La lettre juridique n°830 du 2 juillet 2020

La lettre juridique - Édition n°830

Autorité parentale

[Brèves] Maintien des relations entre un enfant et l’ex-compagne de sa mère : un droit et non une obligation, soumis à l’appréciation du juge

Réf. : Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15.198, F-P+B+I (N° Lexbase : A33673PE)

Lecture: 7 min

N3874BY7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473874
Copier

par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 02 Juillet 2020

► Le rejet, par le juge, d’une demande de droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant présentée par l’ancienne compagne de la mère, qui, aux termes d’une décision motivée, a statué en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, ne porte pas atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la demandeuse.

L’affaire. Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, la requérante avait vécu avec la mère de l’enfant (né en avril 2013) de 2004 à septembre 2015 ; après la séparation du couple en septembre 2015, l’ancienne compagne avait assigné la mère de l’enfant devant le juge aux affaires familiales afin que soient fixées les modalités de ses relations avec l’enfant. Elle faisait grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes de rejeter sa demande de droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant.

La décision ayant été rendue sur le fondement de l’article 371-4 du Code civil (N° Lexbase : L8011IWM), la requérante contestait l’application de ce texte par les juges, d’abord en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité, ensuite en invoquant une violation des articles 8 et 14 de la CESDH et 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (N° Lexbase : L6807BHL).

Elle n’obtiendra pas gain de cause.

Constitutionnalité. Pour rappel, la requérante avait donc tenté de soulever l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article 371-4 du Code civil, faisant valoir en ce que cet article ne prévoit pas d'obligation, pour le parent d'intention, de maintenir ses liens avec l'enfant qu'il a élevé, et symétriquement, ne lui confère pas de droit de visite et d'hébergement de principe. Mais la Cour de cassation a jugé, par décision rendue le 6 novembre 2019, qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise, en ce qu’elle ne présentait pas un caractère sérieux (Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 19-15.198, FS-P+B+I N° Lexbase : A3962ZUB ; lire la brève N° Lexbase : N1160BYM).

Conformité CESDH/CIDE. Devant la Cour de cassation examinant l’affaire sur le fond, la requérante a notamment fait valoir que l’article 371-4 du Code civil qui ne prévoit pas de droit pour l’enfant au maintien de ses relations avec le parent d’intention, ni corrélativement d’obligation incombant à ce parent de fait de maintenir ce lien, contrairement à la situation de l’enfant issu d’un mariage entre des personnes de même sexe, ayant fait l’objet d’une adoption, méconnaît les articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Dans sa décision rendue le 24 juin 2020, la Cour de cassation écarte l’ensemble des arguments avancés par la requérante, procédant à une analyse détaillée de ce texte et concluant à sa compatibilité avec les principes issus des articles 8 et 14 de la CESDH et 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Pour rappel, aux termes de l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.

La Cour suprême vient alors préciser que :

- ce texte permet le maintien des liens entre l’enfant et l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués, tout en le conditionnant à l’intérêt de l’enfant ;

- en ce qu’il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New- York et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;

- il ne saurait davantage méconnaître les exigences résultant de l’article 14 de cette même Convention (N° Lexbase : L4747AQU interdiction de la discrimination) dès lors qu’il n’opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique, en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère.

Contrôle de l’appréciation souveraine des juges du fond quant à l’intérêt de l’enfant. L’arrêt attaqué avait relevé que la requérante, bien que réticente à l’idée d’accueillir un enfant au sein de son foyer, s’était impliquée dans le projet de la mère dès la conception de l’enfant, étant présente pour l’insémination, le suivi médical de la grossesse et au moment de l’accouchement. Il constatait que la naissance de l’enfant avait été annoncée par les deux femmes au moyen d’un faire-part mentionnant leurs deux noms. Il ajoutait que chacune d’elles s’était investie dans le quotidien de l’enfant après sa naissance et qu’un droit de visite et d’hébergement amiable une fin de semaine sur deux avait été instauré au bénéfice de la requérante à l’issue de la séparation du couple, en septembre 2015.

Il relevait cependant que le droit de visite et d’hébergement de la requérante avait cessé d’être exercé dès le mois de janvier 2016, la mère refusant que sa fille continue de voir son ancienne compagne en raison du comportement violent de celle-ci. Il précisait que, si le caractère conflictuel de la séparation n’était pas contesté par les parties, la violence des interventions de la requérante à l’égard de la mère était attestée par les pièces produites, qui faisaient état d’intrusions sur le lieu de travail de celle-ci et au domicile de ses parents, en présence de l’enfant, qui avait été le témoin de ses comportements véhéments et emportés.

Les juges d’appel avaient estimé que ces confrontations, en présence de l’enfant, avaient généré une crainte et une réticence réelle de celle-ci à l’idée de se rendre chez la requérante, et que cette dernière n’avait pas su préserver l’enfant du conflit avec son ancienne compagne, ce qui était de nature à perturber son équilibre psychique.

Ils avaient retenu enfin que, si la requérante avait pu résider de manière stable avec l’enfant du temps de la vie commune du couple et avait pourvu à son éducation et à son entretien sur cette même période, la preuve du développement d’une relation forte et de l’existence d’un lien d’affection durable avec l’enfant n’était pas rapportée.

C’est alors que la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 24 juin 2020, a jugé que, de ces constatations et énonciations, la cour d’appel avait souverainement déduit qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant d’accueillir la demande en cause et qu’elle avait ainsi, par une décision motivée, statuant en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être primordial, légalement justifié sa décision, sans porter atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante.

Pour aller plus loin, cf. l’Ouvrage « L’autorité parentale », L'entretien de relations personnelles des enfants avec leurs ascendants ou autres personnes, parents ou non (N° Lexbase : E5810EYT).

newsid:473874

Avocats/Déontologie

[Focus] Affaire Paul Bismuth : Peut-on surveiller les avocats ?

Lecture: 13 min

N3969BYN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473969
Copier

par Benjamin Fiorini, Maître de conférences à l’Université Paris 8

Le 02 Juillet 2020


Mots-clefs : Avocat • Actualité • Secret professionnel • Surveillance • PNF • Bismuth 


 

Parfum de scandale - « Invraisemblable accumulation de manquements et de dysfonctionnements », « méthodes de barbouze », « Watergate à la française » [1] : avocats et politiques n’ont pas eu de mots assez durs pour fustiger les investigations effectuées par le Parquet national financier (PNF) dans le cadre de la fameuse « affaire Paul Bismuth », cet étrange alias employé par l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy pour dialoguer avec son avocat Thierry Herzog à l’abri des oreilles de la justice.

Le contenu de la surveillance effectuée par le PNF doit être présenté (I), avant que ne soit portée une appréciation sur sa licéité – sous réserve, bien entendu, que les éléments rapportés par la presse soient exacts (II).

I. Le contenu de la surveillance effectuée par le PNF

Révélations de la presse - D’après les éléments portés à la connaissance du public le 24 juin 2020 par le journal Le Point [2], les magistrats du PNF ont ouvert le 3 mars 2014 une enquête préliminaire pour violation du secret professionnel visant à identifier la  taupe qui aurait informé l’ex-chef de l’Etat que sa ligne téléphonique ouverte au nom de Paul Bismuth était placée sur écoute, les procès-verbaux retranscrivant les conversations effectuées sur cette ligne portant à croire que cette information lui est parvenue le 25 février 2014. Pour découvrir le mystérieux informateur dont ils pressentent qu’il porte la robe noire, les magistrats du PNF ont d’abord demandé aux enquêteurs de dresser la liste de toutes les personnes ayant échangé par téléphone avec Thierry Herzog le 25 février 2014, parmi lesquelles figuraient de nombreux ténors du barreau, dont Eric Dupond-Moretti, mais aussi Hervé Temime, Jacqueline Laffont, Pierre Haïk, Marie-Alix Canu-Bernard, ou encore les avocats du cabinet Veil Jourde. 

Fadettes et géolocalisations différées - Le PNF, en lien avec les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLIFF), a ensuite sollicité et examiné les fadettes - c’est-à-dire, les factures téléphoniques - des lignes ouvertes au nom de ces avocats, sur la période de quinze jours précédant la date où l’indiscrétion aurait été commise. Le PNF a également fait procéder à la géolocalisation différée du téléphone portable de certains d’entre eux - c’est-à-dire à la reconstitution a posteriori de leur positionnement dans le temps et dans l’espace, hypothèse qui doit être distinguée de la géolocalisation en temps réel (nous y reviendrons). Le but de ces investigations était manifestement de vérifier si ces avocats avaient été en contact, les jours précédents le 25 février 2014, avec des personnes tenues au secret professionnel susceptibles de les informer que la ligne de Paul Bismuth était surveillée. Cette enquête préliminaire s’avérant finalement infructueuse, elle sera classée sans suite fin 2019, après plusieurs années - au moins trois ans ! - sans qu’aucun acte d’investigation n’ait été effectué.

Remise en cause du secret professionnel - L’émoi suscité par ces révélations dans la communauté judiciaire, mais également dans le monde politique, n’est guère surprenant au regard de deux éléments. Premièrement, la surveillance simultanée de nombreux avocats, se traduisant par l’accès aux métadonnées de leurs communications téléphoniques et la reconstitution de leurs déplacements physiques sur une période relativement longue, paraît heurter, outre le droit au respect de la vie privée, le secret professionnel censé protéger les droits de la défense. Le procès équitable suppose que l’avocat et son client puissent s’entretenir dans un rapport de confidentialité, et il n’est pas extravagant d’arguer que cette exigence, en plus de concerner le contenu des échanges, devrait aussi s’appliquer à leur existence même. 

Remise en cause du PNF - Secondement, ces mesures d’une ampleur inédite, en plus d’intervenir dans le cadre d’une affaire politiquement explosive, ont été révélées dans un contexte tendu où la légitimité du PNF est remise cause par beaucoup. En effet, l’article du Point a été publié quelques jours après qu’Eliane Houelette, procureure à la tête du PNF entre le 30 janvier 2014 et le 30 juin 2019, a déclaré le 10 juin 2020, dans le cadre de son audition lors de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, avoir subi des « pressions » de la part du parquet général dans le cadre de l’affaire Fillon [3], donnant ainsi du grain à moudre aux détracteurs d’une Justice aux ordres. C’est ainsi que Rachida Dati (LR) a déclaré avoir le « sentiment » que le PNF est devenu une « officine », quand Christian Jacob (LR) l’a présenté comme « un bras armé politique » [4].

Suites judiciaires en perspective - Cette double indignation, tantôt politique, tantôt judiciaire, a été entendue par la garde des Sceaux Nicole Belloubet, qui a demandé le 26 juin 2020 à la procureure générale de Paris « un rapport circonstancié sur la nature précise »de l’enquête menée par le PNF, qui portera« notamment sur les modalités des réquisitions effectuées, leur étendue et leur durée ». De son côté, le Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, a demandé au célèbre avocat Henri Leclerc d’envisager une action en justice contre l’Etat. 

Par-delà les passions déchaînées par cette affaire, il paraît donc opportun de s’interroger, au regard des éléments rapportés par la presse, sur la licéité des méthodes d’enquête employées par le PNF à cette occasion.

II. La licéité de la surveillance effectuée par le PNF

Clarification - Pour commencer, il convient de dissiper un malentendu parfois entretenu par des personnes intéressées au dossier, et souvent relayé aveuglément par la presse, selon lequel les avocats auraient été mis sur écoute : d’un point de vue strictement juridique, il n’y a rien de plus faux. Schématiquement, il est possible d’affirmer que le Code de procédure pénale distingue clairement trois actes d’enquête : l’interception de communications, les réquisitions, et la géolocalisation en temps réel.

Régime propre aux interceptions - L’interception de communications, souvent désignée par l’expression « écoutes téléphoniques » (improprement, puisque les communications concernées peuvent s’écouter mais aussi se lire, par exemple lorsqu’il s’agit d’un SMS), renvoie au cas où les enquêteurs prennent connaissance du contenu des échanges se déroulant sur la ligne d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. Cette mesure étant particulièrement intrusive, le Code de procédure pénale et la jurisprudence l’encadrent de façon drastique, tout spécialement lorsque sont susceptibles d’être surprises les conversations entre un avocat et la personne qu’il défend. Ainsi, dans le cadre d’une information judiciaire, l’article 100-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5915DYQ) prévoit qu’ « aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le Bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction ». En outre, la Cour de cassation considère que « même si elle est surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière, la conversation entre un avocat et l’un de ses clients ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure que s’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction » [5].

Absence d’interceptions - En l’occurrence, d’après les informations rapportées par Le Point, le PNF ne semble avoir effectué aucune interception de communications sur les lignes téléphoniques des avocats concernés ; les garanties rattachées à cet acte d’enquête ne trouvaient donc pas à s’appliquer. En réalité, l’épluchage des fadettes est intervenu dans le cadre du pouvoir de réquisition prévu à l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7423LPM) et qui permet  au procureur de la République ou, sur son autorisation, à l’officier de police judiciaire, de « requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête, y compris celles issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations ». S’agissant, d’une réquisition adressée à un opérateur téléphonique pour l’obtention des factures détaillées, le Code ne prévoit aucune garantie particulière lorsque la ligne visée a été ouverte par un avocat : ni l’autorisation d’un magistrat du siège, ni l’information du Bâtonnier ne sont exigées. A priori, à s’en tenir à ces dispositions, il semble donc que le PNF soit resté dans les clous.

Régime propre aux géolocalisations en temps réel - La géolocalisation est, quant à elle, définie à l’article 230-32 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7402LPT) comme un moyen technique permettant « la localisation en temps réel, sur l'ensemble du territoire national, d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet ». Une telle mesure étant, là encore, particulièrement intrusive, plusieurs garanties sont prévues par le Code de procédure pénale, notamment s’agissant des infractions soupçonnées pouvant conduire à ce type de mesure, la violation du secret professionnel n’en faisant pas partie.

Absence de géolocalisations en temps réel - Appliquant le texte à la lettre, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que doivent être distinguées les géolocalisations judiciaires accomplies en temps réel, seules à être régies par les dispositions des articles 230-32 et suivants du Code de procédure pénale et celles qui, réalisées en temps différé pour reconstitution de son parcours a posteriori, sont exécutées sur le fondement de l'article 77-1-1 (N° Lexbase : L7423LPM) du même Code [6]. Ainsi, d’après les informations dévoilées par Le Point, ce n’est guère à une géolocalisation au sens de l’article 230-32 du Code de procédure pénale que s’est livré le PNF - laquelle aurait été illégale au regard de l’infraction soupçonnée -, mais, encore une fois, à une réquisition dans le cadre d’une enquête préliminaire, ainsi que le Code le permet. 

Exigence de légitimité et de nécessité -Pour autant, malgré le respect formel de l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale, il n’est pas acquis que la surveillance des avocats mise en œuvre par le PNF soit parfaitement licite. En effet, pour qu’un acte d’enquête portant atteinte au droit au respect de la vie privé soit conforme aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR), il est nécessaire que cet acte soit non seulement prévu par la loi, mais également qu’il poursuive un but légitime et soit nécessaire dans une société démocratique, étant précisé que la Cour de Strasbourg se montre particulièrement tatillonne dans l’examen de la condition de nécessité lorsque c’est un avocat qui fait l’objet de la mesure [7]. La condition de nécessité est-elle remplie en l’espèce, alors même que des mesures très intrusives et de longue durée, visant des avocats tenus au secret professionnel au simple motif qu’ils ont été en contact avec une personne précise un jour déterminé, ont été mises en œuvre pour tenter de prouver la commission d’un délit exposant son auteur à une peine modérée ? La question mérite d’être posée.

Compétence du PNF et connexité - En outre, il convient de relever - peut-être plus fondamentalement - que la violation du secret professionnel ne fait pas partie des infractions pour lesquelles le PNF est spécifiquement habilité à enquêter au titre des articles 705 et suivants du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0541LT9). Certes, il résulte des articles 705 et 705-1 (N° Lexbase : L8958K8B) que le PNF est compétent pour enquêter sur des infractions connexes et à certaines délits boursiers à certaines infractions de blanchiment ; mais rien ne laisse penser, au regard des informations communiquées par la presse, que l’enquête préliminaire a été diligentée sur le fondement d’une telle connexité. En revanche, il est vrai que d’après la circulaire du 31 janvier 2014 de politique pénale relative au procureur de la République financier, « dans le cas d’infractions connexes aux délits relevant de sa compétence concurrente, le procureur de la République financier a vocation à se saisir des affaires dans lesquelles ces infractions occupent une place centrale, sous réserve d’une appréciation au cas par cas et de l’opportunité d’une disjonction dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice » [8]. Peut-on dire qu’en l’espèce, la violation éventuelle du secret professionnel occupait une « place centrale » ?

Enfin, il doit être relever que cette enquête préliminaire a été ouverte par le PNF le 3 mars 2014 alors même que le 26 février 2014, une information judiciaire des chefs de violation du secret de l'instruction et de trafic d'influence a préalablement été ouverte, donnant notamment lieu à la mise en examen de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog. Les faits objet de cette information paraissant éminemment connexes avec ceux ayant justifié l’ouverture de l’enquête préliminaire par le PNF, il aurait paru logique que ce dernier en saisisse les magistrats instructeurs plutôt que d’enquêter dans son coin, d’autant que cela a eu pour effet d’empêcher les mis en examen d’accéder à des éléments potentiellement à décharge. Questionné sur ce choix, le PNF a indiqué que « l'ouverture d'une seconde enquête sur ce délit connexe s'est faite dans un souci de bonne administration de la justice, pour ne pas brouiller la conduite de l'information principale ». Si l’objectif était de ne rien brouiller, pas sûr qu’il ait été atteint…

 

[1] Ces expressions sont respectivement celles employées par Nicolas Sarkozy, Eric Dupond-Moretti, et Eric Ciotti.

