La lettre juridique n°673 du 20 octobre 2016

La lettre juridique - Édition n°673

Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Exclusion de l'immunité judiciaire de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 dans le cadre de poursuites ordinales

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 8 septembre 2016, n° 15/15222 (N° Lexbase : A7707RZH)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 08 Novembre 2016

Par un arrêt rendu en date du 8 septembre 2016, la cour d'appel de Paris considère que l'avocat poursuivi dans le cadre d'une procédure ordinale ne peut utilement se prévaloir de l'immunité judiciaire de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Dans le cadre d'une instance pénale pour non représentation d'enfant, un avocat s'était constitué au soutien des intérêts de la grand-mère, titulaire du droit de visite sur l'enfant. Il avait déposé, en date du 31 octobre 2012, une requête en récusation du président du tribunal de grande instance de Lyon, M. L., en faisant valoir, ainsi que le rapporte l'arrêt de la cour d'appel de Paris, qu'"il y a lieu de s'en tenir à de simples constatations d'ordre patronymique et prénonymique [si tant est que l'on puisse s'exprimer avec ce néologisme]. Le juge du siège dont la récusation est demandée porte le nom patronymique de 'L.'. Le 'papa' de la personne, en l'occurrence mademoiselle Anaïs M. [qui] fait l'objet de poursuite pour l'infraction de soustraction de mineure par ascendant, se prénomme M..

La première page de la notice du mot 'Levy' sur le site Wikipédia mentionne que ce mot : est dans le peuple juif un des noms portés par les descendants des 'lévites', membres de la tribu des lévi. La première page de la notice du mot 'Moïse' sur le site Wikipédia mentionne que ce mot : est selon la tradition, le fondateur de la religion juive -le judaïsme, qui s'appelle parfois, pour cette raison mosaïsme, c'est à dire la religion de Moïse-. La matérialité de ces constatations n'est pas contestable".

A raison de ces propos, le procureur général près la cour d'appel de Lyon et le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lyon ont saisi le conseil régional de discipline des barreaux de Lyon qui, par une décision en date du 16 octobre 2013, a prononcé la radiation du confrère avec publicité de la décision. Par un arrêt en date du 26 juin 2014, la cour d'appel de Lyon a confirmé cette décision qui a, néanmoins, été cassée par la première chambre civile de la Cour de cassation. Dans un arrêt en date du 1er juillet 2015, la Haute juridiction a, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ([LXB=L7558AIR ]), censuré la cour d'appel de Lyon en retenant qu'il ne ressortait pas de l'arrêt attaqué que les réquisitions écrites du procureur général près la cour d'appel de Lyon aient été communiquées aux parties (Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-20.134, F-D N° Lexbase : A5365NMN).

L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Paris, siégeant en formation solennelle. Devant la cour de renvoi, le confrère a, notamment, fait valoir que son recours en récusation était couvert par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et que la décision ordinale du 10 juillet 2013 ne respectait pas les prescriptions formelles des articles 62 (N° Lexbase : L1530IR4), 452 (N° Lexbase : L6560H74), 454 (N° Lexbase : L6563H79) et 456 (N° Lexbase : L8423IUI) du Code de procédure civile. Ces arguments ne sont pas retenus par la cour d'appel de Paris qui considère finalement que la procédure disciplinaire répond d'un régime autonome ne la soumettant pas au mécanisme de l'immunité judiciaire de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. La cour d'appel de Paris considère que l'immunité judiciaire ne peut être utilement invoquée qu'au pénal (I) et encore faudrait-il ajouter que celle-ci suppose aussi que les propos litigieux soient en lien avec l'exercice des droits de la défense (II).

I - Caractère pénal de l'immunité judiciaire

La cour d'appel de Paris rappelle, sans fioriture, les contours de l'immunité judiciaire de l'article 41, alinéa 3, de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Il en résulte que les délits de diffamation, d'injure et outrage connaissent une cause d'immunité commune lorsqu'ils sont commis dans l'enceinte judiciaire. En droit interne, l'article 41, alinéa 4, de la loi en date du 29 juillet 1881 prévoit que "ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux". A cet égard, l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 interdit de poursuivre le fait litigieux. Celui-ci demeure en sa matérialité, voire en son illicéité, mais le législateur a, néanmoins, prévu un obstacle légal à sa poursuite pénale. Il convient donc de classer le mécanisme instauré par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 parmi les immunités légales qui, comme l'écrit le professeur Jeandidier, interdisent au juge de prononcer une peine contre une personne dont la culpabilité est établie (W. Jeandidier, Droit pénal général, Montchrestien, Coll. Domat, 2ème éd. 1991, n° 436.). Alors, certes, la loi du 29 juillet 1881 semble conférer une portée exclusivement pénale à l'immunité judiciaire, de sorte que ce texte ne saurait être utilement invoqué dans le cadre de poursuites ordinales.

Toutefois, le droit européen semble accorder une protection un peu plus large à la liberté de ton de l'avocat. Comme l'écrit notre confrère François Lyn, la liberté d'expression de l'avocat est renforcée au nom du respect des droits de la défense de son client lorsque l'intéressé s'exprime devant les tribunaux (F. Lyn, La liberté d'expression de l'avocat en droit européen, Gaz. Pal. 21 juin 2007, p. 2 et s.). Ainsi, la Cour européenne des droits de l'Homme a déjà pu considérer, en application de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ), que "ce n'est qu'exceptionnellement qu'une restriction à la liberté d'expression de l'avocat de la défense même au moyen d'une sanction pénale légère peut passer pour nécessaire dans une société démocratique" (CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01, § 174 N° Lexbase : A9564DLS). En d'autres termes, le droit européen semble privilégier une approche matérielle de la restriction à la liberté de défense de l'avocat. Aussi, il nous semble que, sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, le caractère exceptionnel de la restriction de la liberté de parole de l'avocat ne connaît sans doute pas le clivage de la procédure pénale et de la procédure ordinale... Il est regrettable que la cour d'appel de Paris n'ait fondé sa décision que sur le caractère pénal de l'immunité judiciaire de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et n'ait pas pris soin d'examiner les faits sous l'angle de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

II - Caractère utile de l'immunité judiciaire

Un second moyen aurait également pu être retenu par la cour d'appel de Paris afin d'écarter l'immunité judiciaire de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Au-delà du fait que cette immunité ne pouvait être soulevée que dans le cadre d'une instance pénale, le représentant de l'Ordre des avocats du barreau de Lyon et le ministère public faisaient aussi valoir que les propos contenus dans la requête en récusation litigieuse étaient étrangers à la procédure pénale en cours.

A cet égard, et bien que l'effectivité de la défense pénale passe nécessairement par une liberté d'expression et par une liberté d'argumentation particulièrement soutenue devant les juridictions répressives, cette liberté ne saurait être sans limite. Le dernier alinéa de l'article 41 précise que, ne sont pas "couverts" par le jeu de l'immunité judiciaire, "les faits diffamatoires étrangers à la cause". L'interprétation de cette dernière notion se révèle très délicate en pratique. Puisque l'immunité judiciaire de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 vise à préserver la liberté argumentative dans l'arène judiciaire, il convient de s'interroger sur l'impact de l'écrit, ou de la parole diffamatoire, sur l'issue du procès. Si, en dépit de son caractère outrancier, le propos peut influer sur l'issue du procès, alors il faut en déduire qu'il se situe dans la cause litigieuse et, in fine, qu'il peut être couvert par l'immunité judiciaire. En revanche, si le propos litigieux n'est pas en mesure d'influer sur l'issue du procès, il doit être considéré comme étranger à la cause. De ce fait, il ne peut entrer dans le champ d'application de l'immunité judiciaire. Aucun obstacle ne fait alors échec à la poursuite de l'auteur du propos diffamatoire.

En l'occurrence, la requête en récusation était fondée sur une connivence "supposée" entre le président du tribunal correctionnel et le prévenu du chef de soustraction de mineur par un ascendant en raison de simples constatations d'ordre "patronymique" et "prénonymique". Il était "démontré" que le président du tribunal correctionnel, se nommant L., et le prévenu, se prénommant M., ne pouvaient qu'être de confession juive. Selon l'auteur de la requête en récusation, le nom "Levy" est celui porté par les descendants des "lévites", membres de la tribu des lévi, alors que "Moïse" est le fondateur de la religion juive.

De toute évidence, ces "constatations" étaient purement gratuites et parfaitement insuffisantes à voir la requête en récusation prospérer sur le fondement invoqué de l'article 668, 9° du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5593DYS). En effet, il résulte de ce texte que le juge pénal doit être récusé "s'il y a eu entre le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité". Or, il est acquis en jurisprudence que la "manifestation" visée par le texte doit correspondre à des actes positifs et avérés.

Dans un passé récent, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu'il en va ainsi lorsque le président du tribunal correctionnel a apporté un soutien logistique aux parties civiles en leur distribuant un formulaire de constitution de partie civile et a tenu une réunion avec les avocats des parties civiles hors la présence des avocats des prévenus (Cass. crim., 17 avril 2013, n° 13-82.672, F-P+B N° Lexbase : A4205KCQ, Bull. crim. n° 92 et 94) ou lorsque le juge fait partie de l'association d'aide aux victimes de l'affaire dont il doit connaître (Cass. crim., 13 janvier 2015, n° 12-87.059, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1161M9U). Or, en l'état, il n'existait aucune manifestation concrète de la connivence du président L. à l'égard du prévenu dénommé M..

En définitive, on ne saurait admettre que la liberté de ton, nécessaire à l'exercice des droits de la défense, soit prise en otage pour avancer tout et n'importe quoi... La prudence et la modération doivent toujours être de mises, même lorsque le débat judiciaire est enflammé !

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Construction

[Brèves] Contrat d'entreprise : perte de la chose et conditions d'application de l'article 1788 du Code civil

Réf. : Cass. civ. 3, 13 octobre 2016, n° 15-23.430, FS-P+B (N° Lexbase : A9557R74)

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Le 08 Novembre 2016

L'article 1788 du Code civil (N° Lexbase : L1916ABL) n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur. Telle est la solution énoncée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 octobre 2016 (Cass. civ. 3, 13 octobre 2016, n° 15-23.430, FS-P+B N° Lexbase : A9557R74). En l'espèce, M. B. et son épouse, ont, sous la maîtrise d'oeuvre de la société M., entrepris la construction d'une maison d'habitation. Ils ont confié le lot gros oeuvre à M. C., assuré par la société A.. Appelée en consultation en cours de chantier, la société V. a établi un rapport de diagnostic de solidité constatant diverses anomalies. M. et Mme B. ont, après expertise, assigné M. C., la société M. et l'assureur en indemnisation de leurs préjudices. M. B. est décédé en cours d'instance. En cause d'appel, l'assureur a été mis hors de cause, au motif que l'article 1788 du Code civil n'avait pas vocation à s'appliquer en l'espèce. Mme B. a formé un pourvoi en cassation, à l'appui duquel elle soutenait que l'article 1788 ne distinguait pas selon que la perte de la chose était due ou non à une faute de l'ouvrier, ce qui le rendait applicable et que, selon l'article 1789 (N° Lexbase : L1917ABM), dans le cas où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l'ouvrier est tenu de sa faute. En vain. La Haute juridiction, énonçant la solution précitée, rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E3685EY7).

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Contrôle fiscal

[Brèves] Absence de qualité à agir devant le juge de l'excès de pouvoir pour une association de contribuables repentis

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 13 octobre 2016, n° 402318, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8129R79)

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Le 08 Novembre 2016

Une association de contribuables repentis n'a pas la qualité pour agir afin de réclamer le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 octobre 2016 (CE 8° et 3° ch.-r., 13 octobre 2016, n° 402318, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8129R79). Les Hauts magistrats rappellent tout d'abord que les administrateurs de trusts sont tenus de déclarer à l'administration fiscale les constitutions, modifications, ou extinctions de trusts, ainsi que, chaque année, les informations relatives aux biens, droits et produits placés dans les trusts et, à défaut de respecter ces obligations déclaratives, sont passibles d'une amende. Le constituant et les bénéficiaires réputés constituants du trust sont solidairement responsables du paiement de cette amende en application du 8 du V de l'article 1754 du CGI (N° Lexbase : L3889KWX). Au cas présent, une association de contribuables repentis demande l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe 380 de l'instruction du ministre des Finances et des Comptes publics publiée au BoFip - Impôts le 1er juillet 2015 sous la référence BOI-PAT-ISF-30-20-30 (N° Lexbase : X7038ALA), en tant qu'il reprend les dispositions du IV bis de l'article 1736 du CGI (N° Lexbase : L8219K9B) (amende de 20 000 euros ou 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés). Toutefois, pour la Haute juridiction, qui n'a pas donné raison à l'intéressée, l'objet très général que lui assigne ses statuts, qui est d'aider et d'assister, notamment auprès de l'administration fiscale ou des établissements bancaires, les personnes qui souhaitent régulariser leur situation fiscale ou qui ont, en tout ou partie, procédé à cette régularisation, ne saurait conférer à l'association requérante, qui a été fondée le 22 novembre 2015 par un collaborateur et un avocat associé d'un même cabinet d'avocats spécialisé en droit fiscal, un intérêt direct et certain lui donnant qualité pour agir devant le juge de l'excès de pouvoir contre les dispositions de l'instruction qu'elle attaque. La requête de l'association des contribuables repentis est, dès lors, irrecevable .

newsid:454806

Discrimination et harcèlement

[Le point sur...] L'employeur peut-il restreindre l'expression des convictions religieuses ? Des réponses législatives et judiciaires, incertaines et partielles

Lecture: 11 min

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

Le 08 Novembre 2016

La question du fait religieux en entreprise continue d'occuper le devant de la scène médiatique, judiciaire, et académique. Les expressions de cette actualité sont nombreuses : une actualité législative, en premier lieu (la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8436K9C contient un article 2 introduisant dans le Code du travail un nouvel article L. 1321-2-1 N° Lexbase : L6642K9U autorisant l'employeur a rédiger, dans le règlement intérieur, des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés) ; une actualité jurisprudentielle, ensuite (le 13 juillet 2016, l'avocat général de la CJUE a rendu ses conclusions sur la question préjudicielle transmise par la Cour de cassation par son arrêt, Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-19.855, FS-P+B+I N° Lexbase : A3737NGI) (1) ; enfin, une actualité universitaire et doctrinale (2). Cette actualité invite à faire le point sur l'état exact du droit positif, tel qu'il s'applique aux entreprises, dans la gestion du fait religieux. Les termes du débat étaient jusqu'à présent simples : la liberté religieuse s'impose à l'employeur, qui ne peut prendre aucune mesure à l'encontre des salariés, sauf à prendre un risque judiciaire, au titre de la discrimination (fondée sur l'appartenance religieuse du salarié). Si la liberté était le principe, et les restrictions à l'expression des convictions religieuses, l'exception, le juge (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I N° Lexbase : A7715MR8) puis le législateur (loi du 8 août 2016, art. 2) ont sensiblement modifié les termes du débat. L'employeur peut désormais restreindre l'expression des convictions des salariés : dans le cadre du règlement intérieur (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc. ; loi du 8 août 2016, art. 2) ; sous réserve que la restriction ne présente pas un caractère général, mais soit suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés et proportionnée au but recherché (3) ; et, enfin, parce que ces restrictions seraient justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise (loi du 8 août 2016, art. 2) et proportionnées au but recherché (loi du 8 août 2016, art. 2). Les termes du débat sont donc complexes, car les solutions préconisées tant par le juge (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc.) que le législateur (loi du 8 août 2016, art. 2) sont rédigées en des termes imprécis et délicats dans leur compréhension : bref, peu opérationnels.
I - Principe de neutralité : le règlement intérieur peut contenir des restrictions à l'expression des convictions

Pour un certain nombre de motifs, certains employeurs ont géré le fait religieux en entreprise en se référant au paradigme de la neutralité (c'est-à-dire, en d'autres termes, en limitant la liberté d'expression des salariés). Mais cette volonté d'encadrer/restreindre l'expression religieuse des salariés peut aller à l'encontre du droit positif (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L9171K88 ; Directive (CE) 2000/78 du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4, art. 1 et 2), selon lequel les salariés jouissent de la plus grande liberté de conscience (politique, syndicale, philosophique, religieuse). Mais cette liberté relève du for intérieur, et n'a pas à se manifester, car l'entreprise, lieu de production de biens et de services, doit être neutre et non engagée. Les entreprises inscrites dans un champ politique/philosophique/religieux particulier sont, précisément, inscrites dans une catégorie juridique particulière, désignée sous l'appellation d'entreprise de tendance (ou entreprise de conviction). La loi du 8 août 2016 rompt avec le silence des textes.

A - Principe admis de la neutralité

Jusqu'à présent, ce principe de neutralité n'a pas été consacré par le législateur. Le Code du travail l'ignorait totalement. La loi du 8 août 2016 a mis un terme à ce silence des textes.

1 - Solution légale

Le principe de reconnaissance de la "neutralité" dans les relations de travail est donc extrêmement récent : il date de la loi du 8 août 2016 (loi 8 août 2016, art. 2 ; C. trav., art. L. 1321-2-1, nouveau). Comme l'a noté le Haut Conseil à l'intégration en 2011 (4), l'exercice de la liberté de conscience au sein de l'entreprise privée "est à ce jour très insuffisamment encadré de façon spécifique par des textes de loi et règlements, si ce n'est par une jurisprudence circonstanciée et une directive communautaire. Aucun accord des partenaires sociaux, notamment à travers des conventions collectives, n'a à ce jour abordé la question de l'expression religieuse dans l'entreprise".

Le législateur s'est inspiré des travaux de la commission chargée de définir les principes essentiels de droit du travail (dite Commission "Badinter", janvier 2016). L'article 6 des "principes essentiels du droit du travail" autorise l'employeur à encadrer "la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses [si ces restrictions] sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché". L'article L. 1321-2-1, nouveau (loi du 8 août 2016, art. 2) reprend donc quasiment mot pour mot cet article 6 des travaux de la Commission "Badinter".

