La lettre juridique n°506 du 22 novembre 2012

La lettre juridique - Édition n°506

Éditorial

Prétentions littéraires vs comportement parasitaire : et la brève juridique dans tout cela ?

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N4602BTM

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On a beau être éditeur et avoir le "nez dedans" toute la journée ; on a beau faire notre métier du mieux que l'on peut et se plier en quatre -en fait, en cinq- pour satisfaire les besoins informationnels et documentaires de nos lecteurs et néanmoins clients ; on a beau créer deux revues supplémentaires en deux ans et publier sept encyclopédies sur la même période ; on a beau se lever, chaque matin, à l'affût de l'information juridique et professionnelle, pour la relever, l'analyser, la contextualiser et la diffuser hors de son "jus", pour qu'elle puisse être remployée à des fins pratiques et professionnelles ; on a beau aimer son métier avec une passion rédactionnelle toute singulière : il est des lectures qui, parfois, nous ravissent l'esprit mais pas le coeur, nous autres éditeurs-journalistes-documentalistes et celle, ce matin, d'un arrêt de la cour d'appel de Paris, rendu le 9 novembre 2012, tout particulièrement.

La cour reconnaît l'investissement humain et financier considérable permettant la diffusion d'informations certaines et caractérisées et qu'il ne suffit pas d'ouvrir une brève par la mention "selon le journal X" pour s'autoriser le pillage quasi-systématique des informations de cet organe de presse. En se permettant cette facilité, la société exploitante du site litigieux s'épargne la charge de cet investissement et peut même en tirer un profit réel. Ainsi, en l'espèce, les reprises d'informations émanant d'un journal et de son site internet offrent au site en question une matière non négligeable sans laquelle les digressions personnelles de l'auteur des textes ne pourraient aussi bien prospérer. Ce faisant, cette société adopte un comportement parasitaire. Alors ça, c'est pour le volet indemnitaire.

Mais, comme Janus, le dieu aux deux visages, la cour adopte, en revanche, une position en matière de propriété intellectuelle pour le moins choquante. Elle estime, en effet, que, si le traitement de leur contenu est caractéristique d'un réel savoir faire, les articles et brèves repris ne sauraient, cependant, témoigner d'un véritable effort créatif et être considérés comme porteurs de la personnalité de leur auteur. Selon les juges parisiens, les brèves dont la teneur sans prétention littéraire ne permet pas à leur auteur, au demeurant inconnu, de manifester un véritable effort créatif lui permettant d'exprimer sa personnalité, et les articles, de moins de trente lignes décrivant des actualités, sans particularité stylistique et sans y ajouter d'éléments révélant sa personnalité, ne sont pas des oeuvres au sens des dispositions de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. Et, au final, la protection de ces textes au regard du droit d'auteur sera donc rejetée.

Est-il besoin d'aller plus loin ? Gratuites ou payantes, toutes les informations se valent ! Ce qui importe, c'est la "substantifique moelle" ; maintenant, le choix du traitement de l'information, le mode de traitement, la contextualisation à laquelle il est, pour le moins, difficile de "témoigner d'un véritable effort créatif" et de "porter la personnalité de l'auteur", tout cela est secondaire et ne mérite pas de protection particulière.

Pour jouer les égocentriques de service, on peut certainement considérer qu'un article de doctrine, du moins la majorité d'entre eux, répond aux canons du Code de la propriété intellectuelle. Une doctrine même partagée demeure personnelle et exprime avec force l'analyse et la conviction de son auteur. Mais, un site de documentation juridique se doit également de proposer une version "abrégée" de l'information et du droit. Est-ce à dire que ce travail, certain et de masse, ne génère pas de droits moraux susceptibles de protection légale ? C'est malheureusement à craindre.

On savait, déjà, que la donnée publique, en accès gratuit, n'avait aucune valeur sauf, étrangement, à la commercialiser auprès des éditeurs obligés de l'intégrer dans leurs bases de données. On apprend, désormais, que ces derniers sont dépossédés de leurs droits moraux sur une bonne partie de leurs corpus éditorial et que, sauf à adopter un comportement parasitaire, la reprise des informations qu'ils diffusent ne contrevient pas aux droits de la propriété intellectuelle. Autrement dit, reprenez une brève d'un éditeur juridique sur votre site, alors qu'aucune ressource financière n'en dépend véritablement, directement ou indirectement, et vous êtes blanchi -sans avoir sacrifié aux travaux guerriers-.

Si la valeur ajoutée d'un éditeur juridique c'est assurément ses auteurs et la doctrine qu'il publie, la mise en oeuvre de cette doctrine nécessite un tri et un premier travail rédactionnel pour décanter l'essor inflationniste de l'information juridique. Il s'agirait là d'une oeuvre commerciale protégée par le droit de la concurrence et non d'une oeuvre intellectuelle : dont acte. Mais, cela ne nous empêchera pas d'y apporter un soin rédactionnel et stylistique tout particulier pour une meilleure lisibilité et intelligibilité.

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] La responsabilité pénale de la personne morale utilisatrice d'un travailleur temporaire

Réf. : Cass. crim., 2 octobre 2012, n° 11-85.032, F-P+B (N° Lexbase : A3334IWE)

Lecture: 10 min

N4543BTG

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 22 Novembre 2012

La protection de la sécurité et de la santé des salariés dans les entreprises fait l'objet d'un vaste arsenal législatif, tant sur le plan de la prévention des dommages, de la réparation des préjudices subis que sur la sanction des infractions pénales éventuellement commises. Par un arrêt rendu le 2 octobre 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation revient sur plusieurs aspects des responsabilités civile et pénale de l'entreprise utilisatrice d'un travailleur temporaire lorsque celui-ci subit une atteinte à son intégrité physique (I). Si la Chambre criminelle se contente de rappeler des règles déjà connues s'agissant de la responsabilité pénale des personnes morales en général et s'agissant de l'inapplicabilité des règles de droit commun de la responsabilité civile en matière d'accident du travail, elle apporte en revanche une utile précision quant à la répartition de la responsabilité pénale entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire (II).
Résumé

L'entreprise utilisatrice, qui n'était pas l'employeur de la victime, était chargée au sens de l'article L. 1251-21 du Code du travail (N° Lexbase : L1561H9P), relatif au travail intérimaire, d'assurer à son égard la sécurité au travail.

Selon les articles 121-2 (N° Lexbase : L3167HPY), 121-3 (N° Lexbase : L2053AMY) et 222-19 (N° Lexbase : L3401IQZ) du Code pénal, les personnes morales sont responsables pénalement de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants ayant entraîné une atteinte à l'intégrité physique du délit de blessures, alors même qu'en l'absence de faute délibérée ou caractérisée au sens de l'article 121-3, alinéa 4, dudit code, la responsabilité des personnes physiques ne pourrait être recherchée.

Aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne pouvant, en dehors des cas prévus par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4467ADS), être exercée conformément au droit commun par la victime contre l'employeur et le dirigeant de l'entreprise utilisatrice, ou leurs préposés, la juridiction répressive n'est pas compétente pour statuer sur la responsabilité civile en la matière.

Commentaire

I - L'engagement de la responsabilité pénale de l'entreprise utilisatrice d'un travailleur temporaire

  • Les instruments de lutte contre les atteintes à la santé et à la sécurité

Les moyens mis en oeuvre par le droit aux fins de protéger le salarié contre les atteintes à sa santé et à sa sécurité ont été multipliés depuis quelques années.

Dès la fin du 19ème siècle, c'est la réparation des accidents du travail par le "compromis historique" qui avait été mise en place. Il n'était plus désormais nécessaire de rechercher une quelconque faute de l'employeur, l'indemnisation était automatique, en contrepartie de quoi cependant, la réparation était forfaitaire.

Sur le plan civil, les dix dernières années ont vu se développer une obligation de sécurité de résultat dont l'objectif est davantage celui de la prévention que celui de la réparation. L'employeur est responsable du manquement à cette obligation lorsque la santé ou la sécurité du salarié est mise en péril. Le manquement à cette obligation permet le plus souvent au salarié d'obtenir la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur (1).

Outre ces volets prévention et réparation, existe encore un volet sanction assuré cette fois par le droit pénal du travail.

  • La sanction des atteintes à la santé et à la sécurité

Sur le plan pénal, les atteintes à la santé et à la sécurité du salarié sont réprimées par deux catégories de textes.

D'abord, par les articles L. 4741-1 (N° Lexbase : L3367IQR) et L. 4741-9 (N° Lexbase : L9717ICU) du Code du travail qui punissent l'employeur, son délégataire ou toute personne qui manquerait aux règles de sécurité imposées par le Code du travail (2). Ces infractions issues du Code du travail ont une vocation préventive, sanctionnant le manquement à des règles de sécurité sans pour autant que cela ne soit nécessairement matérialisé par des atteintes à la santé du salarié.

Ensuite, les infractions communes du Code pénal sont également applicables et, en particulier, les délits d'atteinte involontaire à la vie et d'atteinte involontaire à l'intégrité physique issus des articles 221-6 (N° Lexbase : L3402IQ3), 221-7 (N° Lexbase : L2183IEL), 222-19, 222-20 (N° Lexbase : L3400IQY) et 222-21 (N° Lexbase : L2046IEI) du Code pénal. Ces infractions ont, cette fois, davantage pour objet de réprimer des atteintes effectives à la santé du salarié et non, seulement, des manquements aux règles de sécurité (3).

S'agissant de délits non intentionnels, la responsabilité pénale peut être engagée, comme le prévoit l'article 121-3 du Code pénal, en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

  • La personne morale, auteur de l'infraction aux règles de santé et de sécurité

Avant l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal en 1994, seules les personnes physiques pouvaient subir une condamnation pénale. Il s'agissait alors du chef d'entreprise ou du chef d'établissement, voire du délégataire de pouvoir si une telle délégation avait eu lieu. Aujourd'hui, la responsabilité pénale des personnes morales peut parfaitement être recherchée (4).

S'agissant en particulier des questions de santé et de sécurité, la personne morale employeur (une association, une société, etc.) peut être condamnée pour atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique des personnes. Les sanctions encourues sont variées et dressées par l'article 131-39 du Code pénal (N° Lexbase : L7261IMU) : dissolution, interdiction d'exercer certaines activités, placement sous surveillance judiciaire, amendes, etc.

  • Multiplicité de personnes morales susceptibles d'être prévenues

La question de la responsabilité pénale de la personne morale employeur connaît deux difficultés particulières.

La première tient à la coresponsabilité pénale entre la personne morale et la personne physique qui la représente. Est-il nécessaire, pour que la personne morale puisse être condamnée, que la personne physique qui la représente se soit elle aussi rendue coupable de l'infraction ?

On se souviendra, en effet, qu'en cas de manquement à une obligation de prudence, de diligence ou de sécurité d'une personne physique, la responsabilité pénale de celle-ci ne peut être engagée qu'à la condition qu'elle ait "violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer" (5). Pour résumer, sans violation manifeste d'un devoir de prudence, sans faute caractérisée de la personne physique, sa responsabilité pénale pour manquement à une obligation de prudence, de diligence ou de sécurité ne peut être engagée. Cependant, le dernier alinéa de l'article 121-2 du Code pénal dispose que "la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3". Il en découle donc que la responsabilité pénale de la personne morale devrait être engagée en même temps que la responsabilité de la personne physique auteur ou complice des mêmes faits, sauf dans le cas où la responsabilité pour faute non intentionnelle de la personne physique ne peut être recherchée.

Une seconde difficulté apparaît lorsque plusieurs personnes morales sont impliquées dans une même infraction. En matière de santé et de sécurité au travail, l'hypothèse type est celle d'un salarié mis à disposition par une entreprise à une autre entreprise (ex. sous-traitance). Dans ce cas de figure, deux employeurs ont théoriquement manqué à leur obligation de sécurité, l'entreprise prêteuse d'une part, l'entreprise utilisatrice d'autre part.

Des réponses ont déjà été apportées par la Cour de cassation s'agissant des infractions aux règles de sécurité prévues par le Code du travail. Dans ce cas de figure, la Haute juridiction considère que c'est sur l'entreprise utilisatrice que pèse la responsabilité de l'obligation de sécurité si bien que c'est elle qui doit être condamnée pour commission des délits prévus par les articles L. 4741-1 (N° Lexbase : L3367IQR) et L. 4741-9 (N° Lexbase : L9717ICU) du Code du travail (6). Une solution identique a été adoptée en matière de travail temporaire (7).

La question demeurait, en revanche, en suspens s'agissant de la commission de l'infraction d'atteinte involontaire à l'intégrité physique d'une personne prévue par le Code pénal et non par le Code du travail. La réponse est plus délicate car, contrairement au Code du travail qui prévoit une répartition de la charge de l'obligation de sécurité entre les différents intervenants (8), le Code pénal ne procède pas à une telle répartition. C'est notamment sur cette question que l'arrêt de la Chambre criminelle présenté prend position.

  • Espèce

Un salarié intérimaire avait été chargé de travaux de gros oeuvre sur le chantier d'un immeuble en construction. Il se blessa en faisant une chute à travers une ouverture non protégée sur la terrasse de l'immeuble alors qu'il procédait à des opérations de nettoyage.

La société utilisatrice ainsi qu'un de ses salariés délégataire de pouvoir furent poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires. Le délégataire de pouvoir fut relaxé au motif qu'il n'avait pas commis de faute qualifiée telle qu'exigée par l'alinéa 4 de l'article 121-3 du Code pénal. En revanche, la responsabilité de la société fut engagée en retenant que l'ouverture sur la terrasse n'avait pas été obturée par un dispositif de sécurité suffisamment efficace et que ce manquement, imputable à un organe ou à un représentant de la société était à l'origine de l'accident.

Plusieurs pourvois furent formés, dont l'un introduit par la société utilisatrice. La société estimait, spécialement, que la faute simple de la personne physique ne pouvait permettre d'engager la responsabilité de la personne morale au sens de l'article 121-2 du Code pénal, que la commission d'une infraction par cette personne physique organe ou représentant de la société était nécessaire. Elle estimait, encore, que n'étant pas l'employeur du salarié victime, seule la responsabilité pénale de l'employeur, c'est-à-dire de l'entreprise de travail temporaire, pouvait être engagée. Enfin, la société utilisatrice contestait l'absence de réponse des juridictions du fond sur sa responsabilité civile et, en particulier, sur l'éventuelle existence d'une faute de la victime de nature à contribuer à la réalisation du dommage et, donc, à réduire sa responsabilité.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi par un arrêt rendu le 2 octobre 2012. Elle répond méthodiquement à chacun des moyens formulés.

Elle énonce, d'abord, "que la société [...], qui n'était pas l'employeur de la victime, était chargée, en tant qu'entreprise utilisatrice au sens de l'article [...] L. 1251-21 du Code du travail relatif au travail intérimaire, d'assurer à son égard la sécurité au travail".

Elle poursuit en disposant que "selon les articles 121-2, 121-3 et 222-19 du Code pénal, les personnes morales sont responsables pénalement de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants ayant entraîné une atteinte à l'intégrité physique du délit de blessures, alors même qu'en l'absence de faute délibérée ou caractérisée au sens de l'article 121-3, alinéa 4, dudit code, la responsabilité des personnes physiques ne pourrait être recherchée"

Enfin, quant à la responsabilité civile, la Chambre criminelle juge "qu'aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne pouvant, en dehors des cas prévus par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, être exercée conformément au droit commun par la victime contre l'employeur et le dirigeant de l'entreprise utilisatrice, ou leurs préposés, la juridiction répressive n'est pas compétente pour statuer sur la responsabilité civile en la matière".

II - Responsabilité pénale des personnes morales : entre rappels et innovations

  • Des solutions classiques

Le traitement apporté par la Chambre criminelle aux deuxième et troisième questions n'est pas surprenant puisqu'il reprend des positions classiques de la Cour de cassation.

La Chambre criminelle réaffirme, d'abord, qu'une personne morale peut être pénalement responsable du fait de ses organes ou de ses représentants quand bien même ces organes ou représentants n'auraient pas commis une faute qualifiée ou délibérée au sens de l'article 121-3 alinéa 4 du Code pénal. Cette interprétation avait déjà été adoptée en 2000 dans une affaire relativement proche (9). Elle est, en outre, parfaitement en accord avec l'esprit de la loi du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels qui avait vocation à accroître, dans ce genre de cas, la responsabilité pénale de la personne morale au détriment de celle des personnes physiques en cas d'absence de faute délibérée ou caractérisée de ces dernières (10).

Sur le troisième point, la Chambre criminelle réaffirme que les règles de réparation des accidents du travail issues du Code de la Sécurité sociale excluent toute application des règles de droit commun de la responsabilité civile. Là encore, la Chambre criminelle avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur cette question (11). Sa position est en parfait accord avec celle adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui refuse que les conseils de prud'hommes puissent connaître de la question de la réparation des préjudices subis du fait de la survenance d'un accident du travail (12). Là encore, la solution est logique.