[2] « La nouvelle affaire des écoutes », Le Point, 24 juin 2020.

[3] « Affaire Fillon : l’ex-procureure financière évoque une ’ énorme pression ‘ de la part de sa hiérarchie », Le Monde, 19 juin 2020.

[4] « Pourquoi le Parquet national financier est dans la tourmente », Le Monde, 28 juin 2020.

[5] Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-83.205, FS-P+B (N° Lexbase : A7139Q9B).

[6] Cass. crim., 2 novembre 2016, n° 16-82.376, F-P+B (N° Lexbase : A8989SEN).

[7] V., pour une illustration, CEDH, 16 juin 2016, Req. 49176/11, « Versini-Campinchi Et Crasnianski c. France » (N° Lexbase : A1124RTS).

[8] Circulaire du 31 janvier 2014 de politique pénale relative au procureur de la République financier, NOR : JUSD1402887C.

newsid:473969

Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Preuve d’un lien de subordination d’un associé dans une limited liability partnership (non)

Réf. : CA Paris, 10 juin 2020, n° 18/02237 (N° Lexbase : A25633NA)

Lecture: 5 min

N3914BYM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473914
Copier

par Marie Le Guerroué

Le 02 Juillet 2020

► Ne constitue pas un lien de subordination, le fait pour une structure collective :

- d’émettre un avis différent sur l’opportunité de conserver un collaborateur,

- d’approuver les abandons ou réductions d’honoraires,

- de prévoir des dispositions statutaires (subordination aux décisions du conseil d'administration, clause de non-concurrence, exclusivité des activités professionnelles au profit du cabinet),

- et de prévoir une procédure d’évaluation (CA Paris, 10 juin 2020, n° 18/02237 N° Lexbase : A25633NA).

Procédure. L’avocate appelante avait signé un acte d'adhésion à un limited liability partnership (LLP) anglais et avait travaillé au sein de son établissement parisien. Elle avait par la suite démissionné et avait saisi le Bâtonnier d'une demande visant à faire constater que sa démission constitue une prise d'acte de la rupture imputable à l'employeur avec les conséquences attachées à un licenciement nul.

Le Bâtonnier avait dit n'y avoir lieu à requalification du contrat d'association en contrat de travail, constaté que les faits de harcèlement n’étaient pas établis, et avait débouté l’avocate de l'ensemble de ses demandes. Cette dernière avait formé appel et demandait à la cour de dire qu'elle était sous un lien de subordination.

Sur l'appréciation du cabinet sur l'opportunité de conserver ce collaborateur. La cour relève, d''abord, qu’il avait été mis un terme à la collaboration d'un avocat qui avait été recruté un an auparavant pour l'activité de titrisation dont l'appelante avait la responsabilité, ce malgré son opposition et que cette décision avait été justifiée par le faible taux d'occupation de ce collaborateur (34 %) au regard de sa rétrocession d'honoraires. Pour la cour, il ressort des mails échangés que cette décision, motivée, a été prise après une réunion au cours de laquelle l’appelante a fait connaître sa position et le travail déjà effectué avec l'avocat en cause. Ainsi, selon elle, il ne se déduit pas du fait que l'appréciation du cabinet sur l'opportunité de conserver ce collaborateur ait été différente de celle de l’appelante qu'il existe un lien de subordination, l'appelante ne pouvant prétendre décider seule du maintien de cet avocat alors que son activité s'exerce dans le cadre d'une structure collective.
Sur la nécessité d'approbation de la structure pour consentir à des abandons ou des réductions d'honoraires. De la même façon, la nécessité de recueillir l'approbation de la structure par la voie de ses organes décisionnels pour consentir à des abandons ou des réductions d'honoraires au-delà d'un certain montant, l'absence de pouvoir personnel d'engagement des dépenses par le biais d'un compte bancaire d'associé, le droit de regard sur un séjour au Maroc pour rencontrer un client, constituent des règles de gestion proportionnées et harmonisées destinées à protéger les intérêts économiques de la collectivité à laquelle l’appelante a fait le choix d'adhérer et dont le bon fonctionnement suppose la mise en place d'un ensemble de règles communes à tous.
Sur les dispositions statutaires. La cour ajoute que les dispositions statutaires contestées : subordination aux décisions du conseil d'administration, clause de non-concurrence, exclusivité des activités professionnelles au profit du cabinet, relèvent de l'organisation d'une activité professionnelle exercée en commun sans que les contraintes engendrées par cet exercice collectif puissent néanmoins s'analyser comme des manifestations d'un lien de subordination. La rédaction de la clause de non-concurrence, qui n'est pas propre au contrat de travail, peut, pour les juges du fond, éventuellement poser un problème d'interprétation ou de régularité mais celui-ci est indépendant de l'existence d'un lien de subordination.
Sur la procédure d'évaluation. S'agissant de la procédure d'évaluation, ainsi que l'a mentionné la décision du Bâtonnier, elle s'applique à l'ensemble des associés et est destinée à organiser la répartition des bénéfices à proportion de la contribution de chacun. Elle ne peut dès lors être considérée comme la traduction d'une subordination telle que comprise en droit du travail, même si le logiciel utilise le terme anglais peut-être inapproprié d' " employée ".
Sur les mails " managing partner ". Enfin, l’appelante fait état de plusieurs mails adressés à l'ensemble des avocats et autres membres du cabinet par le " managing partner ". Ces mails qui concernent la vie en collectivité (la propreté des locaux, l'usage du tabac) la nécessité de facturer ou celle de suivre une formation, sont formulés dans des termes qui peuvent être jugés inappropriés mais relèvent, pour les juges, d'un comportement individuel qui n'est pas de nature à modifier la relation juridique en question.
Requalification (non). L’appelante qui était associée de cette structure, ne peut, dès lors, invoquer les règles applicables aux collaborations pour conclure qu'en absence de clientèle personnelle, elle avait le statut de collaborateur salarié. La décision du Bâtonnier déboutant l’appelante de ses demandes fondées sur la requalification de son contrat d'adhésion en contrat de travail est confirmée (v. ETUDE : Les caractéristiques du contrat de travail de l'avocat salarié, in La Profession d’avocat N° Lexbase : E9215ETH)

 

 

 

newsid:473914

Contrats et obligations

[Brèves] Restitution du prix consécutive à la résolution d'un contrat de vente incombant exclusivement au vendeur : rejet de la caractérisation de préjudice indemnisable

Réf. : Cass. civ. 2, 25 juin 2020, n° 17-24.189, F-D (N° Lexbase : A70373PC)

Lecture: 4 min

N3935BYE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473935
Copier

par Manon Rouanne

Le 01 Juillet 2020

La restitution du prix de vente par le vendeur à l’acheteur à la suite de l’action rédhibitoire exercée du fait de la mise en œuvre de la garantie contre les vices cachés ne constitue pas un préjudice indemnisable, de sorte que l’assureur du constructeur ne peut être condamné, à la suite de la résolution du contrat de vente conclu entre le vendeur intermédiaire et l’acheteur, à payer à ce dernier une somme correspondant au prix du bien objet du contrat et à garantir le vendeur de cette condamnation.

Résumé des faits. En l’espèce, une société ayant pour objet social la construction de bateaux a vendu un navire à une autre société, laquelle l’a revendu à un particulier. L’acheteur, ayant constaté, lors d'une navigation, la présence d'eau à l'intérieur du voilier en a informé, six mois après la livraison de ce bateau, le vendeur. L’expertise diligentée de ce fait ayant conclu à un vice dans la conception et la réalisation de la liaison entre la coque et la quille du bateau, l’acheteur a assigné son vendeur sur le fondement de la garantie contre les vices cachés en exerçant l’action rédhibitoire ayant pour conséquence la résolution de la vente et la restitution du prix et sollicité le paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui en résulte.

En cause d’appel. La cour d’appel ayant prononcé la résolution de la vente et, alors, condamné in solidum, le vendeur et l’assureur du constructeur à payer une somme incluant, outre les dommages et intérêts réparant le préjudice subi, le prix de la vente du navire devant être restitué, ce dernier, condamné également à garantir le vendeur des condamnations prononcées à son encontre, a contesté la position adoptée par les juges du fond devant la Cour de cassation.

A hauteur de cassation. S’opposant à sa condamnation d’avoir à payer à l’acheteur une somme incluant le prix du navire, l’assureur du constructeur a allégué, comme moyen au pourvoi, que la restitution du prix consécutive à la résolution de la vente ne constitue pas un préjudice indemnisable, de sorte qu’en tant qu’assureur responsabilité civile du constructeur, il ne devait pas être tenu de restituer le prix du navire, obligation devant incomber exclusivement au vendeur. Dans le même sens, le demandeur au pourvoi a argué que, dès lors que la restitution du prix, résultant de la résolution d’un contrat de vente, est la contrepartie de la remise de la chose par l'acquéreur et qu'ainsi, seul celui auquel la chose est rendue doit restituer à ce dernier le prix qu'il en a reçu, il en résulte, qu'à la suite de l’action rédhibitoire exercée par l'acquéreur final ayant mis en jeu la garantie contre les vices cachés à l’encontre du vendeur intermédiaire, seul ce dernier pouvait être condamné à restituer le prix et était concerné par la remise de la chose, à l’exclusion du constructeur, vendeur initial.

Décision. Rejoignant l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel. Sans remettre en cause le jeu de l’action en garantie contre les vices cachés entraînant, du fait de l’exercice de l’action rédhibitoire, la résolution du contrat de vente et après avoir retenu que les juges du fond avaient relevé que l’assureur du constructeur était contractuellement tenu de garantir son assuré « contre les conséquences pécuniaires de la Responsabilité Civile pouvant lui incomber en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers y compris les clients… », la Haute juridiction affirme, à l’instar du demandeur, que la restitution du prix résultant de la résolution du contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable, de sorte que ce dernier ne pouvait, à la suite de la résolution de la vente conclue entre le vendeur intermédiaire et l’acheteur, être condamné à payer à ce dernier une somme incluant le remboursement du prix du navire, et à garantir le vendeur de cette condamnation.

 

 

newsid:473935

Covid-19

[Brèves] « DAC 6 » : report des délais relatifs aux nouvelles obligations de transparence fiscale

Réf. : Directive (UE) 2020/876 du Conseil, du 24 juin 2020, modifiant la Directive 2011/16/UE afin de répondre au besoin urgent de reporter certains délais pour la déclaration et l’échange d’informations dans le domaine de la fiscalité en raison de la pandémie de COVID-19 (N° Lexbase : L5104LXC)

Lecture: 3 min

N3882BYG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473882
Copier

par Marie-Claire Sgarra

Le 01 Juillet 2020

La Directive (UE) 2020/876 du Conseil, du 24 juin 2020, publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 26 juin 2020, permet aux États membres de reporter de 6 mois les délais relatifs aux échéances déclaratives prévues par la Directive « DAC 6 » (Directive (UE) n° 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration N° Lexbase : L6279LKR).

Pour rappel, la Directive « DAC 6 » prévoit une obligation pour les intermédiaires ou les contribuables de déclarer à l’administration les dispositifs transfrontières à caractère potentiellement agressif, afin de renforcer la transparence et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

En France, c’est l’ordonnance publiée le 21 octobre 2019 (ordonnance 2019-1068 du 21 octobre 2019, relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration N° Lexbase : L9809LS4) qui a constitué la première étape de la transposition de la Directive.

Le Code général des impôts avait ainsi été complété par six nouvelles dispositions :

- l’article 1649 AD définit le champ d’application de l’obligation déclarative,

- l’article 1649 AE (N° Lexbase : L9973LS8) identifie les personnes soumises à l’obligation déclarative,

- l’article 1649 AF (N° Lexbase : L9974LS9) établit la règle de priorité territoriale lorsqu’un intermédiaire ou un contribuable a une obligation déclarative dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne,

- l’article 1649 AG (N° Lexbase : L9975LSA) détermine le fait générateur de l’obligation déclarative ainsi que le délai de souscription de la déclaration,

- l’article 1649 AH (N° Lexbase : L9976LSB) codifie les marqueurs figurant à l’annexe IV de la Directive permettant de caractériser le dispositif à déclarer,

- enfin l’article 1729 C ter (N° Lexbase : L9977LSC) fixe la sanction en cas de manquement à l’obligation déclarative.

L’administration fiscale a commenté l’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières potentiellement agressifs dans une mise à jour du 9 mars 2020 (BOI-CF-CPF-30-40 N° Lexbase : X0320CK3). Ces commentaires étaient en consultation publique jusqu’au 30 avril inclus.

Toutes ces dispositions devaient entrer en vigueur le 1er juillet 2020.

Mais en réponse aux graves perturbations causées par la pandémie de Covid-19, l'Union européenne a finalement décidé de reporter la date limite pour remplir ses obligations en matière d'échange et d'échange d'informations transfrontalières. Ainsi, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour permettre aux intermédiaires et aux contribuables concernés de fournir, pour le 28 février 2021 au plus tard, des informations sur les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 30 juin 2020.

Lire en ce sens, Guillaume Massé, DAC 6 : une application pratique plus complexe et incertaine, Lexbase Fiscal, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3300BYU).

 

newsid:473882

Covid-19

[Brèves] Mise à jour du protocole de déconfinement en entreprise

Réf. : Protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés, 24 juin 2020

Lecture: 1 min

N3870BYY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473870
Copier

par Charlotte Moronval

Le 01 Juillet 2020

► Publiée sur le site du ministère du Travail, la nouvelle version du protocole national de déconfinement pour les entreprises du 24 juin 2020 se substitue à la version mise en ligne le 3 mai 2020, mais également aux 90 guides et fiches métiers co-élaborés par le ministère du Travail.

Parmi les principales nouveautés :

  • le télétravail n’est plus présenté comme la norme à respecter mais reste une solution à privilégier dans le cadre d’un retour progressif à une activité présentielle, y compris alternée. Il convient de préciser que le télétravail doit être favorisé par les employeurs pour les salariés à risque ou vivant avec une personne à risque ainsi que pour les salariés qui, sans être eux-mêmes à risque de forme grave, vivent au domicile d’une personne qui l’est ;
  • la mise en place de mesures de protection complémentaires en cas de travail en présentiel (mise à disposition d’un masque à usage médical par l’entreprise au travailleur, vigilance quant à l’hygiène régulière des mains, aménagement du poste de travail, via un bureau dédié par exemple) ;
  • le principe d’une jauge de 4 m2 par personne disparaît au profit du respect de la règle de distanciation physique d’au moins 1 mètre par rapport à toute autre personne (attention : masque obligatoire si la règle de distanciation ne peut pas être respectée) ;
  • désignation d’un référent covid-19 dans toutes les entreprises : celui-ci doit s’assurer de la mise en œuvre des mesures définies et de l’information des salariés.
  • mise en avant de l’importance du dialogue social pour assurer la mise en œuvre des mesures de prévention.

newsid:473870

Covid-19

[Le point sur...] La reconnaissance automatique du covid-19 comme accident du travail ou maladie professionnelle : une incantation ?

Lecture: 15 min

N3951BYY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473951
Copier

par Marc-Antoine Godefroy, Avocat of Counsel, Factorhy Avocats

Le 06 Juillet 2020

« Aux soignants qui tombent malades, je le dis : le coronavirus sera systématiquement et automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle et c’est la moindre des choses ». En prononçant ces mots au cours de sa conférence de presse du 23 mars 2020, le ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, entendait répondre aux attentes légitimes des professionnels de santé et de leur famille. Il suscitait dans le même temps une multitude d’interrogations sur le périmètre de cette mesure, ses modalités pratiques de mise en œuvre, ses enjeux, tant pour les salariés que pour les entreprises.

Bien plus, cette annonce a mis à l’épreuve les vieux rouages de la législation professionnelle [1] peu adaptés à un objectif de reconnaissance systématique des sinistres. En effet, depuis son institution, l’assurance des maladies professionnelles fonctionne selon un principe simple : l’application d’une présomption d’imputabilité au travail des pathologies mentionnées dans des tableaux dès lors que les conditions fixées par ceux-ci sont réunies. Au cours du XXème siècle, il est apparu que malgré l’ajout de nouveaux tableaux de maladies professionnelles, ce seul mécanisme ne permettait pas de couvrir l’ensemble des travailleurs victimes d’affections liées au travail. La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 (N° Lexbase : L4101A9R) a ainsi introduit un système complémentaire de reconnaissance permettant à l’assuré d’obtenir une prise en charge même lorsque les conditions du tableau ne sont pas réunies ou lorsque la pathologie invoquée ne figure dans aucun tableau.

De la même manière, l’obligation pour le salarié de démontrer l’existence d’un fait précis et soudain à l’origine d’une lésion pour établir l’existence d’un accident du travail [2] apparaît de prime abord comme un obstacle à la reconnaissance d’une contamination au covid-19 comme accident du travail, le moment précis de la contamination étant difficilement identifiable.   

Toutefois, malgré l’inadaptation apparente de la législation professionnelle aux objectifs gouvernementaux, aucune modification légale ou réglementaire n’est encore intervenue pour faciliter la reconnaissance d’une contamination au covid-19 comme maladie professionnelle ou accident du travail. Ni les dispositions relatives à la fonction publique [3], que nous n’aborderons pas ici, ni le livre IV du Code de la Sécurité sociale, n’ont fait l’objet d’une quelconque modification.

Dans l’attente d’évolutions prochaines [4], il convient d’examiner, en l’état du droit positif, les conditions dans lesquelles la maladie consécutive à une infection au virus SARS-CoV-2 pourrait être reconnue comme étant d’origine professionnelle (II) et de s’interroger sur l’opportunité et la pertinence de désigner une contamination au coronavirus comme un accident du travail (III). Cependant, au préalable, il est essentiel de rappeler les enjeux de la prise en charge d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (I).