2 - Une solution non retenue par la jurisprudence

Le principe de neutralité dans les rapports de travail (ou, en d'autres termes, la possibilité pour l'employeur de restreindre la liberté d'expression des convictions des salariés) n'a pas été, jusqu'à présent, retenu ni par le Conseil d'Etat, ni la Cour de cassation (en attendant la CJUE ou la CEDH) :

- en 2013, la Cour de cassation (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5857KA8, affaire "Baby Loup" et n° 12-11.690, FS-P+B+R+I, préc., affaire "CPAM 93") avait annoncé, en des termes particulièrement clairs, que le principe de laïcité (art. 1er de la Constitution N° Lexbase : L7403HHN) n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail. Les salariés des employeurs privés ne sont pas soumis aux règles de neutralité qui s'imposent aux agents publics dans l'exercice de leurs missions d'intérêt général ou de service public ;

- enfin, en 2014, la Cour de cassation (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc.) a confirmé qu'une restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur n'est en principe pas possible. Mais l'Assemblée plénière a ouvert la voie à une pratique managériale de restriction des libertés religieuses des salariés, sous réserve que, dans un premier lieu, la restriction ne présente pas un caractère général (elle doit être suffisamment précise), qu'elle soit, dans un second lieu, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés et enfin, dans un troisième lieu, qu'elle soit proportionnée au but recherché.

B - Champ de la neutralité

Le législateur (loi du 8 août 2016 ; C. trav., art. L. 1321-2-1, nouveau) a donc consacré le principe de "neutralité" dans les rapports de travail, autorisant l'employeur à restreindre la manifestation des convictions des salariés. Mais un certain nombre de questions n'ont pas été tranchées par le législateur. Elles tiennent, d'abord et avant tout, à l'indécision et l'imprécision de son champ d'application. S'agit-il d'une neutralité religieuse ; d'une neutralité politique, citoyenne ; d'une neutralité littéraire, artistique (...) ; d'une neutralité syndicale ou enfin, d'une neutralité économique, commerciale ?

L'amendement déposé par Mme I. Le Callennec (amendement AS199) avait le mérite de la clarté, puisque le régime des restrictions visait explicitement "le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse". Mais il a été rejeté (5).

La doctrine (6) s'était exprimée, lors du vote de la loi du 8 août 2016 : il ne serait pas utile d'intégrer dans la loi du 8 août 2016 la notion de "neutralité" en particulier ; cette notion ne correspond à rien si la neutralité en question n'est pas qualifiée de religieuse. Des parlementaires ont également regretté que "le principe de neutralité que nous créons varierait d'une entreprise à l'autre. A partir d'une bonne idée, je crains que nous n'aboutissions à une cacophonie complète [...] Nous créons un monstre juridique : une neutralité religieuse dont la définition changerait selon les entreprises".

II - Cadre juridique de la "neutralité" : le règlement intérieur

En 2011, la HALDE/Haut Conseil à l'intégration (7) a fait, sur ce point, son mea culpa : jusqu'à présent, la problématique de la religion en entreprise était largement réduite à celle de la discrimination. Il a fallu attendre les arrêts "Baby loup", en 2013 puis 2014 pour s'en échapper, en ce sens que la Cour de cassation a été saisie sur le règlement intérieur (mode de gestion de la question religieuse en entreprise).

Tout l'intérêt de cette jurisprudence "Baby loup" réside dans ce glissement du centre de gravité, passant de la problématique de la "discrimination" à celle de restriction à la liberté des salariés par le règlement intérieur. Cette restriction est déjà prévue par les textes (antérieurement à la loi du 8 août 2016) car les atteintes aux libertés individuelles (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P) sont autorisées si ces restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Aussi, pour certains auteurs, la loi du 8 août 2016 (art. 2) n'apporte pas grand-chose, puisque le régime des restrictions était déjà encadré et défini par les textes ("l'innovation "technique", qui consiste à se référer à un possible "principe de neutralité", paraît somme toute mineure et d'aucuns la jugeront même plus "incantatoire" "qu'opératoire") (8).

A - Clauses du règlement intérieur : les conditions originelles (C. trav., L. 1321-3 N° Lexbase : L8833ITC)

La validité d'une restriction mise en place par l'employeur au droit, pour un salarié, d'exprimer ses convictions (not., religieuses) est soumise à plusieurs conditions, définies par le législateur, au titre du régime des droits et libertés dans l'entreprise (C. trav., art. L. 1121-1) ; du régime du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-3) et enfin, par des conditions mises en avant par le HCI (avis de 2011, préc.).

1 - Restriction à l'expression des convictions du salarié : le régime des droits et libertés dans l'entreprise (C. trav., art. L. 1121-1) et le régime du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-3)

En matière de droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, les restrictions doivent être :

- justifiées par la nature de la tâche à accomplir ;

- proportionnées au but recherché.

Le régime du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-3, 2°) pose les mêmes règles : le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

En 2013, la Cour de cassation, dans un premier temps, avait estimé que la clause de laïcité et de neutralité contenue dans le règlement intérieur d'une crèche ("Baby loup"), applicable à tous les emplois de la crèche, était inopposable, parce que générale et imprécise (9).

En 2013, la Cour d'appel a mis en avant la spécificité du régime juridique du règlement intérieur propre à une entreprise de tendance. La cour d'appel de Paris a statué en sens contraire de la Cour de cassation, et a suivi l'employeur dans son argumentation (10).

Mais en 2014, l'Assemblée plénière a restitué le débat dans son vrai contexte : le règlement intérieur peut contenir des clauses restrictives de la liberté d'exprimer ses convictions, si ces clauses ne sont pas générales ni absolues. Les juges du fond ont apprécié de manière concrète les conditions de fonctionnement de l'association "Baby loup", de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents. L'Assemblée plénière en a déduit que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc.) (11).

Au final, les employeurs qui voulaient limiter la liberté d'expression religieuse de leurs employés ne pouvaient invoquer qu'un nombre restreint de motifs, limitativement énumérés par la jurisprudence, l'Observatoire de la laïcité et la HALDE (12) :

- motifs tenant à l'hygiène, la santé ou la sécurité (13) ;

- motifs liés aux relations avec la clientèle. Ce point est pourtant ouvert au débat. L'Observatoire de la laïcité (14) avait estimé que le simple fait d'être au contact de la clientèle n'est pas en soi une justification légitime pour restreindre la liberté de religion du salarié.

La jurisprudence a refusé de valider des restrictions à la liberté d'exprimer ses convictions religieuses, par le règlement intérieur, si ce règlement intérieur interdit de manière générale et absolue les discussions politiques ou religieuses et, d'une manière générale, toute conversation étrangère au service (15).

Enfin, la notion d'exigence professionnelle essentielle ne peut être assimilée à des préjugés défavorables émanant de clients, de cocontractants ou de travailleurs (16).

2 - Les autres conditions

En 2011, le HCI (avis, préc.) a mis en avant plusieurs conditions de validité aux restrictions des employeurs à liberté de religion, destinées à garantir un équilibre acceptable entre liberté religieuse et intérêt de l'entreprise :

- une limitation et non une suppression de la liberté des salariés. Cette référence à la limitation et non à celle de suppression se déduit des textes (C. trav., art. L. 1121 et L. 1321-3) qui font mention de la notion de "restriction", et non celle de remise en cause pure et simple du droit à exprimer ses convictions ;

- une limitation qui doit être justifiée par l'employeur. Le HCI s'est inspiré de la loi (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3) posant déjà le principe d'une justification de la restriction fondée sur la nature de la tâche à accomplir ;

- une limitation circonstanciée qui ne saurait revêtir un caractère permanent ni définitif. Là aussi, la référence au caractère temporaire de la restriction se déduit des textes (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3) qui font mention à la notion de "restriction", et non celle de remise en cause pure et simple du droit à exprimer ses convictions (17) ;

- une limitation proportionnée au but recherché. L'exigence de proportionnalité est déjà mentionnée par les textes (C. trav., art. 1121-1 et L. 1321-3) ;

- un contrôle permanent des délégués du personnel, de l'inspection du travail ou du juge du contrat de travail en référé.

B - La condition posée par le nouvel article L. 1321-2-1 du Code du travail

La loi du 8 août 2016 permet au règlement intérieur de contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés. Trois conditions sont posées :

- les restrictions doivent être justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux. Il s'agit d'une nouveauté au regard du droit positif en vigueur jusque là (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3). Toute la difficulté tient à l'imprécision de cette disposition, car le législateur ne précise pas ce que recouvrent ces "autres libertés et droits fondamentaux" ;

- les restrictions doivent être justifiées par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise. Là aussi, s'agit d'une nouveauté introduite par la loi du 8 août 2016, non visée par les textes antérieurs (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3). Cette restriction reprend la proposition des travaux de la Commission "Badinter" (art. 6, préc.). Elle est conforme avec les préconisations d'autres instances nationales. En 2008, la HALDE avait admis que les impératifs commerciaux, dans le cadre d'une relation avec la clientèle, liés à l'intérêt de l'entreprise, peuvent justifier une restriction apportée au port d'un signe religieux (délibération de la HALDE n° 2008-32 du 3 mars 2008, préc.). Certaines juridictions avaient admis le pouvoir de l'employeur de restreindre l'expression des convictions religieuses d'une salariée.

Mais cette innovation législative pose des problèmes de définition (que faut-il entendre exactement par "nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise" ?) et de critères d'appréciation (quels critères retenir pour apprécier les "nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise" ?).

- les restrictions doivent être proportionnées au but recherché. Cette condition n'est pas nouvelle, elle figure déjà dans les dispositions du Code du travail relative aux droits fondamentaux (C. trav., art. L. 1121-1) et au régime de la discrimination (C. trav., art. L. 1321-3).

Au final, cette consécration par le législateur du pouvoir de l'employeur d'encadrer la liberté de religion du salarié a suscité des débats :

- parmi la doctrine, avançant la faible portée du dispositif (techniquement, une intervention législative ne s'imposait pas ; la loi du 8 août 2016 n'a qu'un intérêt pédagogique "en traçant, pour les "responsables de terrain" en charge de ces questions au quotidien dans les entreprises, des lignes directrices, plus aisément appropriables et mobilisables, dans le cadre de négociations, de discussions ou de décisions que les solutions jurisprudentielles mal connues ou mal reçues").

- pour les observateurs institutionnels, tels que l'Observatoire de la laïcité et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) (18) très critiques (au point de demander le retrait de l'article 1er bis A du projet de loi de modernisation du droit du travail). Ces critiques s'articulent autour de plusieurs points. Dans un premier lieu, la législation et la réglementation en vigueur, bien que trop peu connues, fournissent déjà les moyens nécessaires et proportionnés pour garantir l'équilibre entre protection de la liberté de conscience des salariés et la volonté légitime de fixer les limites nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise ; dans un second lieu, la loi du 8 août 2016 crée une insécurité juridique pour les employeurs (les tribunaux en auront des interprétations différentes) et les salariés (la possibilité d'une restriction de portée générale comporte le risque d'interdits absolus et sans justification objective à l'encontre des salariés, en visant toutes leurs convictions, qu'elles soient syndicales, politiques ou religieuses).


(1) LSQ, n° 17125 du 20 juillet 2016 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 610, 2015 (N° Lexbase : N7102BUL).
(2) L'Association française du droit du travail et de la Sécurité sociale (AFDT) a, en 2015, réuni un groupe de travail composé d'universitaires, de magistrats, d'avocats, de membres de l'administration du travail, de DRH, de syndicalistes et de représentants du personnel. Pour un compte-rendu de ses travaux, v. P. Adam, M. Le Friant, L. Pécaut-Rivolier et Y. Tarasewicz, La religion dans l'entreprise - L'art (difficile) des limites, RDT, 2016, p. 532. De même, doit être signalée, la tenue d'un colloque, du 20 octobre 2016 au 21 octobre 2016, à la faculté de droit de l'Université de Rouen, intitulé Religions et droit du travail : regards d'ici et d'ailleurs. Parmi les différentes interventions, on notera plus particulièrement : La question de la neutralité religieuse dans les entreprises qui n'accomplissent pas une mission de service public. La notion d'entreprise de conviction "laïque", V. Valentin (IEP de Rennes), vendredi 21 octobre, 9h ; L'impact de l'arrêt "Eweida" de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le droit anglais, M. Hunter-Hénin (University College de Londres), vendredi 21 octobre, 11h30 ; La liberté religieuse dans le domaine du travail : une réponse à partir de la théorie de l'accommodement raisonnable. Analyse comparée de la jurisprudence européenne et américaine, A. Torres (Faculté de Droit de l'Université de Pampelune), vendredi 21 octobre, 15h30-16h ; Eclairage de droit comparé sur la définition des signes religieux et leur régime juridique, K. El Chazli (Institut suisse de droit comparé), vendredi 21 octobre, 16h.
(3) Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I (N° Lexbase : A7715MR8), JCP éd. S, n° 1287, note B. Bossu ; Rev. jur. de l'éco. pub., n° 725, décembre 2014, comm. 56, P. Sargos ; D. Corrignan-Carsin, Epilogue français pour l'affaire "Baby loup" : le règlement intérieur peut limiter la liberté d'expression religieuse, JCP éd. G, 1er septembre 2014, 903 ; F. Crouzatier-Durand, Affaire "Baby loup" : la Cour de cassation confirme la position des premiers juges, Dr adm., n° 8-9, août 2014, comm. 47 ; I. Desbarats, Affaire "Baby loup" : l'orthodoxie en guise d'épilogue, JCP éd. E, n° 36, 4 septembre 2014, 1445 ; F. Dieu, Quand le règlement intérieur de l'entreprise protège la liberté de conscience et de religion de ses clients, JCP éd. A, n° 46, 17 novembre 2014, 2322 ; J.-Cl. Marin, Affaire dite "Baby loup" : dans quelles conditions un employeur privé peut-il limiter la liberté de manifester ses convictions religieuses ?, JCP éd. G, n° 36, 1er septembre 2014, 902 ; J.-B. Vila, Glissement conceptuel ou remise en cause des principes de laïcité et de neutralité dans l'affaire "Baby loup" ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2115 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 577, 2016 (N° Lexbase : N2936BUB).
(4) Haut Conseil à l'intégration, Expression religieuse et laïcité en entreprise, Avis, 2011, p. 11 (R. de Quenaudon, Expression religieuse et laïcité en entreprise, A propos de l'avis rendu par le Haut Conseil à l'intégration, RDT, 2011, p. 643).
(5) Ch. Sirugue, Rapport Assemblée nationale n° 3909, 30 juin 2016, p. 38-43.
(6) Audition d'A. Lyon-Caen par la Commission des affaires sociales, Assemblée nationale. V. C. Sirugue, Rapport Assemblée nationale n° 3909, 30 juin 2016, préc., p. 40.
(7) Haut Conseil à l'intégration, Avis, 2011, préc., p. 12 : "le fait de placer la tension Religion/Entreprise sous l'angle de la lutte contre les discriminations infléchit la lecture que l'on aura des problèmes rencontrés dans les entreprises : certains seront tentés de lire toute limitation de l'expression religieuse par l'employeur comme une discrimination religieuse, quand bien même cette restriction serait proportionnée et justifiée. A ce titre, la Halde a participé de cette évolution qui par certains aspects ne favorise guère l'apaisement entre salariés et entre employeur et salariés".
(8) P. Adam, M. Le Friant, L. Pécaut-Rivolier et Y. Tarasewicz, La religion dans l'entreprise - L'art (difficile) des limites, RDT, 2016, p. 532.
(9) Cass. soc., deux arrêt du 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5857KA8) et n° 12-11.690, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5935KA3), Bull. civ. V, n° 75 ; G. Henon et N. Sabotier, Rev. jur. de l'éco. pub., n° 717, mars 2014, chron. 1, chronique annuelle 2013 de droit du travail ; B. Bossu, Affaire "Baby loup" : le retour à la case départ, JCP éd. E, 19 décembre 2013, 1710 et JCP éd. S, 2013, n° 1146 ; P. Mbongo, Affaire "Baby loup" : l'"entreprise de tendance laïque" au secours de la cour d'appel de Paris, JCP éd. E, n° 49, 5 décembre 2013, act. 888 ; Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2014 (not. Avis de l'observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d'accueil des enfants, p. 13) ; AJDA, 2013. 1069, note J.-D. Dreyfus ; D. 2013. 962 ; ibid. 761, édito. F. Rome ; ibid. 956, avis B. Aldigé ; ibid. 963, note J. Mouly ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2014. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJCT, 2013. 306, obs. J. Ficara ; Dr. soc., 2013, 388, étude E. Dockès ; ibid. 2014. 100, étude F. Laronze ; RDT, 2013, 385, étude P. Adam ; ibid. 2014. 94, étude G. Calvès ; autres références biblio. dans nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 550, 2013 (N° Lexbase : N9694BT9).
(10) CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° 13/02981 (N° Lexbase : A2218KQ9) : P.-H. Antonmattéi, Le port de signes religieux dans l'entreprise : au-delà de "Baby loup", SSL, n° 1611, Supplément du 23 décembre 2013 ; A propos de la liberté religieuse dans l'entreprise, RDT, 2014, p. 391 ; G. Calvès, Devoir de réserve imposé aux salariés de la crèche Baby loup. Quelle lecture européenne du problème ?, RDT, 2014, p. 94 ; F. Dieu, L'affaire "Baby loup" : quelles conséquences sur le principe de laïcité et l'obligation de neutralité religieuse ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2114 ; F. Laronze, Affaire "Baby loup" : l'épuisement du droit dans sa recherche d'une vision apolitisée de la religion, Dr. soc., 2014, p. 100 ; J.-B. Vila, Glissement conceptuel ou remise en cause des principes de laïcité et de neutralité dans l'affaire "Baby loup" ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2115 ; La tentation de la laïcité, Entretien avec F. Géa, SSL, n° 1619, Supplément du 24 février 2014 ; J. Mouly, L'affaire "Baby loup" devant la cour de renvoi : la revanche de la laïcité ?, D. 2014, p. 65 ; Une atteinte à la liberté religieuse, Entretien avec N. Moizard, SSL, n° 1619, Supplément du 24 février 2014 ; J. Porta, obs. sous CA Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981, Droit du travail : relations individuelles de travail février 2013 - mars 2014, D. 2014, p. 1115 ; J.-E. Ray, A propos d'une rébellion (CA Paris, 27 novembre 2013), "Baby Loup", Dr. soc., 2014, p. 4 ; toutes les autres références dans nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 550, 2013, préc..
(11) En l'espèce, le règlement intérieur de l'association "Baby loup" contenait la clause suivante : "le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche".
(12) Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", p. 55.
(13) Délibérations de la HALDE, n° 2008-32 du 3 mars 2008 et n° 2009-117 du 6 avril 2009 ; Dounia Bouzar, in Laïcité Mode d'emploi, 42 situations, éditions Eyrolles, 2010 ; Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", préc., p. 59.
(14) Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, " La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée ", préc., p. 62.
(15) Conseil d'Etat, 25 janvier 1989 ; Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", préc., p. 60.
(16) CEDH, 27 septembre 1999, Req. 33985/96 (N° Lexbase : A7763AWG), condamnation du Royaume-Uni qui prétendait justifier l'exclusion systématique des homosexuels dans l'armée britannique par l'homophobie régnante au sein de cette armée. La Cour a considéré que les attitudes homophobes au sein de l'armée correspondent au préjugés d'une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle et ne sauraient être considérées comme une justification suffisante aux atteintes portées aux droits des homosexuels pas plus que des attitudes analogues à l'égard des personnes d'origine ethnique ou de couleur différente.
(17) CA Saint-Denis-de-la-Réunion, 9 septembre 1997, n° 97/703306 (cité par l'Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", préc., p. 62). La salariée musulmane avait refusé d'adopter une tenue conforme à "l'image de marque" de l'entreprise. L'intéressée, vendeuse d'articles de mode féminin, portait un vêtement qui ne reflétait pas l'image véhiculée par la boutique de mode dans laquelle elle était employée et dont elle devait refléter la tendance en raison de son rôle de conseil à la clientèle.
(18) L'Observatoire de la laïcité et la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, Communiqué de presse, 19 juillet 2016 ; B. Bissuel et A. Lemarié, La loi "El Khomri" accusée de miner la laïcité en entreprise, Le Monde, 24 mars 2016, p. 14.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2016

