La lettre juridique n°848 du 17 décembre 2020

La lettre juridique - Édition n°848

Sécurité intérieure

[Focus] Proposition de loi relative à la sécurité globale : les dispositions controversées et les autres

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N5709BY4

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par Sébastien Fucini Maître de conférences à l’Université Aix-Marseille Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles – UR 4690

Le 16 Décembre 2020


Mots-clés : loi sécurité globale • police • police municipale • drones • sécurité privée • forces de sécurité • activités privées de sécurité • diffusion malveillante • crédits de réduction de peine

En dehors du domaine social ou sociétal, il est rare qu’un projet ou de surcroît une proposition de loi suscite de vifs débats médiatiques et provoque des manifestations. Il est plus rare encore, sinon inédit, qu’un premier ministre propose la réécriture d’une disposition, en cours de discussion au Parlement, par une commission extra-parlementaire, suscitant une émotion telle que l’idée a été abandonnée. Il en va pourtant ainsi de la proposition de loi relative à la sécurité globale, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 novembre 2020 [1]. L’article 24, connu de tous en ce qu’il vise à interdire la diffusion malveillante de l’image d’un policier, n’est cependant qu’une des nombreuses dispositions parmi toute une série suscitant des interrogations.


 

La proposition de loi, issue d’un rapport parlementaire [2], se donne pour ambition, d’après son exposé des motifs, de clarifier les rôles et les missions des acteurs de la sécurité. Ses principales dispositions visent essentiellement à octroyer de nouveaux pouvoirs à la police municipale, notamment au travers d’une expérimentation, mais aussi à encadrer davantage le secteur de la sécurité privée. Mais au-delà de ces ambitions initiales, la proposition de loi contient également de nombreuses autres dispositions destinées à régir l’utilisation des images issues de vidéoprotection, des caméras piétons, des caméras embarquées et des drones, à élargir les pouvoirs des forces de sécurité dans les transports et surtout à renforcer la protection des forces de sécurité, par l’élargissement du champ d’application des circonstances aggravantes des infractions dont elles sont victimes, la suppression des crédits de réduction de peine pour les auteurs d’infractions à leur encontre, par l’autorisation du port d’arme en dehors du service ou encore par la désormais bien connue interdiction de diffuser les images d’un policier dans l’objectif de lui nuire. Sans prétendre à l’exhaustivité et pour ne s’attacher qu’aux principales dispositions du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale, celui-ci peut être analysé dans ses aspects concernant l’organisation et les pouvoirs des forces de sécurité (I) et dans ceux concernant leur protection (II).

I. L’organisation et les pouvoirs des forces de sécurité

Légiférant sur des aspects très variés de la sécurité globale, l’Assemblée nationale a adopté des règles concernant la police municipale (A) et le secteur de la sécurité privée (B) ainsi que des dispositions régissant les pouvoirs des forces de sécurité en matière de vidéoprotection (C).

A. La police municipale

La proposition de loi, telle qu’adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, vise en premier lieu les pouvoirs de la police municipale. Actuellement, dans le cadre de la procédure pénale, les agents de police municipale sont considérés comme des agents de police judiciaire adjoints [3] et ils ont pour mission « de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire » et « de rendre compte à leurs chefs hiérarchiques de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance » [4]. Certains agents de police judiciaire adjoints peuvent également avoir pour mission, en vertu des dispositions qui leur sont propres, de constater certaines infractions à la loi pénale et de recueillir tous les renseignements en vue d’en découvrir les auteurs [5]. En la matière, les pouvoirs des agents de police municipale sont circonscrits : ils ne peuvent que rendre compte à un officier de police judiciaire (OPJ) des infractions dont ils ont connaissance et adresser leurs rapports et procès-verbaux au maire et, par l’intermédiaire de l’OPJ, au procureur de la République [6].

Sur ce dernier point, la proposition de loi entend élargir les pouvoirs des agents de police municipale au travers d’une expérimentation (art. 1er). Celle-ci pourra être mise en place dans certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale employant au moins vingt agents, après décision du conseil municipal et arrêté conjoint des ministres de l’Intérieur et de la Justice, pour une durée de trois ans. Il s’agira pour l’essentiel de conférer de nouveaux pouvoirs de police judiciaire aux agents de police municipale. Ainsi, les chefs de service de police municipale, comme les gardes champêtres, pourront faire procéder à l’immobilisation d’un véhicule avec l’autorisation préalable du procureur de la République, pour les contraventions et délits routiers pour lesquels sa confiscation est encourue. Ils devront pour cela être habilités par le parquet.

Les agents de police municipale pourront par ailleurs procéder à la saisie des objets qui ont servi à commettre ou qui sont le produit des infractions qu’ils seront habilités à constater. C’est qu’en effet, le législateur entend habiliter les agents de police municipale à constater par procès-verbal plusieurs délits, lorsqu’ils ne nécessitent aucun acte d’enquête : la vente à la sauvette, la conduite sans permis, la conduite sans assurance, le fait de créer un obstacle à la circulation routière, l’occupation de hall d’immeuble, l’usage de produits stupéfiants, les destructions et le port d’armes. Ils pourront également constater les délits d’introduction dans le domicile d’autrui ou d’installation sur le terrain d’autrui mais uniquement s’il s’agit d’un local ou d’un terrain communal. Ils pourront encore constater les contraventions d’acquisition de produits du tabac vendus à la sauvette et les contraventions en matière de vente et de consommation d’alcool prévues par le Code de la santé publique. Cette disposition n’a rien d’anodin : actuellement, les agents de police municipale peuvent évidemment rendre compte de toute infraction à l’OPJ, mais les procès-verbaux qu’ils rédigent ne valent qu’à titre de simples renseignements [7]. Cependant, lorsqu’un agent reçoit de la loi le pouvoir de constater certains délits, les procès-verbaux ont une valeur probante renforcée : ils valent jusqu’à preuve contraire, laquelle ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins [8]. Or, la valeur probante renforcée d’un procès-verbal découle la plupart du temps de la spécialisation des agents ayant constaté les infractions. Le défaut de spécialisation des agents de police municipale et la diversité, malgré leur simplicité, des délits qu’ils seront amenés à constater, conduit à douter de la pertinence de cette disposition. Toujours dans le cadre de l’expérimentation, les agents de police municipale pourront procéder à un relevé d’identité des auteurs des délits qu’ils sont habilités à constater, là où l’article 78-6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1214LDC) restreint ce pouvoir à certaines contraventions seulement.

Au-delà de l’expérimentation, la proposition de loi entend renforcer les pouvoirs de la police municipale, en informant le maire des suites données aux infractions constatées par les agents (art. 1er bis), en supprimant le seuil de 300 personnes pour leur participation à la sécurisation d’une manifestation sportive (art. 2) ou encore en permettant aux policiers municipaux et aux gardes champêtres d’appréhender une personne en état d’ivresse manifeste (art. 3).

S’agissant de l’organisation de la police municipale, la proposition entend permettre la création d’un corps spécifique de police municipale à Paris (art. 4), proposition très attendue et souhaitée par la maire de la capitale. Elle permet en outre de créer plus facilement des polices municipales intercommunales, en supprimant le seuil de 80 000 habitants (art. 5) et entend harmoniser les conditions de recrutement des agents, en prévoyant une obligation de service de trois à cinq ans au profit de la commune qui les a formés.

B. Les activités privées de sécurité

La proposition de loi contient en outre de nombreuses mesures concernant le secteur de la sécurité privée, dont les prérogatives et les rapports avec la sécurité publique interrogent [9]. Il s’agit notamment d’encadrer davantage le secteur par une limitation de la sous-traitance (art. 7) et par un accroissement des pouvoirs du Conseil national des activités privées de sécurité pour constater des infractions commises par les agents privés et les entreprises de sécurité et infliger des sanctions disciplinaires (art. 8). Il s’agit également de redéfinir les conditions de recrutement des agents de sécurité privée, point sur lequel des dispositions étonnantes ont été adoptées. Ainsi, un ressortissant étranger hors Union européenne ne pourra exercer une telle activité que s’il est titulaire d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans (art. 10). De plus, tout ressortissant étranger, y compris de l’Union européenne, devra justifier une connaissance suffisante de la langue française « et des valeurs de la République ». Si cette seconde exigence, en particulier la connaissance des valeurs de la République, peut paraître saugrenue, la première, relative à la durée de séjour en France, est bien plus problématique. Elle apparaît discriminatoire puisqu’elle traite différemment les étrangers par rapport aux nationaux et européens, sans que cela n’apparaisse adapté à la différence de situation. Le Conseil constitutionnel a déjà admis que l’exercice à titre individuel d’une activité privée de sécurité ou la direction d’une personne morale se livrant à cette activité soit réservée aux ressortissants français ou européens. Pour cela, il a considéré que le législateur avait entendu exercer un strict contrôle des dirigeants qui étaient associés aux missions de l’État en matière de sécurité publique et qu’il avait poursuivi un motif d’intérêt général lié à la protection de l’ordre public [10]. S’il est vrai que la participation d’un agent de sécurité à certaines missions de l’État peut justifier une différence de traitement, l’exigence relative à la durée de séjour en France n’apparaît pas directement en lien avec la recherche de l’intérêt général [11].

Au-delà de ces dispositions concernant l’exercice de l’activité et son contrôle, la proposition de loi ne modifie qu’assez peu leur rôle. Il faut cependant noter qu’une modification de l’article L. 613-1 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L2988LH7) est envisagée : cet article permet au préfet d’autoriser à titre exceptionnel les agents de sécurité privée « à exercer sur la voie publique des missions, mêmes itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont ils ont la garde ». La proposition entend ajouter à cette liste les actes de terrorisme. Cet ajout apparaît surprenant, tant la prévention du terrorisme est intimement liée à la police administrative. Or, le Conseil constitutionnel considère que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen s’oppose à « la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique nécessaire à la garantie des droits » [12]. Malgré le caractère exceptionnel et l’exigence d’autorisation du préfet, la constitutionnalité et surtout l’intérêt de l’ajout des actes de terrorisme, sont douteux.

C. Les images captées par les forces de sécurité

La proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale suscite également la controverse en ce qu’elle entend ouvrir assez largement l’accès aux images de vidéoprotection et leur captation. En effet, en premier lieu, les députés souhaitent élargir l’accès et le visionnage des systèmes de vidéoprotection. Les policiers municipaux habilités pourraient avoir accès aux images d’un système installé sur la voie publique (art. 20), tandis que les cas d’accès à un système installé dans une copropriété sont élargis (art. 20 bis).

Mais ce sont en second lieu les conditions d’accès aux images enregistrées par les caméras piétons et par les drones qui suscitent des interrogations. Les cas de visionnage des images enregistrées par ces caméras que les policiers portent sur eux sont élargis, celles-ci pouvant être transmises en temps réel au poste de commandement si la sécurité des personnes ou des biens est menacée. De manière plus contestable, les agents pourront avoir accès à ces images et celles-ci pourront être diffusées pour « l’information du public sur les circonstances de l’intervention » (art. 21).

L’Assemblée nationale entend surtout encadrer le recueil d’images par drones. Ces dispositions posent des difficultés s’agissant de la protection de la vie privée, tant cet outil peut recueillir en tous lieux des images. La proposition énonce de nombreux cas dans lesquels l’usage des drones sera autorisé, parmi lesquels, outre la prévention de certaines infractions ou la protection de certains bâtiments et installations militaires, la sécurisation des rassemblements sur la voie publique. Concernant la protection de la vie privée, la proposition ne contient qu’une disposition prévoyant que les drones ne doivent pas permettre de visualiser les images de l’intérieur des domiciles ni de celles de leurs entrées. Cela semble insuffisant pour assurer la protection de la vie privée, qui ne se limite pas au domicile, d’autant que les modalités de traitement des images ne sont pas précisément encadrées. Le Conseil d’État avait par ailleurs proscrit le recours à des drones pour contrôler le respect des mesures sanitaires en ce qu’aucun texte réglementaire n’encadrait le recueil des images constituant un traitement de données à caractère personnel dès lors qu’il est possible d’identifier les personnes filmées [13]. D’une manière similaire, la proposition entend encadrer le recours aux caméras embarquées qui se trouvent dans les véhicules des forces de l’ordre (art. 22 bis).

Parmi les autres dispositions notables relatives aux pouvoirs des forces de sécurité, on peut citer l’article 25, qui vise à interdire le refus d’accès à un établissement recevant du public à un policier ou un gendarme armé en dehors de son service et l’article 26, tendant à aligner le droit d’usage d’une arme par les militaires déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle sur celui des policiers et des gendarmes (CSI, art. L. 435-1 N° Lexbase : L1138LDI).

II. La protection des forces de sécurité

Pour assurer la protection des forces de sécurité, l’Assemblée nationale a adopté plusieurs mesures vivement contestées et d’autres passées plus inaperçues mais contestables. Ainsi, elle a voulu pénaliser la diffusion malveillante de l’image d’un policier (A), supprimer les crédits de réduction de peine pour certaines infractions dont ils sont victimes (B) et aggraver certaines infractions dont sont victimes ou auteurs les agents de sécurité privée, en les alignant ainsi avec les forces publiques de sécurité (C).

A. La pénalisation de la diffusion malveillante de l’image d’un policier

Les dispositions les plus critiquées de la proposition de loi sont celles relatives à la protection des forces de sécurité, à commencer par le fameux article 24. Sur amendement gouvernemental, la rédaction de cet article a évolué par rapport au texte adopté par la Commission des lois, afin de tenter, tant bien que mal, de répondre aux critiques suscitées par le texte. Il s’agit de créer un nouveau délit dans la loi sur la liberté de la presse [14], puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le texte initial prévoyait de réprimer « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». Face au tollé médiatique et aux critiques institutionnelles [15] soulevés par cet article, plusieurs ajouts ont été faits : tout d’abord, il est précisé que ce texte est « sans préjudice du droit d’informer ». Ensuite, il est ajouté que le but de porter atteinte à l’intégrité doit être « manifeste ». En outre, la diffusion du numéro d’identification individuel est exclue du délit. D’un autre côté, le délit a été élargi pour y ajouter la police municipale.

Au-delà de son incongruité et en dépit de l’amendement adopté, ce texte a de quoi inquiéter. Il s’agit de sanctionner un comportement ne causant aucune atteinte à l’ordre social alors que le droit pénal a pour objectif de sanctionner de telles atteintes, lorsque le comportement est accompagné, selon le cas, d’une intention ou d’une faute. Il est vrai que le droit pénal peut agir et agit de plus en plus en amont, par des infractions obstacles. Cependant, celles-ci supposent toujours, au-delà de l’intention de commettre ou de s’associer à la commission de l’infraction projetée, des actes matériels particuliers dénotant un risque de trouble à l’ordre social. Ainsi, l’association de malfaiteurs suppose « la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels » d’une infraction [16]. Le mandat criminel suppose des « offres ou des promesses » ou la proposition d’avantages quelconques [17]. La provocation aux crimes ou aux délits suppose des discours, cris, menaces ou des écrits, imprimés, dessins, etc. [18]. Les menaces supposent, pour être matérialisées, un propos réitéré, ou le recours à un écrit, une image ou tout autre objet [19]. La difficulté majeure du texte envisagé est que son acte matériel est absolument dénué de tout comportement contraire à l’ordre social ou matérialisant la volonté d’y porter atteinte. En effet, le seul fait de diffuser l’image d’un policier ne saurait matérialiser la volonté de son auteur qu’il soit porté atteinte à l’intégrité d’un policier. De la sorte, l’intention de porter atteinte à l’intégrité du policier n’a pour support aucun acte matériel, d’où il résulte une difficulté majeure, voire insurmontable, pour caractériser l’intention. Le juge devra nécessairement, pour entrer en condamnation, caractériser cette intention et faute de sonder les esprits, il ne pourra s’appuyer que sur des actes matériels. L’absence totale de définition de ces actes matériels pourrait conduire à considérer que le texte est contraire au principe de légalité en ce qu’il ne définit pas le délit en des termes clairs et précis [20].

De nombreuses qualifications existent pour réprimer les actes que l’Assemblée nationale entend réprimer : la provocation à un crime ou à un délit, les menaces, l’association de malfaiteurs, le mandat criminel… La difficulté pour le Gouvernement, qui a soutenu cet article, et pour l’Assemblée nationale est que ces dispositions ne seraient pas applicables dans toute une série de cas, car l’acte matériel exigé ne peut être caractérisé. Mais précisément, si aucun acte matériel de ces infractions ne peut être caractérisé, c’est que l’intention de porter atteinte à l’intégrité ne peut pas être matérialisée et elle ne pourra pas l’être davantage avec ce délit.

L’intention est en outre réduite à un mobile : la diffusion de l’image d’un policier n’est punie que parce qu’elle poursuit un mobile déterminé. Or, l’intention ne repose jamais exclusivement sur le mobile, ce dernier pouvant parfois être pris en compte mais uniquement au titre du dol spécial pour aggraver l’infraction, comme en matière de racisme [21], ou pour retenir une qualification spéciale au détriment d’une qualification générale, comme le génocide [22]. Ici, le dol général reposerait sur l’intention de diffuser, qui est pourtant l’exercice d’une liberté fondamentale et qui ne saurait à elle seule être réprimée et le dol spécial sur la volonté qu’il soit porté atteinte à l’intégrité du policier. Il s’agit donc de punir un acte relevant de la liberté d’expression et d’information, seulement parce que son auteur est animé d’un mobile suscitant la réprobation.

En somme, ce délit punirait un comportement susceptible de relever de la liberté d’informer, bien qu’il soit prévu qu’il ne puisse y porter préjudice. La Cour européenne des droits de l’Homme a pu affirmer que si la liberté d’expression peut ou doit être réglementée, les États « doivent éviter ce faisant d’adopter des mesures propres à dissuader les médiats de remplir leur rôle d’alerte du public en cas d’abus apparents ou supposés de la puissance publique » [23]. En l’état, il est difficile de voir comment celui-ci pourrait être perçu comme compatible avec la liberté d’expression et d’information, sauf à exiger des actes matériels caractérisant l’intention, anéantissant alors tout l’intérêt de la disposition qui n’aurait plus d’autre utilité que celle de faire craindre une garde à vue et des poursuites pénales à celui qui diffuserait ou qui filmerait avec une éventuelle diffusion en direct, l’image d’un policier. À l’heure où ces lignes sont écrites, on attend toujours la nouvelle rédaction que proposera le Gouvernement [24] et celle qui sera adoptée par le Sénat, mais il semblerait plus raisonnable de supprimer cet article, dès lors que les objectifs recherchés peuvent être atteints par des qualifications pénales existantes.

B. La suppression des crédits de réduction de peine pour certaines infractions

L’article 24 n’est pas la seule disposition tendant à accorder une protection excessivement inutile aux policiers. Ainsi, l’article 23 prévoit de supprimer les crédits de réduction de peine pour les personnes condamnées pour des atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité ou pour des menaces, lorsqu’elles sont réalisées à l’encontre d’un agent de l’administration pénitentiaire, de la gendarmerie nationale, des douanes ou de la police nationale, d’un agent de police municipale, d’un pompier ou, plus surprenant dans cette énumération à la Prévert, d’une personne investie d’un mandat électif public dont leur protection n’a aucun rapport direct ou indirect avec les forces de sécurité. Mais surtout, au-delà de cet élément anecdotique, l’article 23, pourtant adopté à une très large majorité, a des conséquences que l’Assemblée nationale n’a semble-t-il pas mesurées.

Jusqu’à présent, seules les personnes condamnées pour terrorisme étaient exclues des crédits de réduction de peine [25]. Or, on sait à quelles conséquences cela a abouti : les condamnés pour terrorisme, ne bénéficiant pas de crédit de réduction de peine et, à qui le juge n’ont pas octroyé de réduction de peine supplémentaire [26], sont confrontés à une sortie sèche, sans aucun suivi judiciaire. Ne bénéficiant d’aucune réduction de peine, la surveillance judiciaire [27] ne leur est pas applicable et, par voie de conséquence, la surveillance de sûreté [28] ne l’est pas davantage. C’est notamment parce que le législateur n’avait pas permis aux personnes condamnées pour terrorisme de bénéficier de mesures de réinsertion durant leur peine, dont font partie les réductions de peine, que les mesures de sûreté voulues par le législateur pour suivre les personnes condamnées pour terrorisme à l’issue de leur peine ont été déclarées contraires à la Constitution [29]. Cette méconnaissance de l’objectif des réductions de peine conduit l’Assemblée nationale à exclure les crédits de réduction de peine pour les atteintes à la vie ou à l’intégrité des policiers. Certes, les crédits de réduction de peine sont automatiques, mais le juge peut les retirer [30] et certes, ils pourront toujours bénéficier de réductions supplémentaires de peine, mais sur décision du juge. Les crédits de réduction de peine sont en outre un outil important de gestion de la population carcérale, puisqu’ils permettent de sanctionner une mauvaise conduite par leur retrait en tout ou partie. Cette disposition est d’autant plus surprenante qu’elle pourra s’appliquer aux violences y compris n’ayant entraîné aucune ITT ou à des menaces, autrement dit à des délits punis de trois ans d’emprisonnement. Ce texte tend à méconnaître, sinon à réduire l’objectif d’insertion et de réinsertion de la peine proclamé à l’article 130-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9806I3L) et la cohérence du dispositif s’en trouverait entamée, car si la suppression des crédits de réduction de peine pouvait s’expliquer pour des infractions relevant d’un régime particulier, rien n’explique leur suppression pour quelques infractions de droit commun.

C. Autres dispositions pénales

L’Assemblée nationale entend également apporter une protection accrue aux acteurs de la sécurité privée. Les députés souhaitent créer de nouvelles circonstances aggravantes afin de sanctionner plus sévèrement les violences commises sur une personne exerçant une activité privée de sécurité ou par une telle personne (art. 12), de la même manière que pour un agent de la force publique. Il est ainsi opéré dans les valeurs exprimées par le Code pénal une assimilation entre les agents privés et les forces publiques de sécurité. Degré supplémentaire dans cette assimilation, la proposition de loi prévoit de modifier l’article 433-3 du Code pénal (N° Lexbase : L1220LDK), situé dans une section relative aux menaces « contre les personnes exerçant une fonction publique », pour y sanctionner les menaces visant les agents privés de sécurité. Si la proposition de loi n’accroît pas considérablement les pouvoirs des agents de sécurité privée, ce traitement pénal identique exprime la considération semblable qu’a le législateur entre la force publique et la sécurité privée.

Notons qu’au-delà de ces dispositions, nombreuses et variées, auxquelles on pourrait ajouter celles relatives à la sécurité dans les transports, l’Assemblée nationale a également adopté des dispositions visant à encadrer plus sévèrement, y compris par le recours à des sanctions pénales, la vente et l’achat de matériel pyrotechnique. Il s’agit d’enregistrer les transactions, de permettre le refus de vente et de subordonner la vente ou l’achat à des conditions d’âge et de connaissances techniques particulières. La vente ou l’achat en violation de ces règles sera alors puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende et la peine sera aggravée lorsque l’infraction sera commise par un réseau de communications électroniques. On peine ici à comprendre le rapport, direct ou indirect, de ces dispositions avec la sécurité globale, hormis le fait que ces articles pyrotechniques peuvent être utilisés contre les forces de l’ordre.

En définitive, si la proposition de loi a fait polémique avec son article 24, qui nous paraît, sinon inconstitutionnel ou non conventionnel tout au moins inapplicable, de nombreuses autres dispositions doivent attirer l’attention, tant dans la nouvelle organisation souhaitée par les députés des forces de sécurité que dans la protection excessivement inutile qu’ils leur accordent.


[1] Proposition de loi, adoptée, par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale le 24 novembre 2020, T.A. n° 504 [en ligne].

[2] A. Thourot et J.-M. Fauvergue, D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, Assemblée nationale, septembre 2018.

[3] C. proc. pén., art. 21, 2° (N° Lexbase : L7096LUD)

[4] C. proc. pén., art. 21, al. 8 et s. (N° Lexbase : L7096LUD).

[5] C. proc. pén., art. 21, al. 11.

[6] C. proc. pén., art. 21-2 (N° Lexbase : L7036A4D).

[7] C. proc. pén., art. 430 (N° Lexbase : L3253DGL).

[8] C. proc. pén., art. 431 (N° Lexbase : L3250DGH).

[9] V. M.-A. Granger, Sécurité privée et collectivités : quels acteurs, quelles missions, quelles prérogatives, quels contrôles ?, AJCT, 2018, 374.

[10] Cons. const. n° 2015-463 QPC, du 9 avril 2015, n° 5 (N° Lexbase : A2527NGP).

[11] V. aussi sur ce point Avis du Défenseur des droits n° 20-06, du 17 novembre 2020, Relatif au texte adopté par la commission des lois, sur la proposition de loi relative à la sécurité globale [en ligne].

[12]  Cons. const., décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011 (N° Lexbase : A2186G9T), cons. 19 ; v. aussi Cons. const., décision n° 2017-695 QPC, du 29 mars 2018 (N° Lexbase : A0553XIC) (admet la possibilité pour des agents privés d’assister des agents publics pour la réalisation de palpations de sécurité et d’inspections des bagages, dès lors qu’ils ne font qu’assister des agents de police judiciaire eux-mêmes placés sous l’autorité d’un officier de police judiciaire).

[13] CE, ord. référés, 18 mai 2020, n° 440442 et 440445 (N° Lexbase : A64093LX).

[14] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW).

[15] V. not. Avis du Défenseur des droits n° 20-05, du 3 novembre 2020, Relatif à la proposition de loi relative à la sécurité globale [en ligne] et n° 20-06 du 17 novembre 2020, op. cit. ; CNCDH, Avis sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, 26 novembre 2020 [en ligne].

[16] C. pén., art. 450-1 (N° Lexbase : L1964AMP).

[17] C. pén., art. 221-5-1 (N° Lexbase : L8540LXL).

[18] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 23.

[19] C. pén., art. 222-17 (N° Lexbase : L2153AMP).

[20] V. not. Cons. const., décision n° 2012-240 QPC, du 4 mai 2012, où le Conseil constitutionnel avait censuré le délit de harcèlement sexuel en ce que celui-ci était punissable « sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ».

[21] C. pén., art. 132-76 (N° Lexbase : L7897LCH), avec là encore l’exigence d’actes matériels permettant de caractériser le mobile raciste : l’infraction doit être précédée, accompagnée ou suivie de « propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature » caractérisant le mobile raciste.

[22] C. pén., art. 211-1 (N° Lexbase : L4443GTQ).

[23] CEDH, 17 décembre 2004, Req. 33348/96, Cumpana et Mazare c. Roumanie, §113 (N° Lexbase : A4373DEP).

[24] ndlr : La Commission indépendante sur les relations entre journalistes et forces de l’ordre, chargée de proposer des mesures afin de mieux concilier le travail des journalistes et celui des forces de l'ordre lors de manifestations ou opérations de maintien de l'ordre, sera présidée par Monsieur Jean-Marie Delarue, ancien directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, premier contrôleur général des lieux de privation de liberté et ancien président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.

[25] C. proc. pén., art. 721-1-1 (N° Lexbase : L4447K9L).

[26] C. proc. pén., art. 721-1 (N° Lexbase : L9860I3L).

[27] C. proc. pén., art. 723-29 (N° Lexbase : L7523IPC).

[28] C. proc. pén., art. 706-53-19 (N° Lexbase : L9885I3I).

[29] Cons. const., décision n° 2020-805 DC, du 7 août 2020 (N° Lexbase : A00883S3).

[30] C. proc. pén., art. 721 (N° Lexbase : L9860I3L).

 

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Avocats

[Brèves] Un avocat doit pouvoir accompagner ses clients en préfecture, même en temps de Covid !

Réf. : TA Cergy-Pontoise, du 10 décembre 2020, n° 2012496 (N° Lexbase : A595839K)

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par Marie Le Guerroué

Le 16 Décembre 2020

► L’interdiction faite à une avocate d’accéder aux locaux d’une sous-préfecture, pour assister ses clients, a porté une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de la profession d’avocat et au droit des administrés d’être accompagnés lors de leurs démarches.

