La lettre juridique n°516 du 14 février 2013

La lettre juridique - Édition n°516

Éditorial

La "cure de désintox" des départements endettés

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N5811BTE

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Je ne compte pas mes emprunts, je les pèse". Tel pourrait être la devise, inspirée par Montaigne, gravée aux frontispices des collectivités locales et, plus singulièrement, à ceux des conseils généraux, tant la "gangrène" des emprunts toxiques gagne, et gâte, l'organisation structurelle même des départements.

"Devise" mais non "épitaphe", car l'espoir renaît à la lecture de ces trois décisions du tribunal de grande instance de Nanterre, en date du 8 février 2013, et hautement médiatisées, qui ont en partie donné gain de cause au demandeur, le département séquano-dionysien, en retenant que les stipulations d'intérêts conventionnels à lui imposées étaient nulles et que, conformément aux dispositions légales, il devait être substitué à ces taux le taux d'intérêt légal depuis la conclusion du contrat de prêt. Autrement dit, les choses pourraient revenir à la normale pour ce département, dont les finances ont été considérablement grevées par des emprunts refinancés à l'aide de montages hasardeux.

Comme le clamait l'actuel Président de l'Assemblée nationale, alors Président du conseil général de la Seine-Saint-Denis et Président d'une commission d'enquête parlementaire ad hoc, c'est bien à son obligation d'information que la banque a manqué, en omettant de porter mention du taux effectif global sur les "fax" confirmant le mode de refinancement des emprunts à taux variable initialement souscrits. Le "piège" est donc contourné et nombre de collectivités pourraient prendre appui sur cette jurisprudence pour revoir leurs conditions auprès des banques.

Toutefois, comme le souligne, également cette semaine, la Cour des comptes, "la vive progression tendancielle des dépenses sociales et la moindre capacité des départements à ajuster leurs recettes pour couvrir l'ensemble de leurs dépenses rendent plus difficile le maintien d'un équilibre de moyen terme". Par conséquent, et quoiqu'il en soit, "la situation financière [des départements] se dégrade". "Plus de 80 % des dépenses de fonctionnement", dont le total se monte à 51,8 milliards d'euros, "sont concentrées sur des charges obligatoires, difficilement compressibles" et, hors transferts, les effectifs ont augmenté de 12 % de 2004 à 2010, les dépenses sociales des départements ayant augmenté en moyenne annuelle de 7,1 % sur la période 2005-2011. Alors, certes comme le rappelait le Président de l'Assemblée nationale, les collectivités ne peuvent pas légalement se trouver en faillite, mais elles peuvent se trouver mises sous tutelle de l'Etat ; ce qui, dans le cadre de la décentralisation renforcée, serait un comble.

Mais, il ne faut pas bouder son plaisir. Les collectivités locales assurent 71 % des investissements publics en France ; et les décisions rapportées redonneront sans doute les marges de manoeuvre nécessaires et souhaitées par les magistrats de la rue Cambon.

"Nous sommes plus riches que nous ne pensons ; mais on nous dresse à l'emprunt et à la quête" poursuivait le philosophe bordelais. Alors, reste que des "graves manquements" dans la gestion budgétaire de certaines collectivités ont amené la Cour des comptes à recommander, dans son rapport annuel, d'engager la responsabilité des maires devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Plus précisément, la Cour souhaite que soit engagée leur responsabilité en cas de "manquement grave dans l'exécution d'une procédure de redressement budgétaire". La mesure existe déjà, mais elle demeure exceptionnelle. On attend, dès lors, la fronde des maires et autres élus locaux face à cette "nouvelle" mise en jeu de leur responsabilité ; cette dernière ayant déjà été engagée, parfois plus que raison et pour de nombreux dysfonctionnements dont ils ne sont guère tributaires le plus souvent, ces dernières années. Une victoire à la Pyrrhus, donc ?

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Conférence des avocats au barreau de Paris : à la recherche de douze Secrétaires rompus à l'art de l'éloquence - Questions à Nicolas Pottier, troisième Secrétaire de la Conférence

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N5647BTC

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef

Le 14 Février 2013

La Conférence des avocats au barreau de Paris est une association d'avocats créée en 1810, qui a pour but la défense pénale d'urgence, mais aussi la représentation des jeunes avocats auprès du Bâtonnier. C'est lors du Concours de la Conférence que sont choisis les douze avocats qui composeront la Conférence. Issus de tous les domaines du droit, et de tous les types de structures, les douze protagonistes, qui ont su convaincre par leur art oratoire, ont chacun une fonction bien précise au sein de la Conférence, tout en assurant le rôle de la défense des plus démunis face à la justice pénale et de la représentation des jeunes avocats. Le Concours de la Conférence offre aux avocats l'occasion de montrer à leurs pairs leur maîtrise de l'éloquence en répondant à des questions qui n'ont pas toujours de lien avec le droit, sous l'oeil attentif des Secrétaires en place et d'un invité qui, tout comme les questions présentées aux candidats, n'a pas toujours de lien avec l'univers juridique. En effet, il peut s'agir d'une personnalité du droit, mais aussi d'une personne provenant des milieux politique ou artistique. En outre, la Conférence organise deux autres concours liés à l'art de plaider : la conférence Berryer, parodie du Concours, et la petite Conférence, destinée aux élèves de l'Ecole de formation du Barreau. La Conférence des avocats au barreau de Paris, dont la vocation première est la défense des personnes qui ne peuvent avoir accès à un avocat, faute de moyen, pour les protéger dans le cadre de procédures pénales, a donc pris une importance croissante et joue un rôle de représentation de la jeunesse au sein de l'Ordre des avocats, et de groupe d'opinion oeuvrant pour l'amélioration de la défense pénale. Pour mieux comprendre les objectifs, les missions et les réalisations de la Conférence des avocats au barreau de Paris, Lexbase Hebdo - éditions professions a interrogé Nicolas Pottier, troisième Secrétaire de la Conférence.

Lexbase : Quelle est la vocation de la Conférence ?

Nicolas Pottier : Les Secrétaires de la Conférence sont chargés par le Bâtonnier d'assurer la défense pénale des plus démunis en matière criminelle, à tous les stades de la procédure : en garde à vue, au cours de l'instruction préparatoire et devant la cour d'assises. Ils interviennent également, en matière correctionnelle, devant la chambre des comparutions immédiates.

La Conférence représente par ailleurs le jeune barreau parisien, en France et à l'étranger. Elle assure également un rôle d'observateur dans certains grands procès à l'étranger, pour rendre compte de leur déroulement lorsque les droits de l'Homme sont menacés.

Lexbase : Parlez-nous du concours de la Conférence. En quoi consiste-t-il ?

Nicolas Pottier : Le concours de la Conférence permet aux douze Secrétaires en poste d'élire leurs successeurs. Il se déroule en trois tours, lors desquels les candidats prononcent un discours qu'ils ont préparé. Il s'agit de répondre, par l'affirmative ou la négative, à une question non juridique, dont la formulation est souvent déroutante. Aux premier et troisième tours, les candidats ont plusieurs jours pour préparer leur discours ; au deuxième tour, ils n'ont que cinq heures.

Le premier tour est ouvert à tous les jeunes avocats du barreau de Paris ; chaque année, plus de 150 candidats se présentent. Ils ne sont plus que 36 admis au deuxième tour ; 24 au troisième ; 12 à la fin.

Lexbase : Qui est l'invité du Concours de la Conférence ? Quel est son rôle ?

Nicolas Pottier : A chaque séance du premier tour, un invité siège aux côtés des Secrétaires et du représentant du Bâtonnier. Il est généralement issu des milieux juridique, politique, médiatique ou artistique. Il est convié à prendre la parole, en fin de séance, sur les sujets proposés aux candidats ou sur tout autre thème qui lui tient à coeur. En revanche, il ne participe pas aux délibérations.

Comme tous les ans, la promotion 2013 de la Conférence accueillera des personnalités de tout premier ordre, venues d'univers très différents. Je vous invite à vous rendre régulièrement sur notre site internet et à rejoindre notre page facebook pour vous tenir informés des dates des séances du premier tour, des sujets proposés et du nom de l'invité.

Lexbase : Dans le discours des candidats, la forme a-t-elle une importance plus grande que le fond ?

Nicolas Pottier : Non, le fond compte aussi. En fin de compte, les questions un peu saugrenues posées aux candidats ont un objectif : leur permettre de démontrer, par leurs qualités de conviction et d'adaptation, qu'ils seront à même de préparer, dans l'urgence, la défense de personnes mises en cause dans des dossiers criminels complexes.

Lexbase : Quelle est la place de la Conférence des avocats dans la profession ?

Nicolas Pottier : Les Secrétaires de la Conférence sont à l'image du jeune barreau de Paris et de sa diversité : certains viennent de gros cabinets, d'autres de plus petites structures ou sont à leur compte ; certains ont une activité franco-française, d'autres travaillent beaucoup avec l'international. Cela donne à la Conférence une vraie légitimité pour représenter le jeune barreau aux côtés du Bâtonnier, en France et à l'étranger.

Mais la place essentielle de la Conférence reste la défense pénale des plus démunis. Les Secrétaires assurent l'intégralité des commissions d'office en matière criminelle, avec, à certains stades de la procédure, le concours des Secrétaires des années précédentes. Cela donne à la Conférence une expérience unique du système judiciaire français, qu'elle s'attache à faire évoluer dans un sens toujours plus respectueux des droits de la défense et des libertés fondamentales.

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Fiscal général

[Jurisprudence] Dons manuels aux associations : un chemin de croix pour l'administration fiscale

Réf. : Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-11.642, FS-P+B (N° Lexbase : A4920I3M)

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N5737BTN

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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon

Le 14 Février 2013

Les dons manuels sont imposables au droit de donation si la déclaration en est faite par le donataire dans un acte ; s'ils font l'objet d'une reconnaissance judiciaire ou si le donataire révèle le ou les dons manuels dont il a bénéficié à l'administration fiscale. La notion de révélation du don manuel à l'administration fiscale a donné lieu à un long débat sémantique auquel la Cour de cassation vient peut-être de mettre fin. I - Une même affaire et deux décisions de la Cour de cassation

L'Arche de Marie, association à but non lucratif, qui a pour objet social la sauvegarde et la protection de la foi chrétienne par la pratique de la prière en groupe et de la charité évangélique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité.

Ce contrôle, s'il n'a pas conduit au constat de la réalisation d'activités à but lucratif, a néanmoins permis de constater que l'association concernée bénéficiait de dons manuels.

L'administration a donc demandé à l'association l'Arche de Marie de déclarer, dans le délai d'un mois, les dons ainsi reçus et, pour ce faire, lui a adressé l'imprimé réservé à cet effet. L'association a renvoyé cet imprimé à l'administration avec la mention "néant". Après mise en demeure, restée vaine, de déclarer ces dons, l'administration a, en application de l'article L. 66-4° du LPF (N° Lexbase : L8954IQP), procédé à la taxation d'office des droits de donation correspondant.

Par un arrêt du 10 février 2009, la cour d'appel de Rennes a prononcé la décharge des droits mis en recouvrement par l'administration, considérant que trouvaient à s'appliquer les dispositions de l'article 795-10° du CGI (N° Lexbase : L1147IE9), prévoyant l'exonération des droits de donation des dons et legs faits aux associations cultuelles, aux unions d'associations cultuelles et aux congrégations autorisées (CA Rennes, 10 février 2009, n° 07/05978, N° Lexbase : A1396HGS). Selon la cour, le terme d'"association cultuelle autorisée" ne peut s'entendre que d'une association régulièrement déclarée, dès lors que sont soumis à autorisation administrative les legs et donations, à l'exception des dons manuels dont la validité n'est soumise à aucune autorisation préalable, en application de l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR), modifié par l'article 16 de la loi du 23 juillet 1987 (N° Lexbase : L8334AGR). Dans la mesure où l'association l'Arche de Marie avait été déclarée en préfecture et justifiait suffisamment de son caractère cultuel, il n'était donc pas nécessaire de trancher la question de la "révélation" des dons manuels, puisque, en tout état de cause, les dons en cause révélés ou non pouvaient bénéficier de l'exonération de l'article de l'article 795-10° du CGI.

Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel, considérant que pour bénéficier de l'exonération prévue à l'article 795-10° du CGI, l'association devait, non seulement être déclarée en préfecture, mais aussi détenir une autorisation ministérielle ou préfectorale antérieure au fait générateur de l'imposition (Cass. com., 7 avril 2010, n° 09-13.977, F-D N° Lexbase : A1396HGS).

A la suite du renvoi de la Cour de cassation, la cour d'appel de Rennes a, une nouvelle fois, prononcé la décharge des droits de donation mis à la charge de l'association l'Arche de Marie, au motif nouveau que les dispositions de l'article 757 du CGI (N° Lexbase : L9389IQS) ne trouvaient pas à s'appliquer, dès lors que l'administration ne pouvait pas considérer que l'association concernée avait révélé spontanément les dons manuels dont elle avait bénéficié. En effet, selon la cour d'appel : "au regard des termes parfaitement clairs de l'article 757 alinéa 2 du CGI, qui n'appellent aucune interprétation ou extension de sens sous quel qu'angle que ce soit, la révélation doit être le fait du donataire', et donc, du contribuable lui-même : admettre comme l'envisage l'administration des impôts que la révélation pourrait être le fait, sinon de ses services de contrôle, en tout cas des circonstances, et qu'elle résulterait de la présentation obligatoire de la comptabilité reviendrait à violer les termes précis de la loi fiscale" (CA Rennes, 2 novembre 2011, n° 10/04156, N° Lexbase : A1228HZI).

Saisie d'un nouveau pourvoi par l'administration fiscale, la Cour de cassation en a prononcé le rejet au motif que, comme l'avait constaté la cour d'appel, l'association n'avait rien révélé volontairement à l'administration, et que seule la vérification de sa comptabilité, par les contrôleurs, avait fait apparaître les dons manuels litigieux. La procédure de vérification de comptabilité mise en oeuvre ne pouvait donc pas être le support de l'assujettissement des dons manuels reçus par l'association l'Arche de Marie aux droits de donation.

II - Commentaires

A - Un principe : les dons manuels sont exonérés du droit de donation

1 - Définition des dons manuels

Les dons manuels sont ceux qui se font par la simple remise d'objets mobiliers. L'administration précise que l'exigence primitive d'une transmission "de la main à la main" s'est toutefois notablement assouplie avec la naissance de formes nouvelles de transmissions des biens. C'est ainsi que la jurisprudence a admis la validité des dons manuels par chèques, des dons manuels de titres, de bons de caisse. En effet, il importe peu que matériellement le transfert des fonds se soit opéré par virement de compte, dès lors que cette opération a entraîné un dessaisissement réel et immédiat au profit du donataire. La notion de don manuel peut donc porter sur des biens corporels et incorporels et même se réaliser par un simple jeu d'écriture (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10-20120912, n° 30 N° Lexbase : X5214ALP).

2 - Rester inconnus pour être exonérés

En vertu de l'article 757 du CGI, les dons manuels sont passibles des droits de donation dans les trois cas suivants :
1° les dons manuels sont constatés dans un acte soumis à la formalité de l'enregistrement renfermant leur déclaration par le donataire ou ses représentants. L'administration précise que les droits de mutation à titre gratuit sont exigibles sur tout acte, quelle que soit sa nature ou sa validité, soumis à l'enregistrement et qui constate la déclaration du don manuel faite par le donataire ;

2° Lls dons manuels font l'objet d'une reconnaissance judiciaire. Les droits de donation sont dus sur toute décision judiciaire qui constate, même simplement dans les motifs ou les qualités du jugement ou hors la présence du donateur ou du donataire, l'existence d'un don manuel.
A noter que les reconnaissances par jugements de tribunaux étrangers ou par actes passés à l'étranger de dons manuels portant sur des biens français donnent ouverture à l'impôt en France. Il en est de même de ceux portant sur des biens étrangers, lorsque le donateur est domicilié en France (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10-20120912, n° 50, précité) ;

3° les dons manuels sont révélés à l'administration fiscale par le donataire. Le don manuel doit être révélé à l'administration fiscale par le bénéficiaire de la mutation, soit spontanément, soit en réponse à une demande de l'administration, soit au cours d'une procédure de contrôle ou d'une procédure contentieuse.