I - La reconnaissance du covid-19 comme accident du travail ou maladie professionnelle : quels enjeux ?

La reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (AT-MP) permet au salarié qui en est victime de bénéficier d’une prise en charge totale des frais de santé causés par le sinistre [5], du versement d’indemnités journalières supérieures à celles servies par l’assurance maladie [6] et, en cas d’attribution d’un taux d’incapacité permanente voire de décès, de l’allocation d’un capital ou d’une rente [7] pour réparer les séquelles définitives de l’assuré ou soutenir ses ayants droit. Les prestations garanties par la branche « AT-MP » sont donc loin d’être négligeables, même si elles ne réparent pas intégralement le préjudice subi par la victime. De surcroît, le salarié ou ses ayants droit peuvent décider d’engager la responsabilité de l’entreprise en invoquant l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur afin d’obtenir une majoration de la rente et la réparation des préjudices personnels non couverts par la livre IV du Code de la Sécurité sociale [8].  

Parallèlement, l’entreprise doit faire face aux enjeux humains, sociaux et financiers consécutifs à la reconnaissance du sinistre. En effet, concernant l’aspect financier, l’entreprise assume seule le financement de l’assurance des risques professionnels par le biais de son taux de cotisations « AT-MP » qui est calculé, pour les entreprises de plus de vingt salariés, en tout ou en partie en fonction des conséquences des accidents et des maladies dont sont victimes les salariés qu’elle emploie [9]. La longueur de l’arrêt de travail et l’évaluation du niveau de l’incapacité permanente sont alors déterminantes pour la fixation du taux de cotisations : plus l’arrêt de travail se poursuit et le taux d’IPP s’élève, plus la hausse des cotisations est significative [10].

II - Le covid-19 comme maladie professionnelle : vers des règles spécifiques ?

En principe, la reconnaissance d’une maladie professionnelle suppose que l’affection invoquée par le salarié figure dans l’un des tableaux de maladies professionnelles annexés au Code de la Sécurité sociale et que les conditions de ce tableau soient remplies [11]. Outre les caractéristiques médicales de l’affection (le tableau peut par exemple exiger la réalisation d’un examen médical particulier [12] ou exclure des pathologies présentant des spécificités [13]). La maladie doit avoir été constatée dans un « délai de prise en charge » et résulter de l’exposition du salarié à des travaux dont la liste indicative ou limitative est également précisée par le tableau.

Ainsi, si les annonces gouvernementales devaient se concrétiser et qu’un tableau spécifique [14] était institué au bénéfice des soignants ou des professionnels des établissements de santé ou médico-sociaux, il devrait préciser :

  • la désignation exacte de la pathologie (par exemple : « affection consécutive à une contamination au virus SARS-CoV-2 ») ;
  • le délai de prise en charge (probablement aux alentours de 14 jours au regard du délai d’incubation de la pathologie) ;
  • une liste de travaux susceptibles d’entraîner la pathologie (cette liste pourrait être sensiblement identique à celle du tableau n° 45 (N° Lexbase : L3462IBT), -A-, relatif aux hépatites virales transmises par voies orales ou à celle du tableau n° 76 (N° Lexbase : L2281KQK), relatif aux affections liées aux agents infectieux ou parasitaires des milieux sanitaires ou médico-sociales).

Si un tel tableau était mis en place mais qu’un salarié ne remplissait pas toutes ses conditions, sa demande pourrait néanmoins être examinée dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance qui nécessite la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), instances médicales qui réunies trois médecins, afin de statuer sur le lien entre la pathologie et l’activité professionnelle [15]. Si ce comité reconnaissait l’existence d’un lien direct entre l’affection et l’activité professionnelle, la prise en charge serait accordée par la caisse primaire.

Enfin, si aucun tableau n’était institué, la demande pourrait également être portée devant le CRRMP [16] à condition que l’affection soit susceptible d’entraîner un taux d’incapacité permanente (IPP) prévisible de 25 % [17] ou le décès du salarié. Le comité devrait alors déterminer s’il existe un « lien direct et essentiel » entre la pathologie et l’activité professionnelle du salarié. Cette dernière voie de reconnaissance pose de nombreuses questions, notamment quant aux modalités de détermination du taux d’IPP prévisible permettant l’accès de la demande au CRRMP. En effet, la maladie liée au coronavirus peut tout aussi bien être asymptomatique que mortelle. Les médecins du service médical des caisses primaires devront ainsi évaluer au cas par cas, en fonction notamment d’un éventuel état pathologique préexistant, si l’affection est susceptible d’entraîner des séquelles permanente, voire le décès. Par ailleurs, les délais d’examen par les CRRMP étant particulièrement long, le système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles ne paraît pas véritablement adapté pour faire face aux annonces du Gouvernement. Ce dernier semble ainsi s’orienter vers la constitution d’un « comité national dédié » mis en place par décret [18].

En tout état de cause, compte tenu des enjeux que représentent la reconnaissance du covid-19 comme maladie professionnelle, les entreprises devront être particulièrement vigilantes aux informations communiquées au cours de la procédure d’instruction menées par les caisses primaires. Il sera ainsi indispensable de répondre méticuleusement au questionnaire qui leur sera adressé en décrivant notamment les tâches de travail du salarié ainsi que les mesures de prévention prises pour éviter toute contamination. On rappellera à cet égard que le délai pour retourner le questionnaire à la caisse a été porté à 40 jours au lieu de 30 [19] pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à une date qui ne pourra excéder le 10 octobre 2020 [20]. L’employeur devra en outre impérativement consulter les pièces du dossier à l’occasion de sa mise à disposition afin de prendre connaissance des informations transmises à la caisse par le salarié ou ses ayants droit, et le cas échéant, établir une lettre d’observations. Enfin, une fois la décision rendue, l’entreprise pourra légitimement s’interroger sur l’opportunité d’une éventuelle contestation au regard de la spécificité de la pathologie et du contexte de l’épidémie.

III - La contamination au covid-19 : un accident du travail ?

Au cours des dernières semaines, les entreprises ont été confrontées aux demandes de salariés ou de leur famille tendant à l’établissement d’une déclaration d’accident du travail à la suite d’une contamination au coronavirus à l’occasion du travail. Toutefois, la reconnaissance d’un accident du travail suppose l’existence d’un fait précis et soudain en lien avec le travail. En effet, la jurisprudence écarte la qualification d’accident du travail lorsqu’aucun « événement » certain n’a pu être établi à l’origine des lésions [21]. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de rejeter le caractère professionnel d’une contamination dans la mesure où le salarié n’était pas en mesure d’établir l’existence d’un « traumatisme » [22].

Par ailleurs, si la Haute juridiction a eu l’occasion d’élargir le périmètre de la qualification juridique d’accident du travail, en retenant par exemple qu’une lésion survenue en dehors du temps et du lieu du travail pouvait être prise en charge [23], elle exige néanmoins que soit établi un événement précis. Elle a ainsi accepté de reconnaître comme accident du travail la vaccination d’un salarié ayant entraîné le développement d’une maladie [24], même lorsque cette vaccination s’était déroulée en dehors du temps et du lieu du travail [25].

Dans ce contexte, si un salarié souhaite faire reconnaître une contamination au covid-19 comme accident du travail, il devra être en mesure d’établir l’existence d’un fait précis à l’origine de l’infection (par exemple, un contact étroit avec une personne infectée). Cette démonstration paraît délicate eu égard à la circulation active du virus, à moins qu’un incident particulier se soit déroulé (pour une illustration, on citera le cas d’un salarié coincé dans un ascenseur avec une collègue contaminée ; ou encore, la situation d’un soignant ayant utilisé par erreur un masque de protection souillé). Il n’est pas exclu, en outre, que le fait accidentel allégué ne soit pas la contamination du salarié mais le « choc psychologique » ressenti par l’intéressé à l’annonce d’une possible contamination.

En tout état de cause, si le salarié fait état d’une infection au travail, ou si les ayants droit d’un travailleur évoquent l’existence d’un accident, l’employeur a l’obligation d’établir une déclaration d’accident du travail, même s’il considère qu’il existe un sérieux doute quant au lien entre l’affection et le travail. A cet égard, il convient de rappeler que le délai pour établir la déclaration est habituellement de 48 heures à compter du moment où l’employeur ou son représentant a été informé de l’existence d’un fait accidentel [26]. Ce délai a toutefois été porté à 5 jours dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à une date qui ne pourra excéder le 10 octobre 2020 [27].

La déclaration d’un accident du travail n’emporte toutefois pas reconnaissance par l’employeur du caractère professionnel du fait accidentel invoqué. Il s’agit uniquement d’une obligation administrative par ailleurs lourdement sanctionnée [28]. En outre, l’entreprise peut décider d’accompagner la déclaration d’une lettre de réserves portant sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident invoqué ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail [29]. En dehors de ces deux motifs, la lettre sera écartée et la caisse primaire ne sera pas tenue de diligenter des investigations avant de prendre sa décision. A cet égard, le délai imparti à l’employeur pour émettre des réserves est de 10 jours francs [30] à compter de la déclaration d’accident du travail, porté à 12 jours en raison de l’épidémie.

Si les réserves sont suffisamment motivées ou si la caisse primaire l’estime nécessaire, un questionnaire sera adressé aux parties qui disposeront d’un délai de 20 jours [31] pour y répondre (30 jours actuellement). L’employeur devra ensuite impérativement consulter le dossier mis à sa disposition par la caisse pour prendre connaissance des informations communiquées par le salarié et, le cas échéant, établir une lettre d’observations pour faire part de ses doutes quant à la possibilité d’une contamination au temps et au lieu du travail.

Ainsi, la reconnaissance d’une infection au covid-19 comme accident du travail ne semble pas acquise et n’a rien d’automatique. Les salariés auront donc davantage intérêt à emprunter la procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle, a fortiori si celle-ci est aménagée par les pouvoirs publics pour tenir compte des spécificités de l’épidémie actuelle. De leur côté, les entreprises devront intégrer à leur politique de prévention, les risques liés au coronavirus en veillant à la mise à jour de leur document unique d’évaluation des risques, à la mise en place de mesures de protection collectives et individuelles et à l’information des salariés et de leurs représentants, ainsi que le rappellent régulièrement les juges du fond [32]. A cet égard, l’inscription du SARS-CoV-2 sur la liste des agents biologiques pathogènes de risque 3 [33] par une directive européenne [34] ne peut que conforter l’idée selon laquelle le coronavirus fait désormais partie du quotidien des entreprises.

ACTUALISATION 

Un projet de décret diffusé le 3 juillet 2020 prévoit les modalités de reconnaissance des affections liées au covid-19 comme maladie professionnelle. Un tableau n°100 relatifs aux « affections respiratoires aigües liées à une infection au SARS-CoV2 » seraient ainsi créé. Ce tableau fixerait les conditions de reconnaissance suivantes :

  • Conditions médicales liées à la désignation de l’affection : La pathologie doit être confirmée par examen biologique ou scanner ou, en leur absence, par une histoire clinique documentée (compte-rendu d’hospitalisation, documents médicaux). En outre, le tableau indique que le traitement de l’affection doit avoir requis une oxygénothérapie, attestée par des compte-rendus médicaux, à moins que l’affection ait entraîné le décès de l’assuré.
  • Délai de prise en charge : Le tableau mentionnerait un délai de prise en charge de 14 jours, qui correspond au délai d’incubation de la maladie.
  • Travaux susceptibles de provoquer la maladie : La liste limitative des travaux susceptibles de provoquer l’affection comprendrait principalement les travaux accomplis en présentiel par le personnel de soins et assimilés, de laboratoire, de service, d’entretien, administratif ou de services sociaux, en milieu d’hospitalisation à domicile ou au sein des établissements et services hospitaliers et médico-sociaux ; les activités de soins et de prévention auprès des élèves et étudiants des établissements d’enseignement ; les activités de transport et d’accompagnement des malades, dans des véhicules affectés à cet usage.

Le projet de décret crée en outre un « comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles unique », comprenant deux médecins, chargé d’instruire les demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liée à une contamination au SRAS-CoV2 des assurés qui ne seraient pas visés par le tableau n°100 ou qui ne rempliraient pas les conditions fixées par ce tableau.

Le texte ne comporte en revanche aucune indication relative à une mutualisation des coûts afférents à la prise en charge des affections liées à l’épidémie de covid-19, qui permettrait d’éviter aux entreprises de supporter des hausses de leur taux de cotisations AT-MP.

 

[1] La législation sur les maladies professionnelles a été instituée par la loi du 25 octobre 1919, près de vingt ans après le compromis historique introduit par la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail.

[2] Voir en ce sens : Cass. soc., 8 juin 2000, n° 98-17.701, inédit (N° Lexbase : A6975AHS).

[3] Ni l’article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), ni son décret d’application n° 2019-122 du 21 février 2019 (N° Lexbase : L3716LPC) n’ont fait l’objet d’un quelconque aménagement.

[4] A l’heure où nous écrivons ces lignes, le secrétaire d’Etat chargé de la protection de la santé des salariés contre l’épidémie de Covid-19, Laurent Pietraszewski, a annoncé la création par décret d’un « comité national » dédié au traitement des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle en lien avec l’épidémie de covid-19, ainsi que la mise en place d’un « tableau de maladies professionnelles » permettant notamment aux salariés des établissements sanitaires et médico-sociaux infectés d’être pris en charge.

[5] CSS, art. L. 431-1, 1° (N° Lexbase : L8044LGZ).

[6] CSS, art. L. 431-1, 2°.

[7] CSS, art. L. 431-1, 3° et 4°.

[8] Il convient de rappeler que la reconnaissance d’une faute inexcusable n’est pas subordonnée à la déclaration préalable de l’accident ou de la maladie auprès de la caisse primaire d’assurance maladie (Cass. civ. 2, 23 janvier 2020, n° 18-19.080, F-P N° Lexbase : A59583CN).

[9] CSS, art. D. 242-6-2 (N° Lexbase : L5526LEE) et s..

[10] CSS, art. D. 242-6-6 (N° Lexbase : L8929INZ).

[11] CSS, art. L. 461-1, al. 1 à 5 (N° Lexbase : L8868LHW).

[12] Par exemple, le tableau n° 57 (N° Lexbase : L4532LEL) A des maladies professionnelles subordonne la reconnaissance de la tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs à la réalisation d’une IRM permettant d’objectiver l’affection ou, en cas de contre-indication à l’IRM, à la réalisation d’un arthroscanner.

[13] Par exemple, le même tableau n° 57 A exclut expressément les pathologies calcifiantes du champ des maladies professionnelles.

[14] Dans un communiqué du 3 avril 2020, l’Académie nationale de Médecine s’est déclaré favorable à la mise en place d’un tableau spécifique sur le modèle des tableaux n°s 45 (hépatites), 56 (N° Lexbase : L3505IBG, rage), 76 (agents infectieux ou parasitaires des milieux sanitaires ou médico-sociales) ou encore 80 (N° Lexbase : L4001IBS, kératoconjonctivies).

[15] CSS, art. L. 461-1, al. 6.

[16] CSS, art. L. 461-1, al. 7.

[17] CSS, art. R. 461-8, modifié par le décret n° 2002-543 du 18 avril 2002 (N° Lexbase : L3060AZD) ; initialement, cette condition avait été fixée à 66,66 % d’incapacité permanente partielle par le décret n° 93-692 du 27 mars 1993 (N° Lexbase : L1447KMK).

[18] Voir la note n° 4.

[19] CSS, art. R. 461-9 (N° Lexbase : L0584LQP).

[20] Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 (N° Lexbase : L7287LWS). 

[21] Voir par exemple : Cass. civ. 2, 18 juin 2015, n° 14-17.691, F-D (N° Lexbase : A5126NLG) (« qu’en se déterminant ainsi, sans caractériser la survenance d’un événement soudain aux temps et lieu de travail au sens [de l’article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale], la cour d’appel a privé sa décision de base légale »).

[22] Cass. soc., 21 mars 1969, n° 66-11.181 ([LXB=A1181ABD ]) : la Cour de cassation rejette le caractère professionnel de la contamination d’un médecin à la poliomyélite aux motifs, d’une part que cette pathologie n’est pas inscrite aux tableaux de maladies professionnelles, et, d’autre part que « la simple contagion ne peut être assimilée à un traumatisme ». Voir également en ce sens : Cass. soc., 17 novembre 1971, n° 70-13.709 (N° Lexbase : A3368ABD).

[23] Voir par exemple : Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-13.771, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2849DU3), dans lequel la Cour de cassation qualifie la tentative de suicide d’un salarié d’accident du travail alors que ce dernier se trouvait à son domicile. Voir également en ce sens : Cass. civ. 2, 24 janvier 2019, n° 17-31.282, F-D (N° Lexbase : A3069YU9).

[24] Cass. soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, publié (N° Lexbase : A6375A7A).

[25] Cass. civ. 2, 25 mai 2004, n° 02-30.981, publié (N° Lexbase : A2759DC8).

[26] CSS, art. R. 441-3 (N° Lexbase : L0580LQK).

[27] Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 (N° Lexbase : L7287LWS).

[28] L’absence de déclaration peut donner lieu à une pénalité financière égale au maximum à une fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale (CSS, art. R. 147-7 N° Lexbase : L8683I84), à une demande de la caisse primaire de rembourser le montant des prestations versées (CSS, art. L. 471-1 N° Lexbase : L0610LCL), enfin, à une contravention de 4ème classe (CSS, art. R. 471-3 N° Lexbase : L7338AD7).

[29] Pour une illustration : Cass. civ. 2, 24 mai 2017, n° 16-14.910, F-D (N° Lexbase : A0998WEP).

