01, du 8 novembre 2019, relative à l’accès des travailleurs salariés et non salariés à la protection sociale [en ligne].

[30] La notion de « salarié » fondée sur le pouvoir d'un employeur de donner des ordres et des directives et constituée à l'époque du travail en usine, est démodée et inappropriée de nos jours. Il faut adapter la notion de « salarié » à la transformation et à la diversification du travail, au moment où le nombre de travailleurs spécialisés et techniques exerçant une activité professionnelle selon leur propre latitude augmente. En France, la chambre sociale de la Cour de cassation a qualifié de contrat de travail la relation entre un chauffeur VTC et la société utilisant une plateforme numérique (Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A95123GE) (Y. Mizumachi, Lehman-kiki, corona-kiki to freelance : freelance no anzenmō no kadai (« Crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers, crise du coronavirus et freelances : enjeux des filets de sécurité pour les freelances ») , op. cit., note 14, p. 15. ; Corona-kiki to rōdō-hō (« Crise du coronavirus et droit du travail »), op. cit., note 10, p. 23).

[31] Le Gouvernement japonais a créé une subvention au profit de l'employeur qui embauche à titre d'essai des salariés visant à faciliter la réinsertion professionnelle, à condition que ces derniers souhaitent exercer une profession qu’ils n'ont jamais eue. Son montant mensuel est de 40 000 yens (286 euros) et sa durée maximum de trois mois par salarié concerné.

[32] À noter que le ratio entre bénéficiaires effectifs et potentiels de l'aide sociale serait très bas au Japon (vers 15 à 20 % contre 90 % en France) : les collectivités locales ont une réaction scandaleuse car l'agent chargé de l'aide sociale ne donne pas le formulaire aux demandeurs ou rejette leur demande.

[33] Pour le détail de cette allocation, v. not. Y. Shibata, Assurance et assistance dans le système japonais de protection sociale : quelles articulations ?, in M. BORGETTO (et al.) (dir.), Quelle(s) protection(s) sociale(s) demain ?, Dalloz, 2016, pp. 75 et s.

[34] Par exemple, l’allocation à court terme de logement soulève les problèmes suivants : elle n'est pas utile pour les personnes en difficulté permanente car sa durée maximale n'est que de neuf mois ; elle n'est pas utile non plus pour les personnes âgées et les personnes handicapées car elle suppose que les bénéficiaires sont capables de travailler et d'acquérir une autonomie économique dans un futur proche.

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Covid-19

[Doctrine] Les risques couverts par l’assureur en cas de pandémie : mise en œuvre de la garantie « pertes d’exploitation » dans le cadre de la Covid-19

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par Nicolas Rias, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe Louis Josserand

Le 26 Juillet 2023

Cela faisait longtemps que la communauté internationale n’avait pas été confrontée à une crise sanitaire. Après la peste de Justinien qui a sévi entre les VIe et VIIIe siècles, après la peste noire qui a frappé au Moyen Âge entre 1347 à 1353, après la fièvre jaune qui s’est abattue à plusieurs reprises au cours des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, après le choléra à l’origine de sept grands épisodes infectieux, après la grippe espagnole apparue en 1918, après la grippe asiatique qui s’est répandue de 1956 à 1958 et, enfin, après la grippe de Hong Kong qui a été active de 1968 à 1970, le temps des pandémies semblait pouvoir être relégué au rang des vieux souvenirs. La garde, en tout cas, avait été baissée à l’égard de ces fléaux. Elle l’avait été d’autant plus facilement que les progrès de la médecine étaient perçus comme suffisants pour permettre de laisser à penser qu’ils étaient de nature à conjurer rapidement les effets de la survenance éventuelle d’un nouveau virus particulièrement virulent.

L’irruption de la Covid-19 est venue rappeler que les pandémies existent toujours, que leurs conséquences sanitaires ne sont pas forcément maîtrisables immédiatement et que leur impact sur la vie économique et sociale peut aller au-delà de l’imaginable. En cela, la Covid-19 a remis les pendules à l’heure. Elle a fait prendre conscience de ce que, dans bien des domaines, les sociétés contemporaines pouvaient être largement démunies face au risque pandémique auquel elles avaient fini par se déshabituer.

Le secteur des assurances illustre de manière topique la désorganisation générée par la nécessité de faire face aux nouvelles problématiques suscitées par les pandémies en général, et par la Covid-19 en particulier, laquelle a justifié l’adoption de mesures sans précédent ayant affecté gravement l’activité des opérateurs économiques qui ont vu leurs résultats sensiblement diminuer.

Ainsi, afin de ralentir la propagation du virus de la Covid-19, le Gouvernement français a notamment pris la décision, matérialisée d’abord par un arrêté puis par trois décrets [1], d’interdire à certains établissements accueillant habituellement du public de continuer à le faire pendant ce qu’il est convenu d’appeler les deux périodes de confinement. Concrètement, en se fondant sur la nomenclature des établissements accueillant du public, telle que fixée à l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) N° Lexbase : Z43487TX, le Gouvernement a fixé la liste des catégories de structures concernées par les mesures d’interdiction qu’il prenait [2].

Ces mesures d’interdiction d’accueillir du public ont eu pour conséquence une perte d’exploitation directe des établissements qui en étaient l’objet, ainsi que, dans certains cas, une perte d’exploitation indirecte pour les établissements exerçant plusieurs activités dont certaines n’étaient pas visées dans les textes règlementaires, lesquelles ont néanmoins subi une diminution par répercussion [3].

Par ailleurs, en dehors même de ces mesures d’interdiction d’accueillir du public, les simples restrictions aux déplacements dont la population française a fait l’objet, par la même voie règlementaire, à l’occasion des deux confinements [4], ont, elles aussi, pu générer une forte baisse d’activité commerciale et donc un préjudice économique par gains manqués constitutif, là encore, de pertes d’exploitation.

Des établissements dont l’activité a été touchée par la crise sanitaire se sont parfois tournés vers leur assureur afin qu’il prenne en charge leurs pertes d’exploitation. C’est à partir de ce moment-là que va éclater, au grand jour, l’impréparation du secteur des assurances pour affronter le risque pandémique et ses répercussions en termes de pertes d’exploitation.

L’assurance pertes d’exploitation, qui est facultative, a pour objet d’indemniser les assurés de leur perte de chiffre d’affaires consécutive à l’interruption ou à la baisse de l’activité de leur entreprise. Elle ne fait l’objet d’aucune disposition légale spécifique. Par suite, elle est soumise au principe de la liberté contractuelle et la définition du risque précisément assuré relève, au cas par cas, de la substance de l’accord conclu entre l’assureur et l’assuré, mais aussi, dans l’hypothèse d’une rédaction obscure de la police d’assurance, de son interprétation par le juge, laquelle peut se révéler aléatoire [5]. De cette casuistique particulièrement prégnante, résultent de véritables incertitudes attachées au principe même de la couverture du sinistre pertes d’exploitation lorsque celui-ci trouve son origine dans la crise sanitaire de la Covid-19 (I). Et lorsque la prise en charge du sinistre apparaît finalement devoir être acquise, le débat se déplace alors sur le terrain de son règlement qui se heurte, quant à lui, à un certain nombre de difficultés (II).

I. Les incertitudes relatives à la couverture du sinistre

Les incertitudes relatives à la couverture du sinistre s’expliquent par le fait que, en l’absence de dispositions légales précises concernant non seulement l’assurance pertes d’exploitation en général, mais également l’assurance pertes d’exploitation pour cause de pandémie en particulier, les solutions à retenir vont dépendre, très naturellement, de la manière dont le contrat est rédigé. Mais elles vont également dépendre, fréquemment, de la manière dont le juge va l’interpréter. Or eu égard à la complexité, voire la subtilité, qui caractérise la rédaction des polices d’assurance, les marges d’appréciation du juge semblent en ce domaine relativement importantes, ce qui est de nature à amener les juridictions du fond à rendre des décisions qui retiennent des solutions pouvant paraître contradictoires. Les incertitudes portant sur le principe de même de la mobilisation de la police d’assurance se traduisent par le fait que, dans des proportions qui semblent équivalentes, les hypothèses de couverture (A) coexistent avec les hypothèses de non-couverture (B) du sinistre.

A. Les hypothèses de couverture du sinistre

Les hypothèses de couverture du sinistre sont justifiées par l’existence d’une clause de garantie mobilisable (1) et, en outre, par la neutralisation de la clause d’exclusion de garantie lorsqu’elle est stipulée (2).

1) L’existence d’une clause de garantie mobilisable

L’hypothèse de l’existence d’une clause de garantie mobilisable ne peut être envisagée que lorsque l’assurance pertes d’exploitation est conçue de manière autonome, en ce sens qu’elle n’est pas conditionnée par la survenance préalable d’un dommage matériel. Tel est le cas, par exemple, de la clause type proposée par un assureur, la société GENERALI, qui stipule :

« Nous garantissons au titre du chapitre soutien financier […] le paiement d’une indemnité résultant de l’interruption totale ou partielle des activités de l’assuré, consécutive à la fermeture totale ou partielle d’un établissement assuré, par suite d’une décision des autorités compétentes ».

Il apparaît très clairement, ici, que la mobilisation de la police d’assurance n’est pas subordonnée à la survenance préalable d’un dommage matériel (incendie ou autre), subi par l’assuré.

L’« autonomisation » de la garantie pertes d’exploitation n’est toutefois pas d’une condition suffisante. En effet, il est nécessaire, pour que les pertes d’exploitation causées par la crise sanitaire de la Covid-19 soient effectivement indemnisables, que la police d’assurance soit rédigée de telle manière qu’elle permette effectivement une couverture du sinistre.

Il n’y aura à cet égard pas de difficultés particulières si la police d’assurance applicable, subordonne la prise en charge du sinistre à une fermeture administrative, et que la structure concernée relève de l’une des catégories d’établissement ayant fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public comme les restaurants [6] ou encore les salles de sport.

La question est plus délicate, en revanche, lorsque la même police d’assurance a vocation à s’appliquer à un établissement « mixte » qui exploite à la fois une activité ayant fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public (telle la restauration) et une autre activité qui n’est quant à elle pas concernée (telle l’hôtellerie). Dans cette configuration, la logique voudrait que la perte du chiffre d’affaires afférent à l’activité d’hôtellerie ne soit pas prise en charge par l’assureur et que seule celle relative à l’activité de restauration soit couverte. Ce n’est toutefois pas la solution qui a été retenue par certains juges du fond. En effet, il a pu être jugé, à de multiples reprises, par des juridictions du premier degré, que dès lors qu’un établissement était partiellement concerné par les mesures d’interdiction règlementaires, c’est la perte du chiffre d’affaires correspondant à l’ensemble des activités exploitées qui devait être couverte [7]. Cette jurisprudence ne s’imposait pas avec la force de l’évidence. La raison en est qu’il convient de garder à l’esprit que le risque assuré est exclusivement la perte d’exploitation consécutive à une fermeture administrative et non pas le risque de pandémie et ses conséquences directes ou indirectes. Par suite, pour les activités non concernées par les mesures règlementaires, il peut être considéré que le sinistre ne s’est pas réalisé, de sorte que sa couverture semble être sans objet. La clause faisant référence à la fermeture totale ou partielle de l’établissement aurait donc pu être interprétée dans un sens différent de celui ici retenu et consistant à soutenir que l’intégralité de la perte du chiffre d’affaires doit être couverte, quelle que soit l’étendue de la mesure d’interdiction d’accueillir du public. Ainsi, il aurait pu être compris qu’en cas de fermeture totale par suite d’une décision administrative, l’intégralité des pertes d’exploitation doit être garantie, mais qu’en cas de fermeture partielle, seule la perte de bénéfice afférent à l’activité concernée doit être prise en charge par l’assureur.

2) La neutralisation de la clause d’exclusion de garantie

Le fait qu’une clause de garantie soit mobilisable ne suffit pas toujours à établir l’obligation faite à l’assureur de couvrir le sinistre subi par son assuré. En effet, il reste encore envisageable que cette obligation de couverture puisse être tenue en échec par l’application d’une clause d’exclusion de garantie. La prise en charge effective du sinistre ne peut alors se concevoir que par la neutralisation de ladite clause d’exclusion de garantie.

Aux termes de l’article L. 113-1, aliéna 1er, du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH : « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Il en ressort que la validité d’une clause d’exclusion de garantie est doublement conditionnée. Tout d’abord, la clause doit être formelle. Il a été relevé par un auteur [8] que l’exclusion est formelle, selon la jurisprudence [9], « si elle est rédigée de façon claire, précise et non équivoque, de sorte que l’assuré peut déterminer sans difficulté les cas dans lesquels le risque ne sera pas couvert » et qu’elle est limitée, toujours selon la jurisprudence [10], « si elle n’est pas un instrument utilisé par l’assureur afin de vider la garantie de sa substance ». Il faut, en outre, garder à l’esprit que, en application des dispositions de l’article L. 112-4, alinéa 3, du Code des assurances N° Lexbase : L0055AAB, les clauses d’exclusion de garantie doivent être mentionnées en caractères très apparents.

Si certaines juridictions du fond ont pu retenir la validité des clauses d’exclusion de garantie dans le cadre de sinistres en lien avec la Covid-19 [11], d’autres, et pour les mêmes clauses, ont pu décider le contraire, de sorte que, finalement, l’assureur a été tenu de verser une indemnité à son assuré. Ce défaut de similarité des solutions retenues en fonction de la juridiction saisie illustre en tout cas avec force les incertitudes afférentes à la couverture, ou non, des sinistres consécutifs à la crise sanitaire.

Le débat a été particulièrement vif à propos de la clause d’exclusion de garantie contenue dans les polices d’assurance proposées par la société AXA et ainsi rédigées :

« La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1/ La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même ;

2/ La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication. […]

Sont exclues :

- les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a décidé, dans un arrêt en date du 25 février 2021 [12], que l’exclusion de garantie devait être réputée non écrite, à défaut de satisfaire aux exigences posées par l’article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH. Elle a motivé sa décision en relevant que la clause n’est aucunement limitée dès lors qu’elle vise « tout autre établissement » faisant l’objet d’une fermeture administrative pour une cause identique, quelle que soit sa nature et son activité, et que ledit autre établissement peut se situer sur un territoire particulièrement vaste puisque « dépassant le simple cadre d’un village ou d’une ville ». Elle a poursuivi son raisonnement en indiquant que l’application d’une telle clause reviendrait en réalité à ne pas couvrir l’assuré de ses pertes d’exploitation subies non seulement à raison de la crise sanitaire de la Covid-19 en particulier, mais également, et plus généralement, à raison d’une épidémie quelle qu’elle soit. Par suite, elle priverait nécessairement de sa substance l’obligation essentielle de l’assureur qui est, faut-il le rappeler, de garantir son assuré en cas de pertes d’exploitation consécutives à une… épidémie. Il faut signaler que, en substance, cette même analyse a été reprise à son compte par la cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt rendu le 15 avril 2021 [13].

Toujours à propos de cette clause « AXA, la cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 26 octobre 2021 [14], a également réputé non écrite l’exclusion de garantie, mais pour des raisons un peu différentes. Elle s’est en effet fondée sur l’imprécision du terme épidémie, quand bien même celui-ci n’est pas visé dans le texte même de la clause d’exclusion de garantie, dès lors que cette dernière y renvoie cependant indirectement [15]. Ainsi, après avoir relevé que le contrat d’assurance ne définit pas l’épidémie, pas plus qu’il ne définit la maladie contagieuse, la cour d’appel de Poitiers a constaté que le mot « épidémie » pouvait avoir différentes significations, de sorte qu’il est sujet à interprétation. Par suite, la clause d’exclusion, qui renvoie à une circonstance (l’épidémie) qui n’est pas définie, ne permet pas à l’assuré de connaître avec exactitude la garantie dont il est censé bénéficier. À défaut d’être suffisamment précise, elle doit être réputée non écrite.

B. Les hypothèses de non-couverture du sinistre

Les hypothèses de non-couverture du sinistre sont globalement justifiées soit par l’absence de clause de garantie mobilisable (1), soit par la validité de la clause d’exclusion de garantie intégrée au contrat (2).

1) L’absence de clause de garantie mobilisable

L’absence de clause de garantie mobilisable renvoie concrètement à deux situations différentes qui ont en commun de rendre compte de ce que l’une des conditions d’activation de la police d’assurance pertes d’exploitation fait défaut.

S’agissant de la première situation, elle s’explique par le fait que l’assurance pertes d’exploitation est conçue comme une garantie accessoire, en ce sens qu’elle n’est susceptible d’être mobilisée, aux termes de la police d’assurance, que si une autre garantie, principale cette fois-ci, a vocation à être activée [16]. Plus précisément, l’assurance pertes d’exploitation ne peut être mise en œuvre que si un dommage matériel est survenu. Par exemple, un immeuble à l’intérieur duquel est exploité un commerce fait l’objet d’un incendie. Une assurance de chose a été souscrite pour le risque incendie, ainsi qu’une assurance pertes d’exploitation en cas de destruction par incendie. En tant que garantie accessoire, l’assurance pertes d’exploitation pourra valablement être mobilisée puisque le dommage matériel qui la conditionne est caractérisé. Une première indemnité d’assurance sera versée au titre du sinistre incendie, laquelle permettra de financer les travaux de remise en état, et une seconde indemnité d’assurance sera versée au titre de la perte d’exploitation, cette fois-ci pour indemniser l’assuré de la perte de son chiffre d’affaires générée par la nécessaire fermeture de son établissement. Il apparaît donc que lorsque la garantie pertes d’exploitation souscrite est une garantie accessoire, elle ne peut valablement être mise en œuvre pour indemniser les assurés de leur perte de chiffre d’affaires consécutive à la crise sanitaire de la Covid-19. En effet, le préjudice subi par ces derniers ne procède aucunement d’un dommage matériel initial.

S’agissant de la seconde situation, elle renvoie à celle où la garantie pertes d’exploitation est certes envisagée à titre autonome, mais est néanmoins conditionnée à une fermeture administrative qui fait défaut. Ce qu’il faut ici rappeler, c’est que, bien souvent, la police d’assurance pertes d’exploitation ne couvre pas la perte de chiffres d’affaires consécutive à la seule survenance d’une pandémie qui n’est, en elle-même, pas un risque assuré. Ce qui constitue l’objet de l’assurance, c’est le risque de fermeture administrative consécutif à une pandémie et les conséquences financières qui lui sont attachées. C’est ce qui ressort en tout cas d’un certain nombre de clauses types intégrées dans les polices d’assurance pertes d’exploitation de plusieurs compagnies d’assurances. Par exemple, un assureur (la société GROUPAMA) prévoit, au titre de la garantie pertes d’exploitation, qu’est couverte l’impossibilité de poursuivre les activités par suite de la survenance d’une fermeture de l’établissement sur l’ordre des autorités administratives, lorsque celle-ci est motivée par la seule réalisation effective d’événements limitativement énumérés, parmi lesquels figurent les maladies contagieuses ou les épidémies. Dans le même sens, un autre assureur (la société MMA IARD) prévoit qu’en l’absence de préjudice matériel, la garantie pertes d’exploitation est mobilisable en cas de fermeture administrative décidée après une épidémie (ou encore une intoxication alimentaire ou un sinistre responsabilité civile). Lorsque l’activation de la garantie pertes d’exploitation est subordonnée, comme dans les clauses qui viennent d’être évoquées, à une décision de fermeture administrative, les établissements n’appartenant à l’une des catégories visées dans l’arrêté du 14 mars 2020, dans le décret n° 2020-293, du 23 mars 2020 N° Lexbase : L5507LWU, dans le décret n° 2020-548, du 11 mai 2020 N° Lexbase : L8355LWD et dans le décret n° 2020-1310, du 29 octobre 2020 N° Lexbase : L5637LYG ne peuvent effectivement prétendre à une couverture assurantielle de leur préjudice. Tel n’est pas le cas, par exemple, des établissements hôteliers [17].