En effet, quand bien même le Conseil constitutionnel a exigé que l'ensemble des préjudices subis par un salarié en raison d'un accident de travail soient réparés en cas de faute inexcusable de l'employeur (13), cette atteinte au compromis historique entre caractère automatique et caractère forfaitaire de la réparation ne le remet pas intégralement en cause. La réparation des accidents du travail, malgré ce que l'on écrit parfois, demeure aujourd'hui une responsabilité spéciale exclusive des règles de droit commun (14).

La décision de la Chambre criminelle reste plus innovante sur le premier point abordé.

  • Une position innovante : responsabilité pénale de la personne morale et travail temporaire

Comme nous l'avons vu, la Chambre criminelle s'était déjà prononcée sur la responsabilité de l'entreprise utilisatrice en cas de violation des règles de sécurité dont celle-ci à la charge. Dans ce cas, en effet, la responsabilité pénale de l'entreprise de travail temporaire semblait ne pouvoir être recherchée.

Cette position est confirmée, par analogie, s'agissant du délit de blessures involontaires incriminé par le Code pénal : la personne morale coupable de ce délit est la société utilisatrice et non la société de travail temporaire alors même que celle-ci demeure l'employeur du salarié (15).

A première vue, cette solution peut surprendre. En effet, rappelons que la Chambre sociale a posé, il y a quelques mois, le principe d'une double obligation de sécurité dont le salarié intérimaire est créancier, l'une à l'égard de l'entreprise de travail temporaire, l'autre à l'égard de l'entreprise utilisatrice (16). Intuitivement, on pourrait donc penser que chacune des deux entreprises devrait pouvoir être tenue pour responsable pénalement d'une atteinte à la santé du salarié. Pourtant, un tel raisonnement ne peut être retenu.

Rappelons, d'abord, qu'aucune infraction pénale ne vient sanctionner le manquement à l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur par l'article L. 4121-1 du Code du travail. Or, c'est bien cette obligation qui a été dédoublée entre entreprise utilisatrice et entreprise de travail temporaire. Ce n'est donc que sur le plan civil que la responsabilité commune des deux entreprises peut être engagée et non sur le plan pénal.

Au plan pénal, au contraire, l'auteur personne morale de l'infraction de blessures involontaires est nécessairement celui dont les "organes" ou les "représentants" ont, par leur faute non intentionnelle, indirectement causé le dommage. Le délégataire de pouvoir de l'entreprise utilisatrice n'est en aucun cas un organe ou un représentant de l'entreprise de travail temporaire. Par voie de conséquence, la qualité d'employeur de la victime de cette entreprise est totalement indifférente. Le manquement à l'obligation de sécurité qui permet d'identifier l'élément moral de l'infraction de blessures volontaires est imputable à la personne morale dont les organes ont commis une faute, même non délibérée, même non caractérisée.


(1) V. nos obs., L'intensité de l'obligation de sécurité de l'employeur : un traitement aux effets mal mesurés, Dr. ouvr., 2012, p. 571.
(2) On relèvera que le manquement à l'obligation de sécurité de résultat imposée par l'article L. 4121-1 du Code du travail n'entre pas dans le champ de l'élément matériel de l'infraction.
(3) Sur cette répartition des rôles entre code du travail et code pénale en matière de sécurité et de santé, v. D. Rebut, Le droit pénal de la sécurité au travail, Dr. soc., 2000, p. 981.
(4) V. A. Coeuret, Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales, RJS, 2006, p. 843.
(5) C. pén., art. 121-3 (N° Lexbase : L2053AMY).
(6) Condamnation du délégataire de pouvoir de l'entreprise utilisatrice, v. Cass. crim., 28 octobre 2003, n° 03-80.379, inédit (N° Lexbase : A1552IXR).
(7) Cass. crim., 19 décembre 2000, n° 00-80.479, publié (N° Lexbase : A2135CIW).
(8) C. trav., art. L. 1251-21 (N° Lexbase : L1561H9P) pour l'entreprise utilisatrice d'un travailleur temporaire ; C. trav., art. R. 4511-5 (N° Lexbase : L0201IAP) pour la responsabilité de l'entreprise utilisatrice en cas de mise à disposition d'un salarié par une entreprise extérieure.
(9) Cass. crim., 24 octobre 2000, n° 00-80.378, publié (N° Lexbase : A3695AUE), D., 2002. Jur. 514, note J.-C. Planque.
(10) Circ. CRIM 2000-9 F1, 11 octobre 2000, BO min. just. n° 80, 1er oct. 31 déc. 2000, point III-2.
(11) V. par ex. Cass. crim., 13 septembre 2005, n° 04-85.736, F-P+F (N° Lexbase : A5280DKR).
(12) Cass. soc., 30 septembre 2010, n° 09-41.451, FP-P+B (N° Lexbase : A7627GAQ) et les obs. de Ch. Willmann, L'action en réparation d'un accident du travail ne peut être exercée devant la juridiction prud'homale, Lexbase Hebdo n° 412 du 14 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2822BQL).
(13) Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC (N° Lexbase : A9572EZK) et les obs. de Ch. Willmann, Le régime de la réparation de la faute inexcusable renvoyé par la Cour de cassation devant le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N3082BPT).
(14) V. par ex. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, n° 981 qui estime que le régime actuelle de la faute inexcusable constitue une "résurgence" de la responsabilité civile de droit commun.
(15) Pour un rappel sans équivoque de la qualité d'employeur de l'entreprise de travail temporaire, v. Cass. soc., 31 octobre 2012, n° 11-21.293, FS-P+B (N° Lexbase : A3368IWN) et nos obs., Le paiement du salaire du travailleur temporaire, Lexbase Hebdo n° 505 du 15 novembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N4440BTM).
(16) Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 08-70.390, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6258GMQ) et les obs. de Ch. Radé, Les travailleurs temporaires bénéficiaires d'une double obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 422 du 6 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0343BR7).

Décision

Cass. crim., 2 octobre 2012, n° 11-85.032, F-P+B (N° Lexbase : A3334IWE)

Rejet, CA Paris, 6ème ch., sect. 1, 31 mai 2011

Textes visés : néant

Mots-clés : travail temporaire, blessures involontaires, responsabilité pénale, responsabilité de la personne morale, responsabilité de l'entreprise utilisatrice

Liens base : (N° Lexbase : E2829ETX)

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2012

Lecture: 13 min

N4505BTZ

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Le 22 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, l'auteur a choisi de s'arrêter, tout d'abord, sur un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 octobre 2012, promis aux honneurs du Bulletin, relatif aux les limites temporelles à l'introduction d'une action en extension sur le fondement de la confusion des patrimoines. Par ailleurs, le Professeur Le Corre revient, dans le cadre de cette chronique, sur un autre arrêt de première importance et évidemment publié au Bulletin, rendu par la même formation le 30 octobre 2012, dans lequel la Haute juridiction énonce qu'il résulte de la combinaison des articles L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, R. 622-21, alinéa 1er, et R. 622-24, alinéa 1er, du même code, dans leur rédaction issue du décret du 28 décembre 2005, que ne peut encourir de forclusion, le créancier titulaire d'une sûreté publiée qui a déclaré sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC, peu important qu'il ait été averti personnellement avant cette publication par le liquidateur d'avoir à déclarer sa créance.
  • Les limites temporelles à l'introduction d'une action en extension sur le fondement de la confusion des patrimoines (Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.086, F-P+B N° Lexbase : A7150IUD)

La loi ne contient pas de limitation temporelle à l'introduction d'une action en extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines. Spécialement, il convenait de remarquer, par contraste avec la solution posée sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR), que la prescription triennale instituée par l'article L. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7044AIQ anciennement L. 25 janvier 1985, art. 182) intéressant, le redressement et la liquidation judiciaires personnels à titre de sanction, que l'on avait coutume de qualifier abusivement d'extension de procédure, était ici sans application (1).

La jurisprudence a toutefois introduit deux types de butoirs temporels à l'introduction d'une action en extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines. Ils tiennent, d'une part, aux faits justifiant l'extension et, d'autre part, à l'avancement des procédures, non seulement celle atteignant éventuellement déjà la cible de l'extension, mais encore celle intéressant la personne dont la procédure doit être étendue.

Ces deux séries de problèmes sont au centre d'un arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2012, appelé à la publication au Bulletin.

En l'espèce, une société A. est placée en redressement judiciaire, M. T. étant désigné représentant des créanciers. La procédure ouverte contre cette société est étendue sur le fondement de la confusion des patrimoines à quatre filiales. Un plan de continuation est arrêté, puis résolu au cours de l'année 2006. La liquidation des cinq sociétés est prononcée, M. T. étant désigné liquidateur.

Une autre société C. avait été placée en redressement judiciaire au cours de l'année 2003, sa procédure s'étant terminée par un plan de cession totale. En 2008, M. T., le liquidateur des cinq premières sociétés, assigne la société C. en extension de la liquidation judiciaire sur le fondement de la confusion des patrimoines. Le pouvait-il ? En d'autres termes, était-il recevable en son action ?

Non, répond la Cour de cassation, approuvant la solution de la cour d'appel de Bordeaux CA Bordeaux, 14 juin 2011, n° 09/05927 N° Lexbase : A7750HT9), qui avait identiquement déclaré irrecevable le liquidateur : "après avoir énoncé que la procédure de liquidation judiciaire prononcée sur résolution du plan de redressement, soumise aux dispositions de la loi du 26 juillet 2005, est une procédure distincte de la précédente procédure de redressement judiciaire, et constaté que les flux financiers anormaux entre les deux sociétés concernées dont se prévalait Me [T.], es qualités pour solliciter l'extension de la procédure se sont produits dans les années 1995 à 2002, soit avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [A.], la cour d'appel a déduit exactement que le liquidateur nommé dans la dernière procédure ne tenait en aucun cas ses pouvoirs de la précédente procédure et qu'il ne pouvait agir en extension de la procédure dès lors qu'un plan de cession avait été adopté".

On sait que, selon une jurisprudence aujourd'hui bien établie, l'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ne peut avoir pour fondement que des faits antérieurs à la procédure étendue (2). Si certains faits sont antérieurs au jugement d'ouverture et d'autres postérieurs, seuls les premiers seront pris en compte (3).

En l'espèce, l'extension de la procédure aurait incontestablement pu intervenir dans le cadre de la première procédure ouverte, puisque les flux financiers anormaux ayant existé entre les personnes morales dataient d'une période comprise entre 1995 et 2002, soit antérieurement à l'ouverture de la première procédure, donc antérieurement à l'extension envisageable de cette même procédure. Mais le représentant des créanciers de la société A. s'était abstenu d'agir avant l'adoption du plan de continuation des cinq sociétés à patrimoines confondus.

Une fois le plan de continuation adopté, l'extension de la procédure devient impossible. La solution s'explique aisément dès lors que l'on observe que le débiteur, par l'adoption de son plan, redevient maître de ses droits. Sa procédure collective est terminée. Logiquement, elle ne peut donc plus être étendue. La solution se justifie encore par les effets de l'extension, qui impliquent un traitement unitaire appliqué aux personnes auxquelles la procédure a été étendue. C'est pourquoi il est jugé classiquement que si l'assignation en extension peut prospérer même après réalisation des actifs du débiteur (4), elle ne peut cependant plus intervenir après arrêté d'une solution de plan contre la personne morale en redressement judiciaire (5), ou clôture de la liquidation judiciaire (6).

Que se passe-t-il si le plan de continuation unique adopté au profit des sociétés à patrimoines confondus est résolu avec ouverture d'une liquidation judiciaire ?

Il faut d'abord préciser que la résolution d'un plan unique joue de façon indivise. Il n'est donc pas question de laisser subsister, pour certaines sociétés, le plan, alors qu'il serait résolu pour d'autres. Il est résolu uniformément pour toutes.

Sous l'empire du 25 janvier 1985, la résolution du plan entraîne ouverture obligatoire d'une procédure de liquidation judiciaire, sans qu'il soit besoin de constater l'état de cessation des paiements. C'est un effet obligatoire de la résolution du plan. C'est, semble-t-il, implicitement la solution qui a été adoptée en l'espèce, alors qu'elle ne s'imposait pas. Pourquoi ? Parce que la résolution des plans de continuation intervenant après le 1er janvier 2006 obéit au régime de la loi de sauvegarde des entreprises (loi du 26 juillet 2005, art. 191-2° N° Lexbase : L5150HGT). Aussi, appartenait-il au tribunal, saisi de la résolution du plan de continuation, de se demander s'il y avait cessation des paiements au moment où il prononçait la résolution du plan. Cette cessation des paiements devait être appréciée au niveau de l'ensemble constitué par les sociétés à patrimoines confondus, et non société par société, dans la mesure où avant le prononcé de la résolution du plan, la confusion des patrimoines subsiste. Cette question n'a, semble-t-il, pas été abordée en l'espèce. Elle ne transparaît, en tout cas, pas des faits de l'espèce.

Après la résolution du plan, la confusion des patrimoines cesse, sauf à la juridiction saisie de caractériser, après l'adoption du plan, de nouvelles relations financières anormales justifiant une nouvelle extension.

Lorsque la liquidation judiciaire est ouverte après résolution d'un plan de continuation ou de redressement, il est question d'ouverture d'une nouvelle procédure et non pas d'une simple conversion de procédure. La Cour de cassation le rappelle ici pour en tirer cette conséquence que seuls des faits postérieurs à l'ouverture de la première procédure -en l'occurrence l'ouverture du redressement judiciaire de la société A.-, mais antérieurs à l'ouverture de la seconde procédure, peuvent justifier l'extension de la procédure de liquidation judiciaire. Le liquidateur de la société A., initialement représentant des créanciers de la société A. et des quatre filiales à patrimoines confondus avec la société A., était juridiquement devenu le liquidateur de cinq sociétés ayant retrouvé chacune leur autonomie patrimoniale, ayant cessé d'être sous patrimoines confondus, du fait de la résolution du plan. Il ne pouvait agir en extension de procédure sur le fondement de faits antérieurs à l'ouverture de la première procédure. L'autonomie des procédures collectives y faisait obstacle, peu important que ce liquidateur fût physiquement l'ancien représentant des créanciers. La solution aurait été toute différente si le redressement judiciaire initial des sociétés à patrimoines confondus avait été converti en liquidation judiciaire, sans passage par un plan de continuation. En ce cas, le liquidateur aurait été le continuateur du représentant des créanciers, alors même qu'il se serait agi d'une personne physique distincte, et aurait disposé des mêmes prérogatives que lui. Il aurait donc pu, pendant la liquidation judiciaire, agir en extension contre la société C., en fondant sa demande sur des faits de confusion antérieurs à l'ouverture de la seule procédure collective ouverte, le redressement judiciaire, car conversion n'est pas ouverture.

Rien n'interdit d'étendre la procédure ouverte contre le débiteur à une personne déjà en liquidation judiciaire, dès lors que ce débiteur dont il est question d'étendre la procédure est lui-même en liquidation judiciaire (7). Observons, en revanche, qu'il n'est pas admis d'étendre la procédure de redressement judiciaire à une personne déjà en liquidation judiciaire (8). Il s'agit par là d'éviter d'étendre une solution définitive -la liquidation judiciaire- à une personne qui ne fait pas l'objet d'une solution définitive, la période de redressement judiciaire étant une solution d'attente (9).

Terminons en faisant observer que la loi de sauvegarde des entreprises fait naître une nouvelle difficulté : lorsque la procédure à étendre sera une sauvegarde, dès lors que la personne à laquelle la procédure doit être étendue est en redressement ou en liquidation judiciaire. En ce cas, en effet, la procédure à étendre présupposera l'absence d'état de cessation des paiements, alors que les personnes auxquelles la procédure doit être étendue sont déjà en cessation de paiements. Il faut alors, semble-t-il, s'interroger pour savoir si l'ensemble, qui est constitué par les personnes dont la procédure deviendrait ainsi unique, est ou non en cessation de paiements. Si tel est le cas, la procédure de sauvegarde initiale semble devoir être convertie en redressement judiciaire à l'occasion du jugement d'extension (10). Au contraire, s'il n'y a pas cessation de paiements, seule la procédure de sauvegarde semble devoir être poursuivie unitairement.

  • Le point de départ du délai de déclaration de créance du créancier titulaire d'une sûreté publiée en présence d'une publication au Bodacc du jugement d'ouverture postérieure à l'avertissement personnel d'avoir à déclarer (Cass. com., 30 octobre 2012, n° 11-22.836, FS-P+B N° Lexbase : A3405IWZ)

La loi du 25 janvier 1985, toute empreinte de dogmatisme tendue vers le sauvetage à tout prix des entreprises en difficulté, constituait un rouleau compresseur pour les créanciers, fussent-ils titulaires de sûretés spéciales.