[30] CSS, art. R. 441-6 (N° Lexbase : L0570LQ8).

[31] CSS, art. R. 441-8 (N° Lexbase : L0574LQC).

[32] Voir en ce sens l’arrêt rendu le 24 avril 2020 par la cour d’appel de Versailles dans l’affaire « Amazon » (CA Versailles, 24 avril 2020, n° 20/01993 N° Lexbase : A99883K7).

[33] Le groupe 3 comprend les agents biologiques pouvant provoquer une maladie grave chez l’homme et constituer un danger sérieux pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est possible, mais il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace.

[34] Directive (UE) 2020/739 du 3 juin 2020 (N° Lexbase : L2801LXZ) modifiant l’annexe III de la Directive 2000/54/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l’inscription du SARS-CoV-2 sur la liste des agents biologiques connus pour provoquer des maladies infectieuses chez l’homme et modifiant la directive (UE) 2019/1833 de la Commission.

newsid:473951

Distribution

[Jurisprudence] La Cour de justice de l’Union européenne bouleverse le statut des agents commerciaux

Réf. : CJUE, 4 juin 2020, aff. C-828/18 (N° Lexbase : A81253MU)

Lecture: 14 min

N3949BYW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473949
Copier

par Nicolas Eréséo, Maître de conférences - HDR à l’Université de Strasbourg

Le 01 Juillet 2020


Mots-clés : distribution • agent commercial • notion de négociation • pouvoir de modifier les prix (non) • rupture des relations • indemnisation • 

Résumé : la Cour de justice de l’Union européenne estime qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial et invite la Cour de cassation à revoir sa jurisprudence.


Codifiée aux articles L. 134-1 (N° Lexbase : L5649AI3) et suivants du Code de commerce, la Directive européenne de 1986 fixe un statut harmonisé et protecteur au bénéfice de certains distributeurs qu’elle qualifie d’agents commerciaux [1]. Sont concernés les distributeurs agissant comme intermédiaires au profit d’un fournisseur à l’exclusion de ceux qui achètent et revendent des marchandises pour leur propre compte (franchisés, concessionnaires, etc.). Sont également exclus les distributeurs agissant comme intermédiaires mais en étant subordonnés au fournisseur tels que les représentants de commerce salariés ou les voyageurs, représentants, placiers (VRP) [2].  

Dans le cadre ainsi tracé, qui renvoie pour l’essentiel à la catégorie des mandataires professionnels, le champ d’application du statut des agents commerciaux est toujours demeuré incertain, au moins en France, et variable d’un État membre à un autre [3] compte tenu de la définition imprécise donnée par la Directive et des divergences d’interprétation qu’elle suscite d’un juge à l’autre, parfois au sein d’un même État.

En effet, l’article 1er § 2 de la Directive définit l’agent commercial comme « celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée "commettant", soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant ». En France, le Code de commerce reprend une définition similaire en disposant que « l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats […] au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux »  [4].

Il en ressort que l’agent est celui qui est investi d’un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte du fournisseur mais ni la Directive, ni le Code de commerce ne définissent le terme « négocier ».

Les enjeux sont pourtant extrêmement forts. En effet, lorsque le statut s’applique, l’agent jouit d’un régime très protecteur lors de la rupture de la relation qui contraint le fournisseur à verser une lourde indemnité ou à justifier sa décision par des circonstances exceptionnelles limitativement énumérées [5].

Compte tenu de ces enjeux, il était nécessaire de mettre un terme aux incertitudes en donnant une définition précise et uniformément applicable dans tous les États membres. C’est ce que vient de faire la Cour de justice par un arrêt du 4 juin 2020 appelé à faire date [6]. En réponse à une question préjudicielle, elle s’est enfin prononcée sur la notion de négociation, parachevant l’effort d’harmonisation qui avait été amorcé dès 1986 (I).

Cependant, une question demeure en suspens. L’agent est celui qui négocie des contrats pour le compte d’un fournisseur au sens que la Cour vient de nous indiquer mais doit-il également avoir le pouvoir de les conclure, c’est-à-dire d’engager juridiquement le fournisseur ? La Cour n’a pas répondu expressément à cette question mais la motivation retenue dans l’arrêt nous permettra peut-être de le faire à sa place (II).

I. Pouvoir de négocier des contrats et statut des agents commerciaux

L’agent doit avoir le pouvoir de négocier des contrats pour le compte du fournisseur mais que recouvre exactement le terme « négocier » ?

En doctrine, deux acceptions principales ont vite été dégagées. Suivant la première, la plus stricte, la négociation implique nécessairement le pouvoir de modifier les termes du contrat proposé à la clientèle. En conséquence, lorsque le distributeur propose aux clients des formules contractuelles établies en amont par le fournisseur et intangibles, c’est-à-dire non modifiables, le statut d’agent commercial ne saurait s’appliquer.

Suivant la seconde acception, la plus large, la négociation suppose simplement d’essayer de convaincre la clientèle d’accepter le contrat tel qu’il est proposé par le fournisseur sans nécessairement avoir le pouvoir de le modifier [7].

En France, c’est l’acception la plus stricte qui est retenue par la jurisprudence dominante. En effet, la Cour de cassation estime que le statut ne s’applique pas lorsque le distributeur est privé de la possibilité de modifier les conditions et tarifs du fournisseur [8] et donc lorsqu’il s’apparente à un simple « tuyau dans la force de vente » de ce fournisseur. Cette expression péjorative employée par un auteur [9] révèle bien, en creux, la noblesse qui doit caractériser l’activité d’un véritable agent. N’est pas un agent celui qui propose des contrats qui sont « à prendre ou à laisser » et donc de vulgaires contrats d’adhésion au sens de l’article 1110 du Code civil (N° Lexbase : L1974LKC). Seuls méritent le statut ceux qui mènent de véritables négociations et donc concluent des contrats de gré à gré au sens du même texte.

Cependant, certains juges du fond ne l’entendent pas de cette oreille et retiennent une acception plus large. Ainsi, une formation au moins de la cour d’appel de Paris a pu juger que « la négociation ne s’entend pas du seul pouvoir de fixer ou modifier le prix des produits arrêté par le mandant sans l’accord préalable de ce dernier mais de l’ensemble des actions à mener pour l’obtention de commandes » [10]. Un autre arrêt a également retenu que « le pouvoir de négocier les contrats ne se réduit pas à celui de fixer le prix des marchandises ou services, lequel dépend de la politique commerciale adoptée par le mandant à laquelle l’agent doit se conformer »[11].

Cette position plus souple et plus généreuse pour les distributeurs reflète d’ailleurs les choix terminologiques faits pour certaines versions linguistiques de la Directive. Ainsi, les versions allemande et polonaise utilisent des termes très accueillants pouvant être traduits par « servir d’intermédiaire » et qui n’appellent, en eux-mêmes, aucune prise en considération des pouvoirs de modification du contrat [12].  

Dans ce contexte, il était nécessaire d’interroger la Cour de justice et le mérite en revient au tribunal de commerce de Paris qui a su braver les réticences de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation [13]. Saisi d’un litige dans le détail duquel il est inutile de revenir, il a posé à la Cour la question préjudicielle suivante : « L’article 1er, paragraphe 2, de la Directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 sur le statut des agents commerciaux, doit-il être interprété comme signifiant qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuelles des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier lesdits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la Directive ? » [14].

En réponse, la Cour remarque que la Directive n’opère aucun renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la signification de la notion de négociation, celle-ci devant alors être considérée comme « une notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière »[15].

Or, le sens des termes que le droit de l’Union ne définit pas doit être établi conformément « au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ».

Constatant que le sens usuel ne renvoie pas nécessairement à la possibilité de modifier les prix, la Cour s’est appuyée sur le contexte de la Directive pour relever, d’une part, que le mandant peut avoir intérêt à fixer les prix pour « des raisons de politique commerciale, laquelle requiert la prise en compte de facteurs tels que la position d’une entreprise sur le marché, les prix pratiqués par les concurrents et la pérennité de cette entreprise » et, d’autre part, que l’agent a pour tâche de développer les clients existants du commettant et d’en apporter de nouveaux ; tâches pouvant être assurées « au moyen d’actions d’information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l’opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, sans que l’agent commercial dispose de la faculté de modifier les prix ».

Surtout, la Cour s’est attachée aux objectifs de la Directive consistant notamment « à protéger les agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants ». Or, retenir une interprétation restrictive de la notion de négociation permettrait aux commettants d’éluder le régime protecteur impératif en stipulant que l’agent est privé de la possibilité de modifier les prix.

La Cour en conclut que la Directive de 1986 « doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».

La démonstration est convaincante, au moins dans sa partie relative aux objectifs de la Directive [16]. On ajoutera que la finalité du statut est d’indemniser l’agent lors de la rupture de la relation, soit pour son apport de clientèle, soit pour réparer le préjudice que lui cause la perte pour l’avenir du flux de commissions qui était attaché à son activité [17]. Or, dans les deux cas, les pouvoirs de modification des tarifs apparaissent indifférents, l’apport de clientèle pouvant exister en présence comme en l’absence de tels pouvoirs, de même que le préjudice causé par la rupture, dès lors que le succès de l’agent durant l’exécution du contrat peut passer par d’autres leviers que le prix (ce que la Cour relève très bien sans toutefois se référer à l’indemnisation).

Il demeure que la Cour n’a pas complètement répondu à la question posée par le tribunal. Celui-ci se demandait si un agent devait avoir la possibilité de modifier les tarifs et conditions contractuelles pour mériter son statut et la Cour n’a abordé que la question des tarifs [18].

Il est certes acquis qu’un agent n’a pas à disposer d’un pouvoir de discussion des prix mais doit-il au moins pouvoir discuter les autres conditions contractuelles, comme par exemple celles relatives aux délais de paiement, aux modalités de livraison ou de garantie ? Et s’il est exigé que l’agent puisse modifier ces autres conditions, faudra-t-il qu’il soit investi d’un pouvoir général ou peut-on se contenter d’un pouvoir plus limité, c’est-à-dire portant sur quelques clauses seulement ?

Fort heureusement, la motivation retenue par la Cour permettra sans doute d’éviter d’interminables débats et un contentieux inutile. En effet, tous les arguments qu’elle a retenus au sujet du pouvoir de modifier les prix peuvent parfaitement être transposés au pouvoir de modifier les autres conditions contractuelles. En particulier, s’il est nécessaire de retenir une définition large de la notion de négociation afin de satisfaire l’objectif de protection des agents, il faut en conclure que ceux-ci ne doivent pas nécessairement être investis du pouvoir de modifier les autres conditions contractuelles pour que le statut s’applique.

En définitive, même lorsque le distributeur n’a absolument aucune prise sur les conditions contractuelles et s’apparente à un simple « tuyau dans la force de vente du fournisseur », il peut revendiquer le statut des agents commerciaux. 

II. Pouvoir de conclure des contrats et statut des agents commerciaux

Une autre question, centrale en droit français, a été laissée en suspens par la Cour de justice de l’Union européenne.

Elle concerne la possibilité qui doit être laissée ou non au distributeur d’engager le fournisseur, c’est-à-dire de conclure le contrat au nom et pour le compte de celui-ci.

L’article L. 134-1 énonce certes que l’agent est celui qui a le pouvoir « de négocier et, éventuellement, de conclure » de sorte que le pouvoir de conclusion, présenté comme une simple éventualité, n’apparaît pas comme une condition d’application du statut. Par ailleurs, la Directive est plus nette encore en prévoyant une alternative : soit l’agent a un pouvoir de négocier, soit il a un pouvoir de négocier et de conclure, ce dernier apparaissant tout aussi secondaire qu’en droit interne.

Cependant, en dépit de ces dispositions, on ne peut plus claires, la jurisprudence française est incertaine. Certains arrêts tiennent le pouvoir de conclure pour indifférent [19] mais la jurisprudence dominante semble en faire une condition d’application du statut. Plus précisément, de ce que le pouvoir de conclure est présenté par la disposition interne comme une éventualité, ces arrêts en déduisent que si l’agent ne doit pas nécessairement avoir un pouvoir permanent de conclure, il doit éventuellement pouvoir le faire, c’est-à-dire occasionnellement et dans certaines circonstances. En conséquence, lorsqu’une clause du contrat prive en toutes circonstances le distributeur du pouvoir de conclure, les juges en déduisent qu’il n’est pas un agent commercial [20].

La Cour de justice n’était pas interrogée sur cette question mais, là-encore, la motivation retenue pour le pouvoir de négocier est parfaitement transposable au pouvoir de conclure. En effet, l’agent peut accomplir les tâches qui sont les siennes en étant privé d’un tel pouvoir, pourvu que le fournisseur ne refuse pas systématiquement les commandes qui lui sont transmises [21]. Surtout, du point de vue des objectifs de la Directive, il est nécessaire d’éviter les manœuvres permettant d’éluder aisément le statut. Or, les clauses par lesquelles le fournisseur se réserve le droit d’agréer le client ou de valider les commandes transmises par l’agent sont courantes en pratique. Si elles devaient permettre l’éviction du statut, l’objectif de protection des agents poursuivi par la Directive de 1986 serait compromis. Au fond, les raisons qui poussent à interpréter largement le terme « négocier », invitent à interpréter strictement le terme « éventuellement », c’est-à-dire comme renvoyant à une condition totalement indifférente. Au demeurant, la Directive est sans appel sur ce point en distinguant clairement le cas dans lequel l’agent a un pouvoir de négocier et de conclure du cas dans lequel il n’a qu’un pouvoir de négocier, pour bien souligner que le statut s’applique indifféremment aux deux hypothèses.  

En conséquence, sur la signification du terme « négocier » comme sur l’exigence d’un pouvoir de conclure, la jurisprudence française devra évoluer en s’alignant sur les solutions retenues par la Cour de justice.

Sur le fond, il en découlera un élargissement considérable du champ d’application du statut des agents et, corrélativement, un empiétement prévisible sur les statuts offerts aux autres intermédiaires de la distribution. Par exemple, le fait pour l’agent de pouvoir dorénavant être soumis aux conditions et tarifs du fournisseur le rapprochera nécessairement de la catégorie des VRP [22], de celle des gérants de succursale [23] et de celle des gérants mandataires de fonds de commerce [24]. En parallèle, le fait pour l’agent de pouvoir être privé de tout pouvoir de conclure le contrat le rapprochera du courtier [25].

Inévitablement, les frontières entre ces statuts devraient bouger et parfois se confondre si bien que certains d’entre eux pourraient se marginaliser voire disparaître [26].

Sur le plan pratique, les conséquences de l’arrêt rendu par la Cour de justice ne seront pas moins importantes. Les clauses – très courantes voire de style – ayant pour objet ou pour effet de priver le distributeur du pouvoir d’accorder des remises ou d’engager le fournisseur ne suffiront plus à écarter le statut. De très nombreux contrats en cours qui, du point de vue du droit positif, n’étaient pas des contrats d’agence commerciale, viennent subitement de changer de qualification, au mépris des prévisions des parties et en particulier celles du fournisseur. En conséquence de l’arrêt rendu par la Cour de justice, ces contrats devront être mis en conformité et rompus en suivant les règles découlant du statut des agents commerciaux.

L’effet dévastateur des revirements de jurisprudence n’est plus à démontrer mais les professionnels du droit peuvent toujours en anticiper la survenance ou, à défaut, en amortir les impacts.

 

[1] Directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (N° Lexbase : L9726AUR).

[2] Ces derniers n’étant pas véritablement subordonnés juridiquement au fournisseur (C. trav., art. L. 7311-1 N° Lexbase : L3419H9I et s.)

[3] L. Vogel (dir.), Les agents commerciaux en Europe, Echec de l’harmonisation ?, éd. Panthéon-Assas, 2012.

[4] C. com., art. L. 134-1 (N° Lexbase : L5649AI3).

[5] C. com., art. L. 134-12 (N° Lexbase : L5660AIH) et L. 134-13 (N° Lexbase : L5661AII).

[6] V., Lettre distrib., juin 2020, p. 1, obs. S. Bréna.

[7] D. et N. Ferrier, Droit de la distribution, LexisNexis 8ème éd., 2017, n° 193, qui évoquent également une troisième acception intermédiaire : celle où l’agent propose plusieurs offres certes préétablies par le fournisseur mais entre lesquelles une discussion pourrait s’engager.

[8] Cass. com., 15 janvier 2008, n° 06-14.698, FS-P+B (N° Lexbase : A7597D3R), Bull. civ. IV, n° 4 ; JCP G, 2008, II, 10105, note N. Dissaux ; Contrats, conc. consom., 2008, n° 68, obs. N. Mathey ; Cass. com. 27 avril 2011, n° 10-14.851, F-P+B (N° Lexbase : A5268HPS), Bull. civ. IV, n° 58 ; Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-24.231, F-D (N° Lexbase : A2667NAZ), Concurrences, 2-2015, p. 105, obs. D. Ferré ; Cass. com., 10 octobre 2018, n° 17-17.290, F-D (N° Lexbase : A3210YGY).

[9] Ph. Stoffel-Munck, note sous CA Paris, 5ème ch., sect. B, 23 février 2006, n° 03/21319 (N° Lexbase : A3906DQQ), JCP G, n° 26, 28 juin 2006, II 10108.

[10] CA Paris, Pôle 5, 10ème ch., 3 février 2020, n° 16/19962 (N° Lexbase : A20463D7).

[11] CA Rennes, 26 février 2013, n° 12/00480 (N° Lexbase : A5691I8B).

[12] Voir le point n° 27 de la décision sous commentaire.

[13] CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 janvier 2017, n° 15/04995 (N° Lexbase : A2367TAW), refusant la transmission d’une question préjudicielle et, sur pourvoi, Cass. com., 10 oct. 2018, n° 17-17.290, F-D (N° Lexbase : A3210YGY), soulignant que la saisine de la CJUE n’était pas obligatoire.