Lecture: 10 min

N4791BWD

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Le 08 Novembre 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Le Professeur Le Corre commente un arrêt publié au Bulletin rendu par la Chambre commerciale le 27 septembre 2016 qui répond à la question de savoir si le liquidateur peut ou non agir en contribution aux dettes sociales contre les associés d'une société en nom collectif (Cass. com., 27 septembre 2016, n° 15-13.348, F-P+B). Emmanuelle Le Corre-Broly a sélectionné, pour sa part, un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 septembre 2016 dans lequel la Haute juridiction revient sur la distinction entre le contrat crédit-bail mobilier et le contrat de location avec option d'achat (Cass. com., 13 septembre 2016, n° 14-29.853, F-D)

Chacun sait que la coordination du droit des sociétés et du droit des entreprises en difficulté n'est pas chose facile. L'occasion de le constater nous en est encore donnée avec une décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, publiée au Bulletin.

En l'espèce, une société en nom collectif comprenant deux associés est placée en liquidation judiciaire. Une date de rappel de l'affaire pour envisager la clôture est fixée par le tribunal comme il a en l'obligation. Cette date n'est pas respectée.

La première question posée est de savoir si une sanction doit être attachée au non-respect de cette date ? Peut-on spécialement considérer que la clôture est intervenue ipso facto du fait du dépassement de la date ? Sans surprise, la Cour de cassation répond par la négative : "l'absence de prorogation du délai fixé en application de l'article L. 643-9, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L7337IZR), au terme duquel la clôture de la liquidation judiciaire doit être examinée, ne met pas fin de plein droit à cette procédure".

Dans la législation antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), la clôture de la procédure n'était pas encadrée dans le temps. Et l'on constatait, en pratique, des procédures qui avaient tendance à s'éterniser. En 2003, la durée moyenne des procédures de liquidation judiciaire était ainsi de 45,3 mois (1). La France a d'ailleurs été condamnée sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) imposant un délai raisonnable pour le déroulement des procédures (2).

L'une des idées forces de la loi du 26 juillet 2005 a été d'accélérer la clôture de la procédure. Le but recherché par la législation a été de "permettre au débiteur d'exercer son droit à un nouveau départ, et par conséquent favoriser l'initiative entrepreneuriale en France" (3). Est ainsi consacrée la "liberté de ré-entreprendre".

Indiquons, toutefois, que cet objectif législatif, traduit à l'article L. 643-9, alinéa 1er, du Code, a immédiatement été analysé en un voeu pieu, en précisant qu'il constituait un leurre (4). Et il n'est pas étonnant que la Cour de cassation ait ainsi déjà pu juger que l'absence de prorogation du délai fixé en application de l'article L 643-9, alinéa 1er, du Code de commerce, au terme duquel la clôture de la liquidation judiciaire doit être examinée, ne met pas fin de plein droit à la procédure collective (5). C'est ce qu'elle rappelle dans le présent arrêt.

Cette solution va dans le même sens qu'une autre décision de la même Chambre commerciale du 16 décembre 2014, d'ailleurs commentée dans ces colonnes, qui avait énoncé que "lorsqu'il existe un actif réalisable de nature à désintéresser en tout ou partie les créanciers, la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et de celle qui en résulte de son droit d'administrer ses biens et d'en disposer, n'est pas sanctionnée par la clôture de la procédure de liquidation des biens, mais lui ouvre l'action en réparation prévue à l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7823HN3) qu'il peut exercer au titre de ses droits propres" (6).

La cause est donc entendue : le tribunal doit fixer une date de rappel de l'affaire pour envisager la clôture, mais le dépassement de cette date n'est assorti d'aucune sanction.

L'arrêt commenté posait une autre question, d'une portée plus importante, qui a justifié sa publication au Bulletin : le liquidateur peut-il agir en contribution aux dettes sociales contre les associés d'une société en nom collectif ?

Il faut distinguer l'obligation aux dettes sociales de la contribution aux pertes.

La contribution aux dettes sociales se manifeste dans les rapports entre le créancier social et l'associé. Au contraire, la seconde concerne la charge définitive de chaque associé dans les pertes. Elle manifeste le rapport de l'associé avec la société.

Par l'effet de la contribution aux dettes sociales, l'associé, fût-il tenu indéfiniment et solidairement du passif social, comme l'associé en nom, ne devient ni une caution, ni un coobligé à la dette, l'affirmation ayant d'abord été posée pour les associés en nom (7), puis pour les associés de sociétés civiles (8). Il devient plus exactement un débiteur subsidiaire adjoint (9).

La poursuite d'un associé tenu du passif social, au titre de l'obligation des associés aux dettes sociales, n'est possible que de la part des créanciers sociaux, non de la part du représentant des créanciers -mandataire judiciaire- ou du liquidateur (10). Elle n'est pas davantage possible de la part d'un coassocié (11). La notion d'obligation personnelle des associés envers les créanciers de la personne morale justifie la solution. Au demeurant, comment une action, qui ne conduit pas à faire rentrer dans le patrimoine de la société débitrice des fonds, pourrait-elle être mise en oeuvre par l'organe de défense de l'intérêt collectif des créanciers (12) ? Il suffit d'observer l'absence de qualité à agir de l'organe de défense de l'intérêt collectif des créanciers.

Au contraire, la contribution des associés aux pertes, qui concerne les rapports entre la société et les associés et non avec les créanciers, ne s'exerce qu'à la dissolution. Sa confrontation aux règles de la liquidation judiciaire mérite des précisions et suppose que l'on distingue la situation avant l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH) et depuis cette même ordonnance. En jeu : la dissolution de la société résultant de son placement en liquidation judiciaire.

Avant l'ordonnance du 12 mars 2014, la liquidation judiciaire entraîne dissolution de la société. La contribution aux pertes peut être mise en oeuvre par le liquidateur, qui représente la société, laquelle est créancière des associés (13), cependant que la solution contraire avait été posée antérieurement (14). C'est la solution ici rappelée par la Cour de cassation, qui juge que "le liquidateur judiciaire est recevable à agir, sur le fondement de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ), contre les associés d'une société en nom collectif en fixation de leur contribution aux pertes sociales".

Lorsque le liquidateur aura récupéré auprès des associés le montant de leur contribution aux pertes, il pourra collectivement le distribuer aux créanciers en tant qu'élément du gage commun.

Depuis l'ordonnance du 12 mars 2014, la solution est différente. Le liquidateur ne peut plus appeler les associés en contribution aux pertes sociales, car cette ordonnance a décalé la dissolution à la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire. Or, s'il doit attendre la clôture, il ne pourra plus jamais agir, puisqu'il aura perdu sa qualité de liquidateur par l'effet de la clôture, la question n'étant susceptible de présenter un intérêt que si la clôture intervient pour insuffisance d'actif.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Qualification de la location financière accordée à un professionnel indépendant : location avec option d'achat ou crédit-bail ? (Cass. com., 13 septembre 2016, n° 14-29.853, F-D N° Lexbase : A2407R3K ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4990E7X)

Les sociétés de location financière sont susceptibles d'accorder à leurs clients deux contrats très voisins pourtant régis par des dispositions législatives et réglementaires distinctes. Il s'agit, d'une part, du contrat de crédit-bail mobilier, ayant pour objet le financement d'un bien d'équipement professionnel et, d'autre part, le contrat de location avec option d'achat, destiné au financement d'un bien non professionnel. Ces opérations apparaissent extrêmement proches dans leur montage puisque ce sont toutes deux des opérations de crédit par assimilation dans lesquelles le bailleur financier acquiert le bien pour le donner ensuite en location au locataire pendant une durée convenue à l'issue de laquelle le locataire, s'il a réglé l'intégralité des sommes dues au titre du contrat, pourra se rendre propriétaire du bien en levant l'option d'achat en payant un prix, appelé valeur résiduelle, dont le montant est prévu par le contrat.

Les similitudes s'arrêtent là car le contrat de crédit-bail mobilier est régi par les dispositions du Code monétaire et financier qui soumettent l'opération à une publicité obligatoire prévue à l'article L. 313-10 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2972G9X). Cette publicité, effectuée auprès du greffe du tribunal de commerce du lieu de situation du crédit-preneur, doit, aux termes de l'article R. 313-3 du même code (N° Lexbase : L5047HCW), permettre l'identification des parties au contrat et des biens qui en font l'objet. Le défaut de publicité régulière est sévèrement sanctionné par une inopposabilité du droit de propriété du crédit-bailleur. A contrario, la publicité régulièrement effectuée rend opposable le droit de propriété du crédit-bailleur aux tiers et le dispense, en application de l'article L. 624-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5569HDM), de l'obligation de revendiquer son bien meuble dans le cadre de la procédure collective du crédit preneur.

Le contrat de location avec option d'achat est, quant à lui, impérativement soumis aux dispositions du Code de la consommation relatives au crédit à la consommation (cf. C. consom., art. L. 312-2, nouv. N° Lexbase : L1360K7I ; art. L. 311-2, al. 2, anc. N° Lexbase : L6639IMT), dès lors que l'opération ne dépasse pas le seuil de 75 000 euros. Aucune de ces dispositions n'exige de la part de la société financière de procéder à une quelconque publicité du contrat de LOA. Une publicité peut cependant être faite de façon facultative, ce qui permettra à l'établissement de crédit d'être dispensé d'avoir à revendiquer son bien dans le cadre de la procédure collective du locataire.

Lorsque le débiteur personne physique qui fait l'objet d'une procédure collective est preneur au titre d'un contrat de location financière, la qualification du contrat -crédit-bail ou location avec option d'achat- est essentielle si aucune publicité n'a été effectuée puisque, si ce contrat est un contrat de crédit-bail, cela signifiera que le droit de propriété du crédit-bailleur sera, en l'absence de publicité, inopposable aux tiers, et donc à la procédure collective. Cela autorisera le liquidateur à réaliser le bien comme s'il s'agissait d'un bien du débiteur (15).

Mais comment déterminer la nature du contrat ? Faut-il prendre en considération la profession du cocontractant, l'utilisation effective du bien ou celle envisagée par les parties au jour de la signature du contrat ? Telle est la question à laquelle répond la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 septembre 2016.

En l'espèce, un professionnel indépendant avait souscrit un contrat de location financière avec la société Crédipar. Dans le cadre de la procédure collective de l'entrepreneur, la société financière avait, sans succès, sollicité du liquidateur judiciaire la restitution du véhicule. Le juge-commissaire puis la cour d'appel (16) avaient rejeté la demande du bailleur financier au motif que n'était fournie aucune précision quant à l'affectation du véhicule permettant d'écarter les dispositions des articles L. 313-7 (N° Lexbase : L7976HBZ) et suivants et R. 313-4 et suivants du Code monétaire et financier aux termes desquelles sont soumis à publication tous les contrats de crédit-bail relatifs à des opérations de location de biens d'équipement de matériel d'outillage. Les juges du fond avaient alors considéré que faute de publicité du contrat, les droits de la société Crédipar étaient inopposables aux créanciers du preneur.

L'arrêt d'appel devait cependant être censuré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui relevait que, dans ses conclusions devant la cour d'appel, la société Crédipar soutenait que le contrat de location stipulait que le véhicule loué était "destiné à un usage privé exclusif" et que le bulletin d'adhésion du contrat "Peugeot contrat privilège", signé par le locataire, stipulait qu'étaient exclus du bénéfice de ce dernier contrat "les véhicules utilisés à titre professionnel". La qualification du contrat est en effet déterminée en fonction de la destination du bien envisagée par les parties au jour de la signature du contrat, en l'occurrence une destination extra-professionnelle excluant la qualification de contrat en crédit-bail. Ainsi, fort heureusement pour la société de location financière, peu importe la destination effective du bien, seule compte la destination envisagée au contrat. Ainsi, pour qualifier le contrat, la destination subjective prévue par les parties l'emportera-t-elle donc systématiquement sur la destination objective du bien. Cette solution confirme la position déjà prise par la Chambre commerciale (17). En termes de sécurité juridique, la solution est heureuse car, bien évidemment, le bailleur financier n'a aucune maîtrise sur l'utilisation effective que le preneur aura finalement d'un bien susceptible d'être utilisé à titre professionnel ou à titre privé.

Ainsi, dès lors que le des parties ont prévu que le bien était destiné à un usage non professionnel, le contrat ne s'analyse-t-il pas en un contrat de crédit-bail, mais en un contrat de LOA, de sorte que le défaut de publicité du contrat n'est pas sanctionné par l'inopposabilité du droit de propriété posée par l'article L. 313-10 du Code monétaire et financier. Toutefois, il n'en demeure pas moins que, pour que le droit de propriété soit opposable à la procédure collective, la société financière dont le contrat n'est pas publié ne doit pas s'être contentée de présenter une simple demande en restitution. Ainsi, le bailleur financier n'est-il pas assuré, en l'espèce, d'être définitivement tiré d'affaire...

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201)


(1) Rapport de Xavier de Roux, n° 2095, p. 397.
(2) CEDH, 17 janvier 2002, req. n° 41476/98 (N° Lexbase : A9037AXY), D., 2002, AJ 807.
(3) Rapport de Xavier de Roux, n° 2095, préc., p. 397.
(4) A. Lizé, Les solutions vues par un mandataire judiciaire - plan de cession, liquidation judiciaire générale, liquidation judiciaire simplifiée issus de la loi du 26 juillet 2005 et du décret du 28 décembre 2005, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 200 et s., spéc. p. 202.
(5) Cass. com., 2 décembre 2015, n° 13-26.815, F-D (N° Lexbase : A2088NKK).
(6) Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-19.402, FP+B+R+I (N° Lexbase : A6743M7U), D., 2015, actu 6, note A. Lienhard, Act. proc. coll., 2015, comm. 1, note F. Pérochon ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2015, 90, note F. Delattre ; RTDCom., 2015, 161, n° 9, obs. J.-L. Vallens ; JCP éd. E, 2015, 1010, note Ch. Lebel et chron. 1204, n° 3, obs. Ph. Pétel ; Leden, 2015, comm. 012, note F.-X. Lucas ; nos obs., in Chron., Lexbase, éd. aff., 2015 n° 598 (N° Lexbase : N5530BUD).
(7) Cass. com., 20 mars 2012, n° 10-27.340, FP-P+B (N° Lexbase : A4102IGZ), Bull. civ., IV, n° 61 ; Bull. Joly Sociétés, mai 2012, n° 223, note J.-F. Barbiéri ; Dr. sociétés, juin 2012, n° 102, note M. Roussille ; Rev. sociétés, 2012, 577, note O. Dexant de Bailliencourt ; Ch. Lebel, Lexbase, éd. aff., 2012, n° 292 (N° Lexbase : N1336BTN).
(8) Cass. civ. 1, 18 février 2015, n° 13-25.536, F-D (N° Lexbase : A0036NCC), Bull. Joly Sociétés, 2015, 232, note F.-X. Lucas.
(9) D. Briand, Retour sur la notion de coobligé, Bull. Joly Sociétés, septembre 2012, n° 351.
(10) Cass. com. 24 janvier 2006, n° 04-19.061, F-P+B (N° Lexbase : A5551DMK), Bull. civ. IV, n° 17 ; D., 2006, AJ 445, obs. A. Lienhard ; RTDCom., 2006. 916, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; JCP éd. E, 2006, Chron. 1569, n° 10, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2006, n° 40, note C. Régnaut-Moutier ; LPA, 28 avril 2006, n° 85, p. 14, note D. Gibirila ; Bull. Joly Sociétés, 2006, 588, note J.-J. Daigre ; Rev. sociétés, 2006, 410, note J.-F. Barbiéri ; RTDCom., 2006. 435, n° 4, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; RTDCom., 2006, 917, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; Rev. sociétés, 2006, 637, note Th. Bonneau. Cf., également, CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 29 juin 2010, n° 09/15446 (N° Lexbase : A3603E49), Bull. Joly, 2010, 901, note F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2010, n° 231, note J.-Ch. Pagnucco.
(11) Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.844, F-P+B (N° Lexbase : A6657IKR), Bull. civ. IV, n° 91 ; Dr. sociétés, 2012, n° 119, note H. Hovasse.
(12) Rappr. : C. Régnaut-Moutier, Act. proc. coll., 2006, n° 40.
(13) Cass. com., 20 septembre 2011, n0 10-24.888, F-P+B (N° Lexbase : A9524HXZ), Bull. civ. IV, n° 136 ; D., 2011, 2970, note Mermoz ; Act. proc. coll., 2011, n° 278, note J.-Ch. Pagnucco ; Gaz. Pal., 12 octobre 2011, jur. 7, note F.-X. Lucas ; Gaz. Pal., 16 novembre 2011, jur. 22, note A.-F. Zattara-Gros ; JCP éd. E, 2011, Chron. 1000, n° 2, obs. Ph. Pétel ; RTDCom., 2011. 771, n° 2, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
(14) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 29 juin 2009, n° 09/15446 (N° Lexbase : A3603E49), Act. proc. coll., 2016, n° 231, note J.-Ch. Pagnucco, cassé par Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-24.888, préc..
(15) V. sur la question, nos obs., La sanction du défaut de revendication, Gaz. pal. spécialisée Droit des entreprises en difficulté, 12 avril 2016, p. 51 et s..
(16) CA Aix-en-Provence, 22 mai 2014, n° 13/18509 (N° Lexbase : A3991MQU).
(17) Cass. com., 11 février 2014, n° 12-27.813, F-D (N° Lexbase : A3779MEP), nos obs., in Chron., Lexbase, éd. aff., 2014 n° 374 (N° Lexbase : N1266BUG).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Exonération de la contribution de 3 % sur les montants distribués en faveur des sociétés d'un groupe fiscalement intégré

