La lettre juridique n°672 du 13 octobre 2016

La lettre juridique - Édition n°672

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Incompétence du directeur de la CNAMTS d'imposer aux CPAM de correspondre uniquement avec l'employeur ayant fait le choix de se faire représenter par un avocat

Réf. : CE 1° et 6° ch.-r., 3 octobre 2016, n° 390726, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7860R4U)

Lecture: 2 min

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Le 14 Octobre 2016

Au regard de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), relatif à l'assistance et la représentation par avocat et des articles R. 441-11 (N° Lexbase : L6173IED) et suivants du Code de la Sécurité sociale, le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) n'est pas compétent, dans le silence des dispositions réglementaires applicables, pour imposer aux caisses de Sécurité sociale des règles qui, en ce qu'elles prescrivent de correspondre avec le seul employeur y compris lorsque celui-ci a fait le choix de se faire représenter par un avocat, sont susceptibles de faire obstacle à la représentation de cet employeur ; la circonstance, invoquée par la Caisse, que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, l'information de l'employeur suffit à assurer la régularité de la procédure contradictoire, étant sans incidence. La Caisse ne peut par ailleurs se prévaloir des termes du point 2 de la lettre-réseau selon lesquels "dans le cadre d'une gestion attentionnée, la caisse peut envoyer un double des courriers à l'avocat, dans des formes assouplies : lettre simple, fax, mail, etc.", de telles recommandations ne suffisant pas à tirer les conséquences de la représentation de l'employeur par l'avocat de son choix. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 3 octobre 2016 (CE 1° et 6° ch.-r., 3 octobre 2016, n° 390726, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7860R4U).
Dans cette affaire, Me B., avocat spécialisé en droit social, demande l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions du point 2 de la lettre-réseau n° LR-DRP-13/2014 du 10 juin 2014 par laquelle le directeur général de la CNAMTS a donné instruction aux directeurs des caisses primaires d'assurance maladie, des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail et des caisses générales de Sécurité sociale (CGSS), lorsqu'un employeur aurait fait le choix de se faire représenter par un avocat lors de l'instruction des demandes de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, d'adresser l'ensemble des courriers au seul employeur, sans préjudice de la possibilité, "dans le cadre d'une gestion attentionnée", d'en envoyer un double à son avocat dans des "formalités assouplies" telles que l'envoi d'une télécopie ou d'un courrier électronique.
Enonçant la solution précitée, la Haute juridiction annule la décision implicite par laquelle le directeur de la CNAMTS refuse d'abroger le point 2 de la lettre-réseau en cause. Elle enjoint au directeur de la Caisse d'abroger le point 2 de la lettre-réseau dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E3304EUW).

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Affaires

[Brèves] Publication de la loi pour une République numérique

Réf. : Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, pour une République numérique (N° Lexbase : L4795LAT)

Lecture: 1 min

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Le 13 Octobre 2016

La loi pour une République numérique a été publiée au Journal officiel du 8 octobre 2016 (loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, pour une République numérique N° Lexbase : L4795LAT). Ce texte, fort de 113 articles, touche de nombreux pans du droit et comporte trois volets. Le premier volet concerne la circulation des données et du savoir. Il comprend des mesures sur l'ouverture des données publiques, la création d'un service public de la donnée. Il introduit la notion de données d'intérêt général, pour optimiser l'utilisation des données aux fins d'intérêt général. Une partie est également dédiée au développement de l'économie du savoir, avec la possibilité pour les chercheurs de publier librement leurs articles scientifiques dans un délai de six à douze mois. L'ouverture et la réutilisation des données des administrations ainsi que des décisions des juridictions administratives et judiciaires sont également consacrées. La diffusion de ces données sera circonscrite aux données dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental. Le deuxième volet traite de la protection des citoyens dans la société numérique. Il affirme le principe de neutralité des réseaux et de portabilité des données. Il établit un principe de loyauté des plateformes de services numériques. Le consommateur dispose en toutes circonstances d'un droit de récupération de ses données. Le texte introduit également de nouveaux droits pour les individus en matière de données personnelles (droit à l'oubli numérique pour les mineurs, testament numérique pour donner des directives aux plateformes numériques, confidentialité des correspondances privées). La "revanche pornographique", ou "revenge porn", est en outre pénalisée. La loi prévoit, également, un encadrement de la location de logement de façon ponctuelle via des sites comme Airbnb. Le troisième volet est consacré à l'accès au numérique pour tous avec notamment la couverture mobile, l'accessibilité aux services numériques publics, l'accès des personnes handicapées aux services téléphoniques et aux sites internet. Il prévoit aussi le maintien de la connexion internet pour les personnes les plus démunies. Enfin, un dispositif favorable au développement du jeu vidéo en ligne est mis en place et un contrat de travail spécifique pour les joueurs professionnels de jeu vidéo est créé.

newsid:454670

Arbitrage

[Jurisprudence] Une clause d'arbitrage insérée dans un projet de contrat non signé est-elle "une clause manifestement inapplicable" au sens des articles 1448 et 1455 du Code de procédure civile ?

Réf. : Cass. civ. 1, 21 septembre 2016, n° 15-28.941, F-P+B (N° Lexbase : A0168R4Y)

Lecture: 9 min

N4651BW8

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 13 Octobre 2016

1. Suffirait-il que l'une des parties à un processus de création d'une relation contractuelle ait envisagé une clause d'arbitrage pour que cette clause, non signée par les deux parties, soit cependant considérée comme n'étant pas manifestement inapplicable ? L'affirmative, indiquée par l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 21 septembre 2016, irait-elle trop loin sur la voie tracée par le principe de compétence-compétence ? 2. L'article 1448 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2275IPX) dispose que "lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction d'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable". De même, l'article 1455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2268IPP) dispose, en matière d'arbitrage interne, que, "si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable, le juge d'appui déclare n'y avoir lieu à désignation [d'un arbitre]", texte que l'article 1506, alinéa 3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2216IPR) déclare également applicable en matière d'arbitrage international. C'est un grand principe du droit de l'arbitrage. Ces textes reprennent et formalisent vingt années de jurisprudence (1) sur ce que la doctrine a désigné comme le principe de "compétence-compétence" : le tribunal arbitral est compétent sur sa propre compétence, sauf dans les cas de nullité manifeste ou d'inapplicabilité manifeste de la clause.

3. Ce principe comporte un effet positif, la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence, et corrélativement un effet négatif, l'incompétence des tribunaux judiciaires pour vérifier la compétence du tribunal arbitral. C'est le régime de ce second effet dont il est question ici d'apprécier l'interprétation. En particulier, le tribunal arbitral n'ayant pas été constitué au sens de l'article 1448, et la nullité de la clause n'étant pas en cause, la seule condition dont il s'agit d'apprécier les contours est la notion d'inapplicabilité manifeste de la clause.

4. Il est toujours utile de rappeler qu'en tout état de cause le résultat du mécanisme mis en oeuvre par le principe de compétence-compétence restera conforme au droit. En effet, dans le premier cas, le tribunal arbitral se déclare compétent. S'il le fait à juste titre, la sentence ne sera pas annulée, du moins du chef de la compétence, le défendeur n'aura pas pu utiliser cette voie dilatoire de défense, et l'arbitrage aura conservé son efficacité. S'il le fait à tort, sa sentence sera annulée de ce chef. Dans le second cas, le tribunal arbitral se déclare incompétent. S'il le fait à juste titre, c'est conformément au droit que le tribunal judiciaire pourra connaître au fond de l'affaire. S'il le fait à tort, la sentence d'incompétence sera annulée sur le recours exercé par la partie qui en est insatisfaite, et la compétence reviendra au tribunal arbitral.

5. En définitive, non seulement l'exigence de légalité est, en tout cas, satisfaite mais en outre, l'arbitrage répond aux attentes légitimes des parties qui sont de voir régler leur différend au fond dans un délai raisonnablement diligent et surtout, d'éviter le comportement dilatoire consistant à éluder la compétence arbitrale par le biais d'une difficulté de compétence.

6. En revanche, l'application du principe cesse là où disparaît sa raison d'être, qui est d'éviter le risque d'un tel comportement dilatoire destiné à retarder la connaissance légitime du litige par le tribunal arbitral. Dans cet esprit, l'article 1455 in fine détermine deux limites à l'effet négatif du principe de compétence-compétence.

7. Il convient de relever une première limite. Dès lors que la clause d'arbitrage est "manifestement nulle", tout un chacun peut raisonnablement pronostiquer que, si d'aventure un tribunal arbitral, à supposer qu'il ait pu être constitué, venait à rendre une décision par laquelle il se déclare compétent, sa sentence serait annulée ; il est alors rationnel que la compétence du juge judiciaire puisse être admise de plano, en dispensant les parties du tracas inutile de constituer un tribunal arbitral et des coûts et retards qui en résultent à voir l'affaire examinée au fond ; en ce dernier sens, l'exception demeure conforme à l'esprit et à la logique de l'arbitrage.

8. La même observation vaut dans l'autre cas, celui où la clause, sans être manifestement nulle, serait cependant "manifestement inapplicable". Cette exception ne figurait pas dans les textes antérieurs à 2011. Son utilité avait cependant conduit la Cour de cassation à l'admettre (2), et a conduit le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, portant réforme de l'arbitrage (N° Lexbase : L1700IPN) à l'ajouter expressément.

9. Le système général est donc bien conçu, et même pourrait-on dire parfaitement bien au point. Il reste cependant la difficulté que peut poser le régime de la frontière entre le principe et les exceptions de l'article 1455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2268IPP).

10. En l'espèce, et en termes très pratiques, la question à résoudre est donc la suivante. En l'état d'une clause d'arbitrage figurant dans un projet de contrat non signée, faut-il considérer :

1°/ ou bien qu'il n'y a pas de clause d'arbitrage, ce qui écarte toute compétence arbitrale, ainsi que toute compétence (arbitrale ou judiciaire) pour apprécier une telle compétence ?

2°/ ou bien que nous sommes en présence d'une clause manifestement inapplicable, ce qui ouvre la compétence judiciaire pour dire si le tribunal arbitral est compétent ?

3°/ ou bien que nous sommes en présence d'une clause qui n'est pas manifestement inapplicable, ce qui confère au tribunal arbitral (à constituer), lui seul, compétence pour statuer sur sa compétence au fond du litige ?

11. Les principes d'interprétation retenus ne font, en général, l'objet d'aucune hésitation, encore moins de controverse. Ils sont commandés par l'économie générale du régime du principe de compétence-compétence. On doit "privilégier la prise en compte de la volonté réelle commune générale des parties de compromettre, aux dépens des avatars résultant de l'inadéquation ou de la maladresse de rédaction de la clause" (3). De manière plus précise, on considère (4) que "l'interprétation jurisprudentielle de la notion de nullité ou d'inapplicabilité manifeste demeure très restrictive". En particulier (5), "l'inapplicabilité manifeste ne peut résulter que du constat, exclusif de toute interprétation ou de toute analyse substantielle des faits, que le litige ne peut, à l'évidence, entrer dans le champ d'application de la convention d'arbitrage en cause". En dernier lieu, l'ouvrage du professeur Jean-Baptiste Racine (6) confirme qu'il faut que "la nullité ou l'inapplicabilité de la convention soit évidente au prix d'un simple examen sommaire" en précisant -pertinemment- que "nous sommes bien dans une application de la théorie de l'apparence : la convention d'arbitrage, dès lors qu'elle est invoquée, est apparemment efficace. Tel est bien le sens de la jurisprudence observée, dont la logique sans faille conduit le plus souvent -si ce n'est presque toujours- à rejeter l'exception d'inapplicabilité manifeste

12. Presque toujours, car dans le cadre d'une théorie de l'apparence dont on a bien compris la justification, dès lors que la clause d'arbitrage est invoquée elle est apparemment efficace et corrélativement, elle n'est pas manifestement inapplicable. Certes. Mais pour "apparaître", ne faut-il pas au moins qu'elle existe, et qu'à défaut d'avoir été signée par les parties, elle soit l'expression ou au moins le reflet d'une volonté commune des parties ?

13. Ne faut-il pas ainsi que cette volonté commune des parties de conclure une convention d'arbitrage soit caractérisée ? Certes, il est des situations désormais admises en droit positif d'extension de la clause d'arbitrage (groupe de contrats, circulation du contrat, opération économique globale, relations spécifiques entre parties, groupes de sociétés, adhésion à une offre d'arbitrage, etc...). Mais elles constituent toute une construction originale et légitime établie cependant sur l'appui de la fondation d'une première expression de la volonté des parties.

14. En d'autres termes, si le droit positif de l'arbitrage admet de nombreuses qualifications d'engagement compromissoire en l'absence de clause d'arbitrage, c'est à raison d'une volonté tacite en ce sens. Comme chacun sait, la volonté tacite n'est pas purement hypothétique : elle résulte du comportement des parties qui ne peut s'expliquer que par la volonté juridique que l'on entend en inférer. Même si les hypothèses retenues (8) pour une telle extension traduisent une conception fort extensive de cette volonté tacite et sa mise en perspective avec une certaine fluidité des relations commerciales, il n'en demeure pas moins qu'elle ne saurait s'en affranchir totalement.

15. C'est pourtant ce que fait la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté en considérant qu'une clause d'arbitrage figurant dans un projet de convention, non signé et en l'absence de toute autre circonstance permettant de la rattacher à un autre engagement compromissoire :

1°/ non seulement est une clause d'arbitrage ;

2°/ mais en outre est une clause qui n'est pas manifestement inapplicable.

16. Cette solution (sous bénéfice d'inventaire) semble nouvelle. Parmi les illustrations d'une inapplicabilité manifeste, on avait, par exemple, observé l'absence pure et simple de clause compromissoire (9), ou bien son remplacement par une clause différente dans une édition ultérieure du document contractuel.

17. En l'espèce, la "clause" apparaît dans un projet de contrat non signé par les parties et c'est -à notre avis- avec une assez forte logique que la cour d'appel avait considéré que la clause d'arbitrage n'avait jamais été discutée ou envisagée entre les parties, que sa présence dans un accord est entièrement nouvelle et que l'absence de signature de cet accord caractérise incontestablement une absence de volonté des parties de recourir à l'arbitrage, ce qui exclut la saisine de l'arbitre en l'absence de tout engagement contractuel.

18. Selon la cour d'appel, l'absence de tout engagement contractuel est une faiblesse qui est plus invalidante que ne le serait une "simple" inapplicabilité manifeste au sens de l'article 1448 du Code de procédure civile. L'insuffisance de la clause est plus grave. L'absence de tout engagement contractuel est une absence de clause (hypothèse 1°/ du n° 10 ci-dessus).

19. Pour s'en assurer, on a consulté l'arrêt contre lequel le pourvoi avait été formé. On peut y lire que "le fait que le projet de contrat du 4 février 2005 n'ait été signé par aucune des parties exclut le consentement de celles-ci. Cette circonstance caractérise incontestablement une absence de volonté de recourir à l'arbitrage, ce qui rend cette clause manifestement nulle et inapplicable au litige".

20. Voilà pourquoi, à notre avis, l'arrêt commenté ne mérite l'approbation ni du point de vue de l'économie particulière de la relation contractuelle concernée, ni du point de vue de l'économie générale du droit de l'arbitrage.

21. Il n'est sans doute pas raisonnable de considérer l'existence d'une clause d'arbitrage, de surcroît non manifestement inapplicable, par la seule circonstance que le rédactionnel d'une telle clause figure dans un projet de convention qui n'est signé par aucune des deux parties. Ce serait permettre à celle des parties qui rédige le projet de se constituer à elle-même un titre contractuel.

22. Les conséquences d'une telle jurisprudence, si elle venait à se pérenniser, seraient graves. Suffirait-il par exemple qu'une partie propose une clause d'arbitrage pour qu'elle soit considérée comme existante et non manifestement inapplicable ? Au terme d'un raisonnement absurde, suffirait qu'une partie en rêve, en supposant bien entendu qu'elle en prenne note à son réveil ?

23. Les rédacteurs de cet arrêt ont sans doute encore oublié qu'il convient d'être prudent à l'égard d'une conception trop élitiste de l'arbitrage, et qu'il serait juridiquement, économiquement et socialement utile de ne point trop en ignorer une conception plus "démocratique", c'est-à-dire aisément compréhensible. Dans des milieux géographiquement ou sectoriellement encore éloignés de l'arbitrage (disons le : dans le milieu des PME "de régions" et de leurs avocats), une solution de cette nature n'est pas susceptible de les en approcher. Ce sont aussi -mais ceci est sans doute négligeable- des années d'efforts assidus pour acclimater ceux qui auraient avantage à devenir de nouveaux acteurs de l'arbitrage qui sont menacés. Difficile de plaider la rationalité d'un système de règlement des litiges qui retient sa mise en oeuvre opérationnelle sur la foi d'un projet de clause non signé !

24. L'arrêt commenté présente certes un fondement, ou du moins un attendu décisoire : "en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire stipulée dans l'accord en procédant à un examen substantiel et approfondi des négociations contractuelles entre les parties pour conclure à leur absence d'engagement, la cour a violé le texte susvisé".

25. La consultation de l'arrêt d'appel permet encore de constater qu'il présente quelques lignes sur l'analyse des comportements qu'il faut bien considérer ici comme pré-contractuels, dans la mesure où ils sont dépourvus de tout engagement. Quelques lignes pour dire que la "clause" n'a jamais été signée, conclue, discutée ni même envisagée entre les parties et qu'elle est "entièrement nouvelle malgré presque 5 mois de négociations". Est-ce trop pour justifier le constat de l'absence de concours de volontés de recourir à l'arbitrage ? Assurément non.

26. Mais pour la Cour de cassation, c'est trop pour demeurer dans le cade prédéterminé du contrôle prima facie de la clause. La solution si technique qu'elle en devient technocratique conduit à une solution juridique dégagée des contingences pratiques, "hors sol" en quelque sorte, et inappropriée. Elle ne saurait être approuvée.


(1) D.Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, Gualino, 2012, n° 81 et s., n° 554 et s..
(2) Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 99-19.319, FS-P (N° Lexbase : A4856AWR) (en arbitrage international), Rev. arb., 2002, p. 919, note D. Cohen ; Cass. civ. 2, 18 décembre 2003, n° 02-13.410, FS-P+B (N° Lexbase : A4916DAC) (en arbitrage interne), Rev. arb., 2004, 442, RTDCom., 2004, 255, note E. Loquin.
(3) D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, précité, n° 140, p. 66.
(4) Ch. Séraglini et J. Ortscheidt, Droit de l'arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 168, p. 190 (en arbitrage interne) et n° 680, p. 600 (en arbitrage international).
(5) idem
(6) J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, PUF, Themis droit, septembre 2016, n° 364, p.271
(7) J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, préc., n° 370, p. 274.
(8) J.-B. Racine, Droit de l'arbitrage, préc., n° 317 et s., p. 243 et s..
(9) O. Cachard, Le contrôle de la nullité ou de l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, Rev. arb., 2006, p. 893 et s., n° 8.
(10) CA Aix en Provence, 23 février 2006, Rev. arb., 2006, 479.
(11) CA Aix-en-Provence, 5 novembre 2015, n° 14/24336 (N° Lexbase : A7894NUW).