[14] T. com. Paris, 19 décembre 2018, aff. n° 2017015204 (N° Lexbase : A4470YZL).

[15] Point 25 renvoyant à CJUE, 19 décembre. 2019, aff. C‑523/18 (N° Lexbase : A4758Z8Q), point 34.

[16] Les autres arguments sont plus discutables ; v. en ce sens N. Ferrier, Concurrences, 2020 n° 2, obs. à paraître, qui ne cerne pas « en quoi la légitimité d’une imposition par le mandant des conditions tarifaires pratiquées par l’agent justifie que l’on retienne une conception large du pouvoir de négocier ».

[17] Directive n° 86/653/CEE, art. 17, § 2 et 3.

[18] V. égal. en ce sens N. Ferrier, Concurrences 2020 n° 2, obs. préc.

[19] CA Bourges, 14 mars 2014, n° 13/01121 (N° Lexbase : A8467MGP) ; CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 3 octobre 2019, n° 17/01356 (N° Lexbase : A3883ZQU).

[20] Cass. com., 20 mai 2008, deux arrêts, n° 07-13.488, F-D (N° Lexbase : A7085D8W) et n° 07-12.234, F-D (N° Lexbase : A7063D84) : CA Paris, 5ème ch., sect. B, 27 septembre 2007, n° 03/11231 (N° Lexbase : A3398DZU), Contrats, conc. consom., 02/2008, n° 41, obs. N. Mathey ; CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 28 février 2013, n° 11/07982 (N° Lexbase : A7678I8U).

[21] Ce qui traduirait sans doute une violation du devoir de loyauté et de l’obligation de « mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat » (C. com., art. L. 134-4 N° Lexbase : L5652AI8). 

[22] Sur cette distinction, v. N. Dissaux, J. Cl. Commercial, fasc. 324, « Agents commerciaux », § 9 qui relève que le critère de la subordination juridique ne permet pas de distinguer les agents des VRP et propose de s’appuyer sur la possibilité laissée aux premiers (et non aux seconds) d’organiser leur entreprise (en recrutant du personnel notamment) et de la céder.  

[23] C. trav., art. L. 7321-2 (N° Lexbase : L1885IEK) et s., où l’on constate que le gérant, comme l’agent aujourd’hui, n’a pas le pouvoir de modifier les prix puisqu’ils sont fixés par le fournisseur.

[24] C. com., art. L. 146-1 (N° Lexbase : L8596LQG) et s.. V. N. Ferrier, J. Cl. Commercial, fasc. 323, « Gérance-mandat », § 6 qui estime que la distinction des gérants-mandataires et des agents commerciaux « devient délicate, voire impossible » lorsque la notion de négociation au sens de la jurisprudence française ne permet pas de les départager. Maintenant qu’elle a vocation à être abandonnée, la porosité entre les deux statuts devrait être plus marquée encore.

[25] Comme le relève N. Dissaux, J. Cl. Commercial, fasc. 324, « Agent commercial », § 10 : « l'agent commercial ne se distingue pas aisément du courtage. Sauf lorsque le courtier agit à titre ponctuel ou lorsque l'agent se trouve investi du pouvoir de conclure un acte juridique pour le compte de son donneur d'ordres ». Or, cette possibilité ne pourra plus être caractéristique du statut des agents commerciaux.

[26] Nous songeons au statut prétorien offert aux mandataires d’intérêt commun que le statut des agents commerciaux avait déjà marginalisé et qui n’aura plus d’espace dans lequel s’inscrire.

newsid:473949

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L’exonération de retenue à la source sur dividendes versés aux sociétés mères européennes est conditionnée par la qualité de bénéficiaire effectif de ces dernières

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 5 juin 2020, n° 423809, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A06633NU)

Lecture: 13 min

N3924BYY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473924
Copier

par Fleur Chidaine, Avocate au Barreau de Saint-Denis, La Réunion, Séraphin et associés

Le 17 Juillet 2020

Par décision du 5 juin dernier, le Conseil d’État est venu rappeler que la société mère européenne bénéficiaire de dividendes qui souhaite appliquer l’exonération prévue par l’article 119 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L3837KWZ) doit justifier être le bénéficiaire effectif desdits dividendes. 

L’article 119 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L3837KWZ) prévoit que les dividendes distribués par une société française à une société mère ayant son siège dans un Etat de l’Espace Économique Européen sont sous certaines conditions exonérés de retenue à la source. Des conditions spécifiques sont prévues pour les sociétés mère ne pouvant imputer la retenue à la source dans leur état de résidence et par les Conventions fiscales internationales.

Cette exonération légale prend sa source dans la Directive 90/435/CEE, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mère et filles d’États membres (N° Lexbase : L7669AUL) ayant mené les États membres à instaurer une exonération de retenue à la source à compter du 1er janvier 1992 des bénéfices distribués par une société filiale résidente de ces États à une société mère résidente d’un autre de ces États. Cette Directive a, en ce qui concerne l’État français, en partie été codifiée à l’article 119 ter du Code Général des Impôts par la loi de finances rectificative pour 1991 (loi n° 91-1323 du 30 décembre 1991, de finances rectificative pour 1991 N° Lexbase : L5158IQ4). La Directive précitée ayant été refondue et le régime fiscal concerné repris par la Directive 2015/121 du 27 janvier 2015 (N° Lexbase : L6405I7D), l’article 119 ter du Code général des impôts a été modifié par l’article 29 de la loi 2015-1786 du 29 décembre 2015 (N° Lexbase : L1131KWS), lequel prévoit à ce jour que la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis n’est pas applicable lorsque la personne morale bénéficiaire :

- justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes ; et

- remplit les conditions suivantes :

  • elle a son siège de direction effective dans un État membre de l’Union Européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ;
  • elle revêt la forme d’une société de capitaux ;
  • elle détient directement, de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus et en pleine propriété ou en nue-propriété, 10 % au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l'engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins ;
  • elle est passible de l’impôt sur les sociétés sans possibilité d’option et sans en être exonérée.

Les faits au cas d’espèce concernaient la première des conditions listées ci-avant, savoir la justification par la société bénéficiaire du versement des dividendes de sa qualité de bénéficiaire effectif.

La société Atlantique Négoce, société de droit français ayant pour activité le négoce de ciment a versé en 2007 des dividendes au bénéfice de sa société mère, la société de droit luxembourgeois Enka, sur un compte bancaire ouvert dans un établissement bancaire localisé en Suisse.

Suite à une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, l’administration fiscale, après avoir relevé que la société déclarait avoir versé au cours de l’année 2007 des dividendes à sa société mère, a mis à sa charge une retenue à la source au taux de 25 % en application de l’article 119 bis du Code général des impôts dans sa rédaction applicable à l’époque. Elle considérait notamment que la distribution de dividendes de la société Atlantique Negoce au profit de la société suisse Campsores Holding SA par l'intermédiaire de la société luxembourgeoise Enka avait pour principal objet de faire échapper cette distribution à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, grâce à l'interposition des sociétés luxembourgeoise Enka, dépourvue de locaux et de personnel, et chypriote Waverley Star Investments Limited, dont il n'était pas démontré qu'elles poursuivaient une activité économique réelle et qui était partant constitutive d'un montage artificiel visant à masquer le véritable bénéficiaire des distributions.

Le schéma pouvait être résumé comme suit :

 

Le Conseil d’État rappelle dans la présente décision les termes de la Directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, telle que modifiée par la Directive 2003/123/CE du Conseil du 22 décembre 2003 (N° Lexbase : L1808DNB) en vertu desquels « les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ». L’article 119 ter du Code général des impôts tel que pris pour la transposition de la Directive 90/435/CEE dans sa rédaction applicable au litige prévoyait que « pour bénéficier de l’exonération […] la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu’elle remplit les conditions [listés dans la suite de l’article] ». La société bénéficiaire doit en effet, outre cette première condition, justifier :

  • avoir son siège de direction effective dans un État membre de la Communauté Européenne,
  • revêtir la forme d’une société de capitaux,
  • détenir directement, de façon ininterrompu depuis deux ans ou plus 25 % au moins du capital (dans la rédaction de l’article en vigueur lors du litige) de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l’engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins ; et
  • être passible dans l’État membre où elle a son siège de direction effective de l’impôt sur les société dans cet État sans possibilité d’option et sans en être exonéré.

Le Conseil d’État rappelle enfin la teneur de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 26 février 2019 « Skatterministeriet contre T Danmark et Y Denmarks Aps »[1] qui avait souligné que les mécanismes de la Directive 90/435/CEE « en particulier son article 5, sont conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition […]. De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’Etat membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que les ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union ».

Le Conseil d’État conclu sans surprise de l’ensemble de ces dispositions légales et jurisprudentielles que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes doit être regardée comme « une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 5 de la Directive ». Il répond ainsi au premier des moyens des filiales françaises qui soutenaient que « les dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts portent atteinte à la liberté d'établissement prévue par le traité instituant la Communauté européenne » et précise que la cour d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que les sociétés requérantes n’étaient pas fondées à soutenir que les dispositions du 2 de l’article 119 ter du Code général des impôts, en ce qu’elles subordonnent le bénéfice de l’exonération à la condition que la personne morale justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement des dividendes qu’elle en est le bénéficiaire effectif, seraient incompatibles avec les objectifs de la directive.

En effet au cas présent, et au regard des objectifs précités de la directive parmi lesquels se situe toute exclusion du bénéfice du dispositif concernant les versements de dividendes au profit de sociétés ayant leur résidence fiscale hors de l’Union, l’administration fiscale se fondait sur les dispositions du 3 de l'article 119 ter du Code général des impôts pour remettre en cause l'exonération de la retenue à la source sur les dividendes litigieux et considérait que l'interposition de la société Enka SA entre les filiales françaises et la société mère de droit suisse avait eu comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de bénéficier de l'exonération de retenue à la source prévue par l'article 119 ter du Code général des impôts.

Sur ce fondement, l’administration fiscale demandait aux requérantes de justifier de la qualité de bénéficiaire effectif de la société Enka à qui ces dernières avaient déclaré verser les dividendes litigieux. Au cas d’espèce, le Conseil d’État a jugé que l’administration fiscale avait à bon droit retenu « au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu’aucune des pièces produites par les requérantes n’était de nature à établir que cette société avait appréhendé les dividendes litigieux versés en 2007 » et n’avait en cela (i) ni méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, (ii) ni commis d’erreur de droit. La société n’était notamment pas en mesure de fournir un relevé d’identité bancaire établissant qu’elle était bien la titulaire du compte bancaire ouvert en Suisse sur lequel les dividendes avaient été versés.

A noter que les juges de la cour administrative d’appel avaient considéré que la société requérante ne justifiait pas que la chaîne de participations remontant à la société suisse Campsores Holding n'avait pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux celui de bénéficier des dispositions du 1 de l'article 119 ter du Code général des impôts et que, dès lors, c'était à bon droit que l'administration avait fait application du 3 de cet article, en mettant à la charge de la société Atlantique Négoce une retenue à la source sur le montant des dividendes versés à sa société mère de droit luxembourgeois Enka au titre de l'année en litige. Il avait également été jugé que la circonstance que la société Enka remplissait les conditions prévues par les 1 et 2 de l'article 119 ter du Code général des impôts, pour bénéficier de l'exonération, à la supposer établie, était sans incidence sur le bien-fondé de l'imposition dès lors que l’objet principal ou l’un des objets principaux de l’opération se trouvait être de bénéficier de l’exonération.

Sur la question de la charge de la preuve, le Conseil d’État tranche également le débat porté devant lui par les parties et rappelle le principe selon lequel « sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l’impôt, au vu de l’instruction et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention d’une des partie à produire des éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter et qui ne sauraient être réclamés qu’à elle-même, d’apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l’assujettissement à l’impôt ou, le cas échéant, s’il remplit les conditions légales d’une exonération ».

Quel impact dans ma pratique ? le principe édicté par le 2 de l’article 119 ter en vertu duquel la société bénéficiaire doit être en mesure, pour bénéficier de l’exonération sur la perception des dividendes, de justifier de la qualité de bénéficiaire effectif, est formalisé par la documentation administrative BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40 n° 120 qui prévoit que les « sociétés ou autres organismes établis en France qui effectuent des distributions en dispense de retenue à la source doivent, sur demande, produire une attestation de l’entité bénéficiaire des revenus en cause. Par ce document, établi sur papier libre, la société mère étrangère doit attester qu’elle respecte l’ensemble des conditions requises pour l’application du dispositif ». Or, cette même documentation prévoit que cette attestation doit pouvoir être étayée, sur demande de l’administration, par la fourniture de pièces justificatives par l’entité distributrice. L’ensemble de ces dispositions reste couvert par le 3 de l’article 119 ter suppléé de cette documentation administrative qui rappelle que « les sociétés concernées doivent être en mesure de montrer qu’elles n’ont pas mis en œuvre un montage artificiel ». Au cas présent, cette nouvelle décision vient rappeler l’importance de la démonstration de la qualité de bénéficiaire effectif, notamment en pratique. La fourniture d’un relevé d’identité bancaire aurait notamment pu appuyer une telle attestation afin de convaincre l’administration que la distribution litigieuse n’avait pas in fine pour bénéficiaire une société de droit étranger dont le siège se situe hors de l’Union Européenne et non une société de droit luxembourgeois telle que celle interposée. Il conviendra donc d’apporter une attention particulière aux groupes dans lesquels le siège de la société mère bénéficiaire effective se situe hors de l’Union avec interposition d’au moins une autre société bénéficiaire elle-même située dans un État membre de l’Union, et des conséquences en matière de retenue à la source en cas de versement de dividendes.
 

[1] CJUE, 26 février 2019, aff. C-116/16 et C-117/16 (N° Lexbase : A1477WNZ).

newsid:473924

Fonction publique

[Brèves] Conditions d’attribution de la protection fonctionnelle dans le cadre d'une campagne électorale

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r ., 25 juin 2020, n° 421643, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A34803PL)

Lecture: 3 min

N3890BYQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473890
Copier

par Yann Le Foll

Le 01 Juillet 2020

 La circonstance que les propos motivant la demande de protection, lesquels présentaient un lien avec l'exercice des fonctions de l'intéressée, aient été tenus dans le cadre d'une campagne électorale n'est pas de nature à faire obstacle à l'application de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3) (CE 3° et 8° ch.-r ., 25 juin 2020, n° 421643, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A34803PL).

Faits.  Mme X, fonctionnaire territoriale en service au sein de la collectivité intercommunale de collecte et de valorisation des déchets ménagers de l'Aude (Covaldem 11) et candidate aux élections municipales de Carcassonne de 2014, a demandé au président de la Covaldem 11, par une lettre du 18 février 2014, de lui accorder la protection fonctionnelle, au titre de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, par la prise en charge des frais d'une action en justice qu'elle entendait intenter à la suite de propos tenus publiquement pendant la campagne électorale par le représentant d'une liste adverse sur laquelle figurait le président de la Covaldem 11, lui imputant d'avoir obtenu son emploi par favoritisme et d'avoir ensuite manqué de gratitude envers son employeur. Par une lettre du 26 février 2014 à l'auteur de ces propos, le président de la Covaldem 11 lui a demandé de s'abstenir de les renouveler. Il a ensuite considéré que la protection fonctionnelle accordée à l’intéressée s'était traduite par la mesure déjà prise le 26 février 2014 et a refusé la prise en charge des frais de l'action en justice engagée par celle-ci.

Application du principe. En jugeant que la circonstance que les propos qui motivaient la demande de protection aient été tenus dans le cadre d'une campagne électorale, était sans incidence sur l'obligation qui incombait à la Covaldem 11 en vertu des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et que cette circonstance ne constituait pas un motif d'intérêt général pouvant justifier un refus d'accorder la protection sollicitée, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 20 avril 2018, n° 16MA02220 N° Lexbase : A4717XPE) n'a pas commis d'erreur de droit.

Adéquation des mesures de protection fonctionnelle. La cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation, en jugeant que la seule admonestation adressée, par la lettre du 26 février 2014, à l'auteur des propos incriminés, laquelle n'avait pas été portée à la connaissance de l'intéressée qui ne l'a découverte qu'à l'occasion de l'instance devant le tribunal administratif, ne pouvait, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme une mesure de protection appropriée.

V. ETUDE : Les libertés et protection du fonctionnaire, Les conditions de mise en œuvre de la protection fonctionnelle, in Droit de la fonction publique, Lexbase N° Lexbase : E07523LG).

 

newsid:473890

Justice

[Brèves] Open Data des décisions de justice : le décret est publié !

Réf. : Décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives (N° Lexbase : L5271LXI)

Lecture: 9 min

N3908BYE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473908
Copier

par Yann Le Foll, Adélaïde Léon et Marie Le Guerroué

Le 02 Juillet 2020

► Le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020, publié au Journal officiel du 30 juin 2020 (N° Lexbase : L5271LXI), vient modifier le régime de mise à disposition du public des décisions de justice des juridictions administratives et judiciaires tel que prévu par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, dite loi « Lemaire » (loi n° 2016-1321 N° Lexbase : L4795LAT).

Le nouveau texte applique les dispositions de l'article 33 de la loi n° 2019-2022 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC), lequel modifie le régime de mise à disposition du public des décisions de justice des juridictions administratives et judiciaires posé par les articles 20 et 21 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, pour une République numérique. Cette mise à disposition s'inscrit dans le cadre de publicité des décisions de justice posée par le Code de justice administrative, le Code de procédure pénale et le Code de procédure civile. Il est, également, prévu des mesures d'occultation des éléments d'identification des personnes physiques, parties ou tiers ou bien encore magistrats ou membres de greffe, en cas d'atteinte à leur vie privée ou leur sécurité.