2) La validité de la clause d’exclusion de garantie

Il est des cas dans lesquels les conditions de la garantie sont manifestement réunies : l’assurance pertes d’exploitation a été souscrite à titre autonome et l’établissement concerné fait l’objet d’une interdiction d’accueillir du public. Pourtant, l’assureur va dénier devoir couvrir le sinistre en se fondant sur une clause d’exclusion de garantie dont la validité va être retenue.

Cette hypothèse a été largement illustrée avec la clause type, déjà évoquée, de la garantie pertes d’exploitation de la société d’assurances AXA [18].

Telle que rédigée, ladite clause fait ressortir que les conditions de la garantie pertes d’exploitation sont a priori réunies, puisque l’arrêté du 14 mars 2020, le décret n° 2020-293, du 23 mars 2020 N° Lexbase : L5507LWU, le décret n° 2020-548, du 11 mai 2020 N° Lexbase : L8355LWD et le décret n° 2020-1310, du 29 octobre 2020 N° Lexbase : L5637LYG peuvent être considérés comme assimilables à des décisions de fermeture [19], lesquelles sont, en outre, justifiées par une maladie contagieuse.

Cela étant, la clause d’exclusion de garantie va venir faire obstacle à ce que l’assureur soit finalement tenu d’indemniser son assuré de ses pertes d’exploitation. En effet, elle prévoit que la couverture n’est pas due lorsqu’un autre établissement situé dans le même département a fait l’objet d’une mesure identique pour une cause identique. Or dans le cadre de la crise sanitaire de la Covid-19, ce sont tous les établissements relevant des catégories concernées par les règlements précédemment évoqués qui ont dû cesser d’accueillir du public. Par suite, la clause d’exclusion de garantie a vocation à s’appliquer.

Toutefois, le débat juridique n’est ici encore pas totalement clos, car la discussion doit alors se déplacer sur le terrain de la validité de cette clause d’exclusion de garantie. 

Les conditions de validité des clauses d’exclusion de garantie ont été précédemment évoquées. Pour rappel, les exclusions doivent être formelles, limitées et stipulées en caractères très apparents [20].

S’agissant de la clause litigieuse, le débat quant à sa validité s’est concentré sur la question de son caractère ou non formel et de son caractère ou non limité. À cet égard, il peut être relevé que certaines juridictions du fond, mais pas toutes [21], ont considéré que ladite clause était suffisamment formelle et limitée, de sorte qu’elle était valide et que l’assureur n’avait pas à couvrir le sinistre.

C’est par exemple ce qui a été jugé par la cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt rendu le 7 juin 2021 [22]. Tout d’abord, s’agissant de la condition relative au caractère formel de la clause, la cour a relevé qu’elle était satisfaite dès lors que celle-ci est suffisamment claire et qu’elle n’est donc pas de nature à créer chez l’assuré un doute sur la portée de l’exclusion [23]. Ensuite, s’agissant de la condition relative au caractère limité de la clause, la cour a considéré qu’elle était, là encore, satisfaite en ce qu’elle ne vide aucunement de sa substance l’obligation de l’assureur de couvrir les pertes d’exploitation qui n’est pas rendue dérisoire dans la mesure où celle-ci demeure lorsqu’aucun autre établissement situé dans le même département n’a fait l’objet de la même mesure pour la même cause [24].

Cette solution de la cour d’appel de Bordeaux a été reprise à son compte quelque temps plus tard par la cour d’appel de Lyon, en des termes sinon identiques, du moins substantiellement similaires [25].

Puis, c’est la Cour de cassation elle-même, laquelle contrôle l’interprétation des juges du fond lorsqu’elle porte sur des clauses types, qui a considéré dans quatre arrêts rendus le même jour que la clause d’exclusion de garantie était parfaitement valide [26]. Ella a considéré que la clause était à la fois formelle, puisque ce référent à des critères précis [27], et limitée, puisque ne privant pas l’assuré du bénéfice de sa garantie en dehors de circonstances particulières strictement définies, laissant ainsi subsister une couverture assurantielle pouvant être qualifiée d’aucunement dérisoire [28].

Si les raisons de l’absence de prise en charge par l’assureur de pertes d’exploitation consécutives à la crise sanitaire de la Covid-19 apparaissent, en définitive, diverses et variées, celles qui justifient, en sens inverse, une couverture du sinistre ne sont juridiquement pas moins nombreuses. D’où l’incertitude quant à la possible mobilisation de la police d’assurance pertes d’exploitation dans de telles circonstances. Cela étant, pour ce qui est de la clause « AXA », les ambiguïtés ont été clairement levées par les arrêts de la Cour de cassation rendus le 1er décembre 2022, lesquels tranchent très nettement en faveur de la validité de la clause d’exclusion de garantie et donc en faveur de l’absence de couverture assurantielle [29].

Lorsque, pour l’une des différentes raisons qui viennent d’être envisagées, la garantie pertes d’exploitation n’est pas due par l’assureur, la discussion juridique prend fin et l’assuré devra assumer seul les conséquences de la crise sanitaire, ce qui pourra parfois conduire à sa liquidation, les difficultés financières auxquelles il est confronté pouvant être insurmontables en dépit des aides étatiques dont il a pu bénéficier.

Au contraire, lorsque les pertes d’exploitation doivent être prises en charge par l’assureur, les questionnements juridiques se poursuivent sur le terrain, cette fois-ci, du règlement du sinistre, lequel peut susciter un certain nombre de difficultés qu’il convient maintenant d’évoquer.

II. Les difficultés relatives au règlement du sinistre

Le sinistre « pertes d’exploitation » soulève principalement deux séries de difficultés s’agissant de son règlement dans le cadre de la crise sanitaire de la Covid-19. La première tient à son évaluation (A). La seconde tient à son caractère sériel (B).

A. Les difficultés relatives à l’évaluation du sinistre

Dans le cadre de l’assurance « pertes d’exploitation », le sinistre correspond aux pertes d’exploitation de l’assuré qui ont été précisément causées par l’événement justifiant la mobilisation de la police d’assurance. Une fois acquise la couverture du sinistre par l’assureur, se pose la question de l’évaluation de ce sinistre ou, plus précisément, du montant de l’indemnité qui va devoir être versé par l’assureur à son assuré. À cet égard, des difficultés non négligeables vont parfois survenir, qui tiennent à la grande spécificité de la situation à l’origine des pertes d’exploitation consécutives à la crise sanitaire.

Les pertes d’exploitation correspondent généralement à la perte de marge brute subie par l’assuré. Elles sont calculées en faisant la différence entre le chiffre d’affaires qui aurait été réalisé pendant toute la période couverte par l’assureur en l’absence de sinistre, et le chiffre d’affaires effectivement réalisé, sur la même période. Le taux de marge brut est ensuite appliqué au montant de la perte de chiffre d’affaires, avant déduction des dépenses habituellement exposées en période normale, mais qui ne l’ont pas été à raison de la survenance du sinistre (telles que les charges salariales ou les dépenses de fonctionnement par exemple).

Le calcul des pertes d’exploitation consécutives à la crise de la Covid-19 peut concrètement soulever des difficultés qui tiennent, d’une part, à l’incidence des facteurs extérieurs et, d’autre part, à la nature des activités exercées dans l’établissement assuré.

S’agissant de la question de l’influence des facteurs extérieurs sur les pertes d’exploitation, elle se pose au regard de la particularité de la situation qu’a fait naître la crise sanitaire. En effet, au-delà des mesures d’interdiction d’accueillir du public affectant les établissements sollicitant la couverture de leur assureur au titre des pertes d’exploitation, les autorités publiques ont pris des mesures de restriction au droit de se déplacer qui ont affecté, sauf exception, l’ensemble de la population. Ces mesures ont sans doute été une cause de perte de chiffre d’affaires indépendante de la survenance du sinistre qui consiste exclusivement, il faut le rappeler, dans la fermeture de l’établissement concerné. D’autres facteurs extérieurs peuvent encore être identifiés dans la baisse de fréquentation touristique ou encore dans le développement, durant la même période, du télétravail. Par suite, ces pertes de chiffre d’affaires extérieures à celles générées par le seul sinistre « fermeture de l’établissement », ne doivent semble-t-il pas être prises en considération dans l’évaluation de l’indemnité d’assurance due par l’assureur au titre de sa police d’assurance. Il convient donc de les évaluer avant de les déduire de la perte de chiffre d’affaires prise en compte pour calculer la perte de marge brute. Toute la difficulté réside dans le fait que cette évaluation semble techniquement assez complexe à opérer. Il n’est pas sûr qu’un expert-comptable, à qui la mission d’évaluer les pertes d’exploitation est habituellement confiée, dispose des moyens techniques pour ce faire.

S’agissant des difficultés tenant à la nature des activités exercées dans l’établissement concerné, il convient de préciser qu’elles ne surviennent pas systématiquement. Ainsi, lorsque l’assuré exploite, au sein de son établissement, une seule et même activité pour laquelle une mesure d’interdiction d’accueillir du public a été prise, l’évaluation du sinistre ne soulève techniquement pas d’obstacles particuliers.

En revanche, lorsque l’assuré exploite, au sein de son établissement, plusieurs activités pour lesquelles seulement certaines d’entre elles ont fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public, l’évaluation du sinistre sera a priori beaucoup plus difficile à opérer, surtout lorsque, hypothèse loin d’être marginale, pour des raisons financières ou commerciales, les exploitants ont préféré procéder à une fermeture totale de l’établissement, alors que, juridiquement, une fermeture partielle était seule exigée.

Dans cette configuration, outre la question récurrente déjà évoquée de la prise en compte des facteurs extérieurs que sont les restrictions à la liberté de déplacement, se posera celle de savoir quel est l’impact de la décision, non imposée à l’exploitant, de fermeture de l’activité pour laquelle l’accueil du public continuait pourtant à être autorisé.

Le propos peut être illustré à travers l’exemple d’un établissement qui exerce en son sein les trois activités suivantes que sont l’hôtellerie, la restauration et la mise à disposition de salles de réunion. Alors que la première activité n’a pas fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public, les deux autres l’ont fait. Le sinistre couvert au titre de l’assurance pertes d’exploitation correspond, normalement, exclusivement à la perte de marge brute afférente aux seules activités de restauration et de mise à disposition de salles de réunion. Pour l’activité d’hôtellerie, en effet, aucun sinistre n’étant survenu, aucune couverture de l’assureur n’a à être déployée. Cela étant, la fermeture, spontanée, de l’activité hôtellerie aurait eu des répercussions sur l’activité de restauration et sur l’activité de mise à disposition de salles de réunion si, en l’absence de sinistre, celles-ci avaient pu continuer à être exploitées. Il s’agira alors d’évaluer l’incidence qu’aurait eue la fermeture de l’activité hôtellerie sur le chiffre d’affaires relatif à l’activité restauration et à l’activité de mise à disposition de salles de réunion, si ces dernières avaient pu, en l’absence de crise sanitaire, continuer à être exploitées. Certes, il pourrait être objecté que, en l’absence de fermeture des activités de restauration et de mise à disposition de salles de réunion imposée par la voie règlementaire, l’activité hôtellerie n’aurait pas été unilatéralement arrêtée, de sorte qu’il s’agit là d’un débat qui n’a pas lieu d’être. Mais des assureurs ne l’entendent pas forcément de cette oreille. Certains soutiennent, en effet, que cette fermeture spontanée constitue finalement une variété de facteurs extérieurs au sinistre qui doit être prise en compte dans le calcul de la perte de marge brute.

L’ensemble de ces considérations témoignent de ce que, en matière de pertes d’exploitation consécutives à la crise sanitaire de la Covid-19, l’évaluation du sinistre peut susciter des difficultés à propos desquelles il n’est pas certain qu’un expert-comptable pourra venir à bout. Qui plus est, à cette difficulté d’évaluation du sinistre vient s’en ajouter une autre, d’ordre essentiellement économique, et qui tient au caractère sériel dudit sinistre.

B. Les difficultés relatives à la sérialité du sinistre

Alors que l’assurance pertes d’exploitation présente déjà un coût particulièrement élevé pour celui qui la souscrit [30], son équilibre économique a été mis à rude épreuve à l’occasion de la crise sanitaire de la Covid-19.

En effet, par le caractère sériel du sinistre, en ce qu’il est survenu sur une même période pour la plupart des sociétés ayant souscrit une police d’assurance pertes d’exploitation, les assureurs se trouvent dans une situation particulièrement délicate qui n’avait pas été anticipée, ni même imaginée, tant la période des pandémies semblait être révolue. Leur situation peut être d’autant plus délicate que le coût de chaque sinistre pour l’assureur est susceptible de se révéler rapidement élevé.

L’occasion est donc venue de repenser le régime de l’assurance pertes d’exploitation. C’est en tout cas ce dont a pris rapidement conscience le pouvoir politique en formulant pas moins de trois propositions de réformes législatives dans les deux mois ayant suivi le premier confinement.

Une première proposition de loi a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale dès le 7 avril 2020, qui tend à instituer une contribution exceptionnelle des assureurs au soutien des entreprises fragilisées par l’épidémie de la Covid-19 et portant création d’une couverture du risque de catastrophe sanitaire [31]. L’idée phare de la proposition est d’intégrer dans le Code des assurances des dispositions spécifiquement consacrées aux risques de catastrophe sanitaire. La police d’assurance souscrite pourrait être mobilisée après déclaration de l’état de catastrophe sanitaire reconnue par décret en Conseil des ministres. La garantie pertes d’exploitation, qui serait obligatoire et financée par une cotisation additionnelle, pourrait être activée dès lors que l’établissement concerné subit une interruption totale ou partielle d’activité, à la suite d’une décision de l’autorité administrative. Il est à noter que les auteurs de la proposition prévoient qu’il importe peu que la perte d’exploitation soit consécutive à une fermeture des lieux ou à une simple limitation de la circulation des biens et des personnes (qui doit constituer, le plus souvent, en l’état actuel, un facteur extérieur tel qu’il a été précédemment évoqué).

Une deuxième proposition de loi a été déposée sur le bureau du Sénat, le 16 avril 2020 [32]. Son objet est de définir et de coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité́ nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure. Le texte soumis aux sénateurs présente l’originalité de faire coexister les mécanismes assurantiels et les mécanismes de solidarité nationale pour permettre la prise en charge des pertes d’exploitation. Au titre de l’assurance, il est prévu d’intégrer dans les polices d’assurance qui garantissent les dommages incendies, et qui sont souscrites dans le cadre de l’exercice professionnel d’une activité économique, une couverture des pertes d’exploitation consécutives aux mesures prises pour conjurer une crise sanitaire grave. La couverture de ce sinistre serait financée à travers une prime ou une cotisation additionnelle. Au titre de la solidarité nationale, un fonds d’aide serait mis en place au profit des compagnies d’assurance, lequel serait alimenté par un prélèvement annuel d’un minimum de 500 millions d’euros sur le produit des primes ou cotisations des contrats d’assurance de biens professionnels. Les ressources du fonds seraient réparties entre les différentes compagnies d’assurance proportionnellement au montant des indemnisations qu’elles ont dû verser à leurs assurés au titre de la couverture du sinistre pertes d’exploitation.

Une troisième et dernière proposition de loi a été déposée, sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 12 mai 2020, qui vise à créer un mécanisme d’assurance des pertes d’exploitation liées à des menaces ou des crises sanitaires [33]. Selon ses termes, il est suggéré de créer un mécanisme, facultatif, d’assurance des pertes d’exploitation liées à des crises sanitaires graves, qui serait financé par une cotisation additionnelle, sur le modèle de ce qui existe déjà avec les polices d’assurance de risques de catastrophes naturelles. Afin de préserver l’équilibre économique du système mis en place, les auteurs de la proposition préconisent de fixer un cadre relativement strict à cette police d’assurance qui ne pourrait être activée qu’en cas d’événement exceptionnel de grande ampleur, aux conséquences graves, pour couvrir les effets de décisions prises par la puissance publique pour le contenir (telles que les mesures d’interdiction de rassemblement, de restriction de circulation, ou encore de fermeture d’établissement), et dans des secteurs délimités particulièrement exposés (tels que l’hôtellerie, la restauration, les transports, etc.).

À l’heure actuelle, ces trois propositions n’ont pas abouti à l’adoption d’un texte de loi. Parmi les différentes raisons qui justifient cette absence de suites concrètes, figure très certainement celle de l’insuffisance des moyens imaginés pour assurer un financement pérenne d’une telle police d’assurance, permettant alors d’atteindre un équilibre économique dans la durée.

Quoi qu’il en soit, la crise sanitaire de la Covid-19 a pu mettre en exergue la nécessité de repenser en profondeur la couverture, par les compagnies d’assurance, des sinistres « pertes d’exploitation » consécutifs aux pandémies. Si la prise de conscience ne fait pas de doute, force est de constater que, pour l’heure, les modifications législatives n’ont, en pratique, pas encore été effectivement actées. Il est vrai cependant que, au regard de l’ampleur du travail à accomplir, il est peut-être encore tôt. Cela étant, du côté des sociétés d’assurances, il se dit que les contrats « pertes d’exploitation » ont, le plus souvent, d’ores et déjà été modifiés pour exclure le risque de fermeture administrative consécutive à une pandémie.

 


[1] Article 1er de l’arrêté du ministre des Solidarités et de la Santé, du 14 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 N° Lexbase : Z29840SP ; décret n° 2020-293, du 23 mars 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 8 N° Lexbase : Z23244SQ ; décret n° 2020-548, du 11 mai 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 10 N° Lexbase : Z04407SR ; décret n° 2020-1310, du 29 octobre 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 40 et s. N° Lexbase : Z10171TD.

[2] Par exemple, ont dû cesser d’accueillir du public, au moins à un moment ou à un autre des périodes de confinement, les établissements suivants : salles d'auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple sauf pour les salles d'audience des juridictions (catégorie L) ; magasins de vente et centres commerciaux, sauf  pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes, et sauf pour les magasins faisant l’objet d’une exception textuellement prévue, tels que les commerces d’alimentation générale (catégorie M) ;  restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le room service des restaurants et bars d'hôtels et la restauration collective sous contrat (catégorie N) ; salles de danse et salles de jeux (catégorie P) ; bibliothèques, centres de documentation (catégorie S) ; salles d'expositions (catégorie T) ; établissements sportifs couverts (catégorie X) ;  musées (catégorie Y) ; chapiteaux, tentes et structures (catégorie CTS) ; établissements de plein air (catégorie PA) ; établissements d'éveil, d'enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement, sauf exception (catégorie R). Les catégories d’établissement non visées dans l’arrêté ou l’un des trois décrets pouvaient donc continuer à accueillir du public. Tel était le cas, par exemple, des hôtels et hébergements similaires à l'exclusion des villages vacances, maisons familiales et auberges collectives (catégorie O), des structures d'accueil pour personnes âgées et personnes handicapées (catégorie J), des administrations, banques, et bureaux (catégorie W), des gares (catégorie GA), ou encore des établissements sanitaires (catégorie U).

[3] Tel peut-être le cas, par exemple, d’un établissement qui exploite en même temps une activité hôtelière et une activité de mise à disposition de salles de conférences. L’activité hôtelière n’a fait pas l’objet d’une interdiction d’accueillir du public mais, du fait de la restriction des services proposés par l’établissement, il est possible que son chiffre d’affaires afférent à l’hôtellerie s’en soit trouvé affecté.

[4] Décret n° 2020-293, du 23 mars 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 3 et s. N° Lexbase : Z23256SQ ; décret n° 2020-548, du 11 mai 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 3 et s. N° Lexbase : Z98822SQ ; décret n° 2020-1310, du 29 octobre 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, art. 4 N° Lexbase : Z10111TD.

[5] J. Kullmann, Covid-19 et assurance des pertes d’exploitation : nouveau « petit guide-âne » destiné à combattre l’ignorance de la langue française et la méconnaissance de principes juridiques élémentaires, RGA, 2020, n° 10, p. 5.

[6] TJ Paris, référé, 11 février 2021, n° 21/50243 N° Lexbase : A93824GL ; CA Aix-en-Provence, ch. 1-3, 4 novembre 2021, n° 21/01854 N° Lexbase : A91717AW.

