Lexbase Social n°455 du 29 septembre 2011 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Quel montant d'indemnité spécifique de rupture conventionnelle pour un salarié ayant moins d'un an d'ancienneté dans l'entreprise ?

Réf. : CA Montpellier, 1er juin 2011, n° 10/06114 (N° Lexbase : A2089HTK)

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N7936BSQ

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

le 29 Septembre 2011

Quel est le montant de l'indemnité de rupture conventionnelle auquel peut prétendre un salarié ayant moins d'un an d'ancienneté dans l'entreprise qu'il quitte ? Des magistrats montpelliérains viennent de décider que cette indemnité pouvait être égale à zéro (CA Montpellier, 1er juin 2011, n° 10/06114) par application de l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) et par comparaison, somme toute logique, avec le montant de l'indemnité qui serait due au même salarié en cas de licenciement (I). La solution n'est cependant pas évidente, l'article L. 1237-13 se prêtant à plusieurs lectures. L'administration en conseille une autre (circulaire DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009 relative à la rupture conventionnelle d'un contrat à durée indéterminée N° Lexbase : L0486IDD) plus favorable au salarié (II). Il serait souhaitable que la Cour de cassation intervienne pour combler ce vide juridique et faire cesser ces divergences d'interprétation qui rendent peu sûres la rupture conventionnelle lorsque le salarié a moins d'un an d'ancienneté (III).
Résumé

Est valablement homologuée la convention de rupture d'un commun accord qui prévoit une indemnité de rupture conventionnelle égale à zéro lorsque le salarié a moins d'un an d'ancienneté dans l'entreprise. Le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle ainsi fixée dans la convention répond à l'exigence de l'article L. 1237-13 alinéa 1 du Code du travail, dès lors qu'il n'est pas inférieur à celui de l'indemnité qui serait due au salarié en cas de licenciement.

Commentaire

Le législateur ne peut pas tout prévoir, les partenaires sociaux non plus. La rupture conventionnelle du contrat de travail a été définie par les partenaires sociaux dans l'accord interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, accord repris pour l'essentiel dans la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (N° Lexbase : L4999H7B) portant le même nom. Au coeur du dispositif (et du litige dont il est question ici), l'article L. 1237-13 alinéa 1 du Code du travail, issu de cette loi, selon lequel : "la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK)" (ce dernier prévoit que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service de l'employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement calculée en fonction de la rémunération brute dont il bénéficiait antérieurement à la rupture de son contrat de travail).

L'article L. 1237-13 a déjà donné lieu à quelques difficultés sur la question de savoir si le montant minimal de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle devait être le montant de l'indemnité légale de licenciement, ou bien celui de l'indemnité conventionnelle. Le ministre du Travail a répondu de manière minimaliste : le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être au moins égal à celui de l'indemnité de licenciement, conformément à l'article L. 1237-13 (indemnité légale donc). En revanche, rien n'interdit aux parties à la rupture de négocier entre elles un montant supérieur (1). Les partenaires sociaux, quant à eux, ont négocié sur ce point une solution plus favorable aux salariés, actée dans un avenant n° 4 du 18 mai 2009 à l'ANI du 11 janvier 2008, lequel a, par la suite, fait l'objet d'un arrêté d'extension daté du 26 novembre 2009 (N° Lexbase : L9797IEL).

La difficulté est depuis lors réglée (2) : les salariés concluant avec leur employeur un accord de rupture conventionnelle homologuée doivent percevoir une indemnité au moins égale à l'indemnité légale de licenciement ou à l'indemnité conventionnelle de licenciement si elle est supérieure (avenant, art. 2). En revanche, l'obligation ne s'impose qu'aux employeurs des branches d'activité représentées par le Medef, la CGPME ou l'UPA. Les employeurs des autres branches (agriculture, professions libérales, presse, secteur associatif...), à défaut d'arrêté d'élargissement, gardent la référence, moins favorable aux salariés, à l'indemnité légale de licenciement.

L'alinéa 1 de l'article L. 1237-13 du Code du travail soulève une autre difficulté, tranchée par la cour d'appel de Montpellier, qui concerne spécifiquement les salariés ayant moins d'un an d'ancienneté dans l'entreprise : le salarié ayant une faible ancienneté (inférieure à un an) a-t-il droit en toute hypothèse à une indemnité spécifique de rupture conventionnelle, ou bien cette indemnité peut-elle être égale à zéro à partir du moment où l'indemnité de licenciement qui lui serait due serait elle-même égale à zéro (à défaut d'ancienneté suffisante) ?