En ce sens, il avait pu être jugé, dans une première phase de la jurisprudence, que le représentant des créanciers n'engageait pas sa responsabilité à ne pas avertir un créancier titulaire de sûreté publiée. Ce créancier n'était pas au rang des créanciers connus, dès lors que le débiteur n'avait pas indiqué son existence au représentant des créanciers. Ce dernier n'avait donc pas l'obligation de l'avertir d'avoir à déclarer sa créance (11).

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7) est venue corriger le déséquilibre patent de la législation et a marqué sa compassion pour les créanciers titulaires de sûreté publiée, généralement des établissements de crédit, comme elle a entendu protéger le crédit-bailleur titulaire d'un contrat publié. Pour cela, elle a créé le mécanisme dit de l'inopposabilité de la forclusion.

L'article L. 621-46, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6898AIC) disposait en ce sens que "la forclusion n'est pas opposable aux créanciers mentionnés dans la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-43(N° Lexbase : L6704DAK), dès lors qu'ils n'ont pas été avisés personnellement". L'alinéa 3 de l'article 66 du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5358A49), dans la rédaction que lui a donnée le décret du 21 octobre 1994, prévoit que "les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication ou d'un contrat de bail publié sont avertis par lettre recommandée avec demande d'avis de réception". L'alinéa 1er du même article indique que "le représentant des créanciers, dans le délai de quinze jours à compter du jugement d'ouverture, avertit les créanciers connus d'avoir à lui déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc". Il semble ainsi que les créanciers titulaires de sûretés publiées doivent être avertis dans le délai de 15 jours du jugement d'ouverture d'avoir à déclarer leur créance.

Interprétant ce texte, la Cour de cassation a jugé que le délai de déclaration de créance ne commençait à courir qu'à compter de l'avertissement (12).

La loi de sauvegarde des entreprises a clairement entendu reprendre la solution posée par la Cour de cassation et a posé en règle, à l'article L. 622-24, alinéa 1er, in fine (N° Lexbase : L3455ICX), que le point de départ du délai de déclaration de la créance court à compter de l'avertissement.

Pour le surplus, le décret du 28 novembre 2005 (décret n° 2005-1677 N° Lexbase : L3297HET) a fidèlement reproduit à l'alinéa 1er de l'article R. 622-21 (N° Lexbase : L9260ICX) l'obligation pour le mandataire judiciaire, dans le délai de quinze jours à compter du jugement d'ouverture, d'avertir les créanciers connus d'avoir à lui déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc et a repris, à l'alinéa 3 du même article, le principe d'avertissement personnel en la forme recommandée.

Le texte de l'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce ne prend cependant pas le soin de préciser davantage. Ainsi, selon sa lettre, il semble bien que le seul point de départ du délai de déclaration de créance concevable pour le créancier titulaire d'une sûreté publiée ou d'un contrat publié soit l'avertissement.

Inévitablement, la question devait, dès lors, se poser de savoir quel point de départ du délai de déclaration de créance il fallait adopter lorsque l'avertissement par le mandataire judiciaire ou le liquidateur précédait la publication au Bodacc du jugement d'ouverture : cette publication ou l'avertissement ?

C'est la question qui a été soumise à la Cour de cassation, qui y répond par un arrêt de première importance, évidemment appelé à la publication au Bulletin, du 30 octobre 2012.

La Cour de cassation répond que "il résulte de la combinaison de ces textes [C. com., art. L. 622-24, al. 1er, R 622-21, al. 1er et R. 622-24, al. 1er (N° Lexbase : L0896HZ9)] que ne peut encourir de forclusion, le créancier titulaire d'une sûreté publiée qui a déclaré sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc, peu important qu'il ait été averti personnellement avant cette publication par le liquidateur d'avoir déclarer sa créance".

C'est l'interprétation que nous avions retenue (13), suivi en cela par le Service de documentation et d'études de la Cour de cassation (14), puis par un autre auteur (15) et par une partie des juridictions du fond (16).

Ce faisant, la Cour de cassation censure un arrêt de la cour d'appel de Rennes, qu'une doctrine qui nous est chère avait commenté dans ces mêmes colonnes (17). La cour d'appel avait fait une application littérale du texte de l'article L. 622-24, alinéa 1er, pour considérer que le délai de déclaration de créance courait à compter de l'avertissement, peu important que cet avertissement soit antérieur à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture.

Cet arrêt avait été sévèrement critiqué. Il méconnaissait complètement l'historique de la disposition, héritière directe du mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion.

Comme il a été rappelé, au départ, l'idée était de protéger le titulaire d'une sûreté publiée ou d'un contrat de crédit-bail publié, contre une forclusion au titre du délai classique de déclaration de créance. Le législateur avait estimé que ces créanciers, du fait de la publicité entourant soit leur sûreté soit leur contrat, devaient nécessairement être avertis d'avoir à déclarer leur créance. Il s'agissait clairement de combattre la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle le titulaire d'une sûreté publiée n'avait pas à être obligatoirement averti par le représentant des créanciers. Tant que le créancier n'était pas personnellement averti, il ne pouvait encourir de forclusion.

Traduisant à sa façon cette idée, la Cour de cassation devait énoncer que le délai de déclaration de créance se trouvait décalé au jour de l'avertissement. Très clairement, dans l'esprit de la Cour de cassation, il s'agissait d'instituer un délai supplémentaire de déclaration des créances. Cet avertissement ne pouvait constituer qu'une protection et, par voie de conséquence, le délai de déclaration de créance ne pouvait qu'être allongé, par la disposition protectrice. D'ailleurs, sous l'empire de la loi du 10 juin 1994, la question au centre de l'arrêt ne pouvait se poser, car il n'y avait, dans les textes, qu'un seul délai de déclaration des créances : le délai de deux mois courant à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture.

Ce n'est donc qu'à la suite de la maladresse du législateur, en 2005, partant du postulat erroné que la publication au Bodacc serait toujours antérieure à l'avertissement (18), qui a voulu officialiser, dans la loi, l'interprétation de la Cour de cassation, que le texte a permis l'interprétation retenue par la cour d'appel de Rennes.

Ne pouvait donc être suivie l'opinion qui consistait à considérer que le délai de déclaration de créance commencerait à courir à compter de l'avertissement, même si ce dernier était antérieur à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture, ce qui aurait eu alors pour effet de raccourcir les délais de déclaration de créance (19).

Cette opinion oubliait, qu'au-delà de la lettre du texte, il y avait son esprit. Il était question et uniquement question de protéger une certaine catégorie de créanciers -en 1994, les titulaires de sûretés publiées et les crédits-bailleurs, puis, en 2005, outre les titulaires de sûretés publiées, les titulaires de contrats publiés-. La disposition ne pouvait donc se retourner contre ceux qu'elle entendait protéger (20), en réduisant le délai de déclaration de créance par rapport aux créanciers non protégés, lorsque l'avertissement d'avoir à déclarer la créance était antérieur à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture.

La technique de l'inopposabilité de la forclusion, aujourd'hui traduite par un décalage du point de départ du délai de déclaration des créances, est un mécanisme exclusivement protecteur de certains créanciers. Elle leur permet d'éviter de se trouver hors délai, alors qu'ils savaient pouvoir compter sur un avertissement.

Il a justement été suggéré (21) de modifier le texte de l'alinéa 1er in fine de l'article L. 622-24, qui pourrait devenir "le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci [créanciers titulaires de sûretés publiées ou de contrats publiés] à compter de la notification de cet avertissement, lorsque cette notification est postérieure à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture". Ainsi, l'esprit et la lettre des textes seraient-ils mis en conformité.


(1) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 6 avril 1999, n° 1998/24499 (N° Lexbase : A9376A7E), Bull. Joly, 1999, 270, note B. Saintourens.
(2) Cass. com., 28 novembre 2000, n° 98-10.083, publié (N° Lexbase : A9326AHU), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2001, AJ 309, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2001/1, n° 2, obs. Ch. Hannoun, Bull. Joly 2001, 249, n° 67, note B. Saintourens, LPA, 15 février 2001, n° 33, p. 17, note Segarra, JCP éd. E, 2001, chron. 750, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 24 juin 2003, n° 00-20.236, F-D (N° Lexbase : A9672C8Q) ; Cass. com., 24 mai 2005, n° 01-03.795, F-D (N° Lexbase : A4119DIE) ; Cass. com. 9 février 2010, n° 08-21.271, F-D (N° Lexbase : A7725ERK) , Dr. et patr. 2010, n° 196, p. 89, note C. Saint-Alary-Houin et H. Monsérié-Bon
(3) Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-15.833, F-D (N° Lexbase : A6857DUI).
(4) Cass. com., 13 novembre 2002, n° 99-16.827, F-D (N° Lexbase : A7279A3Y).
(5) Cass. com., 12 novembre 1991, n° 90-14.255, publié (N° Lexbase : A4174AB9), Bull. civ. IV, LPA, 2 mars 1994, note F. Derrida, Rev. proc. coll. 1992, p. 299, obs. J.-M. Calendini, JCP éd. E, 1992, I, 136, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 22 octobre 1996, n° 95-13.024, publié (N° Lexbase : A2574ABX), Bull. civ. IV, n° 256, Bull. Joly, 1997, 166, note P. Le Cannu, Dr. sociétés, 1997, n° 6, obs. Y. Chaput ; Cass. com., 4 janvier 2000, n° 97-11.712, publié (N° Lexbase : A8114AGM), Bull. civ. IV, n° 3, Act. proc. coll., 2000/2, n° 24, D., 2000, jur. 72, obs. A. Lienhard, RJDA, 2000/3, n° 302 ; Cass. com., 28 novembre 2000, n° 97-12.265, inédit (N° Lexbase : A8260C4P), RJDA, 2001/3, n° 339 ; Cass. com., 27 novembre 2001, n° 98-23.043, F-D (N° Lexbase : A2824AXU), Act. proc. coll., 2002/2, n° 16 ; Cass. com., 5 février 2002, n° 98-17.846, FS-P (N° Lexbase : A9222AXT) Bull. civ. IV, n° 29, JCP éd. E, 2002, pan. n° 475, Act. proc. coll., 2002/7, n° 91, obs. J. Vallansan, RJDA 2002/6, n° 656, Bull. Joly, 2002, § 129, p. 587, Dr. et patr., 2002, n° 106, p. 107, obs. H. Monsérié-Bon ; Cass. com., 19 novembre 2003, n° 01-00.542, FD (N° Lexbase : A3029DAG), RD banc. et fin., 2004, p. 100, n° 72, obs. F.-X.Lucas ; Cass. com., 18 janvier 2005, n° 03-18.264, F-D (N° Lexbase : A0865DG7), Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 22, n° 1-1, obs. F.-X. Lucas.
(6) Cass. com., 11 juillet 1995, n° 93-15.525, publié (N° Lexbase : A1196ABW), Bull. civ. IV, n° 208 ; D., 1996, somm. 80, obs. A. Honorat; Rev. proc. coll. 1996, p. 48, no 7, obs. J.-M. Calendini ; Dr. sociétés 1995, n° 188, obs. Y. Chaput ; JCP éd. E, 1995, I, 513, n° 1, obs. Ph. Pétel.
(7) CA Paris, 20 octobre 1995, Dr. Sociétés, 1996, n° 30, note Y. Chaput.
(8) Cass. com., 4 janvier 2000, n° 97-11.712, publié (N° Lexbase : A8114AGM), Bull. civ. IV, n° 3 ; D., 2000, AJ 72, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2000/2, no 24, note C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E, 2000, chron. 698, n° 1, obs. Ph. Pétel.
(9) En ce sens, C. Régnaut-Moutier, note sous Cass. com., 4 janvier 2000, n° 97-11.712, préc., Act. proc. coll., 2000/2, no°24.
(10) En ce sens, aussi J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2165, [Exploitation en commun et confusion des patrimoines], 2006, n° 59.
(11) Cass. com., 9 mai 1995, n° 93-12.012 (N° Lexbase : A2207AZR), Rev. proc. coll. 1996, 410, n° 25, obs. B. Soinne.
(12) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-20.715, publié (N° Lexbase : A3504AUC) Bull. civ. IV, n° 56, D., 2000, AJ 168, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2000/8, n° 88, LPA, 6 mars 2001, n° 46, p. 15, note S. Courtier ; Cass. com., 1er avril 2003, n° 01-16.054, F-D (N° Lexbase : A6455A79), Act. proc. coll., 2003/10, n° 123, RD banc. et fin., 2003/4, p. 214, n° 148, obs. F.-X.Lucas ; Cass. com., 12 octobre 2004, n° 02-20.367, F-D (N° Lexbase : A6021DDD) ; adde CA Paris, 3ème ch., sect. C, 6 juin 2003, n° 2002/18333 (N° Lexbase : A3663C9K).
(13) Nos obs., Dalloz action, Droit et pratique des procédures collectives, 3ème, éd., 2006/2007, n° 665.86.
(14) D., 2006, Act. lég., 1036.
(15) F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, 8ème éd., 2009, LGDJ, n° 533.
(16) CA Paris, 30 octobre 2008, n° 07/21321 (N° Lexbase : A6208EBK).
(17) CA Rennes, 2ème ch., 31 mai 2011, n° 10/02540 (N° Lexbase : A3701HTA), E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2011, Lexbase Hebdo n° 259 du 14 juillet 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6983BSG).
(18) E. Le Corre-Broly, note préc..
(19) Boulay, Act. proc. coll., 2002/8, n° 95.
(20) E. Le Corre-Broly, note préc..
(21) E. Le Corre-Broly, note préc..

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2012

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N4535BT7

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 28 Août 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de fiscalité des entreprises. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur deux décisions du Conseil d'Etat et sur un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union europenne (CJUE). Dans le premier arrêt, rendu par le Conseil d'Etat, il est question du régime applicable aux cessions de titres de sociétés pour les dirigeants de PME partant à la retraite (CE 8° et 3° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 343844, mentionné aux tables du recueil Lebon). Dans la deuxième décision, la Haute juridiction administrative statue sur un contentieux entre l'administration fiscale et une entreprise, quant à l'existence d'une provision la contrepartie partielle d'une cession de fonds de commerce, consistant à verser des allocations de retraite aux salariés repris dans le cadre de cette opération (CE 10° et 9° s-s-r., 22 octobre 2012, n° 323687, inédit au recueil Lebon). Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, la CJUE précise, au regard de la Directive "fusions", la notion de "liquidation" (CJUE, 18 octobre 2012, aff. C-371/11).
  • Dirigeants de PME partant à la retraite et titres sociaux : les conditions d'application de l'abattement pour détention peuvent être appréciées au regard des comptes consolidés (CE 8° et 3° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 343844, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2688IU4)

Afin de favoriser le renouvellement des générations des dirigeants d'entreprise, la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 art. 29, I à VI N° Lexbase : L6430HEU ; CGI art. 150 0-D bis N° Lexbase : L4706ICB ; CGI art. 150 0-D ter N° Lexbase : L4706ICB ; instruction du 22 janvier 2007, BOI 5 C-1-07 N° Lexbase : X8024ADK, devenu BoFip N° Lexbase : X8052ALS) prévoyait un abattement d'un tiers de la plus-value lors de la cession des titres sociaux après une durée de détention supérieure à cinq ans ; ce qui induisait une exonération d'impôt sur le revenu (1) au bout de huit ans. Ce régime général (CGI art. 150 0-D bis N° Lexbase : L4706ICB) devait entrer en vigueur -au plus tôt- à compter de 2012, soit six ans après son adoption, avec un plein effet pour 2014. Seuls les dirigeants des petites et moyennes entreprises faisant valoir leurs droits à la retraite ont pu en bénéficier dès 2006, à certaines conditions toutefois, notamment quant à l'exercice d'une fonction de direction, au sens des dispositions de l'article 885 O bis du CGI (N° Lexbase : L1126ITU), de manière continue pendant les cinq années précédant la cession de l'intégralité des titres de la société concernée.

S'agissant des contribuables cédant leurs titres sans pour autant partir à la retraite, un nouveau texte -plus "budgétairement correct"- a été adopté, consistant en un report sous condition de remploi notamment : il comporte de nombreuses injonctions rendant le mécanisme illisible pour le contribuable (2) (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD). Cette nouvelle mouture devrait être modifiée -à nouveau- par le projet de loi de finances pour 2013 qui ne devrait pas, par ailleurs, épargner les associés et actionnaires des entreprises françaises en matière de plus-values à la suite de cession de titres sociaux après une tentative de l'administration fiscale en ce sens (3).

