La lettre juridique n°499 du 27 septembre 2012 : Rupture du contrat de travail

[Le point sur...] Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 27 Septembre 2012

Mis en place en 2008 par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (1), le mécanisme de la rupture conventionnelle a suscité un certain nombre de critiques, formulées par des organismes publics et autres centres de recherche. Ainsi, le Centre d'étude de l'emploi (CEE) a, en juillet 2012, formulé des recommandations pour améliorer la rupture conventionnelle (formaliser l'invitation à l'entretien préalable à la signature de la rupture conventionnelle ; imposer de régler dans la convention, sous peine de nullité, toutes les questions relatives au contrat de travail telles que participation, clauses de non-concurrence, etc.) (2). Dans un registre non pas institutionnel ou doctrinal mais contentieux, ces critiques ont été portées par les salariés (ou employeurs) devant les juges (3). Le plus souvent, les salariés ont tenté d'obtenir l'annulation de la rupture conventionnelle, invoquant un certain nombre d'arguments, variables, pour des résultats eux aussi très variables. L'intérêt de restituer et d'analyser ce contentieux tient à la possibilité de résoudre une question évoquée par la doctrine (4), dès la création de la rupture conventionnelle, relative à la nature de la sanction éventuellement prononcée par le juge prud'homal, dès lors que les conditions de validité de l'accord de rupture n'auront pas été respectées : nullité (approche civiliste) ou droit commun de la rupture, c'est-à-dire licenciement (approche travailliste). La sanction d'inspiration civiliste de la nullité, frappant le non-respect des conditions de formation de la rupture conventionnelle est sans doute la plus proche de l'esprit initial du dispositif ; mais elle n'est pas la plus adaptée, dans le champ des rapports de travail, si l'on garde à l'esprit les effets attachés à la nullité (effet rétroactif ; réintégration du salarié...). Une synthèse du contentieux des ruptures conventionnelles montre deux tendances observées chez les juges du fond, les uns prononçant l'invalidation des ruptures conventionnelles ; les autres, rejetant au contraire l'annulation des ruptures conventionnelles. I - Invalidation des ruptures conventionnelles

Les juridictions du fond prononçant une annulation d'une rupture conventionnelle ont été soumises à une multitude de cas de figure, très variables. Ils sont regroupés en deux ensembles : certaines nullités de la rupture conventionnelle sont tirées du droit commun du consentement ; d'autres, du droit des rapports de travail.

A - Nullités de la rupture conventionnelle tirées du droit commun du consentement

La référence à la liberté du consentement, au sens civiliste du terme, est suggérée par la rédaction de l'article L. 1237-11, alinéa 2 (la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties) et alinéa 3 (elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties) du code du travail (5). Le régime du consentement est fixé par l'article 1109 du Code civil (N° Lexbase : L1197ABX), selon lequel il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

- Information du salarié de la possibilité de se faire assister

En 2012, la cour d'appel de Reims a admis qu'une convention de rupture devait être annulée (et requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse), parce que l'employeur ne démontrait pas avoir informé préalablement une salariée de ses droits et de la possibilité de se faire assister (CA Reims, 9 mai 2012, n° 10/01501 N° Lexbase : A9344IKB).

- Etat de contrainte

La cour d'appel d'Amiens a retenu le principe de la nullité d'une rupture conventionnelle, motif pris de l'état de contrainte de la salariée (6). La rupture amiable est intervenue en période de suspension de contrat de travail sans que la salariée soit mise en mesure de se faire assister, caractérisant la précipitation affectant la liberté de consentir. La salariée était donc fondée à invoquer une situation de contrainte, justifiant une nullité de la convention, en application de l'article 1111 du Code civil (N° Lexbase : L1199ABZ) : en outre, les juges du fond ont estimé que la salariée est en droit d'obtenir la requalification de la rupture intervenue le 17 février 2009 en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non précédé d'une procédure régulière.

- Harcèlement

Une rupture conventionnelle du contrat de travail intervenue à la suite de faits de harcèlement moral est nulle (7). En l'espèce, un salarié a fait état d'actes répétés de harcèlement qui ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et une altération de sa santé physique et mentale. Le salarié a formulé une demande de rupture conventionnelle fin février 2009, alors qu'il était en arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif réactionnel, et qu'il avait fait l'objet d'agissements répétés constitutifs de harcèlement moral pendant les mois précédent son arrêt maladie. La cour d'appel en a déduit que dans un tel contexte, son consentement ne pouvait être librement donné à une rupture conventionnelle.