3 - Révéler, c'est-à-dire ?

La question de la révélation des dons annuels a donné lieu à une querelle juridique âpre et longue. L'affaire a débuté avec un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre qui a jugé que les dispositions de l'article 757 du CGI conduisent à considérer que :
- les droits de donation sont applicables quelle que soit la qualité du donataire, personne physique ou personne morale, peu important à cet égard que le formulaire de déclaration de type 2735 soit destiné à des personnes physiques,
- sont soumis au droit de donation les dons manuels que le donataire révèle à l'administration fiscale. Or, le terme "révéler" signifie faire connaître, faire savoir ce qui était inconnu, secret (dictionnaires Le Robert et Littré). Il n'y a pas lieu de distinguer selon que la révélation est faite de manière spontanée ou sous la contrainte. Aussi, en présentant sa comptabilité à l'occasion de la vérification dont elle a fait l'objet, l'association les Témoins de Jéhovah a révélé à l'administration fiscale les dons manuels qu'elle a reçus (TGI Nanterre, 4 juillet 2000, n° 99/14939, RJF 12/00 n° 1526).

La cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 28 février 2002, no 00/05693, N° Lexbase : A8152AYL), a confirmé la position très controversée des premiers juges aux motifs, notamment, que :
- les sommes portées en comptabilité par l'association sont des dons manuels au sens de l'article 757 du CGI et ne peuvent supporter une autre qualification, celle d'offrandes ou de produits des quêtes n'étant nullement antinomique avec celle de dons manuels, dès lors qu'il s'agit bien de la transmission de la main à la main d'une chose mobilière susceptible d'être acquise par simple tradition, que l'exercice d'un culte auquel les donateurs entendraient contribuer ne peut suffire à caractériser la charge grevant un don et gommer l'intention libérale qui anime à l'évidence les bienfaiteurs, qu'enfin la modicité du don ne suffit pas à exclure cette qualification de libéralité ;
- la présentation par l'association, conformément à l'obligation légale qui pèse sur elle, de sa comptabilité, quand bien même sa tenue serait obligatoire, document qui constitue alors l'écrit émanant du donataire, dans le cadre d'une vérification régulièrement menée par l'administration fiscale, vaut révélation au sens de l'article 757 du CGI, en ce qu'elle comporte en définitive la revendication propre du contribuable d'une qualification donnée à des sommes en compte, laquelle est déterminante, sous réserve de la preuve de la réalité du don, du régime fiscal applicable à l'opération ;
- et qu'il importe peu en définitive que la révélation soit spontanée, fortuite ou provoquée, que la révélation du don ne doit avoir d'autre source que la volonté du donataire, qu'il suffit qu'elle émane d'un acte du donataire mentionnant le don manuel pour constituer le fait générateur rendant alors obligatoire la déclaration, à défaut de laquelle le donataire s'expose à la taxation d'office.

Cette décision a été validée par la Cour de cassation, considérant que la cour d'appel de Versailles avait énoncé, à bon droit, que l'article 757 du CGI n'exige pas l'aveu spontané du don de la part du donataire et que la présentation contrainte, par l'association, de sa comptabilité, dans laquelle se trouvaient enregistrées des sommes d'argent qu'elle avait, elle-même qualifiées de dons manuels, valait révélation au sens de l'article 757 du CGI de Versailles (Cass. com., 5 octobre 2004, n° 03-15.709, FS-P+B N° Lexbase : A6171DDW).

B - Une jurisprudence remise en cause

1 - Un apaisement législatif

La décision du TGI de Nanterre confirmée par la cour d'appel de Versailles a beaucoup inquiété les milieux associatifs, en particulier cultuels, qui redoutaient, de la part des services fiscaux, une application généralisée et sans nuance de cette jurisprudence. De nombreux auteurs ont critiqué très sévèrement ces décisions, même si, certains se félicitaient que cette jurisprudence puisse être utilisée comme un moyen de lutter contre les sectes. Les titres de quelques articles ou chroniques parlent d'eux-mêmes : La liberté d'association menacée par Bercy, Les Echos, 5 mars 2001, p. 69 ; Maurice-Christian Bergerès, Quelle arme fiscale contre les sectes ?, Revue de Droit Fiscal, n° 25, 2001, pp. 934-939 ; Michel de Guillenchmidt, La révélation des dons manuels ou l'apocalypse fiscale, RJF, décembre 2000, pp. 905-908.

Bien entendu, les parlementaires ont été saisis de cette querelle juridique et ont réagi diversement. La première tentative pour régler, par la loi, cette question, a été faite par M. Gérard Voisin, député, qui, le 16 mai 2001, a déposé, sans succès, une proposition de loi dont l'exposé des motifs était le suivant : "les associations sont donc aujourd'hui sous la menace de contrôles fiscaux qui pourraient entraîner la confiscation de la totalité des dons perçus pendant dix ans. Surtout, la position du secrétariat d'Etat au budget va à l'encontre de la volonté du législateur qui avait souhaité en 1987 encourager le mécénat privé en faveur des associations. La proposition de loi qu'il vous est proposé d'adopter vise donc à inscrire dans le CGI l'exonération des dons manuels en faveur des associations qui ouvrent droit à une réduction d'impôt au profit des donateurs et de conforter ainsi la pratique des dons aux associations d'intérêt général, sans pour autant que puissent en bénéficier les associations de type sectaire".

Il a fallu attendre la loi n° 2003-709 du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations (N° Lexbase : L3710BLY), pour que la question de la situation fiscale des dons manuels faits aux associations soit enfin précisée. Depuis cette date, l'article 757 du CGI comporte un 3° alinéa qui dispose : "ces dispositions [celles prévoyant l'imposition au droit de donation] ne s'appliquent pas aux dons manuels consentis aux organismes d'intérêt général mentionnés à l'article 200".

L'administration fiscale précise que les organismes bénéficiaires de cette disposition sont tous "les organismes mentionnés à l'article 200 du CGI (N° Lexbase : L1159IT4) qui ne fonctionnent pas au profit d'un cercle restreint de personnes, ont une gestion désintéressée et exercent une activité non lucrative. Il est noté à cet égard que l'existence d'activités lucratives, dès lors qu'elles ne sont pas prépondérantes et ont fait l'objet d'une sectorisation, ne remet pas en cause la qualification d'intérêt général d'un organisme. Dans ces conditions, la sectorisation permet ainsi à ces organismes de bénéficier de la mesure d'exonération bien qu'elle exerce une activité lucrative à la condition que le don soit affecté à l'activité non lucrative".

Il est à noter que les associations de financement électoral et les associations de financement de partis politiques, telles que définies par l'article 200 du CGI, sont considérées, pour l'application de ce dispositif, comme d'intérêt général (RM Masson, n° 05683, JO Sénat, 12 février 2004, p. 363 ; repris dans le BoFip - Impôt, BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10-20120912, n° 120, précité).

2 - Pendant ce temps, le litige continue

Saisie à son tour de cette affaire de l'assujettissement des dons manuels reçus par l'association les Témoins de Jéhovah, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) observe notamment que :
"La CEDH pose la question de savoir si la taxation des offrandes des fidèles en application des dispositions de l'article 757 du CGI visant les dons manuels au motif que ces dons avaient été 'révélés' par la présentation de la comptabilité de la requérante à l'administration fiscale lors du contrôle fiscal, avait un caractère prévisible" (CEDH, 30 juin 2011, n° 8916/05 N° Lexbase : A5586HUG).

La CEDH répond par la négative à cette question pour les motifs suivants : "[...] l'article 757, alinéa 2 énonce que les dons manuels révélés' à l'administration fiscale sont sujets aux droits de donation. Comme le rappelle le Gouvernement, cet alinéa a été adopté en décembre 1991, soit antérieurement au contrôle fiscal de l'espèce. La question se pose donc de savoir si la rédaction de la disposition litigieuse était suffisamment claire pour prévoir qu'elle était applicable aux personnes morales d'une part et qu'elle impliquait qu'un contrôle fiscal puisse être assimilé à une 'révélation' d'un don manuel au sens de son alinéa 2 d'autre part.
S'agissant du premier point, et en l'absence de précision de la loi sur 'le donataire', force est de constater que l'intention initiale du législateur était d'encadrer les transmissions de patrimoine au sein des familles et donc ne concernait que les personnes physiques. Il est à noter qu'une instruction figurant dans le Bulletin officiel des impôts du 25 janvier 2005 indique que c'est à l'occasion d'une réponse ministérielle datant de mars 2001 qu'il a été précisé que les dispositions de l'article 757 du CGI étaient applicables aux dons manuels réalisés au profit d'associations ; or, en l'espèce, la notification de la procédure de taxation d'office et le redressement datent de 1998. En outre, le Gouvernement n'a pas cité de décisions de la Cour de cassation qui, à l'époque, seraient allées dans le sens de l'application de l'article 757 aux personnes morales. Enfin, la Cour relève que dans son arrêt relatif à la présente affaire, la cour d'appel de Versailles, s'agissant de la loi de finances du 30 décembre 1991, mentionne une loi 'aussi inadéquate soit-elle' qu'il ne lui appartient pas de corriger. Elle constate d'ailleurs que l'article 757 a été modifié en 2003 compte tenu des conséquences financières de cette mesure fiscale sur le monde associatif suite au litige de la requérante, afin d'exclure de l'imposition les organismes d'intérêt général".

Quant à la notion de "révélation" des dons, telle que prévue par l'article 757, la Cour observe qu'il a été jugé en l'espèce et pour la première fois que la présentation de la comptabilité à l'administration lors du contrôle fiscal valait "révélation". A cet égard, la cour d'appel a elle- même précisé que "si l'absence d'obligation légale de révéler et de déclarer pourrait militer contre l'admission d'une révélation autrement que volontaire, [cette disposition] ne contient aucune indication quant aux modalités ou aux circonstances de cette révélation" (CA Versailles, 1ère ch., 28 février 2002, n° 00/05693 N° Lexbase : A8152AYL). Si l'évolution de la jurisprudence relève de l'office du juge, une telle interprétation de la disposition litigieuse était difficilement prévisible pour l'association requérante, dans la mesure où, jusqu'alors, les dons manuels échappaient à toute obligation de déclaration et n'étaient pas systématiquement soumis aux droits de mutation à titre gratuit. L'imprécision de la notion de révélation contenue dans l'article 757 ne pouvait, en l'état du droit positif de l'époque, conduire la requérante à envisager que la simple présentation de sa comptabilité constituerait une telle révélation. La Cour observe qu'en définitive, la notion de révélation, telle qu'interprétée en l'espèce, a fait dépendre la taxation des dons manuels de la réalisation du contrôle fiscal, ce qui implique nécessairement une part d'aléa et donc une imprévisibilité dans l'application de la loi fiscale.

Voilà une leçon de droit qui coûte cher à l'Etat. La note est de l'ordre de deux millions d'euros, si l'on cumule les frais et dépens (55 000 euros) accordés à la plaignante par la CEDH (CEDH, 5 juillet 2012, n° 8916/05 N° Lexbase : A4639IQU), les intérêts moratoires (1 800 000 euros) dus à l'association sur les sommes indûment encaissées par le Trésor et devant être restituées (4 590 295 euros), mais sans compter les frais engagés pour soutenir ces différentes procédures.

A noter que la CEDH vient de confirmer cette jurisprudence concernant la révélation des dons manuels par trois arrêts du 31 janvier 2013, concernant l'Eglise Evangélique missionnaire et Salaün (CEDH, req. 25502/07 N° Lexbase : A4408I4Z), l'association Cultuelle du Temple Pyramide (CEDH, req. 50471/07 N° Lexbase : A4409I43) et l'association des Chevaliers des Lotus d'Or (CEDH, req. 50615/07 N° Lexbase : A4410I44).

3 - Tout ça pour ça

Un peu plus de 12 ans après la décision du TGI de Nanterre qui a déclenché les hostilités, la Cour de cassation pose donc les armes et relève que l'association l'Arche de Marie n'avait rien révélé volontairement à l'administration et que, seule, la vérification de sa comptabilité, par les contrôleurs, avait fait apparaître les dons manuels litigieux. La procédure de vérification de comptabilité mise en oeuvre ne pouvait donc pas être le support de l'assujettissement des dons manuels reçus par l'association aux droits de donation. On peut se poser la question de savoir si ce revirement de jurisprudence radical est à mettre en relation avec la décision de la CEDH visée supra ?

4 - L'histoire n'est peut-être pas finie

Les associations ne doivent pas perdre de vue que le champ d'application de l'exonération des dons manuels, prévue au 3° alinéa de l'article 757 du CGI, est exclusivement réservé aux organismes sans but lucratif d'intérêt général, visés à l'article 200 du CGI. A contrario, les associations dont le caractère d'intérêt général ne serait pas reconnu par l'administration fiscale, et l'on sait que ce n'est pas, loin s'en faut, une hypothèse d'école, pourraient se voir confrontées à cette question de l'assujettissement des dons manuels dont elles auraient pu bénéficier. La nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation qui a, clairement, condamné le raisonnement précédemment admis, selon lequel l'inscription en comptabilité des dons reçus valait révélation de ces dons au sens de l'article 757-2° du CGI, sera-t-elle officiellement validée par l'administration fiscale ? Affaire à suivre.

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QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - Octobre à Décembre 2012

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N5727BTB

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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 14 Février 2013

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue de droit public. La période examinée signe une diminution du flux de QPC. Bien qu'elles soient d'une grande richesse, seules onze décisions QPC ont été rendues par le Conseil constitutionnel d'octobre à décembre 2012, soit une moyenne faible de quatre décisions par mois. Ce chiffre devrait toutefois remonter à sa vitesse de croisière au regard des affaires en cours. En outre, une série d'auditions a été diligentée, en novembre et décembre 2012, par la commission des lois de l'Assemblée nationale afin de dresser un bilan de la QPC qui donnera lieu à un rapport annoncé en février 2013. Il faut noter, également, la préparation d'une série de colloques et publications en vue de la célébration du troisième anniversaire de la QPC.

Au cours de la période considérée, le Conseil constitutionnel s'est penché sur des QPC importantes, soit en raison de la longue controverse qui entourent les dispositions législatives contestées, soit en raison de leur objet ou de leur impact juridique. Ainsi, par exemple, dans sa décision attendue n° 2012-279 QPC du 5 octobre 2012 (N° Lexbase : A9021ITB), le Conseil a censuré en partie le régime de circulation des gens du voyage régi par la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969, relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (N° Lexbase : L4723GUH). Cette loi a été sujette à de nombreux débats, tant au niveau interne à la suite des travaux de la HALDE qu'au niveau international. Aux yeux de ses détracteurs, elle porte en elle un régime de discrimination obsolescent et généralisé en Europe depuis le début du siècle qui place les gens du voyage en situation "d'étrangers de l'intérieur". A défaut de censure globale, la décision du Conseil constitutionnel sanctionne une différence de traitement dans l'exercice de leurs droits civiques, ce qui contribue au moins symboliquement à replacer les intéressés en situation de droit commun. Dans un tout autre domaine, par sa décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 (N° Lexbase : A2619IUK), relative à l'Autorité de la concurrence, le Conseil s'est prononcé sur le statut et les modalités du pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes, en tranchant la question de savoir si les principes d'impartialité et d'indépendance qui découlent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) sont, ou non, applicables à de telles autorités administratives indépendantes (AAI) lorsqu'elles exercent ce pouvoir.