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Avocats/Honoraires

[Brèves] Contestation d'honoraires : la date du recours, formé par voie postale, est celle de l'expédition de la lettre figurant sur le cachet du bureau d'émission

Réf. : Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 15-21.735, F-D (N° Lexbase : A7119R4G)

Lecture: 1 min

N4720BWQ

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Le 15 Octobre 2016

La date du recours, formé par voie postale, contre une décision du Bâtonnier statuant en matière de contestation d'honoraires d'avocat, est celle de l'expédition de la lettre figurant sur le cachet du bureau d'émission. Telle est la solution rappelée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 29 septembre 2016 (Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 15-21.735, F-D N° Lexbase : A7119R4G ; déjà en ce sens, Cass. civ. 2, 5 mars 2015, n° 14-14.126, F-D N° Lexbase : A8942NC8). En l'espèce, une société a formé un recours contre la décision du Bâtonnier fixant les honoraires dus à l'avocat qui lui avait été notifiée le 20 novembre 2014. Pour déclarer le recours irrecevable, l'ordonnance énonce que la requérante disposant pour former celui-ci d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, soit jusqu'au 22 décembre 2014, le 20 décembre étant un samedi, la saisine du premier président le 24 décembre est tardive. L'arrêt sera censuré aux visas des articles 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), 641 (N° Lexbase : L6802H73), 668 (N° Lexbase : L6845H7N) et 669 (N° Lexbase : L6846H7P) du Code de procédure civile : en se déterminant ainsi, sans rechercher la date à laquelle le recours avait été expédié, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2709E44).

newsid:454720

Responsabilité

[Jurisprudence] L'indemnisation du préjudice découlant de la faute d'un professionnel du droit

Réf. : Cass. civ. 1, 22 septembre 2016, deux arrêts, n° 15-13.840 (N° Lexbase : A9978R3X) et n° 15-20.565 (N° Lexbase : A0127R4H), FS-P+B

Lecture: 5 min

N4698BWW

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

Le 13 Octobre 2016

Lorsque l'on examine la responsabilité civile des professionnels du droit, on peinerait à trouver dans la jurisprudence des facteurs d'atténuation ou une évolution traduisant quelque allègement. Cantonnons-nous à quelques observations portant sur les deux dernières décennies. Partie d'une décision propre au médecin, largement commentée (1), la Cour de cassation a vite étendu à l'avocat (2) la charge de la preuve qu'il a rempli son devoir de conseil. Celui-ci, à la suite d'un renversement de jurisprudence provenant de la responsabilité du notaire, a vite été analysé comme un devoir absolu : les compétences personnelles du client (fût-il avocat !), ne dispensent pas l'avocat de son devoir de conseil (3). Quand le professionnel a vu son sort s'améliorer, cela n'est venu que par l'intervention du législateur. Il est vrai que l'amélioration à ce niveau peut être de taille. Ainsi la prescription, de trente ans, est passée à dix ans en 1989 (4) et à cinq ans moins de vingt ans plus tard (5). Entendu sur l'appréciation de la faute, le demandeur bénéficie également de facilités pour la réparation du préjudice s'il en découle directement. Ces facilités peinent sans doute à être reconnues de façon systématique par les juges du fond. C'est pourquoi les deux arrêts commentés, rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 septembre 2016, qui traduisent deux cassations, font l'objet d'une publication au Bulletin. Ils révèlent deux principes distincts qui aboutissent dans les deux cas à donner une meilleure position à la victime et engendrent une charge plus lourde, parfois très lourde, pour les assureurs de la responsabilité de professionnels. On vérifie alors que la diversification de la responsabilité vise à la sécurité des victimes et à la responsabilité des professionnels (6). Ces deux règles peuvent se traduire ainsi : la responsabilité d'un professionnel du droit n'est pas subsidiaire (I) ; la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice (II). I - La responsabilité d'un professionnel du droit n'est pas subsidiaire

L'arrêt à commenter n'est pas sans faire apparaître des enjeux économiques qui dépassent l'analyse juridique. L'examen de la décision montre que la demande dépassait 2 000 000 d'euros, mais retenait qu'une instance était également en cours à l'égard d'un tiers. Cela a permis à la cour d'appel de limiter les dommages-intérêts à 12 000 euros.

La faute ayant été retenue, il faut savoir si la victime doit épuiser tous ses recours contre telle ou telle personne pour que son préjudice soit indemnisé. Celui-ci doit, en effet, répondre à des caractéristiques générales. Il doit être direct, actuel, certain et légitime (7), mais cette appréciation classique ne rend pas compte de l'irruption, dans la jurisprudence, de la probabilité, voire de la possibilité (8). Ces considérations plus fines vont conduire à résoudre une question bien décrite par un auteur de référence (9). "Lorsque la victime dispose d'autres manières de remédier à son préjudice que l'obtention de la condamnation du défendeur, le préjudice manque-t-il de certitude si la victime n'a pas au préalable épuisé toutes les solutions pour y porter remède ?".

La solution n'est pas douteuse en droit positif. Sans avoir l'assurance qu'il s'agisse de la première décision d'un point de vue chronologique, l'on voit apparaître l'expression du principe dès 1991 (10). La Haute juridiction, pour rejeter le pourvoi écarte le moyen "qui tend à faire reconnaître à la responsabilité de l'avocat un caractère subsidiaire qu'elle ne possède pas". L'affaire concernait la responsabilité d'un avocat rédacteur d'un prêt de somme d'argent pour un client. Le conseil ne s'était pas soucié de la solvabilité de l'emprunteur. Si l'avocat avait fait stipuler une promesse d'hypothèque, il ne s'était soucié des inscriptions existantes, n'avait pris une hypothèque provisoire que tardivement, puis l'avait laissé périmer. La cour d'appel, suivie par la Cour de cassation, a écarté la nécessité pour le demandeur de prouver que la créance était irrécouvrable. Quelques années plus tard (11), sans promettre qu'il s'agit-là d'une première, la même solution est appliquée au notaire : "la mise en jeu de la responsabilité du notaire n'est pas subordonnée à une poursuite préalable contre d'autres débiteurs". On relèvera que chacune de ces décisions a eu les honneurs du Bulletin.

Toutefois, le principe comporte une exception permettant à un commentateur d'écrire "la confusion s'installe" (12). Il faut alors tenter (13) de clarifier les contours de cette exception qui, après examen, n'entame pas la force du principe.

Dès 1997 (14) on voyait la Haute juridiction rejeter les prétentions du demandeur, créancier, faute d'avoir justifié d'un préjudice certain en poursuivant le débiteur. Par la faute d'un notaire, le créancier avait perdu le bénéfice d'un nantissement, mais il subsistait une garantie hypothécaire prise concomitamment. Quelques mois plus tard, la Cour de cassation écartait les prétentions que l'administrateur d'une succession dirigeait contre un notaire. Celui-ci avait versé tous les fonds d'une succession sans s'inquiéter des honoraires de l'administrateur (15). Quand un notaire a libéré fautivement le prix d'un immeuble hypothéqué, il y a encore exception au principe, il appartient au créancier d'exercer d'abord un droit de suite (16).

En premier lieu, le principe s'explique par une facilité donnée à la victime, une cliente de l'avocat et du notaire. Tel n'est pas le cas d'un tiers, administrateur d'une succession.

En second lieu, la facilité donnée aux victimes va exister lorsque les voies de droit qui resteraient possibles sont la conséquence de la situation dommageable. "Ces voies de droit [...] n'étaient que la conséquence de la situation dommageable créée par le notaire" (17). En revanche, si le client bénéficiait de possibilités antérieures à la faute du professionnel, il lui faut préalablement les exercer.

Ces principes dégagés, on observera des décisions, qui, aux yeux de la Cour de cassation ne méritent plus les honneurs du Bulletin (18). Néanmoins, quand les juridictions du fond se font réticentes, la Haute juridiction, comme ce fut le cas en l'espèce, après avoir prononcé la cassation, estime indispensable de fournir à nouveau la publicité du Bulletin.

II - La victime n'est pas tenue de limiter son préjudice

Si la responsabilité du professionnel du droit n'est pas subsidiaire, la doctrine (19) voit dans le second principe un lien avec le premier, l'idée de devoir, pour la victime, limiter son préjudice.

Cette obligation de minimiser le dommage, pour imparfaite que soit l'expression, se retrouve dans d'autres applications que le droit interne. On la voit figurer dans la Convention de Vienne du 11 août 1980 (20) qui fait obligation aux arbitres internationaux de l'appliquer quand ils statuent sur la vente internationale de marchandises. On la trouve aussi dans les Principes du droit européen du contrat (21). Enfin la règle figurait dans la proposition des textes Terré "Pour une réforme du droit des contrats" (22). Des dommages et intérêts réduits auraient été prévus "lorsque le créancier n'a point pris les mesures sûres et raisonnables, propres à éviter, à modérer ou à supprimer son préjudice" (art. 121, al. 2).

Depuis lors est intervenue la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (23) modifiant les articles 1100 (N° Lexbase : L1189ABN) à 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX, C. civ., art. 1245 recod. N° Lexbase : L0945KZZ) du Code civil. On aurait pu imaginer une règle nouvelle découlant du nouvel article 1104 du Code civil (N° Lexbase : L0821KZG) sur l'obligation de bonne foi prévue notamment pour exécuter les contrats. On aurait pu trouver une disposition nouvelle lorsqu'est évoquée la réparation du préjudice résultant de l'exécution du contrat. Pour les commentateurs (24) les dispositions nouvelles n'imposent nullement au créancier de limiter son préjudice. On appliquera donc une jurisprudence qui, sans être pléthorique, est bien établie.

On peut ainsi prendre à dessein un exemple récent dans la responsabilité du notaire. Lorsque celui-ci n'a pas permis à ses clients, par sa faute, d'obtenir les avantages d'une défiscalisation, peut-on reprocher aux clients de ne pas avoir choisi un autre système de défiscalisation qui aurait diminué leur préjudice ? La réponse est négative, et en rejetant le pourvoi au visa de l'ancien article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ ; C. civ., art.1240 recod. N° Lexbase : L0950KZ9), la Cour de cassation rappelle le principe (25).

La solution, d'un seul point de vue économique, n'est pas neutre. Dans l'espèce commentée la Cour d'appel, retenait la faute du créancier pour n'avoir pas minoré son préjudice, ne l'indemnisant de son dommage que pour 10 % de son montant. La responsabilité du notaire était retenue pour avoir rédigé fautivement l'acte de vente de deux parcelles de terrain. Le véritable propriétaire triomphe d'une action en revendication et obtient l'expulsion du propriétaire de bonne foi outre la démolition de l'habitation qu'il avait fait construire. L'article 555, alinéa 4, du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP) permettait, en effet, au tiers de bonne foi d'obtenir du véritable propriétaire une indemnité fondée soit sur une somme égale à la plus-value apportée par la construction, soit le coût des matériaux et de la main-d'oeuvre ayant servi à ce bâtiment.

Appliqué aussi bien sur un fondement contractuel, l'ancien article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), que sur un fondement délictuel, l'ancien article 1382 du Code civil, ces deux principes s'inscrivent dans un régime où l'auteur du dommage est obligatoirement assuré. Comme le notait dans le passé un observateur (26) "entre l'assurance et la responsabilité une véritable course s'est engagée". On voit aujourd'hui quel est le vainqueur.


(1) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685 (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75.
(2) Cass. civ. 1, 29- avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ., I, n° 132.
(3) Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-15.270, F-D (N° Lexbase : A1650IZ7).
(4) Loi n° 89-906, 19-12-1989, relative à l'exercice de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L8251E3Y).
(5) Article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) engendré par la loi n° 2008-561, 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I).
(6) Bigot, L'indemnisation par l'assurance de responsabilité civile professionnelle, l'exemple des professions du droit et du chiffre, Lextenso éditions, 2014 n° 737.
(7) Aubert, Flour, Savaux, Les obligations, Tome II, Sirey 2011, n° 133 et s..
(8) L. Cadiet, Les métamorphoses de la responsabilité, P.U.F, 1998, p. 37-64.
(9) P. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2012-2013, n° 1412.
(10) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(11) Cass. civ. 1, 13 février 1996, n° 93-18.809 (N° Lexbase : A9415ABC), Bull. Civ. I n° 81.
(12) P. Jourdain, obs. RTDCiv., 2005. 400.
(13) Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 13-11.807, F-P+B+I (N° Lexbase : A7375KSX), Bull. Civ. I, n° 254. V. nos obs., La responsabilité civile des professionnels du droit est-elle subsidiaire ?, D., 2016, Chron., 553, D. Sindres
(14) Cass. civ. 1, 2 avril 1997, n° 94-20.352 (N° Lexbase : A0097ACL), Bull. civ. I, n° 116, RTDCiv., 1997, 665, obs P. Jourdain ; Defrénois, 1997, 754, obs. Aubert.
(15) Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-18.192 (N° Lexbase : A0642ACR), Bull. Civ. I, n° 361.
(16) Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-10.769 (N° Lexbase : A8410DDT), Bull. civ I, n° 257, D., 2005, 503.
(17) Cass. civ. 1, 2 octobre 2002, n° 99-14.656 (N° Lexbase : A9145AZQ), D., 2002, 2850.
(18) Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-23.016, F-D (N° Lexbase : A5552KIH).
(19) P. Le Tourneau, op. cit., n° 14-12.
(20) CVIM, art. 77.
(21) Art. 9.505 (1).
(22) F. Terré (dir.), Pour une réforme du Droit des contrats, Dalloz 2009.
(23) Ordonnance n° 2016-31 du 10 février 2016.
(24) Référence du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, commentaire des articles 1100 (N° Lexbase : L0590KZU) à 1386-1 du Code civil, N. Dissaux, C. Jamin, Dalloz 2016.
(25) Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 13-17.599, F-P+B (N° Lexbase : A2721MTX).
(26) B. Starck, Droit civil, Obligations, Librairies Techniques 1972, n° 82.

newsid:454698

Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Collaboration libérale : la qualification de salariat doit être écartée lorsque les périodes d'intense activité n'ont été que ponctuelles et compatibles avec le développement d'une clientèle personnelle

Réf. : Cass. civ. 1, 28 septembre 2016, n° 15-21.780, F-D (N° Lexbase : A7170R4C)

Lecture: 1 min

N4721BWR

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Le 08 Novembre 2016

Les périodes d'intense activité n'ayant été que ponctuelles et n'ayant pas représenté une pratique systématique et régulière, il en résulte que, sauf circonstances exceptionnelles, l'obligation de disponibilité à laquelle la collaboratrice était soumise n'était pas incompatible avec la constitution et le développement d'une clientèle personnelle. De plus, le nécessaire droit de regard du cabinet sur les travaux et les agissements des collaborateurs, dont le corollaire est l'évaluation régulière de leur activité, ainsi que l'obligation de renseignement du logiciel informatique, outil de gestion administrative pour faciliter l'organisation et la répartition des affaires entre les collaborateurs, ne portent pas atteinte à l'indépendance de l'avocat. Partant la qualification de salariat doit être écartée. Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 28 septembre 2016 (Cass. civ. 1, 28 septembre 2016, n° 15-21.780, F-D N° Lexbase : A7170R4C). En l'espèce, une société d'avocats a conclu, le 27 juillet 2007, avec Mme X, avocate, un contrat de collaboration libérale à durée indéterminée, à effet du 17 septembre 2007, auquel elle a mis fin, dans le respect d'un délai de prévenance de six mois, par lettre du 5 mai 2011. Invoquant l'existence d'un lien de subordination à l'égard de la société d'avocats ainsi que l'impossibilité de développer une clientèle personnelle faute de disponibilité, Mme X a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris aux fins de requalification en contrat de travail de son contrat de collaboration libérale et en paiement de diverses sommes. La cour d'appel de Paris ayant, par arrêt du 20 mai 2015 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 20 mai 2015, n° 14/01688 N° Lexbase : A3024NIT et lire N° Lexbase : N7726BUP), rejeté sa demande de requalification du contrat et ses demandes indemnitaires subséquentes, un pourvoi a été formé. En vain. En effet, énonçant la solution précitée la Haute juridiction approuve la cour d'appel d'avoir déduit de ce faisceau d'indices l'absence de salariat, justifiant ainsi légalement sa décision (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat'" N° Lexbase : E0379EUL).

newsid:454721

Baux commerciaux

[Brèves] Caractère exécutoire de la décision fixant le loyer en renouvellement

Réf. : Cass. civ. 3, 6 octobre 2016, n° 15-12.606, FS-P+B (N° Lexbase : A4282R7Q)

Lecture: 2 min

N4734BWA

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Le 14 Octobre 2016

Si, jusque dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision définitive qui fixe le montant du loyer du bail renouvelé, le bailleur ou le preneur peuvent opter pour le non-renouvellement du bail, ce délai ne fait pas obstacle à l'exécution de la décision définitive fixant le montant du loyer, qui peut être poursuivie tant que le droit d'option n'est pas exercé Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 6 octobre 2016 (Cass. civ. 3, 6 octobre 2016, n° 15-12.606, FS-P+B N° Lexbase : A4282R7Q). En l'espèce, un locataire avait fait pratiquer, le 21 juin 2013, entre les mains d'une banque une saisie attribution à l'encontre de son bailleur pour recouvrement d'une somme en vertu d'un jugement du 23 mars 2011 confirmé par un arrêt du 17 octobre 2012 qui, après avoir constaté le déplafonnement du loyer du bail commercial renouvelé le 28 février 2007, avait fixé le montant du loyer du bail renouvelé à un montant inférieur à celui du précédent bail. Soutenant que le congé donné le 24 août 2012 par le locataire, à effet du 28 février 2013, valait exercice du droit d'option et renonciation au renouvellement du bail et que ni l'arrêt, ni le jugement confirmé ne contenaient constat d'une créance liquide et exigible au profit du locataire, à leur encontre, le bailleur a saisi le juge de l'exécution d'une demande de mainlevée de la saisie pratiquée. Sa demande ayant été rejetée par la cour d'appel (CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 11 décembre 2014, n° 13/23530 N° Lexbase : A1260M88), le bailleur s'est pourvu en cassation. Son pourvoi est rejeté, la Cour de cassation affirmant que " si, jusque dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision définitive qui fixe le montant du loyer du bail renouvelé, le bailleur ou le preneur peuvent opter pour le non-renouvellement du bail, ce délai ne fait pas obstacle à l'exécution de la décision définitive fixant le montant du loyer, qui peut être poursuivie tant que le droit d'option n'est pas exercé". La Haute cour a également estimé que les juges du fond avaient retenu à bon droit que les décisions en cause constituaient des titres exécutoires qui permettaient au locataire d'agir, à ses risques et péril, en exécution forcée pour recouvrer le trop-perçu des loyers versés depuis le 1er mars 2007 et qu'ils avaient pu décider que le congé de la locataire mettant un terme, le 28 février 2013, au bail renouvelé ne pouvait s'interpréter comme une renonciation au renouvellement du bail (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E7511E93).

newsid:454734

Contrat de travail

[Brèves] Précisions quant aux conditions de versement de l'indemnité de précarité en cas de conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée

Réf. : Cass. soc., 5 octobre 2016, n° 15-28.672, FS-P+B (N° Lexbase : A4459R7B)

Lecture: 1 min

N4669BWT

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Le 13 Octobre 2016

Ne peut être considéré comme ayant été conclu immédiatement avec l'entreprise utilisatrice, le contrat conclu neuf jours après le terme de la mission. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 octobre 2016 (Cass. soc., 5 octobre 2016, n° 15-28.672, FS-P+B N° Lexbase : A4459R7B ; voir dans le même sens Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 01-46.877, FS-P+B N° Lexbase : A3413DE7).
En l'espèce, un salarié est engagé pour une mission de 18 mois par une société en qualité d'électricien. Avant la fin de son contrat, il accepte une proposition de contrat à durée indéterminée.
La société ayant refusé de lui payer l'indemnité de fin de mission, il saisit la juridiction prud'homale. La cour d'appel (CA Toulouse, 16 octobre 2015, n° 14/01925 N° Lexbase : A4424NTZ) condamne la société à verser au salarié l'indemnité de fin de mission. Celle-ci se pourvoit en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle rappelle qu'aux termes de l'article L. 1251-32 du Code du travail (N° Lexbase : L1582H9H), lorsqu'à l'issue d'une mission, le salarié sous contrat de travail temporaire ne bénéficie pas immédiatement d'un contrat de travail à durée indéterminée avec l'utilisateur, il a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation ; que cette indemnité n'est pas due dès lors qu'un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu immédiatement avec l'entreprise utilisatrice. En l'espèce, la cour d'appel a constaté que le salarié n'avait pas immédiatement bénéficié du contrat de travail à durée indéterminée (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7919ES4).

newsid:454669

Contrôle fiscal

[Brèves] Le régime de l'imposition commune au regard du principe de personnalité des peines

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 5 octobre 2016, n° 380432, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9869R4B)