L'article L. 1152-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0728H9T) prévoit que toute rupture du contrat intervenue en méconnaissance des dispositions du Code du travail relatives au harcèlement moral (C. trav., art. L. 1152-1 N° Lexbase : L0724H9P et L 1152-2 N° Lexbase : L8841ITM) doit être sanctionnée par la nullité. Il faut donc souligner que les juges du fond ont retenu la nullité de la rupture conventionnelle, non pas comme sanction civiliste du défaut de consentement à la convention de rupture, mais plus simplement, par application des dispositions du code du travail, qui organisent la sanction de la nullité dans le cas spécifique du harcèlement.

B - Nullités de la rupture conventionnelle tirées du droit des rapports de travail

Le législateur a mis en place des dispositions destinées à garantir la liberté du consentement des parties (C. trav., art. L. 1237-11, al. 2) ; entretien (et possibilité de se faire assister, C. trav., art. L. 1237-12 N° Lexbase : L8193IAP) ; contenu minimal de la rupture conventionnelle (C. trav., art. L. 1237-13 N° Lexbase : L8385IAS) ; droit de rétractation (C. trav., art. L. 1237-13) ; homologation par la Dirrecte (C. trav., art. L. 1237-14 N° Lexbase : L8504IA9) ; autorisation de l'inspection du travail au profit des salariés protégés (C. trav., art. L. 1237-15 N° Lexbase : L8188IQC). De cette énumération, il faut donc comprendre, a priori, que les cas de nullité sont strictement encadrés, puisque leur domaine est fixé par les articles L. 1237-11 à 15 du Code du travail. La lecture du contentieux rendu par les cours d'appel montre que les juges ne se sont pas laissés enfermer par ce cadre fixé par la loi.

- Rupture conventionnelle et statut de salarié protégé

En 2012, la cour d'appel de Chambéry a admis que l'employeur puisse solliciter l'annulation d'une rupture conventionnelle conclue avec un salarié protégé, pour non-respect du statut protecteur et de la procédure spécifique (8). L'employeur contestait, dans le cadre d'une demande reconventionnelle, la validité de la rupture conventionnelle conclue par l'un des directeurs d'établissement avec un salarié élu au CHSCT. Celui-ci était revenu sur sa démission au profit d'une rupture conventionnelle proposée par le directeur d'établissement. L'employeur a fait valoir que la rupture aurait dû être précédée de la consultation du CE et d'une autorisation de l'inspecteur du travail (C. trav., art. L. 1237-15). La cour d'appel a prononcé la nullité de cette rupture conventionnelle conclue en violation des règles applicables.

- Rupture conclue pendant une absence liée à un accident du travail

Le régime de la rupture du contrat de travail au cours d'une période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle est encadré par les textes (C. trav., art. L. 1226-9 N° Lexbase : L1024H9S), qui conditionnent une telle rupture soit à une faute grave du salarié ou l'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie. A défaut, la rupture est nulle (C. trav., art. L. 1226-13 N° Lexbase : L1031H93).

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a appliqué ce régime de la nullité à une rupture conventionnelle, conclue durant une absence liée à un accident du travail (9). La solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (10) relative à la rupture amiable en application de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

- Rupture conventionnelle conclue avec un salarié inapte à la suite d'un accident du travail

La cour d'appel de Poitiers a, en 2012, confirmé le jugement du conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne ayant déclaré abusive une rupture conventionnelle signée avec un salarié inapte à la suite d'un accident du travail (11). Le salarié était sur le point d'être déclaré inapte : la rupture conventionnelle avait été conclue entre les deux examens constituant la visite de reprise, le contrat n'étant plus suspendu. La cour d'appel a estimé qu'il s'agit là d'une fraude qui corrompt la convention de rupture et entraîne sa nullité.

L'employeur a tenté d'échapper aux conséquences de l'inaptitude en passe d'être constatée (obligation de reclassement ou licenciement entraînant le paiement d'indemnités légales) en proposant une rupture conventionnelle, financièrement intéressante, dès lors que l'indemnité proposée était inférieure à l'indemnité de licenciement spécifique. La solution a déjà été retenue par la Cour de cassation, au titre de la rupture amiable (Cass. soc., 29 juin 1999, n° 96-44.160, publié N° Lexbase : A4617AG4).