[7] T. com. Carcassonne, 21 juillet 2021, n° 2021000270, n° 2021000272, n° 2021000273, n° 2021000275, n° 2021000277 : « Attendu que le contrat d’assurance […] précise que les pertes d’exploitation de l’établissement assuré concernent son activité « hôtel-restaurant ». Attendu que le contrat d’assurance n’exclut ni ne dissocie aucune activité de l’assuré l’une par rapport à l’autre […] » ; T. com. La Roche-Sur-Yon, 14 décembre 2021 : « Attendu que […] ; que la police d’assurance litigieuse stipule que : « Nous garantissons au titre du chapitre soutien financier de l’annexe 100 % pro "hôtel-restaurant", le paiement d’une indemnité résultant de l’interruption totale ou partielle des activités de l’assuré, consécutive à la fermeture totale ou partielle d’un établissement assuré, par suite d’une décision des autorités compétentes » ; que la police d’assurance ne distingue pas les activités de l’assurée mais stipule qu’en cas de fermeture partielle ou totale de l’établissement (et non pas d’une activité) par une autorité compétente, ce qui est le cas en l’espèce, l’assureur s’engage à verser une indemnité relative aux activités de l’établissement interrompues totalement ou partiellement ; […] ; qu’ainsi, contrairement aux allégations de la société […], la police d’assurance est mobilisable par la société […] pour la perte subie par l’ensemble de ses activités et pas seulement celle énumérée par les arrêtés […] ; […] ».

[8] S. Bertolaso, Assurances terrestres – Contrat d'assurance – Le risque, objet du contrat, J-Cl. Responsabilité civile et Assurances, fasc. 505-20, 2020, n° 98.

[9] Cass. civ. 2, 18 janvier 2006, n° 04-17.872, FS-P+B N° Lexbase : A4033DMC.

[10] Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-14.300, F-D N° Lexbase : A1520EPY, Resp. civ. et assur., 2010, comm. 66, note H. Groutel.

[11] V. infra.

[12] CA Aix-en-Provence, 25 février 2021, n° 20/10357 N° Lexbase : A21574IQ.

[13] CA Montpellier, 15 avril 2021, n° 21/00434 : « […]. La clause d’exclusion vient ainsi en contradiction avec les conditions mêmes de la garantie et la vide de sa substance lorsque la garantie est déclenchée par une épidémie, évènement garanti, générant ainsi une incohérence entre la clause de garantie et la clause d’exclusion alors que le propre d’une épidémie est de s’étendre sur l’ensemble d’un territoire, voire au-delà et que le contrat ne la définit pas comme devant se produire dans le seul établissement assuré. […] ».

[14] CA Poitiers, 26 octobre 2021, n° 20/02949.

[15] « […], même si le mot "épidémie" ne figure pas dans la clause d’exclusion, celle-ci s’y réfère dans une mesure nécessaire et opérante, et même déterminante, puisqu’elle vise le cas où au moins un autre établissement fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative "pour une cause identique", et cette dernière formule ne se comprend qu’en se référant à la liste d’événements stipulée dans la cause comme ouvrant seuls droit à la garantie lorsque l’un d’eux a conduit à la décision de fermeture administrative, à savoir une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie où une intoxication. […] ».

[16] L. Bloch, Le poison de l’assurance pertes d’exploitation et le Covid-19, Resp. civ. et assur., 2020, focus 14 ; R. Bigot, A. Cayol et A. Charpentier, Risque de pandémie, pertes d’exploitation et incertitudes des garanties assurantielles, Resp. civ. et assur., 2022, études n° 7 ; P.-G. Marly, Covid-19, Assurance - 0 ? Libre propos sur la couverture des pertes d’exploitations liées à la crise sanitaire, BJDA, 2020, n° 68.

[17] Par exemple : T. com. Lyon, 11 janvier 2021, n° 2020J00826 N° Lexbase : A58207AS ; TJ Paris, 18 mars 2021, n° 21/00124 ; T. com. Paris, n° 2020032964 N° Lexbase : A87184GY ; CA Paris, 4-8, 22 mars 2022, n° 21/08459 N° Lexbase : A08227RU ; CA Rennes, 5e ch., 16 mars 2022, n° 21/05836 N° Lexbase : A70197QZ.

[18] V. supra.

[19] Cette affirmation a pu néanmoins être contestée par certains qui considèrent que l’interdiction faite à un établissement accueillant du public d’accueillir du public ne peut pas être assimilée à une décision de fermeture, faute d’être individuelle. Il sera néanmoins fait observer que la police d’assurance fait référence à une décision de fermeture sans distinguer selon qu’elle est individuelle ou collective. Or il n’y a pas lieu de distinguer là où le règlement ne distingue pas.

[20] V. supra.

[21] V. infra.

[22] CA Bordeaux, 4e ch., 7 juin 2021, n° 20/04363 N° Lexbase : A94094UZ.

[23] « La notion "d’établissement" ne saurait se limiter à une définition juridique étroite d’établissement secondaire de l’assurée, mais au contraire traduit, notamment pour un non juriste, l’absence de restriction à une catégorie spécifique d’établissement prise dans un sens large. - La mention "quelle que soit sa nature et son activité" permet de bien comprendre que la fermeture de tout établissement, quel qu’il soit, écartera l’application de la garantie lorsque cette fermeture, dans le même département, résultera d’une cause identique. - La mention de cause identique est sans ambiguïté et se réfère à la cause de fermeture des établissements concernés. - En l’espèce, la lecture de la clause ne souffre d’aucune interprétation et n’est pas de nature à créer un doute sur la portée de l’exclusion. La clause remplit donc le caractère formel exigé par l’article L. 113-1 du Code des assurances ».

[24] « De même, la clause répond au caractère limité imposé par l’article L. 113-1 du Code des assurances, et ne vide pas la garantie de sa substance. - En application de ce texte, la clause d’exclusion est valable dès lors qu’une partie de la garantie subsiste, et qu’elle n’a pas pour effet de rendre dérisoire l’obligation du débiteur. - Il doit à nouveau être ici rappelé que le risque couvert est celui de pertes d’exploitation, étendu aux pertes subséquentes à une fermeture administrative, et non le risque de survenance d’une épidémie. - Or une épidémie, qui n’est pas nécessairement à l’échelle d’un pays, d’une région, d’un département ou même d’une localité, peut être la cause de la fermeture administrative d’un unique établissement, et la société Axa peut utilement citer par exemple des épidémies de légionellose, de salmonellose ou de gastro-entérite. La couverture d’un risque même improbable ne prive pas la clause de son caractère limité. […] ».

[25] CA Lyon, 30 septembre 2021, n° 20/06237, Resp. civ. et assur., 2021, comm. 219, obs. L. Bloch.

[26] Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-15.392 N° Lexbase : A45218WD, n° 21-19.341 N° Lexbase : A45408W3, n° 21-19.342 N° Lexbase : A54888W8, n° 21-19.343 N° Lexbase : A54858W3, FS-B+R.

[27] […]. 7. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation. 8. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt, par motifs adoptés, retient que si le terme « épidémie », que le contrat ne définit pas, invoqué comme « cause identique » de fermeture administrative, doit être interprété, il en résulte nécessairement que la clause d'exclusion qui le vise ne peut être qualifiée de formelle, au sens des dispositions de l'article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH. 9. Il ajoute que pour appréhender le mot « épidémie » et la notion de « population », l'assuré aurait dû préalablement consulter divers sites, rapports, articles de presse ou médecins. 10. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé. […] (Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-15.392, FS-B+R N° Lexbase : A45218WD).

[28] […] 13. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire. 14. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que l'obligation essentielle de l'assureur est celle d'indemniser son assuré des pertes d'exploitation subies à la suite d'une fermeture administrative en raison d'une épidémie. 15. Il énonce, ensuite, que l'exclusion n'est pas limitée dès lors qu'elle vise tout autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, faisant l'objet d'une fermeture administrative pour une cause identique, sur un territoire particulièrement vaste, puisque dépassant le simple cadre d'un village ou d'une ville, et que l'application pure et simple de cette clause aboutirait à ne pas garantir l'assuré des pertes d'exploitation subies en raison de la fermeture administrative de son restaurant pour épidémie de coronavirus, et à priver de sa substance l'obligation essentielle de garantie. […]. 16. Ajoutant que l'assureur ne produit aucune pièce concernant le cas où sa garantie aurait joué en cas d'épidémie, l'arrêt en déduit que la clause d'exclusion litigieuse ne satisfait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH. 17. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé (Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-15.392, FS-B+R N° Lexbase : A45218WD).

[29] V. supra.

[30] H. Kenfack, Leçons de la pandémie de Covid-19 : la systématisation des clauses de force majeure et d’assurance perte d’exploitation, D., 2020, p. 2185 et s.

[31] Proposition de loi n° 2807 enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale, le 7 avril 2020 [en ligne].

[32] Proposition de loi n° 402 enregistrée à la présidence du Sénat, le 16 avril 2020 [en ligne].

[33] Proposition de loi n° 2920 enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale, le 12 mai 2020 [en ligne].

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Covid-19

[Doctrine] L’indemnisation spécifique des dommages liés à la vaccination contre la Covid-19 en droit anglais : le Vaccine Damage Payments Scheme

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N6272BZC

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par Emmanuelle Lemaire, Lecturer in Law à l’Université d’Essex (Royaume-Uni)

Le 27 Juillet 2023

Introduction*

En Angleterre, les victimes de dommages liés à la vaccination contre la Covid-19 ont peu de chance d’obtenir une indemnisation par le biais de la responsabilité civile, et ce peu importe que l’action soit entreprise à l’encontre du producteur ayant conçu ou fabriqué le vaccin [1], du professionnel de santé ayant administré la dose ou même de l’autorité publique ayant recommandé d’avoir recours à la vaccination. Dans toutes ces configurations, les victimes de dommages vaccinaux risquent de rencontrer de sérieuses difficultés probatoires, qu’il s’agisse de prouver le défaut du vaccin, la violation du devoir de diligence par le professionnel de santé [2] ou l’autorité publique, ou encore la preuve du lien de causalité avec le dommage, pour ne citer que les obstacles les plus courants. Bien conscient de ces difficultés, le Gouvernement britannique a, dès le 2 décembre 2020 et par voie d’ordonnance, ouvert une nouvelle voie d’indemnisation aux victimes de la vaccination contre la maladie de Covid-19 [3]. Depuis le 31 décembre 2020, ces victimes peuvent en effet adresser une demande d’indemnisation auprès d’un fonds spécial, appelé le « fonds de paiement pour les dommages vaccinaux » (Vaccine Damage Payments Scheme).

Pour tout dire, ce fonds n’est pas nouveau et est même plutôt ancien, puisqu’il a été créé par une loi du 22 mars 1979 à une époque où les controverses scientifiques sur la sécurité de certains vaccins, comme celui contre la coqueluche par exemple [4], étaient particulièrement vives. Par la création de ce fonds spécial, le Gouvernement – et le Parlement – avaient pour objectif de restaurer la confiance du public et encourager ainsi les personnes à recourir à la vaccination. Selon le secrétaire d’État des services sociaux à l’initiative de ce fonds, celui-ci devait permettre le versement d’« une aide  [5] » financière aux personnes qui auraient subi un grave dommage résultant d’une vaccination contre certaines maladies limitativement énumérées, et recommandée par les autorités publiques. Précisément, la maladie contre la Covid-19 est la dernière addition en date. De plus, le fonds est dit « sans faute » (no-fault scheme) puisque les personnes éligibles n’ont pas à rapporter la preuve d’une faute pour bénéficier du versement. Généralement, seules les personnes ayant été vaccinées au Royaume-Uni ou à l’Île de Man sont éligibles au dispositif prévu ; de même, les victimes de dommages vaccinaux doivent, dans la majorité des cas, avoir été vaccinées avant leur dix-huitième anniversaire ou bien durant une période d’épidémie. Il existe cependant des exceptions à cette dernière règle, et les personnes vaccinées contre la Covid-19, par exemple, sont éligibles au paiement versé par le fonds sans avoir à apporter la preuve d’une vaccination administrée avant le dix-huitième anniversaire ou durant une période épidémique – ce qui témoigne de la volonté du Gouvernement d’ouvrir ce dispositif de manière large pour ces victimes.

Si le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux est ancien, il n’avait pas pour autant vocation à s’implanter durablement dans le paysage indemnitaire. Au contraire, ce fonds avait été conçu comme une mesure provisoire [6] permettant de débloquer rapidement [7] des fonds pour aider les familles d’enfants gravement handicapés à la suite d’une vaccination, en attendant que le Gouvernement finisse d’examiner les recommandations de la Commission Pearson sur l’opportunité de réformer plus largement le système de réparation des dommages corporels [8]. Dans les faits, les recommandations de la Commission Pearson concernant l’amélioration de la réparation des dommages vaccinaux ont été enterrées [9], et le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux s’est durablement inscrit dans le paysage indemnitaire, faisant seulement l’objet d’améliorations ponctuelles [10], par petites touches, au fur et à mesure du temps. Le fonds n’a jamais, pour le moment, fait l’objet d’une véritable réforme structurelle en dépit des nombreuses critiques émises à son encontre. Et pourtant, trois petits chiffres permettent tout de suite de comprendre la teneur des critiques émises : sur les 6 748 demandes qui ont été traitées par le fonds depuis sa création jusqu’à la date du 17 octobre 2022, 5 774 ont été rejetées [11] – ce qui correspond à un taux de rejet des demandes de 85 %. Si les victimes peuvent contester la décision du fonds auprès d’un tribunal [12], il apparaît que là encore la plupart de ces actions rencontrent assez peu de succès [13].

En dépit de ces chiffres assez peu rassurants, c’est pourtant cette voie d’indemnisation que le Gouvernement britannique a décidé d’ouvrir aux victimes de la vaccination contre la Covid-19. Dans ces conditions, il est légitime de se demander si ce fonds spécial constitue un dispositif adapté à la réparation des dommages subis par les victimes de la vaccination contre la Covid-19. La conclusion est, selon nous, sans appel – ce fonds de paiement des dommages vaccinaux est un dispositif déficient (I.) qui doit impérativement être réformé (II.).

I. Le Vaccine Damage Payments Scheme, un dispositif déficient de réparation des dommages subis par les victimes de la vaccination contre la Covid-19

Pour l’heure, le fonds de paiement des dommages vaccinaux – maintenant piloté par l’Autorité des services économiques du service national de santé britannique (National Health Services Business Services Authority, ou NHSBSA) [14] – ne semble pas pouvoir aisément permettre la réparation des dommages subis par les victimes de la vaccination contre la Covid-19 : en effet, d’une part, les conditions d’éligibilité de ce fonds sont bien trop strictes (A.), et d’autre part, le montant de l’ « indemnisation » (l’on reviendra sur ce terme) est dans tous les cas bien trop faible (B.).

A. Des conditions d’éligibilité trop strictes

Sur la période s’étendant du 1er mars 2021 au 17 octobre 2022, le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux a enregistré 2 801 demandes de paiement pour un dommage lié à une vaccination contre la Covid-19 [15]. Jusque cette date, au moins 204 demandes [16] (soit environ 7 %) ont reçu une réponse : en particulier, 27 ont connu une issue favorable et au moins 177 une issue défavorable [17]. Le nombre total de demandes traitées est encore trop limité pour que l’on puisse identifier une tendance certaine mais ce que l’on peut quand même indiquer, c’est que le nombre de demandes rejetées (87 %) est pour le moment largement plus élevé que le nombre de demandes accueillies (13 %). Parmi les raisons justifiant déjà le rejet de ces demandes de paiement, la causalité fait figure de proue (1.), suivie par le taux d’incapacité, qui doit être au minimum de 60 % (2.). Parmi les autres causes justifiant le rejet des demandes, l’on peut également relever le lieu de vaccination (3.). Enfin, s’il est bien trop tôt pour que le rejet des demandes formulées ne soit justifié par le délai de prescription, ceci pourrait encore être une difficulté à venir (4.).

1) L’établissement de la causalité entre la vaccination et le dommage subi selon la balance des probabilités

Pour pouvoir prétendre à un versement financier de la part du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux, il est nécessaire que le lien de causalité entre la vaccination et le dommage subi soit reconnu. Sans conteste, cette condition d’éligibilité constitue l’obstacle le plus important au succès des demandes introduites auprès du fonds. En effet, de manière générale, depuis la création du fonds, 79 % des demandes rejetées l’ont été pour cette raison, toutes vaccinations confondues [18]. Si l’on s’intéresse maintenant à la vaccination contre la Covid-19, sur les 204 demandes qui ont été rejetées en date 17 octobre 2022 [19], 150 au moins l’ont été en raison de l’absence de causalité établie. À la lumière de ces premiers chiffres concernant la vaccination contre la Covid-19, il nous semble possible d’indiquer que la condition de causalité sera probablement une condition redoutable pour celles et ceux qui espèrent pouvoir bénéficier du versement offert par le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux.

En réalité, cette situation s’explique car, comme l’indique la section 3(1) de la loi de 1979 instituant le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux (Vaccine Damage Payments Act 1979), l’existence du lien de causalité entre la vaccination et le dommage subi doit être appréciée selon le standard de la balance des probabilités. En d’autres termes, les assesseurs médicaux chargés d’examiner la causalité [20] doivent déterminer si, à la lumière des éléments présentés, l’existence du lien entre la vaccination et le dommage est plus probable que non. Il s’agit là du même standard de preuve que celui qui s’applique aux actions en responsabilité civile.

Par exemple, dans la décision Loveday v. Renton [21], contentieux opposant la mère d’un enfant vacciné contre la coqueluche au médecin ayant administré la dose, la première question qui devait être tranchée était celle de l’existence d’un lien de causalité scientifique entre la vaccination contre la coqueluche, et la survenance de dommages cérébraux permanents chez les jeunes enfants. Le juge Stuart-Smith, après examen de l’ensemble des pièces du dossier, conclut ainsi : « je suis maintenant parvenu à la claire conclusion que le demandeur échoue à me convaincre, selon la balance des probabilités, du fait que le vaccin contre la coqueluche puisse causer un dommage cérébral permanent chez les jeunes enfants. Il est possible que tel soit le cas ; le contraire ne peut pas être prouvé. Mais, en conclusion, l’action du demandeur doit être rejetée [22] ». Comme il est possible de l’observer avec cette décision – la dernière en date portant sur un dommage vaccinal en Angleterre –, prouver l’existence d’un lien de causalité scientifique entre une vaccination et un dommage selon le standard de la balance des probabilités est particulièrement difficile.

Pourtant, c’est ce standard de preuve qui est également requis pour prétendre à un paiement de la part du fonds de paiement des dommages vaccinaux. Il n’est donc pas surprenant de noter que, comme pour les actions en responsabilité civile, les demandes présentées au fonds de paiement pour les dommages vaccinaux sont rejetées pour cette raison. C’est d’ailleurs l’une des critiques les plus courantes émises à l’encontre de ce fonds, sans que ces dernières n’aient pour le moment été entendues.

2) Le seuil de gravité requis du dommage

Dès son origine, le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux avait vocation à ne profiter qu’aux personnes sévèrement handicapées (severely disabled) à la suite d’une vaccination. L’obtention de l’ « indemnisation » est ainsi soumise à la condition que la victime soit atteinte d’un taux d’incapacité minimal de 60 %. Il s’agit là d’une condition d’éligibilité assez stricte, mais qui a fait l’objet d’un assouplissement par rapport au taux d’incapacité initialement requis en 1979, qui était de 80 %. À la suite d’une campagne de lobbying menée par les parents d’enfants victimes de dommages vaccinaux [23], le Gouvernement britannique a accepté en 2002, par voie d’ordonnance [24], d’assouplir certaines conditions d’éligibilité, parmi lesquelles le seuil de gravité du dommage requis ainsi réduit à 60 %.