Faits/Procédure. Une requérante avait saisi le juge des référés libertés après s’être vu refuser, en sa qualité d’avocate, l’accès aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles alors qu’elle était venue assister ses clients dans leurs démarches relatives au droit au séjour. Le préfet avait justifié cette restriction par le contexte sanitaire et le caractère peu complexe des dossiers pour lesquels les usagers avaient été convoqués.

  • Le cadre juridique du litige, l’office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu

Le juge des référés a rappelé que le préfet est habilité, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, à interdire, restreindre ou réglementer l’accès aux établissements recevant du public lorsque les circonstances locales le justifient. Il a toutefois précisé que les mesures de police prises dans ce cadre doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique poursuivi. Il a considéré ensuite que le libre exercice de la profession d’avocat, qui implique une mission d’assistance et de conseil, et le droit pour un administré d’être accompagné par un avocat dans ses démarches, constituent des libertés fondamentales.

  • L’absence de pouvoir discrétionnaire du préfet

En l’espèce, d’une part, le juge des référés a estimé que le préfet ne pouvait, sans entraver gravement l’exercice de la profession d’avocat, décider de manière discrétionnaire de l’utilité de la présence d’un avocat en fonction de la complexité supposée du dossier.

  • Une interdiction ni adaptée, ni nécessaire au contexte sanitaire

D’autre part, le juge des référés a relevé que le préfet ne justifiait pas de l’impossibilité d’assurer le respect des règles de distanciation physique lors des dépôts de demande de titre de séjour ni avoir mis en œuvre d’autres méthodes - telles que le réaménagement des conditions et des horaires d’accueil - pour réguler le flux des usagers. Il en a conclu que l’interdiction d’accès aux locaux n’était ni adaptée, ni nécessaire aux buts poursuivis de préservation de la santé publique et de lutte contre la propagation du virus Covid-19.

  • Une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de la profession d’avocat et au droit des administrés d’être accompagnés lors de leurs démarches

Le juge des référés a donc estimé que l’interdiction faite à l’avocate d’accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles avait porté une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de la profession d’avocat et au droit des administrés d’être accompagnés lors de leurs démarches.

Il a ainsi enjoint au préfet du Val-d’Oise de prendre toutes les mesures permettant aux avocats d’accompagner leurs clients dans leurs démarches, et notamment à la requérante en sa qualité d’avocate, de pouvoir accéder aux locaux de la sous-préfecture de Sarcelles dès ses prochains rendez-vous.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Le principe du libre choix de l’avocat, in La profession d’avocat, Lexbase (N° Lexbase : E43873RW).

 

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Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Compétence du juge de l’honoraire pour apprécier le caractère gratuit de la prestation fournie

Réf. : Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-20.314, F-P+B+I (N° Lexbase : A521133E)

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par Gaëlle Deharo, Full Professor ESCE International Business School - Inseec U. Research Center

Le 16 Décembre 2020

Mots-clefs : Jurisprudence • avocats • honoraires • contexte familial • compétence 

Résumé : Il relève de l’office même du juge de l’honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l’avocat ont été fournies ou non à titre onéreux.

C’est sans inverser la charge de la preuve que le premier président a écarté, en raison du contexte familial dans lequel l’assistance avait été apportée, la présomption selon laquelle le mandat est salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle.


 

A l’occasion d’un litige successoral, un époux avait confié à son épouse, avocate, la défense de ses intérêts. Aucune convention d’honoraires n’avait alors été conclue. Les époux avaient ensuite divorcé et l’avocate avait demandé le paiement de ses diligences à son ex-époux. Ce dernier n’avait cependant pas procédé au paiement de la facture émise par l’avocate, arguant de ce qu’aucun mandat à titre onéreux n’avait été confié à son ex épouse.

Conformément aux dispositions des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), l’avocate avait saisi le Bâtonnier de son Ordre, compétent pour connaitre des contestations en matière d’honoraires [1]. Sur recours, l’affaire fut ensuite portée devant le premier président de la cour d’appel [2], compétent pour connaitre de l’appel de la décision du Bâtonnier. Retenant l’existence d’un mandat à titre gratuit entre les parties, l’ordonnance du premier président rejeta les prétentions de l’avocate tendant à la fixation de ses honoraires et au paiement de ceux-ci.

Le litige portait donc sur le caractère, gratuit ou onéreux, du mandat qui présidait lui-même au droit à rémunération de l’avocat. C’est sur ce point que l’’avocate avait formé un pourvoi en cassation contre l’ordonnance prononcée par le premier président. Elle arguait de l’incompétence du juge taxateur pour apprécier le caractère gratuit du mandat et invoquait la présomption de mandat à titre onéreux tiré de l’exercice habituel de sa profession d’avocate. Deux questions étaient donc posées : la première portait sur l’office du juge de l’honoraire : celui-ci est-il compétent pour apprécier le caractère gratuit ou onéreux du mandat confié à l’avocat ? La seconde question portait quant à elle sur le fond de la décision et, plus particulièrement, le bien fondé de celle-ci : la présomption de mandat à titre onéreux tirée de l’exercice habituel de la profession d’avocat peut-elle être renversée ?

Le moyen est rejeté par la Cour de cassation. Selon la deuxième chambre civile, « il relève de l’office même du juge de l’honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l’avocat ont été fournies ou non à titre onéreux » (I). Celui-ci est par ailleurs bien fondé à écarter la présomption selon laquelle « le mandat est salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle » en raison du contexte familial (II).

I - La compétence du juge de l’honoraire pour apprécier le caractère onéreux des prestations fournies

L’article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 prévoit que les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats ne peuvent être réglées qu'en recourant à la procédure spéciale prévue par les articles 175 et suivants [3]. Aux termes de ces dispositions, ce sont le Bâtonnier et, sur recours, le premier président de la cour d’appel qui sont compétents pour connaitre des contestations en matière d’honoraires. L’étendue de cette compétence a été strictement définie par les textes comme par la jurisprudence (A). Si la compétence du juge de l’honoraire est limitée à la fixation du montant de l’honoraire du par le client à l’avocat, la Cour de cassation vient ici préciser qu’il relève également de la compétence du juge de l’honoraire d’apprécier le caractère gratuit ou onéreux de la prestation fournie (B).

  1. L’étendue de la compétence du juge de l’honoraire

La procédure en contestation des honoraires est une procédure spéciale tendant à fixer le montant des honoraires dus par le client à l’avocat. Aux termes de l’article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, le juge de l’honoraire est compétent pour statuer sur le montant des honoraires dus par le client à l’avocat au regard des critères légaux. Appréciée strictement, la compétence du juge de l’honoraire s’étend néanmoins à l’appréciation des différents éléments de calcul des honoraires [4] tels que :

  • Le montant de la clause pénale due en raison d’une faute de l’avocat [5] ;
  • Le montant des honoraires d'avocats étrangers, mandatés pour le compte de son client par un avocat français [6] ; 
  • Les dommages intérêts moratoires [7].

L’office du juge de l’honoraire se limite donc à la fixation du montant de la somme due par le client au regard de la convention et des critères de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Sous cet éclairage, la jurisprudence a précisé que le juge de l’honoraire est également compétent pour apprécier la validité de la convention d’honoraires [8] ou le caractère exagéré des honoraires prévus [9] ou encore ordonner la suppression des propos outrageants contenus dans les écritures produites devant lui et condamner leur auteur à des dommages et intérêts [10]. A l’opposé, le juge de l’honoraire n’est pas compétent pour :

  • Désigner le débiteur des honoraires [11] ;
  • Apprécier les manquements de l’avocat à ses obligations déontologiques ou professionnelles [12]. A cet égard, la jurisprudence a précisé que le juge de l’honoraire ne pouvait connaitre, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information [13] ;
  • Apprécier la qualité d’héritier des appelants, sa compétence se limitant à la fixation des honoraires de l’avocat du de cujus au regard des diligences accomplies et éventuellement de la convention d'honoraires souscrite par son client, à charge pour l’avocat, de faire exécuter la décision à l'encontre des ayant droits de ce dernier [14] ;
  • Appliquer le principe d’une compensation envisagée par les parties entre, d'une part, la rémunération de l'avocat et, d'autre part, le paiement de prestations techniques réalisées par le client pour le compte de l'avocat [15] ni, de la même façon, entre, d'une part, la rémunération de l'avocat et, d'autre part, la mise à disposition par le client de locaux pour le compte de cet avocat [16] ;
  • Apprécier l’existence du mandat de l’avocat [17]. Aussi, lorsqu’il est saisi de la question de l’existence ou non du mandat, le juge de l’honoraire doit surseoir à statuer [18]. La jurisprudence avait déjà eu l’occasion de tracer les contours de la question de l’appréciation du mandat par le juge de l’honoraire. Elle avait ainsi jugé que « si, saisi d'une contestation sur l'existence du mandat, le premier président doit surseoir à statuer (…), tel n'est pas le cas lorsque la contestation porte uniquement sur l'étendue de la mission confiée à l'avocat ». Aussi, « il entrait dans les pouvoirs du premier président de statuer sur l'étendue de cette mission » [19].

La question posée en l’espèce était toutefois différente : il ne s’agissait pas, pour le juge de l’honoraire, de statuer sur une question relative à l’existence du mandat mais d’apprécier si la mission réalisée par l’avocat avait été réalisée à titre gratuit ou onéreux ce dont dépendait le droit à rémunération.

  1. La compétence du juge de l’honoraire pour apprécier le caractère gratuit ou onéreux de la prestation fournie

La jurisprudence sur le droit à rémunération de l’avocat est abondante et a permis de préciser l’office du juge au regard de l’appréciation de l’étendue de la mission pour laquelle l’avocat avait reçu mandat. Plus précisément, la jurisprudence antérieure avait précisé que le client ne peut utilement soutenir qu’il n’aurait pas donné mandat à l’avocat dès lors qu’il a participé activement à l’accomplissement des actes de procédure litigieux sans jamais attirer l’attention de son conseil sur le dépassement du mandat confié [20]. De la même façon, il avait été jugé qu’il est possible de retenir qu'un malentendu s'est produit entre les parties et l'avocat qui, bien que non mandaté expressément, a cependant pu penser, lors du rendez-vous initial, qu’il avait été  convenu d’un droit à honoraire [21]. Il en résulte que la jurisprudence semble tenir compte des éléments de contexte pour apprécier l’étendue de la mission.

La question, en l’espèce, présentait cependant une originalité certaine dès lors qu’il n’était pas contesté que l’avocat ait reçu mandat de son client. Ce n’est donc pas la question de l’existence [22] ni de la preuve [23] du mandat ni de l’étendue de la mission qui était ici posée, mais celle du caractère gratuit ou onéreux de la mission convenue par les parties, compte tenu du contexte familial. De cette appréciation dépendait le droit à rémunération de l’avocat.

En l’espèce, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a admis qu’il entrait dans l’office du juge de l’honoraire d’apprécier le caractère gratuit ou onéreux du mandat confié à l’avocat : « il relève de l’office même du juge de l’honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l’avocat ont été fournies ou non à titre onéreux ».

La Cour de cassation rejette donc l’argument tiré de l’incompétence du juge de l’honoraire pour apprécier le caractère gratuit ou onéreux de la prestation fournie. Il lui appartenait encore de se prononcer sur l’argument de la demanderesse à la cassation tirée de la présomption de mandat à titre onéreux tiré de l’exercice habituel de la profession d’avocat. 

II - L’éviction de la présomption de mandat à titre onéreux

La demanderesse à la cassation arguait de la présomption de mandat à titre onéreux tiré de l’exercice habituel de sa profession (A). Cet argument est rejeté par la Cour de cassation (B).

  1. L’application de la présomption de mandat à titre onéreux soutenue par la demanderesse à la cassation

La relation entre l’avocat et son client repose sur un contrat de mandat relevant des dispositions des articles 1984 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD). Aux termes de cette disposition, le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose en son nom. Du point de vue procédural, la spécificité de la mission de l’avocat justifie que le mandat de l’avocat relève également d’une autre série de dispositions prévues par les articles 411 et suivants du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6512H7C). Mais ce sont les fondements même du mandat qui étaient ici convoqués au service de l’argumentation du pourvoi. Plus précisément, selon l’article 1986 du Code civil (N° Lexbase : L2209ABG), le mandat est confié à titre gratuit, sauf convention contraire.

C’est cette présomption de gratuité que la demanderesse à la cassation entendait renverser en convoquant une autre présomption : « gratuit par nature, le mandat est présumé salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle ». La Cour de cassation était donc interrogée sur la valeur de ces deux présomptions : laquelle devait s’appliquer en l’espèce ?

La demanderesse à la cassation estimait que l’exercice habituel de sa profession justifiait l’application de la présomption spéciale de mandat à titre onéreux. Il aurait, du reste, pu être allégué de la règle « specialia generalibus derogant » selon laquelle les règles spéciales dérogent aux règles générales. Mais c’est sur le fondement du contexte familial qu’est rejeté le moyen.

La demanderesse à la cassation critiquait en effet l’ordonnance prononcée par le juge de l’honoraire qui avait recherché si des éléments permettaient d’établir le caractère onéreux du mandat. Il aurait ainsi, selon la demanderesse à la cassation, inversé la charge de la preuve qui aurait dû peser sur le client et tendre à démontrer le caractère gratuit du mandat. La demanderesse à la cassation critiquait encore l’ordonnance du premier président en ce que celle-ci constatait, pour retenir le caractère gratuit du mandat, l’absence de convention d’honoraires, d’une part, et de référence, dans ses échanges avec le client, à des honoraires de diligences d’autre part. La jurisprudence est, en effet, assez prudente quant à la portée des échanges entre l’avocat et son client. Ainsi, elle n’admet pas, par exemple, qu’un courriel adressé par l'avocat à son client puisse valoir dénonciation de la convention existante, en l'absence de caractère officiel de ce courrier et du fait de l'imprécision de sa formulation [24].

Ces différents éléments n’ont pas emporté la conviction de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui a retenu que les échanges auxquels il était fait référence dans l’ordonnance du premier président relevaient de l’appréciation souveraine de celui-ci. Le moyen est donc rejeté.

  1. L’application de la présomption de mandat à titre onéreux écartée par la Cour de cassation  

La solution de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est bâtie en quatre temps : dans un premier temps, la Cour de cassation relève la spécificité du contexte familial : les parties « étaient mariées lorsque ce dernier a demandé à son épouse de se charger de la défense de ses intérêts et de ceux de sa sœur, dans le cadre de la succession de son père ». Procédant à un contrôle de motivation, la deuxième chambre civile a approuvé les conséquences juridiques tirées par le juge de l’honoraire de cette constatation : celui-ci « a pu déduire » qu’aucune rémunération n’avait été convenue entre les parties. Il résulte donc de cette décision que la Cour de cassation exerce un contrôle sur les conséquences juridiques du contexte dans lequel le mandat a été confié à l’avocat. Il faut dire que c’est le mécanisme de la preuve qui est en jeu.

Dans un deuxième temps, en effet, la Cour de cassation précise que ce contexte familial justifiait l’éviction de la présomption selon laquelle le mandat est salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle.

Ce constat ouvre le troisième temps du raisonnement : si la présomption selon laquelle le mandat est salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle est écartée, c’est la règle du mandat confié à titre gratuit qui s’applique. Si bien que le juge de l’honoraire avait, dans ce cadre, apprécié les éléments de preuve à sa disposition. Or la deuxième chambre civile précise que ces éléments relèvent de son appréciation souveraine.

Le dernier temps du raisonnement porte l’approbation de l’ordonnance du juge de l’honoraire. Celui-ci ne s’est, selon la Cour de cassation, fondé, « ni sur l’absence entre les parties d’une convention d’honoraires, ou d’échanges relatifs à des honoraires de diligences, ni sur un pacte de quota litis qui aurait été conclu entre elles ».

La solution est didactique et procède d’une démonstration claire de la logique qui la sous-tend. Celle-ci entre en parfaite cohérence avec les règles du mandat et converge avec la ligne jurisprudentielle antérieure en la matière.

 

[1] D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 175.

[2] D. n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 176.

[3] Nos obs., La procédure de contestation des honoraires de l'avocat, Lexis 360, Dossier, 4 octobre 2012 ; La procédure spécifique de contestation des honoraires échappe à l’article 58 du Code de procédure civile, Lexis 360, Dossier, 2 juillet 2018.

[4] Nos obs., Honoraires de résultat : assiette de calcul et intervention de l’avocat à la procédure, Lexis 360, Dossier, 16 avril 2012.

[5] CA Lyon, 2 juillet 2019, n° 18/07973 (N° Lexbase : A5265ZIT) ; M. Le Guerroué, Absence de fixation d’une clause pénale en considération d'une éventuelle faute du conseil : rien ne s'oppose à l'appréciation par le juge de l'honoraire du montant, Lexbase Avocats, juillet 2019, n° 290 (N° Lexbase : N9988BX9).

[6] Cass. civ. 2, 22 octobre 2015, n° 14-24.103 (N° Lexbase : A0173NUX) ; Honoraires d'avocats étrangers, mandatés pour le compte de son client par un avocat français : frais soumis à l'appréciation du juge de l'honoraire en l'absence de convention, Lexbase Avocats, novembre 2015, n° 203 (N° Lexbase : N9732BUY).

[7] Cass. civ. 2, 3 mai 2018, n° 17-11.926 (N° Lexbase : A4255XMK) ; A. Seïd Algadi, Compétence du juge de l’honoraire pour statuer sur les intérêts moratoires et règles applicables à l’avocat prestataire de services, Lettre Juridique, mai 2018, n° 742 (N° Lexbase : N4005BXM).

[8] Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 14-23.960, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2070PCN).

[9] CA Paris, 5 février 2019, n° 15/00105, (N° Lexbase : A1347YWS) ; M. Le Guerroué, Honoraire de résultat exorbitant au regard du service rendu (illustration), Le Quotidien Lexbase, 6 mars 2019 (N° Lexbase : N7701BXI).

[10] CA Nancy, 5 mars 2015, n° 14/02319 (N° Lexbase : A7676NCB) ; Compétence du juge de l'honoraire pour ordonner la suppression des propos outrageants contenus dans les écritures produites devant lui, Lexbase Avocats, mars 2015, n° 190 (N° Lexbase : N6509BUM).

[11] B. Travier, R. Guichard, Le juge de l'honoraire et la détermination du débiteur : la Cour de cassation fait marche arrière, JCP G, 2013, 636.

[12]  CA Aix-en-Provence, 6 mai 2014, deux arrêts, n° 13/23817 (N° Lexbase : A7519MKP) et n° 13/09828 (N° Lexbase : A7783MKH) ; Aide juridictionnelle et manquement de l'avocat à son obligation de conseil : incompétence du juge de l'honoraire, Lexbase Avocats, mai 2014, n° 172 (N° Lexbase : N2260BUA).

[13] Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-18.145, (N° Lexbase : A35623RD) ; M. Le Guerroué, Ne pas confondre contestation des honoraires et responsabilité de l'avocat (rappel), Lexbase Avocats, septembre 2020, n° 306 (N° Lexbase : N4185BYN).

[14] CA Aix-en-Provence, 20 mai 2014, n° 13/07136, (N° Lexbase : A5888MLN) ; Absence de qualité d'héritiers du client décédé : incompétence du juge de l'honoraire, Lexbase Avocats, juin 2014, n° 173 (N° Lexbase : N2500BU7).

[15] CA Aix-en-Provence, 18 avril 2012, n° 11/15251, (N° Lexbase : A8361III) ; Le principe d'une compensation entre la rémunération de l'avocat et le paiement de prestations techniques ne peut être appliqué par le juge de l'honoraire, Lexbase Avocats, mai 2012, n° 122 (N° Lexbase : N2091BTM).

[16] CA Aix-en-Provence, 11 juillet 2012, n° 11/21390 (N° Lexbase : A6907IQU) ; Le juge taxateur incompétent pour apprécier une compensation entre l'honoraire dû et la mise à disposition par le client de locaux, Lexbase Avocats, juillet 2012, n° 131 (N° Lexbase : N3221BTH).

[17] Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 16-22.391 (N° Lexbase : A6623XGE) ; Contestation d'honoraires et existence ou non du mandat : le premier président doit surseoir à statuer, Lexbase Avocats, mars 2018, n° 260 (N° Lexbase : N3201BXT).

[18] Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 16-22.391 (N° Lexbase : A6623XGE) ; A. Seid Algadi, Contestation d'honoraires et existence ou non du mandat : le premier président doit surseoir à statuer, Lexbase Avocats, mars 2018 (N° Lexbase : N3201BXT).

[19] Cass. civ. 2, 17 janvier 2019, n° 18-10.016, F-P+B (N° Lexbase : A6663YTX) ; S. Grayot-Dirx, Nouvel épisode pour le contentieux des honoraires, JCP, 2019, 93 ; Y. Strickler, Étendue des pouvoirs du juge de l'honoraire, Procédures, 2019, comm. 69.

[20] CA Toulouse, 20 février 2012, n° 12/29, (N° Lexbase : A0034IDM) ; Fixation du montant des honoraires au regard du mandat confié, Lexbase Avocats, mars 2012, n° 113 (N° Lexbase : N0732BTB).  

[21] CA Dijon, 29 décembre 2015, n° 15/01791 (N° Lexbase : A0358N3N) ; Du droit à l'honoraire sur un malentendu, Le Quotidien Lexbase, 19 janvier 2016 (N° Lexbase : N0627BW7).

[22] Cass. civ. 1, 2 octobre 2013, n° 12-19.182, F-D (N° Lexbase : A3341KMP) ; L'existence d'un mandat donné à l'avocat se déduit d'un courrier adressé par le coindivisaire de son client et relatif à un litige concernant l'immeuble indivis, Lexbase Avocats, octobre 2013, n° 158 (N° Lexbase : N9030BTM).

[23] CA Nîmes, 10 janvier 2014, n° 13/04754 (N° Lexbase : A6861KTB) ; Preuve du mandat d'assistance confié à l'avocat et conditionnant son droit à rémunération, Lexbase Avocats, février 2014, n° 165 (N° Lexbase : N0595BUL).

[24] CA Aix-en-Provence, 13 février 2018, sept arrêts, dont n° 16/12549, (N° Lexbase : A2731XDI), n° 16/12551 (N° Lexbase : A2872XDQ), n° 16/12552 (N° Lexbase : A2712XDS) ; A.-L. Blouet-Patin, Résiliation du mandat de l'avocat : appréciation des éléments preuve par le premier président, Lexbase Avocats, février 2018, n° 258 (N° Lexbase : N2922BXI).

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Bancaire

[Jurisprudence] Durcissement de la preuve que doit apporter le banquier désireux de s’exonérer en matière de phishing

Réf. : Cass. com., 12 novembre 2020, n° 19-12.112, FS-P+B (N° Lexbase : A514434B)

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N5727BYR

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par Karine Rodriguez, Maître de conférences - HDR, Université de Pau et des Pays de l'Adour, Responsable du M2 Droit de la consommation

Le 16 Décembre 2020


Mots-clés : phishing • opération non autorisée • contestation • négligence grave du payeur • preuve de l’absence de déficience technique

Il résulte des articles L. 133-19, IV, et L. 133-23 du Code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, que s’il entend faire supporter à l’utilisateur d’un instrument de paiement doté d’un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 de ce code, le prestataire de services de paiement doit aussi prouver que l’opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.


S’oriente-t-on en matière de phishing vers une preuve impossible à la charge du banquier qui souhaite s’exonérer de sa responsabilité ? C’est la voie que semble emprunter la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 novembre 2020 dans un arrêt qui pourrait sonner le glas de la jurisprudence établie en la matière.

L’espèce commentée est pourtant bien connue des spécialistes du droit bancaire puisqu’elle a déjà fait l’objet d’une décision largement commentée. Il s’agissait du premier arrêt important rendu en la matière après la réforme du Code monétaire et financier sur les instruments de paiement dématérialisés, l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 janvier 2017 [1].

Dans cette affaire, la cliente d’une banque ayant répondu à un courriel provenant en apparence de l’opérateur SFR, elle avait communiqué les informations correspondant à son compte chez l’opérateur permettant ainsi au fraudeur de bénéficier d’un renvoi téléphonique des messages reçus de la banque, ainsi que ses données personnelles (nom, numéro de carte de paiement, date d’expiration et cryptogramme). La cliente avait formé opposition le jour où elle avait reçu deux messages lui communicant un code « 3 D Secure » aux fins de confirmation d’opérations effectuées par internet qu’elle n’avait de toute évidence pas autorisées. Elle avait en conséquence demandé au banquier le remboursement des sommes perdues et la réparation de son préjudice moral.

Dans la lignée de sa jurisprudence antérieure à l’ordonnance n° 2009-866  du 15 juillet 2009, relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement (N° Lexbase : L4658IEA) [2], la Haute Cour affirmait dans son arrêt de 2017 que, d’une part, il revient au banquier de rapporter la preuve que l’utilisateur, qui nie avoir autorisé une opération de paiement, a agi frauduleusement ou n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations et que, d’autre part, cette preuve ne peut se déduire du seul fait que l’instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont été effectivement utilisés. La preuve de la faute de la cliente n’était pas rapportée.

Mais il semble que le débat se soit quelque peu déplacé puisque la preuve de la faute de la cliente ne semble ensuite plus faire de doute, l’arrêt sous commentaire explicitant dans l’exposé des faits que la cliente ne contestait pas avoir répondu à un courriel frauduleux. En effet, se prononçant sur renvoi après cassation, le tribunal d’instance de Dunkerque rend un jugement le 12 décembre 2018 dans lequel il retient la responsabilité des banques qui doivent rembourser à la cliente la totalité de la somme détournée dès lors qu’elles ne démontrent pas que l’opération litigieuse n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

La banque contestant cette dernière exigence, la Chambre commerciale est de nouveau saisie d’un pourvoi qu’elle rejette. Elle affirme qu’ « il résulte des articles L. 133-19, IV (N° Lexbase : L5118LGN) et L. 133-23 (N° Lexbase : L5125LGW) du Code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, que s'il entend faire supporter à l'utilisateur d'un instrument de paiement doté d'un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 (N° Lexbase : L5114LGI) et L. 133-17 (N° Lexbase : L5113LGH) de ce code, le prestataire de services de paiement doit aussi prouver que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre. » Or, précisément, les juges du fond ont souverainement estimé que la banque ne rapportait pas une telle preuve.

En approuvant la position des juges du fond, la Haute Cour confirme les preuves qui sont exigées de la part du banquier qui souhaite s’exonérer dans le cadre d’un phishing, celle d’un manquement du client à ses obligations. Toutefois, et cela pourrait tout changer, elle identifie avec le tribunal d’instance une nouvelle condition à remplir : le banquier doit également démontrer que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

I. La confirmation opportune de l’exigence de la preuve d’un manquement du client à ses obligations

En présence d’une opération non autorisée par le payeur, c’est le prestataire de service de paiement qui engage en principe sa responsabilité. Il doit rembourser son client après que celui-ci a contesté le débit, règle incontestablement dictée par la prise en compte de l’inégalité des situations économiques et juridiques du prestataire et de son client.

Parfois, les banquiers cherchent à s’exonérer en invoquant l’article L.133-19, IV du Code monétaire et financier qui prévoit la responsabilité du payeur qui n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations, en particulier parce qu’il n’aurait pas pris toutes les mesures raisonnables pour préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées, parce qu’il les aurait perdues, communiquées ou laissées en évidence. Or, effectivement, la technique du phishing repose sur la réponse par le payeur à un mail frauduleux qui permet au fraudeur de collecter les informations qui lui sont nécessaires pour déclencher l’opération de paiement en sa faveur : les éléments qui concernent le compte bancaire du payeur, mais aussi les données personnelles relatives à son compte chez l’opérateur téléphonique de manière à pouvoir récupérer le code « 3D Secure ».