- Paiement des cotisations sociales

La cour d'appel d'Aix en Provence a prononcé la nullité d'une rupture conventionnelle conclue par un salarié parce que son employeur s'était soustrait pendant toute la durée d'exécution du contrat de travail à ses obligations auprès des organismes de protection sociale (12).

Engagé en qualité de prospecteur, en application du régime du contrat "nouvelles embauches", un salarié a conclu avec l'employeur, le 12 janvier 2009, une convention de rupture à effet du 28 février 2009. En 2009, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Draguignan afin de voir requalifier cette rupture conventionnelle en un licenciement abusif. Les juges du fond ont reconnu que le salarié n'a fait l'objet d'aucune déclaration préalable à son embauche et cette omission n'a fait l'objet d'aucune régularisation pendant toute la période d'exécution du contrat de travail. En outre, l'employeur a omis de verser à l'Urssaf et aux divers organismes sociaux les cotisations prélevées figurant sur les bulletins de paie. Selon l'article L. 1221-10 du Code du travail (N° Lexbase : L0788H93), l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative accomplie par l'employeur auprès des organismes de protection sociale.

Bref, pour la cour d'appel, dès lors que les obligations auxquelles l'employeur s'est soustrait pendant toute la durée d'exécution du contrat de travail sont consubstantielles à ce contrat, le salarié est fondé à soutenir qu'il n'aurait pas conclu la convention de rupture s'il avait eu connaissance de ces graves manquements. La rupture conventionnelle est ainsi nulle.

- Absence d'homologation

Faute d'homologation régulière, la convention de rupture conventionnelle, dont la validité est soumise à son homologation, est nulle et la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (13).

- Situation économique de l'entreprise et liberté du consentement

La cour d'appel de Dijon s'est prononcée sur une rupture conventionnelle, dans un contexte de restructuration économique (14). Une salariée a soutenu que son consentement n'était pas libre puisqu'elle se trouvait sous la menace d'un licenciement ; la rupture lui a été imposée ; son consentement a été vicié ; l'administration n'était pas en droit d'homologuer la convention.

La cour d'appel a relevé qu'à la date où la rupture conventionnelle a été signée (entre le 9 et le 23 juin 2009), l'entreprise envisageait de prendre une mesure de licenciement à l'égard de la salariée. Or, l'article L. 1237-11 du Code du travail dispose que la rupture conventionnelle est exclusive du licenciement et qu'elle ne peut pas être imposée par l'une ou l'autre des parties. Les juges du fond en ont tiré la conséquence que la négociation de la convention et sa signature sont intervenues dans le contexte d'un litige portant sur la rupture de la relation de travail. Cette circonstance laisse supposer que les intérêts de la salariée n'ont pas été préservés. Bref, pour les juges du fond, eu égard à l'ensemble de ces infractions aux exigences légales, la rupture conventionnelle ne peut produire aucun effet et doit être annulée. Doit être annulée la rupture conventionnelle intervenue dans un contexte de licenciement laissant supposer que les intérêts de la salariée n'ont pas été préservés.

II - Rejet de l'annulation des ruptures conventionnelles

Le contentieux alimenté par les juridictions de fond montre également un contrôle exercé par le juge, n'allant pas nécessairement dans le sens d'une invalidation (annulation) des ruptures conventionnelles. Deux hypothèses peuvent être retenues : le refus d'annulation peut s'expliquer simplement par la validation de la rupture conventionnelle ; ou le refus de la nullité a pu être relevé, parce que les juges du fond ont écarté la nullité en tant que mode de sanction du défaut de validité d'une rupture conventionnelle, préférant d'autres modes de sanctions, moins radicales et plus simples à mettre en oeuvre.

A - Refus d'annulation fondée sur la validation de la rupture conventionnelle

Les juges du fond ont été amenés, dans un certain nombre d'affaires, à reconnaître la validité d'une rupture conventionnelle. Les situations sont très variées.

- Conclusion d'une rupture conventionnelle durant un arrêt maladie

En 2012, la cour d'appel de Rennes a validé une rupture conventionnelle conclue durant un congé pour maladie non-professionnelle, alors même que le consentement du salarié a été donné de façon libre et éclairée (15). La solution est conforme à la doctrine administrative selon laquelle, dans les cas de suspension du contrat de travail ne bénéficiant d'aucune protection particulière, aucune disposition n'interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle (16). En l'espèce, l'intéressé était en arrêt maladie depuis huit mois en raison d'un syndrome anxio-dépressif, étranger à un harcèlement moral ou une discrimination.