Réf. : Cons. const., 30 septembre 2016, n° 2016-571 QPC (N° Lexbase : A7362R4G)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)

Le 08 Novembre 2016

Par une décision QPC n° 2016-571 (Cons. const., 30 septembre 2016, n° 2016-571 QPC), le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel le 1° du §1 de l'article 235 ter ZCA (N° Lexbase : L3946KW3) du CGI dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 (loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015 N° Lexbase : L1131KWS). En d'autres termes, sans doute plus clairs, est déclarée inconstitutionnelle la norme emportant exclusion des distributions entre sociétés intégrées de l'assiette de la taxe de 3 % sur les dividendes. Pour le juge, une telle censure s'impose en ce que le législateur a méconnu les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. La société requérante avait formé, le 4 mai 2016, un recours pour excès de pouvoir visant différents paragraphes de l'instruction BOI-IS-AUT-30-20160302 (N° Lexbase : X2468AMD) relative à la contribution additionnelle à l'IS au titre des montants distribués. Le même jour, était déposée une QPC pour que le Conseil constitutionnel se prononce sur la régularité du 1° du § 1 de l'article 235 ter ZCA du CGI : selon la requérante, limiter l'exonération de la contribution aux seules sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré porte atteinte aux articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la DDHC (principe d'égalité devant la loi et principe d'égalité devant les charges publiques). Le Conseil d'Etat, par une décision n° 399506 du 27 juin 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2016, n° 399757, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4278RUY), estime que la QPC présente un caractère sérieux et la renvoie au Conseil constitutionnel.

Sociétés d'un même groupe fiscalement intégré versus sociétés d'un même groupe ne relevant pas du régime de l'intégration fiscale. Tout commence avec l'article 235 ter ZCA du CGI : celui-ci institue une contribution additionnelle à l'IS au titre des montants distribués, contribution due lorsqu'il est procédé à des distributions de revenus au sens des articles 109 (N° Lexbase : L2060HLU) à 117 du CGI. Sont exonérées de cette taxe de 3 % des montants distribués les sociétés du même groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du CGI (N° Lexbase : L1889KG3). Ce dernier article permet à une société, sur option, de se constituer seule redevable de l'IS dû sur l'ensemble des résultats du groupe, à condition de détenir, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital des autres sociétés.

I - Impossibilité, pour certaines sociétés, de constituer un groupe fiscalement intégré

Dans la QPC n° 2016-571, la critique suivante était formulée : exclure du bénéfice de l'exonération les distributions réalisées entre sociétés d'un même groupe, pour absence d'application du régime de l'intégration fiscale, n'est pas constitutionnellement fondé. Certaines sociétés ne peuvent pas constituer un groupe fiscalement intégré. Tel est le cas des filiales françaises de sociétés étrangères dès lors que la société mère n'est pas établie en France et n'est pas assujettie à l'IS. Ces sociétés, qui ne peuvent pas jouir du bénéfice de l'exonération, subissent une différence de traitement dès lors qu'est respectée la condition de détention de 95 % fixée par l'article 223 A du CGI. Si toute différence de traitement n'emporte pas inconstitutionnalité (le principe d'égalité ne signifie pas uniformité et des entités placées dans des situations différentes peuvent, voire doivent, se voir appliquer un régime juridique différent), il appert que la différence de traitement ici instituée est structurelle. L'exclusion de l'exonération découle automatique de l'impossibilité, pour certaines sociétés, d'utiliser l'article 223 A et la technique du groupe fiscalement intégré.

II - Exonération sans lien avec le régime de l'intégration fiscale

Le Conseil constitutionnel constate que l'article 235 ter ZCA du CGI pose une contribution qui est un impôt autonome, au sens d'impôt distinct de l'IS. Certes, les modalités de recouvrement et de réclamation applicables à cette contribution sont identiques à celle prévues pour l'IS. Pour autant, tel n'est pas le cas lorsque le regard se tourne vers les redevables visés, le fait générateur et l'assiette de la contribution. De cela, le Conseil constitutionnel tire la conclusion que "L'exonération instituée par les dispositions contestées est donc sans lien avec le régime de l'intégration fiscale". Ce dernier ne concerne en effet que l'IS et ne possède pas pour finalité d'exonérer de cet impôt les sociétés membres d'un groupe. Il y a ainsi identité de situation, dès lors que la condition de détention de 95 % fixée par l'article 223 A du CGI est respectée, en présence de sociétés d'un même groupe qui réalise, en son sein, des distributions. Au regard de "l'objet de la contribution", ces sociétés sont placées dans une même situation... que le groupe relève ou ne relève pas du régime de l'intégration fiscale. La différence de traitement n'est pas justifiée par une différence de situation ; le juge ne peut que constater l'absence de lien (cf. l'objet de la loi) entre le régime de l'intégration fiscale et l'exonération de la contribution prévue par l'article 235 ter ZCA.

III - Objectif de rendement et volonté du législateur

Quid de la volonté du législateur ? Question simple mais importante puisqu'il s'agit in fine de censurer ou non sa volonté exprimée normativement par le truchement d'une disposition législative. Lorsqu'il institue cette contribution additionnelle à l'IS au titre des montants distribués, le législateur entend réaliser une opération de compensation financière. Il entend compenser la perte de recettes pérenne découlant de la suppression de la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Le législateur avait été contraint (à la suite de la décision de la CJUE du 10 mai 2012, aff. C-338/11 à C-347/11 N° Lexbase : A9035IKT) de supprimer la retenue à la source de 30 % sur les OPCVM, avec un manque à gagner d'environ un milliard d'euros. Pliant logiquement devant la lecture de la liberté de circulation des capitaux promue par la CJUE, le législateur décide de "compenser la perte de recettes pérenne" : cela s'appelle poursuivre un "objectif de rendement". Les intentions du législateur sont claires et assumées : "l'instauration de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés est calibrée de manière à neutraliser le coût de la suppression de la retenue à la source sur des dividendes de source française" (1).

Difficile d'être plus explicite. Pour être louable sur le plan budgétaire, la poursuite d'un objectif de rendement ne saurait, en elle-même et par elle-même, constituer un critère objectif permettant de déroger au principe d'égalité. S'il en était ainsi, le législateur pourrait, structurellement et automatiquement, instituer des différences de traitement jurant avec les principes constitutionnels garantis, au point de vider le contrôle de constitutionnalité des lois de sa substance. C'est la raison pour laquelle un objectif de rendement "ne constitue pas, en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier [...] la différence de traitement instituée". Plus précisément, dès lors que la condition de détention de 95 % est satisfaite, l'objectif de rendement ne peut justifier la césure entre sociétés d'un même groupe réalisant en son sein des distributions... selon qu'un groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale. Il convient de noter que le Conseil constitutionnel ne fait pas mention, dans sa décision de censure, d'un autre argument avancé par le législateur. Celui-ci insiste sur le fait que le nouvel impôt créé possède également un fort objectif incitatif, de nature industrielle : il s'agit de favoriser l'autofinancement des entreprises en lieu et place de la rémunération des actionnaires. Le Conseil constitutionnel refuse de faire, ce jour, de la politique industrielle et ne cogite pas sur les bienfaits supposés d'une telle politique fiscale, plutôt centrée, ce qui n'est pas rien après tout, sur l'autofinancement. Plus exactement, le Conseil constitutionnel, confronté aux arguments du législateur centrés et sur un objectif de rendement et sur un "objectif comportemental" (2), va jeter son dévolu sur l'objectif qu'il considère principal aux yeux du législateur. Et le Conseil décide de cogiter sur le seul objectif de rendement, regardé comme la finalité principale pour un législateur en quête de compensation financière et d'équilibre budgétaire. Si le législateur peut déroger au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en invoquant un objectif comportemental, il ne peut pas déroger à ce même principe en alléguant un objectif de rendement.

IV - Effets de la déclaration d'inconstitutionnalité : report dans le temps

Le Conseil constitutionnel utilise la réserve temporelle de l'article 62 (N° Lexbase : L0891AHH). Si une disposition législative inconstitutionnelle est abrogée à compter de la publication de la décision du juge, il lui est loisible de fixer la date de l'abrogation, de reporter dans le temps ses effets ou encore de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité. Selon le Conseil constitutionnel, l'abrogation immédiate de la disposition censurée "aurait pour effet d'étendre l'application d'un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur". Invoquant la classique formule qui lui permet de faire oeuvre d'autolimitation, "le juge ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de même nature que celui du Parlement en vertu de l'article 61 (N° Lexbase : L0890AHG)", le Conseil constitutionnel refuse d'indiquer les modifications de règles d'imposition devant être choisies pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. L'abrogation est reportée au 1er janvier 2017. S'il était besoin de rappeler le truisme en vertu duquel la matière fiscale est tout sauf une technique neutre, en voici un exemple probant. On ne touche à la matière fiscale que d'une main tremblante tant elle renvoie à des choix politiques, au sens le plus noble du terme d'ailleurs : la détermination des valeurs de la polis, ici-bas la taxation des ressources aux fins ultérieures d'une (re)distribution (présumée) équitable.

V - La QPC n° 2016-571 à l'aune de la QPC n° 2014-456 : de la non transposition

Il n'est pas inintéressant d'évoquer la QPC n° 2014-456 (Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-456 QPC N° Lexbase : A7735NCH) dans la mesure où le Conseil constitutionnel se penche sur l'article 235 ter ZAA (N° Lexbase : L9725I3L). Dans cette décision, une différence de traitement visant le régime de l'intégration fiscale est reconnue constitutionnelle. Pour autant, la solution rendue dans cette décision n'est pas transposable à la présente QPC commentée, la n° 2016-571. Dans la QPC n° 2014-456, il était question de la contribution exceptionnelle sur l'IS qui connaissait les caractéristiques principales de l'IS quant aux assujettis, quant à l'assiette, quant au fait générateur. Tel n'est pas le cas de la contribution visée dans la QPC n° 2016-571. Dans la décision de 2015, il était relevé que le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle différait selon que les sociétés étaient (ou non) membres d'un groupe fiscalement intégré. Le Conseil avait mis en exergue, pour admettre alors la conformité de la différence de traitement entre sociétés, l'intention du législateur : en assujettissant à la contribution exceptionnelle sur l'IS les redevables réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros, le législateur "a entendu imposer spécialement les grandes entreprises". Il a, pour ce faire, fixé des conditions d'assujettissement spécifiques pour les sociétés membres d'un groupe fiscalement intégrés. Dès lors, il a été jugé que les modalités adoptées par le législateur n'étaient pas "manifestement inappropriées à l'objectif visé". Le législateur s'est fondé sur un "critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi" en retenant comme seuil d'assujettissement la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré. Point de transposition donc.

VI - L'article 235 ter ZCA du CGI : entre QPC et droit de l'UE

Le 27 juin 2016 (décision n° 399024), le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur le sort d'une QPC visant notre article 235 ter ZCA en ce que ce dernier serait contraire au droit de l'Union. Le Conseil d'Etat, faisant application d'une jurisprudence du 31 mai 2016 (CE Ass., 31 mai 2016, n° 393881, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4095RR4), décide de ne pas saisir le Conseil constitutionnel. Le Conseil d'Etat renvoie à la CJUE en raison de la possible incompatibilité de la disposition législative avec les articles 4 et 5 de la Directive du 30 novembre 2011 (Directive 2011/96/UE du Conseil N° Lexbase : L5957IR3). Puisque le motif d'inconstitutionnalité soulevé au titre de la QPC vise une incompatibilité de la loi avec une Directive UE, le juge renvoie à la CJUE pour que l'affaire soit tranchée au fond. Cela a pour conséquence que la QPC posée se voit qualifiée de non sérieuse... ce qui n'est guère sérieux. Il faudra, un jour, chercher dans un dictionnaire le sens du mot "prioritaire" puis tenter de l'accoupler, de nouveau, avec une "question... de constitutionnalité".


(1) Commentaire de la présente QPC sur le site du Conseil constitutionnel.
(2) Commentaire de la présente QPC sur le site du Conseil constitutionnel, préc..

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Fiscalité financière

[Brèves] Sursis d'imposition pour les plus-values résultant d'échanges de titres : exclusion pour les opérations de rachat par une société de ses propres titres en vue d'une réduction de son capital

Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 12 octobre 2016, n° 401659, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8127R77)

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Le 08 Novembre 2016

Il ressort des dispositions de l'article 150-0 B du CGI (N° Lexbase : L0288IWL), éclairées par les travaux préparatoires de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999, de finances pour 2000 (N° Lexbase : L1726IRD), dont elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines de ces opérations, notamment d'échanges de titres. Le législateur n'a, en revanche, pas entendu viser les opérations de rachat par une société, qu'elle soit cotée ou non cotée, de ses propres titres en vue d'une réduction de son capital non motivée par des pertes, quand bien même un tel rachat serait rémunéré non en numéraire mais par la remise de valeurs mobilières détenues par la société. Ainsi, les contribuables dont les titres sont rachetés par la société émettrice et qui, ce faisant, se désengagent de leur investissement, ne sont pas placés dans la même situation que ceux participant à l'une des opérations énumérées à l'article 150-0 B, lesquelles revêtent par nature un caractère intercalaire en ce qu'elles ont pour objet de poursuivre, sous une autre forme, l'investissement réalisé dans l'activité économique en cause. Il s'en déduit que la différence de traitement fiscal, dans l'octroi du sursis d'imposition, opérée entre deux catégories d'opérations qui se traduisent toutes deux par un échange de titres susceptible de faire naître une plus-value mobilière, trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi et ne méconnaît donc pas le principe d'égalité devant la loi fiscale. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 12 octobre 2016 (CE 10° et 9° ch.-r., 12 octobre 2016, n° 401659, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8127R77). En l'espèce, les requérants soutiennent que les dispositions litigieuses sont contraires à la Constitution en tant qu'elles ne s'appliquent pas aux gains réalisés avant le 1er janvier 2014 par les actionnaires ou associés personnes physiques de sociétés non cotées à l'occasion du rachat de leurs titres par la société émettrice. Pour la Haute juridiction, qui a refusé le renvoi d'une QPC, la différence de traitement fiscal que ces dispositions opèrent par rapport aux opérations non incluses dans leur champ repose sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés par le législateur. La seule circonstance que les contribuables puissent être conduits à acquitter un impôt sur la plus-value qu'ils réalisent à cette occasion sans que l'opération en cause leur procure par elle-même les liquidités nécessaires ne suffit pas à faire regarder l'imposition correspondante comme établie en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques .

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Justice

L'open data Lexbase : l'expérience unique de la jurisprudence

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N4865BW4

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par Fabien Waechter, Président des éditions juridiques Lexbase

Le 29 Septembre 2022

L’article que vous vous apprêtez à lire a été publié pour la première fois en octobre 2016. Aujourd’hui, et alors que son auteur nous a quittés ce 25 septembre dernier, plus que jamais il résonne en chacun de nous. Explicitant l’histoire et l’ambition du projet Lexbase, nous jugeons opportun de lui offrir à nouveau une large diffusion, pour que l’esprit de Lexbase se perpétue et celui de Fabien Waechter avec.


 

Lors de la création de Lexbase en 1998, l'édition juridique avait établi son modèle sur le caractère scientifique de la matière dont elle s'inspirait. À ce titre, l'analyse, la réflexion et les échanges d'universitaires constituaient la valeur ajoutée du modèle économique. Le traitement des données dites « brutes » était la matière pauvre de l'édition, celle qui ne requérait aucune compétence autre que celle de savoir lire. Étaient alors vendus par les éditeurs les apports éditoriaux inhérents à ces données : notes sous les articles de codes, abstracts sous les jurisprudences, articles de fond sur les seules décisions décisives des juridictions. Ainsi, les praticiens du droit se servaient de l'analyse des éditeurs pour élaborer de la matière brute (décisions, réglementations), laquelle servait à son tour à alimenter les analyses des grands auteurs.

Dans l'ordre des traitements de l'information, la déclinaison est la suivante :

1. Un fait juridique ;
2. Donne lieu à une information ;
3. Qui génère de l'analyse ;
1. Qui fait éclore de nouveaux faits ;
2. Qui génèrent de nouvelles informations, etc.