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N4672BWX

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Le 14 Octobre 2016

Lorsqu'elle assortit des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu d'une majoration tendant à réprimer le comportement d'un contribuable, l'administration est tenue de respecter le principe de personnalité des peines (CESDH, art. 6 N° Lexbase : L7558AIR), lequel s'oppose à ce qu'une sanction fiscale soit directement appliquée à une personne qui n'a pas pris part aux agissements que cette pénalité réprime. Ce principe doit, toutefois, être concilié avec le régime de l'imposition commune prévu à l'article 6 du CGI (N° Lexbase : L1177ITR) et avec les modalités de calcul de cette imposition fixées par l'article 156 (N° Lexbase : L6600K8X) du même code. Ainsi, lorsqu'un seul des époux a pris part à des agissements fautifs, les sanctions fiscales en résultant doivent être regardées comme ayant été prononcées uniquement à son encontre, même si elles majorent, au titre du revenu concerné par ces agissements, l'impôt qui est dû, par le foyer fiscal formé par les deux époux, sur l'ensemble de leurs revenus. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 octobre 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 5 octobre 2016, n° 380432, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9869R4B). En l'espèce, les rectifications opérées à l'égard des requérants en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été assorties de majorations au taux de 80 %. L'administration avait assigné au foyer fiscal que forment les requérants les majorations pour manoeuvres frauduleuses imputables uniquement à l'épouse. Pour la Haute juridiction, qui a donné raison à l'administration, le principe de personnalité des peines garanti par les stipulations de l'article 6 de la CESDH devait être appliqué en tenant compte du principe de l'imposition commune des couples mariés et ne faisait donc pas obstacle à ce que les pénalités encourues à raison des agissements de l'un seulement des conjoints soient mises à la charge commune des membres de ce couple .

newsid:454672

Cotisations sociales

[Doctrine] Contrôle d'assiette : formalisme et enjeux de la lettre d'observations

Lecture: 15 min

N4666BWQ

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

Le 13 Octobre 2016

Il faut commencer par les chiffres, en ce qu'ils donnent la mesure des choses. L'ACOSS a encaissé en 2015, 488,8 milliards d'euros dont 105,7 milliards d'euros pour le compte d'un tiers (UNEDIC, 32,2 milliards d'euros et CNRSI, 10,4 milliards d'euros ; FSV, CADES, AOT...) ; au titre du contrôle et lutte contre la fraude, 1,52 milliard d'euros, dont 463 millions d'euros au titre du travail dissimulé (1). Les enjeux financiers sont donc considérables ; la dimension juridique l'est tout autant, sous d'autres formes. Les employeurs mais aussi les URSSAF et les contrôleurs de recouvrement sont confrontés à un certain nombre de difficultés, qui tiennent à la complexité des opérations de contrôle d'assiette. Cette situation génère des risques juridiques et judiciaires, car la procédure de contrôle risque d'être annulée si elle n'est pas conforme aux prescriptions législatives et réglementaires, spécialement, au principe du contradictoire. Un bref et rapide état des lieux montre en effet que dès la phase antérieure au contrôle, se pose un certain nombre de difficultés juridiques, relatives à l'avis de contrôle (contenu) ; aux formalités et modalités du contrôle sur place (commencement du contrôle) ; et, pour les contrôles accomplis dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, à l'absence d'envoi d'un avis de visite ; à la durée du contrôle ; à la période contrôlée et enfin, aux pouvoirs d'investigation. Ces complexités s'élèvent d'un cran dans l'hypothèse de passage d'un contrôle "normal" à un contrôle "travail dissimulé" (et réciproquement) : quel régime appliquer, celui en vigueur au début de la procédure ou celui, au final, retenu par l'URSSAF en fin de procédure de contrôle ? La Cour de cassation donne des réponses (Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-16.110, FS-P+B N° Lexbase : A0051RX8), mais elles restent assez fragiles. Eu égard à la complexité et la multiplicité des questions soulevées par les opérations de contrôle d'assiette, il paraît raisonnable de limiter le propos à un ou deux points seulement. L'attention a été portée, plus précisément, sur le dispositif de la lettre d'observations, qui est l'une des étapes clés dans la procédure postérieure au contrôle d'assiette. C'est à ce moment, en effet, que l'inspecteur de recouvrement a analysé la situation comptable de l'entreprise et le respect par l'employeur de ses obligations sociales (règles de calcul des cotisations, notamment leur assiette et modes de calcul) ; l'éligibilité de l'employeur aux différentes aides (exemption d'assiette, exonérations et autres réductions). La lettre d'observations retrace ces points. Son analyse et la compréhension de ses ressorts juridiques sont capitaux, car ils sont au coeur de l'amélioration des relations URSSAF/employeurs et de la consécration des droits du cotisant.
Les décrets du 31 janvier 1996 (décret n° 96-91, fixant les modalités du contrôle de l'application de la législation de la Sécurité sociale par les employeurs, les travailleurs indépendants non salariés non agricoles, les exploitants agricoles et les avocats N° Lexbase : L2813G8P) et du 28 mai 1999 (décret n° 99-434, portant diverses mesures de simplification et d'amélioration des relations avec les cotisants N° Lexbase : L2814G8Q) ont précisé le déroulement du contrôle de façon à garantir les droits du cotisant : envoi obligatoire d'un avis de contrôle par lettre recommandée avec avis de réception, remise d'une lettre d'observations à l'issue du contrôle, délai de réponse du cotisant porté de quinze à trente jours. Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 (relatif aux droits des cotisants et au recouvrement des cotisations et contributions sociales N° Lexbase : L9947HUX) et le décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013 (relatif aux redressements des cotisations et contributions sociales en cas de constat de travail dissimulé ou d'absence de mise en conformité N° Lexbase : L6037IYA) et enfin le décret du 8 juillet 2016 (décret n° 2016-941, relatif au renforcement des droits des cotisants N° Lexbase : L2678K93) (2) ont élargi les prérogatives reconnues aux employeurs, avant le contrôle (envoi de l'avis préalable de contrôle ; contenu et portée de l'avis préalable de contrôle), pendant le contrôle (consultation de documents ; audition des salariés ; exploitation des données numériques ; méthode d'échantillonnage) ou à l'issue du contrôle (lettre d'observations ; réponse à la lettre d'observations ; mise en recouvrement des cotisations ; fixation forfaitaire du montant de l'assiette ; avertissement/mise en demeure ; remise des majorations et des pénalités).

Les travaux aussi bien universitaires qu'institutionnels (3), suscités par l'activité de contrôle des URSSAF, ont en effet montré l'enjeu majeur que représentent les droits des cotisants, appréciés selon une logique de droits fondamentaux (obligation d'information, de transparence et loyauté) (4) et de droits de la procédure (objectif : assurer une plus grande sécurité juridique des acteurs économiques et lutter contre le phénomène d'insécurité juridique des cotisants, liée à la complexification et de l'instabilité de la norme en matière d'exonération et d'allègement de cotisation sociale).

I - Existence et contenu d'une lettre d'observations

La première question qui se pose est celle de l'existence d'une lettre d'observations rédigée et envoyée par l'inspecteur du recouvrement. La jurisprudence avait admis la possibilité d'une existence implicite et informelle d'une lettre d'observations ("accord tacite") ; mais le décret du 8 juillet 2016 (préc.) (5) a remis en cause l'existence de l'accord tacite. Le pouvoir réglementaire a poursuivi cet effort d'encadrer et fixer un régime juridique de la lettre d'observations, dont le contenu est désormais défini.

A - Existence implicite et informelle d'une lettre d'observation : l'accord tacite

Il faut distinguer deux périodes, lesquelles s'articulent autour du décret du 8 juillet 2016.

1 - Jusqu'au décret du 8 juillet 2016 : l'absence d'observations vaut accord tacite

A l'issue des opérations de contrôle URSSAF, un certain nombre d'obligations pèsent sur les agents de contrôle, qui sont conçues comme des garanties des droits des cotisants. L'inspecteur du recouvrement doit établir un document de fin de contrôle (lettre d'observations), dans lequel figurent obligatoirement un certain nombre de mentions : ce document, daté et signé, mentionne l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle (CSS, art. R. 243-59 N° Lexbase : L2870K98). Le pouvoir réglementaire avait alors admis l'existence d'un accord tacite (dernier alinéa de l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale) : l'absence d'observations valait accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l'URSSAF avait pu se prononcer en toute connaissance de cause (6).

La Cour de cassation est intervenue à de nombreuses reprises, pour fixer et définir un régime juridique de l'accord tacite, face à cette situation de carence normative (aucun texte n'organisait le régime de l'accord tacite, not. l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, dernier alinéa). La Cour de cassation a ainsi fixé le régime :

- de la preuve. L'employeur qui entend se prévaloir d'un accord tacite doit en rapporter la preuve (7). Le seul examen des bulletins de salaires ne permet pas, en lui-même, de démontrer l'accord tacite de l'URSSAF (Cass. civ. 2, 28 janvier 2010, n° 08-21.783, FS-P+B N° Lexbase : A6054ERN). Le fait que les agents prennent connaissance des bulletins de salaire mentionnant les frais de déplacement professionnel n'implique pas qu'ils aient vérifié les conditions d'exonération (Cass. civ. 2, 19 avril 2005, n° 03-30.718, FS-P+B N° Lexbase : A9651DHW). Mais la consultation du procès-verbal du directoire instituant l'avantage litigieux et du procès-verbal de réunion des délégués du personnel, qui en rappelait l'existence, est suffisante pour démontrer l'accord tacite (Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-17.126, F-D N° Lexbase : A8974EKL) ;

- de la portée de l'accord tacite. L'accord tacite n'est que temporaire. En effet, la notification par l'URSSAF d'une décision contraire fait obstacle à ce que l'accord tacite antérieur puisse continuer à produire effet (Cass. civ. 2, 4 avril 2013, n° 12-15.739, F-P+B N° Lexbase : A6391KBC) (8). Réciproquement, le silence gardé par l'organisme de recouvrement, lors d'un précédent contrôle, sur la légitimité de la pratique suivie par la société, constitue une décision implicite et non équivoque qui lie l'URSSAF jusqu'à notification d'une décision en sens opposé (Cass. soc., 17 mars 1994, n° 91-21.042, inédit N° Lexbase : A6964CUH). La Cour de cassation a rendu d'autres décisions, dans le même sens, donnant tous ses effets à l'accord tacite, qui lie l'URSSAF (9) ;

- du pouvoir souverain des juges du fond. L'absence d'observations est une question de fait. La Cour de cassation n'opère pas de contrôle sur les éléments de fait à partir desquels les juges du fond caractérisent une décision implicite. La question relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (Cass. civ. 2, 28 janvier 2010, n° 08-21.783, FS-P+B N° Lexbase : A6054ERN) (10) ;

- des conditions de validité de l'accord tacite. Les textes (CSS, art. R. 243-59, dernier alinéa, réd. antérieure décr. du 8 juillet 2016) admettaient que l'absence d'observations valait accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l'organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause. Le redressement ne pouvait porter sur des éléments qui, ayant fait l'objet d'un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n'ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme. Bref, les conditions portaient sur une identité de situation (11), identité d'objet (12), identité de cotisant (13) et enfin, identité des conditions (14).

2 - Régime en vigueur depuis le décret du 8 juillet 2016

Il aura donc fallu attendre 2016 pour que le pouvoir réglementaire (décret du 8 juillet 2016, préc.) supprime l'accord tacite. En effet, en cas de réitération d'une pratique ayant déjà fait l'objet d'une observation ou d'un redressement lors d'un précédent contrôle, la lettre d'observations précise les éléments caractérisant le constat d'absence de mise en conformité (défini à l'article L. 243-7-6 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6941IUM). Le constat d'absence de mise en conformité est contresigné par le directeur de l'organisme effectuant le recouvrement (CSS, art. R. 243-59, III).

B - Contenu de la lettre d'observations

Le contenu de la lettre d'observations pose deux types de difficultés : les premières sont relatives aux mentions de la lettre d'observations ; la seconde, à la signature de l'auteur de la lettre d'observations.

1 - Mentions obligatoires

Jusqu'au décret du 8 juillet 2016. Le régime était fixé en dernier lieu par le décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013 (CSS, art. R. 243-59, III). L'inspecteur du recouvrement doit établir un document de fin de contrôle (lettre d'observations), dans lequel figurent obligatoirement un certain nombre de mentions :

- l'objet du contrôle. L'inspecteur du recouvrement doit préciser qu'il agit dans le cadre de la mission de vérification de l'application des dispositions du Code de la Sécurité sociale que la loi confie aux URSSAF ;

- les documents consultés. La lettre d'observations doit mentionner les documents que l'agent de contrôle a consultés dans le cadre de son droit à communication. Cette mention présente un double intérêt pour le cotisant. En premier lieu, l'information peut être utile en cas de contestation, dans la mesure où le contrôlé peut orienter ses observations sur le contenu et la portée à donner à tel document ayant été vérifié. En second lieu, la liste des documents consultés peut faciliter la reconnaissance d'un accord tacite de l'URSSAF sur certaines pratiques contrôlées ;

- la période vérifiée. Le document de fin de contrôle doit faire état de la période ayant donné lieu à contrôle. Cette mention permet de s'assurer que les délais de prescription en matière de contrôle et de redressement ont été respectés (CSS, art. L. 244-3 N° Lexbase : L4455IRG) ;

- la date de fin de contrôle. L'inspecteur du recouvrement ne peut plus faire usage de ses différentes prérogatives (droits d'entrée dans l'entreprise, de communication de tout document nécessaire et d'audition des personnes rémunérées) dès lors qu'il a mis un terme au contrôle sur place par la rédaction du document de fin de contrôle ;

- le droit de réponse du cotisant. La lettre d'observations doit indiquer au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre, par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations. L'employeur a la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix. Il s'agit là d'une formalité substantielle affectant la validité du contrôle (15).

- les motivations de fait et de droit. Le décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59, III) prévoit désormais que la lettre d'observations indique, pour chaque chef de redressement les considérations de droit et de fait sur lesquelles l'union de recouvrement se fonde, avec l'indication du montant des assiettes correspondant. Elle doit également mentionner pour les cotisations et contributions sociales, l'indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations.

Mais, a contrario, la lettre d'observations ne doit pas nécessairement indiquer le nombre de salariés concernés pour chaque chef de redressement. En l'espèce (16), l'employeur disposait des éléments suffisants pour en discuter l'exactitude. La Cour de cassation avait déjà décidé qu'il n'existe pas d'obligation de joindre une liste nominative des salariés concernés (17).

Depuis le décret du 8 juillet 2016. La lettre d'observations est modifiée, en certains points, par le décret du 8 juillet 2016 (art. 16 ; CSS, art. R. 243-59, II, nouvelle réd.) :

- les lettres d'observations sont désormais motivées par chef de redressement. A ce titre, elles comprennent les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement ;

- le contenu de la lettre d'observations est modifié. Auparavant, la lettre indiquait la nature, du mode de calcul (18) et du montant des redressements (19) et des éventuelles majorations et pénalités (CSS, art. L. 243-7-2 N° Lexbase : L1943IEP, art. L. 243-7-6 et L. 243-7-7 N° Lexbase : L1377I77). Désormais, la lettre d'observations indique le montant des assiettes correspondant, ainsi que pour les cotisations et contributions sociales l'indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités qui sont envisagés.

2 - Signature

Les juges font preuve d'une certaine sévérité et admettent l'annulation des lettres d'observations qui n'ont pas été signées par l'un des inspecteurs ayant procédé au contrôle (20). A contrario, les juges n'exigent pas que la lettre de mise en demeure, ou la lettre simple portant détail des cotisations ne soient signées (CA Toulouse, 6 juillet 2016, n° 16/00581 N° Lexbase : A4691RWN) (21). Cependant, aucune disposition n'impose à peine de nullité la signature de la mise en demeure par le directeur ou par un agent de l'organisme titulaire d'une délégation de pouvoir ou de signature de celui-ci. En effet, en l'espèce, la mise en demeure informe suffisamment le cotisant, tant dans le courrier recommandé que dans le courrier simple, la nature des cotisations est indiquée, les allocations familiales et cotisations du travailleur indépendant, les périodes trimestrielles et les montants. Ce qui importe, pour les juges, est le respect par les URSSAF de leurs obligations d'information, de transparence et de loyauté (22).

II - Mise en oeuvre de l'obligation d'envoyer une lettre d'observations

Le décret du 8 juillet 2016 a résolu un certain nombre de difficultés, liées au régime du contrôle d'assiette, mais de manière partielle et incomplète. La jurisprudence apporte, au fur et à mesure, des réponses aux questions laissées en suspens : c'est particulièrement vrai pour l'envoi de la lettre d'observations et l'étude des effets attachés à l'envoi de la lettre d'observations.

A - Envoi de la lettre d'observations

1 - Preuve de l'envoi

Depuis 1991, la Cour de cassation a tranché la difficulté du régime de la preuve : la charge de la preuve de la communication de la lettre d'observations pèse sur l'organisme de recouvrement (Cass. soc., 7 mai 1991, n° 88-16.344, publié au bulletin N° Lexbase : A1079AA9). La doctrine administrative s'est alignée sur cette position (lettre-circ. ACOSS n° 99-82 du 16 juillet 1999).

2 - Délais d'envoi de la lettre

Les dispositions réglementaires (CSS, art. R. 243-59, réd. décr. 8 juil. 2016 et réd. antérieure) n'apportent aucune indication. A priori, la procédure de contrôle et le redressement lui-même ne sont pas susceptibles d'être sanctionnés par la nullité, en raison du caractère tardif de la communication des observations de l'inspecteur du recouvrement. La Cour de cassation estime en effet qu'aucun délai n'est fixé pour l'envoi de la lettre d'observations que l'URSSAF envoie au cotisant (23) : en l'espèce, l'entreprise, objet d'un contrôle en mars et avril 2009 sur les années 2007 et 2008, a reproché à l'URSSAF de ne pas avoir clôturé ce contrôle dans un délai raisonnable. Ce n'est qu'en octobre 2010 qu'elle lui avait adressé une lettre d'observations (soit un délai de quinze mois entre le contrôle sur place et la lettre d'observations). En effet, pour la Cour de cassation, les dispositions de l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale, qui ne méconnaissent pas les exigences des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ne fixent aucun délai pour l'envoi de la lettre d'observations que l'inspecteur du recouvrement adresse au cotisant à l'issue du contrôle. Le délai de quinze mois pendant lequel le contrôle s'est prolongé jusqu'à l'envoi de la lettre d'observations apparaît justifié au regard de la complexité de la législation et de l'ampleur du redressement pouvant être envisagé.

Dans le même sens, la Cour de cassation n'a pas prononcé l'annulation d'une procédure de contrôle d'une entreprise par une URSSAF, s'agissant d'une lettre d'observations adressée huit mois plus tard (24). En effet, la cour d'appel a pu estimer qu'un tel délai était raisonnable aux motifs que de nombreuses relances et échanges avaient été nécessaires pour obtenir tous les documents et justificatifs permettant la vérification et l'établissement de la lettre d'observations. Les anomalies étaient nombreuses et justifiaient une exploitation exhaustive des pièces réclamées par l'inspecteur ; postérieurement au 9 octobre 2007, l'URSSAF avait informé la cotisante que sa situation justifiait une poursuite et un approfondissement des investigations.

Au final, le régime des délais d'envoi de la lettre n'est pas satisfaisant, car non encadré et laissé à la libre appréciation des URSSAF, générant une forte insécurité juridique.

B - Effets attachés à l'envoi de la lettre d'observations

L'envoi de la lettre d'observations n'est pas du tout un point anodin, puisque cet envoi déclenche plusieurs droits et prérogatives juridiques : un droit de réponse du cotisant ; une obligation de réponse à la charge de l'URSSAF.

1 - Droit de réponse du cotisant

Auparavant, l'employeur disposait d'un délai de quinze jours, raisonnablement passé à trente jours (décr. n° 99-434 du 28 mai 1999, portant diverses mesures de simplification et d'amélioration des relations avec les cotisants et modifiant le Code de la Sécurité sociale) pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception à la lettre observations. Il pouvait se faire assister d'un conseil de son choix (CSS, art. R. 243-59, al. 6). Cette disposition a été maintenue et complétée par le décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59, II, nouvelle réd.). Dorénavant, dans sa réponse, l'employeur contrôlé peut indiquer toute précision ou tout complément notamment en proposant des ajouts à la liste des documents consultés. Lorsque l'employeur répond avant la fin du délai imparti, l'agent chargé du contrôle est tenu de répondre.