I - Sur la mise à la disposition du public des décisions de justice rendues par les juridictions administratives

Le Conseil d'État est responsable de la mise à disposition du public, sous forme électronique, des décisions rendues par les juridictions administratives. Les décisions juridictionnelles rendues par le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs sont mises à la disposition du public dans un délai de deux mois à compter de leur date, sur un portail internet placé sous la responsabilité du garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Décision d'occulter tout autre élément d'identification. Si la mise à disposition de la décision, malgré l'occultation des nom et prénoms, est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée des personnes physiques mentionnées au jugement ou de leur entourage, la décision d'occulter tout autre élément d'identification est prise par le président de la formation de jugement ou le juge ayant rendu la décision en cause lorsque l'occultation concerne une partie ou un tiers. Lorsque l'occultation concerne un membre du Conseil d'État, un magistrat ou un agent de greffe, la décision est prise, selon le cas, par le président de la section du contentieux du Conseil d'État, le président de la cour administrative d'appel ou le président du tribunal administratif. Le membre du Conseil d'État ou le magistrat peut décider l'occultation de tout élément de la décision dont la divulgation est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

Demande de levée d'occultation des éléments d'identification. Toute personne intéressée peut introduire à tout moment, auprès d'un membre du Conseil d'État désigné par le vice-président du Conseil d'État, une demande d'occultation ou de levée d'occultation des éléments d'identification ayant fait l'objet de la décision précitée. Il n'est pas fait droit aux demandes abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique.

II - Sur la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires

  • La mise à disposition sous forme électronique

Le texte vient également modifier le Code de l’organisation judiciaire. Désormais, la Cour de cassation est, elle-aussi, responsable de la mise à la disposition du public, sous forme électronique, des décisions de justice rendues par les juridictions judiciaires. Les décisions sont mises à la disposition du public dans un délai de six mois à compter de leur mise à disposition au greffe de la juridiction.

Décision d'occulter tout autre élément d'identification. Dans le cas où, malgré l'occultation des nom et prénoms, la mise à disposition de la décision est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée des personnes physiques mentionnées au jugement ou de leur entourage, la décision d'occulter tout autre élément d'identification est prise par le président de la formation de jugement ou le magistrat ayant rendu la décision en cause lorsque l'occultation concerne une partie ou un tiers. Lorsque l'occultation concerne un magistrat ou un membre du greffe, la décision est prise par le président de la juridiction concernée. Toute personne intéressée peut introduire, à tout moment, devant un magistrat de la Cour de cassation désigné par le premier président, une demande d'occultation ou de levée d'occultation des éléments d'identification ayant fait l'objet de la décision.

  • La délivrance de copies aux tiers

Précisions en matière civile

Le nouveau décret vient modifier le Code de procédure civile concernant la délivrance de copie aux tiers. Ainsi, désormais, en cas de refus ou de silence gardé pendant deux mois à compter de la demande de délivrance, le président du tribunal judiciaire ou, si le refus émane d'un greffier, le président de la juridiction auprès de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, saisi par requête, statue, le demandeur entendu ou appelé. L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.

Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés par le greffier préalablement à la remise de la décision si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage. Le recours est porté, par requête présentée par un avocat, devant le président de la juridiction auprès de laquelle le greffier exerce ses fonctions.

Précisions en matière pénale

Le décret organise également plus spécifiquement la mise à délivrance des décisions de justice dans le domaine pénal. L’article R. 156 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0760AC7), qui régissait jusqu’alors les conditions de délivrance aux tiers des copies de décision pénales, est abrogé. Un c) intitulé « Délivrance de copies aux tiers » vient compléter la section V du chapitre II du titre X de livre V de la partie réglementaire du même code, relative aux frais de copie. Composée des articles R. 166 à R. 172 cette nouvelle sous-section prévoit les conditions de la libre délivrance des décisions de cassation et du fond rendues publiques et devenues définitive, la capacité, pour le procureur de la République ou le procureur général de faire procéder d’office à l’occultation de certaines identités ou éléments. Ce texte inscrit également l’occultation obligatoire des identités des personnes ayant concouru au déroulement de la procédure, des magistrats, des greffiers et des assesseurs. Enfin il organise les conditions dans lesquelles certaines décisions non définitives ou non publiques peuvent être délivrées à des tiers sur autorisation.

Délivrance des arrêts de cassation et des décisions publiques devenues définitives. Le décret n° 2020-797 dispose que les tiers peuvent se voir librement délivrer, sur demande et sans autorisation préalable, la copie des arrêts de la Cour de cassation et des décisions des juridictions du premier ou du second degré devenues définitives et rendues publiquement à la suite d’un débat public.  

Une dérogation est toutefois appliquée à cette mise à disposition généralisée. Dans certaines circonstances et à la condition de spécialement motiver leur décision, le procureur de la République ou le procureur général pourront s’opposer à la délivrance d’une copie des décisions de juridictions du fond ou la subordonner à l’occultation de certains éléments non divulgués. Cette décision, notifiée à l’intéressé, peut faire l’objet d’un recours devant le président de la chambre de l’instruction dans les deux mois suivant sa notification. 

Occultation d’office des identités des parties ou tiers et de certains éléments ou motifs. Alors même qu’aucune demande n’a encore été formulée, le procureur de la République ou le procureur général peut également décider de l’occultation d’éléments d’identification de personne aux fins de préserver la sécurité ou le respect de la vie privée des intéressés ou de leur entourage. Ces mêmes magistrats peuvent, dans les mêmes conditions, décider d’office l’occultation de certains motifs ou éléments d’identification dont la divulgation serait susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou au secret en matière commerciale ou industrielle.  

Ces décisions sont notifiées à l’intéressé et peuvent faire l’objet d’un recours devant le président de la chambre de l’instruction dans les deux mois suivant sa notification. 

Occultation obligatoire des identités des personnes ayant concouru au déroulement de la procédure, des magistrats, des greffier et assesseurs. L’occultation de l’identité de ces personnes est automatique et conditionne la délivrance à des tiers de copies de décisions en matière pénale. 

Délivrance des décisions non définitives, d’instruction, de l’application des peines, rendues par les juridictions pour mineurs ou après des débats à huis clos ainsi que les copies des autres actes ou pièces d’une procédure pénale. Ces décisions non définitives ou non publiques ne peuvent être délivrés qu’à raison d’un motif légitime et avec l’autorisation préalable du procureur de la République ou du procureur général. Elles doivent préalablement faire l’objet d’une occultation s’agissant des éléments ou des motifs qui n’ont pas à être divulgués. En l’absence de précision du décret, une certaine latitude semble donc laissée aux magistrats pour arbitrer en la matière. 

Exclusion des archives. Le décret précise enfin que ces dispositions ne sont pas applicables à l’accès aux décisions, actes ou pièces d’archives exercé conformément au Code du patrimoine. 

Les modifications impactant le Code de justice administrative, le Code de l’organisation judiciaire et le Code de procédure civile seront complétées par un arrêté du garde des Sceaux fixant, pour chacun des ordres, par niveau d’instance et par type de contentieux, la date à compter de laquelle les décisions de justice seront mises à la disposition du public et délivrées aux tiers sur demande. Les dispositions intéressant le Code de procédure pénale entreront quant à elles le 1er octobre 2020. 

Entrée en vigueur. Le décret est entré en vigueur au 1er juillet 2020. 

 

Pour aller plus loin :

E. Le Quellenec, Loi "Justice" : évolution ou révolution numérique pour les avocats ?, Lexbase Avocats, avril 2019 (N° Lexbase : N8474BX7)

 

newsid:473908

Procédure civile

[Brèves] Le moyen de caducité, exclu du domaine des fins de non-recevoir d’ordre public

Réf. : Cass. civ. 2, 25 juin 2020, n° 18-26.685, F-P+B+I(N° Lexbase : A70543PX)

Lecture: 3 min

N3955BY7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473955
Copier

par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 02 Juillet 2020

Les dispositions de l'article 125, alinéa 1 (N° Lexbase : L1421H4E), du Code de procédure civile selon lesquelles les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public ne sont pas applicables aux formalités prévues à peine de caducité.

Faits et procédure. Un contrat d’assurance a été souscrit par un particulier portant sur une parcelle de terrain constituée d’une ancienne carrière inexploitée ; des éboulements successifs se sont produits et les propriétaires d’une parcelle voisine, ont engagé une procédure de référé, obtenant la désignation d’un expert. Le souscripteur qui était copropriétaire indivis avec ses enfants est décédé, et ses héritiers ont renoncé à la succession. Dès lors, le directeur régional des finances publiques a été désigné en qualité de curateur à la succession vacante ; le rapport d’expertise a été rendu, concluant qu’il se produirait d’autres éboulements venant empiéter sur la propriété des demanderesses, et l’expert préconise d’importants travaux confortatifs.

Une action en référé a été engagée à l’encontre des propriétaires indivis, pour les voir condamnés sous astreinte d’exécuter les travaux préconisés par l’expert. L’assurance a été appelée en garantie et le directeur régional des finances publiques attrait dans la cause.

L’affaire a été renvoyée au fond en application de l’ancien article 811 (N° Lexbase : L0699H4N) du Code de procédure civile, devenu l’article 837 (N° Lexbase : L9158LTD) du même code.

Le pourvoi. Les demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt rendu le 18 septembre 2018 par la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 18 septembre 2018, n° 18/00385 N° Lexbase : A2279X7K), d’avoir violé les articles 125 et 954 (N° Lexbase : L7253LED) du Code de procédure civile, et de les avoir condamnés in solidum à verser une somme d’argent au titre des dommages et intérêts, ains qu’à réalisation les travaux de confortation préconisés par l’expert ; les demandeurs énoncent que la fin de non-recevoir tirée de l’inobservation du délai de recours doit être relevée d’office par le juge, dès lors qu’il a été mis à même de constater l’irrecevabilité. Dans le cas d’espèce, les intimés soutenaient, dans les motifs de leurs conclusions, que la déclaration d’appel était caduque, compte tenu  du fait que l’appelant n’avait pas respecté le délai pour déposer ses conclusions, en application de l’article 905-2 (N° Lexbase : L7036LEC) du Code de procédure civile. En effet, l’appelant dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe. L’appelant avait déposé le lendemain de l’expiration du délai ses conclusions. Les juges d’appel ont retenu, pour refuser de statuer sur cette fin de non-recevoir d’ordre public, qu’elle n’était invoquée que dans le corps des écritures. Ils avaient omis de soulever la caducité dans le dispositif.

Solution de la Cour. Le raisonnement est n’est pas suivi par les Hauts magistrats, qui confirment que la cour d’appel n’était pas tenue de relever d’office cette caducité, invoquée uniquement dans le corps des écritures, et qu’en conséquence, elle n’avait pas à statuer sur cette prétention, en application de l'article 954, alinéa 2.

 

Sur l’autre point de l’arrêt concernant l’assurance pour compte implicite des indivisaires, lire (N° Lexbase : N3937BYH)

 

newsid:473955

Responsabilité

[Jurisprudence] Indifférence des prédispositions de la victime sur son droit à réparation : tout n’est pas si simple !

Réf. : Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-24.095, FS-P+B+I (N° Lexbase : A06753MX)

Lecture: 16 min

N3868BYW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473868
Copier

par Guillaume Maire, Maître de conférences à l’Université de Lorraine, Faculté de droit de Metz, Institut François Gény (EA 7310)

Le 02 Juillet 2020

Doit être intégralement réparé, le dommage corporel subi par la victime d’un accident de la circulation consistant dans les conséquences de la maladie de Parkinson exclusivement révélée du fait de cet accident, qui ne peut être, alors, réduit en raison d’une prédisposition pathologique.

 

Le droit à réparation de la victime ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en résulte n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. Si cette solution que rappelle opportunément la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 20 mai 2020 est classique, elle n’est pas sans poser de difficultés, ainsi que l’illustre ladite décision.

Les faits sont tout autant tristement classiques. La victime d’un accident de la circulation se plaint d’avoir perçu un « flash » et ressenti des décharges dans les membres inférieur et supérieur droits. Un traumatisme cervical bénin a été diagnostiqué. Cependant, deux jours après la collision, de nouveaux symptômes apparaissent : des tremblements de la main droite associés à des céphalées. Une scintigraphie cérébrale révèle un syndrome parkinsonien. La victime assigne en réparation le conducteur du véhicule impliqué dans l’accident ainsi que son assureur. La cour d’appel de Bordeaux condamne ces derniers à une réparation intégrale aux motifs, qu’ayant été exclusivement révélée par l’accident, la maladie de Parkinson lui est imputable. Ce lien causal est contesté par le responsable qui se pourvoit en cassation en soulevant l’argument selon lequel le dommage qui, constituant l’évolution inéluctable d’une pathologie antérieure, se serait manifesté de manière certaine indépendamment de la survenance du fait générateur. Le problème tient, cependant, au fait que, selon les conclusions de l’expert, il n’était pas possible de dire dans quel délai cette maladie serait survenue en l’absence de l’accident. Le pourvoi est alors rejeté et la cour d’appel approuvée d’avoir intégralement réparé le dommage corporel de la victime, y compris celui résultant de la maladie de Parkinson, sans tenir compte d’une prédisposition pathologique de celle-ci. Pour motiver leur position, les juges retiennent que la pathologie de la victime ne s’était pas extériorisée avant l’accident sous la forme d’une quelconque invalidité, que cette affection n’avait été révélée que par le fait dommage, en sorte qu’elle lui était imputable et qu’il n’était pas justifié que la pathologie, révélée par l’accident, se serait manifestée dans un délai prévisible.

La question soulevée par le demandeur au pourvoi est précise : peut-on établir avec certitude un rapport causal entre un accident de la circulation et une maladie qui s’est manifestée à la suite de la collision, mais dont on ignore si elle se serait développée en l’absence du fait dommageable ?

En répondant par la positive, les juges résolvent une difficulté (II) qu’engendre l’application d’une règle classique qui se trouve ainsi confirmée (I).

I - Un principe confirmé

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation commence par approuver la cour d’appel d’avoir énoncé que « le droit de la victime d’un accident de la circulation à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résultée n’a été provoquée ou révélée que du fait de l’accident » [1]. Ce faisant, la Cour de cassation n’innove nullement. La solution est établie de longue date et régulièrement réaffirmée en ces termes, tant en matière d’accidents de la circulation [2] que sur d’autres fondements [3]. L’analyse de la jurisprudence relative à l’influence des prédispositions de la victime sur son droit à réparation a conduit la doctrine à opérer une distinction entre les prédispositions seulement latentes et celles pleinement patentes [4]. Dans le premier cas -lorsque les prédispositions étaient inconnues de la victime ou ne s’étaient pas extériorisées avant le fait dommageable-, les juges octroient à la victime une réparation intégrale. C’était le cas en l’espèce : selon l’anamnèse de l’état de santé de la victime, il n’avait été repéré avant l’accident ni tremblements ni maladie de Parkinson de telle sorte que celle-ci demeurait dans un état antérieur méconnu. La réparation est, en revanche, diminuée dans le second cas : lorsque la victime souffrait, avant le fait dommageable, d’une invalidité due à une prédisposition, le responsable, dont le fait dommageable a aggravé cette invalidité, ne serait être tenu d’indemniser la victime que dans la mesure de l’aggravation de son état imputable au fait dommageable [5]. Sont ainsi cassés les arrêts d’appel qui limitent l’indemnisation sur le fondement d’une pathologie préexistante sans constater que, dès avant le jour du fait dommageable, les effets néfastes de cette pathologie s’étaient révélés [6].

Un tel rôle attribué aux prédispositions de la victime est justifié tant d’un point de vue de la causalité que par le principe de la réparation intégrale.

Les juges font une application de la théorie de l’équivalence des conditions qui permet d’établir un lien causal entre le dommage et tout évènement en l’absence duquel le dommage ne se serait pas produit. En l’espèce, l’accident ne constitue, certes, pas la seule cause du préjudice subi par la victime : sans les prédispositions, le comportement reproché au responsable n’aurait pas causé le préjudice ou l’aurait causé dans une moindre ampleur. La cour d’appel avait, d’ailleurs, relevé, selon les conclusions de l’expert judiciaire, que la maladie de Parkinson n’était pas d’origine traumatique. Mais, inversement, sans le fait que l’on reproche au défendeur, le dommage ne se serait pas produit non plus. En cas de pluralité de causes, le droit français a fait le choix, au stade de l’obligation à la dette, de rejeter la causalité divise et d’imputer la totalité du dommage à la personne dont le fait a contribué à la réalisation du dommage [7]. Celle-ci est ainsi tenue à la célèbre « obligation au tout » [8]. Ce raisonnement causal transparaît en l’espèce à travers les motifs de l’arrêt selon lesquels : « la pathologie de [la victime] ne s’était pas extériorisée avant l’accident sous la forme d’une quelconque invalidité, […], cette affection n’avait été révélée que par le fait dommageable, en sorte qu’elle lui était imputable et que le droit à réparation de [la victime] était intégral » [9].

Une telle acception du lien causal trouve une justification opportune : si l'on prenait en compte tous les évènements ayant participé à la survenance du dommage, les victimes ne verraient jamais leurs préjudices intégralement réparés. Parmi les causes à l’origine du dommage, certaines ne constituent pas un fait générateur de responsabilité. Dès lors que la victime ne serait jamais replacée dans la situation qui était la sienne avant la survenance du dommage, le principe de réparation intégrale, qui postule une réparation in concreto du préjudice effectivement subi par la victime, serait battu en brèche [10]. Seule la faute de la victime est susceptible d’engendrer un partage de responsabilité. On considère, donc, que le fait non fautif de la victime, telles ses prédispositions latentes, n’est pas de nature à rompre le lien causal. À défaut, cela reviendrait à assimiler le mauvais état de santé de la victime à une faute de celle-ci [11]. In fine, cette règle constitue le résultat de la balance d’intérêts antagonistes : celui du responsable de ne pas être tenu d’indemniser un préjudice qui ne résulte pas totalement de son fait et celui de la victime de voir intégralement réparer le préjudice qu’elle n’aurait pas subi en l’absence du fait dommageable.