Au cas particulier, le requérant a demandé l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe 169 de l'instruction précitée ainsi libellé : "conformément aux dispositions du II de l'article 74-0 P de l'Annexe II (N° Lexbase : L1970HWU), les seuils d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total du bilan que doit remplir la société concernée pour que le cédant bénéficie des dispositions de l'article 150-0 D ter [...] sont déterminés sur la base des comptes de la société dont les titres ou droits sont cédés. Si cette société établit des comptes consolidés, les conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan sont déterminées sur la base de ces comptes consolidés". On notera en premier lieu que les recours pour excès de pouvoir ont un rôle limité dans le cadre des contentieux fiscaux en application de la théorie de l'exception parallèle (CE, 27 février 1950, n° 95586 : RO p. 16 ; CE, 13 juin 1952, n° 13174 : RO p. 65 ; CE, 22 mars 1957, n° 34403 : RO p. 316) : ils sont en revanche utilisés lorsqu'un contribuable décide d'attaquer une doctrine administrative lui paraissant contraire à ses intérêts, car il s'agit alors d'un acte détachable de la procédure d'imposition (J. Martinez-Mehlinger, Le recours pour excès de pouvoir en matière fiscale, L'Harmattan, coll. : Logiques juridiques, 2003). Les thèses soulevées par le contribuable n'ont pas abouti devant le juge de l'excès de pouvoir : le Conseil d'Etat estime que la portée de la loi peut être éclairée par les travaux préparatoires de l'article 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 précitée, contrairement aux écrits du contribuable. Il est vrai que la loi fiscale, souvent absconse, ne révèle ses richesses qu'au travers des débats parlementaires (v. par exemple les conclusions des rapporteurs publics s'agissant de la répression d'un abus de droit : CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 295805, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1240EK7, concl. E. Glaser, BDCF, décembre 2009, n° 143 ; CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8913EKC, concl. L. Olléon, BDCF, décembre 2009, n° 142 ; CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305596, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8914EKD).

Il s'infère également des textes que le législateur a entendu réserver le bénéfice de cette fiscalité dérogatoire aux petites et moyennes entreprises au sens du droit communautaire, et plus particulièrement quant à l'application d'un Règlement relatif aux aides d'Etat (Règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001, pris en application des articles. 87 et 88 du Traité CE, relatifs aux aides d'Etat en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L1557DPD). Cette définition d'aides d'Etat, issue d'un droit supranational, a son importance lorsque l'on se souvient du sort réservé aux dispositions relatives à la fiscalité applicable en matière de reprise d'entreprises en difficulté (pour une version dans sa rédaction antérieure à la décision de la Commission européenne du 16 décembre 2003 : CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L2448HLA) qui méconnaissaient le droit communautaire (communication de la Commission européenne, 2004/343/CE du 16 décembre 2003), entraînant la réécriture des dispositions de l'article 151 septies du CGI et la demande, par la Commission européenne, de la récupération des aides d'Etat auprès des entreprises en ayant bénéficié. In fine, la France a préféré essuyer une condamnation... (CJUE, 13 novembre 2008, aff. C-214/07 N° Lexbase : A2172EB3, RJF février 2009 n° 182). Cependant, au cas présent, le régime d'abattement pour durée de détention ne peut être considéré comme une aide d'Etat au sens du droit communautaire (Traité de l'Union européenne, art. 107 N° Lexbase : L2404IPQ), car il ne concerne que des particuliers. La discussion portait également sur un ajout illégal à la loi par le Règlement qui n'a pu prospérer, dès lors que les dispositions réglementaires attaquées (CGI Ann. II, art. 74-0 Q N° Lexbase : L1971HWW (4)) n'ont fait que reprendre les conditions issues du droit communautaire. On rapprochera le moyen de l'ajout illégal à la loi par le Règlement opposé par certains contribuables dans un contentieux de masse relatif à un crédit d'impôt sur le revenu au titre de dépenses afférentes à l'habitation principale (CE 10° et 9° s-s-r., 18 juin 2010, n° 317048, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9807EZA ; CAA Versailles, 3ème ch., 30 décembre 2010, n° 09VE01394, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3105GUK ; CGI, art. 200 quater N° Lexbase : L1158IT3 ; CGI Ann IV, art. 18 bis N° Lexbase : L6424IRD).

Enfin, le contribuable invoquait la violation des stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4747AQU) relatif à la discrimination et du premier Protocole additionnel portant sur le respect des biens (N° Lexbase : L1625AZ9) : selon le requérant, l'instruction porte en germe une discrimination tenant, d'une part, au choix opéré entre la détention de participations soit directement dans chacune des sociétés où les contribuables exercent leur activité professionnelle, de sorte qu'ils ne sont pas soumis à l'obligation d'établir des comptes consolidés, soit par l'intermédiaire d'une société holding ; d'autre part, la discrimination est également encourue selon la forme, civile ou commerciale, de la société holding, dès lors que seules les sociétés commerciales ont l'obligation de présenter des comptes consolidés (C. com., art. L. 233-16 N° Lexbase : L6319AIU) et qu'une société civile, qui aurait pour objet exclusif la gestion des participations de ce dirigeant, n'y serait pas contrainte. Ces moyens seront rejetés, dès lors que les dispositions attaquées ne traitent pas différemment les sociétés dont les titres sont cédés en fonction de la seule publication de comptes consolidés. Si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales occupe une place particulière en droit fiscal, c'est notamment parce qu'elle a entraîné quelques succès pour les contribuables (v. par exemple, en matière de visite domiciliaire : CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D ; art. 8 relatif au respect de la vie privée et du domicile : CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407 N° Lexbase : A6542AW9 ; CEDH, 26 septembre 1996, Req. 47/1995/553/639 N° Lexbase : A3186AUK ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L ; premier Protocole additionnel quant au respect des biens : CEDH, 3 juillet 2003, Req. 38746/97 N° Lexbase : A0425C9M ; art. 14 relatif à la discrimination : CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3775DKZ), mais également beaucoup d'espoirs régulièrement déçus, dont la présente décision est l'illustration.

  • Interdiction de provisionner la contrepartie partielle d'une cession de fonds de commerce consistant à verser des allocations de retraite aux salariés repris dans le cadre de cette opération (CE 10° et 9° s-s-r., 22 octobre 2012, n° 323687, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7593IUR)

En droit fiscal, les provisions, réglementées ou non, "constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements rendent probables" (CGI, art. 39, 5° N° Lexbase : L3894IAH), peuvent être déduites du résultat imposable à certaines conditions. Les conditions de précision et de probabilité dans leur réalisation et dans leur montant sont régulièrement rappelées par la jurisprudence (CE 8° et 9° s-s-r., 13 mars 1996, n° 129631, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8058ANR), ainsi que celle relative aux événements survenus pendant l'exercice et en cours à sa clôture (CAA Lyon, 4ème ch., 27 septembre 1995, n° 93LY01690, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3391BGP). Un seul élément est certain dans le cadre d'une provision : son objet. Son exercice, qui peut être partiel car c'est une faculté pour l'entreprise (CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236706, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3351DET ; CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236707, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3352DEU) doit également répondre à des conditions de forme ; les provisions doivent être effectivement constatées dans les écritures comptables de l'entreprise avant l'expiration du délai de déclaration des résultats de l'exercice (CE Section, 4 mars 1983, n° 33788, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1946AMZ) et être portées sur le relevé spécial des provisions, ce qui ne signifie pas que la cause de la provision doit y être précisée (CE 7/8/9 s-s-r., 29 avril 1969, n° 74863, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9704B8W). Au cas particulier, à l'issue d'une vérification de comptabilité d'une société filiale d'un groupe intégré, l'administration fiscale a notifié à la société mère un redressement, au titre de l'exercice 1999, portant sur des provisions relatives, notamment, à des engagements de retraite. La cour administrative d'appel de Douai, par un arrêt du 28 octobre 2008 (CAA Douai, 2ème ch., 28 octobre 2008, n° 08DA00008, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5033EBZ), n'a pas fait droit à la requête de la contribuable : les faits de l'espèce rapportent que, après acquisition d'un fonds de commerce de dispositifs mécaniques et électroniques, la filiale ayant repris le personnel de la société dont le fonds lui avait été cédé s'était engagée à acquitter ses engagements de retraite, d'un montant de 2 933 000 francs (environ 447 132,97 euros). Le prix de cession des éléments corporels et incorporels du fonds de commerce, évalué à la somme de 4 686 922 francs (environ 714 516,65 euros), a été réglé par la comptabilisation, au passif de la société cessionnaire, du montant de 2 933 000 francs (environ 447 132,97 euros) dans un compte de provision et, pour le solde, par versement d'une somme de 1 753 922 francs (environ 267 383,69 euros). Or, les dispositions de l'article 39-5° du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) précisent que : "les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. Toutefois, ne sont pas déductibles les provisions que constitue une entreprise en vue de faire face au versement d'allocations en raison du départ à la retraite ou préretraite des membres ou anciens membres de son personnel, ou de ses mandataires sociaux". Par conséquent pour les juges du fond, et de façon tout à fait surprenante, la provision n'aurait pas dû faire l'objet d'une comptabilisation (5). De plus, l'administration n'ayant pas remis en cause la valeur du fonds de commerce, la contribuable n'a pas été privée de la garantie de pouvoir saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dès lors qu'il n'y a pas eu substitution de base légale.

Cet arrêt, frappé d'un pourvoi en cassation, sera censuré par le Conseil d'Etat, dès lors que les juges du fond n'ont pas opéré de distinction entre les règles issues du droit comptable autorisant la constitution d'une provision pour engagement de retraite, se traduisant par conséquent par une diminution du résultat comptable (C. com., art. L. 123-13 N° Lexbase : L5571AI8 (6)) et l'impossibilité, en droit fiscal, de déduire une telle provision du résultat imposable (CGI, art. 39-5° précité). Il existe bien un lien entre le droit comptable et le droit fiscal, sur la base des dispositions du CGI, énonçant que : "les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt", (CGI Ann. III, art. 38 quater N° Lexbase : L6524HL9). L'administration fiscale, dans sa doctrine, en tire les conclusions notamment au regard des obligations fiscales et comptables des contribuables dans le cadre du régime du réel normal d'imposition (N° Lexbase : X8224AL8) (7). Mais l'intensité du lien de connexité entre le droit comptable et le droit fiscal peut être mise à mal si le législateur en décide autrement. Réglant l'affaire au fond (CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat, confirmant l'absence de privation de garantie liée à l'absence de saisine de la commission, rejette les prétentions de la société requérante dès lors que : "la société [cessionnaire] ne pouvait ni se prévaloir de ce qu'elle n'a pas provisionné en dotation la somme litigieuse sur le compte de charges, ni soutenir que la méthode de détermination du résultat fiscal par variation de l'actif net aurait abouti à un résultat différent au regard du 5° du 1 de l'article 39, dès lors que la société a déduit la somme litigieuse de son bénéfice imposable".

  • Directive "fusions" : la dissolution d'une société dans le cadre d'une fusion par absorption ne constitue pas une liquidation (CJUE, 18 octobre 2012, aff. C-371/11 N° Lexbase : A4819IUZ)

Plusieurs instruments juridiques sont entrés en vigueur depuis 1990, afin de fixer les principes applicables aux fusions de sociétés d'Etats membres de l'Union européenne, l'objectif étant alors d'assurer les sociétés faisant l'objet d'opérations de restructuration et appartenant à des Etats membres différents (8) d'une neutralité au regard de l'impôt (Directive 90/434 du Conseil du 23 juillet 1990, dite "fusions" N° Lexbase : L7670AUM ; Directive (CE) 2005/19 du Conseil du 17 février 2005, modifiant la Directive 90/434/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents N° Lexbase : L0828G88 ; Directive (CE) 90/435 du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, dite "sociétés mères/filiales" N° Lexbase : L7669AUL ; Directive (CE) 2009/133 du Conseil du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents N° Lexbase : L9353IE7). L'objectif du droit communautaire est de permettre que : "la fusion, la scission ou la scission partielle n'entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par la différence entre la valeur réelle des éléments d'actif et de passif transférés et leur valeur fiscale" (Directive 2009/133 précitée, art. 4). Bien entendu, une clause anti-abus a été insérée afin de prévenir toute tentative de fraude ou d'évasion fiscale, la jurisprudence ayant eu à préciser, s'agissant de la Directive du 23 juillet 1990 (9), qu'une telle clause était d'interprétation stricte et qu'elle ne s'appliquait pas aux droits de mutation non visés par la Directive (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-352/08 N° Lexbase : A4820EXS) ; ou encore qu'une économie liée à un transfert de déficits fiscaux ne pouvait être considéré comme un motif économique valable justifiant l'application de la Directive (CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-126/10 N° Lexbase : A9107HZC : RJF, 2/12, n° 201).

Au cas particulier, les attendus de l'arrêt rendu sur saisine d'une juridiction belge nous apprennent qu'en 2001, les sociétés en cause, dont le siège social se trouvait en Belgique, ont réalisé "une fusion silencieuse". Une des sociétés était auparavant actionnaire à 100 % des deux autres sociétés. Il s'agissait d'une fusion par absorption dans laquelle les sociétés filles ont été dissoutes sans être liquidées et ont cédé l'intégralité de leur patrimoine à leur mère. La société absorbante a réalisé une plus-value de fusion de 10 669 985,69 euros. Sur cette plus-value de fusion, 95 % de ce montant, soit 10 136 486,41 euros, étaient en principe susceptibles d'être déduits du bénéfice imposable en tant que "revenus définitivement taxés". Mais la base imposable de l'absorbante pour l'exercice d'imposition 2002 ne s'élevant qu'à 8 206 489,70 euros, la différence n'a pu être portée en déduction pour cet exercice. Puis, en 2007, l'absorbante a introduit une demande de dégrèvement d'office pour double imposition : en effet, il était soutenu que la limitation de la déduction des "revenus définitivement taxés" au montant de la base imposable positive de l'année dans laquelle la plus-value de fusion a été réalisée, c'est-à-dire en 2002, était contraire aux dispositions de la Directive 90/435 (art. 4, § 1). La question préjudicielle devant être tranchée par la Cour de justice de l'Union européenne porte sur l'interprétation de la notion de liquidation, telle que mentionnée à l'article 4 § 1 de la Directive 90/435, et plus particulièrement sur la question de savoir si la dissolution d'une société dans le cadre d'une fusion par absorption doit être considérée comme une liquidation ; ce que la Cour ne va pas admettre in fine.

En effet, la définition de la fusion, au sens du droit communautaire, est donnée dans la Directive 90/434, aux termes de laquelle il s'agit d'une : "opération par laquelle une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social". Même si cette définition apparaît dans la Directive 90/434 -et non dans la Directive 90/435 relative au régime des sociétés mères et filiales d'Etats membres différents- la Cour de justice de l'Union européenne prend en considération cette définition pour interpréter la notion de liquidation employée dans la Directive 90/435. En effet, outre notamment que ces deux Directives ont été arrêtées le même jour par le Conseil de l'Union européenne, d'une part, elles avaient vocation à être transposées en même temps par les Etats membres, d'autre part, ces deux Directives avaient pour objectif commun de permettre les opérations de restructuration en écartant les distorsions découlant des différentes dispositions fiscales en vigueur entre les Etats membres.