I - Indemnité spécifique de rupture conventionnelle égale à zéro

Solution logique. La solution adoptée par les magistrats montpelliérains ne manque pas de logique. En l'espèce, le salarié concerné (ouvrier boulanger de son état) n'avait qu'un peu plus de quatre mois d'ancienneté dans l'entreprise lorsque la convention de rupture a été conclue entre les parties et environ six mois d'ancienneté quand elle a été homologuée par l'autorité administrative (convention datée du 20 janvier 2009). Dans ces conditions, en application des textes susvisés sur le licenciement, le montant de l'indemnité de licenciement dont le salarié aurait pu bénéficier en pareil cas était égal à zéro. La prescription de l'article L. 1237-13 est respectée, et c'est cela qui paraît le plus important aux juges montpelliérains : le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle n'est pas inférieur au montant de l'indemnité de licenciement...

Solution critiquée. D'aucuns s'étonneront de la solution ainsi rendue par les magistrats de Montpellier. L'article L. 1237-13 alinéa 1 prête, en effet, à interprétation et laisse entendre que la convention doit obligatoirement définir le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, sans laisser aux parties la possibilité de ne pas en prévoir. Dans le cas particulier du salarié avec une ancienneté inférieure à un an, on peut sans doute aussi faire la distinction entre le fait de ne rien prévoir dans la convention de rupture (laisser la case vierge) et le fait de prévoir et de décider ensemble que l'indemnité sera égale à zéro (dans la mesure où s'il y avait eu licenciement, aucune indemnité ne serait due).

L'article L. 1237-13 semble surtout imposer qu'un accord des parties ait lieu sur la question de l'indemnité, plus qu'un versement effectif d'une somme dont ni la loi ni les partenaires sociaux n'ont précisé le montant dans le cas particulier (le seul dont nous traitons ici) du salarié n'ayant pas une ancienneté suffisante pour toucher une quelconque indemnité de licenciement. Dans les autres cas, il ne peut évidemment pas y avoir rupture conventionnelle sans indemnité spécifique de rupture à laquelle le salarié ne peut pas renoncer, ordre public oblige (en ce sens, v. CA Angers, ch. soc., 5 janvier 2010, n° 09/01048 N° Lexbase : A5605GPB).

II - Indemnité spécifique de rupture conventionnelle calculée au prorata du nombre de mois de présence

Solution prônée par l'administration. La Direction générale du Travail a donné son avis sur la question, dans une circulaire postérieure à la convention de rupture intervenue en l'espèce (circulaire DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009 relative à la rupture conventionnelle d'un contrat à durée indéterminée, point 5.3) : "dans le cas où le salarié partie à la rupture conventionnelle a moins d'une année d'ancienneté, l'indemnité de rupture conventionnelle lui est due au prorata du nombre de mois de présence. Par exemple, pour un salarié ayant sept mois d'ancienneté, l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être : salaire brut mensuel moyen multiplié par 1/5ème multiplié par 7/12ème". Par conséquent, selon l'administration du travail, une indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être due en toute hypothèse à tout salarié engagé dans ce type de rupture, sans condition d'ancienneté.

Justification de la solution : distinction entre montant de l'indemnité et condition d'attribution. L'administration justifie la solution en proposant sa propre interprétation de l'article L. 1237-13 alinéa 1 : "la loi de modernisation du marché du travail ne renvoie à l'indemnité légale de licenciement que pour définir le montant minimal de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, sans en définir les conditions d'attribution". Distinction est ainsi faite entre montant minimal de l'indemnité de rupture conventionnelle (au minimum l'indemnité légale de licenciement, ou l'indemnité conventionnelle si plus favorable, v. supra) et les conditions d'attribution de celle-ci... supposant que le législateur et les partenaires sociaux n'auraient a priori pas souhaité soumettre cette indemnité spécifique à une quelconque condition d'ancienneté. Le renvoi opéré par l'article L. 1237-13 à l'article L. 1234-9 ne concernerait que le montant de l'indemnité légale de licenciement et non ses conditions d'attribution, lesquelles ne suivraient pas le régime de l'indemnité légale.