Toujours en 2012, une autre juridiction s'était prononcée en sens contraire, les juges ayant constaté que la rupture conventionnelle était intervenue en période de suspension du contrat de travail sans que la salariée soit mise en mesure de se faire assister, caractérise une précipitation affectant la liberté de consentir (CA Amiens, 5ème ch. soc., 11 janvier 2012, n° 11/00555, préc).

- Clause de non-concurrence

La cour d'appel de Bordeaux a admis qu'une clause de non-concurrence soit instituée à l'occasion d'une rupture conventionnelle (CA Bordeaux, ch. soc., 6 mars 2012, n° 11/01545 N° Lexbase : A9634ID8). La clause de non-concurrence, librement consentie par les parties dans la convention de rupture, est valable et doit recevoir plein effet, dès lors qu'elle vise à assurer la juste protection des intérêts de l'entreprise. Elle doit par ailleurs être regardée comme une condition d'acceptation par l'employeur de la rupture conventionnelle.

- Information du salarié de la possibilité de se faire assister

La cour d'appel de Nîmes a rappelé qu'aucune obligation d'information particulière relative à la possibilité pour le salarié de se faire assister lors de l'entretien ne s'impose à l'employeur (CA Nîmes, 12 juin 2012, n° 11/00120 (N° Lexbase : A6824IN3). Un salarié ne peut donc invoquer un défaut d'information pour remettre en question la validité d'une rupture conventionnelle.

- Rupture conventionnelle et nullité de la transaction

Le fait que l'employeur avait accepté avant le licenciement de négocier la rupture conventionnelle du contrat de travail à un montant sensiblement égal à la transaction ne saurait entraîner la nullité de celle-ci (17). En effet l'employeur avait dénoncé son accord dans le délai prévu par la loi. Le licenciement a été prononcé pour faute grave. L'employeur pouvait s'abstenir de toute nouvelle négociation. Enfin, l'accord sur une même indemnité que celle convenue avant le licenciement constitue nécessairement une concession.

- Existence d'un différend

En 2012, la cour d'appel de Lyon a rendu une décision importante, dans le champ des ruptures conventionnelles (18). En première instance, le conseil de prud'hommes de Lyon avait décidé qu'une rupture conventionnelle ne pouvait intervenir en présence d'un litige opposant employeur et salarié. Aussi, les premiers juges avaient annulé la rupture conventionnelle et requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Au contraire, pour la cour d'appel de Lyon, la rupture conventionnelle n'encourt pas la nullité au seul motif de l'existence d'un litige concomitant ou antérieur entre le salarié et l'employeur. Certains auteurs ont approuvé la solution. En effet, "ce n'est pas parce qu'on ne peut pas imputer la rupture à l'une ou l'autre des parties qu'il n'existe aucun différend entre elle [...] Mieux vaut reconnaître que la rupture conventionnelle peut être valablement conclue, quels qu'aient été l'état des relations entre les parties, et rester attentif aux conditions dans lesquelles le consentement a été donné, plutôt que d'ajouter au texte une condition qui n'y figure pas" (19).

- Situation économique de l'entreprise

Certaines juridictions ont retenu le principe que la situation de restructuration d'une entreprise pouvait exercer une influence sur un salarié, affectant le libre consentement exigé pour une rupture conventionnelle (supra). La solution n'est pas stable : d'autres juridictions ont retenu la solution inverse (CA Dijon, 12 juillet 2012, n° 11/00604 N° Lexbase : A7160IQA). En l'espèce, la salariée faisait valoir que la rupture conventionnelle était entachée de nullité dès lors qu'elle procédait d'un détournement délibéré de l'institution de la rupture conventionnelle ainsi que d'une violence économique et morale et d'un dol de la part de l'employeur qui envisageait de supprimer des emplois pour motif économique. L'employeur lui aurait imposé les dates d'entretiens préalables ; ne lui aurait pas indiqué que l'indemnité conventionnelle de licenciement était négociable ; ne l'aurait pas informée de la décision de fermer l'usine prise quelques temps auparavant ; lui aurait accordé une indemnisation d'un montant très inférieur à celui auquel elle aurait pu prétendre dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique.