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Une confusion semble être entretenue par la Cour de cassation entre, d'une part, la question de savoir si la disposition contestée constitue une "disposition législative" pouvant être renvoyée et, d'autre part, l'incompétence négative du législateur. On peut le relever à propos d'une QPC tirée de l'atteinte, par les dispositions de l'article L. 111-8 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7809HNK), à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) et au principe de droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Le grief développé reprochait à ces dispositions de ne pas définir les conditions de mise en oeuvre de la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime et, ainsi, d'abandonner cette question au pouvoir réglementaire. La Cour de cassation considère que, sous le couvert de la critique d'une disposition législative, la question posée ne tend qu'à discuter la conformité à la Constitution des dispositions des articles 356 (N° Lexbase : L2143H47) à 363 du Code de procédure civile, qui sont des dispositions réglementaires ne pouvant, en tant que telles, faire l'objet d'une QPC (Cass. QPC, 6 décembre 2012, n° 12-21.855, FS-D N° Lexbase : A6472IYD).

Par ailleurs, on rappellera qu'une disposition d'une loi organique est une "disposition législative" au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) et peut donc faire l'objet d'une QPC. Il en allait ainsi du 3° de l'article 16 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature (N° Lexbase : L4909AGW) (Cons. const., décision n° 2012-278 QPC, du 5 octobre 2012 [LXB=L5336AGQ)]). Pour autant, les conditions de recevabilité de la QPC, et, notamment, celle de l'absence de "déjà jugé", s'appliquent pleinement à l'égard d'une disposition d'une loi organique. Une disposition d'une ordonnance organique prise sur le fondement des dispositions transitoires de l'article 92 de la Constitution abrogé n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel et peut donc faire l'objet d'une QPC (Cons. const., décision n° 2012-278 QPC, du 5 octobre 2012, préc.). Mais, si la disposition d'une telle ordonnance a été ultérieurement reprise dans une nouvelle loi organique, cette dernière a été automatiquement soumise au Conseil constitutionnel dans la totalité de ces dispositions. Elle ne peut donc pas faire l'objet d'une QPC. Il en a été ainsi des dispositions de l'article LO 134 du Code électoral (N° Lexbase : L7618AIY) issu de l'ordonnance organique du 4 février 1959, complétant et modifiant l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958, portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires. Ces dispositions de l'article LO 134 avaient été reprises dans la loi organique n° 85-688 du 10 juillet 1985, modifiant le Code électoral et relative à l'élection des députés (N° Lexbase : L9042ICU), laquelle a fait l'objet d'un contrôle par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 85-194 DC du 10 juillet 1985 (N° Lexbase : A8103AC4). Dès lors, en se prononçant à nouveau sur une QPC dans le cadre du contentieux de la régularité de l'élection législative, le Conseil juge que l'article LO 134 du Code électoral ne pouvait plus faire l'objet d'une QPC (Cons. const., décisions du 18 octobre 2012, n° 2012-4563/4600 AN [LXB=A4841IUT ] et n° 2012-4565/4567/4568/4574/4575/4576/4577 AN N° Lexbase : A4842IUU).

2 - Statut de l'interprétation de la loi

La question du contrôle de l'interprétation jurisprudentielle de la loi trouve un nouvel épisode. Dans une formulation de principe, la Chambre sociale de la Cour de cassation retient que, s'il a été décidé que "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative", sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente, il résulte tant des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution et de l'article 23-5, alinéa 3, de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3), que des décisions du Conseil constitutionnel, que la contestation doit concerner la portée que donne à une disposition législative précise l'interprétation qu'en fait la juridiction suprême de l'un ou l'autre ordre. L'application de cette solution conduit a juger irrecevable une QPC qui, sous couvert de critiquer les articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), porte exclusivement sur la règle jurisprudentielle, énoncée, notamment, au visa de ces textes, suivant laquelle les dispositions d'une clause de non-concurrence qui minorent la contrepartie financière en cas de rupture imputable au salarié sont réputées non écrites (Cass. QPC, 28 novembre 2012, n° 11-17.941, F-P+B N° Lexbase : A9119IXZ). Il s'agit là d'une lecture éminemment restrictive.

En outre, dans l'examen de l'affaire n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, relative au pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence, le Conseil constitutionnel souligne qu'il n'est pas question pour lui d'examiner une pratique. Cela signifie qu'il ne se prononce que sur les seules dispositions législatives qui lui sont déférées et, en l'occurrence, dans quelle mesure ces dispositions elles-mêmes comportent des garanties d'impartialité et d'indépendance suffisantes.

3 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

Le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions législatives en vertu desquelles une autorité administrative indépendante peut prendre l'initiative de donner un avis sur toute question relevant de sa compétence ne peuvent faire l'objet d'une QPC. Il estime que les prises de position et recommandations que l'autorité formule à cette occasion ne constituent pas des décisions faisant grief. Toutefois, tel n'est pas le cas si ces actes revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou de prescriptions individuelles dont l'Autorité pourrait ultérieurement censurer la méconnaissance (CE 9° et 10° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 346378, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2692IUA). En outre, s'agissant de l'Autorité de la concurrence, si l'analyse contenue dans un avis était ultérieurement reprise par elle ou par une autre autorité dans le cadre d'une procédure aboutissant à une décision faisant grief, elle pourrait, à cette occasion, faire l'objet d'un débat contentieux (CE 9° et 10° s-s.r., 11 octobre 2012, n° 357193, publié au recueil Lebon [LXB=A2714IU3 ]).

La Cour de cassation a jugé que des dispositions du Code général des impôts relatives au paiement de sommes fraudées, ou indûment obtenues, ne sont pas applicables à l'espèce dès lors que le juge pénal, qui déclare le prévenu coupable, ne fixe pas lui-même l'assiette ou le taux de ces sommes (Cass. QPC, 3 octobre 2012, n° 12-90.055, -, F-D N° Lexbase : A0197IUT). De même, elle juge que les dispositions de l'article 723-16 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9483IEX) permettant au procureur de la République de mettre à exécution une peine d'emprisonnement ferme antérieure par la survenance d'un fait nouveau ne sont pas applicables à la procédure, dès lors qu'il n'appartient pas au tribunal correctionnel d'apprécier la régularité de la mise à exécution d'une condamnation définitive antérieure par le procureur de la République (Cass. QPC, 14 novembre 2012, n° 12-90.058, F-D N° Lexbase : A5565IXE).

S'agissant d'une QPC dirigée contre les dispositions du 13° de l'article 7 de la loi du 1er juin 1924 qui ont pour seul objet de maintenir en vigueur, dans les départements d'Alsace-Moselle, la législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses en vigueur au 1er janvier 1925, jusqu'à l'intervention de l'ordonnance du 15 septembre 1944, relative au rétablissement de la légalité républicaine dans ces départements, le Conseil d'Etat juge que ces dispositions législatives ne sont pas applicables à un litige portant sur le refus du Président de la République d'abroger les dispositions réglementaires de la loi du 18 germinal An X et du décret n° 2001-31 du 10 janvier 2001, relatif au régime des cultes catholique, protestants et israélite dans ces départements (N° Lexbase : L8769IUC) (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2012, n° 360724, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1297IZ3).

On soulignera que le Conseil d'Etat, saisi par la Cour des comptes, a refusé de transmettre une QPC portant sur les dispositions relatives à la première phase de la procédure de la gestion de fait. Il estime "qu'alors même que cette procédure est une procédure unique, cette première phase constitue une instance autonome qui se conclut par une décision du juge des comptes visant uniquement à reconnaître l'existence d'obligations constitutives de gestion de fait et à assujettir le comptable de fait aux obligations qui incombent aux comptables publics, notamment l'obligation de rendre un compte" (CE 1° et 6° s-s-r., 8 octobre 2012, n° 360838, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0104IUE). Or, ce n'est que dans une phase ultérieure de la procédure, lors du jugement du compte, que la Cour des comptes sera amenée à se prononcer sur l'opportunité de sanctionner le comptable de fait et, éventuellement, à mettre en oeuvre les dispositions contestées. On peut en déduire que, lorsqu'une procédure peut se subdiviser en deux instances autonomes (en l'espèce, reconnaissance de l'existence d'obligations constitutives de gestion de fait et condamnation des comptables de fait) dont la première se conclut par une décision d'un juge, une QPC portant sur les dispositions relatives à la deuxième instance est irrecevable en tant que ces dispositions ne sont pas applicables au litige.

B - Normes constitutionnelles invocables

1 - Notion de "droits et libertés que la Constitution garantit"

En examinant une QPC portée à l'encontre de dispositions relatives à la pension vieillesse, la Cour de cassation juge invocable, tout en jugeant non sérieuse la question, le volet social de l'article 11 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1358A98) comme renvoyant à la perception d'un revenu minimum (Cass. QPC, 11 octobre 2012, n° 12-15.731, F-D N° Lexbase : A3353IUQ).

La première phrase de l'article 2 de la Constitution (N° Lexbase : L0828AH7), selon laquelle "la langue de la République est le français" est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l'article 61-1 de la Constitution (Cons. const., décision n° 2012-285 QPC, du 30 novembre 2012 N° Lexbase : A7023IXE). De façon remarquable, le Conseil ajoute que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, lorsqu'il est fondé sur la méconnaissance de l'article 2 de la Constitution, peut être invoqué à l'appui d'une QPC, ce qui permet de mieux définir les limites de l'absence d'invocabilité "en elle-même" d'un tel objectif et de distinguer, ainsi que cela a été envisagé (1), l'hypothèse dans laquelle il est combiné avec un droit ou liberté. C'est, ainsi, que, dans l'affaire relative à l'obligation d'affiliation à une corporation d'artisans en Alsace-Moselle, qui concernait des dispositions législatives n'ayant pas donné lieu à une traduction authentique publiée au Journal officiel, le Conseil a examiné si une atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité de la loi résulte de l'absence de version française d'une disposition législative.

Tout aussi importante est la décision n° 2012-282 QPC du 23 octobre 2012 (N° Lexbase : A4204IXY) qui livre une série de précisions ou clarifications quant à l'invocabilité de certaines dispositions de la Charte de l'environnement. D'une part, si le Conseil constitutionnel a reconnu que pouvait être invoquée devant lui la méconnaissance du principe constitutionnel de vigilance environnementale qui résulte des articles 1er et 2 de la Charte, il n'a pas fait du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé un droit subjectif invocable en tant que tel. Il ne s'est, d'ailleurs, pas prononcé sur la portée du seul article 1er de la Charte. D'autre part, le Conseil a confirmé que les articles 1er et 3 de la Charte sont invocables ensemble à l'appui d'une QPC. Il n'exerce, toutefois, qu'un contrôle réduit, de la seule dénaturation de ces exigences, dès lors que le législateur dispose d'une large compétence et marge d'appréciation pour définir les modalités selon lesquelles la protection de l'environnement doit être assurée.

2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC

Le Conseil d'Etat a jugé que le droit à rémunération après service fait ne figure pas au nombre des droits et libertés qui sont garantis par la Constitution au sens de l'article 61-1 de la Constitution. Il en juge de même s'agissant des principes d'unité, d'universalité, de sincérité des lois de finances et de sincérité des comptes de l'Etat et de la Sécurité sociale, ainsi que le principe de sincérité des comptes des caisses de retraite (CE 3° s-s., 26 novembre 2012, n° 359735, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6331IXR).

Le Conseil constitutionnel a jugé, quant à lui, que les dispositions de l'article 13 de la Constitution (N° Lexbase : L0839AHK), qui concerne le pouvoir de nomination du président de la République, n'instituent aucun droit ou liberté dont la méconnaissance pourrait être invoquée à l'appui d'une QPC (Cons. const., décision n° 2012-281 QPC du 12 octobre 2012 N° Lexbase : A2620IUL). Cette solution s'inscrit dans la jurisprudence du Conseil qui décline une telle qualité aux dispositions constitutionnelles dépourvues des attributs essentiels d'un droit ou d'une liberté (2). Dans cette ligne, quoique cela soit plus discutable, le Conseil en a jugé de même s'agissant des exigences du dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L0904AHX) qui prévoit que, "dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois" (Cons. const., décision n° 2012-282 QPC du 23 octobre 2012 [LXB= A4204IXY]).

En outre, contrairement à ce qu'avait pu laisser penser la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 4° et 5° s-s-r., 14 septembre 2011, n° 348394, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7293HXE), le Conseil a, également, jugé non invocable en QPC l'article 6 de la Charte de l'environnement qui prévoit l'obligation de conciliation des politiques publiques avec les trois piliers du développement durable : la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social (Cons. const., décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 N° Lexbase : A4205IXZ, cons. 22). Cet article consacre, de façon générale, les principes de promotion du développement durable et d'intégration des préoccupations environnementales dans les politiques publiques, à l'instar de celui affirmé dans la déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992, et repris à l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union (N° Lexbase : L8117ANX). Le Conseil constitutionnel a, toutefois, jugé, en cohérence avec sa jurisprudence, que cet article ne détermine qu'un objectif à destination des pouvoirs publics et n'institue pas un droit ou une liberté dont les particuliers pourraient se prévaloir.

Par ailleurs, le Conseil ne reconnaît pas l'existence d'un principe constitutionnel selon lequel des corps de fonctionnaires de l'Etat ne peuvent être constitués et maintenus qu'en vue de pourvoir à l'exécution de missions de service public (Cons. const., décision n° 2012-281 QPC du 12 octobre 2012, préc.). Il a jugé que la Constitution, qui fait référence aux "agents publics" ou aux "emplois civils et militaires de l'Etat", ne consacre pas un principe de valeur constitutionnelle garantissant aux fonctionnaires de l'Etat le droit de toujours exercer leur mission dans le cadre du service public. Outre cette précision de fond, cette solution est remarquable en ce qu'un tel principe avait été clairement dégagé préalablement par le Conseil d'Etat (CE Ass., avis n° 355255 du 18 novembre 1993, CE, Section des finances, avis n° 360829 du 23 septembre 1997). De sorte qu'en ne confirmant pas celui-ci, le Conseil constitutionnel, non seulement exprime clairement qu'il n'est point lié par ce "précédent" qui n'en est pas un, mais surtout entend faire régner le monopole de l'interprétation authentique de la Constitution qui lui est confié. En revanche, en application de l'autorité de la chose interprétée des décisions du Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat ne pourra plus s'appuyer sur ce faux principe constitutionnel.

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Présentation de la requête

Dès lors qu'un pourvoi formé contre une ordonnance du président de la chambre de l'application des peines est irrecevable, la QPC qui en est l'accessoire est elle-même irrecevable. C'est ce que juge de façon assez classique la Cour de cassation en relevant, en l'espèce, que le mémoire n'a pas été déposé au greffe de la chambre de l'application des peines, mais adressé à celle-ci par lettre recommandée (Cass. QPC, 31 octobre 2012, n° 12-85.401, F-D N° Lexbase : A6862IW3).

Lorsque la QPC est soulevée à l'occasion d'un pourvoi en cassation en matière pénale, le mémoire personnel qui la présente doit être déposé dans la forme et les délais prévus aux articles 584 (N° Lexbase : L4425AZW) et suivants du Code de procédure pénale. Faute d'avoir été déposé dans le délai de dix jours suivant la déclaration de pourvoi au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, ce mémoire n'est pas recevable (Cass. QPC, 28 novembre 2012, deux arrêts, F-D, n° 12-86.539 N° Lexbase : A6480IYN et n° 12-86.540 N° Lexbase : A6478IYL).

Le mémoire présentant une QPC soulevée à l'occasion d'une requête tendant au renvoi d'une affaire devant une autre juridiction pour cause de suspicion légitime, sans le recours au ministère d'un avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation, doit porter la signature du requérant en personne. Un mémoire présenté par son avocat, s'il n'est pas avocat aux Conseils, n'est pas recevable. En conséquence, le Cour de cassation juge irrecevable le mémoire distinct contenant une QPC déposé au greffe de la Cour de cassation par le conseil du requérant qui n'est pas signé par le requérant lui-même (Cass. QPC, 14 novembre 2012, n° 12-86.954, FS-P+B [LXB=A1098IXX)]).