Toutefois, il revient à la banque de prouver la faute du payeur, cette dernière ne pouvant invoquer la fiabilité de son système pour en déduire une présomption de faute du titulaire de la carte (C.  mon. fin., art..L. 133-23 al.2). Quand le client avoue avoir répondu à un mail frauduleux comme en l’espèce, la preuve est aisée. À défaut d’aveu de sa part, le banquier devra prouver qu’un utilisateur normalement attentif n’aurait pas répondu au mail envoyé par le fraudeur en raison des indices (fautes d’orthographe, syntaxe inexacte, logos approximatifs,…) lui permettant de douter de la provenance du courriel. En effet, après avoir invité à une appréciation in concreto de la négligence grave [3], la Haute Cour a privilégié une appréciation in abstracto de cette négligence grave [4], précisant même que la bonne foi du client importe peu [5].

Si l’on pouvait regretter l’absence de prise en compte de la fragilité de certains utilisateurs âgés, la jurisprudence de la Cour de cassation avait, ce faisant, abouti à un certain équilibre, l’utilisateur du service de paiement qui contestait une opération de paiement n’obtenant gain de cause que s’il n’avait pas lui-même commis de négligence grave dans la conservation de ses dispositifs de sécurité personnalisés.

Par l’arrêt commenté, la Chambre commerciale vient assurément bouleverser cet équilibre. Elle rappelle certes la nécessité d’établir le manquement de l’utilisateur, mais elle ajoute une nouvelle condition à l’exonération du banquier qui jette manifestement le trouble.

II. L’ajout troublant de l’exigence de la preuve de l’absence de déficience technique ou autre

Le banquier qui entend s’exonérer de sa responsabilité en présence de la négligence grave de l’utilisateur doit désormais prouver en outre que l’opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

En réalité, la Chambre commerciale fait la stricte application de l’article L. 133-23, alinéa 1er, du Code monétaire et financier en vertu duquel « lorsqu'un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l'opération de paiement n'a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l'opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre. »

Cet alinéa avait jusque-là été passé sous silence dans le cadre de la détermination des responsabilités en matière de phishing. Certes, il ne figure pas dans la section 6 sur la « Contestation et responsabilité en cas d’opération de paiement non autorisée » [6], mais ce constat n’a pas constitué un obstacle à l’application par les juges, dès le départ, de l’alinéa 2 de ce même article en vertu duquel « L'utilisation de l'instrument de paiement telle qu'enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l'opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière ». Aucune raison d’ordre juridique ne justifiait donc que l’alinéa premier ne soit pas appliqué.

Loin d’être symbolique, l’exigence que pose cet article remet en cause la construction plutôt équilibrée qui avait été bâtie jusque-là et elle interroge sur ce qu’il faut entendre par « preuve que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre ». Car la portée de cette exigence nouvelle dépendra en réalité des éléments de preuve réellement attendus.

Or, sur ce point, l’arrêt commenté nous donne quelques indications qui permettent d’entrevoir une conception restrictive des moyens de preuves recevables. Plus précisément, le jugement du tribunal d’instance de Dunkerque, auquel la Cour de cassation renvoie pour une appréciation souveraine de cette preuve, estime que le tableau chronologique et le rapport établi par les services de la banque mentionnant l'ensemble des informations relatives à l'opération contestée (date et heure de l'opération, numéro de la carte bancaire, montant des opérations, site sur lequel la transaction a été effectuée) et dont il résultait que le code unique à six chiffres utilisé pour valider l'opération avait été reçu par la cliente ne prouvent pas que cette opération avait été « enregistrée, comptabilisée, authentifiée », et n'avait « été affectée d'aucune déficience technique ».

N’est-ce pas une preuve impossible qui est finalement exigée ? Nécessitera-t-elle un recours systématique à une expertise technique pour examiner les systèmes informatiques des banques ? Sera-telle seulement possible ? Rien n’est moins sûr, et il en résulte un risque évident de déresponsabilisation des clients. Ces derniers auraient pourtant sans doute été suffisamment protégés par une appréciation de la négligence grave qui, sans nécessairement être complètement in concreto, aurait pu être davantage inclusive que l’appréciation in abstracto retenue par l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2017 par la prise en compte de certaines faiblesses individuelles qui fragilisent les destinataires de mails frauduleux.

Cette nouvelle exigence de preuve de l’absence de déficience technique ou autre jette donc incontestablement un trouble dans la jurisprudence sur le phishing. Car si la solution est juridiquement justifiée, elle ne parait pas très juste pour le banquier qui devra assumer la responsabilité d’opérations non autorisées dans des cas de négligence flagrante des clients.  Aussi, si la Cour de cassation devait maintenir sa position, il reste à espérer que l’authentification forte désormais requise des banques rendra la fraude plus difficile [7].

 

[1] Cass. com., 18 janvier 2017, n°15-18.102, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0605S9B), JCP E, 2017, 1122 ; Banque et droit 2017, 32, G. Helleringer et Th. Bonneau  Dr. & patr., 2017, n° 272 p. 83, J.-P. Mattou et H. de Vauplane ; Gaz.Pal., 2017, n° 22, 55-56, M. Roussille ; JCP E, 2017, n° 18, p. 42, H. Causse ; Contrats, conc. consom., 2017, n° 4 p. 45 Carpili ; Revue Banque, 2017, n° 814, p. 64, P. Storrer ; RJDA, 2017, n° 3 p. 237 ; H. Causse, Lexbase Affaires, 2017, n° 501 (N° Lexbase : N6987BWP).

[2] Cass. com., 2 octobre 2007, n° 05-19.899, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A6190DYW), D., 2007, 2765, M.-L. Belaval ; D., 2008, 454, A. Boujeka ; JCP G, 2008, II, 10014, E. Bazin ; RDBF, 2007, 42, F.-J. Crédot et Th. Samin.

[3] Cass. com., 25 octobre 2017, n° 16-11.644, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6296WW4), JCP E, 2017 1685, D. Legeais, 1639, act. 787 ; RDBF, 2017, comm. 233, Th. Samin et S. Storck ; Contrats, conc. consom., 2018 comm. 20, S. Bernheim-Desvaux ; D., 2017 p. 2465 ; D., 2017, p. 2465, F. Mélin ; D. Bondat, Lexbase Affaires, novembre 2017, n° 531 (N° Lexbase : N1325BXD) ; C. Houin-Bressand, Utilisation frauduleuse des données personnalisées : être victime d’un hameçonnage n’exclut pas la négligence grave, Gaz. Pal., 27 février 2018, p. 55.

[4] « Manque, par négligence grave, à son obligation de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés l'utilisateur d'un service de paiement qui communique les données personnelles de ce dispositif de sécurité en réponse à un courriel qui contient des indices permettant à un utilisateur normalement attentif de douter de sa provenance, peu important qu'il soit, ou non, avisé des risques d'hameçonnage » : Cass. com., 28 mars 2018 n° 16-20.018, FS-P+B (N° Lexbase : A8613XIT), Banque et droit, 2018, n° 180, p. 9 ; Revue Banque, n° 821, p. 75, P. Storrer ; Banque et Droit, avril 2017, 32, G. Helleringer et Th. Bonneau ; Revue Lamy dr. civ., 1er juillet 2018, n° 161, p. 3 ; Contrats, conc. consom., 2018 n° 5, p. 27.

[5] Cass. com., 1er juillet 2020, n° 18-21.487, F-P+B (N° Lexbase : A56703Q3), J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juillet 2020, n° 642 (N° Lexbase : N4049BYM).

[6] Il figure dans la section 8 sur « Les modalités pratiques et délais en cas d’opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées ». 

[7] V. C. mon. fin., art. L. 133-4, f (N° Lexbase : L5108LGB). Il s'agit d’« une authentification reposant sur l'utilisation de deux éléments ou plus appartenant aux catégories "connaissance" (quelque chose que seul l'utilisateur connaît), "possession" (quelque chose que seul l'utilisateur possède) et "inhérence" (quelque chose que l'utilisateur est) et indépendants en ce sens que la compromission de l'un ne remet pas en question la fiabilité des autres, et qui est conçue de manière à protéger la confidentialité des données d'authentification ». Les deux éléments doivent être indépendants entre eux et l’authentification doit être à usage unique. L’authentification forte reposera donc, selon les prestataires concernés, sur l'utilisation de deux de ces éléments, voire plus, de sorte que la sécurisation des paiements en ligne par SMS (tel avec le 3D Secure) sera désormais insuffisante. En effet, si la notion de « connaissance » (par exemple un mot de passe ou un code confidentiel) est assez claire, il en va différemment de celles de « possession » et d’« inhérence ». Des précisions s’imposent. En premier lieu, concernant la « possession », il s’agira d’un objet que seul l’utilisateur possède (smartphone, ordinateur, tablette, etc.). En second lieu, l’« inhérence » doit être entendue comme une donnée biométrique, telles les empreintes digitales ou une reconnaissance faciale (et notamment le visage ou les yeux). On peut également imaginer une reconnaissance par la voix. De nouveaux dispositifs d’authentification renforcée viendront progressivement remplacer l’utilisation d’un code reçu par SMS. Ils pourront, par exemple, reposer sur une application, pour smartphone ou carte SIM (compatible avec tous les téléphones), nécessitant la saisie d’un code secret ou la vérification d’une donnée biométrique (empreinte digitale, reconnaissance de la voix ou du visage).

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Copropriété

[Chronique] Chronique de droit de la copropriété - La jurisprudence des cours d’appel (octobre - novembre 2020)

Réf. : CA Chambéry, ch. civ., sect. 1, 13 octobre 2020, n° 18/02039 (N° Lexbase : A47213X7) ; CA Nîmes, ch. civ. 2, 15 octobre 2020, n° 18/00544 (N° Lexbase : A75773XW) ; CA Versailles, ch. 4 sect. 2, 4 novembre 2020, n° 18/02105 (N° Lexbase : A872734Y) ; CA Bourges, ch. civ., 5 novembre 2020, n° 19/01173 (N° Lexbase : A673833X)

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par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit

Le 16 Décembre 2020

 


Mots-clés : syndic • honoraires d’avocat • division de lots • règlement de copropriété • état descriptif de division (EDD) • parties communes spéciales • assignation • désignation du syndicat

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la copropriété de Pierre-Edouard Lagraulet, docteur en droit. L’auteur revient, en premier lieu, sur un arrêt rendu le 13 octobre 2020 par la cour d’appel de Chambéry rappelant le défaut de pouvoir d’accepter une convention d’avocat comprenant une clause d’honoraires de résultat (CA Chambéry, ch. civ., sect. 1, 13 octobre 2020, n° 18/02039). C’est ensuite un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 15 octobre 2020 relatif à l’impossibilité pour le syndicat d’adopter valablement des décisions en assemblée générale à la suite de la division de lots faute d’avoir modifier le règlement de copropriété et l’état descriptif de division qui retiendra l’attention (CA Nîmes, ch. civ. 2, 15 octobre 2020, n° 18/00544). L’auteur s’intéresse également à un arrêt de la cour d’appel de Versailles, rendu le 4 novembre 2020, maintenant la qualification de parties communes spéciales d’un bâtiment, et les conséquences qui y sont attachés, dont tous les lots sont réunis entre les mains d’un seul propriétaire (CA Versailles, ch. 4 sect. 2, 4 novembre 2020, n° 18/02105). Un arrêt de la cour d’appel de Bourges mérite, enfin, d’être relevé en ce qu’il rappelle les précautions à prendre en matière de désignation du syndicat que l’on cherche à assigner (CA Bourges, ch. civ., 5 novembre 2020, n° 19/01173).


 

I. Défaut de pouvoir du syndic d’accepter au nom du syndicat une clause d’honoraires de résultat en faveur d’un avocat (CA Chambéry, ch. civ., sect. 1, 13 octobre 2020, n° 18/02039)

Le syndic est de plein droit le représentant du syndicat des copropriétaires, personne morale qui a qualité à agir en justice [1]. Il le représente, selon les termes de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4813AHQ), dans tous les actes civils et en justice. Dans ce dernier cas, son pouvoir, qui est exclusif [2], ne peut être en principe exercé qu’après autorisation de l’assemblée générale. Néanmoins, dans de nombreux cas, le syndic pourra librement agir en représentation de son mandant par application de la dérogation prévue par l’article 55 du décret du 17 mars 1967 (N° Lexbase : L5562IG4). C’est notamment le cas en matière de recouvrement des créances du syndicat, à l’égard d’un copropriétaire ou de tout autre tiers. À ce titre il peut donc librement conclure une convention avec un avocat pour représenter le syndicat en justice. Mais peut-il pour autant conclure une clause d’honoraires de résultat au profit de l’avocat mandaté ?

C’était la question posée à la cour d’appel de Chambéry qui a précisé, en y répondant, que le syndic ne pouvait pas conclure librement, au nom du syndicat qu’il représente, une telle rémunération au profit d’un avocat, celle-ci étant facultative.

En l’espèce le syndicat avait engagé une procédure judiciaire importante au terme de laquelle un jugement lui alloua environ 640 000 euros de dommages-intérêts. L’avocat qui avait représenté fructueusement le syndicat, ayant conclu avec lui par le truchement de son syndic une convention avec clause d’honoraires de résultat, perçu 49 417,14 euros sur cette somme, outre une part fixe de 8 000 euros.

Le syndicat des copropriétaires, qui ne paraît pas même avoir été préalablement informé de l’existence de cette clause, assigne alors le syndic en responsabilité pour ne pas avoir respecté la procédure d’habilitation préalable à l’exercice de ses pouvoirs. C’est ce raisonnement qu’accueille la cour d’appel de Chambéry en rappelant que le syndic devait être autorisé par l’assemblée générale, après éventuelle consultation du conseil syndical conformément à l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4821AHZ), pour accorder au nom du syndicat une rémunération complémentaire à l’avocat et non nécessaire à la réalisation de sa mission.

Cette position s’inscrit à la suite de celle de la Cour de cassation qui avait, déjà, dans un arrêt du 12 juin 2002 précisé que le caractère facultatif des honoraires de résultat interdisait au syndic d’engager son mandant sans y être préalablement autorisé par l’assemblée générale (Cass. civ. 3, 12 juin 2002, n° 01-00.856 N° Lexbase : A9031AY7).

En conséquence, et c’était ce que le syndicat des copropriétaires recherchait, la responsabilité du syndic a pu être mise en œuvre pour dépassement de pouvoir et celui-ci a été condamné à payer au syndicat la somme de 49 417 euros représentant les honoraires de résultat qu’il avait versés sans autorisation à l’avocat du syndicat.

II. Impossibilité de délibérer valablement faute de modifier le règlement de copropriété après division de lots (CA Nîmes, ch. civ. 2, 15 octobre 2020, n° 18/00544)

Tout copropriétaire a le droit de céder son lot même en l’absence de rédaction et de publication d’un règlement de copropriété [3]. Il peut le céder en son entier ou par fractions, en application de l’article 11 (N° Lexbase : L4804AHE), dès lors que la division est conforme à la destination de l’immeuble [4]. Et, puisqu’il est permis de céder un lot même en l’absence de règlement de copropriété, il était assez logique, bien que non sans conséquence pour le syndicat [5], que la cession de la fraction de lot issue de la division puisse être elle-même cédée sans approbation préalable de la répartition des charges par l’assemblée générale [6]. Toutefois, si tout copropriétaire peut diviser son lot librement, il ne peut modifier la répartition des charges unilatéralement [7]. Cette décision relève des seuls pouvoirs de l’assemblée générale qui doit se prononcer de manière explicite [8].

La question qui peut alors se poser, qui l’a été déjà et qui l’était à nouveau devant la cour d’appel de Nîmes, est de savoir ce qu’il advient, une fois la cession des fractions effectuées, de la répartition des voix résultant de la répartition des tantièmes.

En l’espèce, un copropriétaire avait assigné le syndicat des copropriétaires en nullité de l’assemblée générale. Il soutenait qu’elle n’avait pu valablement délibérer, à la suite de la division d’un « macro-lot » et de la cession des fractions qui en était issues. Le règlement de copropriété prévoyait en effet la réalisation d’un projet immobilier par tranches. Deux modificatifs du règlement de copropriété avaient ainsi été rédigés mais non approuvés par le syndicat pour la subdivision de deux lots.

En conséquence, la cour de Nîmes retient que l’assemblée générale n’avait pu valablement délibérer, faute de pouvoir procéder à la répartition des voix entre les nouveaux propriétaires. L’assemblée générale était dès lors entachée de nullité.  

Cette solution réitère celle que la Cour de cassation [9] avait retenue dans une situation tout à fait similaire. La Haute juridiction avait alors estimé que faute, pour le règlement d’origine, non modifié en conséquence, de prévoir les modalités et les bases de la division, l’assemblée générale ne pouvait plus valablement délibérer.

Cette solution s’inscrit assez logiquement dans la construction jurisprudentielle visant à protéger le droit du copropriétaire de céder librement son lot, en son entier ou par fractions. Elle conduit néanmoins le syndicat des copropriétaires dans une impasse puisqu’elle l’empêchera en toute logique de pouvoir même procéder a posteriori à la modification du règlement. En effet, les cessions de fractions de lot étant opposables au syndicat, l’assemblée générale ne peut délibérer sans les nouveaux copropriétaires. Mais ceux-ci ne peuvent voter faute de pouvoir déterminer leurs voix… Voilà toute la difficulté soulevée par la position de la Cour de cassation. L’intérêt individuel est certes préservé mais il met en échec la poursuite de l’intérêt collectif qui s’impose pourtant au syndicat des copropriétaires. Il nous semble que compte tenu des conséquences qu’elle emporte, cette atteinte est injustifiée puisqu’il ne restera plus que la possibilité pour un copropriétaire de saisir le tribunal judiciaire en application du troisième alinéa de la loi du 10 juillet 1965 pour procéder à la modification du règlement de copropriété. C’est ainsi que la réalisation des intérêts du vendeur sera supportée par la collectivité des copropriétaires.

Ce sont donc les conditions d’exercice de la liberté de céder les fractions de lots issues de la division qui devraient être examinées : le vendeur doit certes être autorisé à vendre les fractions qu’il peut librement établir de son lot, mais à la seule condition de faire procéder préalablement à la modification du règlement de copropriété, soit par l’approbation de l’assemblée générale, soit par le tribunal judiciaire conformément à la procédure prévue à l’article 11 alinéa 3 de la loi du 10 juillet 1965. Cette inflexion, légère, de la jurisprudence permettrait de sauvegarder les intérêts du syndicat sans porter démesurément atteinte au droit du copropriétaire de disposer de son bien. Surtout, cette interprétation ne paraîtrait pas, nous semble-t-il, contraire à l’esprit de l’article 11…

III. Maintien de la qualification de parties communes spéciales d’un bâtiment dont tous les lots sont réunis entre les mêmes mains (CA Versailles, ch. 4 sect. 2, 4 novembre 2020, n° 18/02105)

Dans un intéressant arrêt, la cour de Versailles a précisé le sort des parties communes spéciales d’un bâtiment lorsque tous les lots composant le bâtiment sont réunis entre les mains d’une seule personne.

En l’espèce, un syndicat de copropriétaires était organisé selon un règlement de copropriété stipulant l’existence de parties communes spéciales par bâtiment. Des charges spéciales étaient affectées à l’entretien de ces bâtiments, comme cela devra être le cas pour tous les immeubles placés sous le statut de la copropriété en application des dispositions de la loi « ELAN » ayant modifié la loi du 10 juillet 1965.

Tous les lots composant le bâtiment, parties communes spéciales, furent réunis entre les mains d’une seule personne. S’est alors posée la question, non du financement des travaux d’entretien qui ne faisait aucun doute, mais celle de savoir qui détenait le pouvoir d’entretenir le bâtiment. Était-ce le propriétaire des lots ou bien le représentant du syndicat des copropriétaires, en l’espèce un administrateur provisoire ? Il s’agissait en quelque sorte de savoir si l’on pouvait raisonner ou non sur la base des dispositions l’article 46-1 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L5490IGG) qui prévoient la disparition de la copropriété en cas de réunion de tous les lots entre les mains d’un même propriétaire.

Selon la cour d’appel de Versailles, il n’est pas possible de transposer cette disposition à la réunion des lots dans lesquels sont compris toutes les quotes-parts des parties communes spéciales d’un bâtiment. Ces parties conservent leur qualification de « parties communes ».

En conséquence, la structure du bâtiment, définie comme parties communes spéciales, devait être entretenue par le syndicat des copropriétaires conformément à l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4807AHI) et ce tant qu’une éventuelle scission ou modification du règlement de copropriété n’est pas intervenue. Par suite, le syndicat des copropriétaires demeure responsable des dommages résultant du défaut d’entretien des parties communes et doit indemniser ceux qui en subissent le préjudice, comme par exemple la perte de revenus locatifs.

La solution paraît rigoureusement justifiée !

IV. Désignation du syndicat dans l’acte introductif d’instance (CA Bourges, ch. civ., 5 novembre 2020, n° 19/01173)

La désignation du syndicat dans l’assignation n’est pas une difficulté nouvelle. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont été rendus sur la question et plusieurs articles ont été écrits sur le sujet [10]. La difficulté persiste, pourtant, comme permet de le constater l’arrêt de la cour d’appel de Bourges rendu le 5 novembre 2020. C’est donc l’occasion de rappeler, sans doute utilement, les principes en la matière.

En l’espèce, des copropriétaires avaient agi en nullité d’une assemblée générale et avaient cherché à assigner, à cette fin, le syndicat des copropriétaires. L’assignation avait été délivrée contre le syndic pris nommément « la SARL … ayant son siège social sis…, immatriculée au RCS sous le numéro …, agissant poursuite et diligences de son représentant légal … ».

Aucune mention n’était faite dans cet acte, comme le relève avec pertinence la cour d’appel de Bourges, du syndicat des copropriétaires, ou de la qualité de représentant légal du syndicat des copropriétaires. En conséquence, c’est sur le fondement des articles 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47) et des articles 15 (N° Lexbase : L4808AHK) et 18 (N° Lexbase : L4813AHQ) de la loi du 10 juillet 1965 que la cour d’appel de Bourges constate que le syndicat des copropriétaires n’était pas régulièrement mis en cause par les appelants « qui n’ont assigné la SARL … qu’en son nom personnel » !

La solution mérite approbation puisque le syndicat des copropriétaires est une personne morale représentée par son syndic. Or les actes de procédure ne sont valablement signifiés à une personne morale que lorsque l’acte est délivré à son représentant légal ou éventuellement à son fondé de pouvoir ou à toute autre personne habilitée à cet effet [11]. C’est pourquoi, d’une part, la Cour de cassation admet, sur le fondement de l’article 901 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9351LTI), que l’assignation délivrée contre le syndicat sans dénommer son représentant est valable [12], et que d’autre part l’assignation délivrée à la personne représentant le syndicat « ès qualité de syndic de… » est suffisante à assurer la validité de l’assignation [13].

Enfin, on rappellera que la Cour de cassation [14], à la suite de la cour d’appel de Paris [15], a précisé qu’une erreur de désignation dans l’assignation était susceptible d’être régularisée à tout moment par application de l’article 121 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1412H43) notamment par les conclusions déposées au nom du syndicat dès lors qu’il ne subsiste aucun grief [16]. C’est déjà ce que disait la doctrine en 1996 [17].  En l’espèce, aucune régularisation n’était intervenue et la solution de la cour d’appel de Bourges s’en trouve parfaitement justifiée : les demandes sont irrecevables.

Pour éviter toute discussion de cette nature, et se trouver dans pareille situation, il suffira, tout simplement, de délivrer une assignation contre « Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble …, représenté par son syndic » ou encore « pris en la personne de son syndic » [18].


[1] Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 15 (N° Lexbase : L4808AHK).

[2] CE, 6 mai 2015, n° 366713 (N° Lexbase : A7159NHM) ; Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-12.455 (N° Lexbase : A8523CGR) ; Cass. civ. 3, 10 mai 1994, n° 92-17.473 (N° Lexbase : A8360CQP) ; Cass. civ. 3, 5 avril 1995, n° 93-12.511 (N° Lexbase : A7622ABW).

[3] Cass. civ. 3, 17 novembre 2010, n° 10-11.287, FS-P+B (N° Lexbase : A5935GKZ).

[4] Cass. civ. 3, 8 mars 2018, n° 14-15.864, F-D (N° Lexbase : A6736XGL) ; CA Aix-en-Provence, pôle 01, 5ème ch., 28 février 2019, n° 17/12148 (N° Lexbase : A2909YZR).

[5] V° P.-E. Lagraulet, Lexbase, Droit privé, Février 2019, n° 774 (N° Lexbase : N7901BXW) : note sous Cass. civ. 3, 7 février 2019, n° 17-31.101, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3275YW9).

[6] Cass. civ. 3, 7 février 2019, n° 17-31.101, et nos obs. préc. : JCP 2019, 438, no 6, obs. H. Périnet-Marquet.

[7] Cass. civ. 3, 26 mai 1988, n° 86-19.350 (N° Lexbase : A2269AHI) ; Cass. civ. 3, 5 juillet 1989, n° 88-10.028 (N° Lexbase : A9979AAT) ; Cass. civ. 3, 4 janvier 1990, n° 88-15.171 (N° Lexbase : A3241CMY) ; Cass. civ. 3, 4 avril 1990, n° 88-18.710 (N° Lexbase : A3241CMY) ; CA Paris, ch. 23, sect. 1, 17 avril 1996, RG n° 95-20495 ; CA Paris, 23e ch., sec. B, 11 janvier 2007, RG n° 06/05365 (N° Lexbase : A0216DUK) ; Cass. civ., 24 février 2009, no 08-11.852, F-D (N° Lexbase : A6396EDA).

[8] Cass.. civ. 3, 3 octobre 1991, n° 89-20.904 (N° Lexbase : A2829ABE).

[9] Cass. civ. 3, 2 février 2005, n° 03-16.900, FS-D (N° Lexbase : A6281DGQ), JCP éd. N, 23 juin 2006, n° 25, 1223, obs. J. Lafond.

[10] C. Atias, L’identification du syndicat, IRC n° 414, oct. 1996, p. 23 ; C. Giverdon, Conseils pratiques pour la rédaction des assignations introductives dans le cadre du statut de la copropriété, Rev. Huissiers 1992, 985.

[11] V° C. pr. civ., art. 654 (N° Lexbase : L6820H7Q).

[12] Cass. civ. 3, 12 juillet 1995, n° 93-12.508 (N° Lexbase : A7620ABT) : RDI 1995, p. 796, obs. P. Capoulade et Cl. Giverdon.

[13] Cass. civ. 3, 23 novembre 1994, n° 92-21.586 (N° Lexbase : A3602CZG).

[14] Cass. civ. 3, 6 mai 1998 n° 96-15.696 (N° Lexbase : A2738ACE) : RDI 1998, p. 421, obs. P. Capoulade et Cl. Giverdon.

[15] CA Paris, 23e ch. 1, 19 février 1997 : RDI 1997, p. 627.

[16] V° C. pr. civ., art. 115 (N° Lexbase : L1399H4L).

[17] C. Atias, précit..

[18] Formule recommandée par P. Capoulade et D. Tomasin (dir.), La copropriété, Dalloz, 2018, § 511.23.

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Droit pénal des affaires

[Focus] Préparer le dirigeant de la personne morale à son audition dans le cadre d’une enquête pénale

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par Christophe Bass et François Mazon, avocats au barreau de Marseille, avec la collaboration de M. Victor Mitteault, étudiant

Le 22 Juillet 2022


Mots-clés : responsabilité du dirigeant • responsabilité des personnes morales • garde à vue • audition libre • représentant de la personne morale • avocat

Le dirigeant a mis très longtemps à regarder en face le risque pénal. Au fil du temps il a perçu l’importance de faire appel aux compétences pénales de son avocat et il a même réussi à admettre qu’être assisté au cours de la confrontation avec l’enquêteur n’est pas un signe extérieur de culpabilité. Dans cette phase d’enquête, si particulière parce qu’à la fois coercitive et non contradictoire, qu’attend le dirigeant de son avocat et que peut faire l’avocat pour son client dirigeant ? 


 

 

Il y a encore peu de temps, le risque pénal était totalement méconnu des chefs d’entreprise.