Quoi qu’il en soit de ces justifications, la confirmation, par cet arrêt, de cette solution est bienvenue dans la mesure où, quelques mois plus tôt, une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation avait ému les commentateurs qui s’inquiétaient d’une remise en cause de la règle de l’indifférence des prédispositions de la victime [12]. Dans cette affaire, après avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol prescrit à sa mère pendant sa grossesse, une femme assigna le laboratoire produisant la molécule en réparation de ses préjudices résultant des troubles de fertilité. La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a, toutefois, limité la réparation de la victime en prenant en considération une insuffisance ovarienne qui « si elle ne suffisait pas à elle seule à expliquer les troubles de fertilité, devait être prise en compte » [13]. La portée de cette décision inédite ne doit, néanmoins, pas être exagérée. Si elle aboutit en pratique, de manière contestable, à prendre en compte une prédisposition de la victime qui, en l’absence de l’exposition au distilbène, n’aurait pas suffi à causer l’infertilité, ce grief n’a pas été expressément soulevé par le demandeur au pourvoi dans son moyen. Il apparait, ainsi, difficile de reprocher à la Cour de cassation de ne pas avoir cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel.

En rappelant la solution classique, l’arrêt commenté dissipe toute crainte de remise en cause, ce qui ne l’empêche pas de soulever d’autres difficultés.

II - Un principe éprouvé

À la règle de principe évoquée précédemment, se sont rapidement ajoutées des difficultés qui ont conduit les juges à l’ajuster.

Il a, premièrement, été fait exception à la prise en compte des prédispositions patentes de la victime dès lors que le fait générateur a radicalement transformé l’invalidité dont était déjà affectée la victime en raison de sa prédisposition. C’est le cas du borgne devenu aveugle [14] ou de la personne infirme exerçant une activité professionnelle qui voit son état se détériorer à la suite du fait dommageable l’empêchant de poursuivre toute activité professionnelle [15]. Dès lors que le fait générateur n’a pas uniquement pour effet d’aggraver une invalidité mais d’en modifier la nature, les juges considèrent que le dommage est imputable en totalité au fait dommageable et que le préjudice doit être intégralement réparé.

Une deuxième difficulté, qui était au cœur de la décision commentée, existe lorsque, bien que révélée par le fait dommageable, l’affection qui résulte de la prédisposition se serait, avec ou sans certitude -c’est toute la question-, manifestée ultérieurement d’elle-même en l’absence du fait dommageable. La Cour de cassation a déjà admis, à quelques reprises, un ajustement au principe de l’indifférence des prédispositions latentes de la victime lorsque l’on est certain que l’affection qui en résulte se serait inéluctablement extériorisée dans un délai prévisible [16]. Dans ce cas, le droit à réparation doit être réduit, voire supprimé, dans la mesure où le lien causal ne peut être établi.

Le demandeur au pourvoi se prévalait précisément de cette jurisprudence en prétendant que le dommage qui, constituant une évolution inéluctable d’une pathologie antérieure, se serait manifesté de manière certaine indépendamment de la survenance du fait générateur (de telle sorte qu’il n’était pas en relation de causalité avec celui-ci). En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation n’entend pas remettre en cause cette règle qui s’inscrit dans le prolongement du raisonnement précédent : la prédisposition n’est pas de nature à rompre le lien causal lorsque, sans le fait dommageable, l’affection ne se serait pas manifestée ; en revanche, s’il est démontré que le préjudice se serait produit en l’absence du fait dommageable, c’est que celui-ci n’en est pas la cause qu’il convient de rechercher dans les prédispositions latentes de la victime. Tout au plus peut-on retenir un préjudice résultant dans l’apparition anticipée de l’affection.

Les choses se compliquent lorsque, comme en l’espèce, il est impossible de savoir si la maladie se serait ou non déclarée ultérieurement en l’absence du fait dommageable. En reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme il le lui était demandé, si l’affection ne se serait pas nécessairement manifestée à plus ou moins brève échéance, le demandeur au pourvoi conteste, ainsi, le caractère certain du lien de causalité. Dans l’impossibilité de démontrer que la maladie se serait déclenchée même en l’absence de l’accident, la victime n’aurait pas prouvé que le fait dommage était nécessaire à la réalisation du dommage. Le doute devrait, donc, profiter au défenseur. La Cour de cassation considère toutefois qu’il appartient à ce dernier de prouver « que la pathologie latente de [la victime], révélée par l’accident, se serait manifestée dans un délai prévisible ». La solution se justifie sans difficulté eu égard au régime spécial des accidents de la circulation. Il se déduit de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 [17] que le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne doit indemniser que les dommages qui résultent de cet accident. Afin de faciliter la preuve que le dommage est bien la conséquence de la collision, la jurisprudence a posé une présomption d’imputabilité du dommage à l’accident lorsque le dommage lui est contemporain ou qu’il est apparu très postérieurement à celui-ci. Dès lors, il appartient au responsable qui souhaite se désengager de sa responsabilité de prouver que l’accident est sans relation avec le dommage [18]. En l’espèce, les symptômes de la maladie de Parkinson sont apparus quarante-huit heures après la collision, ce qui suffit pour les considérer comme imputables au fait générateur. Il revenait, dès lors, au conducteur de renverser cette présomption en prouvant que la maladie se serait tout de même déclarée sans l’évènement.

Si cette solution se justifie eu égard à la particularité de ce régime spécial, il se pose la question de savoir si une telle faveur bénéficierait aussi à une victime agissant sur un autre fondement. La victime, à qui il incombe la charge de la preuve du lien de causalité, a-t-elle prouvé avec certitude que l’affection dont elle souffre à la suite du fait dommageable est due à celui-ci dès lors que l’on ignore si elle se serait extériorisée en l’absence de ce dernier ? La réponse semble être positive. En présence de prédispositions pathologiques chez la victime, la jurisprudence précitée a pour effet d’alléger la charge de la preuve du lien de causalité en exigeant de celle-ci qu’elle prouve uniquement l’absence de manifestation de l’affection avant le fait dommageable. Il en résulte une présomption du lien de causalité [19] qu’il appartient au défenseur de renverser en démontrant que la maladie se serait tout de même déclarée en l’absence du fait dommageable. En cas de doute, la preuve contraire n’est pas rapportée. En outre, la Cour de cassation a plutôt tendance à considérer que le doute scientifique n’est pas de nature à faire obstacle à la possibilité de prouver le lien de causalité, notamment en ayant recours à des présomptions graves, précises et concordantes [20]. Cela étant, il est impossible d’anticiper avec certitude la réponse des juges dans une telle hypothèse. Si le doute scientifique doit être considéré comme un élément neutre, il n’en demeure pas moins que la Cour de cassation se retranche, le plus souvent, derrière le pouvoir souverain des juges du fond chargés d’apprécier les éléments de preuves rapportées [21]. Ceux-ci pourraient aussi être tentés d’avoir recours à la notion de perte de chance bien que celle-ci n’est pas censée suppléer le doute du juge sur la relation causale [22].

La décision ici commentée suggère une troisième difficulté qui tient au champ d’application du principe de l’indifférence des prédispositions de la victime. La formulation restrictive utilisée par les juges, qui ne visent que la victime d’un accident de la circulation dont le droit à obtenir l’indemnisation de son dommage corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique, ne doit pas être interprétée comme limitant cette solution aux seuls cas des accidents de la circulation. Il a déjà été rappelé que la règle est la même quel que soit le fondement de la responsabilité [23]. Si cette généralité se comprend au regard des justifications tenant au rapport causal et au principe de réparation intégrale, elle apparaît, tout de même, contestable en matière de responsabilité contractuelle. Dans ce dernier cas, il conviendrait de s’assurer que la prédisposition de la victime n’entraîne pas un préjudice dont l’ampleur serait imprévisible au moment de la conclusion du contrat [24]. En outre, la limitation de la question au préjudice résultant d’un dommage corporel interroge. Bien que cette solution soit expressément retenue par le projet de réforme de la responsabilité civile [25], il se pose la question de savoir si une prédisposition doit être prise en compte pour réduire la réparation d’un autre préjudice, tel un préjudice moral causé par une atteinte matérielle à un bien qui serait aggravé en raison d’une fragilité de la victime  [26]. La poursuite du raisonnement pourrait même aboutir à tenir compte d’une prédisposition matérielle affectant une chose qui est détruite en raison du fait dommageable mais qui ne l’aurait pas été si elle n’avait pas été affectée d’une telle fragilité [27] (sans que celle-ci puisse être rattachée à la faute d’une personne). Bien que le raisonnement en termes de causalité autoriserait une telle extension de la solution, il semble que celle-ci doit se limiter aux prédispositions pathologiques en cas de dommage corporel.

 

[1] Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-24.095, FS-P+B+I (N° Lexbase : A06753MX), Bull. civ. II, n° à paraître.

[2] Pour quelques exemples récents : Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 15-24.541, F-D (N° Lexbase : A7112R48) – Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-18.784, F-P+B (N° Lexbase : A0808RQY), D. Bakouche, Les prédispositions de la victime peuvent-elles lui être opposées pour limiter son droit à réparation ?, Lexbase Privé, juin 2016, n° 659 (N° Lexbase : N3175BWI) ; RCA, 2016, comm. 214, note S. Hocquet-Berg ; Gaz. Pal., 2016, n° 39, p. 52, obs. M. Ehrenfeld – Cass. civ. 2, 14 avril 2016, n° 14-27.980, F-D (N° Lexbase : A6798RIM) – Cass. crim., 11 janvier 2011, n° 10-81.716, F-D (N° Lexbase : A3737GRT) – Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, n° 09-67.592, F-D (N° Lexbase : A2435E4X) – Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, n° 08-16.920, FS-P+B (N° Lexbase : A1675END), Bull. civ. II, n° 263 ; RCA, 2010, étude 3, note N. Martial-Braz.

[3] Pour quelques exemples récents : Cass. civ. 2, 3 mai 2018, n° 17-14.985, F-D (N° Lexbase : A4357XMC) : aggravation d’un état psychologique fragile à la suite d’une agression sur le fondement de la responsabilité du fait personnel – Cass. civ. 1, 22 novembre 2017, n° 16-23.804 (N° Lexbase : A7298XQD) et 16-24.719 (N° Lexbase : A7298XQD), RCA, 2018, comm. 33, obs. H. Groutel (sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux) - Adde, sur le fondement de la responsabilité contractuelle : Cass. civ. 3, 9 décembre 2014, n° 13-10.072, F-D (N° Lexbase : A5973M7D) – Cass. civ. 1, 9 janvier 2019, n° 17-19.433 (N° Lexbase : A9755YS4).

[4] S. Hocquet-Berg, Les prédispositions de la victime, in Mélanges H. GroutelGroutel, Litec, 2006, p. 169 – J.‑C. Montanier, L’incidence des prédispositions de la victime sur la causalité du dommage, préf. N. Dejean de la Bâtie, th. dactyl. Grenoble, 1981 – J. Nguyen Than Nha, L’influence des prédispositions de la victime, RTD civ., 1976, p. 1.

[5] Ass. plén., 27 novembre 1970, n° 69-10.040 (N° Lexbase : A2491CKH), Bull. civ. ass. plén., n° 6 ; D., 1971, jur., p. 181 ; RTD civ., 1971, obs. Durry.

[6] Cass. civ. 2, 3 mai 2018, préc. – Cass. civ. 1, 22 novembre 2017, préc. – Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, préc. – Cass. civ. 2, 19 mai 2016, préc. – Cass. civ. 2, 14 avril 2016, préc. – Cass. crim., 11 janvier 2011, préc. – Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, préc. – Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, préc..

[7] V. F. Chabas, L’influence de la pluralité de causes sur le droit à réparation, préf. H. Mazeaud, LGDJ, 1967.

[8] Ph. Brun, Responsabilité du fait personnel, Rép. dr. civil, Dalloz, 2015, actu, février 2020, n° 125.

[9] Nous soulignons.

[10] V. cassant, au visa du principe de la réparation intégrale, des arrêts de cours d’appel prenant en compte les prédispositions de la victime pour diminuer le montant de la réparation : Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, préc. – Cass. civ. 2, 19 mai 2016, préc. – Cass. crim., 11 janvier 2011, préc. ­– Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, préc. – Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, préc - Critiquant ce fondement, v. N. Martial-Braz, L’indifférence des prédispositions médicales de la victime dans l’indemnisation du préjudice : appréciation critique, RCA, 2010, étude 3.

[11] Comp. : Ph. Brun, Le dommage corporel conjugué à tous les temps. Le passé de la victime : l’influence de l’état antérieur, Gaz. Pal., 2011, n° 99, p. 15, n’excluant pas toute faute de la victime dès lors que celle-ci connaissait ses prédispositions latentes et qu’elle n’a pas pris de précautions personnelles de nature à éviter leur extériorisation - Sur la question proche de l’obligation pour la victime de minimiser son dommage, v. not. G. Maire, Le comportement de la victime. L’instauration de l’obligation pour la victime de minimiser son dommage : une intensification de la fonction normative de la responsabilité civile ?, Lexbase Privé, juin 2020, n° 827 (N° Lexbase : N3685BY7).

[12] V. not. S. Hocquet-Berg, Exposition in utero au DES, note sous Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, RCA, 2020, comm. 46 – Z. Jacquemin, Le retour inquiétant des prédispositions de la victime via le contentieux du distilbène, note sous Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, Gaz. Pal., 21 avril 2020, p. 30.

[13] Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, n° 18-10.794 (N° Lexbase : A6670ZYP), RCA, 2020, comm. 46, note S. Hocquet-Berg ; Gaz Pal., 21 avril 2020, p. 30, note Z. Jacquemin.

[14] Cass. civ. 2, 19 juillet 1966, Bull. civ. II, n° 811 ; D., 1966, jur. p. 598, note M. Leroy ; JCP G, 1966, II, 14902, note R. Meurise.

[15] Cass. civ. 2, 6 mai 1987, n° 86-11.044 (N° Lexbase : A7665AA7), Bull. civ. II, n° 107 ; Gaz. Pal., 1987, p. 490, obs. F. Chabas – Cass. civ. 1, 28 octobre 1997, n° 95-17.274 (N° Lexbase : A0598AC7), Bull. civ. I, n° 298 ; RTD civ., 1998, p. 123, obs. P. Jourdain.

[16] V. par exemple : Cass. civ. 1, 22 novembre 2017, n° 16-23.804, F-D (N° Lexbase : A7298XQD) et 16-24.719, F-D (N° Lexbase : A7298XQD), RCA, 2018, comm. 33, obs. H. Groutel (interprétation a contrario) : cassation de l’arrêt d’appel qui a réduit l’indemnisation aux motifs que le préjudice est dû pour partie à la préexistence d’une valvulopathie rhumatisme asymptomatique sans constater que les effets néfastes de la valvulopathie « se seraient manifestés de manière certaine indépendamment de la prise de Médiator » – Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, n° 15-25.768, F-D (N° Lexbase : A9732R7L) : « ayant fait ressortir que cette aggravation était indépendante des fautes commises et serait nécessairement survenue, la cour d’appel a pu en déduire que l’assistance par une tierce-personne n’était pas liée aux fautes imputables [au médecin] » – Cass. civ. 2, 6 février 2014, n° 13-11.074 (N° Lexbase : A9180MDD) : approuvant la Cour d’appel d’avoir réduit l’indemnisation après avoir constaté que « selon l’expert, de manière certaine, cette coxarthrose gauche [dont était atteint la victime antérieurement à l’accident] évoluera tôt au tard vers la pose d’une prothèse totale de la hanche gauche ».

[17] Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (N° Lexbase : L7887AG9).

[18] Cass. civ. 2, 16 octobre 1991, n° 90-11.880 (N° Lexbase : A5100AHD), Bull. civ. II, n° 253 ; RTD civ., 1992, p. 125, note P. Jourdain – Cass. civ. 2, 19 février 1997, n° 95-14.034 (N° Lexbase : A0445ACH), Bull. civ. II, n° 41 ; D., 1997, p. 384, note Ch. Radé.

[19] Sur les présomptions relatives à la causalité, v. l’étude Ph. Pierre, Les présomptions relatives à la causalité, RLDC, 2007, n° 40.

[20] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID), RTD civ., 2009, p. 735, obs. P. Jourdain ; D., 2010, p. 50, obs. Ph. Brun ; ibid., p. 391, chron. G. Viney ; JCP G, 2009, 308, note P. Sargos ; RCA, 2009, étude 13, note Ch. Radé – Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-20.317, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X) et n° 06-14.952, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7009D84) (3 arrêts), RTD civ., 2008, p. 492, obs. P. Jourdain ; D., 2008, p. 1544, obs. I. Gallmeister ; ibid., p. 2894, obs. P. Jourdain ; JCP G, 2008, doctr. 186, chron. Ph. Stoffel-Munck ; RCA, 2008, étude 8, note Ch. Radé ; RDC, 2008, p. 1186, note J.-S. Borghetti ; RLDC, 2008, n° 3102, note Ph. Brun et Ch. Quézel-Ambrunaz.