Pour évaluer le taux d’incapacité d’une personne atteinte d’un dommage vaccinal, les experts médicaux doivent comparer la situation physique et mentale de la victime avec celle d’une personne de même âge et sexe et présentant un état physique et mental normal [25]. Par exemple, un taux d’incapacité de 60 % correspondrait à l’amputation d’une main ou des cinq doigts de la main, ou d’une jambe à partir du genou [26]. Au-delà de ces quelques exemples qui ne se prêtent d’ailleurs guère à la situation des dommages vaccinaux, il est assez difficile de déterminer les circonstances dans lesquelles cette condition d’éligibilité serait remplie. Quoi qu’il en soit, il s’agit là de la troisième cause de rejet des demandes toutes vaccinations confondues [27] et de la deuxième cause de rejet des demandes en lien avec la vaccination contre la Covid-19 [28]. Sans surprise, cette condition est donc particulièrement critiquée en raison de sa sévérité.

Il semble que les juridictions aient entendu ces critiques : dans un contentieux opposant le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux à la victime d’un dommage résultant d’une vaccination contre la grippe porcine H1N1, une cour d’appel a en effet considéré qu’il fallait tenir compte de l’évolution du dommage (le pronostic) de la victime pour déterminer si le seuil de gravité requis était ou non atteint [29]. Par suite, cette cour d’appel a jugé que la victime du dommage vaccinal était bien éligible à l’obtention d’un paiement par le fonds alors même qu’elle ne présentait pas un taux d’incapacité de 60 % au moment où sa demande avait été examinée par le fonds. En effet, la cour d’appel a considéré qu’il était très probable que, compte tenu de l’évolution du dommage, celui-ci atteigne le seuil de gravité requis à l’avenir. Si cette décision semble se justifier par des considérations pragmatiques [30], elle n’en atténue pas moins la rigueur de la condition de gravité du dommage indirectement.

Cela étant, la solution est également susceptible de creuser les inégalités entre les victimes de dommages vaccinaux. En effet, quid si la victime d’un dommage vaccinal obtient un paiement alors qu’il s’avère que le taux d’incapacité n’atteint finalement jamais le seuil de 60 % ? Dans ce cas, comment justifier que face à deux victimes ne présentant jamais un taux d’incapacité au moins égal à 60 %, la première obtienne le versement au contraire de la seconde ? S’il nous semble déjà difficile de justifier la différence de traitement entre deux victimes – l’une présentant un taux d’incapacité de 59 % et l’autre un taux d’incapacité de 61 % – nous trouvons encore plus difficile de justifier une différence de traitement entre deux victimes ne présentant pas un taux d’incapacité de 60 % au moment de l’évaluation de la demande.

3) La preuve du lieu de vaccination

Pour être éligible au paiement versé par le fonds, et à l’exception des forces armées et leur famille, il est nécessaire de démontrer avoir été vacciné au Royaume-Uni ou sur l’Île de Man, condition contenue dans la section 2(1)(a) de la loi du 22 mars 1979 instituant le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux.

De manière surprenante, alors que cette condition d’éligibilité figure parmi les causes de rejet les moins importantes des demandes présentées au fonds toutes vaccinations confondues [31], elle constitue la troisième cause la plus importante justifiant le rejet des demandes en lien avec la vaccination contre la Covid-19, avec au moins 7 demandes rejetées pour cette raison à la date du 3 août 2022 [32]. Nous pensons néanmoins que ce chiffre n’est que temporaire et que l’importance apparente de cette cause de rejet aura vocation à s’estomper avec le temps : en effet, si l’évaluation médicale des dossiers peut prendre du temps, notamment pour déterminer si le lien de causalité existe ou si le dommage est suffisamment grave,  la simple vérification du lieu au sein duquel la vaccination a pris place semble assez rapide. Il est donc tout à fait probable que la vérification de cette condition d’éligibilité intervienne avant tout autre élément – ce qui peut expliquer pourquoi cette condition d’éligibilité semble, pour le moment, constituer un obstacle important au succès des demandes. Il est donc à prévoir que l’importance de cette cause de rejet diminue au fur et à mesure du traitement des demandes présentées. En effet, bien que le fonds soit ouvert aux victimes de la vaccination contre la Covid-19 depuis le 31 décembre 2020, les demandes n’ont commencé à être soumises à évaluation médicale que depuis six mois environ [33].

4) Le délai de prescription des demandes

Il existe enfin une dernière condition qui s’est avérée particulièrement problématique par le passé  pour les victimes d’un dommage vaccinal, celle du délai de prescription des demandes. En effet, aux termes de la section 3(1)(c) de la loi du 22 mars 1979, les demandes d’indemnisation doivent être présentées au plus tard soit à la date à laquelle la personne victime atteint l’âge de vingt et un ans ou, si cette personne est depuis décédée, à la date à laquelle elle aurait atteint l’âge de vingt et un ans, ou bien dans les six ans à compter de la date de la vaccination. Le délai pris en compte est celui qui, au cas par cas, est le plus long. En général, lorsque la vaccination concerne un adulte, le délai pertinent sera celui de six ans à compter de la date de vaccination. Si l’on s’intéresse aux causes de rejet des demandes, toutes vaccinations confondues, depuis la création du fonds, cette condition tenant au délai de prescription est la deuxième plus importante cause de rejet des demandes [34]. Il est bien trop tôt pour déterminer si cette condition sera également problématique pour les victimes de la vaccination contre la Covid-19, puisque les vaccinations ont pris place depuis seulement deux ans (depuis le début de l’année 2021).

Toutefois, il nous semble tout à fait plausible que le délai de prescription imposé par la loi de 1979 soit tout autant redoutable pour les victimes de la vaccination contre la Covid-19 qu’il ne l’a été pour les victimes d’autres vaccinations. En réalité, ce qui explique, selon nous, que cette condition soit si problématique pour les victimes, tient au point de départ de ce délai, lequel a été fixé à la date de la vaccination. Or, non seulement le dommage résultant de la vaccination peut se révéler plusieurs mois, voire plusieurs années après la vaccination, mais au surplus les effets potentiels des vaccins sur la santé sont difficilement déterminables sur le plan scientifique et sur le plan individuel. Il en résulte qu’il peut s’écouler un temps assez long entre 1) le moment où la vaccination a pris place, et 2) le moment où le dommage se révèle et où la victime a conscience de la cause éventuelle de ce dommage. Et pourtant, alors même que la victime est dans l’ignorance la plus totale, le délai de prescription de sa demande en indemnisation auprès du fond est susceptible d’avoir déjà commencé à courir.

Comme il est possible de le constater, les conditions permettant à la victime d’obtenir une indemnisation de la part du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux sont particulièrement strictes, et permettent de comprendre l’important taux d’échec des demandes formulées auprès de ce fonds. Il est à craindre, à cet égard, que les victimes de la vaccination contre la Covid-19 ne fassent pas figure d’exception. Au-delà des conditions d’éligibilité assez strictes, le faible montant d’indemnisation prévu par le fonds est également problématique.

B. Un montant d’indemnisation insuffisant

Les victimes de dommages vaccinaux introduisant, avec succès, une demande auprès du fonds obtiennent en réalité une somme forfaitaire. À l’origine, en 1979, la somme versée était de 10  000 livres sterling. Cette somme, périodiquement révisée, est maintenant d’un montant de 120  000 livres sterling [35] depuis 2007 [36]. Deux critiques peuvent ici être formulées : d’une part, cette somme forfaitaire ne tient pas compte de l’érosion monétaire et, n’ayant fait l’objet d’aucune revalorisation depuis 2007, il est possible d’affirmer que les victimes de 2023 sont en réalité largement moins bien indemnisées que celles de 2007 [37]. D’autre part, si la somme de 120  000 livres sterling peut sembler assez conséquente, elle peine bien souvent à couvrir les besoins des victimes, surtout pour celles souffrant de graves handicaps – physiques ou mentaux – permanents. C’est encore là l’une des critiques les plus récurrentes formulées à l’encontre de ce fonds.

Il est toutefois important de comprendre que le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux n’est pas un fonds « d’indemnisation », nuance que les Gouvernements successifs s’attachent à relever [38]. Le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux n’a pas vocation à « indemniser » les victimes de leurs préjudices ; il a seulement vocation à apporter une « aide financière » pour alléger les difficultés rencontrées par les bénéficiaires et leur famille [39]. La nuance est importante, car elle permet en réalité de justifier deux conséquences.

D’abord, puisque la somme versée ne constitue pas une « indemnisation » mais seulement une « aide financière », alors il n’y a pas besoin de procéder à une évaluation individualisée des préjudices de la victime – le principe de la réparation intégrale ne s’appliquant pas. Cette nuance entre indemnisation et aide financière permet donc finalement de justifier le versement d’un montant souvent uniforme pour toutes victimes de dommages vaccinaux éligibles au fonds.

Ensuite, et surtout, cette nuance permet d’expliquer pourquoi les victimes de dommages vaccinaux bénéficiant du versement par le fonds conservent leur droit d’action en responsabilité civile à l’encontre de l’auteur éventuel du dommage. Cela étant, comme nous l’avons précédemment souligné, les chances de succès des victimes de dommages vaccinaux sont très faibles et il est donc rare que ces dernières exercent leur droit d’action en responsabilité dans ce domaine.

Les critiques que l’on peut formuler à l’encontre de ce fonds sont nombreuses et nous n’avons présenté là que les principales. Elles concernent tant les conditions d’éligibilité que le montant de l’indemnisation. Pour les victimes, l’obtention d’un versement par le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux s’apparente à un véritable chemin de croix. Les victimes de la vaccination contre la Covid-19 risquent fort de rencontrer les mêmes difficultés. Dans ces conditions, la question peut se poser de déterminer s’il ne serait pas temps d’envisager une réforme de ce dispositif. 

II. Le Vaccine Damage Payments Scheme, un dispositif d’indemnisation des victimes de la vaccination contre la Covid-19 à réformer

De manière finalement peu surprenante, la question d’une réforme éventuelle du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux a connu un regain d’intérêt à la suite de l’importante campagne de vaccination contre la Covid-19 menée au Royaume-Uni, et de l’inclusion de cette vaccination dans le champ d’application de la loi du 22 mars 1979 portant création du fonds. Certains auteurs particulièrement influents ont même proposé la création d’un véritable fonds d’indemnisation à destination des seules victimes de la vaccination contre la Covid-19 (A.). La proposition, pour intéressante qu’elle soit, nous semble toutefois devoir être écartée au profit d’une réforme plus générale du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux (B.).

A. Le Vaccine Damage Payments Scheme, un dispositif à remplacer pour les victimes du vaccin contre la Covid-19 ?

La proposition de création d’un fonds d’indemnisation à destination des seules victimes de la vaccination contre la Covid-19, portée par le Professeur Duncan Fairgrieve et quatre collègues, a été formulée dès le 11 novembre 2020 [40]. Par conséquent, il n’est pas inutile de relever que cette proposition précède non seulement le début de la campagne de vaccination menée au Royaume-Uni, mais également l’ouverture du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux aux victimes de la vaccination contre la Covid-19.

Soulignant le climat de défiance générale à l’égard de la vaccination, ces auteurs justifient leur proposition par la volonté de rassurer la population sur la sécurité du vaccin contre la Covid-19, dans le but d’assurer le succès de la campagne de vaccination. En effet, l’ouverture d’un fonds d’indemnisation aux victimes de la vaccination contre la Covid-19 témoignerait de la confiance du Gouvernement pour les différents vaccins développés, ce qui participerait ainsi à rassurer le public sur la sécurité des vaccins et encouragerait la population à recourir à la vaccination. Voici en tout cas l’idée-clé qui guide la proposition formulée. À partir de là, deux possibilités étaient concevables : soit l’on envisageait l’ouverture du dispositif existant (le fonds de 1979) aux victimes du vaccin contre la Covid-19, soit l’on envisageait la création d’un nouveau dispositif d’indemnisation spécifique pour ces victimes. Si la première possibilité a finalement obtenu les faveurs du Gouvernement, c’est la seconde qui a eu la préférence des auteurs de la proposition – préférence qu’ils justifient au regard des nombreuses défaillances affectant le dispositif de 1979.

Pour autant, sur le principe, cette proposition est, selon nous, particulièrement problématique à deux égards :

1) D’une part, elle aboutirait à créer une disparité de traitement peu justifiable entre les victimes de dommages vaccinaux [41]. En effet, tandis que les victimes de la vaccination contre la Covid-19 bénéficieraient de conditions d’éligibilité simplifiées et d’une meilleure indemnisation avec le dispositif proposé par les auteurs, les victimes d’autres vaccinations recommandées par les autorités publiques seraient toujours soumises au dispositif de 1979, bien moins favorable. Pourtant, rien ne nous semble justifier le traitement de faveur dont bénéficieraient les victimes de la vaccination contre la Covid-19. Pire encore, selon nous, la proposition entraînerait en réalité la création d’un système à trois vitesses : a) les victimes de vaccinations non-recommandées par les autorités publiques ne bénéficient d’aucun dispositif spécial d’indemnisation et ne peuvent espérer d’indemnisation qu’en faisant jouer la responsabilité civile ; b) les victimes de vaccinations recommandées par les autorités publiques (et listées), autres que la vaccination contre la Covid-19, bénéficieraient du dispositif peu satisfaisant datant de 1979 ; c) enfin, les victimes de la vaccination contre la Covid-19 bénéficieraient, quant à elles, d’un véritable fonds d’indemnisation. En conséquence, la proposition ne ferait qu’aggraver la disparité de traitement déjà existante entre les victimes de dommages vaccinaux...

2) D’autre part, la proposition serait également susceptible de créer une disparité de traitement entre les producteurs de vaccins. En effet, alors que le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux de 1979 est exclusivement financé par des fonds publics, les auteurs proposent que le nouveau fonds d’indemnisation envisagé soit financé par une combinaison de fonds public et privés, sur le modèle du dispositif d’indemnisation Covax mis en place à l’échelle internationale [42]. Or, ce programme est financé à raison d’un prélèvement de dix centimes sur chaque dose de vaccin achetée [43]. Ce sont ainsi les producteurs, fournissant le vaccin, qui sont chargés de verser le montant total des prélèvements au Covax [44]. Si ce modèle était choisi, pourquoi les seuls producteurs de vaccins contre la Covid-19 devraient-ils être tenus de contribuer au financement d’un fonds d’indemnisation [45] ? Ce traitement de « défaveur » est d’autant moins justifié que ces producteurs ont, par le développement de ces vaccins, contribué à enrayer la pandémie mondiale. La critique peut sans doute être tempérée : en effet, si les auteurs proposent un co-financement public-privé, il est probable que dans les faits le financement du fonds proposé soit entièrement public, car les producteurs transfèreraient probablement ce coût additionnel aux acheteurs – qui sont justement les États. Quoi qu’il en soit, pourquoi limiter la proposition au seul cas des vaccinations contre la Covid-19 ?

La proposition doctrinale de création d’un fonds spécifique d’indemnisation pour les seules victimes du vaccin contre la Covid-19 est intéressante, mais son application ne ferait que détourner l’attention des faiblesses bien réelles du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux. La proposition doit donc être écartée pour permettre une véritable réforme structurelle du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux créé en 1979, réforme qui bénéficierait à l’ensemble des victimes de dommages résultant d’une vaccination recommandée par les autorités publiques.

B. Le Vaccine Damage Payments Scheme, un dispositif à améliorer pour l’ensemble des victimes de dommages vaccinaux

Il nous apparaît pertinent de réfléchir à la manière dont le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux pourrait être réformé à l’avenir, ce qui implique toutefois de faire des choix présentant une forte coloration politique :

Il faut, par exemple, d’abord s’interroger sur les objectifs que le dispositif indemnitaire aurait vocation à poursuivre : le fonds de paiement pour les dommages vaccinaux devrait-il être conçu de sorte à concurrencer ou à s’ajouter à l’utilisation de la voie juridictionnelle en responsabilité civile ? La réponse à cette question dépend, selon nous, du point de savoir qui financerait ce fonds.

Si le fonds est principalement financé par les éventuels auteurs du dommage, à savoir les producteurs du vaccin, alors l’on pourrait envisager que le fonds soit conçu de sorte à concurrencer la voie juridictionnelle en responsabilité civile. Dès lors, les victimes de dommages vaccinaux seraient tenues d’abandonner leur droit d’action en responsabilité civile dans l’hypothèse où elles acceptent une offre d’indemnisation provenant du fonds.

Dans l’hypothèse inverse, c’est-à-dire si le fonds est entièrement financé par des deniers publics, alors il nous semble souhaitable que le fonds ait seulement vocation à compléter la voie traditionnelle. En d’autres termes, si le dispositif doit pouvoir permettre aux victimes d’obtenir une forme de réparation, assez rapidement, il ne doit pas permettre aux éventuels auteurs du dommage d’échapper à leur responsabilité. La charge finale de la réparation ne doit pas être supportée par des deniers publics si elle peut l’être par l’auteur du dommage. L’impératif de justice corrective, qui guide encore majoritairement le droit anglais de la réparation [46], l’impose. Dès lors, il serait nécessaire de mettre sur pied un système permettant au fonds de récupérer les sommes qu’il aura versés à la victime.

Se pose ensuite la question du type de réparation versée par le fonds. En particulier, le fonds devrait-il envisager de réparer les préjudices subis par la victime, ou devrait-il avoir vocation à répondre aux besoins des victimes ? S’il prévoit la réparation des préjudices, doit-il appliquer ou non le principe de la réparation intégrale ? Là encore, la réponse à ces questions dépend, nous semble-t-il, tant de l’objectif poursuivi par le fonds que des capacités financières de ce dernier.

Par exemple, si le fonds a pour objectif de concurrencer la voie juridictionnelle et si ses capacités financières le permettent, alors on pourrait envisager que le fonds répare les préjudices subis par la victime, par application du principe de la réparation intégrale. Pour évaluer les préjudices, le fonds pourrait se fonder, comme les juges le font, sur les lignes directrices [47] produites par le Judicial College. Si le fonds ne dispose pas de capacités financières trop importantes, alors la réparation pourrait être évaluée en ayant recours à un barème qui tiendrait compte du taux d’incapacité.

En revanche, si le fonds a plutôt vocation à compléter la voie traditionnelle, alors on pourrait envisager que l’indemnisation tienne plutôt compte des besoins des victimes. On pourrait aussi prévoir que le fonds privilégie la réparation des préjudices subis par les victimes, par application d’un barème qui tienne compte du taux d’incapacité des victimes [48]. Ou bien, rien n’empêcherait de prévoir une combinaison de ces solutions.

Enfin, il convient d’évoquer la question des conditions d’éligibilité permettant le versement de l’indemnisation par le fonds. Au vu des difficultés rencontrées par les victimes de dommages vaccinaux et de l’important taux d’échec des demandes formées auprès du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux, il serait souhaitable d’envisager un assouplissement des conditions d’éligibilité actuellement applicables, lesquelles sont bien trop strictes.

  • Par exemple, l’établissement du lien de causalité entre la vaccination et le dommage de la victime pourrait être assoupli, par la mise en place de présomptions de causalité qui ne s’appliqueraient que dans l’hypothèse où la causalité scientifique ferait l’objet d’un consensus (scientifique). Autrement dit, il faudrait que le risque sanitaire soit avéré [49]. Dans ces hypothèses, le constat médical de la survenance de certains effets ou symptômes dans un certain délai pourrait permettre de faire présumer le lien de causalité dans le cas individuel. Dans les autres cas, lorsque la présomption ne s’applique pas, alors la causalité pourrait encore être établie, mais il faudrait qu’elle le soit selon la balance des probabilités.
  • En ce qui concerne ensuite le seuil de gravité du dommage, celui-ci devrait être abaissé. Pour le moment, les victimes doivent présenter un taux d’incapacité de 60 % pour être éligibles au dispositif. La seule raison justifiant que ce seuil soit si élevé tient au fait que le fonds de paiement aurait été créé pour bénéficier aux seules victimes de graves dommages vaccinaux. Pourquoi seules ces victimes devraient-elles faire l’objet d’un traitement de « faveur » ? À partir du moment où la vaccination a été recommandée par les autorités publiques, pourquoi ne permettrait-on pas l’indemnisation de toute victime d’un dommage vaccinal, peu important le degré de gravité du dommage ? Il est peut-être temps de revoir également la ratio legis de ce fonds de paiement. L’on pourrait en effet prévoir le versement d’une somme forfaitaire en fonction du taux d’incapacité présenté. Plus le taux d’incapacité serait élevé, meilleure serait l’indemnisation – et vice-versa. La technique ne serait d’ailleurs pas nouvelle : d’autres fonds de paiement fonctionnent déjà sur ce modèle, comme celui bénéficiant aux victimes de certaines maladies professionnelles créé par une loi du 4 avril 1979 (Pneumoconiosis Etc. (Workers’ Compensation) Act 1979).
  • En ce qui concerne enfin l’existence d’un délai de prescription, si ce dernier était conservé, il nous semble alors impératif de modifier le point de départ du délai à la date à laquelle la victime a eu connaissance ou devrait avoir connaissance du dommage subi et du lien éventuel avec la vaccination.