L’une des raisons principales en est certainement que, pendant longtemps, les entrepreneurs ont détourné leur regard de ce risque spécifique, de crainte de le découvrir tellement envahissant et effrayant qu’il les paralyserait dans toute initiative économique. C’est que la liste est longue des affres dans lesquelles nous propulse le mot « pénal », et particulièrement quand il s’applique à l’entreprise.

D’abord, les contours du domaine pénal sont difficilement déterminables. Les infractions qui pèsent sur les entreprises et leurs dirigeants sont très nombreuses et mal identifiées parce que disséminées dans plus de 80 codes. Elles peuvent donc souvent être commises sans même que leur auteur n’en ait eu conscience et la protection que devrait apporter la nécessité pour le juge de caractériser l’élément intentionnel est quasiment inopérante. Le plus souvent cet élément constitutif est en effet déduit du seul statut de dirigeant désigné comme « un responsable entouré de responsables » ne pouvant donc ignorer « l’obligation clairement édictée par la loi », ce qui dans nombre de cas est une pure fiction.

Ensuite, le domaine pénal est le domaine de la peine. Or, au-delà même des peines principales déjà anxiogènes (emprisonnement pour les personnes physiques et amendes dont le quantum encouru par les personnes physiques est multiplié par cinq pour les personnes morales) certaines peines complémentaires peuvent avoir des conséquences plus lourdes encore comme l’interdiction de gérer pour un dirigeant, ou l’exclusion des marchés publics pour une entreprise.

Indépendamment même de la peine, la seule mention au casier judiciaire du dirigeant et/ou de la personne morale peut handicaper le développement de l’un comme de l’autre en interne comme à l’international.

Évoquons encore l’impact de la machinerie pénale sur la réputation de l’entreprise et des dirigeants qui risque d’être longtemps entachée : on sait qu’une interpellation ou une garde à vue qui tourne en boucle pendant quelques dizaines d’heures sur les canaux de communication (réseaux sociaux, chaines d’information en continu …) sera difficilement effacée par l’annonce discrète un ou deux ans plus tard d’une décision de mise hors de cause.

Et si l’on ajoute enfin à cette liste anxiogène la réparation du préjudice causé par la faute pénale qui sera à la charge du dirigeant s’il est reconnu coupable d’une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engageant ainsi sa propre responsabilité civile à l’égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice, il faut bien reconnaître que le risque pénal donne le vertige.

L’on comprend alors que d’aucuns, attachés tant à la sérénité des quelques heures de sommeil qu’ils s’accordent qu’au dynamisme de leur outil, soient tentés de regarder partout ailleurs que vers cette réalité.

Pourtant, les conséquences que nous venons rapidement d’énumérer sont tellement significatives qu’il apparaît désormais inconsidéré de ne pas intégrer ce risque dans une bonne gestion de l’entreprise.

M. Antoine Frérot, PDG d’un grand groupe français, l’exprime dans un document intitulé Guide de gestion du risque en pénal des affaires accessible sur internet : « Par rapport aux autres risques juridiques auxquels notre Groupe est nécessairement confronté, le risque pénal présente cependant un caractère de gravité tout à fait particulier. Il concerne aussi bien les personnes morales que les personnes physiques. Il peut porter atteinte aux intérêts patrimoniaux des unes et des autres et comporter en outre des peines privatives de liberté pour les individus et des interdictions d’exercer leurs activités pour les personnes morales ».

Conscientes de l’importance et de la fréquence de ce risque, certaines entreprises françaises ont progressivement mis en place des moyens de prévention en favorisant une cartographie du risque pénal de l’entreprise, une formation des personnels exposés à ces risques et la mise en place d’un système de délégations de pouvoirs permettant d’aligner responsabilité pénale et responsabilité opérationnelle. Il est à ce titre instructif de noter que la loi « Sapin II » a rendu obligatoire, pour les entreprises de plus de cinq-cents salariés et cent millions d’euros de chiffre d’affaires, deux de ces trois actions de prévention : la réalisation d’une cartographie des risques de corruption et la formation des personnels exposés à ces risques.

Dans cette optique, il apparaît normal que ces formations aient pour ambition d’inclure dans leur programme la préparation aux principaux actes d’enquête auxquels les dirigeants peuvent être confrontés et au premier plan l’acte certainement le plus angoissant : la garde à vue. Il s’agit souvent de la première confrontation directe du dirigeant avec la justice pénale.

On ne peut cependant pas évoquer la garde à vue sans évoquer l’autre régime d’audition de la personne soupçonnée qu’est l’audition libre tant il est vrai que, même si la coercition y est différente, l’idée de comparaître devant un enquêteur nourrit dans l’un comme dans l’autre cas les mêmes angoisses chez le dirigeant.

Préparer le dirigeant à son audition pénale revient pour l’avocat, dans un premier temps, à identifier le cadre juridique dans lequel cette audition intervient et, dans un second temps, à s’adapter aux questionnements particuliers du dirigeant.

I. Identifier le cadre juridique de l’audition du dirigeant

A. Première question : le dirigeant est-il convoqué pour une garde à vue ou pour une audition libre ?

Il ne fait nul doute que le dirigeant contre lequel on considère qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est, comme tout autre individu, susceptible de faire l’objet d’une garde à vue.

Qu’en est-il du dirigeant non soupçonné personnellement mais représentant une personne morale soupçonnée ? Peut-il être placé en garde à vue en sa seule qualité de représentant légal de la personne morale suspectée ?

L'article 706-44 du Code de procédure pénale dispose (N° Lexbase : L4118AZK) : « Le représentant de la personne morale poursuivie ne peut, en cette qualité, faire l'objet d'aucune mesure de contrainte autre que celle applicable au témoin ».

Ce texte semble bien s’opposer à ce que le représentant légal d’une personne morale fasse l’objet d’une mesure de garde à vue sur la seule base des faits reprochés à cette dernière [1]. On peut toutefois s’interroger sur le champ d’application de cette disposition. En effet, celle-ci s’insère dans le titre XVIII du Code de procédure pénale, intitulé De la poursuite, de l'instruction et du jugement des infractions commises par les personnes morales. Cela signifie-t-il que le statut prévu par l'article 706-44 est subordonné à la mise en mouvement de l’action publique [2] ? Si tel était le cas, rien ne s’opposerait formellement à ce que des mesures de contrainte soient prises contre le représentant légal lors de la phase d’enquête. Doit-on, au contraire, entendre plus largement la notion de poursuites et appliquer ce texte dès qu’une enquête est diligentée à l’égard de la personne morale ? Le représentant légal devrait alors être traité comme un témoin dès le stade de l’enquête, ce qui aurait pour effet de le mettre à l’abri d’une mesure de garde à vue [3].

Même si l’on considère que l'article 706-44 du Code de procédure pénale n’a pas vocation à s’appliquer à la phase d’enquête, la garde à vue du dirigeant de la personne morale, en sa seule qualité de représentant légal, reste difficilement concevable. Cela reviendrait en effet à priver le dirigeant de sa liberté alors même que les soupçons ne pèsent pas sur lui personnellement.

Pour autant, cela n’a pas empêché une cour d'appel de valider le placement en garde à vue décidé à l’encontre du représentant d’une personne morale au seul motif que des indices permettaient de soupçonner que celle-ci avait commis ou tenté de commettre une infraction [4]. Or, le représentant n’était pas impliqué à titre personnel mais avait simplement reçu un pouvoir spécial de la part du gérant de la société pour représenter cette dernière et répondre aux questions des enquêteurs. Cet arrêt unique n’avait pas été frappé de pourvoi et il est difficile de lui conférer une portée générale.

On remarque au demeurant que cette décision est antérieure à l’apparition du régime de l’audition libre, instauré dans notre Code de procédure pénale avec la loi n° 2014-535, du 27 mai 2014 (N° Lexbase : L2680I3N) (après la tentative d’instauration par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 N° Lexbase : L9584IPN puis les décisions du Conseil constitutionnel sur QPC du 18 novembre 2011 et du 18 juin 2012 [5]) et qui a depuis lors occupé significativement sa place dans le paysage procédural comme une alternative à la mesure de garde à vue qui pouvait, dans nombre de cas, apparaître disproportionnée.

Il est dès lors certainement possible aujourd’hui d’écarter en pratique toute hypothèse de garde à vue d’un dirigeant qui serait entendu uniquement en sa qualité de représentant de la personne morale. Encore faut-il arriver à déterminer en quelle qualité le dirigeant est convoqué pour audition.

B. Deuxième question : le dirigeant est-il convoqué en qualité de représentant de la personne morale ou de dirigeant personnellement soupçonné aux côtés de la personne morale ?

On le sait, depuis 1994 et l’entrée en vigueur de ce qu’il était alors convenu d’appeler le nouveau Code pénal, les personnes morales engagent leur responsabilité pénale pour les infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Cette nouvelle possibilité s’est accompagnée d’une adaptation de la procédure pénale afin de prendre en compte les spécificités liées à la poursuite des personnes morales. Les articles 706-41 (N° Lexbase : L4115AZG) à 706-46 (N° Lexbase : L4119AZL) du Code de procédure pénale envisagent ainsi les règles de compétence territoriale, la représentation de la personne morale au cours de la procédure, le statut du représentant ou encore le contrôle judiciaire de la personne morale. Pour le reste, la procédure est identique à celle applicable aux personnes physiques, de sorte qu’elle n’est pas toujours adaptée.

On le sait aussi, ces règles procédurales doivent être combinées avec les principes de droit pénal général, en particulier avec la possibilité expressément prévue à l'article 121-2, alinéa 3, du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) de cumuler la responsabilité de la personne morale et celle des personnes physiques qui seront considérées comme auteurs ou complices des mêmes faits.

Évidemment, le dirigeant de la personne morale n’est donc pas nécessairement l’organe ou le représentant ayant engagé la responsabilité de cette dernière, au sens de l'article 121-2 du Code pénal.

Il en résulte que le traitement procédural du dirigeant de la personne morale n’est pas toujours évident : il peut être convoqué comme personnellement soupçonné d’avoir commis une infraction, comme seulement représentant de la personne morale soupçonnée, ou en ces deux qualités si l’on considère qu’il peut être l’un des organes ou représentants ayant engagé la responsabilité pénale de la société.

Il est certes à peu près facile pour l’autorité de poursuite de déterminer le rôle que l’on attribuera au dirigeant au moment de la décision sur la mise en mouvement de l’action publique.

Rappelons en effet que le parquet aura le choix entre la poursuite de la seule personne morale et la poursuite de la personne morale et de son dirigeant ou de la personne physique ayant commis l’infraction.

Par exemple, la circulaire du 13 février 2006, relative à la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales par la loi du 9 mars 2004 [6], recommande de privilégier les poursuites contre la seule personne morale pour les infractions non intentionnelles ou de nature technique, réservant la mise en cause de la personne physique aux cas dans lesquels sa faute personnelle est suffisamment établie.

Il est cependant beaucoup moins facile pour l’autorité d’enquête, dans la phase qui est par essence la phase de recherche de la vérité (c’est-à-dire cette phase où l’enquêteur n’a pas encore déterminé qui a fait quoi ni ce que le dossier in fine permettra de retenir en termes de poursuites) de décider s’il entend le dirigeant comme seul représentant de la personne morale soupçonnée, ou comme personne soupçonnée lui-même.

Et souvent l’avocat auquel le dirigeant remettra la copie de sa convocation aura lui-aussi du mal à déterminer sous quelle casquette son client va être entendu, et ce quels que soient les NATINF [7] visés.

Compte tenu de la réponse que nous apportons à la première question que nous soulevons supra, il semble acquis que si la convocation est délivrée dans la perspective d’une garde à vue, c’est que la responsabilité pénale du dirigeant est envisagée et que celui-ci est personnellement soupçonné.

Le problème, et on le sait bien en pratique, est que la loi ne régit pas la forme des convocations et les mentions que celles-ci doivent contenir.

En matière de garde à vue, rien n’est prescrit, pas même l’obligation d’un écrit. En matière d’audition libre, l’article 61-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7360IB9) ne prescrit des règles de forme que si : d’une part, le déroulement de l’enquête le permet et, d’autre part, lorsqu’une convocation écrite est adressée… Autant dire que le dirigeant convoqué par téléphone sans précision sur le régime sous lequel il va être auditionné ne peut pas savoir s’il est entendu ès-qualités ou s’il est lui-même soupçonné. C’est alors à l’avocat d’entrer en contact avec l’OPJ, avec le succès relatif que l’on connaît à cette démarche, pour en savoir plus.

C. Troisième question : quid du droit à l’assistance d’un avocat ?

Si le dirigeant est entendu dans le cadre d’une garde à vue, la question de son assistance ne se pose pas et on se reportera utilement aux articles 63-3-1 (N° Lexbase : L4969K8K) à 63-4-4 (N° Lexbase : L9633IPH) du Code de procédure pénale.

Si le dirigeant est entendu dans le cadre d’une audition libre, se pose alors la question de son droit à l’assistance d’un avocat. Certains OPJ, arguant du fait que le dirigeant est entendu seulement en qualité de représentant de la personne morale dans une enquête dirigée uniquement contre un délit commis par personne morale, opposent la lettre de l’article 61-1 du Code de procédure pénale qui prévoit l’assistance de l’avocat lorsque le délit est puni d’une peine d’emprisonnement.

Le raisonnement de ceux-ci consiste à soutenir que la personne morale n’encourant pas, par nature, de peine d’emprisonnement, son assistance par avocat n’est pas prévue par la loi.

La Cour de cassation n’a pas eu, à notre connaissance, à se pencher sur cette question mais le raisonnement nous apparaît critiquable au moins à deux titres.

D’abord la lettre de la loi a son importance : il n’est pas écrit « si la personne entendue encourt une peine d’emprisonnement » mais il est écrit « si l’infraction […] est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Les mots ayant un sens, c’est bien la répression du délit qui détermine le recours à l’assistance d’un avocat et non pas la spécificité de la personne visée par l’enquête.

Ensuite, la formule est calquée sur celle du recours à la garde à vue, dans le but, on le comprend, de ne pas donner plus ou moins de droits au gardé à vue qu’à l’auditionné libre. Or, la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 janvier 2009 cité plus haut ne s’était pas encombrée de la peine encourue par la personne morale pour lui appliquer le régime de la garde à vue.

Bref, le dirigeant de la personne morale convoqué en vue de son audition libre, que ce soit en qualité uniquement de représentant de la personne morale soupçonnée, ou en sa double casquette de représentant de la personne morale et de personne physique soupçonné lui-même, pourra bénéficier de l’assistance de son avocat si le délit recherché est puni par la loi d’une peine d’emprisonnement.

Qu’attend-il alors de cette assistance et quelle est la mission de l’avocat ?

II. S’adapter aux questionnements particuliers du dirigeant de la personne morale

A. Première question : dirigeant et personne morale sont-ils assistés du même avocat ?

Après avoir posé le principe de la représentation de la personne morale par son représentant légal au cours de la procédure, l'article 706-43 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0555LTQ) dispose que « lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l'encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal judiciaire aux fins de désignation d'un mandataire de justice pour représenter la personne morale ».

Dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juillet 2000 (N° Lexbase : L0901AI9), cette disposition rendait obligatoire la désignation d’un mandataire en cas de poursuites concomitantes avec le représentant légal, et ce dans l’optique de prévenir tout conflit d’intérêts. Les conséquences du texte initial, interprété strictement par la Cour de cassation [8], ont toutefois été jugées excessives [9], ce qui a conduit le législateur à opter pour le régime actuel de désignation facultative. Cette faculté étant laissée à l’initiative du représentant légal, ce texte ne permet plus de remédier au risque de conflit d’intérêts, déjà présent dans la phase antérieure aux poursuites.

Certains auteurs ont pu souligner qu’en ayant la faculté de lier leur défense à celle de la personne morale, les représentants légaux ont désormais la possibilité d’alléger leur responsabilité au détriment de cette dernière [10].

Un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 20 mars 2007 nous fournit une illustration particulièrement éloquente de ce risque [11]. Poursuivis pour des faits connexes, une société et son dirigeant avaient été défendus par le même avocat en première instance, empêchant ainsi la première de se constituer partie civile pour les abus de biens sociaux reprochés au second. Malgré la divergence d’intérêts évidente entre les deux prévenus, la désignation d’un mandataire ad hoc était impossible, cette décision revenant au représentant légal, autrement dit au coprévenu.

Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, il est donc primordial pour l’avocat d’identifier et d’anticiper ces difficultés dès la phase d’enquête.

Certes les réponses à ces questions dépendront des particularités de chaque situation, mais aux deux extrémités on peut facilement identifier qu’à l’évidence :

• lorsque le dirigeant est convoqué pour être entendu sous la double casquette personne physique / représentant de la personne morale il peut difficilement avoir deux avocats différents ;

• lorsque le dirigeant est convoqué uniquement en sa qualité de personne physique et pour des infractions dont la personne morale est susceptible d’être victime, il peut difficilement avoir le même avocat que la société.

Entre ces deux situations, l’avocat identifie l’éventuel conflit d’intérêts avec les outils dont il a l’habitude de se servir dans son exercice professionnel.

Ces mêmes questionnements conduisent à apporter une réponse à la question du dirigeant sur la prise en charge des honoraires de son avocat par l’entreprise. Si l’entreprise prend en charge les frais de défense de ses dirigeants dès le début de l’enquête, directement ou via son assurance responsabilité civile de dirigeants, la question du remboursement de ces frais par le dirigeant sera posée en cas de condamnation pénale et selon la nature de l’infraction. À cet égard, on se reportera avec intérêt au très instructif article co-rédigé par E. Daoud et B. Bouche [12].

B. Deuxième question : en quoi consiste le fait de préparer un dirigeant à son audition, sous le régime de garde à vue ou d’audition libre ?

La garde à vue ou l’audition libre se préparent, parce que la garde à vue est un acte d’enquête extrêmement violent et incompréhensible pour des personnes qui n’y sont absolument pas préparées.

Comme on l’a évoqué plus haut, très souvent, le dirigeant est convoqué par téléphone à une date et heure précise dans un commissariat, une gendarmerie ou une brigade spécialisée sans explication, ce qui est déjà pour lui une incongruité par rapport à son quotidien fait de réunions planifiées à l’avance avec un ordre du jour précis.

Quand il est convoqué, la convocation mentionne l’infraction recherchée qui, par son libellé, est déjà une source importante d’angoisse.

À la différence de celui qui est arrêté en train de commettre un délit, le dirigeant ne comprend pas ce qui justifie cette situation. Il est souvent incapable de faire le lien entre ses responsabilités, les actions qu’il a menées dans son entreprise, les décisions qu’il a prises et une mesure qu’il pense réservée à une frange de la population qui a choisi le banditisme comme un mode de vie.

Un des principaux objectifs de la préparation à la garde à vue ou à l’audition libre est de démythifier et de démystifier la convocation pour faire disparaître ce facteur majeur d’anxiété et donc de déstabilisation du dirigeant qu’est le choc de se trouver confronté à une procédure qu’il ne connaît pas, qu’il ne comprend pas mais dont il pressent immédiatement qu’elle pourra avoir des conséquences graves pour lui professionnellement et personnellement, ce qui crée un fort niveau de stress.

Premièrement, cette préparation doit donc a minima inclure une description précise de la procédure pour faire disparaître cette peur de l’inconnu.

Il est nécessaire d’expliquer au dirigeant les raisons d’un placement en garde à vue pour lui faire comprendre que cela ne signifie pas qu’il est coupable et qu’à ce stade il est toujours présumé innocent.

Il est important aussi que le dirigeant connaisse les principales étapes de la garde à vue pour pouvoir les anticiper (la notification de ses droits, l’entretien confidentiel de trente minutes avec son avocat, la durée, les issues possibles en fin de mesure) ou de l’audition libre…

Si une audition libre qui dure six ou sept heures fait assez rapidement oublier le droit de quitter à tout moment les locaux, cette restriction à la liberté est totale dans le cadre de la garde à vue et il est important de préparer le dirigeant à « tenir la longueur » pour une durée qui, rappelons-le, peut aller jusqu’à 48 heures.

Jusqu’au 1er septembre 2015, la garde à vue pouvait même durer 96 heures pour un soupçon d’escroquerie en bande organisée (C. proc. pén. art. 706-73 8°, bis). Ce fut le chef de poursuites retenu contre l'homme d'affaires Bernard Tapie dans l'enquête sur l'arbitrage dont il a bénéficié en 2008 dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais. Il avait alors été, ainsi que son avocat Maurice Lantourne, placé en garde à vue pendant 96 heures. Cette durée exceptionnelle avait été contestée par leurs avocats au moyen de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Le 9 octobre 2014, le Conseil constitutionnel avait déclaré le 8° bis de l'article 706-73 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2154LHA) contraire à la Constitution considérant que cette durée de 96 heures portait « à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » [13].

Deuxièmement, lorsque la préparation intervient entre la convocation et l’audition, elle intègre évidemment une analyse des faits et des documents susceptibles d’intéresser l’enquêteur, le but n’étant bien entendu pas de faire obstacle à la manifestation de la vérité mais au contraire de participer à cette manifestation en se mettant en mesure d’apporter toutes les explications qui intéresseront l’enquête et contribueront à la démonstration de l’absence d’infraction.

Troisièmement, la préparation doit aussi et surtout expliquer au dirigeant le comportement qu’il doit adopter en garde à vue.

Tous ces conseils que les avocats sont, en toutes matières, amenés à prodiguer sur le comportement à adopter pendant l’audition pénale, sont ici d’autant plus importants que ce comportement est l’inverse de celui que le dirigeant adopte au quotidien dans son entreprise. 

Dans son entreprise, il est habitué à diriger, à contrôler, à poser des questions et à décider. On attend de lui qu’il sache et qu’il agisse.

La confrontation avec un officier de police judiciaire dans une garde à vue sort complètement du cadre habituel du dirigeant. Il perd ses repères. Pour l’un, l’enquêteur, la garde à vue est son quotidien ; pour l’autre, le dirigeant d’entreprise, c’est l’opposé de son paysage habituel. L’enquêteur peut d’ailleurs avoir la tentation d’utiliser cette asymétrie pour créer un ascendant psychologique sur le dirigeant auditionné.

Le dirigeant doit comprendre et accepter que ce n’est pas lui qui contrôle cette situation. Il est là pour répondre à des questions et non pour les poser, il doit obéir aux ordres et non les donner, il ne gère pas le temps il le subit. Il doit reconnaître qu’il ne sait pas tout et savoir envisager des réponses comme « je ne sais pas », « je ne me souviens pas », ou « je ne peux pas répondre à votre question » alors que son exigence personnelle dans son rôle de dirigeant est d’avoir des réponses aux questions, de savoir, d’agir et de décider.

Il ne peut pas être dans une posture d’autorité mais pas non plus dans une posture de séduction comme il l’est en face de clients, d’investisseurs, ou d’actionnaires par exemple. Cette attitude en garde à vue que nous avons constatée dans notre pratique, peut consister à vouloir aider l’enquêteur en lui apportant des informations qu’il ne demande pas, ou en cherchant dans sa mémoire des informations qu’il n’a plus pour essayer de répondre à une question. Or ces réponses inscrites dans le procès-verbal d’audition, en ouvrant des hypothèses, pourront se révéler être le support d’un raisonnement à charge plus tard dans la procédure.

La préparation à la garde à vue doit donc inclure des recommandations du type : ne pas craindre de prendre du temps pour réfléchir avant de répondre, ne pas hésiter à faire répéter la question pour être certain de l’avoir comprise, ne pas hésiter à dire qu'on ne sait pas si tel est le cas, donner des réponses simples, brèves et précises sans émettre d'avis personnel ni faire des suppositions, répondre uniquement à la question posée, ne pas extrapoler en répondant à la question qui aurait dû ou pu être posée, ne pas hésiter à répéter une réponse déjà donnée auparavant, ne pas être gêné par les silences d’un enquêteur qui retranscrit et le laisser retranscrire avant d’en ajouter, situer les faits dans leur contexte quand un comportement ou une décision s’explique par des informations disponibles au moment des faits, préciser lorsqu’une question ne relève pas de sa compétence et ne pas essayer d’y répondre, etc…

Il est important que le dirigeant comprenne que ce qui compte à l’issue de l’audition n’est pas l’avis de l’enquêteur mais ce qui est retranscrit dans le procès-verbal parce que celui-ci deviendra une pièce essentielle du dossier pénal. Il doit donc relire attentivement et intégralement le procès-verbal, le faire relire par son avocat et vérifier qu’il reprend fidèlement les réponses. Si ce n'est pas le cas, il doit proposer des modifications et laisser faire son avocat si la contestation éventuelle ne se résout pas.

***

Voilà le dirigeant prêt à être auditionné, accompagné de son avocat.

Et au sortir de la garde à vue ou de l’audition libre, le même dirigeant de demander à son conseil, non sans l’avoir chaleureusement remercié pour ses diligences à ses côtés, de rendre compte de l’audition à la direction juridique.

Épineuse question qui touche à celle du secret professionnel conjugué au secret de l’enquête. Plus épineuse encore lorsqu’elle n’est pas posée par le dirigeant mais par le cadre, délégataire de pouvoir, qui a été entendu à la fois en sa qualité personnelle et comme délégué par le dirigeant pour représenter la personne morale. Mais c’est un autre sujet…

 

[1] Y. Buffelan-Lanore, Rev. soc., 1993, p. 315 ; F. Desportes, JCP E, 1993, comm. 219.

[2] V. en ce sens J.-Y. Maréchal, Fasc. 20 : Poursuite, instruction et jugement des infractions commises par les personnes morales, art. 706-41 à 706-46, § 47, JCl. Procédure pénale.

[3] V. en ce sens H. Matsopoulou, v° Responsabilité pénale des personnes morales, § 132, Rép. sociétés.

[4] CA Paris, ch. corr. 12, sect. A, 19 janvier 2009, n° 08/04096

[5] Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011 (N° Lexbase : A9214HZB) ; Cons. const., décision n° 2012-257 QPC, du 18 juin 2012 (N° Lexbase : A8706INR).

[6] Circulaire DACG, CRIM 2006-03/E8, du 13 février 2006 (N° Lexbase : L4255HIG) : Y. Mayaud, Responsabilités pénales entre personnes morales et personnes physiques – une logique d’artifices…AJ pénal, 2018, p. 546.

[7] Ministère de l’Intérieur, Glossaire : « NATINF (NATure d’INFraction) La NATINF est la nomenclature des infractions créée par le ministère de la Justice en 1978 pour les besoins de l'informatisation du casier judiciaire et des juridictions pénales. Elle recense la plupart des infractions pénales en vigueur ou abrogées, et évolue au gré des modifications législatives et réglementaires » [en ligne].

[8] Cass. crim., 9 décembre 1997, n° 97-83.079 (N° Lexbase : A1431ACY)

[9] B. Bouloc, D., 1998, p. 296

[10] J.-H. Robert, Dr. pén., 2007, comm. 88

[11] Cass. crim., 20 mars 2007, n° 05-85.253 (N° Lexbase : A9502DUH)

[12] E. Daoud et B. Bouche, L’intérêt social, vecteur de la décision de prise en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié, AJ pénal, 2014, p. 348.

[13] Cons. const., décision n° 2014-420/421 QPC, du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ).

 

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Entreprises en difficulté

[Le point sur...] L’impact prépondérant du droit du travail en matière de procédures collectives : le social, axe stratégique majeur de retournement d’une entreprise

Lecture: 16 min

N5724BYN

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par Aline Clédat, avocat counsel et Loïc Touranchet, avocat associé, cabinet Actance

Le 16 Décembre 2020

Alors que de nombreuses entreprises ont traversé difficilement l’année 2020 en ayant recours aux dispositifs d’aide de l’Etat (activité partielle, dispositif de report ou d’exonération de charges, prêt garanti par l’Etat…), la crise liée au covid-19 fait craindre une multiplication des procédures collectives en 2021.

Une entreprise est en état de cessation des paiements lorsqu’elle est dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. La déclaration de cessation des paiements (« DCP ») doit être déposée au Tribunal de commerce dans un délai maximum de 45 jours suivant la date de cessation des paiements.