Le tout sous abonnement. Les éditeurs organisaient ainsi une valse ininterrompue, qui n'a eu cure du temps. Certains éditeurs sont ainsi en place depuis Théophraste Renaudot, premier éditeur juridique identifié comme tel pour la publication de sa « Gazette » dès 1631. Les éditeurs juridiques, précurseurs, avaient créé dès lors une forme de mouvement perpétuel, appliquant au droit la boucle musicale, découverte plus tard, laissant ainsi penser que le droit inspira (aussi) la musique !?

Conscients du poids de l'héritage, mais inspirés par l'exemple, les concepteurs de Lexbase ont voulu rejoindre la ronde. Profitant de l'élan que vint au même moment leur donner l'outil internet, ils choisirent d'ajouter à un produit éditorial de doctrine et de veille juridique classique, un outil d'informatique éditorial, qui s'appuierait sur une nouvelle valeur ajoutée : la base de données. Or, de façon à marquer le positionnement qu'évoque le président Petitcollot dans son introduction, ils résolurent de constituer une base sur une donnée qui n'était à l'époque que très peu, voire pas du tout accessible : la jurisprudence.

I. Depuis sa création, Lexbase encourage la libération des données publiques : l'accès à la jurisprudence

Lexbase naquit très peu avant Légifrance, et encouragea sa constitution. De fait, en plus de modifier quelque peu le marché, en permettant à chacun (dont Lexbase) d'accéder à de la donnée en masse, cette première initiative de libération de données permettait d'organiser de nouveaux outils sur des données structurées, quasi directement utilisables. Lexbase a accompagné ce mouvement d'une acquisition massive de jurisprudence. Il fallait acquérir le plus de décisions du plus grand nombre de juridictions, presque sous forme revendicative. La dimension citoyenne était corrélative de la démarche donnant une valeur à cette donnée mystérieuse qu'était la jurisprudence : Lexbase a fait de la base de jurisprudence un produit. Ainsi, la valeur ajoutée de Lexbase résida, en plus des bases de doctrine et de revues, dans les processus d'acquisition (numérisation), de traitement des données, et de leur rendu pour l'utilisateur, participant d'une forme de libération au bénéfice des abonnés. Ce dernier achetait donc l'accès à une donnée inaccessible, ainsi qu'au contenu inédit de cette donnée. S'est ainsi formée une masse d'utilisateurs, qui devinrent abonnés, et trouvèrent des faits qui devinrent des informations, qui inspirèrent des auteurs qui donnèrent lieu à des réflexions qui inspirèrent des professionnels qui... Lexbase est ainsi rentrée dans la danse.

Puis JuriCA est arrivé, bousculant encore le marché de la donnée dite « brute ». Les bases de données que chaque éditeur s'était constituées et arrogées, jusqu'à la jurisprudence, furent gratuitement mises à disposition pour le citoyen. Lexbase a encouragé là encore le mouvement, en le suivant et en doublant ses capacités d'acquisition, inversement Légifrance entraînant Lexbase dans sa soif de libérer : le marché de la jurisprudence était créé. Dorénavant, personne ne pourrait plus ignorer la valeur de la jurisprudence. Il faut accéder à la jurisprudence pour mieux connaître le droit. Les professionnels du droit ne pourront plus connaître le droit sans consulter la jurisprudence. Sans renverser la hiérarchie des normes, cette démarche officialise la valeur de la publication, et le rôle des éditeurs de jurisprudence. Lexbase a mérité son titre d'éditeur en fabriquant une base d'information sur la jurisprudence.

Dès lors en effet, la valeur intrinsèque à la base de données était acquise ! Combien de services les utilisateurs eux-mêmes ont-ils créés de leur fait, ou avons-nous créé pour eux sur ces contenus ? Les avocats se sont approprié l'adage selon lequel « Si tu ne connais pas d'avocat qui connaît la loi, prend celui qui connaît le juge » espérant trouver les secrètes inspirations des magistrats. Encore, nous avons mis en place des systèmes de veille par thèmes pour les spécialistes de telle ou telle matière. Lexbase a permis la recherche de faits pour engager le droit face à son principal défi : s'adapter à la vie en société. La dernière nouveauté est de permettre de réaliser des « chaînes du contentieux » : dans tous les sens les abonnés peuvent naviguer entre les degrés d'instances. Même les avis consultatifs auprès des Hautes juridictions y trouvent une place juridictionnelle. À ce stade, chaque décision peut être une information, essentielle, parfois suffisante, pour le professionnel du droit.

De la donnée naquit donc la base, sans cesse mutante, condamnée à grandir, faisant le lien entre l'instant et le passé. Cette base est devenue non une valeur « de base », mais une véritable valeur ajoutée. Fort de ses processus d'acquisition, et de la valeur trouvée auprès de ses utilisateurs, Lexbase va aujourd'hui plus loin. Lexbase constitue une base exclusive non seulement nationale, mais acquiert des données de l'ensemble des pays de tradition romano-germaniste, tendant à devenir la base de jurisprudence des pays de la même nature juridique. Lexbase peut annoncer la constitution de la plus grande base de décisions de justice de juridictions de tradition continentale au monde. Pour exemple, en 2016 a été signée une convention entre Lexbase et le premier président de la Cour de cassation du Liban, participant aussi d'un mouvement de rassemblement de la tradition civiliste. Un récent accord avec Ohada.com va permettre à l'ensemble des données de cette base, de rejoindre celles de la base JuriCaf, ajoutant de l'inédit à l'exclusif. Du Niger, en passant par la Belgique, le Sénégal ou la Russie : cette base existe dorénavant, existera, vivra, et sans prétendre à favoriser l'harmonisation, permettra la consultation, la sélection, voire la traduction d'un ensemble inédit de décisions, qui pour beaucoup n'existaient pas jusque-là. Libérez ! Lexbase intègre et publie. De la publication naîtra l'information, comme une nouvelle preuve de libération.

II. Lexbase veille cependant à organiser au mieux la libération des données publiques : la diffusion de la jurisprudence

La loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés attribue aux éditeurs la lourde responsabilité de la rediffusion, engageant Lexbase dans deux types de développements pour pérenniser la diffusion de sa base.

A. La DJPP (donnée juridique publique publiable) ou la garantie juridique de la diffusion de la jurisprudence

Si la libération des données, encouragée par Lexbase, est un but louable, il convient cependant d'être très prudent. En effet, aujourd'hui, les normes de protection des justiciables, dans ce type très particulier de données, ne sont pas clairement définies. Au regard de l'insuffisance des règles de pseudonymisation, et des modèles proposés aujourd'hui de calcul de risque d'identification, Lexbase propose de chercher quel serait le produit satisfaisant aux exigences en vigueur (la protection de la vie privée), afin de réaliser une libération exhaustive.

Partant du raisonnement suivant :

1. Les décisions des juridictions sont des données publiques.
2. Mais les décisions des juridictions ne sont pas publiables - au regard de leur contenu, qui porte atteinte à la vie privée des justiciables.
3. Alors cette catégorie de données publiques n'est pas directement publiable.

Lexbase, spécialiste de l'exploitation de la donnée jurisprudentielle, veut contribuer par son expérience à inverser le sens de la mineure supra : la protection absolue des données personnelles dans les décisions de justice est la condition sine qua non d'une publication sans risque. Fabriquons donc la donnée publiable !

C'est une opération complexe réclamant la plus grande prudence. Pour parvenir à répondre aux attentes de l'ouverture des données publiques au plus grand nombre, dans le cadre de l'open data, le respect à la vie privée des parties au procès doit être garanti, sans faire perdre aux décisions rendues par le juge leur valeur juridique, i.e. la clarté et l'intelligibilité des faits, du discours, des arguments et des motivations, dans le processus juridictionnel.

Lexbase développe aujourd'hui le projet d'accès à la donnée juridique publique publiable (DJPP), considérant que les décisions, qu'elles soient ou non une donnée publique, contiennent des « datas » qui peuvent, elles, être identifiées puis « traitées », de façon à les rendre « publiables ».

Bénéficiant de technologies de traitement des données éprouvées, Lexbase proposera, d'une part :

  • un procédé de réduction des risques d'identification pour les décisions déjà publiées (traitements a posteriori) ;
  • un logiciel de préparation à la publication des data des décisions (traitement a priori), qui n'intervient pas dans la rédaction par les magistrats, mais qui permet de formater dès l'origine, un document aux fins de publication.

Lexbase voudrait concevoir deux prototypes permettant :

  • l'un de traiter a posteriori en l'état actuel de l'art, et des règles applicables, les décisions déjà rendues : Lexbase fabrique une donnée publiable en garantissant à 100 % l'absence de risque d'identification, par des procédés exclusifs de formatage ;
  • l'autre de préparer a priori la publication d'un modèle (gabarit), avant rédaction des magistrats, et publié par les greffes après rendu de la décision définitive, dans un format garantissant à la fois la plus grande protection des justiciables et la plus large diffusion.

Lexbase souhaite que les avocats puissent se saisir du projet. Ils sont les destinataires naturels de la jurisprudence et sont en mesure d'organiser, tant des circuits d'acquisition efficaces auprès de chaque niveau de juridiction de leurs barreaux, que des procédés de publication au plus grand nombre.

Lexbase souhaite associer à ses recherches la Cour de cassation, par l'intermédiaire d'une convention de recherche, qui permettrait au projet, tant de disposer de jeux de décisions de jurisprudence, que de légitimer l'utilisation des outils mis en place. Le projet s'appuierait en particulier sur les greffes pour réaliser un véritable outil de type « back-office » de rédaction et gestion des informations et des données sensibles.

Cette collaboration tendrait à présenter un véritable outil numérique novateur qui transformera l'utilisation d'une donnée publique judiciaire, aujourd'hui inexploitable en l'état.

B. La diffusion gratuite ou un modèle économique de diffusion de la jurisprudence

Tentés par l'équation selon laquelle plus il y aurait de données diffusées gratuitement, plus il y aurait de services à vendre, de nouveaux modèles apparaissent dans la Legal Tech.

D'une part, Lexbase a résolu une partie du problème en ne permettant l'accès à ses bases de jurisprudences les plus complètes (incluant les premières instances) qu'aux seuls magistrats et avocats.

D'autre part, si Lexbase, comme d'autres éditeurs, organise une forme de diffusion gratuite de sa jurisprudence, il s'agira d'un modèle qui effectivement, profitant de la largesse de diffusion, offrira autant de produits éditoriaux attenants, qui lui feront mériter sa qualité d'éditeur. Sans aucun doute, la taille de la base de données, le contenu, sera alors à nouveau un critère déterminant sur le marché : libérez, libérez, nous acquérons !

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Pénal

[Jurisprudence] Escroquerie immobilière, complicité et recel : la confusion des genres ?

Réf. : Cass. crim. 28 septembre 2016, n° 15-84.485, FS-P+B (N° Lexbase : A7125R4N)

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N4778BWU

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par Nicolas Catelan, Maître de conférences, Aix-Marseille Université, LDPSC EA-4690

Le 08 Novembre 2016

"L'escroquerie peut porter sur un immeuble, lequel constitue un bien au sens de l'article 313-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2012AMH)".L'évidence s'évinçant de la formule pourrait laisser croire à une clause de style : l'escroquerie peut naturellement porter sur un immeuble. L'on sait néanmoins que tel n'a pas toujours été le cas, ou, plus exactement, que la jurisprudence s'est toujours refusé à admettre que l'escroquerie puisse directement porter sur un bien immobilier.
Les faits de l'espèce, dans l'arrêt commenté rendu le 28 septembre 2016 par la Chambre criminelle, ne laissent pas apparaître une fraude dans le cadre d'une cession immobilière, mais dans le cadre d'une succession. Plus précisément, un individu avait falsifié le testament de son oncle afin que sa propre mère reçoive, entre autres, une villa sur le littoral corse. Ayant été par la suite désigné nu-propriétaire dudit bien, il fut notamment poursuivi pour recel d'escroquerie. Condamné en première comme en seconde instance, il reproche aux juges d'appel, dans le cadre d'un pourvoi en cassation, d'avoir retenu une escroquerie au titre de la condition préalable à son infraction alors que cette infraction d'origine ne pouvait, selon lui, porter sur un bien immobilier.
Par le chapeau repris en amorce la Cour rejette son pourvoi. La notion de bien employée à l'article 313-1 du Code pénal permet de retenir dans les liens de la prévention tout individu ayant frauduleusement provoqué la remise d'un immeuble.
Accompagnant le mouvement d'extension de la notion de bien (1) et choses (2) susceptibles d'appropriation, cet arrêt permet de clarifier la solution à un problème qui anime jurisprudence et doctrine depuis le XIXème siècle. L'escroquerie peut donc bel et bien porter sur un immeuble, et ce sans passer par le truchement du titre de propriété, meuble susceptible de remise manuelle, de tradition.
L'immeuble ayant bel et bien été remis (I) un recel a pu être commis (II). I - L'immeuble remis

En ce que l'escroquerie suppose la remise d'un bien (A), il est logique que la situation de l'immeuble interroge quant à la qualification de cette infraction. Toutefois, pouvant être approprié par manoeuvres frauduleuses (B), un bien immobilier peut faire l'objet d'une escroquerie.

A - La remise d'un bien

Immeuble et droit pénal. La controverse relative à l'appropriation frauduleuse d'un immeuble est connue... sans pour autant qu'un consensus ne se dégage (3). Le Code pénal met ainsi en musique la répression des appropriations frauduleuses (à travers la trinité vol, escroquerie et abus de confiance) visant des "biens" ou des "choses". La logique matérielle de ces incriminations semble, prima facie, jurer avec la notion d'immeuble. En raison de la fixité de ces biens, soustraction, remise et détournement paraissent s'opposer à ce que ces infractions viennent embrasser l'usurpation immobilière frauduleuse. L'escroquerie, en ce qu'elle vise une remise empêcherait, de facto et donc de jure, que des manoeuvres frauduleuses visant un immeuble puissent constituer l'infraction de l'article 313-1 du Code pénal. Comme a pu l'affirmer la Cour de cassation sous l'empire du Code pénal de 1810 : "la remise d'immeubles construits ou de prestations de service, n'entre pas dans les prévisions limitatives de l'article 405 du Code pénal" (4).

Pour pallier cette difficulté, la jurisprudence a alors eu recours à certains artifices. L'escroquerie a ainsi pu être retenue si les manoeuvres entraînèrent la remise d'un "acte de transfert de la propriété d'un immeuble" (5). A défaut de remise matérielle du bien immobilier, l'acte de cession peut faire l'objet d'une escroquerie. L'embarras de la Cour est ici perceptible : sans remettre en cause sa position, elle admet la qualification de l'infraction en prenant appui sur un bien corporel faisant l'objet d'une tradition manuelle.

Testament et escroquerie. La difficulté inhérente à la décision sous commentaire tient au fait que l'escroquerie ne prend place dans le cadre d'une cession immobilière, mais dans un contexte successoral. L'immeuble, en l'espèce une villa, a été obtenu par falsification d'un testament. Le recéleur avait modifié les dernières volontés de son oncle afin que sa mère hérite du bien. Aucune manoeuvre n'a donc été entreprise afin que l'instrumentum lui soit remis. Le prévenu avait simplement falsifié l'acte afin de modifier la destination successorale du bien. L'artifice prétorien ne pouvait donc être à bon escient mobilisé pour contrer l'impossible escroquerie immobilière. Ultérieurement désigné nu-propriétaire de la villa, le prévenu fut poursuivi du chef de recel.

Or, tribunal correctionnel et cour d'appel entrèrent en voie de condamnation, les conseillers du second degré relevant que "c'est en parfaite adéquation avec la loi pénale, qui prévoit que le recel peut porter sur toute chose, que le magistrat instructeur a retenu un bien immeuble dans son ordonnance de renvoi". Bien que le texte vise en réalité "un bien quelconque" et non une chose, il est incontestable, que ce jugeant, les magistrats ont clairement admis que l'escroquerie pouvait directement porter sur un bien immobilier sans le truchement artificiel du titre. En rejetant le pourvoi motif pris que "l'escroquerie peut porter sur un immeuble, lequel constitue un bien au sens de l'article 313-1 du Code pénal", la Chambre criminelle semble opérer un revirement de jurisprudence s'inscrivant dans un mouvement de fond permettant une appréhension plus globalisante des appropriations frauduleuses.

B - L'appropriation d'un immeuble

Précédents équivoques. Au regard de l'arrêt rendu le 15 juin 1992, l'argument du demandeur au pourvoi ne manquait pas de pertinence : "la remise d'immeubles construits n'entre pas dans les prévisions de l'article 313-1 du Code pénal ; qu'en déclarant M. X coupable d'avoir recelé une maison d'habitation provenant d'une escroquerie, lorsque le recel ne peut pas porter sur un immeuble, dès lors que celui-ci ne peut pas être l'objet de l'infraction originaire, la cour d'appel a méconnu les articles 313-1 et 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS) du Code pénal".

A dire vrai, ni la casuistique, ni la théorie ne permettent de donner crédit à une telle approche.

Sur le plan prétorien, les décisions rendues au XIXème siècle ne permettent pas de dégager une hostilité de principe à l'escroquerie immobilière. Qu'on en juge. La Chambre criminelle a ainsi pu affirmer en 1838 que "la délivrance d'un acte de vente renfermant une stipulation de prix rentre dans la remise des valeurs de toute nature énoncée dans ledit article" (6). Si l'on peut faire de cette décision la première ayant artificialisé l'escroquerie immobilière, l'on peut observer qu'à aucun moment dans l'arrêt n'est précisé que le bien visé était de nature immobilière (7). Par la suite, la Cour a clairement soutenu que "les expressions obligations, promesses ou décharges, dont se sert ledit article (8), sont générales et absolues ; qu'elles embrassent tous les actes qui forment un lien de droit et à l'aide desquels on peut préjudicier à la fortune d'autrui ; que la vente d'un immeuble s'y trouve, en conséquence, comprise" (9). A telle enseigne d'ailleurs que Garraud lui-même affirmait que l'escroquerie pouvait porter sur un immeuble : "l'escroquerie est constituée, en effet, par la remise ou délivrance de toutes choses, mobilières ou immobilières, corporelles ou incorporelles, pouvant avoir pour résultat de porter atteinte quelconque à la fortune d'autrui [...]. [O]n peut escroquer un immeuble, parce que l'escroquerie n'est autre chose que l'appropriation du bien d'autrui par des manoeuvres frauduleuses" (10).

