La lettre juridique n°499 du 27 septembre 2012 : Éditorial

Le droit de vote des étrangers, fils de Typhon et d'Echidna

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Alors que l'actualité jurisprudentielle est moribonde, il est heureux, pour nous commentateurs, que l'actualité législative prenne le relais : sortie de son chapeau programmatique, le Gouvernement soulève un nouveau lièvre (après le mariage homosexuel), ou plutôt une Chimère trentenaire (proposition n° 80 du programme commun de 1981), le droit de vote des étrangers aux élections locales.

Les arguments de la majorité parlementaire ne manquent pas. Si, pour certains, il apparaît, sinon opportun, du moins légitime, que les étrangers participent à la vie de la cité dans laquelle ils évoluent et puissent élire leurs représentants au niveau local, d'autres arguent qu'ils devraient avoir "voix au chapitre", "payant des impôts comme les autres".

Accorder le droit de vote aux étrangers n'est pas, en soi, une bien grande originalité.

D'abord, chacun sait que les ressortissants communautaires ont ce droit, aux élections locales justement (et bien entendu aux élections européennes) ; et l'expliquer par une prétendue citoyenneté européenne que rien ne permet véritablement d'acter, semble pour le moins spécieux. On le justifiera alors, politiquement, par "une traduction de la communauté de destin liant la France à ses partenaires de l'Union européenne". En fait, la garantie d'une réciprocité de ce droit justifie-t-elle plus prosaïquement que l'exclusivité afférente à la nationalité française connaisse ainsi une première entorse (Directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, transposée en droit national par la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998, déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution). On notera, toutefois, que seuls 265 000 européens sont inscrits sur les listes électorales complémentaires municipales, sur une population totale de 1,8 million de ressortissants communautaires (moins de 15 %) : pas de quoi déséquilibrer le résultat des élections et risquer le communautarisme, en somme.

Ensuite, dans d'autres pays, notamment en Grande-Bretagne, en Espagne et au Portugal, les ressortissants de pays extérieurs à l'Union européenne ont le droit de vote. La Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et plusieurs cantons suisses octroient le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire depuis quelques années. Et, en Irlande, le droit de vote des étrangers est subordonné à une durée minimale de résidence et il est étendu aux référendums. Mais, si l'on se réfère à une étude du Cevipof, de 2007, la participation effective aux scrutins est faible : "Les données convergent pour évoquer la faiblesse de l'inscription électorale, une abstention souvent significative [...] et enfin une présence homéopathique des candidats et encore plus des élus étrangers". Là encore, la greffe électorale semble difficilement prendre.

Enfin, le droit de vote des étrangers est une question ancienne : la Constitution du 24 avril 1793, qui n'a jamais été appliquée, prévoyait, déjà, que "Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt-et-un ans accomplis, tout étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'Humanité est admis à l'exercice des Droits de citoyen français" ; le "droit de vote universel" selon les constitutionnalistes de l'époque -à l'exclusion de la moitié de l'Humanité, les femmes, donc !-. En 1988, si François Mitterrand ne s'y est pas risqué, c'est sans doute qu'il aurait mal vécu un pareil camouflet, l'échec du scrutin paraissant alors certain. Le 3 mai 2000, l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Mais, le Sénat, d'un autre bord politique, n'a pas suivi. Inversement, le 8 décembre 2011, par 173 contre 166, la Haute chambre a adopté une proposition de loi équivalente ; mais l'Assemblée nationale a rejeté le texte. L'alternance gouvernementale sera pour plus tard.

Au final, c'est plus une question de principe fondamental qu'un droit effectif et efficace que l'on tentera ainsi d'adopter, en Congrès, à Versailles, pour peu qu'une majorité se dégage. Toutefois, le Gouvernement ferait bien de relire, auparavant, Michelet, dont il vénère pourtant l'oeuvre tout entière : "en nationalité, c'est tout comme en géologie, la chaleur est en bas ; aux couches inférieures, elle brûle".

Alors, ne nous y trompons pas, à la vérité, la question du droit de vote des étrangers, même cantonnée aux élections locales, ne pose pas tant la question d'une extension de ce droit que d'une restriction des droits exclusifs liés à la nationalité. Excluons d'emblée le lien droit de vote/impôt : d'abord, il s'agirait, là, d'un retour honni et implicite au suffrage censitaire ; ensuite, il s'avère que tout le monde, sauf à être cloîtré et vivre en ermite, paye des impôts, ne serait-ce qu'indirects. Reste la volonté de détacher le destin d'une communauté de la question de la nationalité. Pourquoi pas ? On l'a vu, la chose est déjà actée au bénéfice des européens. Mais, en conséquence, quel droit demeure attaché à la nationalité française ?

L'intégration du corpus communautaire sur la liberté de circulation et la non-discrimination oblige la France a accorder peu ou prou l'ensemble des droits des nationaux aux ressortissants communautaires (intégration dans la fonction publique, équivalence de diplômes...), quand le droit fondamental de l'Union ou le droit conventionnel conduit la France à accorder, au nom des principes humanitaires, les droits sociaux aux simples résidents (à titre régulier ou non). La nationalité n'est ni sociale, ni fiscale, à peine électorale. Elle sert éventuellement à déterminer la loi applicable dans un cadre international (ex. C. civ., art. 309) ; elle permet l'acquisition d'un titre de reconnaissance de la Nation (C. pens. milit., art. L. 253 quinquies) ; elle permet d'être nommé assesseur des tribunaux des affaires de sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (CSS, art. L. 144-1) ; elle permet la souscription d'assurances sociales volontaires (CSS, art. L. 764-1, L. 765-3, etc.) ; elle permet d'être éligible auprès de la chambre de discipline des pharmaciens (C. santé pub., art. L. 4443-2) ; elle permet d'être admis dans la réserve civile de la police nationale, en qualité de volontaire (C. sécu. int., art. L. 411-9) ; mêmes les lycées de la défense réservés aux enfants de nationalité française sont désormais ouverts aux enfants de militaires de nationalité étrangère servant ou ayant servi dans les armées françaises (C. éduc., art. R. 425-7). Au total moins de 400 dispositions se réfèrent à la nationalité française, dont une grande partie au sein du Code civil (acquisition de la nationalité oblige), du Code des pensions militaires, invalidité et victimes guerre et, bien évidement au sein du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France. Mais combien de dispositions ont la valeur symbolique et la portée du droit de vote ?

La fin des nationalismes est assurément une bonne chose pour la démocratie et la paix ; mais, la nationalité demeure le plus petit dénominateur commun au sein d'une communauté de destin. Que restera-t-il de l'attractivité multi-séculaire de la nationalité française ? Une tradition historique, sans doute.

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