Le jugement dit « d’ouverture » du Tribunal de commerce va entrainer le placement de l’entreprise en procédure de redressement judiciaire (RJ) ou de liquidation judiciaire (LJ).

A ce stade, seront désignés les organes de la procédure, et notamment l’administrateur judiciaire (dont le contour de la mission est fixé par le jugement d’ouverture) et le mandataire judiciaire (qui est le représentant des créanciers et également le liquidateur de l’entreprise dans le cadre d’une liquidation judiciaire).

A compter du jugement d’ouverture, s’ouvre une période d’observation (PO) d’une durée de 6 mois, pouvant être renouvelée dans la limite de 18 mois.

En lien avec la Direction de l’entreprise, l’administrateur judiciaire ou le mandataire liquidateur va rechercher les solutions permettant le maintien d’un maximum d’emplois tout en ayant pour objectif la poursuite de l’exploitation de l’entreprise (via un plan de redressement ou un plan de cession) et le désintéressement des créanciers.

1 - Quel est le rôle des représentants du personnel dans le cadre d’une procédure collective ?

a - Le rôle du CSE

Le comité social et économique (CSE) intervient d’abord en amont de la DCP : il doit être informé et consulté sur le projet de demande d’ouverture d’une procédure de RJ ou de LJ (C. trav., art. L. 2312-8 N° Lexbase : L8460LGG et L. 2312-53 N° Lexbase : L0960LTQ).

Il est également consulté durant la procédure collective, essentiellement sur le plan de cession ou le plan de redressement envisagé et les conséquences sociales pour les salariés de l’entreprise (C. trav., art. L. 2312-53 ; C. com., art. L. 631-19 N° Lexbase : L8856I3E et L. 642-5 N° Lexbase : L8236LQ4).

b - Les représentants du personnel spécifiques dans le cadre de la procédure collective

Les représentants du CSE à la procédure collective. Avant le dépôt de la DCP, les représentants du CSE doivent désigner leurs représentants dans le cadre de la procédure collective, qui seront auditionnés par le Tribunal de commerce lors des étapes majeures de la procédure (C. com., art. L. 621-1 N° Lexbase : L2762LBW et R. 621-2 N° Lexbase : L1783LWX).

En particulier, le Tribunal de commerce saisi de la DCP statue sur l’ouverture de la procédure (jugement d’ouverture) après avoir entendu en audience, notamment, les représentants du CSE.

Le représentant des salariés. Par ailleurs, dans les 10 jours du jugement d’ouverture, le CSE désigne également un représentant des salariés, chargé de participer aux relevés des créances salariales. En pratique, certains Tribunaux de commerce demandent que la désignation soit effectuée en amont de la DCP, quitte à réitérer la désignation post-ouverture (C. com., art. L. 621-4 et R. 621-4 N° Lexbase : L6102I3E).

2 - Quels sont les aménagements de procédure prévus en cas de PSE ?

La procédure collective s’accompagne le plus souvent d’une réduction des effectifs prévue dans le plan de redressement ou le plan de cession de l’entreprise.

Cette réduction d’effectifs est facilitée par une procédure accélérée et allégée de consultation du CSE en cas de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) au sein de l’entreprise en RJ ou en LJ (C. trav., art. L. 1233-58 N° Lexbase : L2833LT4) :

  • une réunion du CSE est juridiquement obligatoire alors que pour une entreprise in bonis, l’article L. 1233-30 du Code du travail  N° Lexbase : L8096LGX prévoit la tenue de deux réunions minimum, espacées d’au moins 15 jours ;
  • aucun délai de consultation impératif du CSE n’est prévu par le Code du travail, alors que pour une entreprise in bonis, le délai de consultation maximum est de 2, 3 ou 4 mois en fonction du nombre de licenciements envisagés ;
  • un délai réduit de validation ou d'homologation de la DIRECCTE de 8 jours en RJ et 4 jours en LJ, au lieu de 21 jours en cas de document unilatéral et de 15 jours en cas d’accord majoritaire dans une entreprise in bonis ;
  • en cas de refus de la DIRECCTE : la procédure de deuxième demande à la DIRECCTE est encadrée par des délais courts (consultation du CSE dans un délai de trois jours et instruction de la DIRECCTE dans un délai de trois jours) ;
  • l’obligation de revitalisation des bassins d’emploi n’est pas applicable dans les entreprises en RJ ou LJ (C. trav., art. L. 1233-84 N° Lexbase : L1283H9E).

Focus : en cas de liquidation judiciaire, la procédure est encadrée par des délais particulièrement courts (C. com., art. L. 641-4 N° Lexbase : L7328IZG ; C. trav., art. L. 3253-8 N° Lexbase : L7959LGU) :

  • 12 jours de procédure maximum de consultation du CSE à compter du jugement d’ouverture de la LJ ;
  • 4 jours de validation ou homologation par la DIRECCTE ;
  • délai maximal de 21 jours pour licencier à compter du jugement d’ouverture pour bénéficier de la prise en charge par l’AGS.

Il faut souligner que ces aménagements ne dispensent pas de respecter certaines règles de droit commun qui sont maintenues :

  • l’obligation de mettre en place un PSE par accord collectif et/ou par décision unilatérale soumis à la validation ou à l'homologation de la DIRECCTE ;
  • la possibilité pour le CSE de recourir à un expert sur les domaines économique et comptable ainsi que sur la santé, sécurité et conditions de travail (ce qui, en pratique, conduit à prévoir au moins deux réunions du CSE) ;
  • l’application des critères d’ordre de licenciement par catégories professionnelles ;
  • l’obligation de recherche de reclassement interne ;
  • l’application des règles de procédure liées au statut protecteur des salariés protégés ;
  • le versement des indemnités de rupture du contrat de travail (avec le bénéfice de la garantie de l’AGS - cf. point 4, ci-après).

 3 - Quelles sont les mesures sociales d’accompagnement prévues par le PSE ?

Quel que soit l’effectif de l’entreprise et du groupe, les salariés visés par les ruptures de contrat se verront proposer le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et non le congé de reclassement (qui est obligatoire dans les entreprises in bonis lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient compte plus de 1 000 salariés).

Concernant l’appréciation de la proportionnalité du PSE par rapport aux moyens de l’entreprise et du groupe, une autre spécificité est prévue par le Code du travail : le contrôle de la DIRECCTE pour homologuer ou valider le PSE ne porte que sur les moyens de l'entreprise (et non ceux du groupe) ; même si, pour établir le PSE, l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur selon les cas, doit rechercher les moyens du groupe auquel l'employeur appartient.

4 - Quelles sont les créances garanties par l’AGS ?

a - Le principe de la garantie de paiement des salaires par l’AGS

L'AGS (association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) est un fonds de solidarité interentreprises, alimenté par une cotisation patronale obligatoire payée par toutes les entreprises.

La mission principale de l'AGS consiste à soutenir financièrement les entreprises dans les procédures collectives en avançant les fonds nécessaires au paiement des créances salariales. L’AGS n'intervient qu'à titre subsidiaire, c'est-à-dire lorsque les créances des salariés ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles de l’entreprise.

Le mandataire établit les relevés de créances résultant des contrats de travail et les soumet au représentant des salariés. La prise en charge par l’AGS des salaires dus aux salariés avant l’ouverture de la procédure suppose donc qu’un représentant des salariés soit rapidement désigné.

Il est important de noter que les salariés bénéficient d’un privilège de paiement par rapport aux autres créanciers de la société, qui leur permet de se faire régler avant eux des sommes qui leur sont dues.

Focus : afin d’accélérer la prise en charge des créances salariales, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L7764LY9) reprend une mesure prévue par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 (art. 1er, I, 2° N° Lexbase : L5884LWT) : dès qu’ils sont établis par le mandataire judiciaire, les relevés de créances salariales sont transmis, sous sa seule signature, à l’AGS, l’avis du représentant des salariés et le visa du juge-commissaire devant être rendus ultérieurement. L’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance précise que, « lorsque l’exemplaire n’est pas conforme au relevé sur lequel est apposé le visa du juge-commissaire, le mandataire judiciaire transmet sans délai ce dernier » à l’AGS.

Ces dispositions s’appliquent jusqu’au 31 décembre 2021, y compris aux procédures en cours.


b - Quelles sont les sommes couvertes par l’AGS ?

L’article L. 3253-8 du Code du travail (N° Lexbase : L7959LGU) précise, sous certaines conditions notamment de délai, les créances garanties par l’AGS en cas de procédure collective en distinguant :

  1. les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire : la garantie concerne les sommes dues aux salariés en exécution du contrat de travail ou au titre de ruptures du contrat de travail, intervenues antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la procédure de RJ ou de LJ.

Il en est par exemple ainsi des indemnités de congés payés au titre des jours acquis antérieurement au jugement d’ouverture (Cass. soc., 21 novembre 1989, n° 88-11.556, publié N° Lexbase : A4777CIR).

Focus : les salaires dus aux salariés après le jugement d’ouverture (c’est-à-dire pendant la période d’observation) sont pris en charge par la société elle-même.
  1. les créances résultant de la rupture du contrat de travail notifiée après le jugement d’ouverture, qui est conditionnée au respect de certains délais en matière de rupture du contrat de travail.

Ne sont garanties par l’AGS que les créances résultant de la rupture du contrat de travail (date de notification du licenciement ou de la proposition du CSP) intervenant :

  • pendant la période d’observation ;
  • dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de redressement ou de cession ;
  • dans les 15 jours, ou 21 jours lorsqu’un PSE est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
  • pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les 15 jours, ou 21 jours lorsqu’un PSE est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.
  1. les mesures d’accompagnement résultant d’un PSE validé ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 avant ou après l’ouverture du RJ ou de la LJ ;
Focus : en application de l’article L. 3253-13 du Code du travail (N° Lexbase : L0710IXL), l’AGS ne couvre pas les sommes « qui concourent à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un licenciement pour motif économique, en application d'un accord d'entreprise ou d'établissement ou de groupe, d'un accord collectif validé ou d'une décision unilatérale de l'employeur homologuée conformément à l'article L. 1233-57-3, lorsque l'accord a été conclu et déposé ou la décision notifiée moins de dix-huit mois avant la date du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ou l'accord conclu ou la décision notifiée postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ».

iv. les sommes dues, lorsque le tribunal prononce la LJ, dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail :

  • au cours de la période d'observation ;
  • au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
  • au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L. 621-4 et L. 631-9 du Code de commerce ;
  • pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.

Ces sommes sont couvertes dans la limite de trois fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale (PMSS) pour un mois et demi de salaire dû, et de deux fois ce plafond pour un mois de salaire dû (C. trav., art. D. 3253-2).

Focus : la Chambre sociale de la Cour de cassation a récemment confirmé que les dispositions légales relatives à la garantie de l’AGS « excluent pour le salarié le droit d'agir directement » contre cette institution « et lui permettent seulement de demander que les créances litigieuses soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire » afin d'entraîner l'obligation pour cette institution de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci (Cass. soc., 18 novembre 2020, n°19-15.795, F-P+B N° Lexbase : A500537I).


5 - Quel est le plafond de la garantie AGS ?

Le plafond maximum de la garantie est fixé à 6 fois le plafond mensuel retenu pour le paiement des cotisations d’assurance chômage, soit 82 272 euros en 2020 (C. trav., art. D. 3253-5 N° Lexbase : L4410IAL).

Ce plafond est réduit en fonction de la date de conclusion du contrat de travail dont résulte la créance :

  • 5 fois lorsque le contrat a été conclu moins de deux ans et plus de 6 mois avant la date du jugement d’ouverture de la procédure collective ;
  • 4 fois lorsque le contrat a été conclu moins de 6 mois avant cette date.

Il faut tenir compte du fait que ce plafond règlementaire s’apprécie toutes créances confondues (notamment, sans que cette liste ne soit exhaustive : les créances antérieures au jugement d’ouverture, l’indemnité de licenciement, le solde de tout compte et notamment l’indemnité compensatrice de préavis).

Soulignons également que les charges sociales et le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu s’imputent sur ce plafond. Sur ce point, l’article L. 3253-8 du Code du travail mentionne expressément, in fine, que la garantie des sommes et créances mentionnées au 1°, au 2° et au 5° inclut « les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du Code général des impôts ».

6 - Quelles sont les issues possibles d’une procédure de redressement judiciaire ?

L’objectif du redressement judiciaire est de faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre le redressement de l'activité économique puis sa relance, seuls gages de sa pérennité et du maintien à terme de l'emploi, ainsi que l’apurement progressif du passif.

Le redressement judiciaire peut avoir trois issues :

  • L’arrêté d’un plan de redressement qui comporte nécessairement trois volets : (i) un volet économique, (ii) un volet financier et (iii) un volet social, ce dernier exposant les perspectives d’emploi et les conditions sociales envisagées pour la poursuite de l’activité. Ce plan doit, par ailleurs, pour pouvoir être adopté par le Tribunal, permettre de décrire l’avenir de l’entreprise soumise à la procédure.

A défaut de plan de redressement et en cas d’offre(s) de reprise présentée(s) par des tiers :

  • L’arrêté d’un plan de cession au profit du repreneur le mieux disant choisi par le Tribunal dans le cadre d’offres de reprise en plan de cession. Dans cette hypothèse, les repreneurs potentiels sont libres de choisir les actifs ainsi que le nombre de postes repris. Le Tribunal retiendra l’offre qui permettra dans les meilleures conditions d’assurer le plus durablement l’emploi attaché à l’ensemble cédé, le paiement des créanciers et qui présentera les meilleures garanties d’exécution.

A défaut de plan de redressement ou d’offre(s) de reprise en plan de cession :

  • Le Tribunal pourra convertir la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire en vue d’une cession isolée des actifs de la société.

7 - Quels sont les effets d’un plan de cession de l’entreprise ?

Le redressement ou la liquidation peut passer par la cession d’une branche d’activité de l’entreprise. Cette cession doit être autorisée par le Tribunal de commerce qui en définit le périmètre sur la base du rapport présenté par les organes de la procédure.

La cession de l'entreprise prononcée par le Tribunal de commerce dans le cadre d’une procédure de RJ ou de LJ entraîne de plein droit l’application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail dans le cadre de la cession (Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-42.231 N° Lexbase : A6351AGC).

Pour rappel, l’article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) dispose que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

La pratique montre que cette cession d’activité est facilitée par rapport au droit commun dans la mesure où le Tribunal de commerce considère que la cession d’une branche d’activité emporte application de l’article L. 1224-1 du Code du travail qui prévoit le transfert automatique des salariés sans qu’il soit procédé au contrôle contraignant de l’existence d’une entité économique autonome dont l’identité est maintenue.

Sur le plan individuel, les contrats de travail des salariés repris seront ainsi transférés à l’identique au repreneur (avec leur ancienneté et leur rémunération). Pour autant, le nouvel employeur n'est pas tenu aux obligations qui incombaient au précédent employeur (C. trav., art. L. 1224-2 N° Lexbase : L0842H93).

Par exception, les salariés dont le licenciement est autorisé par le plan de cession ne sont pas transférés. Il s’agit d’une dérogation à l’application de l’article L. 1224-1. La proportion de salariés repris ou non repris dépend de chaque dossier (étant rappelé que les critères retenus par le Tribunal de commerce pour ordonner un plan de cession sont les suivants : maintien de l’emploi, maintien de l’activité, désintéressement des créanciers).

La détermination des salariés repris ou non repris se fait par application des critères d’ordre des licenciements au sein d’un même bassin d’emploi ou, en cas d’accord collectif, au niveau d’un champ géographique qui peut être plus restreint (par exemple : magasin par magasin).

Le candidat à la reprise ne peut pas choisir nommément les salariés repris : il doit préciser dans son offre le nombre de postes repris par catégories professionnelles. Les salariés repris ou non repris sont déterminés par application des critères d’ordre de licenciement au sein des dites catégories professionnelle (au niveau du périmètre géographique d’application des critères d’ordre, par exemple par bassin d’emploi).

***

Le droit du travail constitue ainsi une composante essentielle dans la gestion d’une entreprise en situation de redressement ou de liquidation judiciaire : l’enjeu du maintien de l’emploi constitue l’un des points centraux pris en compte par les organes de la procédure et les juridictions pour apprécier la validité des projets d’entreprise.

Le périmètre et les modalités des suppressions d’emplois et du transfert d’activité doivent faire l’objet d’une grande vigilance lors de la mise en œuvre d’une procédure collective.

Dans ce cadre, la question des catégories professionnelles et des critères d’ordre de licenciement (définition des critères et périmètre géographique d’application), qui conduisent à déterminer les salariés repris ou non repris, sont des enjeux majeurs.

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Fiscalité internationale

[Brèves] Notion d’établissement stable en matière d’IS et de TVA : le Conseil d’État se prononce

Réf. : CE Plénière, 11 décembre 2020, n° 420174, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A652539K)

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N5720BYI

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Décembre 2020

Le Conseil d’État est venu apporter, dans un arrêt en date du 11 décembre 2020, des précisions sur la définition de l’établissement stable au sens de la convention franco-irlandaise et en matière de TVA le cadre juridique applicable.

Les faits. Une société irlandaise, détenue à 100 % par une société de droit américain, exerce une activité de marketing digital, en particulier en Europe, par l'intermédiaire de sociétés sœurs et notamment, en France.

La société irlandaise propose à ses clients des services dénommés « Media », « Marketing par affiliation » et « Technologies », un contrat de licence de droits de propriété intellectuelle conclu avec la société de droit américain l'autorisant à exploiter les droits relatifs à ces produits sur tous les marchés, hors Amérique du Nord. En exécution d'un contrat de prestation de services conclu entre les sociétés du groupe, la société française doit fournir à la société irlandaise les services suivants :

- assistance marketing consistant à agir comme le représentant marketing de la société irlandaise,

- services continus de management et services d'assistance back-office, assistance administrative.

En contrepartie, elle est remboursée de ses frais et perçoit une rémunération égale à 8 % du montant de ces frais.

Procédure. À la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la société de droit américain exerçait en France une activité imposable, par l'intermédiaire d'un établissement stable constitué par la société française. La société américaine a en conséquence été assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2009, 2010 et 2011 et un rappel de TVA a été mis à sa charge au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012. Le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 7 mars 2017, n° 1508234 N° Lexbase : A9524YH9) a rejeté la demande de la société américaine tendant à la décharge de ces cotisations et rappels ainsi que des pénalités correspondantes. La cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et prononcé la décharge demandée (CAA Paris, 1er mars 2018, n° 17PA01538 N° Lexbase : A1338XGN).

Solution de la cour administrative d’appel. La cour administrative de Paris a écarté, que ce soit en matière d’IS ou de TVA la qualification d’établissement stable en France de la société de droit irlandaise. La filiale française, bien que dotée d’importants moyens et dont les personnels négocient et rédigent certaines clauses des contrats, ne disposait en aucun cas du pouvoir d’engager juridiquement la société irlandaise, seule cette dernière signant lesdits contrats, « quand bien même cette signature présentait un caractère d’automatisme et s’apparentait à une simple validation ». D’autre part, la société française ne disposait pas des infrastructures nécessaires à rendre possible de manière autonome les prestations de service concernées.

Lire en ce sens, F. Laffaille, À propos de la notion d'établissement stable, Lexbase Fiscal, avril 2018, n° 737 (N° Lexbase : N3417BXT)

Solution du Conseil d’État.

Sur l’impôt sur les sociétés : pour avoir un établissement stable en France au sens des stipulations de l’article 209 du Code général des impôts (N° Lexbase : L7520LWG) ainsi de la convention franco-irlandaise, tendant à prévenir les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu, signée le 21 mars 1968 (N° Lexbase : E0457EUH), une société résidente d'Irlande doit :

- soit disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité,

- soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres.

⇒ Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise, décide de transactions que la société irlandaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l'engagent.

Si la société irlandaise fixe le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assure l'exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique. La cour a commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique en jugeant, au motif que les contrats avec les clients français étaient signés, par la société irlandaise, que la société française n'était pas, pour elle, un établissement stable au sens de la convention franco-irlandaise.

Sur la taxe sur la valeur ajoutée : l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel les prestations de services sont fournies ne présentant d'intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle d'un point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre État membre. Un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées.

Jusqu'au 31 décembre 2009, le rattachement de prestations de services soit à un établissement satisfaisant aux critères énoncés par la législation européenne dont le prestataire dispose en France, soit au siège de son activité économique situé sur le territoire d'un autre État membre, détermine si la TVA grevant ces prestations est due en France ou dans l'autre État membre.

Par ailleurs, lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2727IG4), le redevable de la TVA afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies.

Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.

Sur l’imposition de la société irlandaise : le Conseil d’État relève que la société française dispose des moyens humains rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, notamment des moyens humains qui lui permettent de prendre la décision de conclure, avec un annonceur, un contrat lui ouvrant le bénéfice des services dont la société irlandaise assure l'exploitation. De plus, les salariés de la société française doivent être regardés comme disposant de moyens techniques adaptés rendant possible, de manière autonome, la fourniture des prestations de la société irlandaise, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l'exécution des fonctionnalités de mise en relation n'est localisé en France, pas davantage d'ailleurs qu'en Irlande.

L’arrêt de la cour administrative d’appel est annulé.

newsid:475720

Fiscalité locale

[Brèves] Le Conseil d'État donne de nouvelles précisions sur l'exonération de taxe foncière et de CFE des biens d’équipement spécialisés des établissements industriels

Réf. : CE Plénière, 11 décembre 2020, n° 422418, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A652939P)

Lecture: 4 min

N5742BYC

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Décembre 2020

Pour apprécier, en application de l'article 1495 du Code général des impôts (N° Lexbase : L8465LHY) et de l'article 324 B de son annexe III (N° Lexbase : L9425LKB), la consistance des propriétés qui entrent, en vertu de ses articles 1380 (N° Lexbase : L9812HLY) et 1381 (N° Lexbase : L1070IZN), dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties, il est tenu compte, non seulement de tous les éléments d'assiette mentionnés par ces deux derniers articles mais également des biens faisant corps avec eux ;

► Sont toutefois exonérés de cette taxe, en application de l'article 1382 du même Code (N° Lexbase : L7549LXU), ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499 (N° Lexbase : L0268HMU), qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés à l'article 1381.

Les faits. Une société anonyme exploite sur le territoire de la commune d'Arnage un établissement où sont fabriquées des pièces destinées au secteur de l'industrie automobile. Elle a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la réduction, d'une part, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de taxes annexes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2009 et, d'autre part, de la cotisation foncière des entreprises et de taxes annexes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010, toutes assises sur la valeur locative de l'établissement, évaluée selon la méthode comptable prévue à l'article 1499 du Code général des impôts (N° Lexbase : L0268HMU). Le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. La cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel contre ce jugement (CAA Nantes, 31 mai 2018, n° 16NT03150 N° Lexbase : A1943XQZ).

Solution du Conseil d’État.

  • en jugeant que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés à l'article 1382 du Code général des impôts s'entendent de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;
  • en estimant, pour les immobilisations, que des libellés portés dans un tableau et, pour certaines d'entre elles, des photographies n'étaient pas suffisants pour établir le caractère démontable et mobile de ces biens, enregistrés en comptabilité dans des comptes de constructions, la cour administrative d'appel a porté sur le caractère probant des éléments avancés par la contribuable au soutien de ses prétentions une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

Le Conseil d’État a déjà précisé l’exonération de certains éléments des établissements industriels dans un arrêt en date du 25 septembre 2013 (CE 8° et 3° ssr., 25 septembre 2013, n° 357029, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9653KL4). Les juges ont retenu deux critères cumulatifs à l’exonération de taxe foncière des outillages et autres installations et des moyens matériels d’exploitation des établissements industriels. Pour échapper à cette taxe, ces derniers doivent ;

  • participer directement à l’activité industrielle de l’établissement,
  • être dissociables du bâtiment dans lequel l’activité est exercée.

Sur cette notion d’établissement industriel en matière de taxe foncière, le Conseil d’État a jugé que revêtent un caractère industriel au sens de l’article 1499 du CGI, les établissements dont l’activité nécessite d’importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d’une autre activité, est prépondérant (CE Contentieux, 27 juillet 2005, n° 261899, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1332DKK).

 

 

newsid:475742

Libertés publiques

[Brèves] Pas d’atteinte au principe de laïcité par la seule proposition de menus de substitution dans les cantines scolaires

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 11 décembre 2020, n° 426483, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A653039Q)

Lecture: 3 min

N5733BYY

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par Yann Le Foll

Le 16 Décembre 2020

Les menus de substitution dans les cantines scolaires, qui ne sont qu’une simple faculté pour les collectivités territoriales, ne sont pas contraires, lorsqu’ils sont proposés, au principe de laïcité (voir sur l’annulation de la décision d'une commune de ne plus proposer de menu de substitution dans les cantines scolaires, TA Dijon, 28 août 2017, n° 1502100 N° Lexbase : A3375WQ3).

Faits. Par un communiqué de presse publié le 16 mars 2015 et intitulé : « restauration scolaire à Chalon : retour au principe de laïcité », le maire de Chalon-sur-Saône a décidé de mettre un terme « à la pratique installée dans la collectivité depuis 31 ans, qui consistait à proposer un menu de substitution dès lors qu'un plat contenant du porc était servi dans les cantines ». Par une délibération du 29 septembre 2015, au motif que « le principe de laïcité interdit la prise en considération de prescriptions d'ordre religieux dans le fonctionnement d'un service public », le conseil municipal a modifié le règlement intérieur des restaurants scolaires afin qu'il ne soit plus proposé qu'un seul type de repas à l'ensemble des enfants inscrits dans les restaurants scolaires de la commune. La cour administrative d’appel (CAA Lyon, 23 octobre 2018, n° 17LY03323 N° Lexbase : A4422YIM) a annulé ces deux décisions.

Principe retenu. S'il n'existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers, ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas.

Lorsque les collectivités ayant fait le choix d'assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d'organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.

Solution. En jugeant que les principes de laïcité et de neutralité du service public ne faisaient, par eux-mêmes, pas obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d'un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, la cour n'a, contrairement à ce que soutient la commune requérante, ni commis d'erreur de droit, ni méconnu les principes de laïcité, de neutralité et d'égalité des usagers devant le service public garantis par l'article 10 de la DDHC (N° Lexbase : L1357A97), les trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution, l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État (N° Lexbase : L0978HDL) et l'article L. 141-2 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L9259ARD). Le pourvoi est donc rejeté (voir, s'agissant de la possibilité d'accorder aux élèves des autorisations d'absence nécessaires à l'exercice d'un culte ou à la célébration d'une fête religieuse, CE, Ass., 14 avril 1995, n° 125148 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 906945, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE Contentieux, 14-04-1995, n\u00b0 125148", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A3345AN9"}}).

newsid:475733

Marchés publics

[Jurisprudence] Les offres émanant deux sociétés distinctes mais sans autonomie commerciale peuvent être rejetées

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 8 décembre 2020, n° 436532, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A225439D)

Lecture: 7 min

N5788BYZ

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par Emilie Grzelczyk, Avocat au barreau de Paris

Le 16 Décembre 2020

 


Mots clés : marchés publics - autonomie commerciale - opérateur économique distinct

Deux entreprises distinctes néanmoins dépourvues d'autonomie commerciale ne peuvent soumissionner au même lot.


 

S’il ne relève pas de l’office du juge des référés précontractuels de sanctionner les atteintes au droit de la concurrence, se pose régulièrement la question de savoir dans quelles conditions des sociétés appartenant à un même groupe ou ayant des liens capitalistiques étroits peuvent soumissionner à un marché public et dans quelle mesure les offres ainsi remises peuvent être considérées comme distinctes. C’est à cette question que le Conseil d’Etat a eu l’occasion de répondre.

Après avoir rappelé la règle selon laquelle un candidat est autorisé à ne présenter qu’une offre (I), le Conseil d’Etat a précisé dans quels cas les offres de deux candidats peuvent être considérés comme identiques et ainsi être rejetées (II).