Au contraire, les juges du fond ont relevé que la fermeture du site de Mâcon n'était pas envisagée lorsque la possibilité de départ des salariés proches de l'âge de la retraite a été évoquée pour la première fois ; la procédure de rupture conventionnelle définie par la loi a été respectée en tous points ; la salariée n'a pas été incitée au départ ; elle n'ignorait pas qu'un licenciement économique lui serait financièrement plus favorable ; à l'époque, rien ne laissait entrevoir qu'il pourrait exister une si forte différence d'indemnisation entre celle qui lui a été versée dans le cadre de la rupture conventionnelle et celle à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait fait l'objet d'un licenciement économique consécutif à la fermeture de l'usine ; à supposer même que la décision de fermer le site de Mâcon ait été prise avant la conclusion de la rupture en cause, cette circonstance ne serait pas de nature à vicier le consentement de la salariée dès lors que cette dernière a délibérément choisi la voie conventionnelle malgré la perte financière que cela lui occasionnait. Bref, n'étant démontré ni que la rupture conventionnelle conclue par les parties se soit inscrite dans un projet global et concerté de réduction des effectifs au sein de l'entreprise, ni que le consentement de la salariée ait été vicié, il n'y a pas lieu, pour les juges du fond, d'annuler la convention en cause.

Les mêmes juges du fond ont rendu un arrêt opposant des salariés au même employeur, et se sont prononcés dans le même sens (CA Dijon, 12 juillet 2012, n° 11/00599 (N° Lexbase : A7171IQN). La fermeture du site de Mâcon n'était pas envisagée lorsque la possibilité de départ des salariés proches de l'âge de la retraite a été évoquée pour la première fois, que la procédure de rupture conventionnelle définie par la loi a été respectée en tous points et que le salarié n'a pas été incité au départ.

- Dol

Le dol (dont un salarié s'est dit avoir été victime) peut être constitué par le silence conservé par l'employeur sur un fait tel qu'il est évident que le salarié n'aurait pas signé la convention de rupture ou aurait rétracté son consentement s'il en avait eu connaissance : mais il ne peut cependant y avoir dol lorsque l'événement est postérieur à l'homologation de la convention, ce qui implique qu'aucune des parties n'en avait connaissance pendant le délai de rétractation et, a fortiori, au moment de la signature de la convention (CA Lyon, 7 mai 2012, n° 11/03134 N° Lexbase : A6878IKX).

En l'espèce, un salarié a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail en faisant état des refus qui avaient été opposés à ses demandes de mutation. La convention de rupture a été signée le 31 mars 2009. Par courrier du 9 juin 2009, le DDTEFP du Rhône a confirmé l'homologation tacite de la convention de rupture au 3 juin 2009. Par courrier du 17 juin 2009, l'ex-salarié a proposé sa candidature pour un poste de chef monteur et un poste de technicien vidéo, tous deux situés à Besançon, à laquelle la société n'a pas répondu.

Le conseil des prud'hommes a estimé que la rupture conventionnelle était nulle (et s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse), mais la cour d'appel a infirmé le jugement. Pour les juges du fond, aucun élément ne permet de tenir pour établi que la direction régionale Rhône-Alpes Auvergne a été informée de la procédure de consultation du comité d'établissement de la région Bourgogne- Franche Comté, préalable à l'affichage des postes pour appel de candidatures, cet affichage étant fait quarante-cinq jours avant la tenue des commissions paritaires nationales. Il en résulte qu'il est intervenu après le 15 avril 2009, date d'expiration du délai de rétractation, et même après le 12 mai 2009. Ainsi le salarié ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'une connaissance antérieure par la Direction Rhône-Alpes Auvergne de la création du poste de technicien supérieur en électronique à Besançon et aucun dol ne peut donc être imputé à la société.

B - Refus de la nullité, comme mode de sanction du défaut de validité d'une rupture conventionnelle

Enfin, la lecture des décisions rendues par les juridictions du second degré montre que les juges peuvent prononcer des sanctions à l'égard de l'employeur, pour non-respect des règles relatives à la rupture conventionnelle, sans pour autant que la nullité ne s'impose. Là aussi, les hypothèses envisagées sont très variables.