(1) Les prélèvements sociaux restent dus : l'assiette est alors constituée de la plus-value avant abattement.
(2) "Le report, sur demande du contribuable, est subordonné aux conditions suivantes : déclaration du montant de la plus-value ; les titres ou droits cédés doivent avoir été détenus de manière continue depuis plus de huit ans ; les titres ou droits détenus par le cédant, directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire du conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs, doivent avoir représenté, de manière continue pendant les huit années précédant la cession, au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ; la société dont les actions, parts ou droits sont cédés : 1° est passible de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent ou soumise sur option à cet impôt ; 2° exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, ou a pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées. Cette condition s'apprécie de manière continue pendant les huit années précédant la cession ; 3° a son siège social dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale ; le produit de la cession des titres ou droits doit être investi, dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société ; la société bénéficiaire de l'apport doit exercer l'une des activités prévues pur l'application du report ; les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être entièrement libérés au moment de la souscription ou de l'augmentation de capital ou, au plus tard, à l'issue du délai de trente-six mois et représenter au moins 5 % des droits de vote et des droits dans les bénéfices sociaux de la société ; les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être détenus directement et en pleine propriété par le contribuable pendant au moins cinq ans. Lorsque les titres font l'objet d'une transmission, d'un rachat ou d'une annulation ou, si cet événement est antérieur, lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France dans les conditions prévues à l'article 167 bis, le report d'imposition est remis en cause ; la société bénéficiaire de l'apport ne doit pas avoir procédé à un remboursement d'apport au bénéfice du cédant, de son conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs au cours des douze mois précédant le remploi du produit de la cession".
(3) La presse économique rapporte une surprenante confidence : "Jean-Marc Ayrault [Premier ministre] et son Gouvernement, dans l'affaire dite des pigeons, auraient-ils été victimes de la rouerie des services de Bercy ? Un ancien ministre se rappelle qu'à plusieurs reprises, ces dernières années, l'administration fiscale a essayé de faire passer une lourde taxe sur les plus-values de cession d'entreprise. A chaque fois, précise-t-il, il se trouvait un directeur de cabinet pour arrêter la manoeuvre. Cette fois, la vigilance a fait défaut...'", C. Barbier, Le blog-notes, L'Expansion n° 779, novembre 2012, p. 12.
(4) "Les conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan mentionnées aux a et b du 3° du I de l'article 150-0 D ter du CGI (N° Lexbase : L5277IRU) sont déterminées sur la base des comptes de la société dont les titres ou droits sont cédés. Si cette société établit des comptes consolidés, les conditions précitées sont déterminées sur la base de ces comptes".
(5) "dans la mesure où la constitution d'une provision pour versement d'allocations de retraite est interdite par l'effet même des dispositions légales précitées du 5° du 1 de l'article 39 du CGI, la somme de 2 933 000 francs (environ 447 132,97 euros) ne pouvait être comptabilisée au passif du bilan de la société".
(6) "Le montant des engagements de l'entreprise en matière de pension, de compléments de retraite, d'indemnités et d'allocations en raison du départ à la retraite ou avantages similaires des membres ou associés de son personnel et de ses mandataires sociaux est indiqué dans l'annexe. Par ailleurs, les entreprises peuvent décider d'inscrire au bilan, sous forme de provision, le montant correspondant à tout ou partie de ces engagements".
(7) " L'article 38 quater de l'Annexe III au CGI renvoie au Plan comptable général pour les autres définitions, mais dans la mesure seulement où elles ne sont pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt".
(8) La question de l'invocabilité de la Directive "fusions" dans le cadre purement interne, c'est-à-dire entre sociétés françaises, n'a pas fait l'objet d'une interprétation du Conseil d'Etat, bien que la cour administrative d'appel de Nantes se soit opposée à son application entre sociétés françaises (CAA Nantes, 20 novembre 2002, n° 99NT02268, inédit au recueil Lebon : RJF, 4/03, n° 437).
(9) Une telle clause est également insérée dans la Directive 2009/133 (art. 15).

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[Le point sur...] Deuxième édition des entretiens du barreau de Versailles - "L'expertise, main basse sur le juge ?"

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N4564BT9

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par La Rédaction

Le 22 Novembre 2012

Le 19 octobre 2012 s'est déroulée au Palais de justice de Versailles, la deuxième édition des entretiens du barreau de Versailles (pour la première édition lire N° Lexbase : N3332BTL et N° Lexbase : N2601BTI) sur le thème de l'expertise. Pour le Bâtonnier Olivier Fontibus, "Il est des thèmes qui, de convention en colloque s'imposent d'eux-mêmes. Parce qu'ils constituent une interrogation du moment, parce qu'ils sont portés par de véritables inquiétudes, parce qu'ils s'annoncent comme incontournables, ces questions sont abordées sous différents angles par différentes personnes aux mêmes moments". Animé par Jean-Christophe Caron, ancien Bâtonnier du barreau de Versailles, ce colloque a mis en exergue les différences entre la procédure en France et la procédure au Québec. Les éditions juridiques Lexbase présentes à ces entretiens vous proposent de revenir sur les échanges entre les intervenants. Guy Leblanc, ancien Bâtonnier du barreau de Québec a d'emblée annoncé que la procédure civile québécoise allait faire, sous peu, l'objet d'une réforme en profondeur. Un projet de loi a été déposé, il y a plusieurs mois, dans ce sens. Il a suscité de nombreuses réactions et une commission parlementaire a été instaurée afin d'entendre tous ceux qui avaient leur mot à dire sur ce texte, et le barreau dans son ensemble s'est également prononcé. Mais, dans l'intervalle, le Gouvernement a changé et, partant, le ministre de la Justice ; le projet est donc en attente pour le moment.

Actuellement, l'expertise constitue un moyen de preuve et il appartient aux parties de choisir leur propre expert, ou leurs propres experts, sur les questions en litige. Le nombre des experts n'est pas réglementé et le Code de procédure encadre le processus expertal avec pour objectif qu'un maximum d'informations soit divulgué, le plus rapidement possible, afin de permettre aux parties de réagir et de faire une évaluation au plus juste du dossier. Ainsi, le code prévoit que des avis soient émis et y figure également l'obligation de faire entendre un expert au procès, sous réserve du dépôt d'un rapport écrit, communiqué dans des délais stricts pour faire en sorte que les parties sachent à quoi s'en tenir rapidement. Une fois les expertises produites, le code donne au juge la possibilité d'ordonner une rencontre des experts pour concilier leurs opinions, avec ou sans la participation des avocats. Les coûts de l'expertise font partie des dépens. Pour Guy Leblanc, il y a plusieurs difficultés identifiées : la justice est onéreuse, la justice est lente, la justice est complexe. Par conséquent, l'accessibilité à la justice en souffre. En matière d'expertises, le coût élevé de celles-ci est un problème majeur. Souvent ces coûts ne sont pas nécessairement proportionnels aux enjeux financiers des dossiers. Un autre problème réside dans les délais de confection des rapports d'expertise et cela entraîne un retard dans l'avancement du dossier qui oblige, le plus souvent, à demander des prolongations. En effet, au Québec, entre le moment où une action est introduite et le moment où elle est prête à être entendue il y a un délai de 180 jours maximum qui doit s'être écoulé. Une fois le dossier complet, il faut "fixer sa cause" et là encore pour le Bâtonnier Leblanc, il est possible de "subir un peu la dictature des experts puisque leur disponibilité est évidemment une condition requise de la fixation des procès".

En France, et comme le souligne Vincent Vigneau, premier vice président du TGI de Nanterre, "il y a le droit et il y a l'application du droit". En droit, la procédure civile est plutôt du type accusatoire, c'est le principe dispositif. Le procès est la chose des parties et l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y) énonce que : "L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties". Et, dans la continuité de cet article, l'article 9 dispose que : "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". Enfin, l'article 146 (N° Lexbase : L1499H4B) vient préciser que "les mesures d'instruction que le juge peut ordonner ne sont pas destinées à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve".

Pour le Président Vigneau, on pourrait croire que, comme dans un pays de common law, c'est finalement sur les parties que repose la charge de la preuve et que le juge n'est qu'un acteur passif dans le cours du procès et se borne à trancher en faveur de la meilleure thèse. D'ailleurs, il rappelle que le juge n'est pas là pour dire la vérité, il est là pour trancher un litige. Donc il tranche le litige en fonction des éléments qui sont apportés.

Or, en réalité, les parties ne sont pas égales, notamment dans les capacités d'investigation et de recherche de la preuve. Et, Vincent Vigneau estime qu'on ne peut pas se satisfaire d'un système où finalement l'administration de la preuve sera abandonnée à l'initiative et aussi aux capacités à la fois techniques et financières des parties.

Selon lui, il existe un autre élément perturbateur dans ce système : l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49). Ce texte est une innovation du Code de procédure civile de 1973 qui a rompu avec un principe général selon lequel la justice ne pouvait pas être saisie à des fins préventives. L'article 145 confère aux parties la possibilité de demander à un juge d'obtenir, soit sur requête, soit en référé, une mesure d'instruction avant tout procès. Et, la Cour de cassation a considéré qu'il s'agissait d'une mesure destinée justement à permettre à une partie d'obtenir un moyen de preuve et donc que le principe selon lequel il n'appartenait pas au juge de soutenir la carence des parties dans l'administration de la preuve (article 146) ne s'appliquait pas à l'article 145.

Ainsi, pour le président Vigneau, la réalité est tout autre que celle qui résulte des principes fondateurs du Code de procédure civile. L'expertise est devenue une réalité banale du procès civil en France. La jurisprudence a ainsi considéré que les principes directeurs du procès, qui s'appliquent devant le juge, devaient aussi s'appliquer à l'extérieur puisque, très souvent, c'est un petit procès qui se déroule devant l'expert. Et le principe de l'impartialité s'est trouvé étendu à l'expert, c'est-à-dire que l'expert est soumis aux mêmes causes d'impartialité que le juge et le principe de la contradiction doit se dérouler finalement devant l'expert de la même façon qu'il doit se dérouler devant le juge.

La question se pose alors de savoir si finalement un rapport d'expertise ne dépossède pas le juge de ses pouvoirs ?

Souvent l'expert est le mieux à même de donner un éclairage au juge pour trancher sur une question technique et c'est la raison pour laquelle il appartient aux parties d'apporter des éléments qui viennent contrecarrer ce premier avis. C'est pourquoi la jurisprudence considère que l'expertise doit donner lieu à un débat contradictoire devant l'expert. L'expertise est donc elle aussi conçue aussi comme un lieu de débat. Partant, l'expert a cette obligation de respecter le principe du contradictoire.

Des interventions précédentes, Georges Mouchnino, président de la compagnie des experts près la cour d'appel de Versailles (CECAV), a retenu qu'au Québec les parties avaient chacune leur expert et d'emblée il y voit une difficulté en ce sens que, parmi les justiciables, il en est certains qui n'ont sans doute pas les moyens de se payer un expert, sans parler du meilleur des experts, et donc là il s'agit d'une iniquité extrêmement préjudiciable. Il a également observé que, dans les dernières dispositions que le législateur français a mis à la disposition des plaideurs (la procédure participative), celui-ci maintient l'idée de l'expert unique. En effet, les avocats "tentés par l'aventure de cette procédure participative" peuvent faire appel à un expert unique et non faire appel chacun à leur expert. Là, réside donc une différence fondamentale entre le système québécois et le système français.

Sur les délais, en revanche, des similitudes entre les deux systèmes existent. Georges Mouchnino suppose que la lenteur du système est sans doute liée et à la disponibilité de certains professionnels , et à la nécessité de faire en sorte que le contradictoire doit présider à toutes les actions.

Au final, en France, c'est le juge qui fixe le contenu de la mission de l'expert ; et, au Québec, la mission de ce dernier est déterminée par les parties

Pour conclure ces échanges, le Bâtonnier Fontibus a rappelé l'importance et la pertinence du jumelage entre le barreau de Versailles et le barreau de Québec et que ces regards croisés permettent, quel que soit le sujet abordé, de mieux comprendre encore les systèmes de chaque barreau.

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Procédure administrative

[Jurisprudence] Chronique de contentieux administratif - Novembre 2012

Lecture: 16 min

N4598BTH

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 22 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de contentieux administratif de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt du Conseil d'Etat en date du 26 septembre 2012 sur un thème qui provoque un contentieux particulièrement nourri, à savoir celui des rapports entre la clôture de l'instruction et le principe du contradictoire. En matière de référé d'urgence, l'instruction est, en principe, close à l'issue de l'audience mais lorsque le juge des référés décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, il doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il ne peut donc, par la suite, rendre son ordonnance tant que l'instruction est ainsi rouverte (CE 1° et 6° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 359479, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le second arrêt, en date du 3 octobre 2012, est relatif à l'application de la procédure de l'avis contentieux de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT). La plupart des rapporteurs publics acceptent quasi systématiquement les conditions juridiques de mise en oeuvre de la procédure de demande d'avis mais, une fois n'est pas coutume, c'est une décision de rejet qui a été prise eu égard au fait que le juge du référé provision ne peut accorder une somme d'argent que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Or, précisément, la procédure d'avis contentieux a été créée pour permettre de régler une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse. La demande d'avis du juge du référé provision est, en ce sens, irrecevable (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 360840, publié au recueil Lebon). Le troisième arrêt, également en date du 3 octobre 2012, rappelle, enfin, de façon opportune, que les sommes allouées au titre des frais irrépétibles de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) ne peuvent l'être qu'au vu de la justification de dépenses véritablement engagées pour la conduite du procès (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 357248, publié au recueil Lebon).
  • La communication d'un mémoire après la clôture de l'instruction implique la réouverture de celle-ci et l'impossibilité pour le juge des référés de rendre son ordonnance (CE 1° et 6° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 359479, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6405ITE)

La clôture de l'instruction donne souvent lieu à un contentieux nourri, particulièrement dans ses rapports avec le principe du contradictoire. La réouverture de l'instruction, qui doit normalement demeurer exceptionnelle, tend, de plus en plus, aujourd'hui à devenir un instrument de régulation de l'instruction. Le Conseil d'Etat a, en effet, entrepris depuis quelques années de bâtir un véritable "statut jurisprudentiel des écritures tardives" qui confirme la portée qu'il entend réserver au principe du contradictoire. Peu importe que ces écrits aient la forme d'un mémoire tardif (présenté après la clôture, avant l'audience) ou constituent une note en délibéré (présentée après l'audience). Comparativement, le juge civil est beaucoup plus rigoureux lorsqu'il s'agit de révoquer, à la demande d'une partie, l'ordonnance de clôture. Son appréciation de la "cause grave" postérieure à la clôture étant beaucoup plus stricte.

Devant le juge administratif, l'instruction d'une affaire est normalement close trois jours francs avant la date de l'audience. Cette clôture est automatique. Elle n'appelle aucune décision particulière (CJA, art. R. 613-2 N° Lexbase : L5878IGS). La date de clôture de l'instruction doit faire autorité, ce qui justifie la sévérité de l'article R. 613-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3134ALN) : les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. Les parties ne sont pas censées produire au-delà. Quel qu'en soit le fondement, la clôture répond au même souci de meilleure efficacité de l'instruction. A l'égard des parties, il s'agit d'une mesure de police des débats. La clôture doit avoir pour effet d'amener celle qui estimerait n'avoir pas épuisé son argumentation à produire rapidement et avant une date qui lui est connue. C'est un des facteurs de l'égalité des parties devant le juge qui veille à ne pas entrer dans l'éventuel jeu de celle qui présenterait malicieusement ou dilatoirement un mémoire tardif (1).

Les difficultés apparaissent quand un mémoire "de dernière minute" est transmis à la juridiction qui décide de le communiquer à la partie adverse. Le statut de la production tardive prévoit les caractères que doit présenter cet écrit pour entraîner la réouverture de l'instruction. Le sort à lui réserver résulte de la conciliation entre deux préoccupations : la date de clôture de l'instruction doit être fermement respectée mais, pour autant, le juge ne peut méconnaître son office de bien juger et ne tenir aucun compte d'un mémoire tardivement présenté qui révélerait un dossier gravement incomplet, c'est-à-dire comportant des informations de nature à modifier ce que serait sa position sans ces éléments nouvellement produits.

Ainsi, en matière de référé d'urgence, l'instruction est en principe close à l'issue de l'audience. Toutefois, le juge du référé tient de l'article R. 522-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2535AQX) le pouvoir d'en différer la clôture jusqu'à une date qu'il fixe, le plus souvent, au cours même de l'audience de référé. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences. L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience.

Il ressort, en l'espèce, des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lyon qu'un mémoire en réplique a été produit, la veille de l'audience publique. Le juge des référés a clos l'instruction à l'issue de l'audience et n'a pas fait usage de la faculté qui lui est laissée de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure. Le mémoire a été communiqué le même jour au Garde des Sceaux, qui n'était pas représenté à l'audience publique, mais donc postérieurement à la clôture de l'instruction et deux heures avant que l'ordonnance du juge des référés ne lui soit notifiée. Pour le Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif a irrégulièrement statué. La communication d'un mémoire après la clôture de l'instruction implique la réouverture de celle-ci et l'impossibilité pour le juge des référés de rendre son ordonnance.

Pour le Conseil, obligation est faite au juge des référés de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire, qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure. Lorsqu'il décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close. Il ne peut donc, par la suite, rendre son ordonnance tant que l'instruction est ainsi rouverte.

En jugeant de la sorte, le Conseil d'Etat montre une nouvelle fois que la communication des mémoires de "dernière minute" se heurte souvent au principe du contradictoire, surtout à l'heure où l'instruction est close. Il a pu juger de même à plusieurs occasions. Si, par exemple, un mémoire communiqué la veille de la clôture de l'instruction avec la seule invitation de produire une réplique "dans les meilleurs délais" n'a pas pour effet de reporter la date de cette clôture, le caractère contradictoire de l'instruction est, néanmoins, méconnu (2). En revanche, si la communication intervient après la clôture, alors celle-ci est regardée comme ayant été ouverte à nouveau. Il convient ensuite de la clore, le cas échéant après avoir fixé une nouvelle audience (3). Selon la formule jurisprudentielle, le principe de contradiction "tend à assurer l'égalité des parties devant le juge". Ce principe, fondé sur le pouvoir inquisitorial du juge, est justifié par la nécessité pour le juge de remplir son office de "bien juger". Comme le souligne le professeur Chapus, "quelles que soient les parties au conflit, une procédure non ou insuffisamment contradictoire ne serait pas acceptable, parce qu'elle serait une procédure en vertu de laquelle l'argumentation d'une partie pourrait ne pas être ou être pleinement, connue de son adversaire et discutée par lui ; ou en vertu de laquelle certains documents pourraient n'être connus que du juge" (4).