Le Conseil d'Etat a précisé qu'aucun délai ne lui est imposé pour statuer sur une requête en contestation d'une décision des juges du fond refusant la transmission d'une QPC (CE 6° s-s., 17 octobre 2012, n° 356983, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4798IUA). Le délai de trois mois imparti au Conseil d'Etat pour statuer à peine de dessaisissement sur une QPC n'est donc pas applicable au jugement de cette contestation.

2 - Modalités d'examen de la question

La circonstance qu'une des chambres de la Cour de cassation a fixé sur certains points l'interprétation à donner de dispositions législatives ne fait pas obstacle à ce qu'elle statue, en application de l'article 61-1 de la Constitution, sur le bien-fondé du renvoi au Conseil constitutionnel d'une QPC mettant en cause la portée effective que cette interprétation jurisprudentielle a conféré à une disposition législative. Dans le cadre d'une demande de référé-suspension, le Conseil d'Etat juge, ainsi, que l'article R. 461-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L3081AM3) prévoyant l'attribution d'une QPC à la chambre qui connaît des pourvois dans la matière considérée ne peut être regardé comme méconnaissant par lui-même et de façon générale le principe d'impartialité ou le droit à un recours effectif, rappelés par les articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la CESDH. Un tel moyen, qui tentait de démontrer le risque que cette juridiction refuse de revenir sur sa jurisprudence, n'est pas, en tout état de cause, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette disposition réglementaire (CE référé, 6 décembre 2012, n° 364094, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0937IZQ).

3 - Portée de la décision relative à la transmission et au renvoi de la question

On notera quelques précisions en matière de contestation des décisions de non-renvoi. En vertu de l'autorité de chose jugée sur la QPC, une partie ne peut pas soulever deux fois la même QPC dans le même litige, et cela, même en cas de changement de circonstances (à propos de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 N° Lexbase : L3324IKC dite "Gayssot", voir Cass. QPC, 10 octobre 2012, n° 12-81.505, FS-P+B N° Lexbase : A3539IUM). On peut se demander si cette solution, parfaite en droit pur, est bien compatible avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui juge irrecevable le pourvoi formé contre l'arrêt refusant de transmettre une QPC au motif qu'il demeure, en tout état de cause, possible de soulever la même QPC devant le juge de cassation (Ass. plén., 23 juillet 2010, n° 10-85.505, P+B+R+I N° Lexbase : A9342E4R).

Le Conseil d'Etat a jugé que, si à l'occasion d'un recours contre la décision au fond, le requérant conteste par un mémoire distinct le refus de transmission de la QPC, il peut, également, soulever une nouvelle QPC portant sur la disposition législative contestée, ou sur une autre disposition législative par un mémoire distinct séparé de celui qui tend à contester le refus de transmission de la première QPC (CE 6° s-s., 17 octobre 2012, n° 356983, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc.).

III Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Saisine et organisation de la contradiction

1 - Transmission automatique

Le Conseil constitutionnel peut être saisi sans décision de renvoi de l'une des deux juridictions suprêmes visées par l'article 61-1 de la Constitution. Après qu'il en ait été ainsi s'agissant de la Cour de cassation qui se trouvait au-delà du délai de trois mois qui lui est imparti par le législateur organique pour examiner la QPC (Cons. const., décision n° 2011-206 QPC du 16 décembre 2011 N° Lexbase : A2902H8Y), le Conseil constitutionnel a été une nouvelle fois saisi, cette fois s'agissant du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (Cons. const., décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, préc.). Toutefois, dans cette dernière affaire, la transmission au greffe du Conseil constitutionnel a été opérée directement par le Conseil d'Etat sans que celui-ci ne rende une décision pour constater le dépassement du délai de trois. En outre, cette situation exceptionnelle conduit le Conseil constitutionnel à identifier lui-même (faute de décision de la juridiction suprême déterminant l'objet de la QPC) les dispositions contestées à partir du mémoire distinct et motivé déposé par le requérant devant le tribunal administratif.

2 - Intervention

Les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut ainsi relever que le Conseil constitutionnel a naturellement admis l'intervention de la Société du Grand Paris, s'agissant de la rémunération du transfert de matériels roulants de cette société au Syndicat des transports d'Île-de-France (Cons. const., décision n° 2012-277 QPC du 5 octobre 2012 N° Lexbase : A9007ITR). L'intervenante n'a, toutefois, pas formulé d'observations orales lors de l'audience. De même, le Conseil a admis l'intervention de France Télécom, directement intéressée par une QPC relative au maintien de corps de fonctionnaires dans cette entreprise (Cons. const., décision n° 2012-281 QPC du 23 novembre 2012, préc.).

En outre, le Conseil a admis une double intervention s'agissant de la QPC relative à l'obligation d'affiliation à une corporation d'artisans en Alsace-Moselle (Cons. const., décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 N° Lexbase : A7023IXE). L'une est produite en commun, et ce de façon inédite, par la Chambre des métiers d'Alsace (qui est un établissement public à caractère administratif) et la Confédération des organisations professionnelles de l'artisanat d'Alsace (qui forme une association de droit privé). L'autre est produite par la Ville de Strasbourg, sans qu'on discerne avec une exacte précision l'intérêt spécial de celle-ci.

De façon plus originale, s'agissant de l'organisation et du pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence, le Conseil a admis l'intervention de l'association des avocats pratiquant le droit de la concurrence. Sans relever de l'évidence, l'acceptation de cette demande d'intervention ne fait l'objet d'aucune précision, notamment dans les commentaires officiels. Au fond, elle s'apparente à une amicus curiae, en ce sens qu'elle permet aux praticiens du droit de la concurrence, à travers une association partenaire de l'Autorité de la concurrence et en relation régulière avec elle et ses usagers, d'apporter leur regard sur la situation juridique examinée (Cons. const., décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, préc.).

3 - Procédure orale

On notera brièvement deux particularités factuelles lors de l'audience relative à l'affaire n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012. D'une part, M. Thierry-Xavier Girardot, directeur adjoint du Secrétariat général du Gouvernement, a été entendu en lieu et place de Xavier Pottier qui exerce traditionnellement cet office en sa qualité de chargé de mission. D'autre part, cette même audience publique est remarquable par sa durée inhabituelle : avec ses soixante-dix minutes, elle semble bien constituer, à ce jour, la plus longue audience devant le Conseil constitutionnel.

4 - Déport et récusation des membres du Conseil constitutionnel

On ne peut que constater l'absence de membres du Conseil constitutionnel lors de plusieurs affaires, sans, toutefois, pouvoir indiquer, faute de précisions officielles en ce sens, dans ou hors la décision, s'il s'agit d'une simple impossibilité de siéger, d'un déport ou d'une révocation. Il en a été ainsi de Mme Jacqueline de Guillenschmidt et de M. Renaud Denoix de Saint Marc dans l'affaire relative au maintien de corps de fonctionnaires dans l'entreprise France Télécom (Cons. const., décision n° 2012-281 QPC du 12 octobre 2012, préc.), de M. Pierre Steinmetz dans celles concernant l'autorisation d'installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité (Cons. const., décision n° 2012-282 QPC du 23 octobre 2012, préc.), le classement et déclassement de sites (Cons. const., décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, préc.), le droit des parties non assistées par un avocat et expertise pénale (Cons. const., décision n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012 (N° Lexbase : A4206IX3), ou encore de M. Guy Canivet dans l'affaire n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 (N° Lexbase : A7023IXE). Dans aucun de ces cas, le Conseil n'a fourni d'explication.

Plus encore, sur les onze décisions QPC rendues lors de la période examinée, M. Nicolas Sarkozy n'a siégé que trois fois (Cons. const., décisions n° 2012-278 QPC du 5 octobre 2012 N° Lexbase : A9016IT4, n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012 N° Lexbase : A4918IYS), ce qui ne peut qu'être mis à l'actif du débat sur la suppression de la qualité de membre de droit. Là encore, aucune justification n'est apportée par voie de communiqué ou d'incise dans les commentaires officiels.

On notera, en outre, que M. Pierre Steinmetz a siégé dans le délibéré de la décision n° 2012-284 R du 27 décembre 2012 (N° Lexbase : A6289IZX), sur recours en rectification d'erreur matérielle de la décision n° 2012-284 QPC, alors qu'il n'a pas siégé pour cette dernière. Plus largement, bien que cela ne soit pas prévu formellement, il conviendrait de considérer que le déport ou la récusation au principal vaut aussi pour l'accessoire que constitue une éventuelle décision en rectification d'erreur matérielle.

B - Modalités de contrôle

1 - Etendue de l'examen du Conseil constitutionnel

a) Champ de la saisine

Le Conseil constitutionnel a mis en oeuvre à plusieurs reprises son pouvoir de précision du champ de la saisine en particulier pour préciser, dans le corps de ses décisions, la version du texte qu'il lui appartient d'examiner. Prenant en compte l'applicabilité au litige, il tient compte de la version des dispositions législatives applicable à la date de la décision administrative à l'origine du contentieux au cours duquel la QPC a été soulevée (voir, notamment, Cons. const., décision n° 2012-282 QPC du 23 octobre 2012), à condition, toutefois, que la rédaction modifiée ait acquis une nature législative (Cons. const., décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012).

b) Champ du contrôle

Le Conseil constitutionnel a mis également en oeuvre son pouvoir d'appréciation de l'objet de la question posée. Ainsi, dans l'affaire n° 2012-281 QPC précitée, si le syndicat requérant déplorait le fait que l'entreprise France Télécom ne soit plus directement investie par la loi d'une mission de service public, il ressortait de ses griefs qu'étaient seuls contestés les articles portant sur le maintien de corps de fonctionnaires dans cette entreprise. Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il relevé que la QPC portait uniquement sur trois articles de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom (N° Lexbase : L9430AXK) (considérant n° 9).

2 - Techniques de contrôle employées par le Conseil constitutionnel

a) Contrôle de l'incompétence négative

Le Conseil constitutionnel a tranché, par la négative, la question de savoir si le raisonnement fondant sa jurisprudence n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010 (N° Lexbase : A4759E97), reposant sur l'idée que l'on ne peut pas faire grief à une loi d'avoir méconnu une règle de compétence qui n'existait pas au moment de son adoption, était transposable au grief tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Dans l'affaire n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 (N° Lexbase : A4205IXZ), ce dernier grief a été considéré comme invocable à l'encontre de dispositions législatives antérieures à la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 (loi n° 2005-204, modifiant le titre XV de la Constitution N° Lexbase : L0267G8E). Le traitement spécifique de l'incompétence négative du législateur fondé sur l'article 7 de la Charte s'explique par la circonstance que cet article, contrairement à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), ne pose pas que des règles d'attribution de compétences, mais consacre, également, des droits constitutionnellement garantis. Bien que cette solution ne vise que la Charte de l'environnement, il n'en reste pas moins que se trouve heurté le principe selon lequel la "régularité" de la compétence ne peut s'apprécier qu'au moment où elle s'exerce. Par ailleurs, reste ouverte la question de savoir si le raisonnement à la base de la jurisprudence du 17 septembre 2010 est transposable dans le cas d'une modification de l'article 34 de la Constitution.

b) Réserves d'interprétation

Dans sa décision n° 2012-282 QPC du 23 octobre 2012 concernant l'autorisation d'installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité, le Conseil constitutionnel précise que les dispositions de l'article L. 581-9 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L3166IQC) n'ont pas pour objet, et ne sauraient avoir pour effet de conférer à l'autorité administrative saisie d'une demande sur leur fondement d'exercer un contrôle préalable sur le contenu des messages publicitaires qu'il est envisagé d'afficher. Il s'agit, en effet, de soumettre à autorisation administrative préalable le principe de l'apposition de messages publicitaires sur des dispositifs prévus à cet effet, et non le contenu de la publicité.

C - Effets dans le temps de la décision du Conseil constitutionnel

a) Application immédiate aux instances en cours

Suivant la règle selon laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité doit en principe bénéficier à l'auteur de la QPC, le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969, relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (N° Lexbase : L4723GUH), est applicable immédiatement, à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (n° 2012-279 QPC du 5 octobre 2012, cons. n° 32). La même solution est retenue dans la décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 pour la censure de l'obligation d'affiliation à une corporation d'artisans en Alsace-Moselle.

S'agissant du droit des parties non assistées par un avocat et expertise pénale (décision n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012), le Conseil a également censuré les dispositions mises en cause avec effet immédiat mais a précisé, en vue de priver sa décision de tout effet rétroactif, que la déclaration d'inconstitutionnalité "est applicable à toutes les décisions ordonnant une expertise prononcées postérieurement à la publication de la présente décision" (cons. n° 5).

On soulignera que l'interprétation de ce considérant a été à l'origine d'un recours en rectification d'erreur matérielle formé à l'égard de la décision n° 2012-284 QPC. Alors qu'une telle démarche tendait, en réalité, à ce que le Conseil, selon les termes de la saisine, "complète sa décision par une précision propre à en assurer l'effet utile", ce recours a été rejeté, dès lors qu'il était détourné à son objet (décision n° 2012-284 R QPC du 27 décembre 2012). Indépendamment du cas d'espèce, on peut déplorer qu'aucune procédure, et, notamment, pas de recours en interprétation des décisions (à l'instar de ce qui existe, par exemple, devant la Cour constitutionnelle belge), ne puisse, le cas échéant, permettre de préciser, si nécessaire, les conditions dans lesquelles une déclaration d'inconstitutionnalité prend effet.

b) Modulation dans le temps des effets de la décision

La faculté dont dispose le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), de reporter ad futurum les effets de sa décision d'abrogation confère à ce dernier un pouvoir discrétionnaire considérable dont il use en opportunité. Le report est justifié par les conséquences manifestement excessives qui résulteraient de l'abrogation immédiate. En tenant compte que de telles conséquences ne remédieraient pas à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter l'effet de l'abrogation de dispositions relatives au classement et déclassement de sites au 1er septembre 2013 (décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012), étant précisé qu'une partie des dispositions examinées ont déjà été modifiées depuis la version prise en compte par le Conseil. Cette date de report est identique à celle retenue à l'occasion de la censure d'une autre disposition législative relative aux décisions individuelles en matière d'environnement méconnaissant l'article 7 de la Charte (Cons. const., décision n° 2012-269 QPC du 27 juillet 2012 N° Lexbase : A0585IR4), ce qui est de bonne pratique. Le Conseil a, en outre, précisé que les projets de classement et les déclassements antérieurs à la date de l'abrogation ne pourraient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Cette dernière précision n'est pas anodine. Une semaine avant le prononcé de la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat a tranché un contentieux impliquant, dans des conditions comparables, l'effet dans le temps de la décision n° 183/184 QPC du 14 octobre 2011 (N° Lexbase : A7387HYA) par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à l'article 7 de la Charte de l'environnement le second alinéa de l'article L. 511-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1910IR8). Le dixième considérant de cette décision avait reporté la date d'abrogation de ces dispositions, sans, toutefois, fournir de prescriptions relatives à la remise en cause des effets produits par le second alinéa de l'article L. 511-2 avant son abrogation. Ce silence a été interprété par le Conseil d'Etat comme indiquant que le Conseil constitutionnel n'a pas entendu remettre en cause les effets que cette disposition avait produits avant la date de son abrogation. Deux éléments justifient cette lecture : d'une part, la circonstance que la QPC a été soulevée à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire ; d'autre part, la circonstance que le Conseil constitutionnel a décidé de reporter dans le temps les effets abrogatifs de sa décision (dont il est déduit que le Conseil a souhaité écarter le principe qu'il a lui-même fixé selon lequel la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la QPC). En conséquence, et alors même que l'association requérante est l'auteur de la QPC, la déclaration d'inconstitutionnalité du second alinéa de l'article L. 511-2 du Code de l'environnement est jugé sans incidence sur l'issue du litige subséquent (CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2012, n° 340539, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8642IWY).