- Droit aux allocations chômage

En 2012, la cour d'appel de Paris a précisé qu'une rupture conventionnelle qui n'a pas été homologuée n'ouvre pas droit aux allocations chômage (CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 6 avril 2012, n° 11/06828 N° Lexbase : A1025IIS). L'intérêt de cette décision réside dans le régime de la sanction du non-respect par l'employeur des règles relatives à la rupture conventionnelle : l'employeur n'a pas respecté les obligations qui pèsent sur lui, mais les sanctions sont prononcées en quelque sorte contre le salarié, qui se voit privé du bénéfice d'allocations chômage.

Un salarié engagé par une compagnie aérienne de droit belge, par contrat soumis au droit belge : deux ans plus tard, le salarié a conclu une rupture conventionnelle. La DDTEFP avait refusé l'homologation. De retour en France, le salarié a demandé le bénéfice des allocations chômage. La cour d'appel a rejeté sa demande en paiement d'allocations journalières de retour à l'emploi, faute d'homologation de la rupture conventionnelle par l'administration du travail.

- Absence de nullité d'une rupture conventionnelle : état de stress postérieur à la rupture du contrat

Ne rend pas nulle la rupture conventionnelle, un état de stress lié, selon un salarié, à un harcèlement moral sur le lieu de travail mais reconnu dans un certificat postérieur à la signature de la convention de rupture conventionnelle (CA Amiens, 5 septembre 2012, n° 11/04536 N° Lexbase : A1972IST). Un salarié a soutenu qu'il a fait l'objet de nombreuses pressions et menaces de son employeur entre janvier 2009 et septembre 2009, en raison de son refus d'accepter le changement de cycle de travail. Cette situation a engendré un état de stress qui l'a conduit à signer contre sa volonté un protocole transactionnel très défavorable à son égard.

Cependant, selon la cour d'appel, la modification du rythme de travail décidée par l'employeur n'a été que temporaire et a cessé fin juin 2009, soit antérieurement à l'engagement de la procédure de rupture conventionnelle. Aussi, il n'apparaît pas qu'une situation conflictuelle ait encore existé entre les parties lorsque la rupture conventionnelle a été envisagée et le contexte décrit par le salarié n'est pas en lui-même démonstratif d'une volonté de l'employeur de faire pression sur sa personne pour obtenir une rupture amiable. Ainsi, le salarié n'a pas établi des faits permettant de présumer un harcèlement moral et par la même un vice de consentement affectant la signature de la rupture conventionnelle.

- Sanction liée à la qualification de défaut de cause réelle et sérieuse

La cour d'appel d'Amiens a retenu la qualification de "défaut de cause réelle et sérieuse" à une rupture d'un contrat de travail contre un employeur ayant profité de la situation d'infériorité d'un salarié ne disposant que d'une maîtrise partielle de l'expression et de la compréhension écrite, en lui faisant recopier un modèle de lettre par laquelle il demandait à bénéficier d'une rupture conventionnelle. La rupture a été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (CA Amiens, 13 juin 2012, n° 11/03684 [LXB= A6719IN8]).

- Non versement de l'indemnité de rupture

En 2012, la cour d'appel de Colmar a estimé que le non-versement de l'indemnité de rupture ne rend pas nulle la rupture conventionnelle (CA Colmar, 14 juin 2012, n° 11/00239 N° Lexbase : A8255IN3). Le défaut d'exécution de la convention n'affecte pas sa validité qui s'apprécie au moment de sa formation, de sorte que le défaut de paiement de la contrepartie financière n'est pas de nature à entraîner sa nullité. En l'espèce, l'indemnité avait été versée avec un an de retard, en raison du placement de l'employeur en liquidation judiciaire.

Dans le même sens, la cour d'appel de Reims a affirmé que le retard apporté au règlement de l'indemnité conventionnelle n'est pas de nature à remettre en cause la validité même de la rupture conventionnelle (CA Reims, 16 mai 2012, n° 11/00624 N° Lexbase : A5516ILU).