I - La réaffirmation de la règle : « un candidat – une offre »

Dans cette affaire, la Métropole d’Aix-Marseille-Provence avait lancé un appel d’offres pour l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaire portant sur des travaux d’aménagement, de réparation, d’entretien et de rénovation de bâtiments (21 lots). Le règlement de la consultation précisait que chaque lot serait attribué à trois soumissionnaires, sachant que les candidats n’étaient autorisés à répondre qu’à deux lots maximum. En cas de présentation d’un nombre d’offres supérieur à celui autorisé, il était indiqué que toutes les offres du soumissionnaire seraient déclarées irrégulières et rejetées. La société Eiffage Energie Systèmes a présenté une première offre pour le lot n° 11, pour lequel elle a été déclarée attributaire, et une seconde offre pour le lot n° 12, pour lequel elle a été classée en quatrième position. S’estimant irrégulièrement évincée du lot n° 12, elle a saisi le juge des référés précontractuels au motif que les offres des sociétés attributaires (CMT et Compagnie méridionale d’application thermique) étaient strictement identiques tant d’un point de vue financier que technique et auraient donc dû être écartées. Il était soutenu qu’en raison de l’absence de toute autonomie commerciale (même président et même actionnaire unique), les deux sociétés devaient être regardées comme un seul et même candidat. Partant, l’acheteur aurait dû s’estimer en présence d’un seul opérateur économique ayant remis deux offres, ce qui était contraire aux dispositions du règlement de la consultation.

Le juge des référés précontractuels du tribunal de Marseille a suivi le raisonnement de la société évincée et a enjoint la Métropole de reprendre la procédure au stade de l’examen des offres en écartant celles des sociétés CMT et Compagnie méridionale d’application thermique.

Ne partageant pas la position du juge des référés précontractuels, la Métropole a formé un pourvoi en cassation. Rappelant les dispositions des articles L. 1220-1 (N° Lexbase : L4353LRN) à L. 1220-3 et R. 2151-6 (N° Lexbase : L3976LRP) du Code de la commande publique, le Conseil d’État a réaffirmé la règle selon laquelle « un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre pour chaque lot ».

Si la règle n’est pas nouvelle, son application peut s’avérer complexe pour un acheteur et ce, notamment lorsque des sociétés ayant des liens capitalistiques étroits déposent chacune une offre. Dans une telle hypothèse, l’acheteur doit veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée ; les sociétés pouvant multiplier les offres similaires dans le seul but d’augmenter leurs chances de remporter le marché.

Pour éviter un tel écueil, l’acheteur doit vérifier si les sociétés peuvent ou non être qualifiées d’opérateur économique distinct. Si tel est le cas, la règle « un candidat-une offre » est respectée. En revanche, si les deux sociétés peuvent être regardées comme un seul et même candidat, alors la règle sera méconnue en raison d’un nombre d’offres déposées supérieur à celui autorisé (« un candidat – deux offres »).

Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de préciser que deux sociétés ne mettant pas en œuvre de moyens distincts doivent être regardées comme un seul et même candidat :  « ces deux sociétés ne mettaient pas en œuvre de moyens distincts, qu’elles devaient être regardées comme un seul et même candidat pour l’application des dispositions précitées, et que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas leur attribuer un total de six lots sans méconnaître les obligations de mise en concurrence fixées par le règlement de la consultation » [1]. Il est à noter que, dans ce cas, l’analyse portait sur la candidature des deux sociétés et l’unicité des moyens mis en œuvre.

Or, une telle solution n’était pas strictement transposable dans la présente affaire, dans la mesure où la question était de savoir si une même offre pouvait être présentée plusieurs fois par des sociétés mettant en œuvre des moyens distincts.

II - Les précisions sur la notion d’opérateur économique distinct

Pour répondre à cette question, le Conseil d’État a apporté des précisions sur la notion d’opérateur économique. En effet, il a jugé que « si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même soumissionnaire lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d’autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l’absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot ». Ainsi, c’est parce que les deux sociétés n’ont aucune autonomie commerciale qu’elles doivent être regardées comme un même opérateur économique et donc un même soumissionnaire. Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que « d'une part, les offres litigieuses pour le lot n° 12 émanaient de deux sociétés filiales d'un même groupe et, d'autre part, elles étaient identiques et ne pouvaient être considérées comme des offres distinctes présentées par des opérateurs économiques manifestant leur autonomie commerciale ». Partant, « la métropole devait être regardée comme ayant retenu, pour le même lot, deux offres présentées par un même soumissionnaire ».

Il est à noter que la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà adopté un raisonnement identique estimant que « s’il apparaît sur la base d’éléments incontestables, que les offres n’ont pas été formulées de manière indépendante », l’acheteur peut les exclure [2].

En présence d’offres présentant de fortes similarités, l’acheteur devra donc s’assurer qu’elles ont été formulées de manière indépendante par des sociétés disposant d’une réelle autonomie commerciale.

Une telle analyse devra être d’autant plus rigoureuse que l’Autorité de la concurrence a récemment infléchi sa position en estimant que la présentation d’offres en apparence indépendantes mais formulées de façon concertée par les entités appartenant à un même groupe ne pouvait pas être sanctionnée au titre de la prohibition des ententes [3]. Suivant la jurisprudence communautaire [4], l’Autorité de la concurrence a, en effet, estimée que les entités appartenant à un même groupe ne forment qu’une seule « entreprise » au sens du droit de la concurrence, ce qui exclut la qualification de pratiques concertées.

La position du Conseil d’État s’inscrit donc dans l’actualité récente laissant désormais au droit de la commande publique le soin de sanctionner de manière efficace les distorsions de concurrence notamment de la part des sociétés appartenant à un même groupe, soit au stade de la passation des marchés publics, soit a posteriori  [5].

 

[1] CE, 11 juillet 2018, n° 418021 (N° Lexbase : A8005XXR).

[2] CJUE, 8 février 2018, aff. C-144/17 (N° Lexbase : A6145XCL).

[3] Autorité de la concurrence, décision n° 20-D-19 du 25 novembre 2020 (N° Lexbase : X1225CKL).

[4] CJUE, 17 mai 2018, aff. C-531/16 (N° Lexbase : A8248XMG).

[5] CE, 27 mars 2020, n° 420491 et 421758 (N° Lexbase : A42493KL).

newsid:475788

Procédure civile

[Brèves] Le respect du principe du contradictoire s’impose au juge du contrôle d'une mesure d'instruction

Réf. : Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 18-18.504, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A586239Y)

Lecture: 3 min

N5728BYS

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 17 Décembre 2020

► Dans le cas où le juge chargé du contrôle d’une mesure d’instruction est saisi de demandes fondées sur les articles 166 (N° Lexbase : L1555H4D), 167 (N° Lexbase : L1558H4H) et 168 (N° Lexbase : L6885LEQ) du Code de procédure civile, il doit respecter le principe de la contradiction et statuer lorsque les parties ont été entendues ou appelées.

Faits et procédure. Dans cette affaire, une société suspectant un détournement de clientèle commis par un ancien salarié et la société dont il est le gérant, a saisi le président d’un tribunal de grande instance qui a autorisé par ordonnance sur requête une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49), et désigné un huissier de justice pour diligenter la mesure. Par la suite, le même président de la juridiction a autorisé, après le dépôt d’une requête, l’huissier de justice, en sa qualité de mandataire de la demanderesse, à conserver un disque dur saisi au domicile du défendeur. Les défenderesses ont assigné la société demanderesse en rétraction des deux ordonnances. Un juge des référés a rejeté par ordonnance leur demande, et un appel a été interjeté à l’encontre de cette décision. La demanderesse de l’action initiale ayant été placée en liquidation judiciaire, un liquidateur a été désigné.

Le pourvoi. Le demandeur fait grief à l’arrêt rendu le 17 avril 2018 par la cour d’appel de Rennes d’avoir violé les articles16 (N° Lexbase : L1133H4Q) et 168 du Code de procédure civile en confirmant l’ordonnance de référé et de dire n’y avoir lieu à rétracter l’ordonnance sur requête du 20 juillet 2017.

Réponse de la Cour. Après avoir énoncé la solution précitée, aux visas des articles 14 (N° Lexbase : L1131H4N), 16, 166, 167 et 168 du Code de procédure civile, la Cour suprême censure l’arrêt d’appel, relevant que pour rejeter la demande de rétraction de l’ordonnance sur requête, les juges d’appel avaient adopté par des motifs propres que l’ordonnance avait été rendue sans convocation des parties, et que le principe du contradictoire avait été respecté car les parties avaient été convoquées et entendues à l’audience statuant sur la demande de rétractation. À tort. La Cour suprême relève que le juge du contrôle avait statué par ordonnance sur requête.

Solution. La Cour suprême, casse et annule l’arrêt d’appel, mais seulement sur le fait qu'en confirmant l’ordonnance de référé du 19 septembre 2017, il a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance du 20 juillet 2017.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’administration judiciaire de la preuve, Les incidents d’instance, L'exécution des mesures d'instruction  in Procédure civile, Lexbase (N° Lexbase : E68043UK).

Il est également intéressant de se référer à la note explicative attachée à l’arrêt.

 

newsid:475728

Procédure civile

[Brèves] Pouvoir du juge et modalités de la rétractation d’une décision prononçant la caducité

Réf. : Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-20.051, F-P+B+I (N° Lexbase : A584939I)

Lecture: 2 min

N5763BY4

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 17 Décembre 2020

► Dans le cas où la caducité d’une citation a été prononcée par un magistrat par erreur, il est accordé à ce dernier le pouvoir de rétracter sa décision, mais uniquement lorsque la décision a été prise à l’insu du demandeur ; si après avoir comparu, le demandeur s’abstient d’accomplir les actes de procédure dans les délais requis, le défendeur peut demander au juge de déclarer la citation caduque.

► Le jugement de caducité fondé sur l’article 469 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6581H7U), doit intervenir après un débat contradictoire, et ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation.

Faits et procédure. Dans cette affaire, un salarié a saisi le conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement et obtenir diverses indemnités. Le 14 avril 2017, un jugement déclarant la caducité de la citation sur le fondement de l’article 469 du Code de procédure civile et constatant l’extinction de l’instance et son dessaisissement a été rendu. Le demandeur a sollicité que la décision soit rapportée. Le 16 février 2018, la juridiction a rendu un second jugement, indiquant que la notification du jugement de caducité visait l’article 468 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6580H7T), rejetant le moyen d’irrecevabilité soulevé par la défenderesse, et qui renvoyait l’affaire à une audience de jugement ultérieure. La défenderesse a interjeté un appel-nullité à l’encontre du second jugement qui a été déclaré irrecevable.

La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Paris, 7 mai 2019, n° 18/04249 N° Lexbase : A5984ZAU) d’avoir violé l’article 469 du Code de procédure civile ayant déclaré irrecevable l’appel-nullité qu’elle a formé à l’encontre du jugement du conseil de prud’hommes.

En l’espèce, pour déclarer irrecevable l’appel en nullité, la cour d’appel a retenu que la juridiction de première instance pouvait rapporter sa première décision de caducité prise à la demande du défendeur, et que la voie de l’appel n’est ouverte qu’à l’égard de la décision par laquelle le juge refuse de rétracter sa première décision

Le raisonnement est censuré par la Haute juridiction, qui casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel, énonçant aux visas des articles 17 (N° Lexbase : L1137H4U), 407 (N° Lexbase : L6508H78) et 469 du Code de procédure civile, ensemble les principes régissant l’excès de pouvoir, qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a consacré l’excès de pouvoir commis par le conseil de prud’homme.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La caducité de la citationin Procédure civile, Lexbase (N° Lexbase : E1369EUA)

 

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Entreprises en difficulté

[Le point sur...] L’impact prépondérant du droit du travail en matière de procédures collectives : le social, axe stratégique majeur de retournement d’une entreprise

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N5724BYN

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par Aline Clédat, avocat counsel et Loïc Touranchet, avocat associé, cabinet Actance

Le 16 Décembre 2020

Alors que de nombreuses entreprises ont traversé difficilement l’année 2020 en ayant recours aux dispositifs d’aide de l’Etat (activité partielle, dispositif de report ou d’exonération de charges, prêt garanti par l’Etat…), la crise liée au covid-19 fait craindre une multiplication des procédures collectives en 2021.

Une entreprise est en état de cessation des paiements lorsqu’elle est dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. La déclaration de cessation des paiements (« DCP ») doit être déposée au Tribunal de commerce dans un délai maximum de 45 jours suivant la date de cessation des paiements.

Le jugement dit « d’ouverture » du Tribunal de commerce va entrainer le placement de l’entreprise en procédure de redressement judiciaire (RJ) ou de liquidation judiciaire (LJ).

A ce stade, seront désignés les organes de la procédure, et notamment l’administrateur judiciaire (dont le contour de la mission est fixé par le jugement d’ouverture) et le mandataire judiciaire (qui est le représentant des créanciers et également le liquidateur de l’entreprise dans le cadre d’une liquidation judiciaire).

A compter du jugement d’ouverture, s’ouvre une période d’observation (PO) d’une durée de 6 mois, pouvant être renouvelée dans la limite de 18 mois.

En lien avec la Direction de l’entreprise, l’administrateur judiciaire ou le mandataire liquidateur va rechercher les solutions permettant le maintien d’un maximum d’emplois tout en ayant pour objectif la poursuite de l’exploitation de l’entreprise (via un plan de redressement ou un plan de cession) et le désintéressement des créanciers.

1 - Quel est le rôle des représentants du personnel dans le cadre d’une procédure collective ?

a - Le rôle du CSE

Le comité social et économique (CSE) intervient d’abord en amont de la DCP : il doit être informé et consulté sur le projet de demande d’ouverture d’une procédure de RJ ou de LJ (C. trav., art. L. 2312-8 N° Lexbase : L8460LGG et L. 2312-53 N° Lexbase : L0960LTQ).

Il est également consulté durant la procédure collective, essentiellement sur le plan de cession ou le plan de redressement envisagé et les conséquences sociales pour les salariés de l’entreprise (C. trav., art. L. 2312-53 ; C. com., art. L. 631-19 N° Lexbase : L8856I3E et L. 642-5 N° Lexbase : L8236LQ4).

b - Les représentants du personnel spécifiques dans le cadre de la procédure collective

Les représentants du CSE à la procédure collective. Avant le dépôt de la DCP, les représentants du CSE doivent désigner leurs représentants dans le cadre de la procédure collective, qui seront auditionnés par le Tribunal de commerce lors des étapes majeures de la procédure (C. com., art. L. 621-1 N° Lexbase : L2762LBW et R. 621-2 N° Lexbase : L1783LWX).

En particulier, le Tribunal de commerce saisi de la DCP statue sur l’ouverture de la procédure (jugement d’ouverture) après avoir entendu en audience, notamment, les représentants du CSE.

Le représentant des salariés. Par ailleurs, dans les 10 jours du jugement d’ouverture, le CSE désigne également un représentant des salariés, chargé de participer aux relevés des créances salariales. En pratique, certains Tribunaux de commerce demandent que la désignation soit effectuée en amont de la DCP, quitte à réitérer la désignation post-ouverture (C. com., art. L. 621-4 et R. 621-4 N° Lexbase : L6102I3E).

2 - Quels sont les aménagements de procédure prévus en cas de PSE ?

La procédure collective s’accompagne le plus souvent d’une réduction des effectifs prévue dans le plan de redressement ou le plan de cession de l’entreprise.

Cette réduction d’effectifs est facilitée par une procédure accélérée et allégée de consultation du CSE en cas de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) au sein de l’entreprise en RJ ou en LJ (C. trav., art. L. 1233-58 N° Lexbase : L2833LT4) :

  • une réunion du CSE est juridiquement obligatoire alors que pour une entreprise in bonis, l’article L. 1233-30 du Code du travail  N° Lexbase : L8096LGX prévoit la tenue de deux réunions minimum, espacées d’au moins 15 jours ;
  • aucun délai de consultation impératif du CSE n’est prévu par le Code du travail, alors que pour une entreprise in bonis, le délai de consultation maximum est de 2, 3 ou 4 mois en fonction du nombre de licenciements envisagés ;
  • un délai réduit de validation ou d'homologation de la DIRECCTE de 8 jours en RJ et 4 jours en LJ, au lieu de 21 jours en cas de document unilatéral et de 15 jours en cas d’accord majoritaire dans une entreprise in bonis ;
  • en cas de refus de la DIRECCTE : la procédure de deuxième demande à la DIRECCTE est encadrée par des délais courts (consultation du CSE dans un délai de trois jours et instruction de la DIRECCTE dans un délai de trois jours) ;
  • l’obligation de revitalisation des bassins d’emploi n’est pas applicable dans les entreprises en RJ ou LJ (C. trav., art. L. 1233-84 N° Lexbase : L1283H9E).

Focus : en cas de liquidation judiciaire, la procédure est encadrée par des délais particulièrement courts (C. com., art. L. 641-4 N° Lexbase : L7328IZG ; C. trav., art. L. 3253-8 N° Lexbase : L7959LGU) :

  • 12 jours de procédure maximum de consultation du CSE à compter du jugement d’ouverture de la LJ ;
  • 4 jours de validation ou homologation par la DIRECCTE ;
  • délai maximal de 21 jours pour licencier à compter du jugement d’ouverture pour bénéficier de la prise en charge par l’AGS.

Il faut souligner que ces aménagements ne dispensent pas de respecter certaines règles de droit commun qui sont maintenues :

  • l’obligation de mettre en place un PSE par accord collectif et/ou par décision unilatérale soumis à la validation ou à l'homologation de la DIRECCTE ;
  • la possibilité pour le CSE de recourir à un expert sur les domaines économique et comptable ainsi que sur la santé, sécurité et conditions de travail (ce qui, en pratique, conduit à prévoir au moins deux réunions du CSE) ;
  • l’application des critères d’ordre de licenciement par catégories professionnelles ;
  • l’obligation de recherche de reclassement interne ;
  • l’application des règles de procédure liées au statut protecteur des salariés protégés ;
  • le versement des indemnités de rupture du contrat de travail (avec le bénéfice de la garantie de l’AGS - cf. point 4, ci-après).

 3 - Quelles sont les mesures sociales d’accompagnement prévues par le PSE ?

Quel que soit l’effectif de l’entreprise et du groupe, les salariés visés par les ruptures de contrat se verront proposer le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et non le congé de reclassement (qui est obligatoire dans les entreprises in bonis lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient compte plus de 1 000 salariés).

Concernant l’appréciation de la proportionnalité du PSE par rapport aux moyens de l’entreprise et du groupe, une autre spécificité est prévue par le Code du travail : le contrôle de la DIRECCTE pour homologuer ou valider le PSE ne porte que sur les moyens de l'entreprise (et non ceux du groupe) ; même si, pour établir le PSE, l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur selon les cas, doit rechercher les moyens du groupe auquel l'employeur appartient.

4 - Quelles sont les créances garanties par l’AGS ?

a - Le principe de la garantie de paiement des salaires par l’AGS

L'AGS (association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) est un fonds de solidarité interentreprises, alimenté par une cotisation patronale obligatoire payée par toutes les entreprises.

La mission principale de l'AGS consiste à soutenir financièrement les entreprises dans les procédures collectives en avançant les fonds nécessaires au paiement des créances salariales. L’AGS n'intervient qu'à titre subsidiaire, c'est-à-dire lorsque les créances des salariés ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles de l’entreprise.

Le mandataire établit les relevés de créances résultant des contrats de travail et les soumet au représentant des salariés. La prise en charge par l’AGS des salaires dus aux salariés avant l’ouverture de la procédure suppose donc qu’un représentant des salariés soit rapidement désigné.

Il est important de noter que les salariés bénéficient d’un privilège de paiement par rapport aux autres créanciers de la société, qui leur permet de se faire régler avant eux des sommes qui leur sont dues.

Focus : afin d’accélérer la prise en charge des créances salariales, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L7764LY9) reprend une mesure prévue par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 (art. 1er, I, 2° N° Lexbase : L5884LWT) : dès qu’ils sont établis par le mandataire judiciaire, les relevés de créances salariales sont transmis, sous sa seule signature, à l’AGS, l’avis du représentant des salariés et le visa du juge-commissaire devant être rendus ultérieurement. L’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance précise que, « lorsque l’exemplaire n’est pas conforme au relevé sur lequel est apposé le visa du juge-commissaire, le mandataire judiciaire transmet sans délai ce dernier » à l’AGS.

Ces dispositions s’appliquent jusqu’au 31 décembre 2021, y compris aux procédures en cours.


b - Quelles sont les sommes couvertes par l’AGS ?

L’article L. 3253-8 du Code du travail (N° Lexbase : L7959LGU) précise, sous certaines conditions notamment de délai, les créances garanties par l’AGS en cas de procédure collective en distinguant :

  1. les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire : la garantie concerne les sommes dues aux salariés en exécution du contrat de travail ou au titre de ruptures du contrat de travail, intervenues antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la procédure de RJ ou de LJ.

Il en est par exemple ainsi des indemnités de congés payés au titre des jours acquis antérieurement au jugement d’ouverture (Cass. soc., 21 novembre 1989, n° 88-11.556, publié N° Lexbase : A4777CIR).

Focus : les salaires dus aux salariés après le jugement d’ouverture (c’est-à-dire pendant la période d’observation) sont pris en charge par la société elle-même.
  1. les créances résultant de la rupture du contrat de travail notifiée après le jugement d’ouverture, qui est conditionnée au respect de certains délais en matière de rupture du contrat de travail.

Ne sont garanties par l’AGS que les créances résultant de la rupture du contrat de travail (date de notification du licenciement ou de la proposition du CSP) intervenant :

  • pendant la période d’observation ;
  • dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de redressement ou de cession ;
  • dans les 15 jours, ou 21 jours lorsqu’un PSE est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
  • pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les 15 jours, ou 21 jours lorsqu’un PSE est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.
  1. les mesures d’accompagnement résultant d’un PSE validé ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 avant ou après l’ouverture du RJ ou de la LJ ;
Focus : en application de l’article L. 3253-13 du Code du travail (N° Lexbase : L0710IXL), l’AGS ne couvre pas les sommes « qui concourent à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un licenciement pour motif économique, en application d'un accord d'entreprise ou d'établissement ou de groupe, d'un accord collectif validé ou d'une décision unilatérale de l'employeur homologuée conformément à l'article L. 1233-57-3, lorsque l'accord a été conclu et déposé ou la décision notifiée moins de dix-huit mois avant la date du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ou l'accord conclu ou la décision notifiée postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ».

iv. les sommes dues, lorsque le tribunal prononce la LJ, dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail :

  • au cours de la période d'observation ;
  • au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
  • au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L. 621-4 et L. 631-9 du Code de commerce ;
  • pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.

Ces sommes sont couvertes dans la limite de trois fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale (PMSS) pour un mois et demi de salaire dû, et de deux fois ce plafond pour un mois de salaire dû (C. trav., art. D. 3253-2).

Focus : la Chambre sociale de la Cour de cassation a récemment confirmé que les dispositions légales relatives à la garantie de l’AGS « excluent pour le salarié le droit d'agir directement » contre cette institution « et lui permettent seulement de demander que les créances litigieuses soient inscrites sur le relevé dressé par le mandataire judiciaire » afin d'entraîner l'obligation pour cette institution de verser, selon la procédure légale, les sommes litigieuses entre les mains de celui-ci (Cass. soc., 18 novembre 2020, n°19-15.795, F-P+B N° Lexbase : A500537I).


5 - Quel est le plafond de la garantie AGS ?

Le plafond maximum de la garantie est fixé à 6 fois le plafond mensuel retenu pour le paiement des cotisations d’assurance chômage, soit 82 272 euros en 2020 (C. trav., art. D. 3253-5 N° Lexbase : L4410IAL).

Ce plafond est réduit en fonction de la date de conclusion du contrat de travail dont résulte la créance :

  • 5 fois lorsque le contrat a été conclu moins de deux ans et plus de 6 mois avant la date du jugement d’ouverture de la procédure collective ;
  • 4 fois lorsque le contrat a été conclu moins de 6 mois avant cette date.

Il faut tenir compte du fait que ce plafond règlementaire s’apprécie toutes créances confondues (notamment, sans que cette liste ne soit exhaustive : les créances antérieures au jugement d’ouverture, l’indemnité de licenciement, le solde de tout compte et notamment l’indemnité compensatrice de préavis).

Soulignons également que les charges sociales et le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu s’imputent sur ce plafond. Sur ce point, l’article L. 3253-8 du Code du travail mentionne expressément, in fine, que la garantie des sommes et créances mentionnées au 1°, au 2° et au 5° inclut « les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du Code général des impôts ».

6 - Quelles sont les issues possibles d’une procédure de redressement judiciaire ?

L’objectif du redressement judiciaire est de faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre le redressement de l'activité économique puis sa relance, seuls gages de sa pérennité et du maintien à terme de l'emploi, ainsi que l’apurement progressif du passif.

Le redressement judiciaire peut avoir trois issues :

  • L’arrêté d’un plan de redressement qui comporte nécessairement trois volets : (i) un volet économique, (ii) un volet financier et (iii) un volet social, ce dernier exposant les perspectives d’emploi et les conditions sociales envisagées pour la poursuite de l’activité. Ce plan doit, par ailleurs, pour pouvoir être adopté par le Tribunal, permettre de décrire l’avenir de l’entreprise soumise à la procédure.

A défaut de plan de redressement et en cas d’offre(s) de reprise présentée(s) par des tiers :

  • L’arrêté d’un plan de cession au profit du repreneur le mieux disant choisi par le Tribunal dans le cadre d’offres de reprise en plan de cession. Dans cette hypothèse, les repreneurs potentiels sont libres de choisir les actifs ainsi que le nombre de postes repris. Le Tribunal retiendra l’offre qui permettra dans les meilleures conditions d’assurer le plus durablement l’emploi attaché à l’ensemble cédé, le paiement des créanciers et qui présentera les meilleures garanties d’exécution.

A défaut de plan de redressement ou d’offre(s) de reprise en plan de cession :

  • Le Tribunal pourra convertir la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire en vue d’une cession isolée des actifs de la société.

7 - Quels sont les effets d’un plan de cession de l’entreprise ?

Le redressement ou la liquidation peut passer par la cession d’une branche d’activité de l’entreprise. Cette cession doit être autorisée par le Tribunal de commerce qui en définit le périmètre sur la base du rapport présenté par les organes de la procédure.

La cession de l'entreprise prononcée par le Tribunal de commerce dans le cadre d’une procédure de RJ ou de LJ entraîne de plein droit l’application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail dans le cadre de la cession (Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-42.231 N° Lexbase : A6351AGC).

Pour rappel, l’article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) dispose que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

La pratique montre que cette cession d’activité est facilitée par rapport au droit commun dans la mesure où le Tribunal de commerce considère que la cession d’une branche d’activité emporte application de l’article L. 1224-1 du Code du travail qui prévoit le transfert automatique des salariés sans qu’il soit procédé au contrôle contraignant de l’existence d’une entité économique autonome dont l’identité est maintenue.

Sur le plan individuel, les contrats de travail des salariés repris seront ainsi transférés à l’identique au repreneur (avec leur ancienneté et leur rémunération). Pour autant, le nouvel employeur n'est pas tenu aux obligations qui incombaient au précédent employeur (C. trav., art. L. 1224-2 N° Lexbase : L0842H93).

Par exception, les salariés dont le licenciement est autorisé par le plan de cession ne sont pas transférés. Il s’agit d’une dérogation à l’application de l’article L. 1224-1. La proportion de salariés repris ou non repris dépend de chaque dossier (étant rappelé que les critères retenus par le Tribunal de commerce pour ordonner un plan de cession sont les suivants : maintien de l’emploi, maintien de l’activité, désintéressement des créanciers).

La détermination des salariés repris ou non repris se fait par application des critères d’ordre des licenciements au sein d’un même bassin d’emploi ou, en cas d’accord collectif, au niveau d’un champ géographique qui peut être plus restreint (par exemple : magasin par magasin).

Le candidat à la reprise ne peut pas choisir nommément les salariés repris : il doit préciser dans son offre le nombre de postes repris par catégories professionnelles. Les salariés repris ou non repris sont déterminés par application des critères d’ordre de licenciement au sein des dites catégories professionnelle (au niveau du périmètre géographique d’application des critères d’ordre, par exemple par bassin d’emploi).