[21] Cass. civ. 1, 14 novembre 2018, n° 17-27.980, FS-P+B (N° Lexbase : A7905YLD), JCP G, 2019, doctr. 407, chron. M. Bacache ; RCA, 2019, comm. 51, note S. Hocquet-Berg ; Gaz. Pal., 2019, n° 3, p. 67, note A. Delhaye – Cass. civ. 1, 20 décembre 2017, n° 16-11.267, F-D (N° Lexbase : A0818W98) – Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 14-18.118, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4812NW7), RCA, 2017, comm. 319, note L. Bloch – Cass. civ. 1, 25 novembre 2010, n° 09-16.556, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3357GLW), D., 2011, p. 316, obs. Ph. Brun ; RTD civ., 2011, p. 134, obs. P. Jourdain ; JCP G, 2011, 79, note J.-S. Borghetti - Spécifiquement s’agissant du rôle des prédispositions de la victime, v. : Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n° 12-22.339, F-D (N° Lexbase : A2412MI8).

[22] En ce sens, v. not. : I. Vacarie, La perte de chance, RRJ, 1987, p. 908.

[23] V. supra.

[24] Limitant la réparation octroyée sur le fondement contractuel au préjudice prévu ou prévisible : C. civ., art. 1231‑3 (N° Lexbase : L0615KZS) - Sur ce risque, v. par exemple : Cass. civ. 3, 9 décembre 2014, n° 13-10.072, F-D (N° Lexbase : A5973M7D), cassant un arrêt rendu par une cour d’appel qui avait diminué la réparation octroyée à la victime d’un préjudice moral en tenant compte d’une « prédisposition dépressive hors norme ».

[25] Projet de réforme de la responsabilité civile, art. 1268, [en ligne] : « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ».

[26] Cass. civ. 3, 9 décembre 2014, préc. (à propos d’une victime dépressive subissant un préjudice moral important à la suite de nombreux désordres affectant sa construction).

[27] Imaginons un voisin qui, réalisant un terrassement sur son terrain, fissure la maison voisine déjà affectée d’une fragilité qui n’est due ni à un défaut d’entretien du propriétaire ni à une défectuosité des matériaux.

newsid:473868

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] TVA sur marge : le Conseil d’État saisit la CJUE

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2020, n° 416727, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A34753PE)

Lecture: 3 min

N3885BYK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473885
Copier

par Marie-Claire Sgarra

Le 01 Juillet 2020

Le Conseil d’État a décidé, dans une affaire relative à la TVA sur marge dans le cadre d’une opération d’achat revente de biens immobiliers, de surseoir à statuer et de saisir la CJUE.

En l’espèce, une SAS, qui exerce une activité de lotisseur, a soumis les cessions de terrains à bâtir à des particuliers qu'elle a réalisées au cours des périodes allant du 1er janvier au 31 décembre 2007 et du 1er janvier au 31 décembre 2008 au régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge résultant de la combinaison des dispositions de l'article 257 (N° Lexbase : L6267LUN) à l'article 268 (N° Lexbase : L4910IQW) du Code général des impôts. Elle a demandé à l'administration fiscale la restitution de la taxe acquittée en conséquence. Sa réclamation ayant été rejetée par l'administration, la SAS a porté le litige devant le juge de l'impôt. Le second arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Versailles dans ce litige, a rejeté comme mal foncée la demande de restitution présentée par la société (CAA Versailles, 19 octobre 2017, n° 16VE03905 N° Lexbase : A1329WYU).

Rappelons que le Conseil d’État s’est prononcé le 27 mars 2020 en faveur d’une condition d’identité entre l’acquisition et la revente du bien (CE 8° et 3° ch.-r., 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A42573KU).

Lire en ce sens, Damien Falco, TVA sur la marge en matière immobilière : la condition d’identité validée par le Conseil d’État, Lexbase Fiscal, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3279BY4).

Cette décision du Conseil d’État avait d’ailleurs suscité de nombreuses interrogations. Certains étaient surprise que le Conseil n’ait pas saisi la CJUE. C’est aujourd’hui chose faite dans cette nouvelle affaire.

Ainsi sont posées à la CJUE les questions suivantes :

  • l'article 392 de la Directive du 28 novembre 2006, doit-il être interprété comme réservant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d'immeubles dont l'acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit d'opérer la déduction de cette taxe ou permet-il d'appliquer ce régime à des opérations de livraisons d'immeubles dont l'acquisition n'a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d'application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s'en trouve exonérée ?
  • ces mêmes dispositions doivent-elles interprétées comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes : lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir ; lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux ?

(cf. le BOFiP annoté N° Lexbase : X5340ALD).

 

 

newsid:473885

Urbanisme

[Questions à...] Quel fondement pour le classement des parcelles en zone agricole ? Questions à Loïc Prieur, Maître de conférences à Sorbonne Université, Avocat associé et Anne-Cécile Belzon, juriste, responsable pôle planification, LGP Avocats

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 3 juin 2020, n° 429515, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70253M7)

Lecture: 12 min

N3904BYA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/58996213-edition-n-830-du-02072020#article-473904
Copier

Le 01 Juillet 2020

 

Mots clés : Plan local d'urbanisme • Classement de parcelles en zone agricole • Cohérence avec les orientations générales et le PADD
Le classement de parcelles en zone agricole peut s’opérer sans que leur caractère agricole soit avéré, mais en prenant en compte la vocation du secteur en bordure duquel ces parcelles se situent.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les modalités de classement des différentes zones dans les PLU ?

Loïc Prieur : Le Code de l’urbanisme prévoit que le règlement du PLU peut délimiter sur des documents graphiques des zones urbaines (U), des zones à urbaniser (AU), des zones agricoles (A) et des zones naturelles et forestières (N).

Les zones U correspondent aux secteurs déjà urbanisés et équipés de la commune. Les zones AU, ou zones d’urbanisation futures, sont des zones dans lesquelles les possibilités d’urbanisation dépendent des équipements publics. Si les équipements publics existent en périphérie de la zone et que leur capacité est suffisante pour desservir les futures constructions, la zone AU est immédiatement urbanisable (elle est souvent appelée zone 1AU). Les constructions seront réalisées en même temps que les équipements internes à la zone dans le respect des principes d’urbanisation fixés par les orientations d’aménagement et de programmation.  Si les équipements publics à proximité de la zone sont insuffisants, la zone AU (souvent dite zone 2AU) ne sera pas ouverte à l’urbanisation. Elle ne pourra l’être que lorsque les équipements auront été réalisés. Il faudra alors modifier le PLU ou, si la zone AU a plus de neuf ans, le réviser, pour ouvrir la zone à l’urbanisation.

Les zones N permettent de préserver des secteurs de la commune en raison de leur intérêt écologique, de leur caractère naturel, mais également en raison de l’existence de risques.

Enfin, les zones A à propos desquelles l’arrêt du Conseil d’Etat apporte d’intéressantes précisions, concernent les secteurs à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles.

Le Code de l’urbanisme se borne à définir les grandes catégories. Les zones U, AU, N et A peuvent ensuite être subdivisées par le PLU en fonction de la vocation que les auteurs du PLU souhaitent donner à tel ou tel secteur.

Le zonage étant la traduction d’un parti d’aménagement, le choix d’une zone est avant tout affaire d’opportunité. Le juge administratif en tire les conséquences et il rappelle de manière constante qu’il ne lui appartient pas de s’immiscer dans les choix d’urbanisme faits par les auteurs du plan local d’urbanisme [1]. Le Conseil d’Etat résume ce principe de la manière suivante : « il appartient aux auteurs d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction ; qu'ils peuvent être amenés, à cet effet, à modifier le zonage ou les activités autorisées dans une zone déterminée, pour les motifs énoncés par les dispositions citées ci-dessus ; que leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu'au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts » [2].

Lexbase : Qu'en est-il plus particulièrement des zones agricoles (zones A) ?

Anne-Cécile Belzon : Les zones A correspondent aux secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles (C. urb., art. R. 151-22 N° Lexbase : L0320KWR).

Cette définition est relativement large et permet aux collectivités de mobiliser l’un ou l’autre des critères, lors de la formalisation de leur projet d’aménagement.

La notion de “potentiel” agronomique, biologique ou économique des terres permet ainsi d’ouvrir le classement en zone A aux terrains qui ne présentent pas une utilisation agricole avérée lors de l’approbation du PLU, mais qui sont néanmoins susceptibles d’être affectés ou liés - notamment sur un plan économique - à l’usage agricole dans l’avenir.

Selon une jurisprudence désormais constante des cours administratives d’appel, la régularité du zonage A est également admise pour des terrains en eux-mêmes dépourvus de potentiel agricole, mais qui participent néanmoins à la préservation du potentiel agricole global de l’espace au sein duquel ils sont inclus.

Le contrôle du choix de zonage n’est donc pas effectué par le juge administratif à l’échelle des seules parcelles en cause, mais prend en compte le compartiment dans lequel elles se situent.

A titre d’exemple, la valeur agricole de la terre est jugée sans incidence sur la légalité d’un zonage A, dès lors que le terrain appartient à un ensemble cohérent plus vaste [3].

Un zonage A peut également être justifié pour des parcelles partiellement bâties, dès lors que celles-ci appartiennent à un compartiment agricole plus vaste séparé de la zone d’habitat par une route départementale, et que le zonage A permet de concourir à la satisfaction des objectifs que se sont donnés les auteurs du PLU, comme la lutte contre le mitage des espaces agricoles [4].

A l’inverse, un terrain bâti sur toute sa superficie et affecté à un usage industriel, situé dans la continuité des parties urbanisées de la commune et identifié comme disposant d’un potentiel de renouvellement urbain ne peut être légalement classé en zone A [5].

Le contrôle du juge administratif sur la délimitation des zones A repose donc sur un faisceau d’indices, lesquels sont analysés dans le cadre d’un raisonnement en trois temps :

- l’identification d’une éventuelle valeur agricole intrinsèque des parcelles (usage agricole avéré, terrain recensé comme présentant un potentiel agronomique…) ;

- l’analyse de la vocation de l’espace au sein duquel s’implante la parcelle ;

- et l’analyse de la cohérence du zonage A avec le parti d’aménagement de la collectivité.

Ainsi, lorsque le zonage A ne peut pas être justifié par la seule valeur agricole intrinsèque des terres, la recherche d’une cohérence d’ensemble et le parti d’aménagement de la collectivité jouent un rôle essentiel pour le juge administratif.

Lexbase : Comment le Conseil d’Etat s'est-il positionné sur ce point ?

Anne-Cécile Belzon : Dans son arrêt du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord la nécessaire cohérence entre les orientations d’aménagement de la commune et la définition du zonage, et plus particulièrement de la zone A.

Il relève ensuite que les parcelles en cause sont situées dans une partie du territoire de la commune présentant très majoritairement un caractère agricole, avant d’en déduire que la cour administrative d’appel n’avait donc pas à rechercher si les parcelles litigieuses présentaient elles-mêmes un caractère de terres agricoles.

Le Conseil d’Etat valide ainsi le raisonnement de la cour administrative d’appel de Nantes, laquelle a relevé la vocation agricole du secteur en bordure duquel les parcelles se situent, la cohérence du zonage A avec le parti d’urbanisme de la commune consistant à ne pas permettre l’étalement de la zone urbaine contiguë à ce secteur sur le territoire de la commune voisine, ainsi qu’une artificialisation d’ampleur limitée des parcelles.

Ce faisant, il se place clairement dans la continuité du courant jurisprudentiel d’ores et déjà établi par les cours administratives d’appel, et consacre les critères désormais classiques permettant d’identifier une zone A : la vocation agricole de la parcelle ou du secteur dans lequel elle se situe, une artificialisation limitée, ainsi qu’une cohérence entre le zonage et les orientations d’aménagement.

Le Conseil d’Etat ne se contente toutefois pas de confirmer ces critères, et apporte une précision intéressante. Il relève ainsi que les parcelles en cause sont situées en “bordure” d’un secteur à vocation agricole.

La seule proximité avec un vaste espace agricole à protéger, en cohérence avec les orientations d’aménagement de la commune, apparaît ainsi suffisante pour valider la légalité d’un zonage A. Il ne serait alors plus nécessaire d’appartenir à un compartiment à vocation agricole, mais uniquement de lui être contigu.

En ce sens, la Haute juridiction apporte un éclairage nouveau et complémentaire sur l’identification des zones A, et vient renforcer significativement le rôle joué par le parti d’aménagement des collectivités dans la définition du zonage.

En effet, il ressort de l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 juin 2020 que la protection résultant d’un zonage A peut s’étendre aux terrains dont l’urbanisation pourrait nuire à la préservation des terres agricoles avoisinantes.

L’espace dont la vocation agricole est prise en compte n’est plus uniquement celui auquel appartient la parcelle, mais peut aussi être le compartiment qui lui est contigu.

Au regard de l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 juin 2020, peuvent ainsi faire l’objet d’un classement en zone A :

- les terrains disposant d’une valeur agricole intrinsèque ;

- et les terrains situés au sein ou à proximité immédiate des espaces ruraux, et dont l’urbanisation serait susceptible de nuire au potentiel des terres agricoles environnantes.

Le Conseil d’Etat semble ainsi permettre l’émergence de zones A jouant un rôle d’interface - sorte de zone A “tampon” - entre les espaces urbanisés et les terres affectées à l’agriculture.

Lexbase : La prise en compte de la vocation du secteur en bordure des parcelles n’offre-t-elle pas une trop grande marge d’appréciation au juge administratif ?

Loïc Prieur : Cette appréciation souple et très extensive de la notion de zone agricole peut surprendre. Elle doit néanmoins être mise en perspective avec l’assouplissement du régime des constructions, installations et aménagements autorisés en zone agricole amorcé depuis 2003.

Avant la loi « SRU » (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), dans les plans d’occupation des sols, les espaces agricoles étaient classés en zone NC de richesse naturelle. La vocation de ces zones n’étaient pas toujours assez protectrices car le règlement pouvait autoriser des occupations parfaitement étrangères à l’activité agricole.

Les zones A issues de la loi « SRU » et surtout de son décret d’application étaient bien plus protégées car l’ancien article R. 121-3-7 du Code de l’urbanisme n’y autorisait que les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole.

Cette sanctuarisation des zones A a rapidement posé deux difficultés pratiques : les habitations existantes en zone A ne pouvaient plus être étendues et les bâtiments agricoles ne pouvaient plus changer de destination, ce qui interdisait par exemple à un exploitant à la retraite de transformer une étable en pierre en gîte touristique.

La question du changement de destination a été rapidement réglée. La loi « urbanisme et habitat » du 2 juillet 2003 (loi n° 2003-590 N° Lexbase : L6770BH9) a permis le changement de destination des bâtiments agricoles dès lors qu’ils présentent un intérêt architectural ou patrimonial. Les bâtiments en question doivent être désignés par le document graphique du PLU. Ce dispositif a été assoupli une première fois en 2014 par la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY) puisqu’il vise désormais tous les bâtiments, agricoles ou non. La même année, la loi du 13 octobre 2014, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (loi n° 2014-1170 N° Lexbase : L4151I4I), a supprimé la condition d’intérêt patrimonial ou architectural des bâtiments. Pour éviter toute dérive qui aboutirait à fragmenter l’espace agricole, l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est requis avant de délivrer le permis de construire.

Le problème des constructions non agricoles a, lui aussi, suscité des modifications significatives du régime des zones A. Afin de permettre l’extension des habitations existantes en zone A, de nombreux PLU comportaient un pastillage des constructions. Cette technique consistait à entourer les bâtiments d’une micro-zone souvent de type Nh. Le Conseil d’Etat a mis un terme à cette pratique en rappelant assez logiquement que l’objet des zones N n’était pas de permettre le contournement des zones A [6].

Le législateur a toutefois confirmé que le régime des zones A devait être assoupli. La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l’environnement (loi n° 2010-788 N° Lexbase : L7066IMN), permet désormais aux auteurs des PLU de délimiter des secteurs de taille et de capacités d’accueil limités (STECAL) au sein desquels des constructions non agricoles sont autorisées. Le règlement de ces zones (Ah ou Nh en général) fixe les conditions de hauteur, d’implantation et de densité permettant d’assurer l’intégration dans l’environnement et la compatibilité avec l’activité agricole. Les secteurs sont délimités après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).

Depuis octobre 2014, dans les zones agricoles ou naturelles et en dehors des STECAL, les bâtiments d'habitation peuvent faire l'objet d'une extension dès lors que cette extension ne compromet pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. Depuis la loi « Macron » (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC), les annexes sont autorisées. Le règlement doit en préciser les modalités. Il est soumis pour avis à la CDPENAF (C. urb., art. L. 151-12 N° Lexbase : L2569KIY).

Les zones A ne sont donc plus des sanctuaires réservés aux seules activités agricoles mais des espaces dans lesquelles d’autres activités peuvent avoir une place. Dès lors que le législateur a réduit de manière significative l’ambition initiale de protection des zones agricoles il n’est donc pas illogique qu’aujourd’hui le Conseil d’Etat rappelle que les zones A ne doivent pas être réduites aux seuls espaces qui présentent un potentiel agricole avéré.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique.


  1. [1] CE, 23 mars 1979, n° 9860 (N° Lexbase : A9670AIY), Recueil, p.127.
  1. [2] CE, 22 février 2016, n° 367901 (N° Lexbase : A5142PZH).
  1. [3] CAA Bordeaux, 30 décembre 2005, n° 02BX02119 (N° Lexbase : A6848DML) ; CAA Marseille, 15 février 2019, n° 18MA04968 (N° Lexbase : A5235YX8).
  1. [4] CAA Nantes, 30 avril 2019, n° 18NT03451 (N° Lexbase : A78793PI).
  1. [5] CAA Marseille, 21 décembre 2018, n° 18MA03189 (N° Lexbase : A0951YW7).
  1. [6] CE, 31 mars 2010, n° 313762 (N° Lexbase : A4177EUA).

newsid:473904

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.