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) ; C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) ; Circ., DGT n° 2009-04, 17 mars 2009, relative à la rupture conventionnelle d'un contrat à durée indéterminée (N° Lexbase : L0486IDD). G. Auzero, L'accord du 23 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail : l'ébauche d'une "flexisécurité à la française", RDT, 2008, p. 152 ; P. Bouaziz et N. Collet-Thiry, La rupture conventionnelle du contrat de travail à durée indéterminée : mode d'emploi, Dr. ouvr., 2010, p.65 ; S. Chassagnard-Pinet, P.-Y. Verkindt, La rupture conventionnelle du contrat de travail, JCP éd. S, 2008, 1365 ; F. Favennec-Héry, La rupture conventionnelle, mesure phare de l'accord, Dr. soc., 2008, p. 314 et Rupture conventionnelle du contrat de travail : quel domaine ?, SSL, 2008, n° 2360, p. 12 ; E. Dockès, Un accord donnant, donnant, donnant, donnant..., Dr. soc., 2008, p. 283 ; X. Prétot, L'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative, Dr. soc., 2008, p. 316 ; S. Niel, Quelques aspects pratiques de la rupture conventionnelle, SSL, 2008, n° 2360, p. 8 ; v. les obs. de S. Tournaux, Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(2) R. Dalmasso, B. Gomel, D. Méda, E. Serverin et L. Sibaud, Des ruptures conventionnelles vues par des salariés - Analyse d'un échantillon de 101 ruptures conventionnelles signées fin 2010, Rapport final, Convention C007 avec la CFDT, juillet 2012 (LSQ, n° 16148 du 23 juillet 2012). L'étude montre qu'entre janvier 2011 et mars 2012, en moyenne, 22 500 ruptures ont été homologuées chaque mois, soit 794 000 à la fin du mois de mars 2012.
(3) Sur le contentieux de la rupture conventionnelle, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" ; sur les conséquences de la rupture conventionnelle, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(4) V. les obs. de S. Tournaux, préc..
(5) R. Dalmasso et alii, Des ruptures conventionnelles vues par des salariés - Analyse d'un échantillon de 101 ruptures conventionnelles signées fin 2010, Rapport final, préc., spéc., p. 17.
(6) CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 11 janv. 2012, n° 11/00555 (N° Lexbase : A2682IAL), F. Taquet, Des interrogations portant sur la rupture conventionnelle, JCP éd. A, n° 11, 15 mars 2012, 1188.
(7) CA Chambéry, 30 août 2012, n° 09/00188 (N° Lexbase : A0524IS9).
(8) CA Chambéry, ch. soc., 6 mars 2012, n° 10/02394 (N° Lexbase : A9427IDI).
(9) CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 3 avril 2012, n° 11/05043 (N° Lexbase : A1712IHU).
(10) Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-44.566, publié (N° Lexbase : A4889AG8).
(11) CA Poitiers, ch. soc., 28 mars 2012, n° 10/02441 (N° Lexbase : A6204IGU) ; T. Grumbach et E. Serverin, De l'abus dans le recours à la rupture conventionnelle. Le CPH des Sables d'Olonne ouvre la voie, SSL, 21 juin 2010, n° 1451.8-1 ; R. Dalmasso et alii, Des ruptures conventionnelles vues par des salariés - Analyse d'un échantillon de 101 ruptures conventionnelles signées fin 2010, Rapport final, préc., spéc., p. 32.
(12) CA Aix-en-Provence, 4 septembre 2012, n° 11/05759 (N° Lexbase : A2382ISZ).
(13) CA Lyon, ch. soc., 26 août 2011, n° 11/00551 (N° Lexbase : A3460HXG).
(14) CA Dijon, 12 juillet 2012, n° 11/00875 (N° Lexbase : A7267IQ9).
(15) CA Rennes, 8ème ch. prud., 23 mars 2012, n° 10/06873 (N° Lexbase : A3742IGP).
(16) Circ. DGT, n° 2009-04 du 17 mars 2009, 1.2, préc..
(17) CA Versailles, 6ème ch., 29 novembre 2011, n° 10/01979 (N° Lexbase : A3126H38), F. Taquet, Des interrogations portant sur la rupture conventionnelle, JCP éd. A, n° 11, 15 mars 2012, 1188.
(18) CA Lyon, ch. soc., sect. A, 7 mai 2012 N° Lexbase : A6878IKX) ; F. Bavozet, Validité de la rupture conventionnelle malgré l'existence d'un litige antérieur ou concomitant entre les parties, JCP éd. G, n° 26, 25 Juin 2012, 777 ; B. Mounier-Berail, Des questions toujours en suspens, RDT, n° 6, juin 2012, p. 336-337.
(19) R. Dalmasso et alii, Des ruptures conventionnelles vues par des salariés - Analyse d'un échantillon de 101 ruptures conventionnelles signées fin 2010, Rapport final, préc., spéc., p. 21 ; E. Serverin, La part du conflit dans le processus de rupture conventionnelle, RDT, n° 2, février 2012 p. 110.

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