En application de l'article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a neutralisé les effets rétroactifs de la censure des dispositions prévoyant de la saisine d'office du tribunal pour l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, en précisant que la déclaration d'inconstitutionnalité, et donc l'abrogation des dispositions contestées du Code du commerce, n'est applicable qu'aux jugements d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire rendus postérieurement à la date de publication de sa décision (décision n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012, huitième considérant).


(1) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 86.
(2) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 99.

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement

Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 14 Février 2013

On attendait, depuis plusieurs mois, que la Chambre sociale de la Cour de cassation rende ses premiers arrêts relatifs à la rupture conventionnelle du contrat de travail. En effet, si l'on fait exception d'une décision assimilant ruptures conventionnelles collectives et licenciements pour motif économique collectifs, la Chambre sociale n'avait encore jamais eu à traiter des difficultés nombreuses que pose pourtant la rupture conventionnelle aux juridictions du fond (1). Les deux arrêts rendus le 30 janvier 2013 et le 6 février 2013 par la Chambre sociale relatifs, pour l'un, à une rupture conventionnelle conclue dans un contexte de harcèlement et, pour l'autre, à une rupture conventionnelle dont les formalités sont contestées, présentent donc un grand intérêt et permettent de préciser l'influence de l'exigence d'un consentement libre et éclairé du salarié sur la conclusion de la rupture conventionnelle (I) même si, comme on pouvait le craindre, ces deux décisions ne suffiront pas à répondre à toutes les interrogations (II).
Résumé

- Cass. soc., 30 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R

La situation de violence morale résultant d'un harcèlement moral subi par le salarié au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle caractérise un vice du consentement permettant l'annulation de la rupture conventionnelle

- Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R

La remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause si bien qu'à défaut d'une telle remise, la rupture conventionnelle est nulle.

Commentaire

I - De l'importance du consentement dans la rupture conventionnelle

  • La place du consentement dans la conclusion de la rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle instituée par l'ANI sur la modernisation du marché du travail (2) et reprise par la loi éponyme (3) modifie en profondeur les logiques qui gouvernaient jusqu'alors la rupture du contrat de travail (4). Il ne s'agit plus de s'interroger sur l'initiative ni sur la cause de la rupture. Peu importe que l'initiative provienne du salarié ou de l'employeur, le législateur déployant tous les efforts pour ignorer l'existence inévitable d'une telle initiative (5). De la même manière, peu importe la cause, la raison justifiant que l'une des parties ait, la première, souhaité rompre le contrat de travail, peu importe la raison justifiant que l'autre partie l'ait accepté (6).

Pour remplacer ces concepts fondamentaux d'initiative et de justification de la rupture du contrat de travail, le législateur a sacralisé le consentement des parties. La rupture conventionnelle n'étant en définitive qu'un contrat, elle doit, bien entendu, être conclue par des volontés qui ne soient pas viciées par l'erreur, le dol ou la violence (7).

Plus encore, la loi du 25 juin 2008 a encadré la conclusion de la rupture conventionnelle de nombreuses garanties destinées à s'assurer de la profondeur de cette volonté. Les parties doivent se réunir au cours d'un ou plusieurs entretiens préalables à l'occasion desquels elles ont la faculté d'être assistées (8). Chacune des parties dispose d'un droit de rétractation de quinze jours dont on sait, depuis longtemps (9), en droit de la consommation, que l'objet est de permettre d'affermir le consentement de celui qui en bénéficie (10). Le projet de convention sera transmis à l'administration du travail dont la principale mission sera de s'assurer que les parties ont toutes deux émis une libre volonté de démissionner (11).

Compte tenu de l'importance donnée à la volonté des parties, il n'est donc guère étonnant que les deux premiers arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation relatifs à des ruptures conventionnelles conclues en dehors d'un contexte de licenciement pour motif économique (12) portent l'un comme l'autre sur la validité du consentement des parties à la convention.

  • Première affaire : rupture conventionnelle et vice du consentement

Une rupture conventionnelle est conclue entre un employeur et une salariée après que celle-ci a été sanctionnée d'un avertissement et a été placée en arrêt maladie, à deux reprises, pendant plusieurs mois. Malgré l'homologation prononcée par le directeur départemental du travail, la salariée saisit le conseil de prud'hommes pour contester la rupture et faire reconnaître l'existence d'une situation de harcèlement moral.

La cour d'appel de Toulouse décida d'annuler la rupture conventionnelle (13), le consentement de la salariée ayant été vicié par violence. Elle jugea, en outre, que la rupture devait produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L'employeur contesta ce raisonnement, arguant d'abord qu'il n'avait usé d'aucune menace illicite contre la salariée mais lui avait seulement proposé une rupture conventionnelle et, ensuite, que la situation de violence n'avait pas été appréciée par les juges du fond au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle mais quelques jours plus tôt, au moment de la visite médicale d'aptitude subie par la salariée.

La Chambre sociale rejette le pourvoi formé par l'employeur. Elle estime que la cour d'appel pouvait souverainement juger "que la salariée était au moment de la signature de l'acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont elle a constaté l'existence et des troubles psychologiques qui en sont résultés".

  • Seconde affaire : rupture conventionnelle et remise d'une convention

A la suite d'un entretien unique au cours duquel les parties n'ont pas été assistées comme le Code du travail leur en offre la faculté, une rupture conventionnelle est conclue entre un salarié et son employeur. L'employeur omet de remettre un exemplaire de la convention au salarié mais la transmet à l'administration du travail qui l'homologue. Le salarié saisit le juge prud'homal pour contester la rupture et réclamer l'allocation de dommages et intérêts.

La cour d'appel de Lyon (14) constate que l'employeur n'avait pas informé le salarié de la possibilité de se faire assister, qu'il n'avait pas remis un exemplaire de la convention au salarié, que la signature du salarié n'était pas précédée de la mention "lu et approuvé" et, enfin, que l'indemnité spécifique servie au salarié était inférieure à l'indemnité de licenciement que celui-ci aurait pu percevoir (15). Par voie de conséquence, les juges d'appel annulent la rupture conventionnelle et allouent au salarié diverses indemnités dont l'une en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail.

L'employeur forme pourvoi en cassation. Par un moyen unique divisé en plusieurs branches, il relève d'abord que le Code du travail n'impose pas à l'employeur d'informer le salarié de la faculté de se faire assister lors de l'entretien préalable à la rupture conventionnelle. Il poursuit en soutenant que la remise d'un exemplaire de la convention au salarié ne constitue pas une condition de validité mais seulement une règle probatoire dont la violation ne peut permettre la nullité de la rupture, tout comme la mention "lu et approuvé" qui n'est imposée par aucun texte et, enfin, que seule la clause relative à l'indemnité devait être annulée et non la convention dans son intégralité.

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi, par un arrêt rendu le 6 février 2013, en se focalisant sur l'argument relatif à la remise d'un exemplaire de la convention au salarié. Elle juge que "la remise d'un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l'homologation de la convention, dans les conditions prévues par l'article L. 1237-14 du Code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d'exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause".

II - Des règles de protection affirmées, des conséquences mal assurées

  • Harcèlement, violence et consentement à la rupture conventionnelle

La solution rendue à l'occasion du premier arrêt n'a rien de surprenant. En effet, ce n'est pas la première fois que la Chambre sociale de la Cour de cassation recourt au vice de violence pour annuler un accord de rupture même si, en revanche, un tel argument ne lui avait pas encore été présenté contre une rupture conventionnelle (16).

Même si le Code du travail ne le précise pas de manière aussi claire que pour le contrat de travail lui-même (17), la rupture conventionnelle reste avant toute chose une convention, une rencontre de volontés destinée à produire des effets de droit qui, à ce titre, doit être soumise aux règles de droit commun des contrats et, en particulier, aux dispositions relatives à la validité du consentement. L'annulation pour erreur (18), pour dol (19) ou pour violence (20) était donc parfaitement envisageable.

Un autre fondement aurait cependant pu être avancé par la salariée. En effet, on se souviendra que les dispositions du Code du travail relatives au harcèlement moral prévoient que la rupture du contrat de travail prononcée à l'encontre d'un salarié victime de harcèlement moral est nulle (21). Ces règles ont parfois été invoquées devant les juridictions du fond et permettent, elles aussi, d'obtenir la nullité de la rupture conventionnelle (22). Comme nous le verrons, le choix du fondement des vices du consentement plutôt que celui du harcèlement moral a une incidence sur les conséquences de la nullité prononcée.

  • Formalisme de la rupture conventionnelle et consentement : des questions en suspens

La position de la Chambre sociale est probablement plus hardie s'agissant du formalisme de la rupture conventionnelle.

Il convient d'abord de relever que la Chambre sociale se focalise sur l'un des motifs utilisé par la cour d'appel, celui relatif à la remise au salarié d'un exemplaire de la convention. Ce faisant, elle ne donne aucun point de vue sur les autres arguments soulevés. Certaines questions, pourtant, sont lancinantes.

Ainsi, par exemple, de la nullité partielle réclamée par l'employeur s'agissant du non-respect des règles relatives à l'indemnité spécifique qui ne peut être plus faible que l'indemnité de licenciement à laquelle le salarié aurait pu prétendre. Quoique l'exigence d'une indemnité suffisante soit contrôlée par l'administration du travail et soit l'une des causes premières de refus d'homologation, cette condition ne semble en effet pas relever des conditions de validité de la rupture conventionnelle (23). Malgré cela, la Cour de cassation ne saisit pas l'occasion pour établir une position claire sur la question.

Ainsi, encore, de l'obligation d'information du salarié sur la faculté de se faire assister lors de l'entretien préalable. La cour d'appel de Lyon avait justifié la nullité notamment par cette absence d'information en la reliant à l'exigence d'un consentement qui ne pouvait dès lors être éclairé (24). Or, cette question ne fait clairement pas l'unanimité auprès des juges du fond qui, parfois, rejettent l'argument tiré de la nullité de la rupture conventionnelle faute que le salarié ait été informé de la faculté de se faire assister (25).

La reconnaissance d'une obligation précontractuelle d'information à la charge de l'employeur dont le salarié serait débiteur n'est pas inconcevable. La Cour de cassation a, par le passé, déjà créé de telles obligations, par exemple à la charge des médecins au début du XXème siècle. Plus récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a institué une véritable obligation d'information à la charge des salariés exerçant un mandat hors de l'entreprise d'informer leur employeur de l'existence de ce mandat sauf à perdre le bénéfice de la protection contre le licenciement (26).

La question reste donc entière, ce qui est d'autant moins satisfaisant que celle que la Chambre sociale a choisi de traiter est bien plus difficile à justifier.

  • Remise d'un exemplaire de la convention au salarié, une règle peu convaincante

En jugeant que l'exigence qu'un exemplaire de la convention soit remis au salarié pour garantir la liberté de son consentement, lui permettre d'exercer son droit de rétractation et de prendre l'initiative de la demande d'homologation ne convainc pas totalement. Le consentement du salarié peut parfaitement être libre et éclairé quand bien même un exemplaire de la convention ne lui a pas été remis. Les règles du Code civil sur l'établissement de l'acte sous seing privé en deux exemplaires sont, comme le soutenait l'employeur, des règles probatoires bien davantage que des mesures destinées à protéger le consentement des parties.

En outre, on voit mal ce qui empêche le salarié d'exercer son droit de rétractation à compter du jour où il a signé la convention de rupture. Au pire, le fait que le salarié ne soit pas en possession d'un exemplaire de la convention peut poser des difficultés de date. L'argument tenant à l'impossibilité pour le salarié de demander l'homologation à l'administration du travail est probablement le plus pertinent puisque le Code du travail autorise l'une comme l'autre des parties à procéder à cette demande qui doit être accompagnée d'un exemplaire de la convention. En pratique cependant, c'est le plus souvent l'employeur qui présente la demande d'homologation.

Reste à s'interroger rapidement sur la sanction prononcée et ses conséquences

  • Sanction : une nullité aménagée ?

La sanction frappant un contrat conclu alors que la volonté d'une des parties est viciée par violence est la nullité (27) et c'est donc assez naturellement que la cour d'appel de Toulouse avait prononcé la nullité de la rupture conventionnelle. La sanction de l'absence de remise d'un exemplaire de la convention au salarié était plus incertaine. En effet, le Code du travail ne prévoit pas les conséquences du non-respect des obligations qu'il impose aux parties en matière de rupture conventionnelle, ce à quoi s'ajoute, nous l'avons vu, que cette obligation ne figure pas formellement dans les prescriptions législatives. Cependant, à condition de considérer, avec la cour d'appel de Lyon et la Chambre sociale de la Cour de cassation, que l'absence de remise d'un exemplaire de la convention au salarié empêche celui-ci de donner un consentement libre et éclairé, on touche alors à la substance même de la convention et, peut-être plus encore, au centre de gravité de la rupture conventionnelle si bien que la nullité du contrat était là encore envisageable, sanction d'ailleurs prononcée par les juges du fond.

Les conséquences de ces nullités sont beaucoup plus étonnantes. En effet, les juges du fond ne semblent pas totalement tirer les conséquences de cette sanction qui a pour effet la destruction rétroactive du contrat. La nullité de la rupture conventionnelle devrait impliquer que le contrat de travail n'a jamais été rompu et que le salarié doit être réintégré dans l'entreprise (28). Or, aucune des deux juridictions du fond n'a imposé ni, semble-t-il, proposé une telle réintégration.

La Chambre sociale de la Cour de cassation ne se prononce pas sur cette question, probablement parce qu'elle ne lui a pas été posée et, pour la première affaire, parce que la salariée ne souhaitait peut-être pas être réintégrée, ce qui est fréquent à la suite d'un harcèlement moral. Il s'agit là pourtant d'une question d'une grande importance pratique pour laquelle elle aurait pu annoncer sa position par obiter dictum.

Cela aurait été d'autant plus appréciable que, toujours pour la première affaire, la cour d'appel de Toulouse avait jugé que la nullité de la rupture conventionnelle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, position qui tranche avec celle de la cour d'appel de Lyon dans la seconde affaire qui condamne l'employeur à réparer "le préjudice subi" par le salarié du fait de la rupture, formule qui rappelle celle utilisée par la Chambre sociale de la Cour de cassation lorsqu'un salarié qui pourrait obtenir sa réintégration la refuse (29).

La réintégration consécutive à la nullité de la rupture conventionnelle serait, c'est vrai, une sanction très énergique et qui est habituellement réservée à des comportements graves -licenciement d'une salariée enceinte, non-respect des obligations liées au plan de sauvegarde de l'emploi, harcèlement ou discrimination, etc.-. Pour autant, l'application stricte des règles entourant la nullité ne devraient pas permettre d'adopter une position différente (30) : soit le salarié est réintégré dans l'entreprise, soit la rupture doit produire les effets d'un licenciement nul et non, simplement, d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

De telles conséquences, techniquement justes mais très vigoureuses, ne devraient cependant être réservées qu'aux atteintes véritables au consentement du salarié. Le harcèlement moral précédant la conclusion de la rupture en est une contrairement à l'absence de remise d'un exemplaire de la convention qui semble n'être que péché véniel.