Que l’on envisage ou non une réforme en profondeur du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux, les modifications proposées quant aux conditions d’éligibilité permettraient sans aucun doute d’améliorer la situation des victimes de dommages vaccinaux, y compris celle des victimes de la vaccination contre la Covid-19.

En conclusion, les victimes de la vaccination contre la Covid-19 se trouvent dans une situation difficile, en dépit des voies d’indemnisation qui leur sont pourtant ouvertes. Si ces victimes peuvent songer à exercer leur droit d’action en responsabilité civile, elles sont souvent dissuadées d’y avoir recours tant les chances de succès sont minces. Qu’à cela ne tienne, le Gouvernement leur a ouvert le bénéfice du fonds de paiement pour les dommages vaccinaux, dispositif datant du 22 mars 1979. Mais là encore, le chemin de l’indemnisation semble particulièrement long et tortueux. D’abord, les conditions d’éligibilité de ce dispositif étant particulièrement strictes, il faut convenir que le fonds présente un bilan peu satisfaisant avec un taux d’échec d’environ 85 %.  Il est à prévoir que les victimes de la vaccination contre la Covid-19 se trouvent dans une situation similaire, ce dont témoigne déjà les premières données disponibles. Bien souvent, les demandes formées par les victimes de dommages vaccinaux sont rejetées en raison de la redoutable condition de causalité, laquelle doit être établie selon le standard de la balance des probabilités. Si ce n’est la causalité, c’est alors la preuve du taux d’incapacité qui risque de poser un problème. La preuve du lieu de vaccination semble pour le moment faire obstacle au succès de certaines demandes présentées en lien avec la Covid-19. Enfin, il est à craindre que le délai de prescription ne constitue à l’avenir une cause de rejet des demandes. Dans tous les cas, à supposer que les victimes de la vaccination contre la Covid-19 parviennent à réunir la preuve de toutes ces conditions d’éligibilité, elles ne bénéficient en aucun cas d’une réparation intégrale de leurs préjudices, ni même d’une réparation semi-individualisée. Ces victimes ne peuvent, en effet, prétendre qu’au versement d’une somme forfaitaire d’un montant de 120  000 livres sterling, qui n’a fait l’objet d’aucune revalorisation depuis quinze ans. Cette somme est souvent insuffisante pour répondre aux besoins des victimes de dommages vaccinaux.

Dans ces conditions, on ne saurait s’étonner des nombreux appels à réformer ce dispositif peu satisfaisant. Si jusqu’à présent, le Gouvernement est resté sourd à ces appels, il est possible d’entrevoir tout de même une lueur d’espoir. Le 20 juin 2022, le parlementaire Sir Christopher Chope a introduit une proposition de loi relative aux « dommages résultant de la vaccination contre la Covid-19 [50] » auprès de la Chambre des communes (House of Commons). La proposition, qui doit encore être débattue, envisage la mise en place d’un examen indépendant (independent review), sous la présidence d’un juge de la High Court, pour évaluer non seulement l’efficacité de la loi portant création du fonds de paiement de 1979, mais aussi la pertinence de l’indemnisation actuellement offerte aux victimes de dommages vaccinaux (entre autres choses). S’il est dommage que cette proposition soit limitée au seul cas des dommages résultant de la vaccination contre la Covid-19, elle constitue tout de même un premier pas vers une éventuelle réforme, à terme, du dispositif de 1979 et mérite ainsi d’être saluée.

 

* Dernière mise à jour : 30 janvier 2023.

[1] Voir notre précédente contribution : E. Lemaire, Colloque « Covid-19 et droit de l’indemnisation » : la responsabilité des producteurs de vaccins contre la Covid-19 – regards de droit anglais, Cahiers Louis Josserand, juillet 2022 N° Lexbase : N2379BZ7 : actes du colloque tenu les 30 juin et 1er juillet 2021 à l’Université de Lyon III et par visioconférence.

[2] Voir la décision Loveday v. Renton [1990] 1 Med LR 117.

[3] The Vaccine Damage Payments (Specified Disease) Order 2020, SI 2020/1411.

[4] G. Milward, A Disability Act ? The Vaccine Damage Payments Act 1979 and the British Government’s Response to the Pertussis Vaccine Scare, Social History of Medicine, 2017, 30(2), 429, spec. p. 429.

[5] The Secretary of State for Social Services (Mr. David Ennals) on Vaccine-Damaged Children, Hansard, HC, 9 mai 1978, vol. 949, col. 975.

[6] G. Milward, art. préc. (n° 4), p. 443 ; voir aussi : R. Tindley, A Critical Analysis of the Vaccine Damage Payments Scheme, European Business Law Review, 2008, 19(2), 321, spéc. p. 333.

[7] Lord Wells-Pestell, Vaccine Damage Payments Bill, Hansard, HL, 8 mars 1979, vol. 399, col. 304-305.

[8] The Secretary of State for Social Services (Mr. David Ennals) art. préc. (n° 5), col. 974.

[9] R. Tindley, art. préc. (n° 6), p. 333.

[10] V. par ex., sur les améliorations ayant pris place en 2002 : The Regulatory Reform (Vaccine Damage Payments Act 1979) Order 2002, SI 2002/1592. Ces ameliorations ont été annoncées dès le 27 juin 2000  : The Secretary of State for Social Security (Mr. Alistair Darling) on Vaccine Damage Payments, Hansard, HC, 27 June 2000, vol. 352, col. 719 et s. V. également : S. Pywell, A critical review of the recent and impending changes to the law of statutory compensation for vaccine-damage, Journal of Personal Injury Law, 2000, 4, 246. 

[11] FOI 27762, datée du 10 novembre 2022. Le nombre total de demandes traitées (par opposition au nombre de demandes enregistrées par le fonds) a été obtenu en additionnant le nombre de demandes accueillies favorablement et celles rejetées. Autrement, à la date du 17 octobre 2022, le fonds aurait reçu 9 499 demandes. Les données sont disponibles [en ligne], consulté le 30 janvier 2023.

[12] The Vaccine Damage Payments Act 1979, s. 4.

[13] R. Goldberg, Vaccine damages schemes in the US and the UK reappraised: making them fit for purpose in the light of Covid-19, Legal Studies, 2022, 1, spéc. pp. 16-17.

[14] Le pilotage du fonds, auparavant assuré par le Département du Travail et des Retraites (Department of Work & Pensions), a été transféré au NHSBSA le 1er novembre 2021 [en ligne].

[15] FOI 27762, datée du 10 novembre 2022 [en ligne], consulté le 30 janvier 2023.

[16] Ibid., [en ligne]. Nous indiquons le terme « au moins » car en raison de la législation relative à la protection des données personnelles, lorsque pour un mois spécifique, les chiffres sont en-deçà de 5, le NHSBSA remplace le chiffre par une étoile. Par suite, le nombre de demandes traitées se situe entre 204 et 212.

[17] Ibid., [en ligne]. La même remarque que précédemment s’applique concernant l’utilisation dans notre article du terme « au moins ». Le NHSBSA a remplacé les chiffres correspondant à moins de 5 demandes par une étoile pour se conformer à la législation relative à la protection des données personnelles.

[18] Ibid., [en ligne]. Sur les 5 774 demandes qui ont été rejetées, 4 577 l’ont été parce que la causalité avec la vaccination n’a pas été acceptée.

[19] Ibid., [en ligne].

[20] J. Wise, Covid-19 : UK makes first payments to compensate injury or death from vaccines, British Medical Journal, 2022, 377:01565.

[21] [1990] 1 Med LR 117.

[22] Ibid., p. 185 (Stuart-Smith LJ).

[23] R. Tindley, art. préc. (n° 6), p. 338.

[24] The Regulatory Reform (Vaccine Damage Payments Act 1979) Order 2002, reg. 2 (SI 2002/1592).

[25] The Social Security Contributions and Benefits Act 1992, sched. 6, para. 1.

[26] The Social Security (General Benefit) Regulations 1982, sch. 2 (SI 1982/1408) (applicable car le taux d’incapacité résultant d’un dommage vaccinal est évalué de la même façon que celui permettant l’obtention d’une pension d’invalidité à la suite d’un accident de travail. Et ces régulations s’appliquent justement à l’évaluation du taux d’incapacité permettant l’obtention de la pension d’invalidité à la suite d’un accident de travail). V. aussi : R. Tindley, art. préc. (n° 6), p. 337. 

[27] Cela étant, bien que cette condition d’éligibilité soit la troisième plus importante raison justifiant le rejet des demandes, le nombre de demandes rejetées sur ce fondement demeure quand même assez limité. En effet, sur les 5 556 demandes rejetées depuis la création du fonds jusqu’à la date du 21 octobre 2021, seules 129 l’ont été sur fondement – v. FOI 19174, datée du 23 décembre 2021 [en ligne]. Il nous semble que ce chiffre, finalement assez faible, est susceptible de s’expliquer par le fait que les assesseurs médicaux s’intéressent d’abord à la condition de causalité, avant de s’intéresser éventuellement au taux d’incapacité. En effet la cause de rejet est intitulée « causalité acceptée mais l’incapacité due à la vaccination est inférieure à 60 % » (v. FOI 19174, datée du 23 décembre 2021 [en ligne]). Or, comme expliqué précédemment, la majorité des demandes sont rejetées en raison du fait que le lien de causalité entre la vaccination et le dommage n’a pas été accepté. 

[28] FOI 27762, datée du 10 novembre 2022 [en ligne], consulté le 30 janvier 2023.

[29] G (A Minor) v. Secretary of State for Work and Pensions [2017] EWCA Civ 61.

[30] Ibid., [38]- [43] (Davis LJ). En particulier, les victimes de dommages vaccinaux doivent présenter leur demande d’indemnisation au fonds dans un délai de six ans à compter de la vaccination ; en revanche, elles peuvent ensuite demander le réexamen de leur demande à n’importe quel moment, sans condition de délai. Par suite, une victime qui sait pertinemment ne pas remplir le seuil requis de gravité du dommage serait tout de même contrainte de présenter sa première demande pour éviter la prescription de l’action, tout en sachant que la demande va être rejetée, ceci pour se donner la possibilité ensuite de demander le réexamen de la demande lorsque le taux d’incapacité aura atteint 60 %. Le juge relève qu’une telle situation serait, à juste titre, tout à fait indésirable et qu’il est peu probable que les législateurs aient souhaité qu’une telle situation ne naisse. À partir du moment où il existe un délai de prescription pour présenter la demande initiale de paiement au fonds, la seule solution pour éviter la situation envisagée est donc de tenir compte, dès la demande initiale, de l’évolution raisonnablement prévisible du dommage – ce qui permet de faire gagner du temps.

[31] FOI 19174, datée du 23 décembre 2021. Sur les 5 556 demandes qui ont été rejetées, 17 l’ont été sur ce fondement [en ligne], consulté le 3 février 2023.

[32] FOI 27625, datée du 1er septembre 2022. La réponse est disponible [en ligne].

[33] FOI 27685, datée du 30 septembre 2022 [en ligne], consulté le 3 février 2023.

[34] FOI 19174, datée du 23 décembre 2021 (n° 27) [en ligne].

[35] Ou environ 137 196 euros au taux actuel, daté du 24 octobre 2022.

[36] The Vaccine Damage Payments Act 1979 Statutory Sum Order 2007, reg. 1, SI 2007/1931.

[37] En effet, selon la banque d’Angleterre, la somme de 120 000 livres sterling en 2007 correspond en réalité à 181  589 livres sterling en 2022. V. sur le site de la banque d’Angleterre pour procéder aux calculs [en ligne], consulté le 30 janvier 2023 : .

[38] The Secretary of State for Social Services (Mr. Ennals) on Vaccine Damage Payments Bill, Hansard, HC, 5 February 1979, vol. 962, col. 34; Lord Wells-Pestell on Vaccine Damage Payments Bill, Hansard, HL, 8 March 1979, vol. 399, col. 309 ; Voir plus récemment : Dr. Whitford on Vaccine Damage Payments Scheme: Covid-19, Hansard, HC, 6 September 2022, vol. 719, col. 67WH.

[39] V. par ex. : The Parliamentary Under-Secretary of State (DWP) (Lord McKenzie of Luton) on Vaccine Damage Payments Act 1979 Sum Order 2007, Hansard, HL, 26 June 2007, vol. 693.

[40] D. Fairgrieve et al., Covid-19 vaccines : in favour of a bespoke compensation scheme for adverse effects (a briefing paper), 11 novembre 2020, consultable sur le site du British Institute of International and Comparative Law (BIICL) [en ligne], consulté le 30 janvier 2023.

[41] Dans le même sens également : R. Goldberg, Vaccine damage schemes in the US and UK reappraised: making them fit for purpose in the light of Covid-19, Legal Studies, 2022, 1, spéc. pp. 20-21.

[42] D. Fairgrieve et al., In favour of a bespoke COVID-19 vaccines compensation scheme, The Lancet, 2021, 21, 448, spéc.p. 449.

[43] Protocol For COVAX No-Fault Compensation Program For AMC Eligible Economies, art. 1, d) [en ligne], consulté le 30 janvier 2023.

[44] A. Albertsen, A vaccine tax : ensuring a more equitable global vaccine distribution, Journal of Medical Ethics, 2022, 48, 658, spéc. p. 659.

[45] L’on pourrait nous opposer que seuls les producteurs des vaccins contre la Covid-19 bénéficient de clauses d’indemnisation (indemnity clauses) insérées dans les contrats d’achat anticipé, ce qui les place dans une position particulièrement favorable par rapport aux producteurs d’autres vaccins. En cas d’action en responsabilité civile, ces producteurs sont financièrement couverts par le Gouvernement britannique si bien qu’ils n’encourent presque aucun risque financier en termes de responsabilité civile. Mais, en pratique, il faut sans doute se souvenir qu’aucune action en responsabilité civile n’a été introduite en Angleterre par la victime d’un dommage vaccinal depuis les années 90 (et la dernière en date était entreprise à l’encontre du médecin ayant administré la dose, non pas à l’encontre du producteur du vaccin). Il est souvent très difficile pour les victimes de dommages vaccinaux de rapporter la preuve des conditions de responsabilité des producteurs de vaccins. Dès lors, nous ne sommes pas convaincus du fait que les producteurs de vaccins contre la Covid-19, bénéficiant de clauses d’indemnisation, se trouvent véritablement dans une meilleure position que les producteurs de vaccins ne bénéficiant pas de telles clauses.

[46] E. Lemaire, Risques sanitaires sériels et responsabilité civile : étude comparée des droits français et anglais, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2021.

[47]  Judicial College, Guidelines for the Assessment of General Damages in Personal Injury Cases, Oxford University Press, 15e éd., 2019.

[48] Par exemple, la grille ferait correspondre un certain taux d’incapacité au versement d’une certaine somme forfaitaire. Cette technique est, par exemple, utilisée pour trois fonds de paiement bénéficiant aux victimes de maladies professionnelles au Royaume-Uni : 1/ The Pneumoconiosis etc. (Workers’ Compensation) Scheme 1979 ; 2/ The Mesothelioma Payment Scheme 2008; 3/ The Diffuse Mesothelioma Payment Scheme 2014.

[49] E. Lemaire, op. cit. (n° 46), p. 128 et s.

[50] Covid-19 Vaccine Damage Payments Bill, HC, 2022-2023 [en ligne], consulté le 30 janvier 2023.

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Droit de la famille

[Chronique] Filiation et mensonge : du préjudice moral subi par celui qui se croyait le père de l’enfant

Réf. : CA Lyon, 9 juin 2022, n° 21/02636 N° Lexbase : A418177Y

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N6330BZH

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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Filiation • reconnaissance de paternité • préjudice • perte de chance


 

La faute sur la vérité biologique relativement à une reconnaissance de paternité est traditionnellement analysée sous l’angle de la reconnaissance mensongère : est en cause l’auteur de celle-ci, en ce qu’il a volontairement créé un lien juridique avec l’enfant bien qu’il sache ne pas en être le père [1]. Le préjudice d’un tel mensonge est alors subi par l’enfant. L’affaire portée devant la cour d’appel de Lyon est d’un autre ordre, puisqu’il est ici question du préjudice causé par l’auteur d’une reconnaissance de paternité du fait du mensonge proféré par le couple parental quant à la filiation réelle de l’enfant.

En l’espèce, la mère biologique d’un enfant intenta une action en contestation de la reconnaissance prénatale de paternité effectuée par un homme qui pensait être le père de l’enfant, en sa qualité de représentante légale de l’enfant et son nom personnel, conjointement avec son époux. Un administrateur ad hoc de l’enfant a été désigné. Au cours de la procédure, le tribunal ordonna un examen comparatif des sangs de l’enfant, de l’homme l’ayant reconnu et de l’époux de la mère qui révéla que ce dernier était le père biologique. Le tribunal judiciaire de Saint-Étienne annula la reconnaissance de paternité et établit judiciaire la filiation à l’égard du conjoint de la mère, mais condamna in solidum les époux au versement au profit du tiers de dommages et intérêts, à hauteur de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Ceux-ci interjetèrent alors appel de la décision sur ce dernier point, niant tout fait générateur de responsabilité de leur part et tout lien de causalité avec un prétendu dommage subi par le tiers, et estimant qu’il avait « concouru à la production de son propre dommage ». Ce dernier forma par ailleurs un appel incident pour réclamer, entre autres, des dommages et intérêts plus importants à hauteur de 35 000 euros.

La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 9 juin 2022, confirme en tous points le jugement du tribunal. Elle caractérise en premier le préjudice moral subi par l’auteur de la reconnaissance ainsi que le lien de causalité avec la faute commise par les époux, en application de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. D’une part, en effet, les conséquences du mensonge proféré sur l’état de santé psychologique du premier sont avérées – l’argument selon lequel ce dernier avait « une personnalité fragile » n’étant appuyé par aucun élément de preuve – de même que le préjudice lié au lien d’affection développé à l’égard de l’enfant dont il se croyait véritablement le père. À cet égard, la cour retient que « la rupture brutale de tout lien avec l’enfant a constitué pour M.[K] [R], une perte de chance de pouvoir élever un enfant et le considérer comme sien ».

D’autre part, la faute commise par les époux est caractérisée par une négligence de leur part en laissant croire à l’auteur de la reconnaissance qu’il était le père, en lui permettant de nouer des liens avec l’enfant par le biais notamment d’une résidence alternée, alors même que des doutes quant à cette paternité avaient émergé « dès la grossesse et au fur et à mesure que l’enfant grandissait ». C’est reconnaître qu’ils auraient dû informer le requérant de ces interrogations et auraient donc été en capacité de prévenir – ou du moins de contribuer à réduire – le préjudice résultant de la découverte de son défaut de filiation biologique à l’égard de l’enfant. La question du caractère intentionnel de la faute commise interroge, d’autant plus lorsque la cour parle d’une attitude « cruelle » de la part des époux : il est permis de se demander si ces derniers n’ont pas en réalité volontairement tu la vérité sur la filiation. Une telle qualification aurait pu permettre de les condamner plus sévèrement au regard du montant des dommages et intérêts, « de manière inavouée [2] », comme le réclamait le requérant. Sur ce point, celui-ci a d’ailleurs été débouté de ses demandes par la cour d’appel, laquelle a confirmé le raisonnement du tribunal selon lequel son préjudice n’était pas « équivalent à celui de parents endeuillés par le décès d’un enfant ». Néanmoins, on sait les difficultés en matière probatoire pour démontrer une telle intention, laquelle s’entend selon une jurisprudence constante non seulement de la volonté de commettre l’acte mais également de celle de causer le dommage effectivement subi [3]. Bien qu’il puisse être argué que les époux, par le mensonge, avaient nécessairement connaissance du préjudice qu’ils allaient causer à l’auteur de la reconnaissance, ces éléments permettent d’expliquer que la négligence ait été préférée pour qualifier la faute commise.