Au-delà de cette définition, ce sont les exigences du procès équitable plus que le respect du contradictoire en lui-même qui irriguent désormais toute la procédure administrative (CJA, art. L. 5 N° Lexbase : L2612ALC). Elles impliquent de laisser toujours un délai aux parties pour s'expliquer sur un moyen que le juge se propose de relever d'office nonobstant une éventuelle clôture (5). Elles imposent au juge de ne pas fonder sa décision sur un moyen, une pièce, qui n'auraient pas été contradictoirement discutés, sauf à rouvrir préalablement l'instruction. Si aux termes de l'article R. 611-1, alinéa 3, du même code (N° Lexbase : L3096ALA), rien n'oblige le juge à communiquer aux parties les mémoires ou les pièces s'il estime qu'ils n'apportent rien de nouveau (6), il y a là des dispositions qui sont en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. On évoquera simplement un arrêt du 18 octobre 2007 (7), dans lequel la Cour a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) au motif que le respect du droit à un procès équitable, pris sous l'angle du respect du contradictoire, exigeait que le requérant, partie défenderesse au pourvoi, eût la possibilité de soumettre ses commentaires au mémoire en réplique du ministre ou, pour le moins, qu'il en soit informé pour décider, le cas échéant, d'y répondre. Or, précisément, le mémoire ne lui avait pas été transmis. Pour le droit européen, toute production devrait être communiquée et c'est aux parties de juger de l'opportunité d'y répondre ; en d'autres termes, le dernier membre de phrase du troisième alinéa de l'article R. 611-1 ("les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux") devrait être purement et simplement supprimé.

En définitive, si l'arrêt d'espèce s'inscrit bien dans l'entreprise mise en avant depuis quelques années par le Conseil d'Etat pour bâtir un véritable "statut jurisprudentiel des écritures tardives" expliquant la portée qu'il entend réserver au principe du contradictoire, il n'en confirme pas moins que les effets de la clôture de l'instruction, tels qu'ils sont littéralement énoncés dans le Code de justice administrative, n'ont plus grand-chose à voir avec la manière dont le Conseil d'Etat les conçoit.

  • Une obligation dont l'existence soulève une question de droit présentant une difficulté sérieuse ne peut être regardée comme une obligation dont l'existence n'est pas sérieusement contestable (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 360840, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8175ITX)

Le droit administratif est devenu aujourd'hui un droit plus textuel que jurisprudentiel, ce qui confère une place croissante à la fonction d'interprétation du juge. L'accroissement du contentieux conduit ainsi à privilégier, dans l'activité des cours suprêmes, la fonction consistant à "dire le droit" sur celle consistant à régler les litiges. Cet accroissement même conduit à la recherche de l'efficacité des systèmes juridictionnels. Cette efficacité implique une répartition fonctionnelle du travail, de chercher une synergie entre toutes les juridictions d'un même ordre en mettant l'accent sur l'unité de celui-ci et sur la collaboration étroite de ses composantes. La procédure de demande d'avis de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative répond parfaitement à ces trois préoccupations.

On retrouve, ainsi, à l'intérieur de l'ordre administratif, une procédure de renvoi des juridictions inférieures de droit commun au Conseil d'Etat, pour une demande d'avis que le Code de justice administrative désigne comme "l'avis sur une question de droit" et que la pratique allait également désigner sous l'appellation d'avis contentieux. Bien que cela ne figure pas dans le texte de l'article L. 113-1, ce sont les formations contentieuses du Conseil d'Etat qui sont chargées de délivrer l'avis sollicité (8). La procédure permet au Conseil de fixer rapidement la jurisprudence sur des questions de droit nouvelles. Son institution, en 1987, fut justifiée, pour l'essentiel, par le double souci de prévenir l'encombrement du Conseil d'Etat en tant que juge de cassation et corrélativement la lenteur de la justice, d'une part, et de renforcer le Conseil d'Etat dans son rôle régulateur de la jurisprudence qui est celui de toute juridiction suprême dans un ordre de juridictions, d'autre part. Depuis les deux premiers avis rendus en 1989 (9), le Conseil d'Etat a été constamment saisi pour avis à ce titre. La procédure s'est d'autant mieux acclimatée que celui-ci a apprécié sans rigorisme particulier si les conditions juridiques de sa saisine étaient réunies.

La plupart des commissaires du Gouvernement et, dorénavant, des rapporteurs publics, examinent systématiquement si les conditions juridiques de la mise en oeuvre de la procédure de demande d'avis sont réunies, mais cela leur paraît être le cas de manière générale et ils peuvent être très succincts, d'autant qu'ils rappellent volontiers au Conseil d'Etat qu'il apprécie libéralement la réunion des conditions de sa saisine. Il y a quatre conditions qui figurent dans le texte de loi : la demande d'avis ne peut être présentée qu'avant de statuer sur une requête ; elle doit poser une question de droit nouvelle ; elle doit présenter une difficulté sérieuse ; elle doit, enfin, se poser dans de nombreux litiges. Aucune de ces quatre conditions posées par la loi n'a fait l'objet d'une interprétation restrictive de la part du Conseil d'Etat.

Il y a, ainsi, peu d'exemples d'irrecevabilité opposée par le Conseil d'Etat à une demande d'avis. On peut, néanmoins, citer l'exemple du tribunal administratif de Saint Denis de la Réunion qui a posé au Conseil d'Etat la question de savoir si la majoration de traitement et le complément temporaire entraient dans l'assiette servant de base au calcul de l'indemnité exceptionnelle de 30 % du traitement indiciaire allouée aux fonctionnaires placés en cessation progressive d'activité. Il résultait de l'instruction que cette question avait fait l'objet de plusieurs arrêts rendus dans le même sens sur appel de jugements du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion par la cour administrative d'appel de Paris et que certains de ces arrêts avaient, d'ailleurs, été déférés au Conseil d'Etat par la voie du recours en cassation. Eu égard aux instances qui étaient en cours, et aux décisions déjà intervenues, la demande d'avis présentée par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ne pouvait être regardée comme répondant à l'objet assigné par le législateur (10).

Si les exemples d'irrecevabilité sont rares, il faut encore, néanmoins, relever aussi le cas de l'arrêt d'espèce. Celui-ci s'avère intéressant de par le fait qu'il apporte une approche peut-être moins classique et moins libérale de la procédure de l'avis contentieux. Le Conseil d'Etat y rejette une demande d'avis que lui avait transmis le juge du référé provision de la cour administrative d'appel de Douai. La demande d'avis de la cour portait sur l'interprétation de l'article 5 du décret n° 2002-232 du 21 février 2002, relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics de travaux (N° Lexbase : L1381AXG) (11). Aucune réponse n'a été apportée par le Conseil d'Etat qui a rejeté la demande d'avis. Pour ce dernier, le juge du référé provision ne peut accorder une somme d'argent "que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable" (CJA, art. R. 541-1 N° Lexbase : L2548AQG). Or, précisément, la procédure d'avis contentieux a été créée pour permettre de régler une question de droit nouvelle "présentant une difficulté sérieuse".

Certains avis semblent frappés au coin de l'évidence, mais peut-être celle-ci n'apparaît-elle qu'après coup. On peut trouver d'autres avis de même inspiration et lire, par exemple, que la solution "résulte des dispositions précitées" applicables sans aucun doute par le tribunal (12), ou encore qu'elle "résulte des termes mêmes de la disposition" sur laquelle le tribunal ou la cour s'interroge (13). Il arrive que, pour être nouvelle, la question ne soit pas véritablement d'une difficulté telle qu'elle dût retenir les tribunaux ou les cours de prendre parti eux-mêmes. On note quelquefois une certaine timidité dans la prise de risque ou de responsabilités des juges de droit commun quant à l'exercice de leur pouvoir d'interprétation et d'appréciation des règles de droit. Le Conseil d'Etat vient rappeler, non sans une certaine ironie, qu'il faut peut-être faire preuve parfois de plus d'audace, de courage ou de fermeté en ne répondant pas, pour une fois, à la question posée devant lui.

  • Des frais irrépétibles ne peuvent être justifiés par un surcroît de travail des services du ministère (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 357248, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8169ITQ)

Les frais de justice sont une préoccupation récurrente à laquelle les justiciables font face lorsqu'ils sont demandeurs ou défendeurs à l'instance, prévenus ou parties civiles. Chaque code qui s'applique à chaque procédure quelle qu'en soit la nature, contient nécessairement une disposition s'appliquant aux frais de justice. Mais au fond, le texte est sans importance car la règle est identique en matière civile, pénale et administrative. De manière générale, les honoraires d'avocats qui ont été rendus nécessaires pour une action en justice ne sont pas compris dans les dépens (14). Dans une procédure devant la juridiction administrative, les dépens ne comprennent que "les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat" (15). Devant la juridiction judiciaire, les dépens sont entendus plus largement, mais ne comprennent, toutefois, pas plus les frais d'avocats (16). Malgré cela, la partie perdante (en principe) peut, toutefois, être condamnée, à condition que son adversaire en ait fait la demande, à une somme correspondant forfaitairement aux "frais exposés et non compris dans les dépens". Ce mécanisme existe de façon identique devant la juridiction administrative (CJA, art. L. 761-1 N° Lexbase : L3227AL4) et devant la juridiction judiciaire (C. pr. civ., art. 700 N° Lexbase : L6906H7W).

C'est l'expression "frais irrépétibles" qui est employée le plus couramment parmi les professionnels du droit, en doctrine comme dans la jurisprudence. Le caractère "irrépétible" des frais d'avocats se manifeste dans le fait qu'il soit impossible d'en obtenir autrement le paiement par son adversaire. Ainsi, la Cour de cassation considère, désormais, que "les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile" (17). Dans chaque cas, les frais irrépétibles peuvent être laissés à la charge de la partie perdante si le juge estime que l'équité ou la situation économique de la personne condamnée le commande. Il appartient donc à la juridiction d'apprécier souverainement l'allocation d'une indemnité à ce titre et d'en fixer le montant dans l'ordonnance ou le jugement à intervenir. La perspective ouverte à une partie d'être, si elle obtient gain de cause devant le juge, indemnisée des frais qu'elle a engagés pour les besoins du procès, a toujours été perçue comme facilitant l'accès au juge. Mais si le droit d'obtenir la prise en considération de ces frais est un principe très largement ouvert, il n'est pas un droit à remboursement de dépenses justifiées.

Pour les personnes publiques, la représentation par un avocat suffit à ce que soit reconnue l'existence de tels frais exposés non compris dans les dépens dans les mêmes conditions que pour les personnes privées (18). Mais le juge administratif a exprimé une réticence certaine à condamner une partie à verser une somme au titre des frais non compris dans les dépens à l'Etat ou à une collectivité territoriale qui n'avaient pas eu recours à un mandataire pour les représenter en justice. Dans l'arrêt d'espèce en date du 3 octobre 2012, le Conseil d'Etat considère, en ce sens, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative que, si une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut néanmoins demander au juge l'application de cet article au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services. Par suite, en rejetant les conclusions du ministre de la Défense, qui énonçait que ce type de recours représentait une charge réelle pour ses services en termes de temps de travail des agents qui s'y consacrent et, par voie de conséquence, pour les finances publiques, sans faire état précisément des frais que l'Etat aurait exposés pour défendre à l'instance, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, qui n'a pas entaché son ordonnance d'inexactitude matérielle, n'a pas commis d'erreur de droit.

L'arrêt ne contient pas en lui-même d'éléments très nouveaux mais il rappelle opportunément que les sommes allouées au titre de l'article L. 761-1 ne peuvent l'être qu'au vu de la justification de dépenses véritablement engagées pour la conduite du procès. D'où la nécessité pour l'Etat, ou d'autres personnes publiques, de fournir à la juridiction administrative les pièces attestant de la réalité des frais dont il est demandé le remboursement sur le fondement de l'article L. 761-1. L'Etat est mal fondé à solliciter l'allocation d'une indemnité au titre des frais irrépétibles, faute de se prévaloir de frais exposés. Les parties doivent donc produire le maximum de justificatifs (frais de déplacement, de reprographie, postaux...). Une telle initiative ne garantira pas le remboursement intégral des frais et honoraires réglés, mais incitera la plupart du temps le juge administratif à se montrer plus généreux dans l'évaluation de l'indemnité.

La solution avait déjà été mise en avant dans des jurisprudences précédentes. Ainsi a-t-il été jugé que l'Etat ne peut obtenir de frais irrépétibles en se bornant à faire état d'un surcroît de travail pour ses services sans se prévaloir de frais exposés (19). Une même solution a été appliquée aux demandes de condamnation ainsi formulées par une commune (20). En conséquence, le juge d'appel annulera un jugement accordant à l'Etat ou à une commune une somme au titre de frais non compris dans les dépens alors que les pièces du dossier ne font pas apparaître que l'Etat ou cette commune ait engagé des frais (21). Le Conseil d'Etat a mis fin aux interrogations que l'on pouvait avoir sur la notion de frais engagés autres que le surcroît de travail des services en affirmant qu'une collectivité publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat ne saurait présenter une demande au titre des frais non compris dans les dépens (22).

Toutefois, sans remettre en cause expressément cette décision, le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions de l'article L. 761-1 ne font pas obstacle à ce que soit mise à la charge de la partie perdante une somme demandée par une personne morale, notamment par l'Etat, au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens, alors même que cette personne morale n'a pas été représentée par un avocat. Et que, par suite, en faisant droit aux conclusions présentées en défense par le directeur des services fiscaux tendant à l'application de ces dispositions, alors même que pour justifier cette demande, l'administration, qui n'avait pas été représentée par un avocat, faisait état des coûts supportés par ses services, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit (23). L'arrêt d'espèce vient donc confirmer la jurisprudence classique et initiale en revenant quelque peu sur la jurisprudence de 2007 et en rappelant que les sommes allouées au titre de l'article L. 761-1 ne peuvent l'être qu'au vu de la justification de dépenses véritablement engagées pour la conduite du procès.


(1) A l'égard des magistrats, elle permet au rapporteur de prévoir avec quelques sûretés le programme d'enrôlement de ses affaires et de préparer sereinement un projet sur un litige dont le périmètre est figé, en principe définitivement, c'est-à-dire en fonction d'un dossier effectivement en état d'être jugé. Il y va, également, du respect du travail du rapporteur public.
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 7 décembre 2011, n° 330751, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1748H4I).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 316694, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1105EK7).
(4) R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 2006, p. 818.
(5) CE 3° s-s., 11 avril 2012, n° 347510, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6162II3).
(6) Pour une application récente, CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2012, n° 338665, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6848IBA).
(7) CEDH, 18 octobre 2007, Req. 12316/04 (N° Lexbase : A7585DYL).
(8) CJA, art. R. 113-1 (N° Lexbase : L2627ALU) à R. 113-3.
(9) CE Ass., 7 juillet 1989, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 106284 (N° Lexbase : A0656AQD) et n° 106902 (N° Lexbase : A1686AQI).
(10) CE Sect., 6 octobre 1995, n° 169666, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6371ANB), Rec. CE, p. 350, AJDA, 1995, p. 882, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux, RFDA, 1996, p. 353, concl. M. Denis-Linton.
(11) Décret n° 2002-232 du 21 février 2002, relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics (N° Lexbase : L1381AXG), JO, 22 février 2002, p. 3409.
(12) CE Ass, 6 avril 1990, n° 112497, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5558AQW).
(13) CE Sect., 7 juin 1991, n° 123572, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9974AQH).
(14) Somme correspondant aux frais de procédure à laquelle la partie perdante à l'instance est, en principe, automatiquement condamnée.
(15) CJA, art. R. 761-1 (N° Lexbase : L1544IRM).
(16) Qui ne figurent pas dans l'énumération limitative de l'article 695 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9796IRA).
(17) Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 03-15.155, F-P+B (N° Lexbase : A0537DDA).
(18) CE 9° et 8° s-s-r., 7 avril 1993, n° 132963, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9138AME), Rec. CE, p. 104.
(19) CE 9° et 8° s-s-r., 22 juillet 1994, n° 145606, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2279AS9), CE 8° s-s., 12 décembre 1994, n° 138607, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4251ASA).
(20) CE 9° et 8° s-s-r., 17 juin 1996, n° 167669, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9886ANH).
(21) CAA Nantes, 2ème ch., 30 décembre 1998, n° 98NT00054, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6920BHR).
(22) CE 1° et 4° s-s-r., 3 novembre 1999, n° 187747, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5300AXL), Rec. CE, p. 963.
(23) CE 3° et 8° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 304825, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9699DZA).