(1) Pour un tour d'horizon des décisions rendues par les cours d'appel en matière de rupture conventionnelle, v. les obs. de Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3627BTI).
(2) Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L1048IWQ), v. les os., de Ch. Radé, Commentaire des articles 10, 11, 12 et 13 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : clarification des clauses spécifiques du contrat de travail et sécurisation dans sa rupture, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8238BDH) ; F. Favennec-Héry, La rupture conventionnelle du contrat de travail, mesure phare de l'accord, Dr. soc., 2008, p. 311.
(3) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) et v. nos obs., Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(4) O. Pujolar, La rupture conventionnelle négociée, Dr. ouvr., 2010, p. 307.
(5) "L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun" des conditions de la rupture qui "ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties" (C. trav., art. L. 1237-11 N° Lexbase : L8512IAI).
(6) La rupture conventionnelle est cependant interdite lorsqu'elle est conclue en raison de difficultés économiques dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou de la mise en oeuvre d'un accord de GPEC (C. trav., art. L. 1237-16 N° Lexbase : L8479IAB).
(7) C. civ., art. 1109 (N° Lexbase : L1197ABX).
(8) C. trav., art. L. 1237-12 (N° Lexbase : L8193IAP). Contrairement à l'entretien préalable au licenciement, le Code n'impose pas à l'employeur d'informer le salarié de la faculté d'être assisté au cours de l'entretien de préparation de la rupture conventionnelle.
(9) C. trav., art. L. 1237-13, alinéa 3 (N° Lexbase : L8193IAP).
(10) "La volonté du consommateur a pu être surprise ou forcée ou sa connaissance de la chose est superficielle, si bien qu'il faut lui donner la possibilité de se reprendre", J. Huet, G. Decocq, C. Grimaldi, H. Lecuyer, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, 3ème édition, 2012, p. 118.
(11) L'exigence de contrôle de la liberté de consentement est extrêmement marquée. En effet, l'article L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) prévoit que la mission de la Direccte est de "s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties". Or, parmi les règles de la "présente section", figure celle de l'article L. 1237-11 qui dispose que les textes relatifs à la rupture conventionnelle sont "destinées à garantir la liberté du consentement des parties". Sans s'arrêter sur les écueils légistiques caractérisés par la redondance de ces dispositions, on retiendra donc que la liberté du consentement est le centre névralgique de l'homologation administrative comme, d'ailleurs, de la rupture conventionnelle.
(12) V. déjà Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79) et les obs de Ch. Willmann, La Cour de cassation assimile les ruptures conventionnelles à des licenciements pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 433 du 24 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7642BRH) ; RDT, 2011, p. 226, rapp. J.-M. Béraud ; SSL, 2011, n° 1484, p. 7, obs. J. Pélissier.
(13) CA Toulouse, 3 juin 2011, n° 10/00338 (N° Lexbase : A3778HT4), v. les obs. de Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, préc..
(14) CA Lyon, 23 septembre 2011, n° 10/09122 (N° Lexbase : A5718HYG) ; RJS janvier 2012, p. 40.
(15) C. trav., art. L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS). Sur l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, v. G. Auzero,Précisions sur l'indemnité de rupture conventionnelle, RDT, 2010, p. 97. Adde, v. les obs. de L. Casaux-Labrunée, Quel montant d'indemnité spécifique de rupture conventionnelle pour un salarié ayant moins d'un an d'ancienneté dans l'entreprise ?, Lexbase Hebdo n° 455 du 29 septembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7936BSQ).
(16) V. déjà sur la rupture amiable d'un contrat de qualification dans un contexte de harcèlement sexuel, Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 03-41.757, F-P+B (N° Lexbase : A1365DEB) et les obs. de Ch. Willmann, Annulation pour violence morale d'un accord de rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 147 du 16 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3878ABA) ; RDC, 2005, p. 378, obs. Ch. Radé.
(17) C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) : "Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun".
(18) CA Bourges, 9 novembre 2012, n° 11/01667 (N° Lexbase : A6557IWR).
(19) CA Lyon, 7 mai 2012, n° 11/03134 (N° Lexbase : A6878IKX) même si, en l'espèce, le dol est rejeté faute de preuve de l'intention dolosive.
(20) CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 11 janv. 2012, n° 11/00555 (N° Lexbase : A2682IAL), F. Taquet, Des interrogations portant sur la rupture conventionnelle, JCP éd. A, n° 11, 15 mars 2012, 1188.
(21) C. trav., art. L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T). Ce texte est souvent utilisé pour obtenir la nullité d'un licenciement pour inaptitude (Cass. soc., 24 juin 2009, n° 07-43.994, F-D (N° Lexbase : A4124EIL) ; Cass. soc., 23 juin 2008, n° 07-42.920, F-D (N° Lexbase : A5035EAQ) ou en raison des absences prolongées ou répétées du salarié désorganisant l'entreprise (Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 04-48.314, F-P+B+R (N° Lexbase : A7726DRL) ; Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-41.640, F-D (N° Lexbase : A2490GNK).
(22) Par ex. CA Bordeaux, 8 novembre 2012, n° 12/00626 (N° Lexbase : A6496IWI) ; CA Chambéry, 30 août 2011, n° 09/00188 (N° Lexbase : A0524IS9).
(23) Déjà en ce sens : CA Colmar, 14 juin 2012, n° 11/00239 (N° Lexbase : A8255IN3).
(24) Dans le même sens, v. CA Reims, 9 mai 2012, n° 10/01501 (N° Lexbase : A9344IKB) ; RJS novembre 2012, p. 756.
(25) CA Nîmes, 12 juin 2012, n° 11/00120 (N° Lexbase : A6824IN3).
(26) Cass. soc., 14 septembre 2012, n° 11-21.307, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2490GNK) et Cass. QPC, 14 septembre 2012, n° 11-28.269, FS-P+B (N° Lexbase : A9278ISG), v. les obs. de Ch. Radé, Des salariés protégés en vertu d'un mandat extérieur à l'entreprise : la Cour de cassation prolonge la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3605BTP). V. déjà Cass. soc., 22 septembre 2010, deux arrêts n° 09-41.173, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5295GAD) et n° 08-45.227, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2157GA7) et les obs. de S. Tournaux, Départ de la protection accordée au conseiller du salarié : un revirement bien discutable, Lexbase Hebdo n° 411 du 6 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2629BQG).
(27) C. civ., art. 1113 (N° Lexbase : L1201AB4) : "La violence est une cause de nullité du contrat [...]".
(28) Par extension, on peut appliquer la règle posée en 2003 et qui permet au juge d'imposer la réintégration du salarié dans l'entreprise dans tous les cas où le licenciement est annulé, v. Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7501BSM) ; Dr. soc., 2003, p. 827, note B. Gauriau ; RJS, 2003, p. 557, note J. Duplat. V. également Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-44.503, inédit (N° Lexbase : A8333C9I) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Le droit à réintégration, corollaire de la nullité du licenciement, Lexbase Hebdo n° 92 du 30 octobre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9215AAK).
(29) Cass. soc., 27 juin 2000, n° 98-43.439, publié (N° Lexbase : A9183AG9).
(30) Pour une démonstration très convaincante, v. J. Duplat, La réintégration du salarié en cas de nullité du licenciement, RJS, 2003, p. 557, préc..

Décision

- Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43)

Rejet, CA Toulouse, 3 juin 2011, n° 10/00338 (N° Lexbase : A3778HT4)

Textes visés : C. civ., art. 1112 (N° Lexbase : L1200AB3)

Mots-clés : rupture conventionnelle, consentement, sanction, nullité

Liens base :

- Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S)

Rejet, CA Lyon, 23 septembre 2011, n° 10/09122 (N° Lexbase : A5718HYG)

Textes visés : C. trav., art. L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9)

Mots-clés : rupture conventionnelle, formalisme, sanction, nullité

Liens base :

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Sociétés

[Jurisprudence] Variations sur le fondement juridique du devoir de loyauté

Réf. : Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-24.305, F-P+B (N° Lexbase : A1643IZU)

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N5758BTG

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 13 Février 2013

Actus dicatur bonus qui est conformis legi et rationi ("Un acte est dit bon lorsqu'il est conforme à la loi et à la raison"). Cet adage romain pourrait illustrer la logique qui sous-tend la solution que le juge du droit vient de retenir dans son arrêt du 18 décembre 2012, à propos du devoir de loyauté d'un dirigeant de société par actions simplifiées (SAS).
En l'espèce, sept médecins ont constitué une société par actions simplifiée ayant pour objet l'exploitation d'une clinique. L'un d'entre eux, membre du comité de direction de la SAS, a fait l'acquisition, au mois de janvier 2003, par sociétés interposées, de l'immeuble qui abritait la clinique alors qu'il connaissait l'objectif poursuivi par les autres associés d'acquérir ledit immeuble. Ces derniers l'ont donc assigné avec son beau-frère, notaire (mis ultérieurement hors de cause par la Cour de cassation), en paiement de dommages-intérêts. La cour d'appel a, toutefois, rejeté cette demande, relevant que si l'opération d'acquisition de l'immeuble litigieux a été mise en oeuvre sans transparence à l'égard des autres associés, la seule indélicatesse de l'acquéreur ou la recherche à son seul profit d'une opération financièrement avantageuse ne suffisaient pas à caractériser une faute. Elle a également retenu qu'aucune violation par l'acquéreur de ses obligations d'associé et de membre du comité de direction de la société ne pouvait être retenue à son encontre puisqu'il n'avait pas agi en qualité d'associé ou de dirigeant de cette société dans l'opération litigieuse.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation va, toutefois, casser cet arrêt au visa des articles L. 227-8 (N° Lexbase : L6163AI4) et L. 225-251, alinéa 1er (N° Lexbase : L6122AIL) du Code de commerce. Selon elle, en rejetant la faute, alors qu'elle constatait que l'acquéreur, dirigeant de la société, avait laissé les autres associés dans l'ignorance de l'opération la cour d'appel avait violé les textes susvisés car il résultait de ce constat que le dirigeant avait manqué, envers les autres associés, à son devoir de loyauté. Davantage que la solution adoptée, c'est le visa retenu par la Chambre commerciale pour prononcer la cassation de l'arrêt de la cour d'appel qui mérite de retenir l'attention. En effet, alors que les auteurs du pourvoi, associés de la société, invoquaient la déloyauté en s'appuyant sur des dispositions de droit commun, à savoir les articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1134, alinéa 3 (N° Lexbase : L1234ABC), du Code civil, le juge du droit y substitue d'autres fondements, issus exclusivement de textes du droit des sociétés.
On relèvera ainsi que si, à l'origine, la découverte du devoir de loyauté des dirigeants a pu être réalisée sur le fondement de dispositions de droit commun (I), une évolution sensible semble se faire jour, la Chambre commerciale préférant, lorsque l'espèce l'y autorise, s'appuyer sur des dispositions de droit spécial (II). Si cette évolution devait se confirmer, il conviendrait, alors, de s'interroger sur l'apparition d'un nouveau fondement du devoir de loyauté.

I - L'origine civiliste du devoir de loyauté

Le devoir de loyauté a, un temps, pu être assimilé à une obligation de loyauté, solution logique au regard de la nature des espèces examinées à l'origine par la Cour de cassation car elles étaient, dans une large mesure, cantonnées au dol, ce qui explique le choix d'un fondement contractuel (A). Il s'est rapidement avéré, toutefois, le contentieux s'élargissant, que le fondement délictuel (B) était également approprié en tant qu'il permettait, également, d'engager la responsabilité du dirigeant.

A - Le fondement contractuel du devoir de loyauté

Les nombreux commentaires qui ont suivi la solution dégagée à l'occasion de l'arrêt "Vilgrain" (Cass. com., 27 février 1996, n° 94-11.241 N° Lexbase : A2401ABK) renvoient, incontestablement à la matrice contractuelle de la découverte de l'obligation de loyauté (J. Ghestin, La confirmation de l'exception à la jurisprudence Baldus : la jurisprudence Vilgrain relative au dirigeant de société, note s/s Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 08-13.060, F D N° Lexbase : A1464EUR, JCP. éd. G, 2010, 921). Déduit des dispositions de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9), ce devoir était érigé, de la sorte, sous la plume des plus fins auteurs, au rang "d'obligation" (J. Ghestin, op. cit.) en référence à la qualification de réticence dolosive retenue par le juge du droit (cf. arrêt "Vilgrain", préc.) même si la Chambre commerciale avait de façon fort circonspecte, retenu dans cette espèce une rédaction plus équivoque en ne relevant que la violation d'un devoir. Les termes choisis : "[M. V.] a manqué au devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant d'une société à l'égard de tout associé" étaient, ainsi, propres à susciter les interrogations de la doctrine (Ph. Malaurie, D., 1996, p. 518 ; J. Mestre, RTDCiv., 1997, p. 114 ; J. Ghestin, JCP. éd. G, 1996, II, 2265 ; D., Schmidt et N. Dion : JCP éd. E, 1996, 838, par exemple) : ce "devoir" était-il attaché à la qualité de dirigeant du cessionnaire ou de cocontractant du cédant, le contentieux étant né à propos d'une cession d'action ? La confirmation ultérieure de la jurisprudence "Vilgrain" par la Chambre commerciale (Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-13.253 N° Lexbase : A0106AUH) devait donner temporairement raison aux tenants du fondement contractuel du devoir de loyauté, cet arrêt de censure ayant retenu la réticence dolosive.

Il est à noter qu'en dépit d'évolutions ultérieures, le dol va demeurer l'assise de diverses décisions sanctionnant le devoir de loyauté d'un dirigeant. Un arrêt de rejet de 2005, ainsi, ne permettra, faute de visa -comme dans l'affaire précédente, d'ailleurs- que de deviner la persistance du fondement contractuel, le juge du droit s'appuyant dans sa rédaction sur la notion de réticence dolosive (Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-12.339 N° Lexbase : A7471DIK ; Bull. civ. IV, n° 130 ; RTDCiv., 2005, p. 774, obs. J. Mestre et B. Fages ; Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 1105, note Th. Massart ; D., 2005, p. 1775, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés, 2006, p. 66, obs. N. Mathey). Un arrêt ultérieur, de cassation , cette fois, permettra, enfin, de ne plus douter du lien entre loyauté et dol, la rédaction faisant, au surplus, apparaître que la qualité de dirigeant n'était pas sans influence sur son appréciation : "[M. P] dirigeant de la société HPA, n'avait pas manqué à l'obligation de loyauté à laquelle il était, en cette qualité, tenu à l'égard des associés cédants" (Cass. com., 6 mai 2008, n° 07-13.198 N° Lexbase : A4438D8U). Ainsi, il était à la fois fait référence à l'"obligation" de loyauté et à la spécificité de l'appréciation du dol à raison de la "qualité" de dirigeant, confirmant dans leur opinion les tenants de l'analyse contractuelle, qui voyaient dans l'arrêt "Vilgrain" une exception à la jurisprudence "Baldus" (Cass. civ. 1, 3 mai 2000, n° 98-11.381 N° Lexbase : A3586AUD, J. Ghestin, La confirmation de l'exception à la jurisprudence Baldus : la jurisprudence Vilgrain relative au dirigeant de société, préc.). Cet arrêt, toutefois, n'aura pas eu les honneurs de la publication, en dépit de l'intérêt qu'il aurait été susceptible de susciter (en ce sens, H. Hovasse, Droit sociétés, juillet 2008, comm. 156), sans doute parce que, parallèlement, un autre fondement de la loyauté semblait apparaître.

B - Le fondement délictuel du devoir de loyauté

La Chambre commerciale, en effet, avait, entre temps, rendu en 2004 (Cass. com., 12 mai 2004, n° 00-15.618, FS-P N° Lexbase : A1887DCU, note H. Hovasse, Droit sociétés, août 2004, comm. 147) un arrêt à propos d'une cession de titres réalisée dans des conditions voisines de celles de l'arrêt "Vilgrain" mais qui présentait la particularité, par rapport à son devancier, de ne pas permettre au juge de s'appuyer sur un fondement contractuel, faute de convention liant le cédant et le dirigeant. Non sans ambiguïté, le juge du droit motivera donc l'arrêt en soulignant que ce dernier avait "manqué à l'obligation [sic] de loyauté qui s'impose au dirigeant de société à l'égard de tout associé en dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur leur consentement", tout en rendant sa décision au visa de l'article 1382 du Code civil.

Ainsi, une partie de la doctrine de souligner que "le présent arrêt [donnait] raison à ceux qui tenaient pour l'existence d'une obligation de loyauté du dirigeant attachée à cette seule qualité et indépendante de toute autre circonstance" (F.-G. Trébulle, note sous Cass. com., 12 mai 2004, n° 00-15.618, FS-P, préc., JCP éd. G, 2004, II, 1393, p. 1498). La loyauté, s'échappant du périmètre du dol, trouverait alors son fondement (en concours avec son origine contractuelle, comme nous l'avons vu précédemment) dans l'article 1382 du Code civil dès lors que le dirigeant et l'associé ne sont pas liés par une convention. Ainsi apparaît-il, plus distinctement encore, que la qualité de dirigeant constitue un élément d'appréciation de la faute, contractuelle ou délictuelle, et trouve sa source dans des dispositions de droit commun.