***

Le droit du travail constitue ainsi une composante essentielle dans la gestion d’une entreprise en situation de redressement ou de liquidation judiciaire : l’enjeu du maintien de l’emploi constitue l’un des points centraux pris en compte par les organes de la procédure et les juridictions pour apprécier la validité des projets d’entreprise.

Le périmètre et les modalités des suppressions d’emplois et du transfert d’activité doivent faire l’objet d’une grande vigilance lors de la mise en œuvre d’une procédure collective.

Dans ce cadre, la question des catégories professionnelles et des critères d’ordre de licenciement (définition des critères et périmètre géographique d’application), qui conduisent à déterminer les salariés repris ou non repris, sont des enjeux majeurs.

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Procédures fiscales

[Jurisprudence] Une étape de plus dans la conciliation entre la notion d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF et la garantie contre les changements de doctrine de l’article L. 80 A du LPF

Réf. : CE Assemblée, 28 octobre 2020, n° 428048, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A49183Z8)

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N5744BYE

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par Julien Defline, Docteur en Droit, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Aix-Marseille Université, Centre d’Études Fiscales et Financières (EA 891)

Le 17 Décembre 2020


L’antinomie existant entre la notion d’abus de droit et la garantie contre les changements de doctrine entre au cœur des débats jurisprudentiels récents. Depuis la fin de l’année 1959, l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L6958LLB) protège les contribuables contre les changements d’interprétation d’un texte fiscal. Il ne peut, dès lors, être « procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration ». Tout contribuable peut donc opposer, à l’administration et au juge, la doctrine administrative sur laquelle il s’est fondé à l’époque du fait générateur de l’imposition afin de se protéger. Toutefois, la conciliation de cette disposition emblématique du droit fiscal avec l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale pose un certain nombre de difficultés, notamment son articulation avec la notion d’abus de droit consacrée à l’article L. 64 du LPF, réformé en 2008. C’est ce dont il est question dans la décision ici commentée, rendue par l’Assemblée du contentieux du Conseil le 28 octobre 2020, dorénavant appelée décision « Charbit ».


Les conclusions relatives à cet arrêt sont également disponibles dans la revue de cette semaine : M.G. Merloz, La garantie contre les changements de doctrine ne s’applique pas en cas de montage artificiel – Conclusions du Rapporteur public, Lexbase Fiscal, décembre 2020, n° 848 (N° Lexbase : N5729BYT)

 

M. Charbit a acquis, le 17 mars 2010, 50 000 actions de la SA Balmain, lui permettant ainsi de détenir 1,053 % du capital. À peine plus de deux mois après, le 25 mai 2010, il cède 4 000 de ces actions à une société civile immobilière (la SCI Steniso), détenue par une société, elle-même détenue par un proche collaborateur de M. Charbit, ayant financé l’opération sur ses fonds propres, mais par le biais d’un crédit-vendeur. Par cette opération, le pourcentage de détention de M. Charbit dans la SA Balmain a été ramené à 0,97 %, passant donc sous le seuil de 1 %. Le lendemain, soit le 26 mai, M. Charbit a cédé la totalité des parts qu’il détenait dans une SAS (la SAS Marie-Clémence) à la SA Balmain pour un montant de 5 millions d’euros. Il était le dirigeant et seul associé de cette société cédée, et décidait alors de partir à la retraite. Cette cession lui a permis de réaliser une plus-value de presque 5 millions d’euros, qui a été exonérée de l’impôt sur le revenu en application d’un dispositif de faveur prévu aux articles 150-0 D bis (N° Lexbase : L0119IWC) et 150-0 D ter (N° Lexbase : L9350LHR) du Code général des impôts (CGI). Toutefois, si cet abattement de 100 % en cas de cession des titres ou des droits à une entreprise était subordonné à une condition relative à la détention de parts dans la société que ne remplissait pas le contribuable, il entendait tout de même bénéficier de cette disposition en application d’une instruction administrative du 22 janvier 2007 [1], qui admettait l’application de cet abattement si le cédant personne physique détenait seul, directement ou indirectement, au maximum 1 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société cessionnaire, à la date de la cession des titres et durant les 36 mois suivant cette dernière. Le requérant se voyait alors protégé en application de l’article L. 80 A du LPF, article protégeant les contribuables par l’opposabilité de la doctrine administrative.

À la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration a refusé l’application de cette exonération de la plus-value réalisée en mai 2010, au motif que les opérations lui ont semblé constitutives d’un abus de droit sur le fondement de l’article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L9266LNI). En effet, à la suite de la plus-value exonérée, la SCI susmentionnée a acquis 49 300 actions de la SA Balmain à un tiers pour 739 000 euros le 8 juillet 2010, grâce à un prêt consenti par M. Charbit lui-même. Le 5 juin 2013, soit 3 ans et 10 jours après la cession initiale des titres de la SAS Marie-Clémence à la SA Balmain, M. Charbit et son épouse ont acquis pour trois euros la totalité des parts de la SCI, soit 10 jours seulement après le délai de 36 mois prévu la doctrine de 2007 susmentionnée. M. Charbit en a été nommé gérant. L’administration a alors relevé que l’ensemble des opérations n’avaient en fait que pour but d’interposer artificiellement la SCI dans le montage, afin que le contribuable contrôlé ait moins de 1 % du capital de la société cessionnaire à la date de la cession et pendant trois ans, à l’unique fin de bénéficier de l’abattement prévu aux articles 150-0 D bis et 150-0 D ter du CGI, conformément à l’interprétation de l’instruction de 2007.

L’administration, écartant les opérations comme ne lui étant pas opposables, a en conséquence rectifié les époux Charbit, les assujettissant alors à une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2010, assortie des intérêts de retard et d’une pénalité de 80 % pour abus de droit conformément aux dispositions du b) de l’article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB).

À la suite d’une réclamation préalable infructueuse pour les requérants, M. Charbit a demandé au tribunal administratif de Paris la réduction de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu ainsi que des intérêts de retard et de la pénalité correspondants, au moyen de l’opposabilité de la doctrine administrative de l’article L. 80 A du LPF. Par un jugement en date du 4 janvier 2017 [2], la juridiction de premier degré a rejeté sa demande au motif que le montage, cherchant une application littérale de la doctrine, était constitutif d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 du LPF. Le requérant a fait appel de ce jugement, mais la cour administrative d’appel de Paris l’a confirmé le 20 décembre 2018 [3]. Dès lors, M. Charbit s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d’État.

Il appartenait alors à la plus haute juridiction de l’ordre administratif de trancher, pour reprendre les termes du rapporteur public dans cette affaire, Mme Marie-Gabrielle Merloz, la question suivante : l’administration peut-elle reprocher à un contribuable d’avoir commis un abus de droit, alors qu’il s’est conformé aux termes mêmes d’une instruction ou d’une circulaire par laquelle elle a fait connaître une interprétation favorable de la loi fiscale ?

À cette question, le juge répond par la positive, car les opérations caractérisaient un montage artificiel. Le Conseil d’État a confirmé la solution des juges d’appel, mais non son fondement et ses motivations. En effet, si dans un premier temps le juge rejette l’invocabilité de l’article L. 64 du LPF pour consacrer un « abus de doctrine » (1.) pourtant retenue en première instance et en appel, il mobilise dans un second temps l’article L. 64 du LPF pour faire obstacle à la garantie de l’article L. 80 A du LPF en cas de montage artificiel (2.), et ainsi rejeter les prétentions du requérant.

1. La non-invocabilité de l’article L. 64 du LPF pour consacrer un « abus de doctrine »

Alors que l’instruction administrative est ici la « clé d’entrée » dans le dispositif de faveur, car c’est sur son seul fondement que le contribuable a pu bénéficier de l’abattement (A.), les juges du Conseil d’État ont rejeté l’opposabilité de cette doctrine, mais également la consécration d’un « abus de doctrine » au sens de l’article L. 64 du LPF. Ils ont alors refusé de fonder le rehaussement sur une interprétation extensive de la rédaction, issue de 2008, de l’article L. 64 du LPF, interprétation pourtant admise en première instance et en appel, qui l’aurait conduit à insérer la doctrine administrative dans le terme « décisions » figurant dans cet article consacrant l’abus de droit (B.).

A. La doctrine, « clé d’entrée » dans le dispositif de faveur

Dans cette affaire, l’administration dénonce un abus trouvant sa source dans une interprétation qu’elle a faite de la loi et non dans la loi elle-même. M. Charbit a, rappelons-le, bénéficié du régime de faveur grâce à la doctrine et non grâce aux dispositions du CGI. De fait, une condition relative à la détention de parts dans la société cessionnaire des articles 150-0 D bis et 150-0 D ter du CGI pour bénéficier de l’abattement pour durée de détention n’était pas remplie par le requérant. Ce sont bien les dispositions de l’instruction administrative du 22 janvier 2007 – qui admettaient, par tempérament, qu’était tolérée une détention de maximum 1 % du capital de la société cessionnaire – qui lui ont permis d’entrer dans le dispositif de faveur. Le contribuable n’a jamais entendu se placer dans le champ de la loi fiscale, mais bien dans celui de la doctrine, dont il a fait une application littérale.

Or le Conseil d’État, dans la décision commentée, rappelle dans un premier temps que les dispositions de l’article L. 80 A du LPF « instituent un mécanisme de garantie au profit du redevable qui, s’il l’invoque, est fondé à se prévaloir, à condition d’en respecter les termes, de l’interprétation de la loi formellement admise par l’administration, même lorsque cette interprétation ajoute à la loi ou la contredit ». En droit fiscal, une application littérale d’une doctrine administrative en vigueur au jour du fait générateur de l’imposition, interprétant une disposition législative, et régulièrement publiée, empêche en principe tout rehaussement de la part de l’administration. La doctrine administrative est alors opposable à son auteur préservant ainsi le principe de sécurité juridique. Il s’agit là du mécanisme de garantie prévu à l’article L. 80 A du LPF, sur lequel repose la défense de M. Charbit, permettant donc au contribuable de se protéger en opposant à l’administration sa propre doctrine. Ce raisonnement se maintient même si cette dernière contredit ou ajoute à la loi, ce qui est le cas en l’espèce. Si le Conseil d’État avait jugé, dans son avis « Monzani » [4], qu’il ne découlait pas des dispositions de l’article L. 80 A du LPF que l’administration fiscale ait un quelconque pouvoir réglementaire ou lui permettant de déroger à la loi, ni même qu’une instruction fiscale était une règle de droit [5], aucun fait d’espèce ne pose de problème en ce sens. L’instruction du 22 janvier 2007 ne pose aucune nouvelle règle. Elle a pour unique objet de prévoir un tempérament aux dispositions législatives, et à une condition en particulier.

Partant, le contribuable qui se serait fondé sur cette doctrine se trouve protégé et garanti de ne pouvoir voir sa situation fiscale rehaussée même si, sur le fondement unique de la loi, un tel redressement était justifié. M. Charbit se pensait alors protégé, mais il n’en fut rien. L’administration, suivie par les juges de première instance et d’appel ont bien refusé l’opposabilité de l’instruction, mais le contenu de la doctrine n’est en aucun cas remis en cause dans cette affaire. Même si la loi ne prévoit pas cette participation, l’administration ne reproche pas à M. Charbit une application erronée des dispositions, et donc la conservation de moins de 1 % du capital. L’interprétation sur laquelle s’est fondé le contribuable est bien formellement admise par l’administration.

Toutefois, malgré l’admission du contenu de la doctrine et son application littérale en l’espèce, l’administration fiscale a écarté les opérations de M. Charbit comme ne lui étant pas opposables. Le reproche de l’administration dans cette affaire tient uniquement au fait d’avoir artificiellement interposé la SCI Stenisio dans l’unique but de bénéficier du régime. L’administration a alors relevé que l’ensemble des opérations n’avait en fait que pour but d’interposer artificiellement la SCI dans le montage, afin que le contribuable contrôlé ait moins de 1 % du capital de la société cessionnaire à la date de la cession et pendant trois ans, ceci à l’unique fin de bénéficier de l’abattement prévu aux articles 150-0 D bis et 150-0 D ter du CGI, tels qu’interprétés par l’instruction de 2007. L’administration lui a alors refusé le bénéfice de ce régime de faveur bien qu’il remplissait pourtant l’ensemble des conditions fixées par l’instruction. L’administration, suivie des juges de première instance et d’appel, a qualifié l’opération comme constitutive d’un procédé abusif ayant permis l’entrée dans le dispositif grâce à un montage artificiel, invoquant alors un « abus de doctrine » prétendument prévu à l’article L. 64 du LPF.

Se posait alors la question de savoir si un tel raisonnement ne portait pas atteinte à la jurisprudence constante selon laquelle la doctrine administrative n’a pas d’esprit [6]. Pour rappel, les juges ont, à de nombreuses occasions, admis qu’il n’était pas demandé aux contribuables, faisant application d’une doctrine administrative, de rechercher l’intention des auteurs, mais uniquement de se conformer à la lettre du texte [7]. Si une application littérale d’une doctrine peut être remise en cause dans cette affaire, ne serait-ce pas parce que l’application qui en est faite allait à l’encontre de l’intention de ses auteurs ?

Or le Conseil d’État n’entend pas, dans cette décision, revenir sur la jurisprudence antérieure en la matière. Il rappelle alors que les dispositions de l’article L. 80 A du LPF « font obstacle à ce que l’administration rehausse l’imposition du contribuable en soutenant que ce dernier, tout en se conformant aux termes mêmes de cette instruction ou circulaire, aurait outrepassé la portée que l’administration entendait en réalité conférer à la dérogation aux dispositions de la loi fiscale que l’instruction ou la circulaire autorisait ». Ce n’est donc pas sur ce fondement que les juges ont motivé leur décision. Ainsi, ni le contenu de la doctrine, ni son application littérale, ni l’atteinte à l’intention de ses auteurs ne sont contestés en l’espèce par le Conseil d’État.

Dans l’affaire « Charbit », c’est donc bien de la doctrine dont a abusé le contribuable pour entrer dans le dispositif de faveur, et non de la loi. Ainsi, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont jugé que les opérations litigieuses constituaient un « abus de doctrine » pour rehausser la situation fiscale du contribuable. Si le Conseil d’État confirme l’existence d’un abus, par la réalisation d’un montage artificiel, et donc le rehaussement de M. Charbit, il ne reprend pas à son compte le fondement choisi par les juges de première instance et d’appel, refusant ainsi une interprétation extensive de la rédaction de l’article L. 64 du LPF issue de la réforme de 2008.

B. Le refus d’une interprétation extensive de l’article L. 64 du LPF

Le tribunal administratif de Paris et la cour administrative de Paris ont rejeté la demande de M. Charbit tendant à obtenir la réduction de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle son foyer fiscal a été assujetti au titre de l’année 2010, ainsi que des intérêts de retard et de la pénalité correspondants, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF. Les juges ont ainsi appliqué la notion d’abus de droit à un contribuable recherchant le bénéfice d’une application littérale de la doctrine grâce à un montage juridique artificiel. Ils ont alors admis une interprétation extensive de la rédaction de l’article L. 64 du LPF issue de la loi de finances rectificative pour 2008 [8].

Cette solution des juges de première instance et d’appel a soulevé une vague de critiques, car elle porterait atteinte tant à la sacro-sainte jurisprudence « Société de distribution de chaleur de Meudon et Orléans (SDMO) » [9] de 1998, qu’aux différents avis du Comité de l’abus de droit fiscal du 6 novembre 2015 [10].

Dans la célèbre jurisprudence « SDMO » de 1998, dite des « fonds turbo », le Conseil d’État applique pour la première fois la procédure de répression des abus de droit à un contribuable ayant appliqué littéralement une interprétation formelle de l’administration. Cette procédure n’avait jusque-là connu qu’une application aux contribuables s’étant prévalus d’une loi fiscale et non d’une doctrine. Avaient alors été jugées comme antinomiques les notions d’abus de droit et la garantie contre les changements de doctrine de l’article L. 80 A du LPF. Estimant alors que l’administration ne pouvait reprocher à un contribuable, ayant appliqué littéralement une doctrine administrative interprétant favorablement une loi fiscale, d’avoir commis un abus de droit, les juges ont privilégié l’opposabilité de la doctrine administrative. Dès lors, ne pouvait être reproché à un contribuable, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, qu’une fraude à la loi et non une fraude à la doctrine.

Pour s’éloigner de l’avis « SDMO », l’administration fiscale, mais également les juges de première instance et les juges d’appel arguaient que le contexte juridique de l’affaire Charbit était différent de celui de l’affaire des « fonds turbo ». En effet, dans l’intervalle, le contenu de l’article L. 64 du LPF a été réécrit par la loi de finances rectificative pour 2008. Le législateur a dû harmoniser la définition légale d’abus de droit avec la définition jurisprudentielle issue de la décision « Société Janfin » de 2006 [11], appliquée pour la première fois concernant l’application de l’article L. 64 du LPF lors de la décision « Persicot » de 2007 [12]. Dans ce cadre, outre la codification de cette nouvelle définition, le législateur a également ajouté une notion : celle de « décisions », fruit de tous les malentendus. Dès lors, le premier alinéa de l’article L. 64 du LPF issu de l’article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008 dispose : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». Peut ainsi être constitutif d’un abus de droit, le cas dans lequel un contribuable qui recherchait le bénéfice d’une application littérale des « textes », mais également des « décisions ». L’adjonction du terme « décisions » se retrouve au cœur de la solution des juges du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel. Ces derniers, l’ayant interprété comme faisant notamment référence à la doctrine administrative, ont qualifié le montage du requérant, cherchant une application littérale de la doctrine, comme constitutif d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 du LPF, et plus précisément d’un « abus de doctrine ». Ainsi, afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration serait alors en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit si, recherchant le bénéfice d’une application littérale d’une doctrine administrative, l’auteur n’a été inspiré par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer sa charge fiscale. Les juges d’appel autorisaient donc l’administration fiscale à rehausser la situation fiscale d’un contribuable ayant abusé d’un « texte », mais également d’une « décision », ce dernier terme pouvant renvoyer à une instruction administrative. Cette interprétation du terme « décisions » n’est pas isolée, elle a notamment été reprise par une partie de la doctrine pour qui ce terme ne pouvait être lu que comme renvoyant à un élément de doctrine administrative [13]. Cette lecture extensive de l’article L. 64 du LPF, prononcée par le tribunal administratif de Paris et la cour administrative de Paris dans l’affaire « Charbit », infirmait alors la solution consacrée dans l’avis « SDMO » du Conseil d’État, et fit l’objet de vives critiques.

Cependant, comme le rappelle le rapporteur public dans l’affaire « Charbit », l’ajout du terme « décisions » a une origine accidentelle, et ne tient qu’au souhait de maintenir une définition identique de l’abus de droit en matière fiscale et en matière sociale. C’est bien l’évolution du texte en matière sociale qui a conduit le législateur sur cette pente glissante, sans que son sens et son utilité soient précisés. De plus, même au sein du Code de la sécurité sociale, le terme « décisions » a été abandonné en 2009 [14], argument de plus démontrant son inutilité. Enfin, aucun des travaux préparatoires sur la révision de 2008 ne laisse percevoir un souhait du législateur d’élargir le champ d’application de la procédure de répression des abus de droit pour y faire entrer la doctrine administrative à travers le terme « décisions ». Le Rapporteur public préconisait alors aux juges de cassation de qualifier le moyen soulevé d’erreur de droit et de ne pas reprendre à son compte le fondement du rejet de la demande du requérant issu de l’arrêt d’appel.

Sans détour, le Conseil d’État a suivi les recommandations du Rapporteur public et a refusé cette interprétation extensive : « le terme “décisions” figurant à l’article L. 64 du LPF ne peut être interprété comme faisant référence aux instructions ou circulaires émanant de l’administration fiscale ». Les juges refusent alors expressément qu’une doctrine administrative soit une « décision » au sens de l’article L. 64 du LPF. Partant, abuser de la doctrine administrative par fraude à la loi apparaît impossible. Dès lors, en opposition à la solution d’appel, les juges confirment la jurisprudence « SDMO », qui peut alors se maintenir. L’« abus de doctrine » n’est pas couvert par l’article L. 64 du LPF, et le juge vient mettre fin en partie aux interrogations sur le sens du terme « décisions ».

Le Conseil d’État vient donc confirmer la jurisprudence « SDMO », refusant l’invocabilité d’un « abus de doctrine » au sens de l’article L. 64 du LPF, mais en l’amendant toutefois. Les juges imposent, dans la décision Charbit, une limite aux effets de la garantie contre les changements de doctrine de l’article L. 80 A du LPF : la possible mobilisation de l’article L. 64 du LPF en cas de montage artificiel pour faire obstacle à cette garantie.

2. La mobilisation de l’article L. 64 du LPF pour faire obstacle à la garantie de l’article L. 80 A du LPF

Si le Conseil d’État valide la solution d’appel et rejette la demande du requérant, sans reprendre le fondement de première instance et d’appel, comme nous venons de l’exposer, il ne suit pas pour autant totalement l’avis du rapporteur public dans cette affaire. En effet, les juges du Palais-Royal ont permis la mobilisation de l’article L. 64 du LPF pour faire obstacle à la garantie de l’article L. 80 A du LPF en cas de montage artificiel (A.). Ils démontrent alors en quoi ce montage peut objectivement être qualifié ainsi en l’espèce (B.).

A. L’inopposabilité de la doctrine administrative en cas de montage artificiel

Dans l’affaire « Charbit », le rapporteur public préconisait aux juges de sanctionner le contribuable sur un fondement alternatif à l’article L. 64 du LPF, à savoir sur celui du principe général du droit de répression de la fraude à la loi fiscale. Ainsi, il n’était pas nécessaire de qualifier le montage mis en place par le contribuable, ayant interposé la SCI dans la cession, d’un abus de droit, mais plus simplement de juger que les opérations portaient atteinte au principe général du droit à la répression des abus de droit. Ce principe, consacré en 2006 par la décision « Société Janfin » précitée, avait étendu le champ des possibles de l’administration. Le Conseil d’État avait jugé que certains actes, pourtant non passibles de sanctions au titre de l’abus de droit, pouvaient néanmoins être qualifiés de fraude à la loi dès lors que le contribuable recherchait le bénéfice d’une application littérale des textes contraire aux objectifs de ses auteurs, et si ces actes n’étaient inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées s’il n’avait pas passé ces actes eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Ainsi, les juges avaient étendu la notion initiale de l’article L. 64 du LPF au-delà de l’abus de droit, à la répression de la fraude à la loi. Ces critères de la fraude à la loi dégagés par cette jurisprudence ont même été étendus par la suite à la notion d’abus de droit, ce qui a obligé le législateur à intervenir pour mettre l’article L. 64 du LPF en conformité avec les nouvelles définitions jurisprudentielles. Cette transposition a été consacrée, comme il a précédemment été mentionné, par l’article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008.

Dès lors, cette proposition du rapporteur public semblait contestable. D’une part, cela reviendrait à invoquer de nouveau ce principe général du droit alors qu’il a fait l’objet d’une codification à l’article L. 64 du LPF, sans vouloir passer par la nouvelle rédaction de cet article. Nous savons pourtant que les principes généraux du droit ont une valeur infralégislative. D’autre part, outre cette première critique, une seconde apparaît quant aux droits du contribuable : utiliser le principe général du droit à la répression de l’abus de droit au lieu de l’article L. 64 du LPF pénaliserait le contribuable en l’empêchant de saisir le Comité de l’abus de droit fiscal.

Le Rapporteur public connaissait ces risques de critique, mais espérait qu’elles seraient levées, car l’interprétation proposée reflétait en réalité l’intention du législateur. Ce détour aurait trouvé comme explication que cela ne ferait qu’aller dans le sens de l’intention du législateur ayant introduit l’ambiguïté existante.

Le Conseil d’État n’a, et c’était souhaitable, pas repris ce raisonnement incongru. Les juges ont préféré un fondement différent à savoir admettre l’existence d’un abus de droit sur le fondement du montage artificiel. Ils concluent que « l’administration peut mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales et faire échec à ce mécanisme de garantie si elle démontre, par des éléments objectifs, que la situation à raison de laquelle le contribuable entre dans les prévisions de la loi, dans l’interprétation qu’en donne le ministre par voie d’instruction ou de circulaire, procède d’un montage artificiel, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que d’éluder ou d’atténuer l’impôt ». Ce seul fondement n’avait pas été invoqué par l’administration et par les juges de première instance et d’appel. Le Conseil d’État a alors choisi une nouvelle voie dans la conciliation entre les dispositions des articles L. 64 et L. 80 A du LPF, même s’il est à parier qu’une telle application se fera rare en pratique. Désormais, les juges autorisent l’administration fiscale à sanctionner les montages artificiels sans que la garantie contre les changements de doctrine ne puisse lui être opposée. L’administration peut alors reprocher à un contribuable d’avoir commis un abus sur le fondement de l’article L. 64 du LPF en cas de montage artificiel, l’empêchant ainsi de bénéficier de la garantie contre les changements de doctrine prévue à l’article L. 80 A du LPF. Il s’agit là du meilleur équilibre qui pouvait être trouvé dans la conciliation entre la notion d’abus de droit et l’opposabilité de la doctrine administrative, et il faut s’en féliciter.

Dans sa solution, le Conseil d’État a pris en compte les différences qui existaient entre la jurisprudence « SDMO » et l’affaire « Charbit » devant lui. Dans les faits de l’avis « SDMO », le contribuable souhaitait tirer profit d’une interprétation maladroite figurant dans une instruction, alors qu’en l’espèce, l’administration n’entend pas revenir sur le contenu de son instruction. Elle reprochait seulement au contribuable d’avoir usé d’un montage artificiel pour bénéficier du tempérament de l’instruction de 2007. Les juges de cassation maintiennent alors leur célèbre jurisprudence « SDMO », à la différence des premiers juges : ils confirment qu’une application littérale d’une doctrine administrative ne peut être constitutive d’un abus de droit de la part du contribuable. Néanmoins, les juges ne pouvaient s’en tenir à cette solution, pour régler le cas Charbit, tant les faits étaient différents. Il fut nécessaire d’aller au-delà et d’amender leur jurisprudence emblématique, afin de préciser que si la doctrine administrative n’est qu’un élément d’un montage artificiel conçu par le contribuable pour éluder l’impôt, l’application littérale de la doctrine ne fait alors plus obstacle à ce que l’administration démontre l’existence d’un abus de droit.

Le Conseil d’État dégage ici une nouvelle arme antifraude venant s’inscrire dans un mouvement grandissant de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, et plus largement dans un contexte européen et même international de répression des abus de droit, développé massivement à partir de 2006 avec l’arrêt « Halifax » de la CJCE [15]. Dès lors, les juges ne sauraient laisser impunément le contribuable profiter des fruits de sa fraude grâce à un montage de toute évidence artificiel dont le seul intérêt était d’éluder l’impôt.

Cette solution, logique et attendue au regard des faits d’espèce et du contexte juridique et politique, s’explique notamment par le fait que le caractère artificiel du montage ne diffère pas selon que le contribuable cherche à se protéger derrière la lettre d’une loi ou derrière l’opposabilité d’une doctrine administrative. Les juges nous livrent alors une démonstration de preuve objective d’un montage artificiel qui pourra continuer d’inspirer l’administration.

B. La démonstration d’une preuve objective d’un montage artificiel

Dans cette décision, le Conseil d’État précise que, pour mobiliser l’article L. 64 du LPF afin de faire obstacle à la garantie de l’article L. 80 A du LPF, il revient à l’administration de démontrer l’existence d’un montage artificiel sur la base d’éléments objectifs. La charge de la preuve incombe donc classiquement à celui qui conteste la réalité de la situation fiscale du contribuable. Le juge, dans un effort pédagogique, vient préciser la nature de ces éléments ou du moins les critères qu’ils sont amenés à remplir. Deux critères cumulatifs permettent de caractériser un montage artificiel : il faut d’abord que les opérations soient dénuées de toute substance et il faut ensuite qu’elles n’aient pour seule finalité que d’éluder ou d’atténuer l’impôt.