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Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Novembre 2012

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N4534BT4

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut universitaire de France

Le 22 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. Après quelques mois d'absence, la chronique de procédure civile fait le point sur les arrêts parus depuis le mois d'avril 2012. L'actualité est dense. Elle concerne, une nouvelle fois le droit de la preuve civile, car plusieurs arrêts de principe ont été rendus depuis les derniers mois dans cette matière. L'un d'entre eux sera analysé en détail dans cette chronique. La première chambre civile y consacre de façon explicite le principe du "droit à la preuve" (Cass. civ. 1, 5 avril 2012 n° 11-14.177, F-P+B+I). Cette analyse permettra de mettre en perspective l'arrêt avec d'autres décisions récentes sur les preuves illicites (Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-14.486, F-P+B+I ; Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS P+B). Deux autres arrêts importants sur l'expertise, rendus par la chambre mixte, feront l'objet d'une analyse dans la prochaine chronique prévue pour le mois de décembre. L'actualité de cette chronique concerne ensuite les pouvoirs du juge de la mise en état en matière de fin de non-recevoir (Cass. avis, 13 févr. 2012, n° 01200001P) et l'éclairage donné par la Cour de cassation sur les décrets dits "Magendie" à propos de la réforme de la procédure devant la cour d'appel (Cass. avis, 2 avril 2012, n° 01200003 ; Cass. avis, 25 juin 2012, n° 1200005). I - Le droit à la preuve : la consécration d'un principe et d'une méthode d'analyse de la licéité des preuves
  • La Cour de cassation consacre le droit à la preuve comme un nouveau principe général de procédure civile (Cass. civ. 1, 5 avril 2012 n° 11-14.177, F-P+B+I N° Lexbase : A1166IIZ)

Le droit à la preuve est un principe qui a longtemps été ignoré par la Cour de cassation, alors même que la doctrine s'accordait à reconnaître son existence depuis le début du 20ème siècle et, plus encore, avec l'avènement du nouveau Code de procédure civile en 1975 (1). Dès 1911, à propos des lettres missives, Gény parlait d'un droit à la preuve, qu'il définissait comme "une faculté en vertu de laquelle chacun recueille et emploie, à sa guise, les moyens que lui offre la vie sociale (notamment les lettres missives) pour la justification et la défense de ses droits" (2). Durant la réforme du Code de procédure civile, un autre auteur a établi un lien entre le droit à la preuve et la procédure de production forcée des preuves en justice qui venait d'être créée (3). C'est le Professeur Goubeaux, qui définira précisément les contours du droit à la preuve dans un article célèbre (4). L'auteur montrait que ce droit se présentait à la fois comme la possibilité de produire une preuve que l'on détient et comme la faculté d'obtenir une preuve que l'on ne détient pas. Enfin, en 2007, c'était la thèse du Professeur Bergeaud qui fut consacrée au droit à la preuve. L'auteure montrait à la fois son existence en droit positif, mais également ses limites et les conditions de sa mise en oeuvre.

L'approche doctrinale du droit à la preuve a toujours été fondée sur l'observation des règles techniques du droit positif, mais la Cour de cassation, jusqu'à présent, n'avait jamais consacré l'existence d'un principe général du droit à la preuve. La jurisprudence la plus marquante en matière d'obtention d'une preuve fut la reconnaissance par la première chambre civile dans un arrêt du 28 mars 2000 (5) d'un droit à l'expertise biologique, dans le contentieux de la filiation. Elle affirmait alors "en matière de filiation, l'expertise biologique est de droit pour celui qui la sollicite sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder".

Dans ce contexte, l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 avril 2012 est un grand arrêt de principe. Dans cette affaire, un conflit était né entre plusieurs héritiers sur l'existence d'une donation rapportable à la succession. Pour établir la preuve de cette donation, l'un des héritiers avait produit en justice une lettre écrite par le défunt. La cour d'appel avait retiré cette lettre des débats en invoquant l'atteinte à la vie privée et au secret des correspondances. Les juges du second degré constataient ainsi que la lettre avait été produite sans l'autorisation de son rédacteur, ni des deux cohéritières du plaideur.

La Cour de cassation censure cette décision en affirmant "qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Cet arrêt est très riche en enseignements. D'abord, il consacre l'existence du droit à la preuve en droit positif alors que le principe n'avait, jusque-là, qu'une valeur doctrinale. Ensuite, l'arrêt suggère que le droit à la preuve doit se concilier avec d'autres principes, qui sont ici qualifiés d'"intérêts antagonistes". Enfin, l'arrêt pose les critères qui permettent de concilier les principes opposés avec le droit à la preuve : la nécessité et la proportionnalité.

A - La consécration du droit à la production d'une preuve en justice

Le droit à la preuve se présente de deux façons selon que le plaideur possède ou non la preuve nécessaire pour établir la réalité du fait qu'il allègue en justice.

Si le plaideur ne possède pas cette preuve, le Code de procédure civile met à sa disposition plusieurs mécanismes qui sont aujourd'hui bien connus des praticiens. Il est possible de demander au juge qu'il ordonne la production d'une pièce détenue par une partie adverse ou par un tiers. Le plaideur peut encore solliciter une mesure d'instruction. Enfin, celui qui n'a pas encore agi en justice peut avoir recours au juge sur le fondement de l'article 145 (N° Lexbase : L1497H49) pour obtenir une mesure d'instruction in futurum par la voie du référé ou sur requête. Toutes ces mesures probatoires sont soumises à une décision de justice. S'agissant des mesures d'instruction, le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation souveraine. Il est donc tenu de motiver sa décision s'il refuse de faire droit à la demande de preuve (6). En revanche, s'agissant de la production forcée, la Cour de cassation admet que le pouvoir des juges du fond est discrétionnaire (7). Dans les deux cas, il faut constater que le droit à la preuve est largement conditionné par l'intervention du juge, qui contrôlera, non seulement la licéité, mais encore l'opportunité de la mesure sollicitée.

Si le plaideur possède la preuve nécessaire pour soutenir son allégation, sa situation est évidemment plus favorable. Encore faut-il qu'il soit autorisé à produire cette preuve en justice. Jusqu'à l'arrêt du 5 avril 2012, la situation du plaideur qui produit une preuve n'était pas envisagée sous l'angle d'une prérogative. Tout au plus, pouvait-on considérer que le principe de la liberté de la preuve l'autorisait à produire en justice toute forme de preuve. Mais précisément, le principe de la liberté de la preuve ne trouvait pas à s'appliquer dans l'affaire étudiée, puisqu'il s'agissait de prouver l'existence d'une donation, donc d'un contrat. Cette preuve était soumise au régime de la preuve légale, et non de la preuve libre.

Dans certaines jurisprudences, le droit à la preuve pouvait trouver un appui utile sur le principe d'égalité des armes. La Cour de cassation affirmait ainsi dans un arrêt récent que "constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes [...] le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions" (8). Mais le principe d'égalité des armes créé une situation d'équilibre entre les parties. Il ne crée pas de droit au profit d'un plaideur. Autrement dit, si un droit est retiré aux deux parties, il n'y a pas d'atteinte à l'égalité des armes. Ce qui signifie que ce principe n'est pas apte à protéger efficacement un plaideur sur le terrain probatoire.

Ainsi, aucune règle de droit n'autorisait explicitement un plaideur à produire une preuve en justice. A l'inverse, il existait de nombreux principes interdisant la production des preuves. La Cour de cassation avait ainsi admis, sur le fondement de l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), que le respect de la vie privée pouvait constituer un obstacle à la production d'une preuve (9). Il en était de même du principe de loyauté de la preuve, qui devait conduire la Cour de cassation à écarter des enregistrements de conversations téléphoniques effectués à l'insu d'un des interlocuteurs (10).

Avant l'arrêt du 5 avril 2012, le droit à la preuve avait été évoqué implicitement par certains arrêts. Ainsi, dans sa décision du 16 octobre 2008 (11) sur le respect de la vie privée, la Cour de cassation reprochait à la cour d'appel d'avoir écarté une pièce du dossier, "sans caractériser la nécessité de la production litigieuse quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché". La Haute juridiction raisonnait alors a contrario. Elle considérait qu'il était interdit au juge d'écarter une pièce des débats sans examiner la nécessité pour un plaideur d'utiliser cette pièce pour les besoins de sa défense. A l'inverse, cela revenait à reconnaître que le plaideur disposait d'un droit de la produire en justice, dès lors qu'une pièce était utile à la défense.

C'est bien ce droit qui est consacré dans l'arrêt du 5 avril 2012. En affirmant que la cour d'appel devait "rechercher si la production litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice de son droit à la preuve", elle établit un principe général qui impose au juge, chaque fois qu'il examine la recevabilité d'une preuve, de prendre en compte l'existence du droit à la preuve. Au soutien du droit à la preuve, l'arrêt vise l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Le droit à la preuve trouve ainsi sa source dans le principe du procès équitable. La Cour de cassation aurait également pu ajouter dans le visa le principe des droits de la défense, puisque dans l'arrêt rendu en 2007, elle avait examiné le droit de produire une pièce sous l'angle des "besoins de la défense". Quoi qu'il en soit, en le rattachant au procès équitable, la Cour de cassation conçoit le droit à la preuve comme un principe général du droit processuel qui doit être mis en balance avec d'autres principes, tel qu'en l'espèce, le droit au respect de la vie privée. C'est l'un des points importants de l'arrêt. Loin de constituer un principe absolu, le droit à la preuve doit être concilié avec les principes qui définissent la licéité des preuves.

B - Conditions et méthodologie de mise en oeuvre du droit de produire une pièce en justice

La licéité des preuves est un concept doctrinal qui trouve sa source dans l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D). En faisant obligation à chaque partie "de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention", le Code de procédure civile pose un principe de licéité des preuves. Ce principe n'est pas défini par le code, mais on le déduit de l'étude générale des textes et de la jurisprudence en matière probatoire (12). La licéité de la preuve se définit comme la conformité d'une preuve au droit. Plus précisément, la preuve ne peut être recherchée ou produite en violation d'une règle prévue dans un texte légal ou réglementaire ou en violation d'un principe général du droit de la preuve tel qu'il a été dégagé par la jurisprudence. Toutefois, confronté au droit à la preuve, le principe de licéité place le juge face à deux normes contradictoires. D'un côté, le plaideur dispose du droit de prouver, mais d'un autre côté, si la preuve produite est illicite, le juge doit l'écarter des débats au mépris du principe du droit à la preuve. Cette confrontation entre deux principes opposés du droit de la preuve conduit le juge à opérer une conciliation.

Dans l'arrêt étudié, le principe de licéité des preuves est mis en oeuvre par la Cour de cassation de façon implicite, lorsqu'elle confronte le droit à la preuve à des "intérêts antagonistes". Il existe, en effet, de nombreux principes qui peuvent constituer des obstacles à la production d'une preuve en justice : le principe de loyauté, la vie privée, le secret médical, l'interdiction de se constituer une preuve à soi-même (dans le système des preuves légales), le principe du contradictoire, etc.. Des arrêts récents permettent d'illustrer cette confrontation entre droit à la preuve et principes antagonistes. Par exemple, dans le cadre d'un litige opposant un avocat à son client, l'avocat qui souhaite produire en justice des documents confidentiels peut se délier du secret professionnel pour garantir sa défense, mais il ne peut jamais porter atteinte au secret médical (Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-14.486, F-P+B+I N° Lexbase : A9897IPA (13)). Autre exemple, au visa de l'article 9 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a déclaré illicite, car déloyale, l'utilisation de lettres piégées (14) par la poste pour établir la preuve de l'ouverture de certains courriers par un salarié (Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS P+B N° Lexbase : A4789IQG (15)). La licéité des preuves a été retenue dans des arrêts plus anciens, tel l'arrêt "Nikon", qui prohibe la consultation par un employeur des courriels personnels de ses salariés sur le fondement du droit au respect de la vie privée (16).

En opposant le droit à la preuve aux autres principes qui encadrent la production des pièces en justice, la Cour de cassation crée une situation de conflit de normes et adopte, dans le même temps, la méthode qui permet de résoudre ce conflit. En effet, la Haute juridiction impose aux juges du fond de rechercher si la production de la preuve n'est pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. La conciliation des principes doit donc s'opérer au regard de deux critères : la nécessité de produire la preuve et la proportion entre cette nécessité et l'atteinte à un autre droit fondamental (loyauté, vie privée, secret, etc.). On retrouve ici la méthode de conciliation utilisée par la CEDH. La juridiction européenne conçoit qu'un droit fondamental fasse l'objet d'une ingérence, si cette ingérence est nécessaire et proportionnée à un but légitime. On distingue alors l'ingérence justifiée, conforme à la CESDH, de l'ingérence injustifiée, qui constitue la violation de la CESDH.

Cette conciliation permet de consacrer l'existence de principes antagonistes, mais sa mise en oeuvre n'a rien d'évident. En effet, comment apprécier la proportionnalité entre l'intérêt d'un plaideur à produire une pièce en justice et l'atteinte au droit fondamental de son adversaire ? Le critère de la proportionnalité qui est utilisé par les Hautes juridictions donne beaucoup de souplesse au juge. Un mode de preuve n'est pas systématiquement illicite, même lorsqu'il porte atteinte à un droit fondamental. Cette distinction entre la simple ingérence et la violation est directement empruntée à la Cour européenne.

Ainsi, l'arrêt "Nikon" interdit à l'employeur de consulter lui-même la messagerie électronique de son salarié. Toutefois, à la suite de cet arrêt, la Cour de cassation a admis que l'employeur puisse s'adresser au juge sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, afin que ce dernier autorise un huissier à consulter les courriels personnels d'un salarié sur son ordinateur professionnel (17). En premier lieu, la Cour de cassation a affirmé que cette recherche était licite dès lors qu'elle procédait d'un motif légitime et était nécessaire à la protection des droits de la partie qui l'avait sollicitée. En second lieu, la Cour de cassation a jugé qu'en l'espèce, l'employeur avait des motifs légitimes de suspecter des actes de concurrence déloyale et que l'huissier avait rempli sa mission en présence du salarié. Dans de telles circonstances, l'atteinte à la vie privée n'était pas disproportionnée à la protection des droits de l'employeur. Le droit fondamental n'était pas violé.

A l'inverse, dans un contentieux sur le versement de la prestation compensatoire, la Cour de cassation a pu juger que la filature durant plusieurs mois d'un ex-époux par un détective privé constituait une "immixtion dans la vie privée [...] disproportionnée par rapport au but poursuivi" (18). Dans cette affaire, les juges du fond avaient admis la preuve attentatoire à la vie privée au motif qu'elle "était justifiée par la nécessité d'établir devant le juge aux affaires familiales la réalité des revenus de chacune des parties". A l'inverse, la Cour de cassation a estimé que la nécessité d'établir les revenus d'un ex-époux (20) ne pouvait justifier une immixtion grave et durable dans sa vie privée. La violation du droit fondamental était établie.

On comprend alors que la Cour de cassation ne mesure pas la proportionnalité entre le droit à la preuve et le droit atteint par la recherche probatoire. En revanche, elle apprécie la violation d'un droit fondamental au regard de l'enjeu du litige, de la gravité de l'atteinte, mais également de la manière dont la preuve est recherchée (autorisation du juge, présence de la partie concernée, etc.). C'est donc le but légitime poursuivi par le droit à la preuve qui sert de critère d'appréciation pour concilier les principes entre eux.

La méthode de conciliation des droits au regard de la nécessité et de la proportionnalité était donc déjà pratiquée par la Cour de cassation dans des arrêts antérieurs à propos de conflits probatoires. L'apport majeur de l'arrêt de 5 avril 2012 consiste à donner une justification juridique à ce contrôle de proportionnalité. Le droit à la preuve, conçu comme un droit fondamental pour un plaideur, se mesure à un autre droit fondamental. En érigeant deux principes l'un face à l'autre, la Cour de cassation donne à ces principes une position hiérarchique équivalente. Seules les circonstances permettent alors de départager les droits antagonistes et d'apprécier la nécessité et la proportionnalité en fonction des faits de chaque espèce.

La difficulté suscitée par cette méthode de conciliation est de rendre peu prévisible la résolution des conflits qui n'ont pas encore été tranchés en jurisprudence. La consécration du droit à la preuve est donc, à la fois, une avancée essentielle dans l'évolution des droits des plaideurs et un élément de complexification du contentieux probatoire. En définitive, il appartient à la Cour de cassation, qui contrôle étroitement l'exercice du droit à la preuve, de trancher au cas par cas les conflits probatoires. Cette évolution du droit de la preuve vers un modèle anglo-américain, donne à l'analyse des cas jugés, toute sa signification.