Or, si l'hésitation pouvait être permise, (et encore...) à une époque où la loi ne visait que des biens meubles, comment imaginer qu'un immeuble ne puisse être l'objet d'une escroquerie alors que l'article 313-1 vise depuis 1992 "un bien quelconque". Sauf à considérer que les immeubles ne sont pas des biens, l'infraction comporte en son assiette les immeubles. Au surplus on peut observer avec le Professeur Beaussonie que "la seule taxinomie positive en droit pénal ne repose donc pas sur une classification au sein des biens protégés par celui-ci ; elle distingue, plutôt, ce qui est un bien au sens de la répression, de ce qui ne l'est pas" (11).

Remise univoque. Reste que la loi mentionne expressément une remise. Peut-on remettre un bien immobilier ? Outre la symbolique remise des clefs, l'acquisition d'un titre, ou l'envoi en possession dans le cadre des testaments olographes instituant un légataire universel (12), la remise d'un bien immobilier ne passe pas, même symboliquement, par une tradition réelle.

En l'espèce, la tradition est fictive, le légataire devient propriétaire par le jeu du testament. Le fait que le bien passe d'un patrimoine à l'autre sans mouvement concret du bien constitue-t-il un obstacle à la "remise" du bien ?

Si la tradition réelle, manuelle était une condition de la qualification d'escroquerie, alors serait-il difficile de comprendre le mouvement ayant permis de retenir la qualification d'escroquerie quant aux biens incorporels : qu'il s'agisse de droit, de jugement (13), ou de service (14), aucun bien n'est matériellement remis et pourtant l'escroquerie est ici punie. Il est pareillement acquis que la remise puisse avoir lieu par équivalent, par compensation comme en témoigne la répression de l'escroquerie à la TVA sans remise manuelle (15). L'acquisition d'un droit, ou plus largement, l'atteinte à la propriété d'autrui suffit en réalité à retenir l'escroquerie, la jurisprudence ayant depuis longtemps souscrit à la théorie de la remise fictive : "il suffit qu'une chose soit appropriée pour qu'elle puisse prétendre à une protection pénale" (16).

Dans la décision du 28 septembre 2016, il serait difficile de soutenir que les manoeuvres n'ont pas nui à la volonté du de cujus, et surtout, aux héritiers ou réels légataires. Ces derniers ont en effet subi une atteinte à leur patrimoine puisque, par la falsification du testament, la villa, entre autres, a été évincée de leur succession.

Manoeuvres frauduleuse, bien quelconque, remise fictive expliquent assez aisément que l'escroquerie soit ici retenue. Il n'en demeure pas moins que le prévenu, le fils de la légataire, ne fut pas retenu dans les liens de la prévention au titre de l'escroquerie (complice ou auteur), mais du chef de recel, ce qui mérite d'être explicité.

II - Le recel commis

Un immeuble pouvant désormais faire l'objet d'une escroquerie, seul le recel (B) était à même de pallier la prescription de l'infraction d'origine (A).

A - Une escroquerie non poursuivie

Consommation de l'escroquerie. Il ressort clairement des arrêts d'appel et de cassation que le prévenu avait modifié le testament de son oncle afin que sa propre mère soit la seule ayant-droit de son frère (17). Ce faisant, le fils aurait pu être considéré comme auteur de l'escroquerie, fût-elle commise au bénéfice d'autrui, en l'occurrence sa mère. Il semblerait difficile de retenir à son endroit une complicité. En falsifiant le testament, le fils fait bien plus qu'aider et assister sa mère quant à l'escroquerie (18). Il n'est tout simplement pas complice car il fait bien plus qu'apporter son concours à la commission de l'infraction principale. A dire vrai, conformément à l'article 121-4 du Code pénal (N° Lexbase : L2205AMM), il commet l'infraction puisqu'il exécute le premier terme alternatif de l'escroquerie, à savoir les manoeuvres frauduleuses. Il est en réalité le seul ici à accomplir un acte positif constitutif d'escroquerie, la remise de la propriété immobilière se faisant par le jeu du testament. A tout le moins peut-on observer que le bien escroqué n'entre pas directement dans son patrimoine puisqu'il a pris soin de faire de sa mère la légataire de son oncle. Certes, ce n'est que plus tard, par une donation de l'immeuble en nue-propriété, qu'un droit réel intègre son patrimoine. Néanmoins, la Cour de cassation n'a-t-elle pas récemment rappelé que l'article 313-1, "qui fait notamment de la remise de fonds l'un des éléments constitutifs de délit d'escroquerie, n'exige pas que cette remise soit opérée dans les mains de l'auteur du délit" (19) ?

Prescription de l'escroquerie. Il n'en demeure pas moins que, les faits ayant été commis en 2001, et les premiers actes d'investigation ayant été accomplis en 2008, se posait inexorablement la question de la prescription des actes reprochés. L'escroquerie étant traditionnellement perçue telle une infraction instantanée qui se prescrit une fois la remise effectuée (20), la prescription de ce délit était inéluctablement acquise en 2008. Le droit pénal des biens n'est toutefois pas sans réponse face à cette problématique. Le report du point de départ de la prescription permet en effet parfois de lutter contre les effets indésirables du temps qui passe. L'infraction de recel a ainsi permis d'assurer la répression indirecte des faits reprochés, à l'abri de l'inertie de la victime, de la police et de la justice.

B - Un recel non prescrit

Définition. Aux termes de l'article 321-1 du Code pénal le recel est "le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit", ou encore, "en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit". En devenant le nu-propriétaire d'un bien qu'il avait lui-même permis à sa mère d'obtenir par testament, le prévenu se rendit évidemment coupable de recel.

Indifférence de la prescription de l'infraction d'origine. Le fait que l'infraction principale, l'escroquerie, ne puisse valablement être poursuivie, ne fait pas obstacle à la répression du délit distinct de recel. Seule importe l'existence d'une infraction primitive puisque cela constitue la condition préalable du recel. La condamnation pour recel n'est, en effet, justifiée que s'il résulte de l'arrêt de condamnation que les choses recelées provenaient bien d'un fait qualifié de crime ou de délit. Néanmoins cela n'impose pas que le délinquant originaire soit effectivement puni. Le juge doit simplement préciser dans sa décision les éléments constitutifs de l'incrimination (21). Peu importe dès lors que l'infraction d'origine soit couverte par la prescription (22). En l'espèce, l'acquisition de la prescription quant à l'escroquerie ne fait donc pas échec à la poursuite du recel commis par le prévenu, si ce dernier délit n'est pas lui-même prescrit.

Prescription repoussée. Cette solution est d'autant plus intéressante que le recel connaît un régime de prescription propre aux infractions continues. Il est constant que le délai de prescription de l'action publique ne court pas tant que le receleur détient l'objet litigieux : la prescription n'est acquise que trois ans après que le receleur s'est dessaisi de la chose (23). Puisque le prévenu détient encore partiellement l'immeuble et qu'il est voué à en être le plein propriétaire au décès de sa mère, il est évident qu'il ne s'est pas dessaisi de l'objet de l'infraction d'origine (24). Ne pouvant être poursuivi à raison de l'escroquerie, la prescription retardée du recel permet d'asseoir sa condamnation sans que les affres du temps ne jouent sur sa culpabilité.

Contournement de l'incompatibilité auteur/recéleur ? Ce faisant, reste à se demander si une telle perspective n'est pas de nature à remettre en cause l'incompatibilité de principe existant entre la qualité d'auteur d'une infraction principale et celle de receleur du produit de cette infraction (25). La Cour de cassation a d'ailleurs récemment rappelé que "le délit de recel de prise illégale d'intérêts ne peut être reproché à la personne qui aurait commis l'infraction principale, celle-ci fût-elle prescrite" (26). Appliquée à l'espèce, cette jurisprudence aurait dû faire obstacle à la poursuite du fils du chef de recel alors qu'il semble être l'auteur de l'escroquerie, infraction d'origine. L'incompatibilité ne cesse réellement que si l'auteur du recel a simplement été le complice de l'infraction d'origine (27).

A cet effet, la Cour de cassation ne manque pas de préciser que le prévenu a été reconnu "coupable de l'infraction de recel de l'escroquerie commise par sa mère". La formule permet certes de ne pas remettre en cause le principe selon lequel le receleur ne peut pas être l'auteur de l'infraction principale. Force est néanmoins de constater que la mère du prévenu n'a commis aucun élément matériel d'escroquerie, simplement s'est-elle contentée de recevoir le bien et d'en donner la nue-propriété à son fils. Si elle avait eu conscience de l'infraction d'origine et avait accepté au préalable de prêter main forte à son fils, alors aurait-elle pu être considérée comme la complice de son fils. L'inverse semble plus discutable sauf à réanimer la vieille théorie de la complicité corespective (28).

Sans doute la décision rendue le 28 septembre 2016 restera dans les mémoires pour avoir enfin affirmé que l'escroquerie pouvait directement porter sur un immeuble ; elle aura aussi démontré que la complicité pouvait constituer un artifice permettant de contourner des qualifications classiquement incompatibles (29).


(1) Pour l'abus de confiance, v. par ex. Cass. crim., 19 juin 2013, n° 12-83.031, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1808KHG), Dalloz actu., 1er juillet 2013, obs. Fucini ; D., 2013. 1936, note G. Beaussonie.
(2) Pour le vol, v. Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.336, F-P+B (N° Lexbase : A5424NIQ).
(3) Contre l'extension, v. ainsi C. Mascala, L'immeuble, un bien saisi par le Code pénal ?, Mélanges R. Saint-Alary, 2006, Presses Université Toulouse 1, Editions législatives, p. 369 s.. Pour l'extension, v. G. Beaussonie, note sous Cass. crim., 14 janvier 2009, n° 08-83.707, F-D (N° Lexbase : A8135R7G), JCP éd. G, 2009, n° 31-35 : "de bon sens, il peut, encore aujourd'hui, paraître étrange de sanctionner plus gravement celui qui s'approprie frauduleusement le meuble d'autrui, quel qu'il soit, que celui qui s'approprie son immeuble".
(4) Cass. crim., 15 juin 1992, n° 91-86.053 (N° Lexbase : A0705ABQ) ; Cass. crim., 27 mars 1995, n° 94-83.625 (N° Lexbase : A8882ABL).
(5) Cass. crim., 23 janvier 1997, n° 96-80.729 (N° Lexbase : A1117ACD), Bull. crim. n° 34.
(6) Cass. crim., 23 mars 1838, Bull. crim., n° 76.
(7) Cass. crim., 19 février 1887, Bull. crim., n° 67.: l'hésitation n'est pas permise quant à la décision du 19 février 1887. Bien que parfois citée pour attester qu'une escroquerie peut porter sur un negocium immobilier par le truchement de son instrumentum mobilier, les faits concernaient en réalité "un échange de pièces de toile contre du chanvre"
(8) C. pén., ancien art. 405 (N° Lexbase : L4786DGD), incriminant l'escroquerie.
(9) Cass. crim. 12 novembre 1864, Bull. crim., n° 257.
(10) R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, vol. 5, n° 2280, p. 587.
(11) G. Beaussonie, La prise en compte de la dématérialisation des biens par le droit pénal, Bibliothèque de droit privé, tome 532, LGDJ, 2012, p. 237, n° 579.
(12) Ce qui fut peut-être le cas en l'espèce puisqu'il semblerait que la mère du prévenu eût été désignée seule légataire (v. C. civ., art. 1008 N° Lexbase : L0165HPS).
(13) V. Cass. crim., 26 mars 1998, n° 96-85.636 (N° Lexbase : A5165ACB).
(14) Pour l'utilisation de codes confidentiels qui n'appartiennent pas au prévenu afin d'accéder à des services en ligne, v. TGI Paris, 16 décembre 1997: Gaz. Pal. 1998. 2. Somm. 433, note Rojinsky.
(15) V. Cass. crim., 6 avril 2011, n° 10-85.209, F-P+B (N° Lexbase : A5728HNH).
(16) G. Beaussonie, op. cit., n° 684.
(17) Ne pouvaient donc jouer les immunités familiales de l'article 311-12 du Code pénal (N° Lexbase : L0690KWH) auquel renvoie l'article 313-3, al. 2 du Code pénal (N° Lexbase : L1902AME). Ne sont en effet visés que les liens ascendants/descendants, et les conjoints.
(18) Le fait que sa mère ne soit pas consciente de l'infraction et n'ait pas l'intention de la commettre, n'est pourtant pas un obstacle à la répression de la complicité : v. Cass. crim., 8 janvier 2003, n° 01-88.065, F-P+F (N° Lexbase : A5987A4I) : la relaxe de l'auteur principal faute d'élément moral ne fait pas obstacle à l'existence d'une complicité ; v. également Cass. crim., 15 décembre 2004, n° 03-87.827, FS-D (N° Lexbase : A8134R7E).
(19) Cass. crim., 4 mai 2016, n° 15-81.244, F-P+B (N° Lexbase : A3495RNR).
(20) V. Cass. crim., 8 septembre 2010, n° 09-85.961, F-D (N° Lexbase : A3867GBT).
(21) A défaut, la cassation est encourue : v. Cass. crim., 8 octobre 1998, n° 97-83.293 (N° Lexbase : A9051CPW).
(22) V. dernièrement Cass. crim., 16 juin 2015, n° 15-80.881, F-D (N° Lexbase : A5222NLY).
(23) V. par exemple Cass. crim., 6 mai 2009, n° 08-84.107 (N° Lexbase : A9977M3W).
(24) Aussi est-il intéressant de rappeler que l'article 7 de la CESDH (N° Lexbase : L4797AQQ) "ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible" (v. notamment CEDH, 22 mars 2001, Req. nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98 N° Lexbase : A7317AWW).
(25) Il ne semble pas inutile d'observer que même si la détention a cessé, le législateur a récemment prévu le report du point de départ de la prescription de l'action publique du recel si l'infraction est commise à l'encontre d'une personne vulnérable. La prescription court à compter du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique (C. proc. pén., art. 8 N° Lexbase : L9542I3S, modifié par loi n° 2011-267, 14 mars 2011 dite "LOPPSI II" N° Lexbase : L5066IPC).
(26) Pour un rappel, v. Cass. crim., 6 octobre 2004, n° 03-84.294, F-D (N° Lexbase : A8133R7D).
(27) Cass. crim., 12 novembre 2015, n° 14-83.073, FS-P+B (N° Lexbase : A7548NWH), AJ pénal 2016, 148, obs. J.-B. Perrier.
(28) Cass. crim., 18 novembre 1965 : D., 1966. 248, note Combaldieu.
(29) Cass. crim., 9 juin 1848, Bull. crim., n° 178 : "le coauteur d'un crime aide nécessairement l'autre coupable dans les faits qui consomment l'action et devient par la force des choses légalement son complice".

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Procédure pénale

[Brèves] Déclaration de conformité à la Constitution des dispositions relatives aux saisies portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels en matière pénale

Réf. : Cons. const., décision n° 2016-583/584/585/586 QPC, du 14 octobre 2016 (N° Lexbase : A7732R7I)

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Le 08 Novembre 2016

Si la mesure de saisie, prévue par l'article 706-153 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9509IYT), a pour effet de rendre indisponibles les biens ou droits incorporels saisis, elle est ordonnée par un magistrat du siège et ne peut porter que sur des biens ou droits dont la confiscation peut être prononcée à titre de peine complémentaire en cas de condamnation pénale. Aussi, toute personne qui prétend avoir un droit sur un bien placé sous main de justice peut en solliciter la restitution par requête auprès, selon le cas, du procureur de la République, du procureur général ou du juge d'instruction. Par ailleurs, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction autorisant ou prononçant la saisie est notifiée au propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit qui peuvent la contester devant la chambre de l'instruction. Ces personnes, qu'elles aient fait appel ou non, peuvent être entendues par la chambre de l'instruction avant que celle-ci ne statue. Elles ne sont donc pas privées de la possibilité de faire valoir leurs observations et de contester la légalité de la mesure devant un juge. En outre, en ne prévoyant pas de débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention et devant le juge d'instruction et en ne conférant pas d'effet suspensif à l'appel devant la chambre de l'instruction, le législateur a entendu éviter que le propriétaire du bien ou du droit visé par la saisie puisse mettre à profit les délais consécutifs à ces procédures pour faire échec à la saisie par des manoeuvres. Ce faisant, il a assuré le caractère effectif de la saisie et, ainsi, celui de la peine de confiscation. Enfin, le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable, l'absence d'un délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance prise par un juge autorisant la saisie ne saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences découlant des articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H), 16 (N° Lexbase : L6813BHS) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E de la Déclaration de 1789. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit de propriété doivent donc être écartés. Par conséquent, les dispositions de l'article 706-153 du Code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution. Telle est la réponse donnée par le Conseil constitutionnel, saisi d'une QPC relative à la conformité à la Constitution de l'article 706-153 du code précité, dans un arrêt du 14 octobre 2016 (Cons. const., décision n° 2016-583/584/585/586 QPC, du 14 octobre 2016 N° Lexbase : A7732R7I).