 

[1] T. civ. Seine, 3 juillet 1913 : Gaz. Pal., 1913, 2, 199 ; Cass. civ. 2, 12 février 1960, JCP G, 1960, II, 11689, note J. Savatier.

[2] Ph. Brun, Rép. civ., Dalloz, V° Responsabilité du fait personnel, mai 2015 (actualisation : mai 2022), n° 32.

[3] V. par ex. : Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-10.590, FS-P+B N° Lexbase : A6699E3I : D., 2010, p. 1869 ; D., 2010, p. 2102, chron. Sommer, Leroy-Gissinger, Adida-Canac et Grignon Dumoulin ; RGDA, 2010, p. 686, obs. Kullmann ; RCA, 2010, n° 266, obs. Groutel ; D., 2011, p. 1926, obs. Groutel.

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Droit de la famille

[Chronique] Le rappel des éventuelles conséquences de l’établissement judiciaire de la filiation

Réf. : CA Lyon, 10 janvier 2023, n° 21/07303 N° Lexbase : A848687G

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par Aurore Camuzat, Doctorante, ATER, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Autorité parentale • filiation • intérêt de l’enfant • nom de famille.


 

Certains contentieux soulèvent des questions qu’il est parfois délicat de trancher, notamment lorsque cela intéresse la filiation et ses corollaires, à l’instar de l’autorité parentale ou du nom de famille.

Un couple a donné naissance à deux enfants, en octobre 2006 puis en novembre 2008. Le couple s’est séparé en octobre 2008, quelques semaines avant la naissance de leur deuxième enfant. En juin 2012, le père s’est marié avec une tierce personne, tandis que la mère a accouché d’un troisième enfant en avril 2013. Seule la filiation maternelle a été établie à l’égard de celui-ci, en application du traditionnel adage mater semper certa est (C. civ., art. 311-25 N° Lexbase : L8813G9B).

En droit français, la filiation paternelle peut être établie de plusieurs manières, à travers la présomption de paternité (C. civ., art. 312 N° Lexbase : L8883G9U), la reconnaissance (C. civ., art. 316 N° Lexbase : L1994LMS), la possession d’état (C. civ., art. 317 N° Lexbase : L7273LP3) ou l’exercice d’une action en justice (C. civ., art. 325 et s. N° Lexbase : L5825ICQ). C’est cette dernière voie qui nous intéresse plus particulièrement. Afin d’établir judiciairement la paternité d’un homme, il est notamment possible d’exercer une action en recherche de paternité (C. civ., art. 327 N° Lexbase : L8829G9U). Cette action a un caractère personnel, ce qui signifie qu’elle est réservée à l’enfant. Cependant, durant la minorité de celui-ci, le parent à l’égard duquel le lien de filiation a été établi, en l’occurrence la mère, a également qualité pour agir (C. civ., art. 328 N° Lexbase : L3419IQP, al. 1). À l’appui de cette action, la preuve peut se faire par tout moyen, la reine des preuves étant l’expertise biologique (C. civ., art. 310-3 N° Lexbase : L8854G9S, al. 2).

En 2017, la mère a saisi la justice afin de faire établir la paternité de son ancien compagnon, père de ses deux premiers enfants, à l’égard du troisième. Au soutien de sa demande, elle a précisé que son ex-compagnon et elles avaient eu des relations intimes en septembre 2012, conduisant à la naissance de l’enfant en avril 2013. Par ailleurs, le père présumé aurait accepté de se soumettre à un test de paternité dans une lettre recommandée datant de septembre 2016.

Dans un jugement avant dire droit en date du 27 février 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a déclaré recevable l’action en recherche de paternité et a ordonné une expertise biologique, afin de déterminer la paternité du père présumé. À la suite du rapport d’expertise, qui conclut à la paternité de celui-ci, ce dernier a effectué plusieurs demandes. Il a sollicité l’adjonction de son nom de famille à celui de l’enfant, l’exercice en commun de l’autorité parentale et l’organisation d’un droit de visite et d’hébergement. En effet, en vertu de l’article 331 du Code civil N° Lexbase : L8833G9Z, « lorsqu’une action est exercée en application de la présente section, le tribunal statue, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom ».

1. Modalités de la déclaration d’appel. Dans un jugement du 19 mai 2021, les juges de première instance ont accédé aux demandes de la mère, tout en rejetant celles du père. Ce faisant, celui-ci a interjeté appel devant la cour d’appel de Lyon. Sa déclaration d’appel rappelle la nécessité de respecter les formes attendues, sous peine de voir jugées ses demandes irrecevables. En effet, le père a indiqué qu’il interjetait appel du rejet de ses demandes relatives au nom de famille, à l’exercice en commun de l’autorité parentale et aux dépens. Or, dans ses conclusions, il a également demandé que son droit de visite et d’hébergement soit organisé de manière similaire à celui de son deuxième enfant. Il n’en fallait pas plus pour que les juges d’appel de Lyon déclarent irrecevable cette dernière demande, sur le fondement de l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED. En l’absence de mention de cette demande dans la déclaration d’appel, le jugement selon lequel aucun droit de visite et d’hébergement ne pouvait être mis en place, était devenu définitif sur ce point.

2. Compétence du tribunal judiciaire. S’agissant des mesures relatives à l’autorité parentale et au nom de l’enfant, la cour ne remet pas en question, à juste titre, la compétence du tribunal. En effet, si celui-ci est le seul compétent pour connaître des actions relatives à la filiation (C. civ., art. 318-1 N° Lexbase : L5347LT9), tel n’est pas le cas, en principe, en matière d’autorité parentale. En vertu de l’article 372 du Code civil N° Lexbase : L4364L7R, « les père et mère exercent en commun l’autorité parentale ». Par exception, notamment lorsque la filiation a été judiciairement établie à l’égard du second parent plus d’un an après la naissance de l’enfant, seul le premier est investi de l’exercice de l’autorité parentale. Pour établir un exercice en commun, il convient de faire une déclaration conjointe au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire ou de saisir le juge aux affaires familiales. Or, dans cette affaire, le père a demandé au tribunal judiciaire de Lyon de statuer sur l’exercice en commun de l’autorité parentale, violant ainsi, à première vue, l’article 372 du Code civil N° Lexbase : L4364L7R. Il convient pourtant de l’articuler avec l’article 331 N° Lexbase : L8833G9Z, préalablement cité. Lorsqu’une action est exercée sur le fondement de la section II « Des actions aux fins d’établissement de la filiation », à l’instar de l’action en recherche de paternité, le tribunal est également compétent pour se prononcer sur l’autorité parentale et l’attribution du nom.

3. Rejet de l’exercice en commun de l’autorité parentale. Pour écarter la demande d’exercice en commun de l’autorité parentale, les juges d’appel rappellent ce que suppose une telle autorité. Il s’agit de « l’ensemble des droits et pouvoirs que la loi reconnaît aux père et mère (on dirait aujourd’hui, aux parents) sur la personne et sur les biens de leur enfant mineur non émancipé afin d’accomplir leurs devoirs de protection, d’éducation et d’entretien et d’assurer le développement de l’enfant, dans le respect dû à sa personne [1] ». Cela suppose donc, pour les juges d’appel, de se tenir informé des évènements importants de la vie de ses enfants, de se consulter pour les nombreuses décisions à prendre (santé, école, orientation scolaire, activités, etc.) et d’entretenir des contacts réguliers. Or, il semblerait que le père, qui n’a pas voulu reconnaître sa paternité avant qu’elle ne soit judiciairement établie, ne se soit pas intéressé à la vie de son enfant et n’ait même pas cherché à le rencontrer. Un tel désintérêt pourrait justifier que l’autorité parentale ne soit pas exercée en commun. Cependant, en l’absence d’exercice en commun de l’autorité parentale et de droit de visite et d’hébergement, quelle place pour le père ? Où se situe l’intérêt de l’enfant ?  

4. Rejet de l’adjonction du nom de famille du père. Enfin, pour écarter la demande d’adjonction du nom de famille du père à celui de l’enfant, la cour d’appel de Lyon s’est fondée, à juste titre, sur l’intérêt de ce dernier. En effet, si la modification du nom de famille est possible, elle doit l’être suivant l’intérêt de l’enfant, qui est souverainement apprécié par les juges du fond [2]. Or, le père n’a pas démontré en quoi une telle adjonction serait de l’intérêt de son enfant, connu depuis sa naissance, soit depuis neuf ans, sous le nom de famille de sa mère. L’argument principal aurait peut-être pu reposer sur l’unité du nom de famille entre les enfants d’une même fratrie. Cependant, les deux premiers enfants portent uniquement le nom du père. Adjoindre le nom de celui-ci au nom de famille du troisième enfant ne participe donc pas à une quelconque unité. La solution aurait peut-être été différente s’il avait été question de substitution, plutôt que d’adjonction, du nom de famille.

 

[1] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, LGDJ, 8e éd., p. 789, n° 1243.

[2] Cass. civ. 1, 11 mai 2016, n° 15-17.185, F-P+B N° Lexbase : A0720RPD.

newsid:486331

Droit de la famille

[Chronique] L’absence de lien filial préexistant, obstacle à l’adoption par une grand-mère

Réf. : CA Lyon, 4 mai 2022, n° 21/02813 N° Lexbase : A595577P

Lecture: 5 min

N6329BZG

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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Adoption • nationalité • grand-parent


 

L’adoption intrafamiliale est strictement encadrée par le droit français « eu égard au risque de perturbation de la vie familiale et d’instrumentalisation de l’adoption simple [1] ». Cette question, d’actualité au regard de la récente loi sur l’adoption, est particulièrement prégnante s’agissant de l’adoption par un grand-parent [2]. Un récent arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon témoigne de la fermeté des juges en la matière.

En l’espèce, une femme française née au Bénin saisit le tribunal judiciaire de Lyon en 2020 afin de faire prononcer l’adoption simple de son petit-fils âgé de dix-huit ans – également né au Bénin et de nationalité française – mais fut déboutée de sa demande. Les juges de première instance considérèrent à titre principal qu’elle n’apportait pas la preuve de l’existence d’un lien filial préexistant, condition sine qua none du prononcé d’une adoption par un grand-parent.

La grand-mère interjeta appel de cette décision sur le fondement des articles 343 et suivants du Code civil N° Lexbase : L5135MEW, arguant que les conditions de l’adoption envisagée étaient réunies et que cette adoption était justifiée en raison notamment du lien filial et affectif l’unissant à son petit-fils. Elle invoqua en outre au soutien de sa demande une coutume béninoise confirmé par un certificat de coutume en vertu de laquelle « la grand-mère élève son premier petit-fils comme étant le dernier de ses fils ».

Par un arrêt du 4 mai 2022, la cour d’appel confirme le jugement de première instance en rappelant que conformément à la loi française applicable à raison de la nationalité française de la grand-mère, l’adoption intrafamiliale est subordonnée à la démonstration d’un lien filial préexistant qu’elle viendrait consacrer, lequel fait ici défaut comme l’avait déjà souligné le ministère public. L’adoption ne saurait dès lors être prononcée, bien que les conditions liées à l’âge des parties et au consentement de l’adopté soient conformes aux dispositions du Code civil. Fondamentalement, la décision est conforme à la jurisprudence classique et n’apporte que peu de nouveauté. En particulier, la cour confirme que le consentement de la mère – seul parent encore vie – n’était ici pas requis, l’adopté étant majeur.

En revanche, la décision est intéressante à deux points de vue. En premier lieu, l’élément d’extranéité caractérisé par le lieu de naissance des parties emporte application des règles de conflit de lois qui, ici, donnent compétence à la loi française conformément à l’article 370-3 du Code civil N° Lexbase : L5380MEY. De ce fait, la coutume étrangère invoquée – dont la valeur probante relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, no 03-12.354, F-P+B N° Lexbase : A7760DTL) – ne pouvait ici se voir reconnaître aucune portée. Comme le rappelle la cour, « une coutume étrangère alléguée ne saurait prévaloir sur la loi française » applicable au litige.

Surtout, l’insuffisance probatoire de l’existence d’un lien filial préexistant entre la requérante et son petit-fils, « au-delà du lien d’affection » et découlant d’une communauté de vie, est confirmée par la cour qui reprend les motifs du tribunal, lequel avait caractérisé notamment une absence. La requérante invoquait en particulier, attestations de son entourage à l’appui, l’opportunité de cette adoption au regard du lien l’unissant à son petit-fils et de la situation d’isolement dans laquelle elle se trouve. Néanmoins, ces éléments sont insuffisants car la condition du lien filial préexistant développée par la jurisprudence est appréciée strictement par les juges ; elle se justifie par la nécessité de préserver l’enfant d’un bouleversement de ses rapports familiaux, en ce qu’une adoption par l’un de ses grands-parents est de nature à entretenir une « confusion des générations » dans son esprit [3]. Dans cette affaire, point de manœuvres à visée successorale ou fiscale déjà sanctionnées par les tribunaux [4] ; la seule constatation du défaut de lien filial préexistant, caractérisée par l’absence d’une communauté de vie entre les intéressés, suffit. L’absence de référence par les juges d’appel à l’intérêt du petit-fils peut néanmoins surprendre, au regard de la finalité de l’adoption [5] et de l’appréciation par les juges de son opportunité [6] : la décision mentionne simplement l’intérêt de l’absence pour la grand-mère, jugé insuffisant pour justifier celle-ci.

Cette décision trouve une résonnance particulière à la lumière de la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, sur l’adoption N° Lexbase : L4154MBH, laquelle encadre plus strictement les conditions des adoptions intrafamiliales et particulièrement celles entre grands-parents et petits-enfants. En effet, désormais en vertu de l’article 343-3 du Code civil N° Lexbase : L4401MBM, l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe est prohibée par principe, sauf à prouver l’existence de motifs graves eu égard à l’intérêt de l’adopté. Ce renversement du paradigme était d’ailleurs encouragé par certains auteurs [7].

 

[1] F. Eudier et S. Bétant-Robert, Rép. civ., Dalloz, octobre 2008, V° Adoption, n° 410.

[2] À ce propos, v. : M. Schmitt, L'adoption de l'enfant par ses grands-parents, AJ fam., 2022, p. 91.

[3] Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 00-10.665, F-P N° Lexbase : A4630AWE : D., 2002, 1097, note F. Boulanger ; AJ fam., 2002, 26 ; RDSS, 2002, 118, obs. F. Monéger ; RTD civ., 2002, 84, obs. J. Hauser ; LPA, 2002, n° 43, note Massip ; RJPF, mars 2002, 20, obs. Villa-Nys ; Dr. fam., 2002, 18, obs. Murat.

[4] V. not. : Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 00-10.665, préc. N° Lexbase : A4630AWE.

[5] À ce propos, v. : J. Hauser, Quelle est la finalité de l'adoption simple : différence d'âge et détournement, RTD civ., 1995, p. 345.

[6] Th. Garé, Les grands-parents dans le droit de la famille, Éditions du CNRS, 1989, p. 107 et s.

[7] V. en particulier : A. Batteur, L’interdit de l’inceste. Principe fondateur du droit de la famille, RTD civ., 2000, p. 759.

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Droit de la famille

[Chronique] Donation rémunératoire et sacrifices de la conjointe survivante

Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. B, 28 juin 2022, n° 18/07945 N° Lexbase : A135279X

Lecture: 5 min

N6321BZ7

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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : donation • conjoint survivant • intention libérale • seconde noce


 

La qualification de donation rémunératoire [1], reposant sur une absence d’intention libérale en ce que le donateur a voulu rétribuer le bénéficiaire de services rendus par lui, permet de faire échapper l’acte au régime des libéralités en droit des successions et particulièrement aux règles du rapport et de la réduction, ainsi qu’aux droits de mutation à titre gratuit sur le plan fiscal. Elle fait l’objet d’une appréciation souveraine des juges du fond, au regard des éléments de fait qui leur sont apportés : le présent arrêt en constitue une illustration.

En l’espèce, un homme est décédé laissant pour héritiers deux fils et une épouse, avec laquelle il était lié par un régime de séparation de biens depuis 1985. Deux années avant son mariage, le couple avait acquis un bien immobilier à concurrence de moitié par chacun. Entre autres difficultés liées au partage successoral ayant donné lieu à un jugement du tribunal de grande instance de Saint-Étienne le 4 octobre 2018 s’est élevé un contentieux relativement à ce bien. En effet, l’un des fils du de cujus a invoqué l’existence d’une donation indirecte de son père à l’égard de la veuve, épouse en secondes noces, considérant que le bien immobilier acquis en 1983 l’avait été par un financement provenant presque exclusivement des ressources financières du de cujus.

Le tribunal lui a donné raison en caractérisant une intention libérale, la libéralité s’imputant alors sur les droits de la conjointe survivante à hauteur de 14,54 % de la valeur du bien. Cette dernière a interjeté appel de la décision en contestant la qualification de libéralité. À l’inverse, le fils a maintenu sa position, arguant de l’existence de celle-ci d’une résultante du financement différentiel du bien immobilier concerné.

La question se posait donc de la caractérisation de l’intention libérale, condition sine qua non de reconnaissance d’une libéralité au profit de la veuve. En pratique, il est fréquent que soit invoquée l’existence d’une donation indirecte résultant du financement inégalitaire pour l’acquisition d’un bien, que ce soit dans le cadre d’une séparation – c’est alors l’époux ayant davantage contribué au financement qui fera cette demande – ou d’une succession au décès de l’époux invoqué dans ce cas par un héritier ou légataire tiers.

Le second cas est celui qui concerne l’affaire commentée. Sur ce point, la cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 28 juin 2022, infirme le jugement de première instance et fait échapper le financement du bien concerné au régime des libéralités. Ce faisant, il ne saurait être imputé sur les droits de la conjointe survivante. Les juges ont sur ce point suivi les arguments de défense de cette dernière pour conclure qu’un tel financement par le de cujus « a eu pour cause sa volonté de compenser les sacrifices et le dévouement de Mme [WT], son épouse, pour leur foyer et pour lui dans le cadre de sa maladie ». Dès lors, la qualification de donation rémunératoire qui, en raison de l’existence d’une contrepartie, fait obstacle à la caractérisation d’une intention libérale doit être retenue.

En effet, un certain nombre d’éléments relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond ont permis de caractériser l’absence de volonté du de cujus de se dépouiller irrévocablement et, au contraire, celle de remercier son épouse pour les services rendus par elle : celle-ci s’est occupé des enfants du couple de même que de son mari atteint d’une maladie, et a renoncé à exercer et à reprendre une activité professionnelle pour ce faire. Sa dévotion était ici manifeste, ses sacrifices criants, et la volonté du de cujus de les compenser caractérisée.

La notion de donation rémunératoire permet d’allier droit des régimes matrimoniaux et droit des successions en ce que la qualification de libéralité peut céder face à la notion de contribution aux charges du mariage : il pourra être jugé que l’époux ayant majoritairement financé le bien n’a fait que contribuer à ces charges proportionnellement à ses facultés, en application de l’article 214 N° Lexbase : L2382ABT et à défaut de convention organisant les rapports pécuniaires des époux sur ce point. Alors les héritiers bénéficieront d’une créance à l’égard du conjoint survivant [2]. Néanmoins, dans l’espèce commentée, le fils opposé à la conjointe survivante n’a point invoqué l’idée selon laquelle le financement opéré par le de cujus allait au-delà de la simple contribution aux charges du mariage, ou même que les sacrifices opérés par la conjointe survivante relevaient de sa propre contribution à ces dernières.