Pour la Cour de cassation (25), cette communication à l'employeur, destinée à assurer le caractère contradictoire du contrôle ainsi que la sauvegarde des droits de la défense et à permettre un apurement souhaitable avant tout recours, constitue une formalité substantielle dont dépend la validité de la procédure. Aussi, lorsque l'agent de contrôle établit, clôture et transmet son rapport avant d'avoir communiqué ses observations à la société, cette circonstance entraîne la nullité des mises en demeure délivrées postérieurement. En effet, l'employeur n'a plus la possibilité, dans cette situation, d'exercer son droit de réponse. La même solution a été retenue, s'agissant de la procédure de contrôle au cours de laquelle l'inspecteur qui transmet son rapport de contrôle à son organisme de recouvrement concomitamment à l'envoi de ses observations au cotisant, n'accordant à celui-ci aucun délai de réponse (Cass. soc., 11 février 1999, n° 97-15.496, inédit N° Lexbase : A3046CRA)

La Cour de cassation a poussé l'exigence du formalisme jusqu'à imposer que l'agent de contrôle indique, dans la lettre d'observations, la mention intrinsèque invitant l'employeur à répondre dans le délai de quinze jours aux observations de l'agent de contrôle ; à défaut, la Cour en tire la conclusion que n'ont pas été respectées les formalités substantielles qui ont pour but de donner un caractère contradictoire au contrôle et de sauvegarder les droits de la défense (26).

2 - Obligation de réponse à la charge de l'URSSAF

Le décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59, II, nouvelle réd.) a modifié sur deux points le régime du droit de réponse de l'employeur : lorsque l'employeur répond avant la fin du délai imparti (30 jours), l'agent chargé du contrôle est tenu de répondre ; chaque observation exprimée de manière circonstanciée par la personne contrôlée fait l'objet d'une réponse motivée par l'URSSAF ; la réponse de l'URSSAF détaille, par motif de redressement, les montants qui ne sont pas retenus et les redressements qui demeurent envisagés.

Les textes antérieurs au décret du 8 juillet 2016 (CSS, art. R. 243-59) prévoyaient déjà une obligation pour l'inspecteur de répondre aux observations du cotisant formulées dans un délai de trente jours après la réception de la lettre d'observations. La doctrine (27) a montré que les inspecteurs URSSAF se contentaient, le plus souvent, de réponses très lapidaires confirmant les termes du redressement sans tenir compte des arguments avancés par les entreprises.

La portée de la réponse de l'URSSAF a été précisée par la jurisprudence :

- l'inspecteur du recouvrement, à réception de la réponse de l'employeur dans le délai de trente jours, peut lui demander des justificatifs complémentaires et, tenant compte des observations en réponse, lui indiquer que celles-ci conduisaient à une minoration du redressement initialement envisagé sans avoir à envoyer une nouvelle lettre d'observations. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'un nouveau contrôle et un avis de contrôle n'a pas à être adressé au cotisant (28) ;

- l'inspecteur du recouvrement peut adresser une seconde lettre d'observations qui annule et remplace la première en reprenant les mêmes chefs de redressement, mais en en minorant les montants (29). En l'espèce, la société n'a pas fait l'objet de deux contrôles, mais d'un contrôle unique, concernant la même période et les mêmes éléments, ayant donné lieu à deux lettres d'observations de fin de contrôle, après prise en compte des observations en réponse fournies par l'employeur, la première annulant et remplaçant la précédente, tout en reprenant les mêmes chefs de redressement envisagés, sauf à en réduire les montants pour tenir compte des délais de prescription.

L'abondance du contentieux montre à quel point le régime de la lettre d'observations est un point sensible pour les entreprises et que ce régime est insuffisamment encadré et défini par les textes (source d'insécurité et nid à contentieux). Le décret du 8 juillet 2016 va clairement dans le sens d'une amélioration des relations URSSAF/entreprise, mais de nombreuses zones d'ombre demeurent (spéc., la question des délais d'envoi de la lettre).


(1) ACOSS, Le contrôle et la lutte contre la fraude au prélèvement social, Rapport d'activité thématique 2015, en ligne ; Convention d'objectifs et de gestion Etat-ACOSS, 2014-2017, p. 38-41.
(2) J.-M. Nelly, Réforme du contrôle URSSAF : aux tribunaux de transformer l'essai !, SSL, n° 1732 du 18 juillet 2016 ; F. Wismer et J. de Calbiac, JCP éd. S, 26 juillet 2016, act. 291 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 664, 2016 (N° Lexbase : N3822BWH).
(3) B. Gérard et M. Goua, Pour un nouveau mode de relation URSSAF - entreprises, Rapport, avril 2015 ; O. Fouquet et T. Wanecq (rapporteur général), Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les URSSAF et prévenir les abus, Rapport (dit "Fouquet II"), juillet 2008 (Ph. Coursier et D. Coleu, Droits et obligations des cotisants après le rapport "Fouquet II", Dr. soc., 2010, p. 202) ; ACOSS, Rapport d'activité, 2013.
(4) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 651, 2016 (N° Lexbase : N2248BW8).
(5) J.-M. Nelly, SSL, n° 1732 du 18 juillet 2016, préc. ; F. Wismer et J. de Calbiac, JCP éd. S, 26 juillet 2016, act. 291, préc. ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 664, 2016, préc..
(6) Le redressement ne portait alors que sur des éléments qui, ayant fait l'objet d'un précédent contrôle dans la même entreprise ou le même établissement, n'ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme.
(7) Cass. civ. 2, 26 novembre 2015, n° 14-26.017, F-P+B (N° Lexbase : A0769NY7), LSQ, n° 220, 8 décembre 2015.
(8) Cass. civ. 2, 4 avril 2013, n° 12-15.739, F-P+B (N° Lexbase : A6391KBC), Bull. civ. II, n° 74 ; JCP éd. S, 2013, n° 1306, note M. Michalletz. A la suite de plusieurs contrôles portant sur la période antérieure à 2007, l'URSSAF de Paris n'avait formulé aucune observation sur le non-paiement par l'Alliance française de Paris (l'association) du versement de transport. Pour dire l'association en droit de bénéficier de l'exonération du versement de transport, l'arrêt relève que, durant la période antérieure à 2007, les contrôles effectués par l'URSSAF en mars 2000, en décembre 2003 et en août 2007 n'ont pas remis en cause l'absence de versement de transport. En statuant ainsi, alors que la notification en 2007 d'une décision contraire faisait obstacle à ce que l'accord tacite antérieur de l'URSSAF puisse continuer à produire effet, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
(9) Cass. soc., 11 octobre 2001, n° 00-11.880, inédit (N° Lexbase : A8993AWY), RJS, 2002, n° 323, 2ème esp. ; Cass. soc., 25 janvier 2001, n° 98-14.915, inédit (N° Lexbase : A9373ASX ; la société Brit Air. a fait l'objet de deux précédents contrôles sur les périodes du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1979 et du 1er janvier 1980 au 31 décembre 1983, portant sur les mêmes avantages en nature, au cours desquels l'URSSAF a consulté tous les documents comptables. L'URSSAF a alors décidé en toute connaissance de cause de ne pas intégrer dans l'assiette des cotisations ces avantages en nature. L'URSSAF était liée par sa décision implicite. La décision contraire prise le 20 décembre 1994 ne pouvait pas avoir un effet rétroactif) ; Cass. civ. 2, 22 janvier 2009, n° 07-19.038, FS-P+B (N° Lexbase : A6383ECE), RJS, 2009, n° 275 (au cours de la vérification, l'agent de l'URSSAF a pu prendre connaissance du relevé comptable des sommes versées aux membres de l'équipe de France au cours des années 1988 et 1989 dans des situations identiques à celles examinées lors du contrôle pratiqué en 1994 et n'a formulé aucune remarque sur ce point ; le silence gardé par l'URSSAF sur la pratique alors suivie par la FFF constituait de la part de celui-ci une décision implicite, prise en connaissance de cause, qui faisait obstacle au redressement litigieux, en l'absence de décision contraire de sa part notifiée avant le second contrôle, la diffusion par l'ACOSS d'une lettre ministérielle ne pouvant en tenir lieu).
(10) Cass. soc., 11 octobre 2001, n° 00-11.880, inédit (N° Lexbase : A8993AWY), Bull. civ. II, n° 23 ; RJS, 2010, n° 377. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments produits que le tribunal, après avoir exactement rappelé que la charge de la preuve en la matière incombait à l'employeur, a jugé que les documents versés aux débats par la société étaient insuffisants à caractériser un accord tacite sur la pratique litigieuse donné en connaissance de cause lors de précédents contrôles.
(11) Cass. soc., 16 avril 1992, n° 89-16.089, inédit (N° Lexbase : A1090AAM), RJS, 1992, n° 783 ; Cass. civ. 2, 30 mai 2013, n° 12-20.300, F-D (N° Lexbase : A9422KEP).
(12) Cass. soc., 17 décembre 1998, n° 97-13.180, inédit (N° Lexbase : A1622CWY), RJS, 1999, n° 261 ; Cass. civ. 2, 23 mai 2013, n° 12-20.045, F-D (N° Lexbase : A9202KD8).
(13) Cass. civ. 2, 18 novembre 2003, n° 02-30.552, F-D (N° Lexbase : A2078DA9), RJS, 2004, n° 447 ; Cass. soc., 13 février 1992, n° 89-17.951, publié (N° Lexbase : A4644ABM).
(14) Cass. civ. 2, 16 février 2012, n° 11-10.690, F-D (N° Lexbase : A8741ICQ) ; Cass. civ. 2, 20 janvier 2012, n° 10-27.291, F-D (N° Lexbase : A1356IBT).
(15) Cass. civ. 2, 10 octobre 2013, n° 12-26.586, F-D (N° Lexbase : A6966KMX), RJS, 2014, n° 77 ; Cass. civ. 2, 3 avril 2014, n° 13-11.516, F-P+B (N° Lexbase : A6339MIM), Gaz. Pal. 2014, I, jurispr., p. 1765, Ph. Coursier.
(16) Cass. civ. 2, 9 juillet 2015, n° 14-17.752, F-P+B (N° Lexbase : A7668NMX), JCP éd. S, 20 octobre 2015, 1374, Commentaire par O. Anfray, critique ("Cette analyse demeure regrettable. Certains chefs de redressement et la vérification des calculs effectués nécessitent de savoir quels éléments ont été réintégrés, donc de savoir quels salariés ont été visés").
(17) Cass. soc., 24 octobre 2002, n° 01-20.035 (N° Lexbase : A3515A3L), Bull. civ. V, n° 318, JCP éd. G, 2002, n° 2963, RJS, 2003, n° 249 ; Cass. civ. 2, 20 juin 2007, n° 06-16.227, F-D (N° Lexbase : A8811DWA) ; Cass. soc., 11 janvier 1973, n° 71-13321, publié (N° Lexbase : A9834CGC), Bull. civ. V, n° 23.
(18) Cass. civ. 2, 18 septembre 2014, n° 13-21.682, F-P+B (N° Lexbase : A8344MWX), M. Michalletz, Redressement URSSAF : la lettre d'observations doit mentionner le mode de calcul des redressements envisagés, JCP éd. S, n° 48, 25 novembre 2014, 1456.
(19) Cass. civ. 2, 16 février 2012, n° 11-12.166, F-P+B (N° Lexbase : A8638ICW), JCP éd. S, 2012, n° 1171, note T. Tauran.
(20) Cass. civ. 2, 6 novembre 2014, n° 13-23.990, F-P+B (N° Lexbase : A9183MZ7), LSQ, n° 159 du 8 septembre 2015.
(21) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 668, 2016 (N° Lexbase : N4273BW8).
(22) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 651, 2016, préc..
(23) Cass. civ. 2, 28 mai 2015, n° 14-17.618, F-P+B (N° Lexbase : A8152NIR), LSQ, n° 159 du 8 septembre 2015.
(24) Cass. civ. 2, 5 novembre 2015, n° 14-23.281, F-D (N° Lexbase : A0197NW9), JCP éd. E, 2015, n° 1592.
(25) Cass. soc., 6 février 1997, n° 95-13.685, publié (N° Lexbase : A1812AC4), Bull. civ. V, n° 56, p. 36 ; dans le même sens, Cass. soc., 5 novembre 1999, n° 96-21843, publié (N° Lexbase : A2499CGN) ; RJS, 1999, n° 1509, 2ème esp..
(26) Cass. soc., 18 juillet 1996, n° 94-17.174, publié (N° Lexbase : A9953ABA), Bull. civ. V, n° 306, p. 217, RJS, 1996, n° 1093.
(27) F. Wismer et J. de Calbiac, JCP éd. S, 26 juillet 2016, act. 291, préc..
(28) Cass. civ. 2, 3 mai 2006, n° 04-30.729, F-D (N° Lexbase : A3536DPN), RJS, 2006, n° 889.
(29) Cass. civ. 2, 16 novembre 2006, n° 05-16.874, FS-D (N° Lexbase : A3390DSD), RJS, 2007, n° 380, 1ère esp..

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Droit des étrangers

[Doctrine] Etrangers et nationaux : quel accès à la liberté d'aller et venir ?

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par Hocine Zeghbib, Maître de conférences, Université Paul Valéry - Montpellier III, codirecteur scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"

Le 14 Octobre 2016

L'accès à la liberté d'aller et venir sur le territoire national est, du point de vue du droit interne, ouvert autant aux nationaux qu'aux étrangers dès lors que certaines conditions se trouvent réunies. Pour autant, cet accès n'échappe pas à toute une série d'interrogations, les unes liées aux exigences propres au respect de l'ordre public, les autres liées à la traditionnelle distinction entre étrangers et nationaux mais aussi à une distinction discriminante entre nationaux sédentaires et nationaux non-sédentaires. Le droit des étrangers, lorsqu'il s'agit d'encadrer l'entrée sur le territoire national, première étape de la mise en pratique de la liberté d'aller et venir, est construit sur l'idée que la liberté de circulation comme la nomme le droit international n'est pas un droit subjectif. Dès lors, sa réalisation dépend tout entière de l'Etat qui en organise souverainement les conditions. La liberté d'aller et venir, ou liberté de circulation, est constitutionnellement protégée en droit interne français et internationalement consacrée par la Déclaration universelle des droits de l'Homme (Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 N° Lexbase : L6814BHT). Adossée au plus haut niveau de la hiérarchie normative, la liberté de circulation bénéficie, en droit interne, d'un régime protecteur certain mais dont la portée est fonction de deux pôles opposés : d'un côté, le pôle de l'universalité qui voudrait que ce droit soit garanti de la même manière à toutes les personnes se trouvant sur le territoire national ; de l'autre côté, le pôle des exigences consubstantielles au maintien de l'ordre public. De cette mise en tension, résulte, pour les nationaux comme pour les étrangers, un accès à la liberté d'aller et venir relativement contingenté (I) et d'inégale facilité (II).

I - Un accès relativement contingenté...

En tant que principe universel dont la réalisation incombe à l'Etat, la liberté de circulation porte en elle une sérieuse contradiction : fondée sur le mouvement, sa jouissance sera en définitive fonction des limites territoriales de l'Etat-nation. Cette contradiction conduit l'Etat à en organiser le régime juridique non pas autour de la notion de mobilité, notion centrifuge, mais au contraire autour de la notion de sédentarité, notion centripète. Ce faisant, l'Etat procède à une sorte d'inversion des principes (A) aux conséquences inattendues sur le statut juridique même de ses propres ressortissants (B).

A.... en raison d'une inversion des principes fondateurs...

Puisant ses sources internes dans la DDHC et dans la Constitution de 1791 garantissant "la liberté à tout homme d'aller, de rester, de partir [...]", la liberté de circulation est l'une des libertés "les plus anciennes de notre droit" (1). Eminemment sensible car se situant à la croisée des impératifs d'universalité attachés aux "droits dont le germe est dans la nature humaine" (2) et des impératifs de singularité attachés au respect de l'ordre public fondé sur l'intérêt général, la liberté de circulation a fait l'objet d'un contrôle juridictionnel tant administratif que judiciaire conséquent qui s'est employé à en délimiter le champ, à en préciser les conditions d'application et à en organiser la protection contre l'arbitraire toujours possible de l'administration. Prolongeant cette oeuvre, le Conseil constitutionnel l'a, dans un premier temps, érigée en principe à valeur constitutionnelle (3) avant d'en faire, dans un second temps, une liberté autonome expressément placée sous la protection des "articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration de 1789" (4). Pour autant, le régime ainsi élaboré n'en apparaît pas moins limité si l'on considère la liberté de circulation sous l'angle philosophique. En effet, sous cet angle, au coeur de cette liberté se trouve la liberté de mouvement. On dira même que, pour les tenants du droit naturel, cette liberté existe avant même son appréhension par le droit. Concrètement, la liberté de mouvement recouvre plusieurs situations qu'il convient de distinguer : la liberté d'aller et venir à l'intérieur du territoire ; la liberté d'aller et venir du territoire vers l'extérieur ; la liberté d'aller et venir de l'extérieur vers le territoire. Alors que les deux premières sont en principe garanties à tous les résidents d'un territoire donné dès lors qu'ils s'y trouvent en situation régulière, la troisième, qui se traduit dans les faits par le droit d'entrer sur le territoire, n'est garantie qu'aux seuls nationaux et, par l'effet du principe de non-refoulement, aux demandeurs d'asile. Force est donc de constater que la liberté d'aller et venir a pour corollaire la mobilité. Pourtant, la notion de sédentarité a, historiquement, pris le pas sur la notion de mobilité à l'occasion du processus de construction de l'Etat, processus dont on peut dire qu'il s'est approfondi et illustré dans la figure de l'Etat moderne. Or, ce processus repose, en bonne partie, sur une donnée démographique indéniable. En effet, comme l'a montré Max Weber au début du XXe siècle (5), on ne saurait tout simplement concevoir l'Etat sans l'institutionnalisation d'une collectivité humaine sur laquelle il exerce son pouvoir de domination. Institutionnaliser une collectivité humaine suppose, outre la donnée démographique, une donnée territoriale. Le territoire devient ainsi un enjeu majeur dont la maîtrise conditionne l'exercice du pouvoir de domination. Le contrôle des déplacements sur ce territoire, avec la tentation d'ériger la sédentarité en norme de comportement, constitue dès lors l'une des prérogatives les plus essentielles du pouvoir étatique. C'est dire combien le projet étatique vise à tracer une frontière entre "le dedans" et "le dehors", le national et l'étranger. Au-delà, c'est l'opposition sédentaire/nomade qui se retrouve au centre de la problématique de la liberté de circulation. Inversant ainsi les principes, le droit interne justifie et organise des distinctions, d'une part entre nationaux et, d'autre part, entre nationaux et étrangers. Se nourrissant du paradoxe d'une liberté censée garantir la mobilité et qui, en réalité, se retrouve surdéterminée par la sédentarité, la traditionnelle distinction entre nationaux et étrangers se double d'une distinction entre sédentaires et non-sédentaires. Alors que la première distinction s'appuie sur la différence de statut juridique entre le national et l'étranger pour justifier un traitement différent au regard de la liberté d'aller et venir, la seconde distinction puise dans des registres d'ordre sociologique, voire ethnique, et conduit à la constitution de groupes différents justifiant du même coup leur traitement différencié. Outre le trouble sémantique que laisse filtrer l'opposition sédentaire/non-sédentaire conduisant à confondre mobilité et itinérance et, au-delà, à représenter le migrant étranger comme "itinérant" par définition, cette conception a pour conséquence de réserver au non-sédentaire, national fût-il, un régime juridique spécifique au regard de la liberté d'aller et venir. Aussi, cette conception a-t-elle, depuis longtemps et aujourd'hui encore, donné prise, au risque de heurter le principe de non-discrimination (6), à une législation particulière aux "nomades" et autres "gens du voyage" (7) qui enchâsse leur liberté de mouvement dans un système de stricte surveillance alors-même que ce sont, en majorité, des nationaux.