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Logiciel : pas de revente de la copie de sauvegarde du programme sans l'autorisation du titulaire du droit

Réf. : CJUE, 12 octobre 2016, aff. C-166/15 (N° Lexbase : A6543R7H)

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N4850BWK

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Le 08 Novembre 2016

Si l'acquéreur initial de la copie d'un programme d'ordinateur accompagnée d'une licence d'utilisation illimitée est en droit de revendre d'occasion cette copie et sa licence à un sous-acquéreur, il ne peut en revanche, lorsque le support physique d'origine de la copie qui lui a été initialement délivrée est endommagé, détruit ou égaré, fournir à ce sous-acquéreur sa copie de sauvegarde du programme sans l'autorisation du titulaire du droit. Telle est la solution énoncée par la CJUE dans un arrêt du 12 octobre 2016 (CJUE, 12 octobre 2016, aff. C-166/15 N° Lexbase : A6543R7H). Pour la Cour, il résulte de la règle de l'épuisement du droit de distribution que la personne qui détient le droit d'auteur sur un programme d'ordinateur et qui a vendu, dans l'Union, la copie de ce programme sur un support physique (tel qu'un CD-ROM ou un DVD-ROM) avec une licence d'utilisation illimitée ne peut plus s'opposer aux reventes ultérieures de cette copie par l'acquéreur initial ou les acquéreurs successifs, nonobstant l'existence de dispositions contractuelles interdisant toute cession ultérieure. Toutefois, la question qui lui était posée vise l'hypothèse de la revente de la copie d'un programme d'ordinateur d'occasion, enregistrée sur un support physique qui n'est pas celui d'origine ("copie de sauvegarde"), par une personne qui en a fait l'acquisition auprès de l'acquéreur initial ou d'un acquéreur ultérieur. Or, la Cour relève que la Directive 91/250 du 14 mai 1991 (N° Lexbase : L7628AU3) accorde au titulaire du droit d'auteur sur un programme d'ordinateur le droit exclusif d'effectuer et d'autoriser la reproduction permanente ou provisoire du programme, en tout ou en partie, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, sous réserve des exceptions spécifiques prévues dans la Directive. L'acquéreur légitime de la copie d'un programme d'ordinateur, mise dans le commerce par le titulaire du droit ou avec le consentement de celui-ci, peut donc revendre d'occasion cette copie pour autant qu'une telle cession ne porte pas atteinte au droit exclusif de reproduction garanti au titulaire et que tout acte de reproduction du programme soit autorisé par le titulaire ou relève des exceptions prévues dans la Directive. A cet égard, la Cour rappelle que la Directive prévoit qu'une personne ayant le droit d'utiliser un programme d'ordinateur ne peut être empêchée par contrat de faire une copie de sauvegarde de celui-ci dans la mesure où une telle copie est nécessaire pour cette utilisation. Toute disposition contractuelle contraire à cette règle serait nulle et non avenue. La réalisation d'une copie de sauvegarde d'un programme d'ordinateur est donc subordonnée à deux conditions. Cette copie doit, d'une part, être réalisée par une personne qui est en droit d'utiliser ce programme et, d'autre part, être nécessaire à cette utilisation.

newsid:454850

QPC

[Brèves] Constitutionnalité de l'indemnité minimale de six mois en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Réf. : Cons. const., n° 2016-582 QPC du 13 octobre 2016 (N° Lexbase : A7731R7H)

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Le 08 Novembre 2016

Sont conformes à la Constitution les dispositions de l'article L. 1235-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1342H9L), qui prévoient que l'indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 13 octobre 2016 (Cons. const., n° 2016-582 QPC du 13 octobre 2016 N° Lexbase : A7731R7H).
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 juillet 2016 par la Cour de cassation (Cass. soc., 13 juillet 2016, n° 16-40.209, FS-P+B N° Lexbase : A1889RXA) d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de l'article L. 1235-3, alinéa 2, du Code du travail. Ces dispositions prévoient que l'indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Toutefois, en application du 2° de l'article L. 1235-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7490K9B), ce montant minimal n'est pas applicable au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés. L'entreprise requérante contestait, sur le fondement du principe d'égalité, la différence ainsi instituée entre les entreprises en fonction de la taille de leurs effectifs.
En énonçant la solution susvisée, la Conseil constitutionnel écarte cette argumentation. Il juge d'abord que la différence de traitement n'est pas justifiée par une différence de situation. Il estime en effet qu'au regard des règles applicables à l'indemnisation du préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les entreprises, quelle que soit leur taille, et leurs salariés, ne sont pas placées dans une situation différente. Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé que la différence de traitement était justifiée par un motif d'intérêt général. En effet, en limitant l'application du plancher indemnitaire de six mois de salaire aux seuls licenciements dans les entreprises d'au moins onze salariés, le législateur a entendu éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu'il a estimées économiquement plus fragiles, ce qui constitue un but d'intérêt général. Les Sages jugent donc que, dans la mesure où les dispositions contestées ne restreignent pas le droit à réparation des salariés, le législateur pouvait limiter le champ d'application de ce plancher indemnitaire en retenant le critère des effectifs de l'entreprise. Ils soulignent que, si pour les entreprises d'au moins onze salariés, ce plancher a pour objet d'éviter les licenciements injustifiés, pour les entreprises de moins de onze salariés, l'indemnité correspondant au seul préjudice subi, fixée sans montant minimal, apparaît en elle-même suffisamment dissuasive (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4684EXR).

newsid:454779

Rel. collectives de travail

[Brèves] Transfert d'entreprise : précisions relatives au bénéfice des avantages collectifs dans l'entreprise d'accueil

Réf. : Cass. soc., 13 octobre 2016, n° 14-25.411, FS-P+B (N° Lexbase : A9745R73)

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N4862BWY

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Le 08 Novembre 2016

L'employeur entrant ne peut subordonner le bénéfice dans l'entreprise d'accueil des avantages collectifs, qu'ils soient instaurés par voie d'accords collectifs, d'usages ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, à la condition que les salariés transférés renoncent aux droits qu'ils tiennent d'un usage ou d'un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d'origine au jour du transfert ou qu'ils renoncent au maintien des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d'un accord collectif. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 octobre 2016 (Cass. soc., 13 octobre 2016, n° 14-25.411, FS-P+B N° Lexbase : A9745R73).
En l'espèce, à la suite d'une fusion absorption, les contrats de travail des salariés d'une société Y sont transférés à une société X. Les statuts collectifs sont dénoncés. Il est proposé aux salariés l'option consistant soit à conserver les avantages individuels acquis au sein de la société Y sans bénéficier d'une prime, soit à signer un nouveau contrat de travail leur permettant notamment de percevoir cette prime en contrepartie de la renonciation aux avantages individuels acquis au sein de la société absorbée.
Le syndicat CGT de la société X a fait assigner cette dernière devant le tribunal de grande instance pour voir reconnaître l'existence d'une inégalité de traitement concernant la répartition du taux de retraite complémentaire entre l'employeur et le salarié, le paiement de la prime et les temps de pause payés, au préjudice des anciens salariés de la société Y ayant refusé de signer le nouveau contrat de travail. La cour d'appel (CA Toulouse, 27 juin 2014, n° 13/01519 N° Lexbase : A0022MSM) estime que la rémunération des temps de pause ne constituait pas un avantage individuel acquis et rejette en conséquence leurs demandes. Le syndicat se pourvoit en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt rendu par la cour d'appel de Toulouse. Elle vise l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) et l'article L. 2261-14 dans sa rédaction alors applicable (N° Lexbase : L2442H9C). Pour rejeter les demandes de rappel de salaire au titre de la prime "productivité/qualité/sécurité" ainsi qu'au titre de la répartition des cotisations patronales et salariales de retraite complémentaire, l'arrêt retient que c'est par une décision unilatérale de l'employeur que cette prime a été versée aux salariés transférés non cadres et non administratifs et que ces avantages, ne ressortant pas d'un accord collectif, n'ont pas à être étendus automatiquement aux anciens salariés de la société Y. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0721ETU).

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Urbanisme

[Jurisprudence] Le juge des référés et les permis de construire provisoires : naissance d'un nouveau régime juridique

Réf. : CE Sect., 7 octobre 2016, n° 395211, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4517R7G)

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

Le 08 Novembre 2016

Dans une décision rendue le 27 octobre 2016, la Haute juridiction administrative a notamment indiqué que le délai de trois mois pour procéder au retrait des permis de construire aux permis délivrés à titre provisoire ne s'applique pas aux permis délivrés à titre provisoire. Le Conseil d'Etat a encore frappé ! La décision rapportée crée un nouveau régime juridique en s'appuyant sur certains éléments issus de la jurisprudence antérieure et fait donc oeuvre prétorienne. Les faits sont particulièrement complexes et le Conseil d'Etat a manifestement été confronté à des circonstances qui n'avaient, apparemment, jamais donné lieu à un procès devant la juridiction administrative. Le maire de Bordeaux, par un arrêté du 16 octobre 2013, avait refusé de délivrer à la société X un permis de construire pour la construction d'une maison et d'un garage. La société avait donc saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'un excès de pouvoir dirigé contre ce refus et avait saisi le juge des référés d'une demande de suspension de cet arrêté. Par ordonnance du 7 mars 2014, le juge des référés avait fait droit à la demande de suspension et avait enjoint au maire de Bordeaux d'instruire à nouveau la demande de permis de construire et de se prononcer sur cette demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance. Jusque là, rien de particulier. Par un arrêté du 28 juillet 2014, pris en visant cette ordonnance, le maire de Bordeaux avait, assez étrangement dès lors qu'on ne connaît pas les circonstances exactes du dossier, délivré un permis de construire à la société pétitionnaire, une telle circonstance étant, il faut bien l'avouer, un peu intrigante au vu du scénario ordinaire en la matière.

La société avait alors commis l'erreur fatale de se désister de son recours au fond, désistement dont il lui a été donné acte par une ordonnance du 5 août 2015. Saisissant l'occasion, le maire de Bordeaux avait alors retiré le permis délivré le 28 juillet 2014, par un arrêté du 8 octobre 2015. La société avait donc saisi une nouvelle fois le juge des référés qui, par une ordonnance du 26 novembre 2015, avait, une nouvelle fois, ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté de retrait sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS). Les motivations pour lesquelles la commune a refusé le permis, puis l'a accordé pour, enfin, le retirer nous sont inconnues. Aucun motif de fond n'est donc ici abordé.

En revanche, cet imbroglio va conduire le Conseil d'Etat à confirmer certains principes qui régissent la matière des référés administratifs (I), mais également à élaborer un nouveau pan du régime juridique du référés en matière de permis de construire (II).

I - La confirmation des principes régissant les décisions du juge des référés

1 - Depuis la réforme opérée par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), le juge des référés du tribunal administratif peut suspendre l'exécution des actes administratifs. Le régime général de la suspension, aux côtés duquel figurent les régimes en matière de passation des contrats et marchés, en matière fiscale et de communication audiovisuelle ainsi que les régimes spéciaux de suspension, est régi par les articles L. 521-1 à L 523-1 du Code de justice administrative. Il s'agit d'une procédure qui est désormais entrée dans les moeurs et dont les requérants font grand usage.

L'article L. 521-1 prévoit donc que, "quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision".

Les décisions du juge des référés sont par nature provisoires dès lors qu'il ne peut statuer sur le fond du litige. Ce principe essentiel est rappelé par l'article L. 511-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3043ALB) dans les termes suivants : "Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais".

L'arrêt du 7 octobre 2016 rappelle, au visa de ces deux articles, ainsi que des articles L. 11 (N° Lexbase : L2618ALK) et R. 522-13 (N° Lexbase : L2540AQ7) du même code, les limites qui encadrent les mesures que le juges des référés peut prononcer : "le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 précité, ne peut, sans excéder son office, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant la décision administrative contestée". Le principe a déjà été affirmé par la jurisprudence et a conduit le juge de cassation à analyser les effets de la mesure prononcée par le juge des référés au regard du contentieux.

C'est, pour la première fois, à l'occasion d'un référé liberté de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) que le Conseil d'Etat a procédé à ce contrôle, rejetant comme irrecevable la demande d'injonction du requérant visant à obtenir communication de son dossier aux renseignements généraux. Le Conseil d'Etat avait estimé que cette mesure n'avait pas de caractère provisoire et qu'elle "aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative de la décision par laquelle le juge de l'excès de pouvoir viendrait, le cas échéant, à prononcer l'annulation de la décision de refus de communication du dossier pour un motif reposant sur une fausse application de la loi" (CE, 1er mars 2001, n° 230794 N° Lexbase : A2699AT7).

Le juge des référés ne peut ainsi enjoindre au directeur d'un centre hospitalier de laisser un médecin exercer les fonctions de résident en médecine générale pour lesquelles il avait été affecté dans ce centre hospitalier alors que son affectation dans ce centre a été refusée (CE, 2 août 2002, n° 249189 N° Lexbase : A9762R7P), à un maire de retirer une décision (CE, 2 juillet 2003, n° 257971 N° Lexbase : A2257C9H), à un ministre de publier la vacance d'un poste de directeur (CE, 9 juillet 2001, n° 232818 N° Lexbase : A5520AUY), au Président de la République de prononcer par décret la fin de l'état d'urgence (CE, 9 décembre 2005, n° 287777 N° Lexbase : A1194DM8), au président d'une CCI de réintégrer un cadre et de lui verser ses traitements (CE, 14 mai 2003, n° 245628 N° Lexbase : A0408B7A), au ministre de procéder à la réinscription d'un requérant sur la liste des experts (CE, 15 décembre 2005, n° 288024 N° Lexbase : A1197DMB) ou au directeur d'un service déconcentré de faire procéder à une enquête (CE, 23 octobre 2015, n° 386649 N° Lexbase : A0336NUY).

De telles conclusions d'injonctions sont irrecevables, dès lors qu'elles auraient le même effet que celui d'une décision d'annulation au fond. Le pouvoir du juge des référés se limite donc à enjoindre à l'autorité de réinstruire la demande du requérant dans un délai qu'il fixe et, au besoin, sous la menace d'une astreinte qui n'est d'ailleurs pas toujours prononcée.

On notera que la décision du 7 octobre 2016 consacre la formulation plus générale déjà retenue dans certaines décisions (CE, 2 août 2002, n° 249189, précité ; CE, 23 octobre 2015, n° 386649, précité) alors que la plupart des décisions antérieures semblaient restreindre leur propre champ d'application à des motifs spécifiques d'annulation tel que la fausse application de la loi (CE, 1er mars 2001, n° 230794, précité ; CE, 14 mai 2003, n° 245628, précité) ou le défaut de base légale (CE, 9 décembre 1005, n° 287777, précité ; CE, 15 décembre 2005, n° 288024, précité).

2 - Ce premier rappel est suivi d'un second qui fait l'objet d'un long considérant de principe, lequel vient opérer une synthèse de la jurisprudence antérieure : "Considérant, d'autre part, que si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins, conformément au principe rappelé à l'article L. 11 du Code de justice administrative, exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires ; qu'il en résulte que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension -soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond- l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension".

Les décisions du juge des référés, bien que dépourvues de l'autorité de la chose jugée, sont donc non seulement exécutoires mais également obligatoires pour l'administration. La jurisprudence antérieure l'avait déjà énoncé : "si les ordonnances par lesquelles le juge des référés fait usage de ses pouvoirs de juge de l'urgence sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires, elles sont, compte tenu de leur caractère provisoire, dépourvues de l'autorité de chose jugée" (CE, 28 décembre 2012, n° 353459 N° Lexbase : A6873IZL). On ne saurait imaginer le contraire, sauf à ôter au juge sa légitimité, en privant ses décisions de force obligatoire et à ouvrir aux requérants une procédure conduisant à une décision que l'administration ne serait pas obligée de respecter, c'est-à-dire une procédure parfaitement inutile. Le rappel est donc sans surprises.

Conséquence de ces caractères de la décision du juge des référés, la jurisprudence antérieure avait précisé "qu'il en résulte notamment que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension, l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension" (CE, 24 février 2015, n° 374726 N° Lexbase : A0772NCL ; CE, 5 novembre 2003, n° 259339 N° Lexbase : A1062DAL ; CE, 10 avril 2014, n° 376266 N° Lexbase : A8235MIT). L'arrêt du 5 novembre 2003, relatif à la chasse au gibier d'eau, avait également précisé que la fin de la suspension pouvait survenir "soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521- 4 du Code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond".

Cette contrainte imposée à l'administration ne peut surprendre : ce serait faire fi d'une décision de justice, fût-elle prise par le juge des référés, que de reprendre la même décision sur les mêmes motifs. La méconnaissance de cette contrainte emporte donc l'illégalité de la décision de l'administration intervenue en violation des caractère exécutoires et obligatoires des décisions du juge des référés, dès lors qu'elle n'a pas remédié au vice sur lequel le juge a fondé sa décision de suspension (CE, 5 novembre 2003, n° 259339, précité). Lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'un décret, ajoutant à titre provisoire les magasins de bricolage à la liste des établissement autorisés à ouvrir le dimanche, en estimant, eu égard au caractère temporaire de ce décret, que le moyen tiré de ce qu'il aurait été pris pour un motif ne figurant pas au nombre de ceux prévus par l'article L. 3132-12 du Code du travail (N° Lexbase : L0466H97), le Gouvernement ne méconnaît pas le caractère exécutoire et obligatoire de cette décision en prenant un nouveau décret inscrivant de manière permanente les établissements de commerce de détail de bricolage sur la liste fixée par l'article R. 3132-5 du même code (N° Lexbase : L6772IZT), au motif que leur ouverture était rendue nécessaire par les besoins du public (CE, 24 février 2015, n° 374726, précité).

En matière de contentieux contractuel, le caractère exécutoire et obligatoire des décisions du juges des référés s'étend naturellement plus loin que dans le régime de droit commun des référés. C'est ainsi que, "lorsque le juge des référés a ordonné de suspendre la signature d'un contrat, l'administration ne saurait légalement conclure le contrat en cause" (CE, 6 mars 2009, n° 324064 N° Lexbase : A5824ED3).

Toutefois, le Conseil d'Etat n'avait pas eu l'occasion d'expliciter la portée exacte de cette contrainte lorsqu'une décision de refus est en cause. L'arrêt du 7 octobre 2016 vient combler cette lacune en précisant "que, lorsque le juge des référés a suspendu une décision de refus, il incombe à l'administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu'elle est saisie par le demandeur en ce sens, de procéder au réexamen de la demande ayant donné lieu à ce refus ; que lorsque le juge des référés a retenu comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ce refus un moyen dirigé contre les motifs de cette décision, l'autorité administrative ne saurait, eu égard à la force obligatoire de l'ordonnance de suspension, et sauf circonstances nouvelles, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur les motifs en cause".