Cette décision de la cour d’appel de Lyon s’inscrit donc pleinement dans la lignée jurisprudentielle des juges du fond et de la Cour de cassation attachée à protéger les droits du conjoint survivant – majoritairement l’épouse – face aux droits des autres héritiers, remède à l’absence d’anticipation par le de cujus de son vivant, ce qu’une auteure a pu qualifier de « coloration (à bon escient) féministe » [3]. On ne peut que valider.

 

[1] Sur la question, v. en particulier : V. Brémont, Rép. civ., Dalloz, v° Donation entre époux, mars 2013 (actualisation : février 2021), n° 27 et s. ; B. Vareille, Contribution aux charges du mariage et rémunération de la femme au foyer en régime séparatiste. La donation rémunératoire, RTD civ., 1997, p. 494.

[2] Pour une jurisprudence récente sur la question v. : Cass. civ. 1, 9 février 2022, n° 20-14.272, F-D N° Lexbase : A06507NE, D., 2022. 764, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; RTD civ., 2022. 693, obs. I. Dauriac ; Defrénois, 10 mars 2022, obs. I. Dauriac ; Dr. fam., 2022. comm. 87, S. Torricelli-Chrifi ; D. actu., obs. Q. Guiguet-Schielé.

[3] I. Dauriac, La contribution aux charges du mariage : encore une confirmation embarrassante…, obs. sous Cass. civ. 1, 9 février 2022, RTD civ., 2022, p. 693.

newsid:486321

Droit de la famille

[Chronique] La date du testament olographe (n’)est (pas toujours) une condition de validité

Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. B, 10 janvier 2023, n° 20/07301 N° Lexbase : A844387T

Lecture: 6 min

N6323BZ9

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par Aurélien Molière

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : date du testament • formalisme du testament • libéralité • testament olographe • validité du testament (conditions)


 

Un testament olographe dénué de date est-il valable ? La question paraît être d’une déconcertante simplicité pour qui connaît l’article 970 du Code civil N° Lexbase : L0126HPD. En disposant qu’il « ne sera point valable, s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur », il fait de la date une condition de validité. Toutefois, la jurisprudence a largement nuancé cette exigence en admettant qu’en présence d’un testament olographe non daté, la nullité n’est pas systématique. C’est ce que tend à rappeler la décision soumise à commentaire, laquelle s’inscrit dans la droite ligne des arrêts Payan (Cass. civ. 1, 9 mars 1983, n° 82-11.259, publié au bulletin N° Lexbase : A7423CGZ) et Sauviat (Cass. civ. 1, 10 mai 2007, n° 05-14.366, FS-P+B N° Lexbase : A1079DWU).

À la suite d’un décès, deux lettres contradictoires ont été présentées au notaire en charge de la succession. Dans la première, le défunt entend faire de la Ligue contre le cancer son légataire universel. Écrite de sa main, elle n’est pas datée, contrairement à l’enveloppe qui la contient et sur laquelle figure le cachet de La Poste. Dans la seconde, il exprime sa volonté de léguer son patrimoine à sa sœur. Si elle est bien datée, elle est cependant dactylographiée. La sœur du testateur demande l’annulation du testament rédigé au profit de l’association. Après avoir succombé en première instance, elle interjette appel.

C’est sans surprise que la cour d’appel de Lyon, confirmant le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Étienne, refuse d’annuler le testament litigieux. Marchant dans les pas de la Cour de cassation et des arrêts précités, elle affirme que : « La mention de la date sur le testament olographe se justifie par la nécessité de vérifier la capacité du testateur et de déterminer, en cas de pluralité de testaments, le plus récent, qui doit seul recevoir exécution puisqu’il emporte révocation du précédent, cette détermination étant indispensable en cas d’incompatibilité entre les dispositions ». Il faut donc comprendre, a contrario, qu’en l’absence de difficultés liées à la capacité du testateur ou à l’existence d’autres dispositions testamentaires, la date de l’acte devient secondaire. Pour autant, il reste important de déterminer quand la rédaction a eu lieu, pour savoir si de telles difficultés se posent. C’est ce que révèlent les deux éléments vérifiés par la Cour, avant d’admettre que le testament olographe dénué de date demeure valable.

Premièrement, la période au cours de laquelle l’écriture a eu lieu doit pouvoir être déterminée au moyen d’éléments intrinsèques, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques. En l’espèce, les mentions contenues dans le testament, à savoir l’adresse de l’auteur et les coordonnées du notaire, destinataire de la lettre, permettent de dater l’époque de la rédaction. Elle a eu lieu entre le jour où le scripteur s’est installé à l’adresse indiquée et la date de l’arrêté du garde des Sceaux acceptant la démission du notaire (le 27 janvier 2017). La première date est incertaine, mais l’appartement occupé par le testateur étant un logement de fonction, mis à sa disposition en sa qualité de gardien d’immeuble, il était donc forcément majeur lorsqu’il a rédigé son testament. À ces éléments intrinsèques s’ajoute un élément extrinsèque : la date portée sur l’enveloppe, qui renseigne sur le jour où le courrier a été expédié. Il s’en déduit que le testament a été rédigé entre le jour où le de cujus a fêté ses dix-huit ans et le 22 décembre 2012.

Deuxièmement, il faut s’assurer qu’au cours de cette période, le testateur n’a pas été frappé d’une incapacité de tester et qu’il n’a pas rédigé d’autre testament, expressément ou implicitement révocatoire. S’agissant de la capacité du de cujus, la cour d’appel constate qu’aucune contestation n’est élevée par la requérante. On regrettera, à ce sujet, l’expression malheureuse utilisée par les juges, observant qu’il n’est pas soutenu que le défunt « ait été affligé d’une altération de ses facultés mentales le rendant incapable de tester ». Une telle altération, faut-il le rappeler, n’est jamais de nature à rendre incapable de tester, contrairement aux mesures judiciaires de protection qui peuvent en résulter. S’agissant de l’existence d’un autre testament, en tout ou partie révocatoire, la requérante produit le courrier rédigé par son frère, trois jours avant sa mort ; autrement dit, postérieurement au testament olographe litigieux. Mais elle le fait en vain, car la chronologie des actes ne soulève aucune difficulté : si le testament olographe a été rédigé avant le 22 décembre 2012, le prétendu testament révocatoire est, quant à lui, daté du 4 novembre 2018. L’écart est tel qu’il est aisé de savoir l’ordre de leur rédaction. Dès lors, l’absence de date du premier testament se révèle être anodine et sans effet sur sa validité. Au demeurant, ce prétendu testament révocatoire est, dans un second temps, annulé par la cour d’appel à la demande de la Ligue contre le cancer. Pour qu’un testament soit valable, peu important qu’il soit révocatoire ou non, il doit revêtir l’une des formes imposées par l’article 969 du Code civil N° Lexbase : L0125HPC. Ne pouvant être ni authentique ni mystique, il était nécessairement olographe et sa forme dactylographiée le condamnait donc à la nullité. On saluera à cet égard la rigueur de la cour, restée indifférente à l’argument inopérant de la requérante. Selon cette dernière, il est « particulièrement injuste, à l’heure du numérique, d’examiner l’article 970 du Code civil avec une extrême rigueur concernant l’exigence d’un texte écrit de la main du testateur ». Argumenter de la sorte, c’est méconnaître le rôle d’une telle exigence dans l’identification du testateur et les fonctions respectives d’une cour d’appel et du législateur.

En résumé, cet arrêt rappelle que la date du testament olographe, érigée en condition de validité par l’article 970 du Code civil N° Lexbase : L0126HPD, n’entache pas systématiquement sa validité lorsqu’elle fait défaut. Plus précisément, son absence n’emporte pas sa nullité, à moins que des griefs y soient attachés, comme l’incapacité du testateur ou l’existence d’autres testaments. Cette décision constitue la manifestation d’une application raisonnée et raisonnable des dispositions légales. En se ralliant à la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans la tendance des juridictions françaises à favoriser la mise en œuvre des dernières volontés.

newsid:486323

Droit des biens

[Chronique] De la juridiction compétente pour réglementer l’indivision

Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. B, 6 septembre 2022, n° 20/03708 N° Lexbase : A35458I7

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N6324BZA

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par Xavier Baki-Mignot

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : indivision • jouissance • règlement • président • compétence • procédure accélérée


 

Dans la vie paisible du droit des biens, l’indivision pourvoit encore à quelques commotions stimulantes, tant il est vrai qu’on n’a pas fini de tirer toutes les conséquences de sa supposée inflexion ontologique, dont elle serait sortie réhabilitée depuis 1976 comme mode de jouissance à part entière des choses.

Divers ouvrages empiétaient ici sur une cour indivise pour la seule jouissance d’un communiste. La cour d’appel de Lyon ordonne la démolition et indemnise les quelques années d’accaparement privatif. Sur cette trame de fond des plus classique, les plaignants, pour prévenir toute nouvelle difficulté, avaient cependant imaginé de greffer une autre demande, tendant à ce que l’usage de la cour fût judiciairement réglementé. Le tribunal de Bourg-en-Bresse s’estime incompétent de ce chef. Mais la cour d’appel de Lyon en juge autrement et, infirmant la décision entreprise, accepte de réglementer l’indivision.

La loi, il faut en convenir, est ambiguë. Après avoir énoncé que le droit de chaque indivisaire doit se concilier avec celui des autres, l’article 815-9 du Code civil N° Lexbase : L9938HNE dispose qu’« à défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. » La cour de Lyon, qui ne méconnaît pas ce texte, estime qu’il « ne réserve toutefois pas au président du tribunal une compétence exclusive. »

On peut considérer en effet que le « président du tribunal » visé par le Code civil n’est autre que le juge des référés. Aussi bien c’est ce que la doctrine avait parfois enseigné [1], et c’est ce que peut suggérer à première vue le caractère « provisoire » de ce règlement. Dans cette hypothèse, le tribunal statuant en formation collégiale serait indiscutablement compétent à un tout autre niveau, comme juge du fond. Mais la Cour de cassation a repoussé ce système dans un arrêt important du 20 mai 2009, qui veut que le président de l’article 815-9 statue, non en référé, mais au fond, en la forme des référés [2]. Et la réforme de 2019, créant pour succéder à la « forme des référés » la nouvelle « procédure accélérée au fond », a expressément confirmé cette jurisprudence [3].

Mais alors, si le président du tribunal est juge du fond, la compétence du tribunal lui-même ne peut s’expliquer, dans l’esprit des magistrats lyonnais, que par une option de compétence au fond, à l’intérieur d’une même juridiction. Cette solution, disons-le, peine à convaincre.

Elle ne peut guère d’abord s’autoriser de la jurisprudence. Le quai de l’Horloge, à propos d’une autre procédure présidentielle en la forme des référés, a eu l’occasion de réserver très clairement la compétence « au seul président du tribunal » [4]. En doctrine, on professe plus généralement que « la juridiction qui statue selon la procédure accélérée au fond est exclusivement compétente pour connaître du contentieux qui lui est attribué » [5].

Il est facile de voir en effet à quelles conséquences indésirables conduirait cette étrange concurrence des compétences, que la cour d’appel de Lyon a cru devoir consacrer ici dans l’intention bien sensible et louable de liquider définitivement le litige.

Si les deux organes, président et tribunal, sont saisis en même temps, la même affaire sera en effet instruite deux fois, en double. Et ceci en pure perte pour la justice, car l’un des deux, le plus lent, se verra à la fin empêché de statuer par l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de l’autre, à moins que, pis, on n’ait pas eu le temps de soulever la fin de non-recevoir [6] : alors on risque, purement et simplement, la contrariété de jugements.

On pourrait bien imaginer, pour éviter de faire travailler les tribunaux à vide, de faire jouer l’exception de litispendance qui n’a d’ailleurs pas d’autre raison d’être [7]. Mais dans ce cas le président risque d’être sacrifié. En effet, si le tribunal a été saisi en premier par quelque indivisaire (peut-être animé d’intentions dilatoires), le président, saisi en second, n’aura d’autre choix, conformément aux règles de la litispendance, que de se dessaisir de l’affaire. Et alors on aura entièrement manqué l’objectif du législateur, qui a voulu que l’indivision fût réglementée par une procédure rapide, sans les conditions propres au référé [8]. Procédure rapide, au risque sans doute qu’on ne juge à l’emporte-pièce : mais la loi n’en a cure, car l’indivision demeure conçue, aujourd’hui comme en 1804, comme l’antichambre du partage. Celui-ci effacera bientôt s’il le faut les défauts du règlement qui ne mérite certes pas qu’on secoue pour lui ciel et terre. Telle est la raison simple pour laquelle ce règlement présidentiel est dit « provisoire » [9]. Ses jours sont comptés, et rien ne sert de pouponner un condamné à mort.

On voit que la solution des juges lyonnais, apparemment inoffensive et même opportune à l’échelle de l’affaire, se montre pernicieuse quand on en révèle toutes les conséquences possibles à l’état latent. Le juge, les yeux rivés sur l’espèce, n’est guère en position de s’élever à l’abstraction, et c’est l’une des raisons décisives pour lesquelles la jurisprudence ne saurait être une source de droit.

 

[1] V. les références citées par N. Cayrol, Rép. pr. civ., Dalloz, vo Référé civil, 2021, n° 31.

[2] Cass. civ. 1, 20 mai 2009, n° 07-21.679, n° 08-10.413, FS-P+B N° Lexbase : A1859EHC.

[4] Cass. com., 30 novembre 2004, n° 03-15.278, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1324DER, sur C. civ., art. 1843-4 N° Lexbase : L1737LRR prévoyant que l’action en évaluation de droits sociaux est portée devant le président du tribunal ; adde P. Pisoni, Rev. sociétés, 2018.249, estimant que cela exclut le tribunal en formation collégiale, le président « étant un organe distinct du tribunal lui-même ».

[5] Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP G, 2019, doctr. 928, n° 7.

[9] En ce sens, P. Chauvin, N. Auroy, C. Creton, D., 2009.2058.

newsid:486324

Droit des biens

[Chronique] Droit de se clore et droit de passage

Réf. : CA Lyon, 6 décembre 2022, n° 21/01208 N° Lexbase : A75018YH

Lecture: 4 min

N6333BZL

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par Xavier Baki Mignot, Doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Droit de se clore • servitude de passage


 

Le droit conféré à tout propriétaire de clore son héritage paraît si « naturel [1] », comme expression quintessentielle de l’exclusivisme, qu’on en admet trop mal la nécessaire relativité.

Dans cette affaire, un couple de propriétaires avait fait édifier un portail à l’entrée d’un chemin grevé d’une servitude de passage au profit du fonds voisin. Lesdits voisins demandent la démolition de l’ouvrage, mais sont déboutés successivement par le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, puis par la cour d’appel de Lyon, qui relève que le portail « ne rend pas plus incommode l’usage de la servitude à laquelle il leur est laissé la possibilité d’avoir accès ».

Les magistrats lyonnais ne peuvent qu’être approuvés d’avoir appliqué ici une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation, selon laquelle « le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit de se clore, pourvu qu’il ne porte pas atteinte au droit de passage et ne le rende pas plus incommode [2] ». Il importait peu que la servitude fût ici légale (comme le soutenaient les défendeurs) ou conventionnelle (comme le soutenaient les demandeurs), car cette conciliation délicate de deux droits contraires, esquissée par le Code civil pour les seuls cas d’enclave (C. civ., art. 647 N° Lexbase : L3248ABW : « Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682 »), s’étend en vérité à « l’exercice de toute servitude de passage [3] ». Il n’y a là en effet qu’un principe général de la servitude, sur laquelle il est défendu de « rien faire qui tende à en diminuer l’usage et à le rendre plus incommode » (C. civ., art. 701 N° Lexbase : L3300ABT). Quant à savoir si l’incommodité est caractérisée par l’édification d’un portail, c’est une question de fait, où la casuistique règne en maître.

Bien sûr, il faut à tout le moins, pour sauver la clôture, que le propriétaire du fonds dominant se soit vu remettre un jeu de clefs [4]. La cour d’appel de Lyon prend soin d’observer en l’espèce que cette précaution a été prise. Mais il s’agit là d’une condition nécessaire, sans laquelle la jouissance de la servitude est évidemment impossible, non certes d’une condition suffisante. En jurisprudence, l’incommodité a pu résulter de ce que, le portail étant situé loin de la maison que desservait le passage, les visiteurs, incapables de se faire entendre à cette distance (depuis lors, c’est vrai, le cellulaire a quelque peu facilité la communication !), étaient de fait empêchés d’y accéder [5]. Il a été jugé une autre fois que la présence d’une chaîne cadenassée « à plusieurs mètres » de sa demeure imposait au propriétaire du fonds dominant « un déplacement aussi souvent qu’une personne ou un véhicule accédait » à sa propriété, rendant l’exercice de la servitude « plus difficile [6] ». On voit que chaque situation doit être examinée finement, et l’on ne peut guère se contenter de constater la seule persistance de l’accès, sans se demander si les conditions d’exercice du droit de passage ne se sont pas compliquées, dégradées.

Le droit de se clore paraîtrait peut-être moins péremptoire si l’on voulait bien percevoir, par-delà les mystifications de la loi, sa véritable nature juridique. Envisagé par le code au titre des servitudes, le droit de se clore semble jouer à armes égales avec la servitude de passage qu’il menace. Il n’en est rien. Le droit de se clore n’est pas comme cette dernière un droit réel, mais une prérogative inhérente à la propriété [7], dont elle épouse par conséquent les vicissitudes. Cette prérogative subit donc par contrecoup la réduction dont est essentiellement affectée la propriété démembrée. Le fonds grevé d’une servitude de passage est en effet amputé dans cette exacte mesure de sa puissance d’exclusion : cette deminutio infligée à l’exclusivité rejaillit alors mécaniquement sur le droit de se clore, qui n’en est que la phénoménalisation physique. 

 

[1] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, LGDJ, 1928, 11e éd. par G. Ripert, n° 2385.

[2] Cass. civ. 3, 6 juin 1969, Letourneux, publié au bulletin [en ligne] : Bull. civ. III, n° 461.

[3] W. Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, n° 350-2.

[4] V. Cass. civ. 1, 3 décembre 1962 [en ligne] : Bull. civ. I, n° 514.

[5] Cass. civ. 3, 16 avril 1969 [en ligne] : Bull. civ. I, n° 292.

[6] Cass. civ. 3, 20 juin 1979 [en ligne] : Bull. civ. III, n° 140.

[7] F. Terré, Ph. Simler, Droit civil. Les biens, Dalloz, 10e éd., 2018, n° 272.

newsid:486333

Droit des biens

[Chronique] En matière de voisinage, gardons nos distances

Réf. : CA Paris, 6, 12, 13 janvier 2023, n° 19/06708 N° Lexbase : A152589D

Lecture: 3 min

N6342BZW

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par Marion Ferrière, Doctorante, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Mitoyenneté • limite séparative • végétaux • distance légale • abus du droit de propriété • exclusivité


 

S’étant fait casser sur une affaire très similaire en 2009 [1], en 2022, la cour d’appel de Lyon joue la bonne élève.

Le conflit oppose deux voisins. Le premier reproche au second d’avoir fait déborder des végétaux sur sa parcelle. Il se plaint d’une haie plantée sans respect des distances légales de plantations prévues aux articles 671 N° Lexbase : L3271ABR et 672 du Code civil N° Lexbase : L3272ABS et d’un débord de végétaux sur sa propriété (C. civ., art. 673 N° Lexbase : L3273ABT). En contrepartie, le défendeur demande, pour effectuer les coupes des branches en débord, de pénétrer dans la propriété du demandeur à défaut de quoi il devra supporter l’empiètement. Le tribunal de Villeurbanne ordonne l’arrachage des souches et troncs de haie et l’élagage des branches, et déboute le défendeur de ses demandes. Ce dernier fait appel en infirmation du jugement.