Une fois cette précision dégagée, le juge nous livre une vraie démonstration, pour conclure, en l’espèce, à l’existence d’un montage artificiel. Le caractère artificiel résulte ainsi de la dissimulation par le contribuable de sa participation supérieur à 1 % du capital de la société cessionnaire Balmain lors de la cession et au cours des trois années suivantes, peu importe si le tempérament provient de la loi ou de la doctrine.

Le raisonnement des juges pour déceler l’artificialité se déroule en deux temps, chaque temps permettant la satisfaction d’un critère.

Dans un premier temps, le Conseil d’État met en avant différents éléments objectifs démontrant que les opérations étaient dépourvues de toute substance. L’interposition de la SCI a été qualifiée par les juges comme « dépourvue de substance économique », car celle-ci n’avait aucune activité mise à part la détention temporaire des titres. La SCI n’avait alors que pour seule « substance » d’être un intermédiaire. De plus, elle n’a pu acheter les titres que grâce à des prêts consentis par M. Charbit qui n’ont jamais été remboursés. La preuve d’opérations dénuées de toute substance est alors fondée sur ces éléments objectifs, remplissant ainsi le premier critère.

Dans un second temps, les juges complètent ces premiers éléments par le fait que l’interposition de la SCI dans le montage n’a pour seule et unique finalité que de réduire le montant de la participation de M. Charbit, afin d’entrer dans les conditions de la tolérance offerte par l’instruction administrative du 22 janvier 2007. Cette baisse temporaire de participation n’avait pour seul objectif que de bénéficier d’un abattement, abattement lui permettant d’éluder l’impôt. En effet, le contribuable a retrouvé la disposition de ces titres juste après l’expiration du délai de trois ans prévu par les textes, en rachetant avec son épouse les parts de la SCI. Ces éléments objectifs permettent ici aux juges de démontrer que les opérations litigieuses n’ont eu pour seule finalité que d’éluder l’impôt. Le second critère se voyait par conséquent également rempli.

Les opérations ont pu être qualifiées objectivement de montage artificiel, permettant ainsi aux juges d’écarter la défense du contribuable et de refuser l’opposabilité de la doctrine administrative. Par cette démonstration, les juges offrent à l’administration un modus operandi permettant de qualifier des opérations de montage artificiel. Dès lors, la qualification de montage artificiel, dont il est fait état en l’espèce, emporte tout obstacle au rehaussement du contribuable et devient à son tour un obstacle à l’opposabilité de la doctrine administrative.

Ainsi, se pose in fine la question de savoir si cette illustration d’un montage artificiel va permettre l’éclosion d’une définition claire et tant attendue de cette notion. Une première objection tient toutefois à cette nécessité de clarté justement, en ce que nous pouvons regretter que les juges ne qualifient pas précisément ce qu’est une opération dénuée de toute substance en dehors des faits d’espèce. Cependant, sans revenir sur les différentes jurisprudences antérieures, il convient de rappeler que les juges ont, par le passé, déjà qualifié des montages d’« artificiels » sans démontrer l’absence de toute substance de la société. Il peut ici être fait référence aux récentes décisions « Wendel » du 12 février 2020 [16], où dans une affaire de gain réalisé par un dirigeant à l’occasion de la vente d’actions qu’il avait acquises dans le cadre d’un management package, les juges ont qualifié un circuit juridique d’« artificiel » alors que tous les maillons de la chaîne avaient de la substance. Les juges n’ont donc pas démontré l’absence de substance des sociétés pour conclure à l’artificialité en début d’année, et posent aujourd’hui ici, en fin d’année, le défaut de substance en critère essentiel à la qualification de montage artificiel. En conséquence, cette jurisprudence « Charbit » pourrait, outre le fait d’ouvrir une nouvelle étape dans la conciliation entre la notion d’abus de droit fiscal de l’article L. 64 du LPF et la garantie contre les changements de doctrine de l’article L. 80 A du LPF, être le début d’une nouvelle ère dans la définition des montages artificiels

 

[1] Instruction 5 C-1-07 du 22 janvier 2007.

[2] TA Paris, 4 janvier 2017, n° 1516621 (N° Lexbase : A3462WAH), RJF, 7/17, n° 720.

[3] CAA Paris, 20 décembre 2018, n° 17PA00747 (N° Lexbase : A4146YSD), RJF, 3/19, n° 282, conclusions O. Lemaire.

[4] CE Section, Avis, 8 mars 2013, n° 353782, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3210I9R), Rec. p. 28, RJF 5/13, n° 518.

[5] CE Section, 30 décembre 2013, n° 350100, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9241KS3), Rec. p. 360, RJF, 3/14, n° 290, concl. N. Escaut, BDCF, 3/14, n° 36.

[6] Pour reprendre les mots de Jérôme Turot in J. Turot, « La vraie nature de la garantie contre les changements de doctrine », RJF, 5/92, p. 371.

[7] Voir en ce sens : CE Section, 30 juin 1972, n° 80083, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0833B9Q), Rec. p. 499 ; CE 8° et 9° ssr., 30 mars 1992, n° 114926, Société Générale, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5112ARR), Rec. p. 139, RJF, 5/92, n° 706 ; CE, 20 mars 1996, n° 153319, Min. c/ Société immobilière Kléber-Lauriston, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8239ANH), Rec. p. 89, RJF, 5/96, n° 562 ; CE, 7 avril 2010, n° 316083, Min. c/ Hardy, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5663EUB), RJF, 6/10, n° 616 ; CE 8° et 3° ssr.,, 30 décembre 2011, n° 341722, Corbi, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8336H8A), RJF, 3/12, n° 272.

[8] Loi n° 2008-1443, du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008 (N° Lexbase : L3784IC7).

[9] CE, Assemblée, Avis, 8 avril 1998, n° 192539, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7848ASH), Rec. p. 170, RJF, 5/98, n° 593, concl. G. Goulard p. 378, chron. S. Verclytte, p. 359.

[10] Avis, Comité de l’abus de droit fiscal, 6 novembre 2015, n° 2015-07, 2015-08, et 2015-09, selon lesquels : la doctrine administrative interprétant formellement une loi fiscale ne peut constituer une décision dont il est possible d’abuser.

[11] CE Section, 27 septembre 2006, n° 260050, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3224DRT), Rec. p. 401, RJF, 12/06, n° 1583, chron. Y. Bénard, p. 1083, concl. L. Olléon, BDCF, 12/06, n° 156.

[12] CE 9° et 10° ssr., 28 février 2007, n° 284565, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4284DU9), Rec. p. 107, RJF, 5/07, n° 599, concl. L. Vallée, BDCF, 5/07, n° 61.

[13] Voir en ce sens : M. Collet, Le bitcoin devant le Conseil d’État, Revue de droit fiscal, 2018, n° 24, comm. 298 ; et L. Vallée, L’article L. 80 A du LPF protège-t-il encore contre l’abus de droit ?, FR, 7/09, n° 23.

[14] CSS, art. L. 243-7-2 (N° Lexbase : L9267LNK).

[15] CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax (N° Lexbase : A0045DNY), BDCF, 5/2006, n° 68, concl. L. M. Poiares Maduro.

[16] CE 10e et 9e ch., 12 février 2020, n° 421441, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A34983EB) et n° 421444, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A34993EC), Revue de droit fiscal, 2020, n° 10 comm. 180 concl. A. Iljic note R. Vabres, RJF, 4/20, n° 372 chron. C. Guibe, p. 427.

newsid:475744

Responsabilité

[Brèves] Pollution, non nocive, d’un vin par un produit : l’absence de nocivité n’exclut pas la qualification de produit défectueux

Réf. : Cass. civ. 1, 9 décembre 2020, n° 19-17.724, FS-P (N° Lexbase : A581839D)

Lecture: 3 min

N5803BYL

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 16 Décembre 2020

► Le seul fait que des vins pollués par un produit, dont la défectuosité est invoquée, ne soit pas de nature à nuire à la santé, n’exclut pas la qualification de produit défectueux.

Faits. Une société viticole avait confié à un tiers la mission de procéder à des opérations sur ses vins. Pour cela, le tiers avait utilisé différents produits. A l’issue de ces opérations, une pollution des vins avait été décelée, dont l’origine tenait aux produits ayant été utilisé par le tiers. Par conséquent, ce dernier, ainsi que la société assignèrent tant le producteur que le vendeur du produit, vendeur qui fut mis hors de cause.

Procédure. La cour d’appel (CA Dijon, 2 avril 2019, n° 17/00957 (N° Lexbase : A9174Y7W) refusa de reconnaître le caractère défectueux du produit, « dès lors que la pollution des vins n’est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité » ; le défaut du produit donnait au vin un goût « désagréable ».

Solution. La première chambre civile casse l’arrêt d’appel, d’abord, au visa de l’article 1386-2 devenu l’article 1245-1 du Code civil (N° Lexbase : L0621KZZ) et de l’article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005 (N° Lexbase : L5239G78) (lequel fixe une franchise de 500 euros). Elle considère que les textes s’appliquent à la réparation « du dommage supérieur à 500 euros, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, en provoquant sa destruction ou son altération » (nous soulignons). La cassation intervient car « avait été constaté une altération des vins consécutive à leur pollution par les produits dont la défectuosité était invoquée ». Ainsi, la qualification de produit défectueux et l’indemnisation à raison de l’altération du vin ne pouvaient être exclues. La cassation intervient, ensuite, au visa de l’article 1386-4 (devenu l’article 1245-3 N° Lexbase : L0623KZ4), alinéas 1 et 2 du Code civil. Le principe posé par cette disposition, laquelle envisage la qualification de produit défectueux, est rappelé : « un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment, de la présentation du produit et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu ». Or, la cour d’appel aurait dû examiner « si au regard des circonstances, et notamment de leur présentation et de l’usage qui pouvait en être raisonnablement attendu, les produits dont la défectuosité était invoquée présentait la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre ». La Cour de cassation confirme ici la notion de produit défectueux : cette qualification doit être retenue lorsque le produit risque de provoquer une dégradation des biens, en l’espèce, les vins. Le défaut de sécurité est apprécié in concreto et la qualification ne peut être retenue que si l’usage du produit qui en a été fait, a été normal. Le seul fait que le produit ne soit pas nocif pour la santé ne peut permettre d’exclure la qualification de produit défectueux.

newsid:475803

Santé et sécurité au travail

[Brèves] Accord entre les partenaires sociaux sur la santé au travail

Réf. : Min. Travail, communiqué de presse, 10 décembre 2020

Lecture: 3 min

N5717BYE

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par Charlotte Moronval

Le 16 Décembre 2020

► Le 9 décembre 2020, les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur un ANI sur le thème de la santé au travail. Ce projet d’ANI est ouvert à la signature jusqu’au 8 janvier 2021 mais recueille déjà l’avis favorable de 3 syndicats (CDFT, CFE-CGC et FO) et, côté patronal, du MEDEF. Une proposition de loi pourrait également être déposée à l’Assemblée nationale d’ici la fin de l’année.

Le projet d’ANI est organisé en 4 parties :

  • promouvoir une prévention opérationnelle au plus proche des réalités du travail ;
  • promouvoir une qualité de vie au travail en articulation avec la santé au travail ;
  • promouvoir une offre de services des SPSTI (les SSTI étant renommés « services de prévention et de santé au travail interentreprises) efficiente et de proximité ;
  • une gouvernance rénovée, un financement maîtrisé.

Document unique d’évaluation des risques. Le DUERP est un outil indispensable de la prévention et doit constituer la base du plan d’actions de prévention des risques dans l’entreprise. Il relève de la responsabilité de l’employeur. Le projet d’accord entend proposer des pistes d’accompagnement de l’employeur pour l’établir et le mettre à jour (grâce notamment aux services de santé au travail interentreprises (SSTI), renommés services de prévention, de santé au travail interentreprises (SPSTI)).

À noter que le texte propose que les versions successives des DU soient conservées, afin d’assurer la traçabilité des risques professionnels.

Responsabilité de l’employeur. Le principe de la responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail est rappelé afin d’inciter les entreprises à développer des actions de prévention. Toutefois, il est rappelé qu’il s’agit d’une obligation de moyen renforcée : l’employeur est donc considéré avoir rempli son obligation s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention.

Risques professionnels. L’ANI liste les risques professionnels liés à l’activité de l’entreprise à prendre en compte (risques classiques, physiques, chimiques, biologiques, TMS mais aussi risques psycho sociaux, risques émergents, notamment ceux liés aux nouvelles technologies et risques extérieurs tels que les risques sanitaires et environnementaux).

Nouveauté. L’accord introduit également un risque nouveau : le risque de désinsertion professionnelle.

Passeport prévention. L’ANI propose la création d’un « passeport prévenion » qui attesterait du suivi d’une formation générale sur la prévention des risques professionnels pour les salariés qui n’ont aucune formation de base (organisée par la branche ou l’entreprise) et, le cas échéant, de modules spécifiques selon les branches d’activité

Représentants du personnel. Le texte prévoit un renforcement de la formation des élus du CSE en matière de santé et sécurité avec un allongement de la durée de la formation existante portée à 5 jours pour les membres de la CSSCT et les élus du CSE dans les entreprises qui en sont dotées.

newsid:475717

Social général

[Brèves] Publication de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 : les mesures sociales

Réf. : Loi n° 2020-1576, du 14 décembre 2020, de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW)

Lecture: 6 min

N5759BYX

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par Laïla Bedja

Le 20 Janvier 2021

► Adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2020, la loi de financement de la Sécurité sociale a été publiée au Journal officiel du 15 décembre 2020. Quelles en sont les grandes lignes en matière sociale ?

I. Les réponses à la crise du covid-19

Contribution exceptionnelle à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l’épidémie de covid-19 due par les organismes complémentaires en santé, « taxe Covid » (art. 3 et 13)

Au titre de l’exercice pour 2020, il est instauré la contribution exceptionnelle à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l’épidémie de covid-19 pour les organismes complémentaires en santé. Pour le législateur, la crise sanitaire, qui a causé une forte augmentation des dépenses de la branche maladie de la sécurité sociale, a en revanche réduit les charges des organismes complémentaires, avec un gain net estimé, selon l’étude d’impact du Gouvernement, à 2 milliards d’euros.

Son taux est fixé à 2,6 % et elle est assise sur l'ensemble des sommes versées en 2020, au titre des cotisations d'assurance maladie complémentaire, au profit de ces organismes.

Au titre de l’exercice 2021, son taux est fixé à 1,3 %

Mise en oeuvre de la compensation des exonérations créées lors de la crise du covid-19 (art. 7)

L’article 7 de la loi définit les modalités pratiques de la compensation des exonérations exceptionnelles mises en place afin de faire face la crise provoquée par l’épidémie de covid-19. Pour rappel, l’article 65 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 (loi n° 2020-935, du 30 juillet 2020 N° Lexbase : L7971LXI) a mis en place un dispositif exceptionnel d’exonération de cotisations et contributions sociales (à l’exception des cotisations de retraite complémentaire) pour les entreprises les plus impactées par la crise sanitaire (v. notre brève, Lexbase Social, septembre 2020, n° 834 N° Lexbase : N4378BYS).

En outre, des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour les travailleurs non-salariés de ces mêmes secteurs, qui bénéficient d'une réduction forfaitaire de cotisations (1 800 euros à 2 400 euros selon les secteurs), de nature à mieux aider les professionnels dont les revenus sont les plus faibles.

Ainsi, l’article 7 de la loi prévoit que les charges résultant de ces aides gérées par l’ACOSS et la Caisse centrale de la MSA sont compensées par l’État.

Maintien du dispositif d’exonération sociales et d’aides au paiement instauré par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 (art. 9)

L’article 9 de la loi prévoit le maintien, toujours sous conditions, des dispositifs d’exonérations et d’aides au paiement des contributions et cotisations sociales pour la fin de l’année 2020. Un décret pourra prolonger ce dispositif en 2021.

Traitement social du dispositif d’indemnité d’activité partielle (art. 8)

L’article 8 de la loi maintient pour 2021 le régime d'assujettissement à la CSG des indemnités légales et complémentaires d'activité partielle prévu en 2020 et pérennise la prise en compte des périodes concernées au titre du calcul des droits à pension.

Prise en charge intégrale des téléconsultations par l’assurance maladie (art. 61)

L’article 61 de la loi prévoit que la participation de l'assuré mentionnée au premier alinéa du I de l'article L. 160-13 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5283LU9) relative aux actes de téléconsultation est supprimée jusqu'au 31 décembre 2021. Cette mesure est donc prorogée à la suite de son essor massif, notamment pendant le confinement où le nombre de téléconsultations a quasiment atteint un million par semaine.

II. Organisation de la cinquième branche dédiée à l’autonomie (art. 32 à 34)

Créée par la loi organique relative à la dette sociale et à l’autonomie du 7 août 2020, la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie voit son organisation précisée par la présente loi aux articles 32 à 34. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie aura pour gestion cette nouvelle branche qui concerne les personnes âgées, les personnes handicapées et leurs proches aidants.

À cet effet, il est institué (CSS, art. L. 137-40), une contribution de solidarité pour l'autonomie (0,3 % due par les employeurs privés et publics) et contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (de 0,3 % assise sur les avantages de retraite et d'invalidité ainsi que sur les allocations de préretraite qui ne sont pas assujettis aux prélèvements mentionnés à l'article 235 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L6979LNS) et qui sont perçus par les personnes physiques désignées à l'article L. 136-1 N° Lexbase : L0432LCY).

III. Simplification des démarches déclaratives des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants agricoles (art. 25)

L’article 25 vise à simplifier les démarches déclaratives des non-salariés agricoles en prévoyant une obligation de déclaration unique à l’administration fiscale (C. rur., art. L. 731-13-2).

IV. Allongement du congé de paternité et d’accueil de l’enfant (art. 73)

Le congé était jusqu’à présent de onze jours (dix-huit en cas de naissance multiple) à prendre dans les quatre mois suivant la naissance de l’enfant, de façon non obligatoire. L’article 73 a pour objet de doubler la durée du congé pris en charge par la Sécurité sociale, soit une augmentation de onze à vingt-cinq jours (trente-deux en cas de naissance multiple) (C. trav., art. L. 1225-35 N° Lexbase : L7092LNY), et de le rendre obligatoire pour les sept premiers jours consécutifs à la naissance de l’enfant (C. trav., art. L. 1225-35-1). Les trois jours de congés de naissance payés par l’employeur, s’ajoutent aux quatre jours de congé de paternité obligatoires afin que le père soit obligatoirement arrêté durant les sept jours suivant la naissance de l’enfant.

Cette mesure doit permettre de répondre aux attentes des familles et de contribuer à l’amélioration de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les sphères professionnelles et privées.

Les mesures relatives aux cotisations sociales feront l’objet d’une analyse par Christophe Willmann, professeur à l’Université de Rouen, dans Lexbase Social, du 7 janvier 2021.

newsid:475759

Sociétés

[Brèves] Covid-19 : prorogation et adaptation des règles de réunion des assemblées générales et organes dirigeants

Réf. : Ordonnance n° 2020-1497, du 2 décembre 2020, portant prorogation et modification de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L8585LYM)

Lecture: 10 min

N5608BYD

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par Vincent Téchené

Le 16 Décembre 2020

► Une ordonnance, publiée au Journal officiel du 3 décembre 2020, proroge et adapte les règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19 qui avait été édictée par l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5727LWZ ; lire V. Téchené, Lexbase Affaires, avril 2020, n° 630 N° Lexbase : N2808BYN).  

Fondement. Cette nouvelle ordonnance est prise en application de l'article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (N° Lexbase : L6696LYN).

Champ d'application ratione personae. Sauf indication contraire, les adaptations apportées à l'ordonnance du 25 mars 2020 par l’ordonnance du 2 décembre ont le même champ d'application (sur ce point, v. V. Téchené, préc., point 1.1).

  • Convocation à une AG

L'article 1er de la l’ordonnance adapte l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020. Ce dernier prévoit que, dans les sociétés cotées, aucune nullité de l'assemblée générale n'est encourue lorsqu'une convocation devant être réalisée par voie postale n'a pas pu être réalisée par cette voie en raison de circonstances extérieures à la société. D'autres groupements de droit privé devant également procéder à un nombre significatif de convocations par voie postale et étant à ce titre confrontés aux mêmes difficultés que les sociétés cotées, l'article 1er de l’ordonnance du 2 décembre étend cette mesure à l'ensemble des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé.

  • Tenue des assemblées à « huit clos »

L'article 2 de l’ordonnance apporte deux séries d'adaptations à l'alinéa 1er de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 qui autorise, de façon exceptionnelle et temporaire, la tenue des assemblées « à huis clos ».

D'une part, il « resserre » la condition pour l'organisation d'une assemblée « à huis clos ». Le texte d’origine prévoyait une telle possibilité « Lorsqu'une assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires ». Désormais, la tenue des assemblées à huit clos est possible « Lorsque, à la date de la convocation de l'assemblée ou à celle de sa réunion, une mesure administrative limitant ou interdisant les déplacements ou les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires fait obstacle à la présence physique à l'assemblée de ses membres ». Ainsi, comme le relève le rapport au Président de la République, relatif à l’ordonnance du 2 décembre 2020, l'article 2 substitue à la condition figurant dans l'ordonnance du 25 mars 2020 initiale, qui faisait l'objet d'une appréciation in abstracto portant uniquement sur l'existence d'une mesure restrictive affectant le lieu où l'assemblée était convoquée, une condition qui devra faire l'objet d'une appréciation in concreto. Il précise également que cette nouvelle condition permettra de mieux tenir compte de la situation sanitaire, des mesures restrictives prises pour y répondre et de l'impact de ces dernières sur chaque groupement, qui dépend de caractéristiques propres à chacun d'eux (en particulier, le nombre de membres habituellement présents à l'assemblée et la capacité à accueillir ces membres dans le respect des règles sanitaires).

D'autre part, l’article 2 de l’ordonnance du 2 décembre permet que la délégation donnée par l'organe compétent pour convoquer l'assemblée en vue de décider si celle-ci sera tenue « à huis clos » soit donnée à toute personne, et non plus seulement au représentant légal du groupement. Cette délégation sera encadrée par décret.

  • Renforcement des droits des actionnaires cotées

L'article 3 de l’ordonnance du 2 décembre crée un nouvel article 5-1 dans l'ordonnance du 25 mars 2020 qui vise à renforcer les droits des actionnaires des sociétés (autres que les SICAV) cotées dans le cas où l'assemblée générale est organisée à huis clos.

D'une part, il prévoit que l'assemblée générale doit être retransmise en direct, à moins que des raisons techniques rendent impossible ou perturbent gravement cette retransmission. Il prévoit également que la société doit assurer la rediffusion de l'assemblée en différé. D'autre part, ce nouvel article renforce le régime des questions écrites, en prévoyant que l'ensemble des questions écrites posées par les actionnaires et des réponses qui y sont apportées en application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 225-108 du Code de commerce (N° Lexbase : L2384LRQ) doivent être publiées sur le site Internet de la société, dans la rubrique dédiée à cet effet.

  • Consultation écrite

L'article 4 de l’ordonnance du 2 décembre refond l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 qui facilitait le recours à la consultation écrite des membres des assemblées pour lesquelles ce mode alternatif de prise de décision était déjà prévu par la loi, en le rendant possible sans qu'une clause des statuts ou du contrat d'émission soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s'y opposer.

Cet assouplissement est maintenu mais l’étend à l'ensemble des groupements de droit privé pour lesquels il n'est pas déjà prévu par la loi, à l'exception des sociétés cotées. Un décret en précisera les conditions lorsque le régime légal ou réglementaire de l'assemblée, les statuts ou le contrat d'émission n'encadrent pas déjà ce mode de prise de décision.

  • Vote par correspondance

En conséquence de la refonte de l'article 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020, les dispositions de l'article 6-1 de l’ordonnance du 2 décembre, relatives à la consultation écrite des membres des assemblées générales des sociétés coopératives agricoles et des unions de celles-ci, feraient double emploi avec celles de l'article 6 refondu.

Il porte désormais sur le vote par correspondance qui est étendu et assoupli, soit pour les groupements pour lesquels ce mode de vote n'est pas déjà prévu par la loi, en l'autorisant exceptionnellement, soit, pour les groupements pour lesquels ce mode de vote est déjà prévu par la loi sous réserve de certaines conditions, en neutralisant exceptionnellement ces conditions (en particulier la condition tenant à l'existence d'une clause à cet effet dans les statuts ou le contrat d'émission) et toute autre clause contraire des statuts ou du contrat d'émission. Cette mesure concerne l'ensemble des décisions relevant de la compétence des assemblées des groupements, y compris, le cas échéant, celles relatives aux comptes. Comme pour la consultation écrite, le vote par correspondance intervient soit dans les conditions prévues par les dispositions législatives ou réglementaires, les statuts ou le contrat d'émission, lorsque ce mode de vote est déjà prévu par ces derniers, soit dans les conditions qui seront prochainement définies par voie de décret en Conseil d'État, lorsque le régime légal ou réglementaire de l'assemblée, les statuts ou le contrat d'émission n'encadrent pas déjà ce mode de vote.

  • Information des actionnaires en cas de basculement d’une AG en présentiel en AG à huis clos et inversement

L'article 6 de la présente ordonnance apporte diverses modifications de cohérence à l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020. Il précise en outre qu'en cas de basculement d'une assemblée générale convoquée en présentiel vers une assemblée générale tenue « à huis clos » dans une société cotée, les actionnaires doivent en être informés, dans les conditions prévues par l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020, trois jours ouvrés au moins avant la date de l'assemblée générale, à l'instar de ce qui était déjà prévu par l'ordonnance du 25 mars 2020 initiale pour les groupements non cotés. Enfin, afin de faciliter le basculement d'une assemblée générale convoquée « à huis clos » vers une assemblée générale tenue en présentiel, il étend les modalités simplifiées d'information des membres de l'assemblée prévues par l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 à cette hypothèse.

  • Prorogation des dispositions jusqu’au 1er avril 2021

L'article 7 de l’ordonnance du 2 décembre modifie également l'article 11 de l'ordonnance du 25 mars 2020 pour proroger l'application de cette dernière, qui continuera de s'appliquer aux réunions des assemblées et organes collégiaux d'administration de surveillance et de direction tenues à compter de l'entrée en vigueur de l’ordonnance du 2 décembre, c’est-à-dire le 3 décembre 2020 (cf. infra) et jusqu'au 1er avril 2021 qui correspond au terme de la période transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire fixé par l'article 2 de la loi du 14 novembre 2020. Cette prorogation immédiate est assortie de la faculté de procéder à de nouvelles prorogations par voie de décret en Conseil d'État jusqu'à une date butoir fixée au 31 juillet 2021.

  • Application à Wallis-et-Futuna

L'article 8 de l’ordonnance comprend des dispositions nécessaires à l'application de l'ordonnance du 25 mars 2020 modifiée à Wallis-et-Futuna.

  • Entrée en vigueur

Enfin, l'article 9 prévoit son entrée en vigueur immédiate, le jour de sa publication, c’est-à-dire le 3 décembre 2020. Selon le rapport au Président de la République « cette disposition est justifiée au regard de l'urgence, afin de réduire la durée de la discontinuité entre l'ordonnance du 25 mars 2020 initiale, qui a expiré le 30 novembre 2020, et sa version modifiée par la présente ordonnance ».

  • Décret d’application

Le rapport au Président précise qu’un décret portant prorogation et modification du décret n° 2020-418 du 10 avril 2020, portant application de l’ordonnance du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L6653LWC ; V. Téchené, Lexbase Affaires, avril 2020, n° 631 N° Lexbase : N2995BYL), et prorogation de l'article 1er du décret n° 2020-629 du 25 mai 2020, relatif au fonctionnement des instances des institutions de prévoyance et au fonds paritaire de garantie prévu à l'article L. 931-35 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L2062LXN), sera pris et publié prochainement, après l'achèvement des consultations obligatoires prévues par la loi.

 

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