B.... et en raison d'une différence d'accès y compris entre nationaux

Echappant à la logique d'ensemble qui a historiquement caractérisé le lien étroit existant entre l'édification de l'Etat moderne et les restrictions aux déplacements internes concrétisées par la suppression du passeport intérieur en 1789, du livret ouvrier en 1890 et des fiches de police dans les hôtels en 1975, l'encadrement strict de la circulation des "nomades" relève d'une logique de contrôle et de surveillance connotée par la peur ancestrale du "sans-foyer", du "pérégrin", du "vagabond", de l'"Autre différent", enfin. Quand bien même cet "Autre différent" ne serait pas, dans la plupart des cas, juridiquement "un autre" puisque tenu par le même lien de rattachement à l'Etat que le ressortissant, le lien de nationalité. Au fond, plus que le sujet de droit lui-même, c'est la mobilité qui poserait problème et qui serait suspecte par nature. Et le serait encore davantage lorsqu'elle est le fait de non-sédentaires, que cette mobilité soit liée au mode de vie réel ou supposé, comme c'est le cas des "gens du voyage", ou à des nécessités professionnelles, comme c'est le cas des professions "ambulantes". On connaît l'extrême rigueur de la loi du 16 juillet 1912 quant à la surveillance et au contrôle des déplacements des marchands ambulants, des forains et des "nomades". Bien que devant se munir d'un "carnet d'identité" ou devant déclarer obligatoirement leur profession, marchands ambulants et forains bénéficiaient cependant d'un régime plus favorable que celui auquel étaient soumis les autres "nomades". En effet, cette catégorie composée de tous les individus "quelle que soit leur nationalité, [...] circulant en France sans résidence ni domicile fixe, [...] même s'ils ont des ressources ou prétendent exercer une profession" (8), était soumise à des règles d'identification dont les critères relevaient de la criminologie. Système nettement stigmatisant sinon discriminant, il fut abandonné par la loi du 3 janvier 1969 (loi n° 69-3, 3 janvier 1969, relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe N° Lexbase : L4723GUH) visant à instaurer un régime unique "d'itinérance" s'appliquant à l'ensemble des non-sédentaires. Concrètement, ce texte de loi distingue quatre types de non-sédentaires : les marchands ambulants ayant un domicile fixe, les marchands ambulants sans domicile fixe, les personnes ambulantes sans domicile fixe justifiant de ressources régulières et suffisantes et, enfin, les personnes ambulantes sans domicile fixe et sans ressources régulières. Ces catégories de personnes partagent, toutefois, différentes caractéristiques. Tout d'abord, ces catégories sont définies en fonction de leur degré de mobilité ainsi que de la régularité et de l'importance de leurs ressources : en somme, le degré de surveillance de leur liberté de circulation est proportionnel au degré de leur sédentarisation et des indicateurs économiques de celle-ci. Ensuite, leur circulation, qu'elle soit liée ou non à l'exercice d'une profession, est soumise, plus particulièrement en ce qui concerne les deux dernières catégories, à un véritable régime d'autorisation préalable, régime dénoncé comme étant discriminatoire à plusieurs reprises. Ainsi, dans un rapport sur le respect effectif des droits de l'Homme en France, est-il souligné que "l'obligation de détenir un tel document -livret et carnet de circulation- ainsi que celle de le faire viser régulièrement constitue une discrimination flagrante. En effet, il s'agit de la seule catégorie de citoyens français pour laquelle la possession d'une carte d'identité ne suffit pas pour être en règle" (9). D'autre part, la Halde a dénoncé, en 2007, ce dispositif qu'elle considère comme manifestement contraire à l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1359A99) (délibération n° 2007-372 du 17 décembre 2007). Enfin, la Halde estime que ce dispositif viole l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4747AQU) et l'article 2 du Protocole n° 4 en ce qu'il "[...] instaure manifestement une différence de traitement au détriment de certains citoyens français [...]" (délibération n° 2009-143 du 6 avril 2009). D'autres éléments, comme l'inscription sur les listes électorales soumise à une condition de résidence continue de 3 ans sur le territoire d'une commune alors que ce délai n'est que de 6 mois pour les personnes sans domicile fixe ou encore le système de rattachement des "gens du voyage" à une commune qui repose sur un seuil ne devant pas dépasser 3% de la population totale de ladite commune, ont fini par accentuer le caractère discriminant des dispositions propres aux "gens du voyage". Enfin, le critère de la nationalité en tant que critère de distinction entre le ressortissant bénéficiant de plein droit de la liberté de circulation et l'étranger seulement autorisé à circuler se révèle inopérant ici, soit de manière relative comme pour les deux catégories soumises à l'obligation de "déclaration préfectorale" ou à l'obtention du "livret spécial de circulation", soit de manière absolue comme pour les deux autres catégories soumises, elles, au "livret de circulation" et au "carnet de circulation". D'autre part, depuis une loi de 2008, le régime des activités ambulantes ayant été placé sous l'emprise du Code de commerce (10), la loi de 1969 ne s'applique donc plus qu'aux seules "personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe", c'est-à-dire à la seule catégorie administrative des "gens du voyage", catégorie fortement ethnicisée. Dès l'entrée en vigueur de la "procédure QPC", le Conseil constitutionnel a été saisi, mais sur le seul fondement, il est vrai, de la loi n° 2000-614 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (N° Lexbase : L0716AID) dont la constitutionnalité des articles 9 et 9-1 était contestée. Par sa décision n° 2010-13 QPC du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : A1250E43), le Conseil s'est prononcé en faveur de la constitutionnalité des dispositions contestées tout en réitérant, sans viser expressément la loi de 1969, sa jurisprudence de 2003 conciliant respect de l'ordre public et encadrement des libertés fondamentales dont la liberté d'aller et venir. Saisi à nouveau, le 17 juillet 2012 par le Conseil d'Etat, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision qui ne lève pas tous les doutes. En effet, par cette décision rendue le 5 octobre 2012 (11), le Conseil constitutionnel déclare, certes, contraires à la Constitution les dispositions de la loi de 1969 instaurant un carnet de circulation. Cependant, la décision n'invalide pas la totalité des dispositions de cette loi mais simplement celles de l'article 5 se rapportant aux personnes qui ne justifient pas de ressources régulières pour lesquelles la loi avait instauré des conditions particulières de circulation : la possession d'un carnet de circulation (non d'un livret de circulation) devant être visé à intervalles réguliers. Est donc désormais contraire à la Constitution le fait d'imposer un titre de circulation particulier aux personnes ne justifiant pas de ressources régulières tout comme l'exigence du visa trimestriel de ce titre. La décision du 5 octobre 2012, si elle invalide également les dispositions de la loi de 1969 relatives à l'inscription sur les listes électorales, déclare en revanche conforme à la Constitution toutes les autres dispositions de cette loi et confirme, encore une fois, la jurisprudence antérieure sur le principe d'égalité et la liberté d'aller et venir. Les changements à venir auront probablement une autre origine. Un long processus s'est enfin enclenché commençant par une proposition de loi visant à l'abrogation pure et simple de la loi de 1969 et à son remplacement par le droit commun (12), proposition cependant rejetée en première lecture, le 1er février 2011. La CNDH a, pour sa part, publié le 28 mars 2012 un important avis sur le respect des droits des gens du voyage dans lequel elle invite le gouvernement à prendre des mesures afin de lever les dispositions législatives discriminatoires (13). De son côté, le Comité européen des droits sociaux, saisi par le Forum européen des Roms et des gens du voyage, a rendu une décision en janvier 2012, publiée seulement en juin de la même année, allant à l'encontre de la position du Conseil Constitutionnel sur les articles 9 et 9-1 de la loi de 2000 que les magistrats européens considèrent comme contraires à la Charte sociale Européenne (décret n° 2000-110 du 4 février 2000 portant publication de la Charte sociale européenne N° Lexbase : L1676HDG). C'est dans ce contexte qu'une proposition de loi visant à abroger la loi de 1969 est déposée au Sénat (14). Les députés de la majorité reprennent l'initiative et déposent, en 2013, une autre proposition de loi (15) allant dans le même sens et visant à abroger à la fois la loi de 1969 et à modifier certaines dispositions de la loi de 2000 dite "loi Besson II" (loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage N° Lexbase : L0716AID). Enfin adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 9 juin 2015, la proposition de loi a été enregistrée le 10 juin 2015 au Sénat. Le calendrier parlementaire ne permettant pas de débat avant la fin de l'échéance de la législature en cours, les auteurs de la proposition de loi ont introduit des amendements visant à abroger la loi décriée de 1969 dans le projet de loi "Egalité et Citoyenneté" enregistré à la Présidence de l'Assemblée le 13 avril 2016 et adopté en première lecture le 6 juillet. Dans le texte élaboré finalement par la Commission spéciale figure un chapitre IV "Dispositions améliorant la lutte contre le racisme et les discriminations" abrogeant la loi du 3 janvier 1969 (16). L'adoption définitive de ce texte important mettra fin aux flagrantes discriminations entre nationaux. Ne demeureront alors que les dispositions commandées par l'intérêt général mais aussi par le statut du bénéficiaire de la libre circulation sur lesquelles il convient également de s'interroger.

II - Un accès d'inégale facilité...

La garantie de jouissance de la liberté de circulation reconnue, en vertu de l'article 2 du Protocole n° 4 CESDH, à "quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat [...]" doit être, du point de vue juridique, pleine et entière. Elle doit se traduire, dans la pratique, par la liberté de circuler sur la totalité du territoire national mais aussi, conformément au même article 2 du Protocole n° 4, par le droit "d'y choisir librement sa résidence [...]". Pour autant, l'exercice d'une liberté fondamentale, aussi essentielle soit-elle, n'échappe pas à un encadrement législatif et réglementaire au centre duquel se lovent les notions d'intérêt général et d'ordre public (A) mais aussi la distinction entre nationaux et étrangers (B).

A.... car encadré par les exigences de l'ordre public ...

Un tel encadrement, toujours susceptible de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, se traduit par toute une série de restrictions à caractère pénal et de police administrative décrites par la doctrine (17) dont il suffit ici de rappeler l'essentiel. D'ordre pénal, ce peuvent être des mesures de contrôle judiciaire prises dans le cadre d'une procédure d'instruction judiciaire ou une interdiction de séjour prononcée à titre complémentaire à une peine pénale principale ou bien encore toutes sortes de dispositions à caractère pénal prises en relation avec la sécurité dans les stades, etc. D'ordre administratif, les restrictions à la liberté de circulation sont principalement organisées par les maires, accessoirement par les préfets et le Premier ministre, dans le cadre des pouvoirs de police administrative qui leur sont traditionnellement reconnus. Le juge administratif, est-il nécessaire de le rappeler, a largement encadré cette activité aussi bien lorsqu'elle est l'oeuvre des maires ou, plus rarement, des préfets que lorsqu'elle émane du Premier ministre. En qualifiant la liberté de circulation de "liberté fondamentale" (18), le juge administratif l'a délibérément placée sous le régime qu'il a patiemment bâti sur le fondement de la célèbre formule du Commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions à l'arrêt "Baldy" (19), "la liberté est la règle, la restriction de police l'exception". Ce faisant, le juge administratif a été amené à encadrer scrupuleusement à plusieurs niveaux les restrictions apportées à la liberté de circulation. En partant du fait que la liberté d'aller et venir suppose, pour sa réalisation effective, la liberté de se mouvoir librement sur le territoire où l'on a régulièrement élu domicile, protéger la libre circulation sur la voie publique devenait un des objectifs prioritaires du contrôle exercé par le juge. Or, parmi les moyens matériels favorisant l'exercice du droit de se mouvoir sur la voie publique, l'automobile, et à travers elle la circulation automobile, a ouvert la voie à une foisonnante activité de réglementation à l'occasion de laquelle les pouvoirs publics ont pu être suspectés d'intentions ou de pratiques liberticides. Cette activité a pu, par suite, donner prise à l'intervention déterminante du Conseil constitutionnel qui, à cette occasion, a consacré le principe de la liberté d'aller et venir lui conférant, du même coup, valeur constitutionnelle. La juridiction administrative a, elle également, été amenée à préciser la portée de toute une série de textes autant par rapport à l'usage de la voie publique au regard du principe de gratuité (20) et du principe d'égalité des usagers que par rapport à la situation des conducteurs tant au regard de l'obligation de détention du permis de conduire que de l'obligation de protection contre les conséquences physiques et financières d'un éventuel accident de la route (21). On a, également, pu se demander, par rapport à la liberté d'aller et venir corrélée à l'improbable "principe de la liberté du commerce et de l'industrie", dans quelle mesure une autorité administrative pouvait s'opposer à l'exercice d'une activité commerciale sur la voie publique. La réponse, ancienne et connue (22), n'a pas varié : l'interdiction ne peut ni être totale ni même être soumise à un régime d'autorisation préalable sauf à exciper, dans ce dernier cas, de l'existence d'un fondement légal comme c'est le cas pour la catégorie "marchands ambulants". Ces dernières années, marquées par une certaine crispation quant au traitement des questions relevant de la sécurité et de la tranquillité publiques, ont vu le juge administratif décourager certaines initiatives réglementaires municipales tendant à limiter trop brutalement, voire à interdire de manière générale, les déplacements de nuit des mineurs de 13 ans non accompagnés ainsi que les déplacements, ou plutôt le stationnement prolongé, sur la voie publique des "sans domicile fixe", qui a ainsi annulé tout ou partie des arrêtés dits de "couvre-feu" et des arrêtés dits "anti-mendicité". Position réitérée récemment dans l'affaire dite du "burkini" (23) dans laquelle le Conseil d'Etat rappelle "que les mesures de police que le maire d'une commune du littoral édicte en vue de réglementer l'accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l'ordre public, telles qu'elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu'impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l'hygiène et la décence sur la plage". Et de préciser que "[...] les restrictions qu'il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public". En l'absence de pareilles justifications, "le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l'accès à la plage et la baignade alors qu'elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l'ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d'hygiène ou de décence" sans porter "une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir [...]". Dans un autre domaine, et puisque la liberté de circulation suppose non seulement le droit de se déplacer à l'intérieur du territoire national mais aussi le droit de le quitter volontairement (24), le contrôle du juge a pu porter sur le refus de délivrance et sur le retrait du document de voyage qu'est le passeport les considérant comme des voies de fait dès lors que ces mesures ne reposent pas sur des motifs de sûreté publique (25). Dans tous ces domaines, qui ne représentent qu'une partie significative certes, mais non exhaustive, des situations ayant fait l'objet d'un traitement juridictionnel, le juge a eu chaque fois à coeur de faire respecter la liberté d'aller et venir la plus large possible. Face à des conditions d'exercice pareillement opposables aux nationaux comme aux étrangers, les juges ont ainsi entendu mettre en place un système de garantie profitant pareillement à "quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat". On pourrait donc légitimement conclure à l'égalité de toutes les personnes se trouvant en situation régulière sur le territoire, à savoir les nationaux les uns par rapport aux autres mais aussi les étrangers par rapport aux nationaux quant à la jouissance de la liberté d'aller et venir avec toutes les garanties qui lui sont attachées. En réalité, la liberté d'aller et venir est soumise à un contrôle de proportionnalité, contrôle dont l'intensité est fonction de plusieurs critères. Outre le champ de l'atteinte portée, qui peut être totale ou partielle, le caractère préventif ou répressif de la mesure portant atteinte à la liberté d'aller et venir, le contrôle exercé par le juge tient compte du statut juridique du bénéficiaire de la liberté d'aller et venir selon que celui-ci est national ou étranger et selon que cet étranger se trouve en situation régulière ou irrégulière. Aussi, s'agissant des atteintes à la liberté d'aller et venir des étrangers, le juge administratif exercera-t-il un contrôle minimum.

B.... et car conditionné par le statut juridique de son bénéficiaire

Ces différents éléments ont ceci d'intéressant qu'ils mettent en lumière l'enjeu au coeur de la liberté de circulation : c'est en premier lieu l'opposition sédentaire/non-sédentaire qui surdétermine, en droit interne, le régime juridique de cette liberté, l'opposition national/non-national s'estompant d'autant. Opposition estompée ne signifie pas opposition inopérante pour cerner la complexité du processus de réalisation de la liberté d'aller et venir. En effet, faut-il le rappeler, celle-ci englobe plusieurs droits : le droit d'entrer, le droit de rester et le droit de partir (27). Or, pour au moins les deux premiers d'entre eux, s'opère une différence entre ceux qui posséderaient un droit "naturel" d'entrer et de rester et ceux qui disposeraient, par principe, d'une simple "autorisation", toujours conditionnée et révocable, d'entrer et, éventuellement, de rester en vue d'élire domicile. Traduction juridique d'une sorte "d'inégalité naturelle " entre le national qui a le droit d'habiter sur le territoire et l'étranger qui peut être seulement autorisé à y séjourner, cette différence sert de fondement légitime à l'inégalité de traitement devant l'accès et le séjour sur le territoire national qui sera, comme on le sait, expressément validée par le Conseil Constitutionnel (28). Banalisée par sa généralisation rendue possible à travers la dissémination du modèle de l'Etat-nation, cette différence de traitement est elle-même inscrite dans différents cercles concentriques. En effet, tout comme le droit interne permet des différences de traitement entre nationaux, il organise aussi des différences de traitement entre étrangers. Ainsi, devant le droit d'accès et de séjour, il existe formellement, allant du cercle le plus large au cercle le plus étroit, trois catégories d'étrangers au statut différent : la quasi-totalité des ressortissants des Etats membres de l'Union européenne et des Etats membres de l'Espace Economique Européen ; puis viennent les ressortissants des Etats liés à la France par des accords spécifiques et enfin tous les autres ressortissants étrangers. Toutefois, ce découpage n'a de valeur heuristique qu'en surface, la ligne de fracture se situant en réalité entre les communautaires et assimilés et les extracommunautaires. Du point de vue tout au moins de l'accès au territoire, les ressortissants communautaires bénéficient à coup sûr d'un traitement quasi-identique à celui des nationaux. Du point de vue du séjour sur le territoire, ils bénéficient, globalement, du même traitement que celui réservé aux nationaux, voire d'un traitement plus favorable que les "nationaux, gens du voyage" et donc, dans tous les cas, préférable à celui réservé à l'ensemble des autres étrangers quelles que soient les différences de degrés introduites entre eux par le jeu des accords interétatiques bilatéraux. Cependant, la différence la plus notable entre nationaux et étrangers extracommunautaires résulte de l'accentuation du contrôle exercé sur l'accès au territoire dans le milieu de la décennie 1980 qui, jusque-là, n'avait pas toujours obéi à une même logique. En effet, l'observation longue de la pratique des Etats montre que les périodes de crise jouent au détriment de la liberté d'aller et venir au contraire des périodes de calme et de prospérité (29). Durant ces périodes, la préférence est donnée au contrôle policier aux frontières sur l'usage du passeport qui ne se généralise qu'à partir de 1945 pendant que s'assouplit la réglementation de l'entrée et du séjour. L'exigence d'un visa d'entrée devient une réalité à partir de 1986 et son obtention, non seulement ne garantit pas l'entrée, n'allège pas le contrôle aux frontières mais peut être refusée pour des motifs d'ordre public et pour tout autre motif d'intérêt général. Toujours est-il qu'une fois sur le territoire, l'étranger verra la protection de sa liberté d'aller et venir dépendre de sa propre situation. S'il s'y trouve en situation régulière du point de vue de l'entrée et du séjour, l'étranger bénéficie d'un large droit de mouvement et de séjour. En revanche, s'il s'y trouve en situation irrégulière ou s'il représente une menace grave pour l'ordre public ou la sûreté de l'Etat, sa liberté d'aller et venir se résumera au droit de quitter le territoire qui se traduit en réalité par l'obligation de quitter le territoire. Ce qui peut se traduire par un départ forcé, principalement exécuté sous forme de reconduite à la frontière prononcée par le préfet pour séjour irrégulier et sous forme d'expulsion prononcée par le ministre de l'Intérieur s'il estime que la présence de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. Ces mesures d'éloignement s'accompagnent, dans la majorité des cas, d'une rétention administrative, procédure spécifique aux étrangers dont les conséquences sur leur liberté d'aller et venir interrogent fortement au regard des mesures privatives de liberté pouvant être mises en oeuvre (29). L'assignation à résidence comme alternative au placement en rétention administrative telle que la dernière loi en matière de droit des étrangers (30) la conjugue avec l'OQTF, suscite également des interrogations quant au strict respect de la liberté d'aller et venir. Par ailleurs, cette même loi introduit une modification négative de la situation des ressortissants communautaires et doit être signalée ici : désormais, ces ressortissants, lorsqu'ils font l'objet d'une OQTF, peuvent se voir interdire la circulation sur le territoire français pour une période pouvant atteindre trois années en cas "d'abus" de la liberté de circulation ou bien si leur présence constitue "une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française" (31). Mesure visant particulièrement les "Roms", elle reste à ce jour isolée parmi les législations en vigueur dans les Etats membres et interroge quant à son bien fondé au regard du principe de libre circulation, une des quatre sacro-saintes libertés érigées en dogme par l'UE.