L’enjeu du litige était ici mathématique. On sait que la distance entre la ligne séparative des fonds et les plantations ne doit pas être inférieure à un demi-mètre (C. civ., art. 671 N° Lexbase : L3271ABR) sauf règlements ou usages particuliers [2]. Mais la difficulté se niche dans le point de départ de cette distance. En 2009, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de casser la cour d’appel de Lyon pour une mauvaise base de calcul. Celle-ci avait pris pour base la souche des arbres, c’est-à-dire l’écorce [3]. L’arrêt est censuré. Pour la haute juridiction, la distance est celle comprise entre la ligne séparatrice des fonds et « l’axe médian des troncs des arbres [4] ». Dans notre affaire, en première instance, le tribunal a calculé la distance qui séparait l’axe médian des troncs et « le milieu du mur mitoyen [5] ». Sans doute était-il pénétré de doctrine, puisque chez les auteurs, on pouvait lire que « dans le cas où les deux fonds sont séparés par une clôture mitoyenne, c’est le milieu de cette clôture qui constitue la ligne séparative [6] ». Néanmoins, la cour d’appel de Lyon joue la prudence, et réforme le jugement en retenant non pas le milieu du mur mitoyen, mais la ligne divisoire des propriétés [7]. En somme, de peur de connaître le même sort qu’en 2009, elle interprète l’arrêt des juges du quai de l’Horloge à la lettre.

Aussi, après avoir été une bonne élève, elle endosse un rôle professoral s’agissant de la demande audacieuse du défendeur. Celui-ci demandait à être autorisé à pénétrer sur la propriété de son voisin pour une durée maximum de huit jours et moyennant un délai de prévenance de quinze jours avant le premier jour des travaux. Intriguée par la demande, la Cour lui remémore l’essence du droit des biens et le principe d’exclusivisme du droit de propriété.  Elle lui rappelle qu’il « est dépourvu de tout fondement de droit à imposer un passage sur la propriété de son voisin ». En effet, « la propriété sort des entrailles de la communauté [8] ». Au reste, le fait que son voisin donne l’accès à son fonds à un autre voisin ne l’engage pas à autoriser l’accès à tous. Toute personne est, avec son fonds, libre d’agir selon « ses bonnes ou mauvaises volontés [9] ».

 

[1] CA Lyon, 1re ch. civ. sect. B, 11 décembre 2007, n° 07/03636 [en ligne].

[2] Cass. civ. 1, 27 novembre 1963, publié au bulletin [en ligne] : RTD civ., 1964, 350, obs. J.-D. Bredin ; Cass. civ. 3, 27 mars 2013, n° 11-21.221, FS-P+B N° Lexbase : A2698KBK : D., 2013, 2123, obs. Reboul-Maupin ; RDI, 2013, 427, obs. Tranchant.

[3] CA Lyon, 1re ch. civ. B, 11 décembre 2007, n° 07/03636, préc. [en ligne].

[4] Cass. civ. 3, 1er avril 2009, n° 08-11.876, FS-P+B N° Lexbase : A5216EEW : D., 2009 ; AJ, 1087, obs. D. Chenu ; JCP, 2009, 337, n° 16, obs. Périnet-Marquet ; AJDI, 2010, 69, obs. Prigent.

[5] TI Villeurbanne, 19 août 2019, n° 11-17-003350.

[6] M. Planiol et G. Ripert, Traité de droit civil français, t. III, Les biens, LGDJ, 2e éd., 1952, par Picard, p. 888, n° 909 ; dans le même sens : C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, t. II, Largier, 1839, p. 53, S. 241, note 3.

[7] CA Lyon, 6e ch. civ., 13 octobre 2022, n° 19/06708 N° Lexbase : A91268PP.

[8] F. Zenati-Castaing et T. Revêt, Les biens, PUF, 3e éd., 1998, p. 315, n° 193.

[9] CA Lyon, 6e ch. civ., 13 octobre 2022, n° 19/06708 N° Lexbase : A91268PP.

newsid:486342

Responsabilité médicale

[Chronique] Rappels sur la responsabilité médicale des chirurgiens esthétiques

Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. A, 8 décembre 2022, n° 20/04202 N° Lexbase : A50158ZR

Lecture: 4 min

N6325BZB

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par Pierrick Maimone, Doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : responsabilité médicale • chirurgie • faute médicale • devoir d’information • preuve


 

Par un arrêt en date du 8 décembre 2022, la cour d’appel de Lyon vient procéder à quelques rappels probatoires quant à la responsabilité médicale d’un chirurgien esthétique.

En l’espèce, en 2004, une personne décida de réaliser plusieurs interventions chirurgicales esthétiques. Non-satisfaite du résultat, elle décida, en 2007, d’effectuer de nouvelles interventions pour tenter de corriger ce qui ne lui convenait pas. Toutefois, une nouvelle fois, le résultat ne lui convenait toujours pas. Elle décida alors d’assigner en justice son second chirurgien esthétique pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices, sur le fondement de sa responsabilité médicale. Elle estime avoir subi un dommage corporel, dû à une faute dans « l’exécution de l’acte médical » [1], lui causant divers préjudices. Également, elle affirme avoir subi un préjudice de perte de chance de ne pas subir une intervention chirurgicale, ainsi que ses conséquences.

Par un jugement en date du 15 juin 2020, le tribunal judiciaire de Lyon la déboute de toutes ses demandes. Elle interjette alors appel de cette décision et renouvelle donc ses demandes d’indemnisation. Logiquement, le défendeur souhaite que le jugement de première instance soit confirmé. La cour d’appel devait ainsi se prononcer sur le fait de savoir si l’échec d’une intervention chirurgicale permettait d’engager la responsabilité médicale d’un chirurgien esthétique et apprécier les preuves fournies à l’instance, lesquelles reposaient essentiellement sur des expertises, au vu des carences probatoires de la patiente.

Selon le premier alinéa de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH, instaurant un régime de responsabilité médicale, « [h]ors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé […] ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ». Il s’agit donc là donc d’une responsabilité impliquant qu’une faute soit démontrée. Avant que la responsabilité médicale ne soit consacrée légalement, la responsabilité des médecins reposait sur le contrat. Dans ce cadre, l’arrêt Mercier avait affirmé que le professionnel de santé ne pouvait être tenu qu’à une obligation de moyens [2]. Autrement dit, pour que sa faute fût caractérisée, la simple non-obtention du résultat voulu ne suffisant pas, il fallait établir que le médecin avait manqué de diligence dans la réalisation des actes de soin. Si la consécration d’une responsabilité médicale détachée de la notion de contrat ne permet pas de reprendre la distinction des obligations de résultat et de moyens, propre à la sphère contractuelle, il demeure que la logique selon laquelle la simple non-obtention du résultat souhaité par le patient ne suffit pas à engager la responsabilité du professionnel de santé est toujours en vigueur [3]. Or il a été relevé par expertise que si, effectivement, le résultat escompté n’avait pas été obtenu, aucun élément ne permettait d’établir une quelconque faute du chirurgien esthétique. De plus, la patiente n’apporte aucun élément complémentaire permettant d’établir un manque de diligence dans la réalisation des actes chirurgicaux, dès lors qu’elle se contente de critiquer le rapport qui aurait minimisé les fautes du praticien, sans apporter donc de preuves supplémentaires. La charge de la preuve incombant au demandeur (CPC, art. 9 N° Lexbase : L1123H4D), les juges d’appel ne pouvaient que confirmer le rejet de prétentions de l’appelant, sur ce fondement.

Outre la commission d’un acte chirurgical fautif, le manquement d’un professionnel de santé à son devoir d’information peut être constitutif d’une faute « contre la conscience médicale » [4]. Ce fondement permet souvent d’outrepasser les difficultés d’établir la preuve de la réalisation d’actes chirurgicaux fautifs. En effet, l’article L. 1111-2, IV, du Code de la santé publique N° Lexbase : L4848LWH dispose qu’« [e]n cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article » et que « [c]ette preuve peut être apportée par tout moyen ». Autrement dit, la loi fixe un renversement de la charge de la preuve qui n’incombe donc pas, s’agissant du devoir d’information, à celui qui allègue qu’il n’aurait pas été respecté. Or dans l’espèce, les juges d’appel relèvent que le praticien affirme avoir bien transmis toutes les informations nécessaires à la patiente, ce qui est confirmé par l’expert judiciaire. Une nouvelle fois, la patiente n’a apporté aucun élément de preuve permettant d’emporter la conviction du juge.

Si le régime de la responsabilité médicale est particulièrement favorable à l’indemnisation des victimes, il ne les dispense pas de prouver les faits qu’elles allèguent.

 

[1] Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2022, 9e éd., n° 695.

[2] Cass. civ., 20 mai 1936.

[3] V. en ce sens : Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, préc., n° 694.

[4] Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, préc., n° 694, spéc. p. 648.

newsid:486325

Sociétés

[Chronique] Le gérant associé unique d’une EURL n’engage sa responsabilité qu’en cas de faute séparable de ses fonctions

Réf. : CA Lyon, 23 février 2023, n° 22/00880 N° Lexbase : A99419EW

Lecture: 5 min

N6353BZC

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par Brune-Laure Dugourd, Doctorante, ATER, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Responsabilité personnelle du dirigeant • personnalité morale • faute séparable des fonctions • EURL • assurance décennale


 

L’engagement de la responsabilité civile personnelle des dirigeants de société est une source intarissable de contentieux. À cet égard, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date 9 mai 2023 fait figure de cas d’école.

En l’espèce, un incendie était survenu dans une pizzeria après la réalisation de travaux d’évacuation du four. Le rapport d’expertise révélait que cet incendie était imputable à l’EURL auteur des travaux. Le locataire des locaux assigna en justice son assureur, qui appela en cause l’EURL et son gérant à titre personnel. Confirmant le jugement de première instance, la cour d’appel retient la responsabilité de l’EURL mais rejette la responsabilité civile personnelle de son gérant.

Elle commence par affirmer que la mauvaise exécution des travaux n’est imputable qu’à la société qui les a réalisés. La responsabilité personnelle du gérant ne peut donc pas être engagée sur ce point. Ce faisant, la cour d’appel rappelle l’écran constitué par la personnalité morale de l’EURL. En effet, la circonstance qu’il s’agisse d’une société unipersonnelle dont le gérant est l’associé unique et qu’elle n’emploie pas de salarié est indifférente. Elle n’est pas de nature à percer l’écran de la personne morale et à confondre le gérant avec la société.

La cour d’appel explique ensuite que la responsabilité personnelle du gérant ne peut être engagée que s’il commet une faute séparable de ses fonctions, conformément à l’article L. 223-22 du Code de commerce N° Lexbase : L5847AIE. Cette dernière se définit comme une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales [1]. En l’espèce, il était reproché au gérant de ne pas avoir vérifié si la société était assurée pour la fourniture et la pose d'un conduit de cheminée et par conséquent, de ne pas avoir souscrit la garantie adaptée. Il lui était également reproché d’avoir accepté d’exécuter la prestation sans avoir les qualifications professionnelles requises. La cour d’appel considère alors que ces deux fautes ne peuvent être qualifiées de fautes détachables des fonctions. La solution pourrait surprendre concernant la première faute. En effet, la jurisprudence engage classiquement la responsabilité personnelle du dirigeant de société de construction qui exécute un chantier sans avoir souscrit d’assurance décennale, ce dernier commettant une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle et séparable comme telle de ses fonctions sociales [2]. En réalité, les faits soumis à l’appréciation des juges du fond sont légèrement différents dans la mesure où l’EURL était assurée au titre de la responsabilité décennale pour les travaux de serrurerie métallerie et pensait être garantie pour l'intégralité des travaux réalisés à cette dominante. La faute du gérant n’était donc pas intentionnelle, excluant l’engagement de sa responsabilité personnelle. À cet égard, il n’est pas certain qu’invoquer la faute pénale du dirigeant aurait facilité la caractérisation de la faute détachable des fonctions. L’élément matériel de l’infraction est bien constitué puisque l’absence d’assurance de responsabilité décennale au moment de l’ouverture du chantier peut être due à un défaut total de souscription de l’assurance ou à la réalisation de travaux n’entrant pas dans le secteur d’activité professionnelle déclarée par l’assuré [3]. En l’espèce, la cour d’appel relève que les travaux d’installation d’un conduit d’évacuation des fumées du four à pizza constituent une activité de fumisterie et non de serrurerie métallerie. En revanche, la constitution de l’élément intentionnel de l’infraction est plus difficile à établir [4]. En qualité de professionnel, le gérant ne peut ignorer devoir souscrire une nouvelle assurance pour les travaux n’entrant pas directement dans le champ de son activité. Cependant, la fabrication du conduit en tôle inox pouvait laisser penser qu’elle entrait dans le champ d’activité couvert, et partant empêcher la constitution de l’infraction.

Bien que classique, la solution illustre parfaitement l’intérêt patrimonial des sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée. Sauf faute séparable des fonctions du gérant ou faute séparable de la qualité d’associé, la société est la seule responsable des fautes commises. Le patrimoine personnel du gérant et de l’associé sont donc protégés. Dès lors, en cas d’insolvabilité de la société, le seul espoir pour la victime est alors de voir le gérant condamné, au titre d’une faute de gestion, à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif, sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce N° Lexbase : L3704MBS ou d’espérer une harmonisation de la jurisprudence en faveur de la position de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui ne soumet pas la responsabilité civile personnelle du dirigeant à l’existence d’une faute séparable de ses fonctions, et ce même en l’absence d’infraction pénale [5].

 

[1] Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, publié au bulletin N° Lexbase : A1619B9T : Bull., 2003, IV, n° 84, p. 94.

[2] Cass. com. 28 septembre 2010, n° 09-66.255, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5417GAU : Bull., 2010, IV, n° 146 ; Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-15.326, FS-P+B N° Lexbase : A1663Q7Q : Bull., 2016, n° 846, III, n° 1076 ; Cass. civ. 3, 7 juin 2018, n° 16-27.680, FS-P+B+I N° Lexbase : A4487XQA : Bull., 2018, III, n° 60.

[3] Sur la limitation de l’assurance au secteur d’activité déclaré, v. not. : Cass. civ. 3, 22 novembre 2018, n° 17-23.334, F-D N° Lexbase : A0005YNI.

[4] Sur sa nécessité, v. not. : Cass. crim., 18 novembre 2008, n° 08-83542, inédit au bulletin [en ligne].

[5] Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-83.961, FP-D N° Lexbase : A4619XKB, n° 16-83.984, FP-P+B N° Lexbase : A4581XKU, n° 16-87.669, FP-P+B N° Lexbase : A4477XKZ : Bull. crim., 2018, n° 67.

newsid:486353

Sociétés

[Chronique] Transmission de la peine d’amende dans le cadre d’une TUP

Réf. : CA Lyon, 6e ch., 23 février 2023, n° 22/00880 N° Lexbase : A99419EW

Lecture: 5 min

N6348BZ7

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par Brune-Laure Dugourd, Doctorante, ATER, Université Jean Moulin Lyon 3

Le 26 Juillet 2023

Mots-clés : responsabilité pénale • transmission universelle de patrimoine • amende pénale • passif • société unipersonnelle • société à responsabilité limitée • dissolution sans liquidation


 

La dissolution d’une société unipersonnelle emporte la transmission universelle de son patrimoine (TUP) à son associé personne morale (C. civ., art. 1844-5, al. 3 N° Lexbase : L2025ABM). Ce transfert est d’ordre public, si bien que l’associé unique n’a pas la possibilité d’opter pour la liquidation de la société (Cass. com., 7 décembre 2010, n° 09-17.169, F-D N° Lexbase : A9068GMS ; Cass. soc., 12 janvier 2016, n° 14-21.533, FS-D N° Lexbase : A9473N3A). Cette dernière est pourtant avantageuse dans les sociétés à responsabilité limitée. En effet, le gage des créanciers sociaux se limitant au patrimoine social, les dettes de la société ne sont pas supportées par les associés en cas d’insuffisance d’actif constatée à la fin des opérations de liquidation. Le risque encouru en cas de dissolution d’une société unipersonnelle est donc particulièrement important, justifiant que la TUP soit réservée aux seuls associés personnes morales (C. civ., art. 1844-5, al. 4 N° Lexbase : L2025ABM, issu de la loi dite « NRE », du 15 mai 2001 N° Lexbase : L8295ASZ) en l’absence de procédure collective (Cass. com., 12 juillet 2005, n° 02-19.860, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9126DIT). Selon l’étendue du passif transmis, l’enjeu est alors pour le bénéficiaire de la TUP de parvenir à se défaire de certaines dettes. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 23 février 2023 permet ainsi de rappeler les effets classiques de la TUP en présence d’une amende pénale, dont la double nature n’empêche pas la transmission à l’associé unique. 

En l’espèce, une société unipersonnelle avait été condamnée à deux peines d’amende avant sa dissolution et la transmission universelle de son patrimoine. Quelques mois plus tard, le Trésor public délivrait deux avis de poursuite à l’associé unique afin de recouvrer les sommes dues. Soutenant que l’amende avait la nature de sanction et que la dissolution d’une personne morale empêche ou arrête l’exécution de la peine, l’associé demanda l’annulation des commandements de payer. Après un rejet de sa demande en première instance, l’associé interjette appel. Dans un arrêt confirmatif, la cour d’appel insiste sur la double nature de l’amende pénale. Issue d’un jugement de condamnation passé en force de chose jugée, l’amende est une sanction, mais également une dette grevant le patrimoine transmis. Or, puisque le bénéficiaire de la TUP se substitue dans tous les biens, droits et obligations de la société, l’associé unique devient bien redevable de cette amende.

A priori, cette vision patrimoniale de l’amende s’oppose au principe de personnalité des peines selon lequel l’auteur de l’infraction supporte le poids de la peine. L’article 133-1 du Code pénal N° Lexbase : L2149AMK dispose à cet égard que le décès ou la dissolution de la personne morale, auteur de l’infraction, arrête l’exécution de la peine. La solution s’inscrit néanmoins dans la logique de la seconde phrase du même texte qui autorise le recouvrement des amendes et frais de justice jusqu’à la clôture des opérations de liquidation, que ce soit pour les personnes physiques ou les personnes morales. Le Conseil constitutionnel a ainsi approuvé la transmission des amendes issues de condamnations définitives [1]. À défaut de liquidation de la société unipersonnelle, l’appelante soutenait que le recouvrement de l’amende n’était possible que jusqu’à l’expiration du délai d’opposition des créanciers. Ce dernier est de trente jours à compter de la publication de la dissolution et retarde la dissolution de la personne morale (C. civ., art. 1844-5, al. 3 N° Lexbase : L2025ABM). À raison, les juges du fond rappellent que ce délai n’a pas pour effet d’éteindre les dettes de la société. En effet, s’il accueille l’opposition, le juge n’est pas contraint d’ordonner le remboursement de la créance et peut exiger la constitution de garanties.

Au-delà de son orthodoxie juridique, le pragmatisme de cette solution garantit l’effectivité de la sanction. En effet, la TUP assure la continuité économique des personnes morales. La condamnation de nature patrimoniale peut ainsi être exécutée par la personne morale bénéficiaire de la TUP. À cet égard, les principes de personnalité et d’individualité de la peine sont respectés, celle-ci ayant été prononcée au regard du patrimoine transmis. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon s’inscrit également dans la logique de la jurisprudence en matière de fusions. En effet, la continuité économique de la personne morale justifie la condamnation d’une société absorbante à une peine d’amende pour les faits commis par la société absorbée, lorsque la fusion des sociétés entre dans le champ de la directive sur la fusion des sociétés anonymes ou qu’elle a pour seul objectif de permettre à la personne morale d’échapper à sa responsabilité pénale [2]. L’abandon d’une vision anthropomorphique en la matière permet ainsi d’éviter une instrumentalisation de la dissolution des personnes morales. À cet égard, l’associé unique personne morale devra éviter de faire entrer un nouvel associé dans sa société dans le seul but de permettre sa dissolution avec liquidation, sous peine de devoir assumer le passif de la société.


[1] Cons. const., décision n° 2012-239 QPC, du 4 mai 2012 N° Lexbase : Z03121YW ; v. également à propos des amendes civiles Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-29.166, FS-P+B+R N° Lexbase : A0032MDK.

[2] Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-80.653, FS-B N° Lexbase : A41207TR ; Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I N° Lexbase : A551437D.

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