Cette distinction paraît bien artificielle dans la mesure où le montant de l'indemnité légale de licenciement, qui constituerait selon l'administration la base minimale de toute indemnité de rupture conventionnelle, ne peut en aucune hypothèse être fixé sans tenir compte de l'ancienneté du salarié. Dans le régime du licenciement, le montant de l'indemnité due au salarié et l'ancienneté de celui-ci sont indissociables, qu'il s'agisse de l'ouverture du droit (condition) ou bien du calcul de ladite indemnité (montant). Séparer les deux relève de l'illusion. Au demeurant, si telle eût été la volonté du législateur ou celle des partenaires sociaux d'attribuer une indemnité spécifique de rupture conventionnelle à tout salarié sans condition, il eût été tellement simple de rajouter trois mots à l'article L. 1237-13 alinéa 1 : "la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9, sans condition d'ancienneté". Or le texte ne précise rien. En revanche, le renvoi à l'article L. 1234-9 implique expressément la condition d'ancienneté, qu'on ne saurait reprocher aux juges de rajouter. La même question se pose pour l'autre condition d'ouverture au droit à l'indemnité de licenciement posée par l'article L. 1234-9 : l'absence de faute grave commise par le salarié. Cette condition-là ne doit-elle pas s'appliquer non plus en cas de rupture conventionnelle (hypothèse d'une faute grave qui aurait été "pardonnée" par l'employeur dans la mesure où la rupture doit être "conventionnelle") ?

III - Une question à clarifier pour des ruptures conventionnelles plus sûres

Nécessaire clarification législative, conventionnelle ou jurisprudentielle. Quelle que soit la voie de résolution choisie (une modification législative, un nouvel avenant à l'ANI du 11 janvier 2008, ou plus probablement une décision de la Cour de cassation), ces divergences d'interprétation de l'article L. 1237-13 méritent d'être réglées dès lors qu'elles sont source d'insécurité juridique pour les parties à la rupture conventionnelle. D'ici là, l'on conseillera aux employeurs de vérifier qu'aucune disposition conventionnelle applicable dans leur entreprise ne prévoit le versement d'une indemnité de licenciement aux salariés disposant de moins d'un an d'ancienneté, auquel cas le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle devra être au moins égal au montant de cette indemnité, par application de l'avenant n° 4 du 18 mai 2009 à l'ANI du 11 janvier 2008 (v. supra). A défaut, en l'absence de disposition conventionnelle favorable aux salariés ayant moins d'un an d'ancienneté, et en attendant la clarification souhaitée, l'on appellera tout de même à la prudence et au versement de l'indemnité légale... même si cette solution ne nous paraît pas la plus juste (parce qu'elle trouve sa source dans une insécurité juridique et non dans une volonté clairement exprimée du législateur ou des partenaires sociaux), ni la plus cohérente.

Nécessité d'une solution cohérente. C'est certainement la comparaison entre licenciement et rupture conventionnelle qui doit guider la solution finale, ou, plus exactement, la comparaison des droits entre salarié licencié et salarié ayant accepté une rupture conventionnelle. Si l'on admet qu'une indemnité de rupture conventionnelle, au moins égale à l'indemnité légale de licenciement, doit être versée à tout salarié sans condition d'ancienneté, cela revient à placer ce salarié dans une situation plus favorable que le salarié véritablement licencié... lequel n'aura droit à rien dès lors que son ancienneté dans l'entreprise est inférieure à un an. L'on voit mal ce qui pourrait justifier une telle différence de situations. Si différence il doit y avoir, il nous semble même qu'elle devrait être en faveur du salarié licencié, en faveur de celui qui subit la rupture, pour compenser son préjudice, plutôt qu'en faveur de celui qui en a pris l'initiative ou qui, tout au moins, l'a acceptée...


(1) QE n° 33482 de M. Blanc Etienne, JOANQ 21 octobre 2008, p. 8992, réponse publ. 23 juin 2009, p. 6246, 13ème législature (N° Lexbase : L4503IEI).
(2) Difficulté réglée depuis le 19 mai 2009 pour les entreprises affiliées à l'une des organisations patronales signataires de l'avenant du 18 mai 2009 (Medef, CGPME, UPA) et depuis le 27 novembre 2009 (entrée en vigueur de l'arrêté d'extension) pour tous les employeurs exerçant dans les branches d'activité représentées par ces mêmes organisations, les conventions antérieurement conclues n'ayant pas été remises en cause.

Décision

CA Montpellier, 1er juin 2011, n° 10/06114 (N° Lexbase : A2089HTK)

Confirmation partielle (infirmation sur la question traitée), conseil de prud'hommes Béziers, jugement du 23 juin 2010.

Textes visés : néant

Mots-clés : rupture conventionnelle, homologation, indemnité, ancienneté.

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