Liberté conditionnée en droit interne, la liberté de circulation reste cependant un droit attaché à l'Etat et demeure, de ce fait, un droit inachevé au regard de la philosophie des droits de l'Homme. Liberté pourtant reconnue comme fondamentale, elle voit son périmètre d'application limité au territoire étatique. En effet, dès lors qu'il s'agit de la réaliser au-delà des frontières, son régime juridique souffre des insuffisances congénitales de ses sources et s'épuise contre le pouvoir souverain des Etats qui entendent conserver le monopole de son application quand bien même leurs pouvoirs montrent leurs limites dès lors que se multiplient et s'intensifient les crises humanitaires déplaçant des millions de personnes à travers le monde. Aussi la crise migratoire actuelle illustre-t-elle, en Europe, d'une part l'incapacité des Etats à empêcher, à leur corps défendant, le "flot des migrants-réfugiés" de se répandre vite et loin et, d'autre part, l'inanité des dispositifs issus des Conventions Dublin I, II (32) et III (33). Plus largement, assisterait-on, en creux, à l'accélération du processus de subjectivisation de la liberté d'aller et venir en cours durant ces trois dernières décennies sous l'impulsion de l'intensification grandissante des mobilités migratoires ? Cela y ressemble fortement même si le droit interne et, plus particulièrement, le droit des étrangers restent encore très largement structurés autour du principe de souveraineté conduisant à traiter la liberté d'aller et venir comme un droit objectif dont la réalisation appartient à l'Etat reléguant du même coup le sujet de droit au second plan.


(1) G. Lebreton, Libertés publiques et droits de l'Homme, Editions Armand Colin, Paris 1997, p. 272.
(2) P. Rossi, Cours de droit constitutionnel, 1866-1867, cité par P.-H. Prélot, Droit des libertés fondamentales, Editions Hachette Supérieur, Paris, 2007, p. 202.
(3) Cons. const., n° 79-107 DC du 12 juillet 1979 (N° Lexbase : A7992ACY), "ponts à péage", AJDA, 1979, p. 46.
(4) Cons. const., décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006 (N° Lexbase : A3803DMS), "Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers".
(5) Max Weber, Economie et société (1921- posthume), Tome 1, Plon, Paris, 1971.
(6) C. Le Berre, Les gens du voyage : une catégorie ambiguë, source de discrimination indirecte, RDP, n° 3, 2008, p. 891.
(7) Loi du 16 juillet 1912 relative à la circulation des nomades remplacée par la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (N° Lexbase : L4723GUH).
(8) Décret d'application du 7 juillet 1926 abrogé par le décret n° 70-708 du 31 juillet 1970 (décret n° 70-708 portant application du titre Ier et de certaines dispositions du titre II de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (N° Lexbase : L3021AIQ).
(9) Rapport final de M. Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux droits de l'Homme, sur la situation en matière de droits de l'Homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe, Conseil de l'Europe, 15 février 2006.
(10) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie pour la passation des marchés publics de haute technologie avec des petites et moyennes entreprises innovantes (N° Lexbase : L7358IAR) et décret n° 2009-194 du 18 février 2009 (N° Lexbase : L9560IC3) qui précise la nouvelle procédure d'obtention de la carte permettant l'exercice d'une activité commerciale ou artisanale ambulante.
(11) Cons. const., n° 2012-279 QPC, du 5 octobre 2012 (N° Lexbase : A9021ITB), "M. Jean-Claude P. [Régime de circulation des gens du voyage]".
(12) Proposition de loi n° 3042, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre 2010.
(13) Avis du 22 mars 2012 sur le respect des droits des "gens du voyage" et des Roms migrants au regard des réponses récentes de la France aux instances internationales, Commission nationales consultative des droits de l'Homme.
(14) Proposition n°587 du 12 juin 2012, déposée à la Présidence du Sénat par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues.
(15) Proposition de loi relative au statut, à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 décembre 2013.
(16) Sénat, Session extraordinaire de 2015-2016, Présidence du Sénat 14 septembre 2016, texte de la Commission spéciale, chapitre IV, section 5, article 50.
(17) G. Lebreton, op.cit., pp. 272 - 282 ; P.-H. Prélot, op.cit., pp. 202 - 208 ; H. Oberdorff, Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Editions Armand Colin, Paris, 2003, pp. 170 - 178.
(18) CE 7° et 10° s-s-r., 9 novembre 1992, n° 107469 (N° Lexbase : A8251ARZ), "Président du gouvernement du territoire de la Polynésie française", RFDA, 1993, p. 570.
(19) CE Contentieux, 10 août 1917, n° 59855 (N° Lexbase : A7421B7Y) "Baldy", Rec. p. 638.
(20) CE 2° et 6° s-s-r., 22 février 1991, n° 90381 (N° Lexbase : A9846AQQ) "Commune de Bagnères-de-Luchon", Rec. p. 63.
(21) CE 5° et 3° s-s-r., 4 juin 1975, n° 92161 (N° Lexbase : A2918B79), "Bouvet de la Maisonneuve", Rec. p. 330.
(22) CE Contentieux, 22 juin 1951, n° 00590 (N° Lexbase : A5220B8T), "Daudignac", Rec. 362, concl. Gazier.
(23) CE référé, 26 août 2016, n° 402742, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6904RYD), "Ligue des droits de l'Homme et autres".
(24) Cass. civ. 1, 28 novembre 1984 (deux arrêts) n° 83-16552 (N° Lexbase : A3867CKG), n° 83-14046 N° Lexbase : A2523AAP), RFDA, 1985, p. 760 ; T. confl., 9 juin 1986 n° 02434 (N° Lexbase : A8195BDU), "Eucat", AJDA, 1986, p. 428 ; CE, Ass., 8 avril 1987, n° 55895 (N° Lexbase : A3303APZ), "Peltier", RFDA, 1987, p. 608 ; Déc. 93-325 DC du 13 août 1993 "Maîtrise de l'immigration", RFDA, 1993, p. 887 ; Th. Di Manno, Les revirements de jurisprudence du Conseil Constitutionnel [dossier "les revirements de jurisprudence du juge constitutionnel"], Cahiers du Conseil Constitutionnel n° 20, juin 2006.
(25) T. confl., 9 juin 1986 n° 02434 (N° Lexbase : A8195BDU), "Eucat", AJDA, 1986, p. 428.
(26) "La liberté d'aller et venir, laquelle comporte le droit de se déplacer hors du territoire français [...] constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 [...]", CE référé, 9 janvier 2001, n° 228928 (N° Lexbase : A2607ATQ).
(27) "Aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national", Déc. 93-325 DC du 13 août 1993, "Maîtrise de l'immigration", préc..
(28) Ce qu'on a appelé la "crise migratoire" et, qui divise l'Union européenne depuis 2014, en est une parfaite illustration.
(29) V., Directive européenne du 16 décembre 2008 sur les "normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier" dite "Directive retour" (Directive (CE) 2008/115 du Parlement européen et du Conseil N° Lexbase : L3289ICS), qui prévoit une durée de rétention pouvant aller jusqu'à 18 mois ; loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4) JORF n° 0139 du 17 juin 2011, p. 10290, a fait passer la période de rétention de 32 à 45 jours. La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France (loi n° 2016-274 N° Lexbase : L9035K4E) n'a pas modifié la durée de rétention mais en a modulé le séquençage : intervention du JLD après un délai de 48 heures au lieu de cinq jours auparavant ; ensuite première prolongation pour 28 jours puis deuxième prolongation pour 15 jours.
(30) Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
(31) Article 28 de la loi du 7 mars 2016 introduisant un article L. 511-3-2 dans le Code des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9270K44).
(32) Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers (N° Lexbase : L9626A9E).
(33) Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (N° Lexbase : L3872IZG).

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Fiscalité internationale

[Questions à...] Aides d'Etat : la Commission européenne reproche à l'Irlande d'avoir octroyé 13 milliards d'euros d'avantages fiscaux indus à Apple - Questions à Maître Yves Rutschmann et Maître Olivier Billard, Avocats à la Cour, Bredin Prat

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 12 Octobre 2016

Le 30 août 2016, la Commission européenne a conclu que l'Irlande avait accordé à Apple des avantages fiscaux indus pour un montant de 13 milliards d'euros. Pour les membres de cette institution, la pratique est illégale au regard des règles de l'Union en matière d'aides d'Etat, car elle a permis à Apple de payer nettement moins d'impôts que les autres sociétés. Plusieurs questions peuvent se poser à la suite de cette décision. Pour en savoir plus sur ce sujet, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Yves Rutschmann et Maître Olivier Billard, Avocats à la Cour, Bredin Prat.

Lexbase : Pouvez-vous décrire la structure fiscale d'Apple en Europe à l'époque des faits ?

Yves Rutschmann et Olivier Billard : L'affaire concerne deux sociétés de droit irlandais du groupe Apple.

La première, Apple Sales International, était chargée, au sein du groupe, d'acheter des produits Apple à des fabricants d'équipements situés dans le monde entier et de les revendre, notamment en Europe. Selon les informations rendues publiques par la Commission, il semble qu'Apple avait organisé ses activités de vente en Europe de telle manière que les clients achetaient contractuellement les produits à la société Apple Sales International plutôt qu'aux magasins distribuant physiquement les produits. De ce fait, Apple enregistrait en Irlande, via la société Apple Sales International, l'intégralité de ses ventes et des bénéfices correspondants en Europe. La seconde, Apple Operations Europe, était chargée de la fabrication et de la vente de certaines gammes d'ordinateurs et réalisait, à ce titre, des bénéfices en Irlande.

Bien qu'étant immatriculées en Irlande, ces deux sociétés n'étaient pas résidentes fiscales de cet Etat, dans lequel elles ne disposaient que d'un simple établissement stable.

Dans ce contexte, Apple bénéficiait de deux rulings fiscaux des autorités irlandaises, consentis en 1991, puis en 2007, avalisant une méthode de répartition interne des bénéfices entre la succursale irlandaise et le siège (non-irlandais) de chacune de ces deux sociétés. Cette méthode conduisait à une imposition des bénéfices d'Apple Sales International et d'Apple Operations Europe réduite en Irlande.

Concrètement, il semble que la majeure partie des bénéfices réalisés par Apple Sales International et Apple Operations Europe n'étaient pas imposables en Irlande mais potentiellement aux Etats-Unis lors de leur rapatriement ultérieur, conformément aux règles fiscales américaines applicables.

Lexbase : Selon la Commission européenne, les rulings fiscaux concernés sont tout à fait légaux. Dès lors, sur quel motif la Commission se base-t-elle pour condamner Apple ?

Yves Rutschmann et Olivier Billard : Il est exact que les rulings fiscaux délivrés régulièrement par les autorités fiscales des Etats sont la plupart du temps parfaitement légaux. Il s'agit en substance de lettres de confort émises par l'administration fiscale d'un pays qui expliquent à un contribuable déterminé la manière dont son impôt sera calculé. Elles peuvent, selon les cas et les pays, avoir une valeur juridique plus ou moins forte pour les entreprises qui les sollicitent et en bénéficient.

Depuis quelques années, la Commission européenne a décidé d'intervenir pour entraver le développement de certaines pratiques d'optimisation fiscale des entreprises au sein de l'Union européenne et utilise pour cela, de façon assez surprenante, les règles de concurrence du Traité prohibant les aides d'Etat.

En substance, la Commission considère que lorsqu'ils se fondent sur une interprétation des règles fiscales nationales qui avantage une entreprise en particulier, les rulings fiscaux constituent des aides d'Etat prohibées.

Il faut rappeler que le principe de prohibition des aides d'Etat (dont on ne trouve trace nulle part ailleurs qu'au sein de l'Union européenne) s'applique à toutes les formes d'intervention des Etats membres financées par des ressources publiques et attribuant un avantage à une entreprise. Cette dernière bénéficie ainsi d'un allègement des charges qu'elle devrait supporter dans des conditions normales de marché, ce qui peut éventuellement fausser la concurrence. C'est pour cette raison que le droit européen des aides d'Etat interdit en principe les aides d'Etat, tout en autorisant certaines dérogations lorsque des intérêts supérieurs s'imposent (comme par exemple les aides à certaines régions sous-développées, les aides destinées à remédier à la perturbation grave de l'économie d'un Etat membre, les aides destinées à promouvoir certains projets d'intérêt européen commun ou à favoriser certaines activités économiques, etc.).

Les aides d'Etat peuvent prendre une forme "positive", c'est le cas de l'octroi de subventions. Mais elles peuvent aussi prendre une forme "négative" lorsque, par exemple, l'Etat renonce à percevoir des recettes. En matière fiscale, toute indulgence de l'administration fiscale vis-à-vis d'une entreprise particulière, conduisant celle-ci à payer moins d'impôts que ce qu'elle aurait dû, peut ainsi être qualifiée d'aide d'Etat.

Le fondement juridique est donc celui du droit de la concurrence, censé garantir une concurrence libre et non faussée entre les entreprises au sein du marché unique, mais qui est ici utilisé, en quelque sorte à contre-emploi, pour lutter contre la concurrence fiscale que se livrent les Etats entre eux...

D'ailleurs, il faut souligner que la Commission ne condamne pas formellement Apple, mais l'Etat irlandais, auquel seul est adressée la décision et auquel il est reproché, finalement, d'avoir fait preuve d'une mansuétude exagérée (qui en devient coupable) dans l'interprétation et l'application de ses propres règles fiscales.

Lexbase : Pensez-vous que la décision de la Commission soit fondée en droit ?

Yves Rutschmann et Olivier Billard : Au regard des principes qui gouvernent l'application des règles sur les aides d'Etat, le raisonnement juridique suivi par la Commission procède d'une certaine logique : dès lors que la Commission considère que le traitement fiscal réservé à Apple par l'Etat irlandais est dérogatoire par rapport aux règles qui auraient dû normalement être appliquées, la qualification d'aide d'Etat est inéluctable.

En revanche, l'appréciation que porte la Commission sur la situation fiscale d'Apple au regard des règles fiscales de droit commun applicables en Irlande peut probablement être discutée.

En l'espèce, l'appréciation de la Commission repose essentiellement sur le principe selon lequel les bénéfices doivent être répartis, entre les sociétés d'un groupe, d'une manière qui reflète la réalité économique. Cela signifie, comme l'indique la Commission, que la répartition doit être conforme aux mécanismes qui prévalent dans des conditions commerciales entre entreprises indépendantes. C'est ce que l'on appelle le "principe de pleine concurrence".

Selon la Commission, la répartition interne des bénéfices au sein du groupe Apple, telle qu'avalisée par les rulings fiscaux litigieux, n'était pas justifiée économiquement. Il est évidemment difficile à ce stade de se faire une idée précise de la valeur des appréciations portées par la Commission sans connaître ni la décision, qui n'est pas encore publiée, ni le dossier dans le détail. Toutefois, on peut s'étonner de ce que, dans son communiqué de presse, la Commission lie l'étendue de l'aide prétendument octroyée par l'Irlande au comportement d'autres Etats membres à l'égard d'Apple, ce qui juridiquement n'est pas sans soulever d'interrogation.

Lexbase : Que pensez-vous de l'idée de réduction des compétences souveraines des Etats membres par l'ingérence des règles européennes sur les aides d'Etat ?

Yves Rutschmann et Olivier Billard : Il est clair que cette interprétation des règles de concurrence du Traité permet à la Commission de tenter une certaine homogénéisation des règles dans un domaine, celui de l'impôt sur les sociétés, pourtant réservé par le droit européen à la souveraineté nationale de chaque Etat membre. La Commission s'attaque ainsi aux Etats membres qui favorisent ce que l'on appelle communément "l'optimisation fiscale" au détriment d'autres pays européens.

Certes, au plan des principes, l'objectif de la Commission consistant à s'assurer que les entreprises paient une "juste part" de l'impôt ne peut qu'être approuvé. Néanmoins, le recours au droit des aides d'Etat ne nous semble pas constituer un outil juridique approprié à sa poursuite, et ce pour plusieurs raisons.

S'il est vrai que le droit des aides d'Etat a été initialement conçu pour éviter notamment une course aux subventions entre Etats membres et que les rulings fiscaux peuvent s'inscrire dans une concurrence fiscale entre les Etats (ces derniers pouvant par ce biais tenter d'influencer les entreprises dans le choix de leur lieu d'établissement), il reste que la Commission ne dispose, en principe, d'aucune compétence légitime en matière d'impôt sur les sociétés. D'un point de vue juridique, il pourrait par conséquent apparaître éminemment contestable que la Commission contourne cette absence de compétence en ayant recours aux règles de concurrence.

Par ailleurs, les règles sur les aides d'Etat semblent être un outil inadapté pour mener une politique fiscale efficace. D'une part, on peut légitimement se demander si la Commission européenne est bien la mieux placée pour interpréter les règles de l'OCDE et les règles fiscales nationales sur des questions aussi techniques et complexes que les prix de transfert au sein des groupes de sociétés. D'autre part, le droit des aides d'Etat peut-il réellement modifier le comportement des entreprises en matière de recours à l'optimisation fiscale alors que c'est un droit qui s'adresse aux Etats et qui ne prévoit aucune sanction (même si l'obligation pour les Etats de récupérer auprès des entreprises bénéficiaires les montants indûment exonérés pourrait apparaître, pour les entreprises concernées, comme une sanction) ? On peut se demander, par exemple, si la nouvelle politique de la Commission, aidée en cela par le développement des ventes en ligne, n'aura pas pour effet collatéral, à rebours de l'objectif poursuivi, de conduire certaines entreprises multinationales à se délocaliser, pour des raisons fiscales, en dehors de l'Union européenne...

Enfin, il est étonnant qu'après avoir favorisé pendant des décennies une concurrence fiscale entre les Etats membres en condamnant les entraves injustifiées à la liberté d'établissement des entreprises et à la libre circulation des capitaux, la Commission européenne utilise le droit de la concurrence pour faire désormais machine arrière.

Lexbase : Selon vous, les aides d'Etat en matière fiscale ont-elles un avenir ?

Yves Rutschmann et Olivier Billard : Les aides d'Etat en matière fiscale ne datent pas d'hier. La Commission a en effet publié une communication sur le sujet dès 1998. Cela dit, l'utilisation du droit des aides d'Etat pour lutter contre l'optimisation fiscale est un phénomène récent et la Commission a clairement indiqué qu'elle entendait poursuivre et intensifier les démarches entreprises en ce sens.

Compte tenu des enjeux pour les entreprises concernées et celles qui le seront dans les mois et années à venir, on peut penser que de nombreux contentieux seront portés par les entreprises devant les juges de Luxembourg. Il appartiendra au Tribunal de l'Union européenne, puis en dernier recours à la Cour de justice, de dire si les raisonnements de la Commission en la matière doivent être confirmés.