Ces précisions définissent la conduite à tenir en cas de suspension d'une décision de refus.

D'une part, l'administration est tenue de statuer de nouveau si le juge lui adresse une telle injonction ou si le requérant lui présente une telle demande. L'injonction juridictionnelle n'appelle pas de commentaire particulier dès lors qu'elle découle des termes mêmes de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative. En revanche, on notera que l'arrêt du 7 octobre 2016 permet au requérant de combler une lacune de sa requête : s'il a omis de saisir le juge des référés d'une demande d'injonction visant à contraindre l'administration à réinstruire sa demande, il peut néanmoins, et à la seule condition d'avoir obtenu la suspension de la décision de refus, saisir l'administration de cette demande, sans que celle-ci puisse lui opposer le caractère de demande nouvelle, comme telle irrecevable.

D'autre part, l'arrêt formule les conséquences précédemment rappelées du caractère obligatoire et exécutoire des décisions du juge des référés qui interdisent à l'administration de reprendre la même décision sur les mêmes motifs. En revanche, dès lors que celle-ci doit statuer sur une demande en prenant en compte les circonstances de fait et de droit existantes à la date de cette demande, cette contrainte peut être levée si des nouvelles circonstances sont apparues.

Faisant application de ces principes à l'hypothèse complexe de la présente affaire, le Conseil d'Etat va créer un nouveau régime juridique.

II - La création d'un nouveau régime juridique

L'arrêt du 7 octobre 2016 procède à une extension significative de la notion de décision provisoire et en fait application au permis de construire.

1 - Le Conseil d'Etat étend de manière significative la notion de décision provisoire. L'arrêt énonce la chose en ces termes : "Considérant, enfin, qu'une décision intervenue pour l'exécution de l'ordonnance par laquelle le juge des référés d'un tribunal administratif a suspendu l'exécution d'un acte administratif revêt, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé ; qu'il en est notamment ainsi lorsque l'administration décide, à l'issue du réexamen faisant suite à la décision de suspension d'un refus prise par le juge des référés, de faire droit à la demande ; qu'eu égard à son caractère provisoire, une telle décision peut être remise en cause par l'autorité administrative".

Le caractère provisoire des décisions du juge des référés découle des termes mêmes de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative. Un récent arrêt du 23 octobre 2015 avait rappelé le caractère provisoire des mesures que le juge des référés peut prescrire, relevant que, lorsque le juge des référés prescrit des mesures ou indique les obligations qui découleront, pour l'administration, de la décision de suspension, "les mesures qu'il prescrit ainsi, alors qu'il se borne à relever l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige, doivent présenter un caractère provisoire" (CE, 23 octobre 2015, n° 386649 N° Lexbase : A0336NUY).

La seule exception au caractère provisoire de ces mesures intervient en matière de référé-liberté. En effet, "lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ; que ce caractère provisoire s'apprécie au regard de l'objet et des effets des mesures en cause, en particulier de leur caractère réversible" (CE, 31 mai 2007, n° 298293 N° Lexbase : A5282DWK).

Ce caractère provisoire de la décision de référé emporte des conséquences procédurales.

Il en résulte "que le fait que le juge des référés ait donné acte d'un désistement, même qualifié de désistement d'action, ne peut faire obstacle à ce que la même partie réitère ultérieurement devant le juge des référés une demande tendant aux mêmes fins, si elle s'y estime fondée" (CE, 28 décembre 2012, n° 353459 N° Lexbase : A6873IZL). La procédure de référé offre donc une souplesse d'action relativement significative au requérant qui, sous réserve du dépôt simultané d'une requête au fond recevable contre la décision attaquée, peut réagir aux manoeuvres auxquelles l'administration peut être tentée de recourir pour faire échec au recours, par des moyens procéduraux de mauvaise foi. En revanche, ainsi qu'on le verra dans la précédente affaire, l'étroite articulation entre la procédure de référé et la procédure au fond peut ouvrir des chausse-trappes sous les pieds d'un requérant maladroit. La portée de la décision du 28 décembre 2012 est donc limitée aux désistements devant le juge des référés et non à ceux opérés devant le juge du fond, dès lors que la recevabilité du référé dépend du dépôt d'un recours au fond recevable contre la décision litigieuse.

De même, la décision intervenue en application du jugement de référé ne prive pas d'objet le pourvoi du requérant (CE, 26 septembre 2005, n° 255656 N° Lexbase : A6044DK3) ou du ministre dirigé contre ce jugement (CE, 26 novembre 2003, n° 259120 N° Lexbase : A4162DAE). Le fait que l'administration respecte le caractère obligatoire et exécutoire de la décision du juge des référés ne la prive pas de son droit de contester ce jugement et ne peut valoir acquiescement à ce jugement.

2 - Toutefois, le caractère provisoire de la décision du juge des référés vient contaminer la décision administrative prise sur son fondement et qui ne peut alors qu'être, elle-même, provisoire.

La jurisprudence avait eu l'occasion de reconnaître l'existence de cette notion de décision provisoire dans le droit de la fonction publique. C'est le cas en matière de pensions. En application de l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L9923HEA), une décision d'attribution est, par nature, quasiment irréversible. La pension est, en effet, définitivement acquise et ne peut être révisée ou supprimée que dans les conditions prévues par cet article, notamment, en cas d'erreur de droit, dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension. Par conséquent, la décision par laquelle l'administration, en application d'un jugement de référés suspendant un refus tacite, a inclu la bonification sollicitée le requérant les bases de liquidation de sa pension revêt, par nature, un caractère provisoire et ne peut donc être regardée comme lui concédant une pension "définitivement acquise", au sens de l'article L. 55 précité. Les conditions dans lesquelles l'administration peut remettre en cause une telle décision ne sont donc pas régies par cet article (CE, 21 mars 2008, n° 281995 N° Lexbase : A5015D7U). Il en va de même de la décision par laquelle l'administration accorde, sur injonction du juge des référés une pension à jouissance immédiate, "décision, qui revêt par sa nature même un caractère provisoire" (CE, 26 novembre 2003, n° 259120 N° Lexbase : A4162DAE ; CE, 26 septembre 2005, n° 255656 N° Lexbase : A6044DK3).

C'est également le cas lorsque le fonctionnaire se trouve dans des circonstances statutaires particulières. C'est ainsi que, lorsque le comité médical supérieur est saisi d'une contestation de l'avis du comité médical, l'employeur doit prendre une décision provisoire dans l'attente de cet avis pour placer le fonctionnaire dans l'une des positions prévues par son statut. Si l'agent a épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire et ne peut reprendre le service en raison de l'avis défavorable du comité médical, la saisine du comité médical supérieur ne fait donc pas obstacle à ce qu'il soit placé, par une décision à caractère provisoire et sous réserve de régularisation ultérieure, en disponibilité d'office (CE, 28 novembre 2014, n° 363917 N° Lexbase : A5451M4N ; CAA Nancy, 22 septembre 2016, n° 15NC00245 N° Lexbase : A0870R4Y ; CAA Versailles, 8 octobre 2015, n° 14VE01325 N° Lexbase : A2070NTT).

Le domaine de la décision provisoire était donc étroitement délimité. L'arrêt du 7 octobre 2016 reconnaît, dans les termes précédemment rappelés, un champ d'application général à cette notion de décision provisoire ce qui ne va pas sans poser de questions.

Dans la plupart des cas, la demande de suspension adressée à l'autorité administrative vise des décisions positives. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de remplacer la décision suspendue dès lors que le requérant n'a, le plus souvent, aucun intérêt à ce que l'administration reprenne une nouvelle décision. C'est le cas des référés dirigés contre les autorisations, notamment d'urbanisme, accordée à des tiers ou des référés libertés intentés par les personnes visées par les mesures contestées.

En revanche, lorsque l'administration a rendu une décision négative, il est particulièrement rare qu'elle modifie sa position entre la décision initiale et la décision prise sur injonction du juge des référés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, le Conseil d'Etat n'avait pas eu à se prononcer sur de telles circonstances. C'est encore plus rare en matière de permis de construire. Il faudrait, et c'est d'ailleurs peut-être le cas dans la présente espèce, que le refus ait été pris sur un seul motif susceptible de le justifier légalement et que, les caractères obligatoire et exécutoire du jugement de référé faisant interdiction à l'administration de s'appuyer, une nouvelle fois, sur ce motif pour opposer un nouveau refus, l'autorité se trouve alors contrainte de délivrer l'autorisation refusée.

Mais de telles circonstances sont particulièrement rares, dès lors que la complexité du droit de l'urbanisme fait que plusieurs motifs sont souvent susceptibles d'être invoqués par l'administration pour refuser une autorisation. Et une gestion prudente des demandes de permis peut ainsi conduire l'administration à garder en réserve, pour le cas d'une annulation par le juge du fond ou d'une suspension par le juge des référés, un ou plusieurs motifs susceptibles de justifier légalement d'un nouveau refus. La substitution de motifs en cours d'instance est admise en droit de l'urbanisme (CE, 7 juillet 1976, n° 00034 N° Lexbase : A5155B73 ; CE, 30 décembre 2009, n° 319942 N° Lexbase : A0419EQL ; CE, 15 décembre 2010, n° 331671 N° Lexbase : A6728GNI).

Le caractère provisoire du jugement de référé vient donc littéralement contaminer la décision prise par l'administration en application de ce jugement. Si l'on replace le phénomène dans le contexte général de l'acte administratif unilatéral, le caractère provisoire d'un acte n'est pas, en lui-même, intrinsèquement étranger au régime de ces actes. L'administration est amenée à prendre, en permanence, une importante quantité de décisions de cette nature, lesquelles, de par leur caractère provisoire, passent sous le niveau de détection ordinaire que constitue le contentieux, seules les décisions définitives faisant l'objet d'un recours effectif. En effet, les prises de position provisoires sont des actes non décisoires insusceptibles de recours (CE, 30 décembre 2003, n° 230947 N° Lexbase : A6359DAR, concl. Guyomar, LPA, 16 novembre 2004, n° 229). En revanche, la situation est radicalement différente, dès lors que la décision provisoire devient un acte faisant grief et donc susceptible de recours pour excès de pouvoir. Il faut, alors, notamment définir un régime de retrait de ces actes dès lors qu'ils peuvent être créateurs de droit.

3 - C'est précisément ce à quoi s'est employé le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 7 octobre 2016, en élaborant un régime du retrait du permis de construire provisoire.

Dans un premier temps, l'arrêt fait application de la jurisprudence traditionnelle relative à l'appréciation de l'urgence à ce cas de figure dans les termes suivants : "Considérant que les règles rappelées [...] sont notamment applicables aux décisions portant refus de permis de construire ; qu'en ce qui les concerne, il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi d'une demande de suspension, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, en tenant compte, notamment, des conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d'un permis de construire provisoire à l'issue d'un réexamen de la demande ordonné par le juge des référés".

Au-delà de l'application des critères classiques d'appréciation de l'urgence, on notera que le juge des référés se trouve dans l'obligation de faire de la prospective : il ne doit pas seulement apprécier l'urgence au vu de la situation qui lui est présentée lorsqu'il statue, mais également au vu des conséquences de l'édiction d'un permis de construire provisoire, dont, pourtant, rien ne dit qu'il sera nécessairement édicté.

La démarche imposée au juge des référés est pour le moins étonnante : alors que l'urgence doit s'apprécier concrètement, c'est-à-dire au regard des éléments de fait et de droit dont le juge peut avoir connaissance au moment où il se prononce, elle doit également s'apprécier sur la base de considérations hypothétiques. Ces considérations étant nécessairement futures et donc incertaines, il semble difficile d'apprécier la manière dont elles pourraient rétroagir à la date du jugement pour permettre au juge d'apprécier l'urgence qu'il y a à suspendre, à cette date, un refus de permis de construire. On peut également s'interroger sur ce que peuvent recouvrir "les divers intérêts en présence", dès lors que, dans le cas d'un refus de permis de construire, le contentieux n'oppose nécessairement que le pétitionnaire et l'administration.

De manière générale, la méthode laisse sceptique : en exigeant du juge des référés qu'il s'interroge, pour apprécier l'urgence, non sur les conséquences directes de sa décision mais sur d'éventuelles conséquences indirectes, on semble mettre la charrue avant les boeufs. Les conséquences que le juge doit prendre en considération ne seront susceptibles de survenir que si l'urgence, et l'existence d'un moyen de nature à jeter un doute sur la légalité de la décision, sont reconnues : comment, dès lors peuvent-elles être un critère de cette urgence ? L'arrêt, en statuant au fond n'apporte, d'ailleurs, aucune précision utile puisque le Conseil d'Etat, rejetant la requête sur le fondement de l'absence de moyen, n'a pas statué sur l'urgence.

Dans un second temps, l'arrêt énonce le régime du retrait d'un permis provisoire pris sur injonction après suspension d'un refus de permis de construire.

Tout d'abord, le permis provisoire, dont la notion est donc consacrée par le Conseil d'Etat, "peut être retiré à la suite du jugement rendu au principal sur le recours pour excès de pouvoir formé contre la décision initiale de refus sous réserve que les motifs de ce jugement ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à ce que l'administration reprenne une décision de refus". Le retrait peut donc intervenir pour tenir compte de la décision du juge du fond. Si la légalité du refus de permis est confirmée, le retrait n'est subordonné à aucune condition de fond et le permis provisoire perd toute base légale. Si le refus est annulé, le permis peut également être retiré, sauf si les motifs de l'annulation s'y opposent et conduisent donc à maintenir la décision provisoire.

L'arrêt n'a statué que sur le régime du retrait mais on peut cependant s'interroger sur le statut de la décision provisoire avant son retrait. Son caractère opérationnel est peu convaincant : il semble risqué, en effet, de construire sur la base d'une telle décision et le pétitionnaire prudent choisira de patienter. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un acte créateur de droit puisqu'il est soumis à un régime de retrait.

D'autres questions surgissent lorsque le jugement au fond reconnaît l'illégalité du refus de permis et confirme, cas rare mais non pas invraisemblable, l'obligation de l'administration de délivrer le permis du fait de l'illégalité de tous les motifs de refus possibles. Quelle est la pérennité de la décision provisoire : perd-elle automatiquement ce caractère, ou doit-elle être confirmée par une nouvelle décision ? Cette seconde hypothèse est peu conforme à la sécurité juridique du pétitionnaire puisqu'elle conduit à ouvrir à nouveau des délais de recours. Néanmoins, elle est conforme à l'intérêt des tiers car le régime des délais de recours contre ce permis provisoire demeure inconnu. Or, si les tiers ne sont pas intéressés à exercer un recours contre la décision initiale de refus de permis de construire, en revanche, ils peuvent avoir intérêt à agir contre le permis délivré à titre provisoire, en conséquence de l'injonction du juge des référés, et confirmé par la décision du juge du fond. Par conséquent, si le Conseil d'Etat a voulu étouffer le contentieux initié par le pétitionnaire en donnant à l'administration la possibilité de contenter ce dernier par un permis provisoire et éviter ainsi un recours contre une nouvelle décision de refus intervenant sur injonction du juge des référés, il a, simultanément, ouvert la voie au recours des tiers contre le permis provisoire.

Ce régime de décision provisoire porte donc en germe des contentieux ultérieurs particulièrement subtils qui ne vont pas dans le sens d'une simplification et d'une clarification du contentieux de l'urbanisme.

Ensuite, la rigueur de la solution retenue par le Conseil d'Etat le conduit à définir les modalités de ce retrait : "cette décision de retrait doit toutefois intervenir dans un délai raisonnable, qui ne peut, eu égard à l'objet et aux caractéristiques du permis de construire, excéder trois mois à compter de la notification à l'administration du jugement intervenu au fond". Il faut donc en déduire que le permis provisoire qui n'est pas retiré dans ce délai devient définitif. Ce retrait est également entouré de garanties procédurales, qui, certes, ne conduisent généralement pas l'administration à modifier ses positions mais qui ont le mérite d'exister et d'assurer une certaine transparence. Le retrait du permis provisoire ne peut ainsi être prononcé "qu'après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations".

Enfin, le même mécanisme s'applique dans deux hypothèses autres que celle du jugement au fond. C'est le cas lorsque le "bénéficiaire du permis se désiste de son recours en annulation, mettant ainsi un terme à l'instance engagée au fond, auquel cas le délai court à compter de la notification à l'administration de la décision donnant acte du désistement". C'est également le cas lorsqu'il "est mis fin à la suspension par une nouvelle décision du juge des référés dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative ou du fait de l'exercice d'une voie de recours contre la décision du juge des référés". La possibilité du retrait est donc ouverte dans de multiples hypothèses.

Ce nouveau régime de retrait des permis de construire provisoire qui, espérons-le, n'aura pas vocation à s'appliquer très souvent, constitue, par nature, une dérogation au régime de droit commun du retrait du permis prévu par l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9322IZB), même si le Conseil d'Etat ne pouvait fixer un délai différent de celui prévu par le législateur. Le juge de cassation censure donc l'erreur de droit commise par le juge des référés qui avait retenu la méconnaissance de cet article comme moyen pour prononcer la suspension du retrait du permis provisoire. Dès lors que le Conseil d'Etat décidait de créer un nouveau régime, la censure était inéluctable. La même solution conduit, le Conseil, statuant au fond, à rejeter la requête en référé, dès lors que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 424-5 n'est pas susceptible de justifier l'annulation du retrait de permis.

Le pétitionnaire se trouve ainsi victime de l'erreur ayant consisté à se désister de son recours au fond contre le refus de permis de construire. Une circonstance qui vient rappeler que le désistement doit être utilisé avec la plus grande prudence. On peut également s'interroger sur ce genre de créations de régime ex-nihilo qui se font toujours au détriment de l'une des parties et, en l'espèce, récompense la commune dont le comportement semble avoir été assez discutable. A posteriori, les parties réalisent qu'elles ont évolué dans l'univers juridique le plus incertain...

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