Des voix s'étaient cependant élevées, analysant différemment le devoir de loyauté, dans lequel il aurait fallu voir "l'obligation pour le dirigeant de société de ne pas utiliser son pouvoir ou les informations dont il est titulaire dans un intérêt strictement personnel et contrairement à l'intérêt de la société ou à celui des associés" (H. Le Nabasque, Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés, RTDCom., 1999, p. 273). Un autre auteur, renvoyait, pour sa part, à un devoir "fonctionnel de portée générale" (L. Godon, Précisions quant au fondement juridique du devoir de loyauté du dirigeant social envers les associés, Rev. sociétés, 2005, p. 140) le détachant de la sorte de la notion de faute, contractuelle ou délictuelle de droit commun, comme s'il reposait essentiellement sur le statut de dirigeant. Un autre auteur de s'interroger, enfin, sur ces différentes perceptions : "le devoir de loyauté serait donc la contrepartie du pouvoir du dirigeant. L'abus de pouvoir, variante de l'abus de droit, serait le fondement du devoir de loyauté réprimé sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" (B. Le Bars, JurisClasseur Sociétés Traité, Fasc. 132-10, n° 40).

II - L'évolution commercialiste du devoir de loyauté

L'élargissement du fondement du devoir de loyauté, du champ contractuel au champ délictuel, ouvrait, donc, potentiellement, la voie à une extension de la source de ce devoir, à l'appui de textes de droit des sociétés. Cette évolution amorcée à propos de la responsabilité d'un dirigeant de société à responsabilité limitée (SARL) (A) se trouverait désormais consacrée, semble-t-il par l'arrêt commenté (B) et, au surplus, étendue explicitement à certaines sociétés par actions, solution qui invite, en exergue, à s'interroger sur la relation textuelle entre devoir de loyauté et faute commise dans la gestion.

A - Le fondement commercialiste du devoir de loyauté du gérant d'une SARL

Une nouvelle évolution du devoir de loyauté devait trouver sa consécration dans un arrêt du 15 novembre 2011, rendu à propos du gérant d'une SARL qui avait manqué, en faisant concurrence à la société qu'il dirigeait, "à l'obligation de loyauté et de fidélité pesant sur lui en raison de sa qualité de gérant" (Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049, F-P+B N° Lexbase : A9345HZ7, nos obs. Réflexions sur l'obligation de loyauté dans les SARL, Lexbase Hebdo n° 277 du 15 décembre 2007 - édition affaires N° Lexbase : N9269BS4). Le premier intérêt de cet arrêt, résidait, ainsi, dans l'extension explicite du devoir de loyauté à la non-concurrence (M. Malaurie-Vignal, Obligation de non-concurrence d'un ex-associé, Cont. conc. consom., 2012, comm. 41), élargissant, en conséquence, le champ d'application de la notion bien au-delà des simples hypothèses de cession de droits sociaux entre dirigeant et associés. Comme le soulignait à l'époque Myriam Roussille, "la loyauté mise à la charge du dirigeant cristallise donc des obligations multiples : coopération et collaboration active, réserve et discrétion, mais aussi exclusivité et non-concurrence, qui sont ici associée à la notion de " fidélité". C'est pourquoi, on peut soutenir que la loyauté est même un "devoir" pour le dirigeant, le mot "devoir" attestant de l'origine non conventionnelle, mais légale, même morale de cette exigence (M. Roussille, Le gérant de SARL est tenu d'un devoir de loyauté lui interdisant de faire concurrence à la société. Mais tel n'est pas le cas de l'associé, Droit des sociétés, 2012, comm. 24, citant J.-J. Caussain, A propos du devoir de loyauté des dirigeants de société, in Mélanges Mercadal, Francis Lefebvre, 2002, p. 303 ; J.-J. Daigre, Le petit air anglais du devoir de loyauté des dirigeants, Mélanges P. Bézard : LPA, Montchrestien 2002, p. 79).

Plus significativement, à notre sens, on pouvait également relever que cette extension du devoir de loyauté s'accompagnait d'une évolution de son fondement textuel puisque le visa de cet arrêt renvoyait à l'article L. 223-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5847AIE), qui dispose, dans son premier alinéa, que "les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion". Ce changement de visa consacrait donc -semble-t-il- la position soutenue par les tenants de l'origine statutaire du devoir de loyauté (cf., les références données par F.-G. Trébulle, et les renvois à H. Le Nabasque et L. Godon préc.), d'autant que le juge du droit avait distingué, dans l'arrêt, les situations de l'associé et du dirigeant, l'obligation de ne pas concurrencer la société ne pesant que sur le second. L'arrêt verra, enfin, sa problématique replacée dans une perspective plus pratique, la doctrine soulignant que ce qui était essentiellement en question, dans cet arrêt, se rapportait à "la captation des opportunités d'affaires" (A. Couret, B. Dondero, La captation des opportunités d'affaires et le droit des sociétés, JCP éd. E, 2011, 1893)

B - L'élargissement du fondement commercialiste aux sociétés par actions

Captation des opportunités d'affaires, distinction entre l'associé et le dirigeant constituaient, également, les éléments de l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 18 décembre 2012. Le dirigeant avait en effet, en l'espèce, la double qualité d'associé et de membre du comité de direction de la société par actions simplifiée et s'était porté acquéreur, en son nom propre, de l'immeuble dans lequel la société exerçait son activité. La solution retenue dans l'arrêt de 2011 pouvait, de la sorte, être extrapolée, de la SARL à une société par action, ce que les juges du droit réaliseront en décidant que : "[M. B.], dirigeant de la société [...], avait laissé les autres associés dans l'ignorance de l'opération d'acquisition pour son compte personnel d'un immeuble que les associés entendaient acheter ensemble pour y exercer leur activité, ce dont il résultait que ce dirigeant avait manqué à son devoir de loyauté envers eux".

En symétrie avec l'arrêt de 2011, le fondement du devoir de loyauté va, également, reposer sur des dispositions du droit des sociétés, au visa des articles L. 227-8 (N° Lexbase : L6163AI4) et L. 225-251, alinéa 1er (N° Lexbase : L6122AIL) du Code de commerce qui établissent, pour le premier, que "les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d'administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée" et, pour le second, que "les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion". Ainsi, les fondements textuels du devoir de loyauté dans la SARL et dans les SAS sont, d'une part, étroitement comparable quant à leur teneur. D'autre part, au regard de l'articulation logique entre les deux dispositions des articles L. 227-8 et L. 225-251 précités, on peut raisonnablement imaginer que la solution soit ultérieurement étendue aux sociétés anonymes.

La convergence de sources, ainsi constatée, laisse, toutefois, planer une interrogation sur la référence choisie pour étayer le devoir de loyauté. Si, en effet, la position de la Chambre commerciale ne saurait qu'être vigoureusement approuvée, le rattachement de la loyauté aux textes relatifs à la responsabilité des dirigeants des SARL, SAS et SA, n'est guère explicite. Le dirigeant, dans les deux cas d'espèce examinés, n'avait, à l'évidence, ni contrevenu à une "disposition législative ou réglementaire", ni violé les statuts. Faudrait-il, alors, entendre que la méconnaissance du devoir de loyauté par le dirigeant devra être, à l'avenir, rattachée à la seule "faute commise dans leur gestion" ? Il semble, plus raisonnablement, qu'en visant les textes sur la responsabilité, la Chambre commerciale ait entendu étendre, de façon prétorienne, la portée du texte plutôt que de s'y cantonner.

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Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Liberté de l'option successorale et protection des créanciers de l'héritier : un juste équilibre maintenu par la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 1, 19 décembre 2012, n° 11-25.578, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1298IZ4)

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par Sophie Deville, Maître de conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole

Le 14 Février 2013

La Cour de cassation vient rappeler, par un arrêt du 19 décembre 2012, l'importance du principe de liberté de l'option successorale en rejetant la demande du créancier d'un héritier tenant à se voir déclarer inopposable la renonciation prétendument faite en fraude à ses droits, faute de preuve de l'état d'insolvabilité de son débiteur. L'affaire, tranchée en application du droit antérieur à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4), met en lumière des faits relativement simples. Une personne se porte caution pour une société quelques années avant le décès de sa mère. Face à la défaillance du débiteur principal, le créancier actionne la caution, plusieurs fois condamnée en justice à s'acquitter des dettes ainsi contractées. Au décès de son auteur, le débiteur, qui avait par ailleurs bénéficié d'importantes avances de part, renonce à la succession, alors échue à ses deux soeurs. Le créancier agit en contestation de la renonciation et revendique, aux termes de l'ancien article 788 du Code civil (N° Lexbase : L3409ABU ; C. civ., art. 779 N° Lexbase : L9852HN9 depuis la loi du 23 juin 2006), la possibilité d'accepter la succession en lieu et place de son débiteur. Les premiers juges (1) et la cour d'appel (2) déboutent tour à tour le demandeur, principalement parce que ce dernier n'établit ni le préjudice subi -plus exactement l'insolvabilité générée ou aggravée par la renonciation- ni la fraude du renonçant. Un pourvoi est, par la suite, dirigé devant la première chambre civile. Le créancier reproche aux juges du fond de ne pas avoir admis l'existence d'un dommage alors que celui-ci est, à son sens, constitué par l'absence d'enrichissement du débiteur consécutive à la renonciation, la situation d'insolvabilité étant indifférente à sa reconnaissance. Il poursuit en contestant la carence de preuve de la fraude au motif que celle-ci doit être appréciée au regard de la conscience qu'avait le débiteur de provoquer un préjudice. Le dommage étant selon lui constitué par le défaut d'enrichissement, l'intention frauduleuse du renonçant devait être déduite de l'acte répudiant l'hérédité. Les prétentions sont rejetées par la Cour de cassation ; s'il est acquis qu'un créancier peut agir lorsqu'il a été fait fraude à ses droits par le biais de l'option successorale, l'existence et la preuve du préjudice né de la manoeuvre sont nécessaires au succès de la prétention. Or, le dommage n'est autre que la situation d'insolvabilité, initiée ou aggravée par l'option, qui seule fondera l'impossibilité, volontairement créée le cas échéant, d'honorer les engagements dûment contractés. La décision doit sans conteste être approuvée car elle se fonde sur des principes classiques qui commandent l'application de l'ancien article 788 du Code civil au sujet duquel la Cour a, finalement, eu peu l'occasion de se prononcer.

La transmission successorale est, en droit français, dominée par un principe de liberté de l'option. En ce sens, l'article 768 (N° Lexbase : L9841HNS) dispose : "L'héritier peut accepter la succession purement et simplement ou y renoncer. Il peut également accepter la succession à concurrence de l'actif net lorsqu'il a une vocation universelle ou à titre universel". Le législateur offre expressément plusieurs possibilités à l'ayant droit du de cujus. L'acceptation fait de lui un successeur en consolidant le transfert des droits et obligations du défunt, opéré dès le décès en vertu du principe de continuation de la personne. Au contraire, la renonciation anéantit rétroactivement les droits acquis (3). Si, en la matière, la renonciation ne se présume pas et doit être effectuée dans les formes prescrites, principalement pour assurer l'information des tiers, aucune motivation n'est requise. Celui qui envisage de répudier l'hérédité de son auteur n'a pas à s'en justifier puisqu'il ne fait qu'exercer une faculté que la loi lui reconnaît. Ainsi appréhendée, l'option a pu être qualifiée de "droit fondamental de l'héritier" ou encore de "droit discrétionnaire" (4). Est-ce à dire que son exercice est insusceptible d'abus ? Il semble que la catégorie des droits discrétionnaires a tendance à s'amenuiser -elle est par ailleurs largement discutée quant à son bien-fondé (5)-, et le recours à la théorie de l'abus de droit a tendance à être supplanté, lorsque cela est possible, par d'autres mécanismes plus simples à mettre en oeuvre. Ceci étant, il n'a jamais été ignoré que l'option héréditaire est susceptible d'être utilisée à des fins douteuses, dans une volonté de porter atteinte aux droits de certaines personnes, qui sont le plus souvent les créanciers du successible. Mais dans ce contexte, la référence à la notion de fraude apparaît plus opportune que l'abus de droit.

Selon une doctrine éminente, "il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l'exécution d'une règle obligatoire par l'emploi à dessein d'un moyen efficace qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif" (6). La fraude suppose l'emploi volontaire d'un ou de plusieurs procédés admis par la loi dans le dessein d'éluder une règle obligatoire. Or, lorsqu'il est exercé de mauvaise foi, le droit d'option a pour objectif de permettre à son titulaire de se soustraire à certains principes impérieux. Il est, en définitive, davantage question de parvenir à éviter l'application d'une règle que d'exercer un droit dans une intention de nuire (7). Au-delà, sur le terrain de la sanction, l'inopposabilité de l'acte frauduleux est bien plus efficace que l'indemnisation consécutive à la reconnaissance d'un abus de droit, puisque la victime ne subit aucunement les conséquences préjudiciables des manoeuvres exercées à son encontre.

D'ailleurs, c'est bien sur le terrain de la fraude qu'est envisagée l'option faite au préjudice des droits des créanciers d'un héritier. L'article 779 du Code civil issu de la loi du 23 juin 2006, qui reprend pour l'essentiel l'ancien article 788, énonce en ce sens : "Les créanciers personnels de celui qui s'abstient d'accepter une succession ou qui renonce à une succession au préjudice de leurs droits peuvent être autorisés en justice à accepter la succession du chef de leur débiteur, en son lieu et place". Cette action qui tend, dans certaines circonstances, à rendre inopposable aux créanciers la renonciation à succession, doit être analysée comme une application particulière de la fraude paulienne. En effet, la jurisprudence conditionne de manière constante le succès de la prétention à la preuve de l'existence d'un dommage, mais également à celle de l'intention frauduleuse du débiteur (8). Plus généralement, le choix de l'héritier peut être critiqué sur le fondement du principe selon lequel "la fraude corrompt tout", lorsqu'il est exercé en vue d'éluder une règle obligatoire, au préjudice d'autres personnes que les créanciers personnels -successeurs en concours ou légataires par exemple (9)-. Ceci étant et dans tous les cas, il est nécessaire que les éléments constitutifs de la fraude soient clairement établis pour permettre une remise en cause de l'exercice de l'option, qui demeure une liberté fondamentale. La Cour de cassation vient à nouveau affirmer cette exigence dans l'arrêt qui nous intéresse.

Si l'on se concentre sur la situation des créanciers personnels de l'héritier, l'article 779 du Code civil doit être interprété à la lumière des dispositions de l'article 1167 du même code (N° Lexbase : L1269ABM), qui organise l'action paulienne. Cette dernière constitue, avec l'action oblique, une technique juridique leur assurant une protection face au comportement préjudiciable de leur débiteur, ayant pour effet d'amenuiser ou anéantir leur gage. Or, l'option est, à leur égard, un acte juridique unilatéral riche de conséquences ; la renonciation à une succession bénéficiaire fera échapper les biens héréditaires à leur emprise alors que l'acceptation d'une succession déficitaire les placera en concours avec de nouveaux créanciers. Pour autant, la liberté de choix de l'héritier ne peut être remise en cause qu'en présence de manoeuvres frauduleuses. D'ailleurs, il faut ici relativiser le propos ; l'action des créanciers ne permettra pas de revenir sur l'option exercée. Au cas de renonciation frauduleuse, ces derniers pourront prétendre à l'inopposabilité de l'acte et être autorisés à percevoir la portion d'hérédité correspondant au montant de leurs droits sans jamais que l'action ne confère au renonçant, pour le surplus, la qualité d'héritier qu'il avait répudiée (10).