La tendance actuelle imprimée par la Commission devrait donc logiquement se poursuivre dans les mois et années à venir, sauf à ce que le juge communautaire en décide autrement...

newsid:454686

Fonction publique

[Brèves] Obligation de l'administration à chercher à reclasser un agent avant de pouvoir le licencier : inapplicabilité aux fonctionnaires stagiaires dont l'emploi est supprimé

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 5 octobre 2016, n° 386802, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9877R4L)

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Le 15 Octobre 2016

L'obligation faite à l'administration de chercher à reclasser un agent avant de pouvoir le licencier (CE, 25 septembre 2013, n° 365139 N° Lexbase : A5989KLE) ne s'applique pas aux fonctionnaires stagiaires dont l'emploi est supprimé. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 5 octobre 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 5 octobre 2016, n° 386802, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9877R4L). Dès lors, en jugeant qu'un tel principe général du droit était applicable aux fonctionnaires stagiaires et que sa mise en oeuvre impliquait que l'administration, lorsqu'elle entend supprimer un emploi occupé par un fonctionnaire stagiaire pour des motifs d'économie, propose à ce fonctionnaire stagiaire un emploi de niveau équivalent, ou à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi, et ne puisse le licencier que si le reclassement s'avère impossible, faute d'emploi vacant ou si l'intéressé refuse la proposition qui lui est faite, la cour administrative d'appel (CAA Douai, 3ème ch., 30 octobre 2014, n° 13DA00878 N° Lexbase : A9993M3I) a commis une erreur de droit (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E5884ESQ).

newsid:454754

Magistrats

[Brèves] Défaut d'impartialité de la Cour des comptes au stade de la fixation de la ligne de compte : violation de l'article 6 § 1 de la Convention (droit à un procès équitable)

Réf. : CEDH, 6 octobre 2016, Req. 63979/11 (N° Lexbase : A0947R79)

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N4758BW7

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Le 18 Octobre 2016

Les mentions faites au rapport public de 1995 de la Cour des comptes ont pu faire naître dans le chef du requérant des craintes objectivement justifiées d'un défaut d'impartialité de la Cour des comptes lors de la fixation de la ligne de compte entraînant ainsi la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (droit à un procès équitable) (N° Lexbase : L7558AIR). Ainsi statue la CEDH dans une décision rendue le 6 octobre 2016 (CEDH, 6 octobre 2016, Req. 63979/11 N° Lexbase : A0947R79). Le requérant est un ancien conseiller municipal trésorier de l'association amicale du personnel de la commune, au sein de laquelle furent constatées des irrégularités. La Cour des comptes évoqua publiquement cette affaire dans son rapport annuel de l'année 1995 et le 16 janvier 1997, la Cour des comptes déclara définitivement l'intéressé comptable de fait des deniers publics extraits et maniés irrégulièrement, conjointement avec l'association et la maire de la commune. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant alléguait que la Cour des comptes n'était pas impartiale, en raison des mentions du rapport public qui contenaient un préjugement de l'appréciation qu'il lui revenait de faire au stade de la fixation de la ligne de comptes. La Cour observe, tout d'abord, que le rapport public de 1995 aborde l'affaire dans son ensemble et ne distingue pas la qualification de la gestion de fait de l'évaluation des sommes irrégulièrement décaissées. L'association est explicitement citée dans le rapport, ainsi que les sommes mises en cause, avec une évaluation chiffrée. Les dépenses sont précisément identifiées. Si l'intéressé n'est pas nommément cité dans le rapport, il y est désigné comme l'"allocataire le mieux rétribué [...] qui signait les chèques dont il était bénéficiaire", ce qui le rendait identifiable pour ceux qui connaissaient le fonctionnement de l'association et par ceux qui pouvaient vouloir mener des investigations sur ce fonctionnement. La Cour conclut que la Cour des comptes ne présentait pas, au stade de la détermination de la ligne de compte, les garanties d'impartialité exigées par les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention.

newsid:454758

Procédure pénale

[Brèves] Modalités et conditions de fonctionnement du répertoire des données collectées dans le cadre d'une procédure judiciaire

Réf. : Décret n° 2016-1338 du 7 octobre 2016, modifiant le Code de procédure pénale et relatif au répertoire des données collectées dans le cadre d'une procédure judiciaire (N° Lexbase : L4835LAC)

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Le 13 Octobre 2016

A été publié au Journal officiel du 9 octobre 2016, le décret n° 2016-1338 du 7 octobre 2016, modifiant le Code de procédure pénale et relatif au répertoire des données collectées dans le cadre d'une procédure judiciaire (N° Lexbase : L4835LAC). Le nouveau texte précise les modalités et conditions de fonctionnement du répertoire créé par l'article 9 de la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010, tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale (N° Lexbase : L6994IG7) à l'article 706-56-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7016IQW). Seules les expertises des personnes poursuivies ou condamnées pour l'une des infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru seront enregistrées. La liste des données enregistrables est précisée par le nouvel article R. 53-21-3. Elles sont conservées pendant une durée de trente ans à compter du jour où a été réalisé l'expertise, ou, si la personne était mineure au moment de l'infraction, pour une durée de quinze ans (C. pr. pén., nouvel art. R. 53-21-20). L'enregistrement est réalisé par l'autorité judiciaire ayant ordonné la mesure. L'accès direct aux données enregistrées est limité aux seules autorités judiciaires, et pour les seules procédures dont elles ont la charge (C. pr. pén., nouvel art. R. 53-21-6). Les membres de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, les experts et les personnes chargées d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité pourront être destinataires des données enregistrées par l'intermédiaire de l'autorité judiciaire (C. pr. pén., nouvel art. R. 53-21-9). Toute personne, enregistrée au Répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires dénommé, peut obtenir communication des informations enregistrées la concernant auprès du Procureur de la République de son domicile, et la rectification ou l'effacement des données erronées, ou pour lesquelles les conditions légales de conservation ne sont plus remplies. Un recours est possible devant le juge des libertés et de la détention (C. pr. pén., nouvel art. R. 53-21-14), puis devant le président de la chambre de l'instruction (C. pr. pén., nouvel art. R. 53-21-15). Toutes les actions et consultations sont tracées et conservées pendant une durée de trois ans (C. pr. pén., nouvel art. R. 53-21-19). Le nouveau décret entrera en vigueur le 1er mars 2018.

newsid:454689

Procédures fiscales

[Brèves] Procédure de visites et de saisies : quid du recours à un interprète pendant l'opération ?

Réf. : Cass. com., 4 octobre 2016, n° 15-10.775, F-P+B (N° Lexbase : A4422R7W)

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N4681BWB

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Le 18 Octobre 2016

Il ressort de la jurisprudence de la CEDH (CEDH, 21 février 2008, Req. n° 18497/03, point 24 N° Lexbase : A9979D4D) que la contestation portant sur la régularité d'une visite opérée sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2641IX4) s'analyse en une contestation sur un droit de nature civile au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Dès lors, le paragraphe 3 e) de cet article, en ce qu'il réserve à la personne accusée d'une infraction pénale le droit de se faire assister d'un interprète, si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience, n'est pas applicable. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 4 octobre 2016 (Cass. com., 4 octobre 2016, n° 15-10.775, F-P+B N° Lexbase : A4422R7W). Au cas présent, le juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF, autorisé des agents de l'administration des impôts à procéder à une visite avec saisies dans des locaux et dépendances susceptibles d'être occupés notamment par une société de droit letton afin de rechercher la preuve de la soustraction de cette dernière à l'établissement et au paiement des impôts sur le bénéfice et des taxes sur le chiffre d'affaires. Pour le juge de cassation, l'administration fiscale justifiait de ce que le nom d'un salarié de la société requérante figurait sur la boîte aux lettres de la maison en cause. Elle a donc suffisamment et souverainement apprécié les éléments de fait débattus devant lui, et a pu en déduire que la visite avait été régulièrement effectuée, en langue anglaise, dans ces locaux. L'assistance d'un interprète n'avait pas à être proposée au représentant de la personne visitée .

newsid:454681

Régimes matrimoniaux

[Brèves] Contribution aux charges du mariage : quid du financement, par un époux, d'un investissement locatif destiné à constituer une épargne ?

Réf. : Cass. civ. 1, 5 octobre 2016, n° 15-25.944, F-P+B (N° Lexbase : A4408R7E)

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N4702BW3

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Le 13 Octobre 2016

Le financement, par un époux, d'un investissement locatif destiné à constituer une épargne, ne relève pas de la contribution aux charges du mariage. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 5 octobre 2016, n° 15-25.944, F-P+B N° Lexbase : A4408R7E ; à comparer avec : Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 12-17.420, F-P+B N° Lexbase : A7599KSA, dont il ressort que la contribution aux charges du mariage peut inclure des dépenses d'investissement ayant pour objet l'agrément et les loisirs du ménage, telles que l'acquisition d'une résidence secondaire). En l'espèce, des difficultés étaient survenues au cours des opérations de liquidation et de partage, après divorce, prononcé par un arrêt du 11 mai 1999, du régime de participation aux acquêts de M. B. et Mme A.. Pour dire que le financement par M. B., seul, d'un appartement indivis destiné à la location a constitué, non une donation indirecte révocable, mais un acte rémunératoire et indemnitaire pour Mme A., la cour d'appel de Bordeaux avait retenu que les charges du mariage, distinctes par leur fondement et leur but d'une obligation alimentaire, ne comportent pas uniquement le logement et la nourriture des époux mais également ce qui contribue à l'entretien et l'éducation des enfants et à l'organisation d'une épargne permettant aux époux de continuer leur existence après cessation de leur capacité d'activité rémunératrice, que ce soit par accident ou par limite d'âge et, plus généralement, à protéger la famille, et que l'achat d'un bien immobilier autre que le logement de la famille, destiné à assurer ces buts, peut notamment entrer dans cette notion (CA Bordeaux, 29 septembre 2015, n° 14/04497 N° Lexbase : A7582NRA). A tort, selon la Cour suprême, qui censure le raisonnement au visa de l'article 214 du Code civil (N° Lexbase : L2382ABT), énonçant la solution précitée (cf. l’Ouvrage "Droit des régimes matrimoniaux" N° Lexbase : E8757ETI ; sur l'autre point de l'arrêt relatif à la prescription de l'action en recherche des fruits et des revenus de l'indivision, lire N° Lexbase : N4703BW4).

newsid:454702

Responsabilité

[Jurisprudence] L'indemnisation du préjudice découlant de la faute d'un professionnel du droit

Réf. : Cass. civ. 1, 22 septembre 2016, deux arrêts, n° 15-13.840 (N° Lexbase : A9978R3X) et n° 15-20.565 (N° Lexbase : A0127R4H), FS-P+B

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N4698BWW

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

Le 13 Octobre 2016

Lorsque l'on examine la responsabilité civile des professionnels du droit, on peinerait à trouver dans la jurisprudence des facteurs d'atténuation ou une évolution traduisant quelque allègement. Cantonnons-nous à quelques observations portant sur les deux dernières décennies. Partie d'une décision propre au médecin, largement commentée (1), la Cour de cassation a vite étendu à l'avocat (2) la charge de la preuve qu'il a rempli son devoir de conseil. Celui-ci, à la suite d'un renversement de jurisprudence provenant de la responsabilité du notaire, a vite été analysé comme un devoir absolu : les compétences personnelles du client (fût-il avocat !), ne dispensent pas l'avocat de son devoir de conseil (3). Quand le professionnel a vu son sort s'améliorer, cela n'est venu que par l'intervention du législateur. Il est vrai que l'amélioration à ce niveau peut être de taille. Ainsi la prescription, de trente ans, est passée à dix ans en 1989 (4) et à cinq ans moins de vingt ans plus tard (5). Entendu sur l'appréciation de la faute, le demandeur bénéficie également de facilités pour la réparation du préjudice s'il en découle directement. Ces facilités peinent sans doute à être reconnues de façon systématique par les juges du fond. C'est pourquoi les deux arrêts commentés, rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 septembre 2016, qui traduisent deux cassations, font l'objet d'une publication au Bulletin. Ils révèlent deux principes distincts qui aboutissent dans les deux cas à donner une meilleure position à la victime et engendrent une charge plus lourde, parfois très lourde, pour les assureurs de la responsabilité de professionnels. On vérifie alors que la diversification de la responsabilité vise à la sécurité des victimes et à la responsabilité des professionnels (6). Ces deux règles peuvent se traduire ainsi : la responsabilité d'un professionnel du droit n'est pas subsidiaire (I) ; la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice (II). I - La responsabilité d'un professionnel du droit n'est pas subsidiaire

L'arrêt à commenter n'est pas sans faire apparaître des enjeux économiques qui dépassent l'analyse juridique. L'examen de la décision montre que la demande dépassait 2 000 000 d'euros, mais retenait qu'une instance était également en cours à l'égard d'un tiers. Cela a permis à la cour d'appel de limiter les dommages-intérêts à 12 000 euros.

La faute ayant été retenue, il faut savoir si la victime doit épuiser tous ses recours contre telle ou telle personne pour que son préjudice soit indemnisé. Celui-ci doit, en effet, répondre à des caractéristiques générales. Il doit être direct, actuel, certain et légitime (7), mais cette appréciation classique ne rend pas compte de l'irruption, dans la jurisprudence, de la probabilité, voire de la possibilité (8). Ces considérations plus fines vont conduire à résoudre une question bien décrite par un auteur de référence (9). "Lorsque la victime dispose d'autres manières de remédier à son préjudice que l'obtention de la condamnation du défendeur, le préjudice manque-t-il de certitude si la victime n'a pas au préalable épuisé toutes les solutions pour y porter remède ?".

La solution n'est pas douteuse en droit positif. Sans avoir l'assurance qu'il s'agisse de la première décision d'un point de vue chronologique, l'on voit apparaître l'expression du principe dès 1991 (10). La Haute juridiction, pour rejeter le pourvoi écarte le moyen "qui tend à faire reconnaître à la responsabilité de l'avocat un caractère subsidiaire qu'elle ne possède pas". L'affaire concernait la responsabilité d'un avocat rédacteur d'un prêt de somme d'argent pour un client. Le conseil ne s'était pas soucié de la solvabilité de l'emprunteur. Si l'avocat avait fait stipuler une promesse d'hypothèque, il ne s'était soucié des inscriptions existantes, n'avait pris une hypothèque provisoire que tardivement, puis l'avait laissé périmer. La cour d'appel, suivie par la Cour de cassation, a écarté la nécessité pour le demandeur de prouver que la créance était irrécouvrable. Quelques années plus tard (11), sans promettre qu'il s'agit-là d'une première, la même solution est appliquée au notaire : "la mise en jeu de la responsabilité du notaire n'est pas subordonnée à une poursuite préalable contre d'autres débiteurs". On relèvera que chacune de ces décisions a eu les honneurs du Bulletin.

Toutefois, le principe comporte une exception permettant à un commentateur d'écrire "la confusion s'installe" (12). Il faut alors tenter (13) de clarifier les contours de cette exception qui, après examen, n'entame pas la force du principe.

Dès 1997 (14) on voyait la Haute juridiction rejeter les prétentions du demandeur, créancier, faute d'avoir justifié d'un préjudice certain en poursuivant le débiteur. Par la faute d'un notaire, le créancier avait perdu le bénéfice d'un nantissement, mais il subsistait une garantie hypothécaire prise concomitamment. Quelques mois plus tard, la Cour de cassation écartait les prétentions que l'administrateur d'une succession dirigeait contre un notaire. Celui-ci avait versé tous les fonds d'une succession sans s'inquiéter des honoraires de l'administrateur (15). Quand un notaire a libéré fautivement le prix d'un immeuble hypothéqué, il y a encore exception au principe, il appartient au créancier d'exercer d'abord un droit de suite (16).

En premier lieu, le principe s'explique par une facilité donnée à la victime, une cliente de l'avocat et du notaire. Tel n'est pas le cas d'un tiers, administrateur d'une succession.

En second lieu, la facilité donnée aux victimes va exister lorsque les voies de droit qui resteraient possibles sont la conséquence de la situation dommageable. "Ces voies de droit [...] n'étaient que la conséquence de la situation dommageable créée par le notaire" (17). En revanche, si le client bénéficiait de possibilités antérieures à la faute du professionnel, il lui faut préalablement les exercer.

Ces principes dégagés, on observera des décisions, qui, aux yeux de la Cour de cassation ne méritent plus les honneurs du Bulletin (18). Néanmoins, quand les juridictions du fond se font réticentes, la Haute juridiction, comme ce fut le cas en l'espèce, après avoir prononcé la cassation, estime indispensable de fournir à nouveau la publicité du Bulletin.

II - La victime n'est pas tenue de limiter son préjudice

Si la responsabilité du professionnel du droit n'est pas subsidiaire, la doctrine (19) voit dans le second principe un lien avec le premier, l'idée de devoir, pour la victime, limiter son préjudice.

Cette obligation de minimiser le dommage, pour imparfaite que soit l'expression, se retrouve dans d'autres applications que le droit interne. On la voit figurer dans la Convention de Vienne du 11 août 1980 (20) qui fait obligation aux arbitres internationaux de l'appliquer quand ils statuent sur la vente internationale de marchandises. On la trouve aussi dans les Principes du droit européen du contrat (21). Enfin la règle figurait dans la proposition des textes Terré "Pour une réforme du droit des contrats" (22). Des dommages et intérêts réduits auraient été prévus "lorsque le créancier n'a point pris les mesures sûres et raisonnables, propres à éviter, à modérer ou à supprimer son préjudice" (art. 121, al. 2).

Depuis lors est intervenue la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (23) modifiant les articles 1100 (N° Lexbase : L1189ABN) à 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX, C. civ., art. 1245 recod. N° Lexbase : L0945KZZ) du Code civil. On aurait pu imaginer une règle nouvelle découlant du nouvel article 1104 du Code civil (N° Lexbase : L0821KZG) sur l'obligation de bonne foi prévue notamment pour exécuter les contrats. On aurait pu trouver une disposition nouvelle lorsqu'est évoquée la réparation du préjudice résultant de l'exécution du contrat. Pour les commentateurs (24) les dispositions nouvelles n'imposent nullement au créancier de limiter son préjudice. On appliquera donc une jurisprudence qui, sans être pléthorique, est bien établie.

On peut ainsi prendre à dessein un exemple récent dans la responsabilité du notaire. Lorsque celui-ci n'a pas permis à ses clients, par sa faute, d'obtenir les avantages d'une défiscalisation, peut-on reprocher aux clients de ne pas avoir choisi un autre système de défiscalisation qui aurait diminué leur préjudice ? La réponse est négative, et en rejetant le pourvoi au visa de l'ancien article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ ; C. civ., art.1240 recod. N° Lexbase : L0950KZ9), la Cour de cassation rappelle le principe (25).

La solution, d'un seul point de vue économique, n'est pas neutre. Dans l'espèce commentée la Cour d'appel, retenait la faute du créancier pour n'avoir pas minoré son préjudice, ne l'indemnisant de son dommage que pour 10 % de son montant. La responsabilité du notaire était retenue pour avoir rédigé fautivement l'acte de vente de deux parcelles de terrain. Le véritable propriétaire triomphe d'une action en revendication et obtient l'expulsion du propriétaire de bonne foi outre la démolition de l'habitation qu'il avait fait construire. L'article 555, alinéa 4, du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP) permettait, en effet, au tiers de bonne foi d'obtenir du véritable propriétaire une indemnité fondée soit sur une somme égale à la plus-value apportée par la construction, soit le coût des matériaux et de la main-d'oeuvre ayant servi à ce bâtiment.

Appliqué aussi bien sur un fondement contractuel, l'ancien article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), que sur un fondement délictuel, l'ancien article 1382 du Code civil, ces deux principes s'inscrivent dans un régime où l'auteur du dommage est obligatoirement assuré. Comme le notait dans le passé un observateur (26) "entre l'assurance et la responsabilité une véritable course s'est engagée". On voit aujourd'hui quel est le vainqueur.