II - Compétence du juge de la mise en état pour se prononcer sur une fin de non-recevoir

  • Sauf dispositions spécifiques, le juge ou le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir (Cass. avis, 13 février 2012, n° 01200001P N° Lexbase : A1097IXW)

La Cour de cassation a rendu le 13 février 2012 un avis important, car il tranche une question essentielle de procédure : le juge de la mise en état est-il compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir ?

Cette question présente des incidences pratiques qui peuvent être considérables. Tel est le cas dans le contentieux de la filiation. L'article 333 du Code civil (N° Lexbase : L5803ICW) dispose que "nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement". Cette disposition établit une fin de non-recevoir à l'action en contestation de paternité lorsque la possession d'état est conforme au titre pendant au moins cinq ans. Lorsqu'une action en contestation de paternité est exercée, l'affaire portée devant le TGI est attribuée à un juge de la mise en état qui se trouve face à une situation complexe. Si l'action est irrecevable en vertu de l'article 333 du Code civil, le juge ne peut ordonner l'expertise biologique destinée à vérifier l'existence d'un lien de filiation. La fin de non-recevoir s'oppose à ce qu'une mesure d'instruction soit ordonnée (20). A l'inverse, si l'action est recevable, le juge de la mise en état doit logiquement ordonner l'expertise qui est "de droit" pour celui qui la sollicite (21). Si le JME n'est pas compétent pour se prononcer sur la fin de non-recevoir, il ordonne l'expertise biologique et établit avec une certitude scientifique l'existence ou l'absence de lien de filiation. Malgré la preuve de l'absence du lien de filiation, l'action en recherche de paternité peut être, par la suite, déclarée irrecevable par le TGI statuant au fond. Ainsi, le demandeur sait qu'il n'est pas le père, mais cette situation ne pourra jamais être reconnue en justice.

On mesure, à travers cet exemple, que le pouvoir d'ordonner une mesure d'instruction peut être intimement lié au pouvoir de se prononcer sur une fin de non-recevoir. Et que le débat sur les fins de non-recevoir doit logiquement précéder la recherche des preuves en justice. Ce type de situation est susceptible de se produire dans n'importe quel contentieux, chaque fois qu'une mesure d'instruction est sollicitée par une partie, alors que l'autre invoque l'existence d'une fin de non-recevoir.

Pour résoudre cette difficulté, le Code de procédure civile ne donne pas de réponse claire.

L'article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8431IRP) énonce ainsi que "le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal pour : statuer sur les exceptions de procédures et sur les incidents mettant fin à l'instance". En revanche, cette disposition ne prévoit pas explicitement la compétence du JME pour statuer sur les fins de non-recevoir.

On aurait pu croire que les fins de non-recevoir faisaient partie intégrante des "incidents mettant fin à l'instance". En effet, si le JME déclare l'action irrecevable, cette décision met fin à l'instance. Mais la Cour de cassation a rendu un avis le 13 novembre 2006 (22) dans lequel elle a affirmé que "les incidents mettant fin à l'instance visés par le deuxième alinéa de l'article 771 du nouveau Code de procédure civile sont ceux mentionnés par les articles 384 et 385 du même code et n'incluent pas les fins de non-recevoir". Cet avis présentait une conception classique des incidents d'instance (acquiescement, désistement d'action, péremption, désistement d'instance, caducité de la citation, etc.).

Une première interprétation de l'avis consistait à reconnaître que les fins de non-recevoir n'étaient pas de la compétence du JME. Mais un auteur proposa une autre interprétation qui laissait planer un doute sur la portée de l'avis. Le Professeur Perrot considérait (23) que l'article 771 du Code de procédure civile réservait au JME une compétence exclusive pour trancher certaines questions au cours de la mise en état. Cela n'excluait pas qu'il disposât d'une compétence partagée avec la juridiction du fond pour trancher d'autres questions, telles les fins de non-recevoir.

Par la suite, la Cour de cassation a semblé donner raison à cette interprétation dans deux arrêts rendus le 18 décembre 2008 (24). Dans ces affaires, un conseiller de la mise en état s'était prononcé sur la recevabilité d'un appel et avait rejeté la fin de non-recevoir. Cette défense avait donc été présentée une nouvelle fois devant la cour d'appel. La question posée dans ces affaires concernait l'autorité de la chose jugée par le conseiller de la mise en état. Dans les deux décisions, la Cour de cassation avait jugé que la cour d'appel pouvait statuer sur la fin de non-recevoir qui avait été rejetée par le conseiller de la mise en état. Ainsi, elle admettait que la décision du magistrat instructeur n'avait pas autorité de la chose jugée et ne s'imposait pas à la Cour d'appel statuant au fond.

Dans une précédente chronique, nous avions pu déceler dans ces décisions une confirmation de l'opinion émise par le Professeur Perrot. Le conseiller de la mise en état avait une compétence partagée avec la juridiction du fond pour statuer sur les fins de non-recevoir.

Mais cette interprétation était erronée, car elle négligeait l'article 914 du Code de procédure civile qui, dans sa rédaction de 2008, disposait que "le conseiller de la mise en état est compétent pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel". Ainsi, non seulement, le Code de procédure civile attribuait expressément au juge de la mise en état la compétence pour statuer sur une fin de non-recevoir spéciale (recevabilité de l'appel), mais en plus, cette compétence n'était pas exclusive (25). L'article 914 devait donc s'interpréter comme une dérogation légale.

Mais ces différentes décisions ne trouvent leur pleine signification qu'à la lecture de l'avis rendu le 13 février 2012 par la Cour de cassation, qui fait l'objet du présent commentaire. Les questions posées à la Cour de cassation portaient, principalement, sur la nature du moyen tendant à faire déclarer irrecevable une assignation en partage et, accessoirement, sur la compétence du JME pour prononcer cette décision.

La Cour de cassation profite de cette demande d'avis pour affirmer de façon claire et solennelle que "sauf dispositions spécifiques, le juge ou le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir".

La question est donc tranchée en droit et on comprend que les arrêts rendus en 2008 concernaient une "disposition spécifique", à savoir l'irrecevabilité de l'appel visée par l'article 914 du Code de procédure civile. Par ailleurs, on trouve dans cet avis une confirmation explicite de la solution obscure de l'avis du 13 novembre 2006 : sauf dérogation légale, le JME et le CME ne sont jamais compétents pour statuer sur une fin de non-recevoir, qu'il s'agisse d'une compétence exclusive ou d'une compétence partagée. La solution avait d'ailleurs été annoncée par plusieurs décisions de la Cour de cassation rendues à propos de la prescription (26) ou de l'immunité de juridiction (27).

Si elle est claire, la solution n'emporte pas la conviction. En effet, devant le TGI, la recherche des preuves et le débat au fond se déroulent devant le JME. Les parties peuvent ainsi passer des mois à rechercher des éléments de preuve, à solliciter des mesures d'instruction, à débattre sur le fond du dossier alors que l'action risque d'être déclarée irrecevable par la juridiction du fond. Il s'agit là d'une situation ubuesque. Imaginons un JME saisi d'une demande de mesure d'instruction par l'une des parties et d'une fin de non-recevoir par l'autre. La logique voudrait qu'il tranche d'abord la fin de non-recevoir avant d'ordonner la mesure probatoire. Au contraire, il n'est compétent que pour se prononcer sur la mesure d'instruction.

Dans un tel contexte, on peut se demander à quoi sert la mise en état. La préparation du dossier au moyen d'une instruction civile a précisément pour objectif de régler en amont toutes les questions de procédure. La fin de non-recevoir n'est pas une défense au fond. On ne voit pas de raison d'en réserver la compétence à la juridiction de jugement. Dans son rapport sur la demande d'avis, le Conseiller rapporteur se retranche derrière la doctrine majoritaire qui conclut à l'incompétence du juge de la mise en état en matière de fin de non-recevoir. L'avocat général est plus nuancé. Il cite d'abord le rapport "Magendie" "Célérité et qualité de la justice : la gestion du temps dans le procès" (2004), qui proposait de créer une procédure pour statuer sur les "irrecevabilités manifestes" durant la mise en état. S'il constatait une cause d'irrecevabilité manifeste, le JME devrait alors "renvoyer immédiatement l'affaire devant le tribunal pour qu'il en soit jugé". Cette proposition resta lettre morte.

De surcroît, la position de l'avocat général semble constituer une bonne clé de compréhension de l'avis du 13 février 2012. Le Haut magistrat écrit ainsi "On pourrait [...] souhaiter qu'un décret vienne modifier l'article 771 du Code de procédure civile et donner au juge de la mise en état des pouvoirs similaires à ceux dont dispose le conseiller de la mise en état pour statuer sur des fins de non-recevoir". Et il ajoute ensuite "mais il me paraIt en l'état, non justifié de modifier le sens de l'avis déjà formulé le 13 novembre 2006".

La motivation de l'avis du 13 février 2012 apparaît plus claire : l'article 771 ne confie pas de compétence au JME pour statuer sur les fins de non-recevoir et il n'appartient pas à la Cour de cassation de créer une compétence nouvelle dans le silence du code. C'est donc au pouvoir règlementaire de prendre ses responsabilités pour modifier l'article 771.

Nous ne voyons aucun obstacle à ce que le JME, juge de la procédure, se prononce sur une fin de non-recevoir. La solution du renvoi préconisée par le rapport "Magendie" est également une solution qui mérite d'être explorée. En définitive, quelle que soit la procédure choisie, l'essentiel est que le débat sur les fins de non-recevoir précède tant la recherche des preuves que l'échange des écritures sur le fond du dossier.

L'efficacité et la célérité de la justice auraient tout à gagner d'une telle réforme.

III - Premiers avis rendus sur la réforme de la procédure en appel (Cass. avis, 2 avril 2012, n° 01200003P N° Lexbase : A6501IHA ; Cass., avis, 25 juin 2012, n° 1200005P N° Lexbase : A8822IPG)

A la suite du rapport rendu en 2004 par la commission présidée par Jean-Claude Magendie (28), ce magistrat a présidé une nouvelle commission dont le rapport remis en 2008 portait plus spécifiquement sur la célérité et la qualité de la justice en appel. Ce rapport a été suivi de deux décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 (N° Lexbase : L0292IGW) et n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 (N° Lexbase : L9934INA).

Ces décrets ont profondément modifié la procédure d'appel en imposant de nombreux délais aux plaideurs et instituant une procédure dite 3+2+2 qui peut être résumée ainsi :

- l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure à peine de caducité relevée d'office ;

- l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ;

- un appel incident ouvre à l'intimé incident un nouveau délai de deux mois à compter de la notification pour conclure.

Dans un premier avis rendu le 2 avril 2012, la Cour de cassation a été saisie de questions très techniques liées à la signification par un intimé des conclusions à un co-intimé défaillant à l'encontre duquel il ne formule aucune prétention.

Au-delà de ces questions techniques, il était demandé à la Cour de cassation de préciser si le juge était tenu de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions non signifiées et si les parties pouvaient également soulever cette irrecevabilité.

La Cour de cassation répond par l'affirmative à ces deux questions : "le conseiller de la mise en état doit d'office prononcer l'irrecevabilité des conclusions ; en cas d'indivisibilité entre les parties, celles-ci peuvent soulever l'irrecevabilité".

Bien que les questions portaient sur un cas d'indivisibilité entre parties, on peut considérer que la réponse concerne ici toutes les causes d'irrecevabilité instituées par la réforme de la procédure d'appel, dès lors que le code a prévu que cette sanction est "relevée d'office".

Un second problème plus important encore a été soumis à la Cour de cassation pour avis. Il s'agit de la question de la communication des pièces en appel. Avant la réforme de la procédure d'appel, il était prévu que seules les pièces nouvelles -qui n'avaient pas été versées au débat en première instance- devaient faire l'objet d'une communication en appel (C. pr. civ., art. 132 in fine N° Lexbase : L0429IGY). Cette disposition a disparu, de sorte qu'avec le décret du 9 décembre 2009, le principe prévu à l'article 132 du Code de procédure civile s'applique en première instance comme en appel : "la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance".

Par ailleurs, un nouvel article 906 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0367ITR) prévoit que "les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat".

Dans ce contexte très contraignant pour les plaideurs, la question a été posée à la Cour de cassation de savoir quelle était la sanction du défaut de communication "simultanée" des pièces visées par les conclusions.

La Cour de cassation a répondu dans un avis du 25 juin 2012 en affirmant que "doivent être écartées les pièces, invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions".

La sanction est radicale, mais la doctrine est divisée sur ses conséquences. En effet, selon une première interprétation, il suffira à un plaideur de présenter de nouvelles conclusions pour joindre les pièces qu'il n'a pas eu le temps de communiquer précédemment. Selon une seconde interprétation plus pessimiste, les pièces écartées des débats le seront définitivement.

La demande d'avis définit ainsi une sanction dont les effets dans le temps demeurent flous et cette question donnera lieu -à n'en pas douter- à de nouvelles jurisprudences.


(1) Les illustrations doctrinales qui suivent sont extraites de la thèse du Professeur Aurélie Bergeaud, Le droit à la preuve, Bordeaux, 2007, publication LGDJ.
(2) F. Gény, Des droits sur les lettres missives, Tome II, Sirey, Paris, 1911, p. 106.
(3) C. Marraud, Le droit à la preuve. La production forcée des preuves en justice, JCP, 1973, I, 2572.
(4) G. Goubeaux, Le droit à la preuve, in La preuve en droit, Etudes publiées par Ch. Perelman et P. Foriers, Bruylant, Bruxelles, 1981, p. 277 et s..
(5) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806 (N° Lexbase : A8717AHC), JCP éd. G, 2000, II, 10 409.
(6) Cass. civ. 1, 25 avril 1979, n° 78-11.293 (N° Lexbase : A9368CIS), Bull. civ. I, n° 120.
(7) Cass. civ. 2, 14 novembre 1979, n° 78-13.120, publié au bulletin N° Lexbase : A4748CHC), D., 1980, p. 365.
(8) Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-10.606, F-P+B (N° Lexbase : A2532DWP), Bull. civ. IV, n° 130, D., 2007, Pan., p. 2775, obs. A. Lepage, RTDCiv., 2007, p. 637, obs. R. Perrot, RTDCiv., 2007, p. 753, obs. J. Hauser.
(9) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-15.778, FS-P+B (N° Lexbase : A8028EAL).
(10) Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A7431GNK).
(11) Préc..
(12) Cf. E. Vergès, Eléments pour un renouvellement de la théorie de la preuve en droit privé, in Mélanges, J.-H Robert, Lexisnexis, 2012, p. 853, cf. spec. p. 888, concernant l'exclusion d'une preuve fondée sur le principe de licéité.
(13) Procédures, n° 8, Août 2012, comm. 261.
(14) Lettres dites "festives" qui diffusent une encre bleue à leur ouverture.
(15) JCP éd. G, 2012, 904.
(16) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942 (N° Lexbase : A1200AWD).
(17) Cass. soc., 23 mai 2007 n° 05-17.818, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP).
(18) Cass. civ. 2, 3 juin 2004, n° 02-19.886, FS-P+B (N° Lexbase : A5489EI7), D., 2004, som. p. 2651.
(19) Il s'agissait en l'espèce de prouver que l'ex-époux vivait en concubinage et de rechercher des éléments de son train de vie.
(20) Cf. sur ces aspects, G. Vial, La preuve en droit extrapatrimonial de la famille, Dalloz, 2008, p. 179, n° 126.
(21) Cf. notre commentaire de l'arrêt du 5 avril 2012 plus haut.
(22) Cass. avis., 13 novembre 2006, n° 0060012P (N° Lexbase : A1096IXU), JCP éd. G, 2007, II, 10027.
(23) R. Perrot, Procédures, janvier 2007, comm. 8.
(24) Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, 2 arrêts, n° 08-11.103, F-P+B (N° Lexbase : A9221EB7), n° 07-20.599, F-P+B (N° Lexbase : A9086EB7).
(25) Cette situation a changé depuis le décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 (N° Lexbase : L9934INA) qui prévoit, désormais, à l'article 914, que le conseiller de la mise en état est "seul compétent pour [...] déclarer l'appel irrecevable".
(26) Cass. civ. 2, 17 avril 2008, n° 07-14.298, F-D (N° Lexbase : A9727D7E) "la cour d'appel a donc, en déclarant le juge de la mise en état sans pouvoir pour statuer sur la prescription et en disant que la procédure devait se poursuivre, légalement fondé sa décision".
(27) Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-10.044, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3238G73), Bull. civ. I, n° 54.
(28) Rapport intitulé "Célérité et qualité de la justice : la gestion du temps dans le procès".

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