La mise en oeuvre de l'action suppose la réunion de plusieurs conditions, matérielles et intentionnelle. Tout d'abord, le créancier aura intérêt à agir si le comportement de son débiteur lui a causé un préjudice. Sous réserve de certaines exceptions, l'ensemble des actes juridiques peut être concerné par l'action paulienne, mais encore faut-il qu'ils aient provoqué un appauvrissement du débiteur. Il est classiquement admis que ne sont pas sanctionnables sur le fondement de l'article 1167 du Code civil ceux par lesquels ce dernier s'est simplement abstenu de s'enrichir. Cette première exigence peut a priori paraître incompatible avec l'hypothèse visée par l'article 779 du Code civil ; l'option semble davantage consommer un défaut d'enrichissement qu'un appauvrissement. Ce serait néanmoins oublier que le successeur devient dès l'instant du décès propriétaire des biens de son auteur. En répudiant l'hérédité, il anéantit rétroactivement cette qualité et perd tous ses droits ; dès lors, en présence d'une succession bénéficiaire, l'héritier s'appauvrit par sa renonciation (11). Bien que les textes ne le mentionnent pas expressément, les agissements du débiteur sont en principe insuffisants à fonder l'intérêt à agir du créancier s'ils ne lui causent aucun préjudice. La difficulté réside dans la détermination du dommage ainsi allégué. En la matière, les juges admettent de façon constante qu'il est constitué par l'état d'insolvabilité (12). Ainsi, l'acte d'appauvrissement doit être la cause de l'impossibilité pour le débiteur de faire face à ses dettes (13). Cette appréhension du préjudice est tout à fait opportune parce que l'action paulienne sanctionne les manoeuvres qui ont pour principal dessein d'éluder une règle obligatoire ; or, en l'absence d'insolvabilité du débiteur, il ne peut lui être reproché de tenter de se soustraire à l'exécution des obligations contractées auprès de ses créanciers.

La fraude paulienne suppose, en dernier lieu, l'existence d'un élément psychologique. L'appréhension prétorienne de la fraude a évolué ; alors que son admission supposait autrefois une intention de nuire, les juges ont par la suite considéré qu'elle pouvait résulter de la conscience pour le débiteur de causer un préjudice à ses créanciers par l'acte d'appauvrissement (14). En réalité, il est classiquement avancé que ce glissement influe sur la preuve de la fraude, qui se trouve facilitée parce que le critère intentionnel sera le plus souvent déduit de données matérielles -acte d'appauvrissement à l'origine d'un préjudice-. De même, de la conscience de causer le dommage sera déduite l'intention de nuire. Si cet assouplissement peut s'expliquer par les difficultés probatoires auxquelles donne lieu l'intention frauduleuse, il n'en demeure pas moins qu'il peut s'avérer risqué ; il n'est pas inconcevable que le débiteur qui agit et cause un dommage à ses créanciers ait été animé par d'autres mobiles que l'intention de leur nuire. Mais il est vrai qu'il ne peut ignorer l'atteinte aux droits qu'il est en train de consommer, même si celle-ci n'est pas son objectif essentiel... Pour autant, il nous semble périlleux de déduire l'intention de nuire de la seule conscience du dommage causé, et il conviendrait alors de reconnaître que la jurisprudence a davantage modifié la conception même de l'élément intentionnel qu'assoupli les exigences probatoires. Quoi qu'il en soit, de telles déductions nécessitent, à tout le moins, que la réalisation des conditions matérielles de l'action paulienne soit strictement contrôlée. Il appartient donc au créancier, sur qui pèse traditionnellement la charge de la preuve, de mettre en oeuvre toutes les diligences permettant d'établir le préjudice causé par l'acte d'appauvrissement émanant de son débiteur.

C'est sur ce dernier point que les prétentions du pourvoi ont été, à juste titre, rejetées. Dans la première branche du moyen, le demandeur invoque l'existence d'un préjudice en soulevant le défaut d'enrichissement de l'héritier, consécutif de sa renonciation. En d'autres termes, il reproche à la cour d'appel de ne pas avoir reconnu que le manque à gagner résultant de l'option lui était préjudiciable, l'importance quantitative de l'enrichissement qu'aurait procuré l'acceptation étant indifférente. Mais c'est ici confondre deux choses : l'acte attaquable pour fraude paulienne et le préjudice causé par cet acte. En matière successorale, il a été énoncé plus haut que la renonciation peut être analysée comme un acte d'appauvrissement de l'héritier, relevant en tant que tel du domaine d'application de l'article 779 du Code civil, par référence à l'article 1167 du Code civil. Ceci étant, le succès de la prétention est encore subordonné à l'existence et à la preuve du dommage causé par l'acte, lequel réside dans l'état d'insolvabilité subséquent du renonçant. Or, en l'espèce, le créancier ne produisait aucun élément de nature à établir la défaillance, même apparente, du débiteur. L'existence de décisions de justice condamnant l'héritier à acquitter ses dettes est, à cet égard, inapte à établir l'impossibilité objective d'y faire face. Le raisonnement de la Cour de cassation est sans faille : en l'absence de preuve de l'insolvabilité, on ne peut conclure à une renonciation frauduleuse. En effet, aucune règle obligatoire n'a alors été volontairement éludée puisque le titulaire de l'option est toujours à même, a priori, d'honorer les obligations contractées.

La seconde branche du moyen ne pouvait pas davantage prospérer. Le créancier conteste la carence de preuve qui lui est opposée quant à l'élément intentionnel au motif que ce dernier devait être déduit du préjudice consistant dans le défaut d'enrichissement. S'il est admis que la fraude peut résulter de la conscience de causer un préjudice par l'appauvrissement, il faut à tout le moins que le dommage existe et soit établi. La solution est juridiquement fondée, mais en outre, elle semble corroborée par certains indices factuels ; la situation laisse apparaître que le choix de l'ayant droit était motivé par des considérations fiscales. Au-delà, le droit successoral lui-même a pu avoir quelques incidences puisque la renonciation dispensait le gratifié de rapporter les importantes avances de part qui lui avaient été consenties par son auteur. Sur ce point, l'exclusion du rapport n'est rien d'autre qu'une conséquence légale de l'option, qui profite au renonçant (15). En allant plus loin, il est même possible d'avancer que par la renonciation, le successible s'est peut être évité -ainsi qu'à ses créanciers !- un appauvrissement ; dans le cas où les avances de part se seraient révélées plus importantes que ses droits successoraux, la différence aurait dû être restituée à la masse à partager. Ceci étant, l'exigence matérielle tenant au préjudice suffisait ici à rejeter l'argumentation du pourvoi. La Cour rappelle fort opportunément que la liberté de l'option ne peut être critiquée qu'à certaines conditions, qui doivent être rigoureusement appréciées.

Il en est de même lorsque la fraude est invoquée par d'autres que les créanciers personnels de l'héritier. Si l'action est recevable, non plus aux termes de l'article 779 du Code civil mais en vertu du principe général "fraus omnia corrumpit", les magistrats opèrent dans chaque espèce un contrôle de ses éléments constitutifs. C'est ainsi que la première chambre civile a fait droit à la demande d'un enfant naturel dénonçant la renonciation de son père à la succession de l'un de ses auteurs, l'ensemble des manoeuvres étant semble-t-il motivé par la volonté de priver le fils de ses droits dans la succession de son ascendant direct, décédé sans laisser de biens (16). Alors que les juges d'appel avaient débouté le demandeur au motif que les différents actes pouvaient aussi bien s'expliquer par l'intention de faire échapper les biens à l'emprise des créanciers du renonçant, les Hauts magistrats ont au contraire considéré que "toute personne victime d'une fraude peut demander que l'acte frauduleux lui soit déclaré inopposable, quand bien même la fraude aurait été dirigée contre d'autres". Bien que la Cour ne se concentre pas directement sur les conditions de la fraude, la décision semble conclure à l'existence de ces éléments à l'encontre de l'enfant naturel ; notamment, les agissements avaient pour effet de réduire à néant ses droits à réserve. Il y a là éviction, par le biais de procédés admis par la loi mais exercés dans une intention frauduleuse, d'une règle obligatoire, et même impérative (17).

Dans une seconde affaire, la Haute juridiction a cette fois débouté un exécuteur testamentaire agissant pour le compte de plusieurs légataires en vue d'obtenir l'inopposabilité d'une renonciation, prétendument faite en fraude à leurs droits (18). En l'espèce, le de cujus était décédé en laissant son unique fille issue d'une première union, son petit-fils avec qui il avait eu de sérieux différends, et sa seconde épouse. Il avait, de son vivant, généreusement gratifié sa fille en avance de part et rédigé un testament instituant son conjoint et l'Institut Pasteur légataires à titre universel, plusieurs legs particuliers ayant également été consentis. Lors du décès, la fille prit le parti de renoncer à la succession. L'avance de part fut alors imputée sur la quotité disponible qu'elle épuisa, imposant la réduction des libéralités testamentaires. Mais au-delà, l'option permit au petit-fils de venir à la succession de son grand-père en tant que seul descendant au deuxième degré, réservataire de surcroît. La fille et le petit-fils recueillirent ainsi la quasi-totalité de l'hérédité. Alors que les juges d'appel saisis du litige déclarèrent la renonciation inopposable aux légataires sur le fondement de la collusion frauduleuse ayant existé entre l'héritière directe et son fils, la Cour de cassation leur reprocha, à juste titre, de ne pas avoir exposé la règle obligatoire que l'option aurait permis d'éluder. Si le montage paraît clairement motivé par la volonté de recueillir l'ensemble des biens en neutralisant les dernières volontés du défunt, il n'en demeure pas moins que l'exercice de l'option ne met en échec aucune règle obligatoire. Les légataires ne bénéficient que de droits éventuels sur les biens, lesquels peuvent, par exemple, être atteints par une réduction lorsque la quotité disponible se révèle insuffisante. Corrélativement, la loi permet au renonçant -qui n'est, du fait de son choix, plus tenu des legs consentis par le de cujus- de conserver les libéralités en avance de part, et prévoit qu'elles s'imputeront sur le disponible. Il n'y a là qu'un effet de la renonciation, qui peut selon les cas se révéler avantageux pour l'ayant droit, au détriment de tiers. Finalement, une renonciation judicieuse ou habile ne sera pas frauduleuse lorsqu'il ne s'agit que d'exploiter les bénéfices attribués par la loi à cette branche de l'option, sans pour autant qu'elle soit exercée dans le dessein de faire échec à une règle obligatoire (19).

La Cour de cassation fait encore sienne, dans la décision du 19 décembre 2012, cette subtile distinction. Et le présent arrêt participe, sans aucun doute, à la préservation d'un juste équilibre entre le respect du principe de liberté de l'option et la nécessité d'assurer la protection des créanciers contre les atteintes frauduleuses à leurs droits dirigées par un héritier.


(1) TGI Paris, 20 mai 2010, n° 08/03687.
(2) CA Paris, 15 juin 2011, n°10/18795 (N° Lexbase : A8624HTL).
(3) C. civ., art. 805 (N° Lexbase : L9880HNA) : "L'héritier qui renonce est censé n'avoir jamais été héritier".
(4) J. Patarin, obs. sous Cass. civ. 1, 4 décembre 1990, n° 88-17.991 (N° Lexbase : A3910AHB), RTDCiv., 1992, p. 157.
(5) L. Cadiet et Ph. Le Tourneau, Abus de droit, Répertoire de Droit civil, Dalloz, n° 14 notamment. Contra : D. Roets, Les droits discrétionnaires : une catégorie juridique en voie de disparition ?, D., 1997, Chron., p. 92.
(6) J.Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, Dalloz, 1957, p. 208. Pour d'autres réflexions sur la notion : R. Libchaber, sous Cass. civ. 3, 21 janvier 2009, n° 07-19.916, FS-P+B (N° Lexbase : A6394ECS), Defrénois, 2009, p. 1934.
(7) Même si d'importants rapprochements peuvent être opérés entre la fraude et l'abus de droit. Sur ce point : M. Béhar-Touchais, La renonciation frauduleuse à une succession, Mélanges en l'honneur du Professeur Gérard Champenois, Defrénois, 2012, p. 17 et s..
(8) Cass. civ. 1, 24 mars 1993, n° 91-15.929 (N° Lexbase : A5366CZR) ; CA Montpellier, 8 mars 2001, n° 99/03418 (N° Lexbase : A7110I7H).
(9) Voir notamment : Cass. civ. 1, 4 décembre 1990, n° 88-17.991 (N° Lexbase : A3910AHB), Bull. civ. I, n° 278 ; RTDCiv., 1992, p. 157, obs. J. Patarin ; Defrénois, 1991, p. 497, obs. G. Champenois.
(10) Cass. civ., 21 novembre 1883, DP, 1883, p.407. De même, l'acceptation des créanciers en lieu et place du débiteur n'a bien sûr pas pour effet de leur attribuer cette qualité. Pour les conséquences en matière de passif : Cass. civ. 1, 14 novembre 2006, n° 03-30.230 F-P+B (N° Lexbase : A3251DS9), JCP éd. G, 2008, I, n° 108, obs. R. Le Guidec ; RTDCiv., 2007, p. 600, obs. M. Grimaldi.
(11) Contra, A. Sériaux, Jurisclasseur Civil, Code, articles 768 à 781, n° 68. Selon cet auteur, l'article 779 du Code civil permet de sanctionner, à la différence de l'action paulienne, les défauts d'enrichissement. Il conclut au caractère hybride de l'action offerte aux créanciers personnels de l'héritier.
(12) Cass. civ. 1, 12 juin 2001, n° 99-12.330 (N° Lexbase : A5959ATU), RTDCiv., 2001, p.884, obs. J. Mestre et B. Fages. Sous réserve de certains assouplissements consacrés en jurisprudence dans des cas particuliers qui ne sont pas applicables à l'espèce. Pour ces hypothèses, voir Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., p. 640.
(13) Bien sûr, il est encore possible d'admettre le préjudice du créancier dans le cas où l'acte a aggravé un état d'insolvabilité préexistant.
(14) Pour un exemple, Cass. civ. 1, 17 décembre 1996, n° 94-20.450 (N° Lexbase : A8655AB8), Bull. civ. I, n° 448.
(15) Ceci étant, depuis la loi du 23 juin 2006, le disposant peut déjouer les projets de l'héritier gratifié en avance de part en imposant le rapport au cas de renonciation, aux termes de l'article du 845 du Code civil. Voir, sur ce sujet : D. Vigneau, Le rapport d'une donation à un renonçant, JCP éd. N, 2006, p. 1811.
(16) Cass. civ. 1, 4 décembre 1990, préc..
(17) La cour d'appel de renvoi n'a cependant pas suivi la première chambre civile en rejetant la demande de l'enfant (CA Amiens, 18 janvier 1993, n° 3532/90 N° Lexbase : A7109I7G).
(18) Cass. civ. 1, 15 mai 2008, n° 06-19.535, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5210D8H), Bull. civ. I, n° 140. Voir notamment, sans exhaustivité : RTDCiv., 2008, p.522, obs. M.Grimaldi ; LPA, 23 juillet 2008, n° 147, p. 23, note Ph. Malaurie ; D., 2008, Panorama, p. 2245, obs. M. Nicod ; LPA, 1er décembre 2009, n° 239, p. 9, note N. Pétroni-Maudière.
(19) En ce sens : M. Grimaldi, préc. ; M. Nicod, préc. Contra : M. Behar-Touchais, préc., p. 23 notamment ; également, en sens inverse, un arrêt ancien : CA Dijon, 24 juillet 1885, D., 1886, 2, 217. Pour finir sur cette affaire, le montage a néanmoins été déjoué, non sur le fondement de la fraude, mais sur celui de l'acceptation tacite faisant échec à une renonciation ultérieure de la fille du défunt. Cass. civ. 1, 15 mai 2008, n° 06-19.535, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5210D8H) et les références précitées ; Cass. civ. 1, 1er juin 2011, n° 09-14.851, F-D (N° Lexbase : A3152HTW).

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