(1) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685 (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75.
(2) Cass. civ. 1, 29- avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ., I, n° 132.
(3) Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-15.270, F-D (N° Lexbase : A1650IZ7).
(4) Loi n° 89-906, 19-12-1989, relative à l'exercice de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L8251E3Y).
(5) Article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) engendré par la loi n° 2008-561, 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I).
(6) Bigot, L'indemnisation par l'assurance de responsabilité civile professionnelle, l'exemple des professions du droit et du chiffre, Lextenso éditions, 2014 n° 737.
(7) Aubert, Flour, Savaux, Les obligations, Tome II, Sirey 2011, n° 133 et s..
(8) L. Cadiet, Les métamorphoses de la responsabilité, P.U.F, 1998, p. 37-64.
(9) P. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2012-2013, n° 1412.
(10) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(11) Cass. civ. 1, 13 février 1996, n° 93-18.809 (N° Lexbase : A9415ABC), Bull. Civ. I n° 81.
(12) P. Jourdain, obs. RTDCiv., 2005. 400.
(13) Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 13-11.807, F-P+B+I (N° Lexbase : A7375KSX), Bull. Civ. I, n° 254. V. nos obs., La responsabilité civile des professionnels du droit est-elle subsidiaire ?, D., 2016, Chron., 553, D. Sindres
(14) Cass. civ. 1, 2 avril 1997, n° 94-20.352 (N° Lexbase : A0097ACL), Bull. civ. I, n° 116, RTDCiv., 1997, 665, obs P. Jourdain ; Defrénois, 1997, 754, obs. Aubert.
(15) Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-18.192 (N° Lexbase : A0642ACR), Bull. Civ. I, n° 361.
(16) Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-10.769 (N° Lexbase : A8410DDT), Bull. civ I, n° 257, D., 2005, 503.
(17) Cass. civ. 1, 2 octobre 2002, n° 99-14.656 (N° Lexbase : A9145AZQ), D., 2002, 2850.
(18) Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-23.016, F-D (N° Lexbase : A5552KIH).
(19) P. Le Tourneau, op. cit., n° 14-12.
(20) CVIM, art. 77.
(21) Art. 9.505 (1).
(22) F. Terré (dir.), Pour une réforme du Droit des contrats, Dalloz 2009.
(23) Ordonnance n° 2016-31 du 10 février 2016.
(24) Référence du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, commentaire des articles 1100 (N° Lexbase : L0590KZU) à 1386-1 du Code civil, N. Dissaux, C. Jamin, Dalloz 2016.
(25) Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 13-17.599, F-P+B (N° Lexbase : A2721MTX).
(26) B. Starck, Droit civil, Obligations, Librairies Techniques 1972, n° 82.

newsid:454698

Sociétés

[Jurisprudence] Date d'évaluation de la valeur des droits sociaux des associés cédants, retrayants ou exclus : conformité de l'article 1843-4 du Code civil à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2016-563 QPC, du 16 septembre 2016 (N° Lexbase : A2486R3H)

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N4712BWG

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l'Institut de droit des affaires (IDA), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés

Le 13 Octobre 2016

Les dispositions qui fixent dans tous les cas, et quelle que soit la nature des sociétés concernées, la date de l'évaluation de la valeur des droits sociaux à celle qui est la plus proche du remboursement des droits sociaux de l'associé cédant, retrayant ou exclu, sauf disposition contraire des statuts, n'introduisent aucune différence de traitement et sont conformes à la Constitution. Tel est le sens d'une décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2016. L'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34), qui permet de confier à un expert le soin de déterminer le prix d'une cession de droits sociaux en cas de conflits entre associés, est certainement l'un des textes du droit commun des sociétés qui a donné et qui donne encore lieu à un impressionnant contentieux. Ce qui pose problème lorsqu'un associé quitte une société est que, quasi-systématiquement, les associés restants veulent lui rembourser ses droits au prix le plus bas tandis que l'associé sortant désire en être réglé au prix le plus haut. Surtout, ce qui fait difficulté est la période s'écoulant entre la date à laquelle est décidée l'exclusion ou le retrait ou le départ d'un associé et celle à laquelle il en part effectivement. Durant cette période en effet, l'associé sortant, exclu ou cédant est encore un peu associé et ce, tant que l'intégralité de ses droits sociaux ne lui on pas été réglés. Il a donc droit, même s'il n'y contribue plus, aux dividendes que pourrait générer l'activité des associés restants. C'est bien là tout le problème. D'autant plus que l'article 1843-4 du Code civil, censé accélérer les choses, produit en pratique un effet totalement inverse puisqu'il retarde sensiblement la sortie effective de l'associé concerné, faute d'accord sur le prix (1).

Pendant très longtemps, était combattue la liberté absolue, d'ordre public, accordée à l'expert désigné en vertu de ce texte qui pouvait appliquer la méthode d'évaluation stipulée par les parties, tout comme il pouvait ne pas l'appliquer. La jurisprudence de la Cour de cassation était constante en la matière, au moins depuis 2007 (2), ce qui permettait en réalité que les associés les plus forts n'imposent pas aux associés les plus faibles leur méthode d'évaluation. Mais la solution a changé à partir de l'arrêt "Crocus Technologie" de mars 2014 (3) et, surtout, de la nouvelle rédaction de l'article 1843-4 issue de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés (N° Lexbase : L1321I4P), prise en application de l'article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014, habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises (N° Lexbase : L7681IY7). Aujourd'hui donc l'expert doit respecter la méthode voulue par les parties, si méthode il y a naturellement.

Le vrai problème n'est pourtant pas là. Outre d'avoir un domaine d'application quasiment impossible à délimiter, difficulté que la nouvelle rédaction ne règle d'ailleurs pas, la réelle source de contestation entre associés est celle de la date d'évaluation des droits sociaux des associés cédants, retrayants ou exclus. Le problème est même double puisqu'il concerne tant la date à laquelle il faut se placer pour fixer le prix des droits sociaux -soit au jour du départ effectif, c'est-à-dire assez tard, soit au jour où le principe de sortie est actée, c'est-à-dire assez tôt- que l'intervalle s'écoulant entre les deux périodes.

Le texte précité ne répondant ni à l'une, ni à l'autre de ces deux questions, c'est la jurisprudence qui a dû fixer la règle de droit en la matière. Et elle l'a fixé avec une constance remarquable et une parfaite unité entre les chambres.

En effet, toutes les chambres de la Cour de cassation considèrent que l'associé reste associé tant qu'il n'a pas reçu le complet paiement de son prix (4). En conséquence de quoi, tant qu'il est associé, le cédant ou le retrayant ou encore l'exclu a droit aux éventuels bénéfices que pourrait réaliser la société, fût-ce sans leur aide en raison de leur cessation d'activité. Récemment, la Cour de cassation a estimé, à propos de la sortie d'un notaire d'une SCP, qu'une clause de l'acte de cession qui prive le cédant de tout bénéfice ou actif quelconque de la SCP est sans contrepartie et, énonçant une obligation sans cause, est nulle (5). De même, a-t-elle indiqué, dans une SCP d'avocats, d'une part, que l'ayant droit de l'associé décédé n'acquiert pas la qualité d'associé, d'autre part, qu'il conserve, jusqu'à la cession ou au rachat intégral des parts de son auteur, vocation à la répartition des bénéfices, lesquels sont susceptibles de se compenser avec le solde débiteur du compte courant d'associé du défunt (6).

Dit autrement, et conformément à toute cette jurisprudence constante, cela signifie qu'en l'absence de dispositions statutaires, l'expert doit se placer, lors d'une cession de droits sociaux, du retrait ou d'une exclusion d'un associé et en cas de contestation, à la date la plus proche du remboursement de la valeur des droits (7).

C'est précisément ce que retient la QPC commentée (8).

En l'occurrence, un médecin associé d'une SELARL en a été exclu par décision de l'assemblée générale du 22 mai 2013. Aucun accord n'ayant pu être trouvé quant au rachat de ses parts sociales, un expert a été nommé, en application de l'article 1843-4 du Code civil, afin de procéder à leur évaluation. L'expert a rendu son rapport le 26 mars 2015. Le 22 juillet 2015, ladite SELARL saisit le tribunal de grande instance (TGI) de Rouen aux fins de voir entériner les conclusions de l'expert, de voir constater le transfert à son profit des parts sociales du requérant et de se voir autorisée à verser la somme fixée entre les mains d'un séquestre. Dans le cadre de cette instance, le médecin requérant a posé une QPC portant sur la conformité aux principes constitutionnels de protection du droit de propriété et d'égalité devant la loi de l'article 1843-4 du Code civil, en ce que, selon l'interprétation jurisprudentielle constante de ce texte, les droits de l'associé exclu sont évalués, en l'absence de dispositions statutaires, à la date la plus proche du remboursement de leur valeur, et non à la date de la décision d'exclusion de la société.

Par jugement du 15 mars 2016, le TGI a ordonné la transmission à la Cour de cassation de la QPC suivante : "L'omission du législateur dans la rédaction de l'article 1843-4 du Code civil et en conséquence, l'interprétation qui en est faite par la Cour de cassation en ce qui concerne la date d'évaluation de la valeur des droits sociaux de l'associé en l'absence de disposition statutaire ne porte-t-elle pas atteinte au :
- droit fondamental de la propriété garanti par les articles 2 (N° Lexbase : L1359A99) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration des droits de 1'Homme du 26 août 1789, notamment en ce que la Cour de Cassation considère que la date d'évaluation doit être la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ses droits ; au lieu d'appliquer la date à laquelle l'associé s'est retiré ou a été exclu ;
- principe fondamental de l'égalité du citoyen devant la Loi en ce que :
1° le législateur a fixé une date d'évaluation des parts sociales pour certains cédants expropriés-évincés-dépossédés', et en s'abstenant pour d'autres.
2° la Cour de cassation traite de manière différente et sans justification les cessions de parts des médecins associés au sein d'une SEL et ceux associés au sein d'une SCP
".

Par un arrêt du 16 juin 2016, la Cour de cassation (9) a renvoyé cette QPC au Conseil constitutionnel au motif que la question posée présente un caractère sérieux.

S'agissant d'une SELARL, société en cause dans le litige à l'origine de la QPC objet de la décision commentée, il a déjà été jugé qu'"il résulte du rapprochement des deux articles du Code de la santé publique susvisés [C. santé pub., art R. 6212-86 N° Lexbase : L5718HBE et R. 6212-87 N° Lexbase : L5719HBG], que la décision prise par l'assemblée des associés d'une société d'exercice libéral exploitant un laboratoire de biologie médicale, dont l'objet est l'exercice en commun de la profession, d'exclure, en vertu de l'alinéa 2 du premier de ces articles, un associé qui a contrevenu aux règles de fonctionnement de la société, emporte la perte immédiate de la qualité d'associé et des droits qui s'y attachent, à l'exception, jusqu'au remboursement des droits sociaux, de la rétribution des apports en capital" (10) .

Cela précisé, le Conseil constitutionnel a, d'abord, relevé que les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence, ne prévoient pas, en elles-mêmes, la possibilité d'exclure un associé ou de le forcer à se retirer ou à céder ses titres. Elles se bornent à déterminer la date d'évaluation de la valeur des droits sociaux et n'entraînent donc pas de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil constitutionnel a, ensuite, jugé que le délai qui peut s'écouler, en application de la disposition contestée telle qu'interprétée par la jurisprudence, entre la décision de sortie de la société et la date de remboursement des droits sociaux, est susceptible d'entraîner une atteinte au droit de propriété de l'associé cédant, retrayant ou exclu. Toutefois, pendant cette période, l'associé concerné conserve ses droits patrimoniaux et perçoit, notamment, les dividendes de ses parts sociales. Par ailleurs, cet associé pourrait intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la perte provisoire de valeur de la société résultait de manoeuvres de leur part. Au regard de leur objectif, qui est de permettre une juste évaluation de la valeur litigieuse des droits sociaux cédés, les dispositions contestées ne portent donc pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Le Conseil constitutionnel a donc jugé conforme à la Constitution l'article 1843-4 du Code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1978 (loi n° 78-9 N° Lexbase : L1471AIC).

Par conséquent, pour le Conseil constitutionnel, l'associé exclu, ou qui se retire ou qui cède ses droits sociaux, reste associé jusqu'à au complet paiement de ses titres, ce qui induit deux conséquences majeures : d'une part, il a droit aux bénéfices, si bénéfices il y a, et il peut même avoir le droit de vote ; d'autre part, ses droits sociaux sont évalués à la date la plus proche de son remboursement, c'est-à-dire le plus tard dans le temps si la contestation dure. Le Conseil constitutionnel se range à la position de la Cour de cassation.

Quant au droit aux bénéfices et au droit de vote, il est possible d'apporter des aménagements par le contrat. En effet, dans certaines sociétés, le droit de vote peut être suspendu. C'est le cas par exemple dans les SAS (11) et certainement aussi dans les SELAS, sauf exceptions réglementaires selon les professions. Encore faut-il, toutefois, que les statuts de la société le stipulent et que la forme sociale l'admette (12)... Le droit aux bénéfices peut être non pas annulé mais à tout le moins réduit. Il suffit pour ce faire de le stipuler. Par exemple, s'agissant du cas du décès de l'associé, il peut être écrit, dans les statuts ou dans un pacte, que les droits sociaux seront évalués au jour du décès de l'associé. Le risque est cependant que cette date ne soit pas celle de la date la plus proche du remboursement... Une telle stipulation nous paraît néanmoins plausible et licite. Surtout, une telle stipulation est rare. En pratique donc, les associés exclus, qui se retirent ou qui cèdent leurs droits sociaux se voient ainsi dotés de la capacité de voter aux assemblées et de bénéficier des distributions de dividendes.

Quant à la date d'évaluation le plus tard possible dans le temps, le risque est que l'associé sortant subisse une diminution très forte de ses droits sociaux. Cette solution est à double-tranchant : l'associé sortant peut en effet subir une dépréciation très forte de ses titres, qui peut cependant être compensée par des dividendes distribués dans l'intervalle... Le Conseil constitutionnel le reconnaît mais considère que ledit associé dispose des garanties suffisantes (13). L'associé sortant peut, à l'inverse, profiter d'une très forte plus-value de ses titres, si la société à la suite de son départ génère par exemple d'importants profits...

Quoiqu'il en soit, le Conseil constitutionnel n'a pas fait le choix de se départir de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Reste à savoir si la solution concerne également la nouvelle rédaction de l'article 1843-4 du Code civil. Autrement dit, l'article 1843-4 du Code civil, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, est-il conforme à la Constitution, notamment à notre droit de propriété ? Même si techniquement une nouvelle QPC semble possible puisque le Conseil constitutionnel n'a validé que l'article 1843-4 dans sa version antérieure, il devrait adopter la même position selon toute vraisemblance si un plaideur devait soulever une telle QPC. Seuls une évolution voire un changement jurisprudentiel de la Cour de cassation pourraient induire une solution différente. La portée de la QPC commentée paraît, par conséquent, aller au-delà et s'appliquer à la mouture actuelle de l'article 1843-4 précité.

C'est finalement dans le contrat, à l'aide éventuellement de la réforme du droit des obligations, que des évaluations de droits sociaux à une date autre que la plus proche du remboursement desdits droits doivent être recherchées, aucunement dans la loi, ni dans la jurisprudence, le Conseil constitutionnel laissant apparemment aux parties -à condition qu'elles soient d'accord- la possibilité presque sans limite de prévoir tout autre date.


(1) D'où la possible utilisation de l'article 1592 du Code civil (N° Lexbase : L1678ABR) comme alternative.
(2) Cass. com., 4 décembre 2007, deux arrêts, n° 06-13.912, FS-P+B (N° Lexbase : A0299D3H) et n° 06-13.913, FS-D (N° Lexbase : A0300D3I) ; D., 2008, p. 16, obs. A. Lienhard ; Dr. sociétés, 2008, n° 23, note R. Mortier ; D. Gibirila, Lexbase, éd. priv., 2008, n° 295 (N° Lexbase : N3475BEG).
(3) Cass. com., 11 mars 2014, n° 11-26.915, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5034MGK) ; B. Saintourens, Lexbase, éd. aff., 2014, n° 376 (N° Lexbase : N1570BUP) ; P. Le Cannu, Bull. Joly Sociétés, 2014, p. 360 ; B. Cavalié, JCP éd. G, 2014, 1002 ; B. Dondero, D., 2014, p. 759 ; A. Couret, JCP éd. E, 2014, 1159 ; R. Mortier, JCP éd. N, 2014, 2014, 1236 ; G. Richard et C. Humbert, Droit des sociétés, 2014, p. 52. ; H. Le Dauphin et Ph. Mollard, RJDA, 2014, p. 385 ; A.-F. Zattara-Gros, Gaz. Pal., 4 mai 2014, p. 8 et s..
(4) Concernant la Chambre commerciale, Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15045, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14965, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E), Bull. civ. IV, n° 125 et 126 ; Bull. Joly Sociétés, décembre 2008, p. 965, n° 207, note F.-X. Lucas ; D., 2008, p. 1818, obs. A. Lienhard ; D., 2009, p. 1772, chron. M. Laroche ; Rev. sociétés, 2008, p. 826, note J.-F. Barbièri ; RTDCom., 2008, p. 588, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés, 2008, comm. n° 176, note R. Mortier ; JCP éd. G, 2008, II, 10169, note Ch. Lebel ; RLDA, n° 32, novembre 2008, p. 10, note D. Gibirila ; Dr. et patr., n° 178, mai 2009, p. 104, obs. D. Poracchia ; J.-B. Lenhof, Lexbase, éd. priv., 2008, n° 314 (N° Lexbase : N6457BGA).
Concernant la troisième chambre civile, Cass. civ. 3, 9 déc. 1998, n° 97-10.478, publié (N° Lexbase : A5430A4U), Bull. civ. III, n° 243 ; Bull. Joly Sociétés, avril 1999, p. 436, n° 90, note F.-X. Lucas ; D., 2000, p. 237, obs. J.-C. Hallouin ; RDI, 1999, p. 111, obs. J.-C. Groslière ; D. aff., 1999, p. 298, obs. M. Boizard ; Dr. sociétés, 1999, comm. n° 32, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 1999, 1395, note J.-P. Garçon ; JCP ad. N, 1999, 725, note D. Randoux ; Defrénois, 30 mai 1999, p. 623, obs. H. Hovasse.
Concernant la première chambre civile, Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n° 13-13.957, F-D (N° Lexbase : A4367MWN), Rev. sociétés 2015, p. 115, note J.-F. Barbièri, JCP éd. E, 2015, 1186, spéc. n° 5, obs. M. Buchberger ; Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-18.983, FS-P+B (N° Lexbase : A6441MY9), D., 2014, p. 2111, Dr. sociétés, 2015, comm. n° 46, note H. Hovasse, JCP éd. E, 2015, 1186, spéc. n° 4, obs. M. Buchberger, Rev. sociétés, 2015, p. 310, note J.-F. Barbièri, D. Gibirila, Lexbase, éd. aff., 2014, n° 401 (N° Lexbase : N4496BU3) ; Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-24.931, FS-P+B (N° Lexbase : A9230NGX), Bull. Joly Sociétés, juin 2015, p. 292, n° 113 , note J.-F. Barbièri, Dr. sociétés, 2015, comm. n° 107, note H. Hovasse, A. Albarian, P. Mouron et B. Brignon, Droit commercial, Sociétés commerciales 2015. Un an de jurisprudence commentée, Lamy, coll. Axe droit, 2015, n° 2. Adde, nos obs., Actualité de l'associé de société civile : droit de retrait et obligation aux dettes sociales, Dr. sociétés, 2015, comm. n° 12, spéc. n° 2.
(5) Cass. civ. 1, 12 mai 2016, n° 15-12.360, FS-P+B (N° Lexbase : A0866RPR), E. Meiller, Lexbase, éd. prof., 2016, n° 217 (N° Lexbase : N2989BWM) ; JCP éd. E, 2016, 1401, nos obs..
(6) Cass. civ. 1, 1er juin 2016, n° 13-28.851, F-D (N° Lexbase : A8568RRR), nos obs., Lexbase, éd prof., 2016, n° 220 (N° Lexbase : N3669BWS).
(7) Cass. com., 4 mai 2010, n° 08-20.693, FS-P+B (N° Lexbase : A0671EX7), RJDA, 8-9/10 n° 861.
(8) A propos de laquelle lire le communiqué de presse du Conseil constitutionnel et le commentaire.
(9) Cass. QPC, 16 juin 2016, n° 16-40.018, F-D (N° Lexbase : A5585RTZ).
(10) Cass. civ. 1, 26 mai 2011, n° 10-16.894, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4820HSC), D. Gibirla, Lexbase, éd. aff., 2011, n° 257 (N° Lexbase : N5899BSB). V. égal. Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-19.261, F-P+B (N° Lexbase : A1761NZA), D. Vidal, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 452 (N° Lexbase : N1032BW7) ; Rev. sociétés, juin 2016, p. 371, note H. Hovasse ; JCP éd. E, 2016, 1217, chron. "Cessions de droits sociaux", spéc. n° 18, obs. M. Buchberger ; Dr. sociétés, mars 2016, comm. n° 45, note D. Gallois-Cochet ; Defrénois, avril 2016, p. 343, note A. Rabreau ; Bull. Joly Sociétés, février 2016, p. 99, n° 114, nos obs..
(11) Cf. C. com., art. L. 227-16, al. 2 (N° Lexbase : L6171AIE).
(12) Dans une SARL par exemple, l'exclu conserve son droit de vote tant que ses parts sociales n'ont pas été intégralement achetées.
(13) Il reconnaît également la compensation possible.

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