Lexbase Affaires n°452 du 28 janvier 2016 : Sociétés

[Jurisprudence] A propos de la clause statutaire de "perte automatique de l'exercice des droits attachés à la qualité d'associé" : d'un désordre à un autre désordre ?

Réf. : Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-19.261, F-P+B (N° Lexbase : A1761NZA)

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

le 28 Janvier 2016

La société d'exercice libéral cherche encore parfois ses marques entre les droits capitalistiques et les droits professionnels des associés dans le contexte du conflit entre le droit impératif et le droit conventionnel. L'arrêt rapporté, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 décembre 2015, en donne un exemple significatif. I - Sur la validité de la clause statutaire de "perte automatique de l'exercice des droits attachés à la qualité d'associé"

Voici une SEL entre deux pharmaciens d'officine, associés égalitaires. L'un des deux cesse toute activité. La question se pose de la liquidation de sa situation, et elle est compliquée par l'existence d'une clause des statuts assez originale.
Cette clause stipule que si la cessation d'activité d'un associé avait pour effet de réduire la quotité de capital des associés professionnels en exercice à une fraction inférieure au minimum légal, il perdrait, dès la survenance de l'événement, l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détenait, ces parts étant alors rachetées à la diligence de la gérance.

Cette notion de "perte de l'exercice des droits attachés aux parts" entraîne immanquablement une contestation sur l'évaluation de l'indemnité à verser à l'associé qui se retire. En particulier, la société le convoque à une assemblée générale ordinaire en précisant qu'il ne pourrait participer au vote des délibérations soumises à l'assemblée à la suite de ladite "perte des droits attachés à ses parts".

L'associé assigne la société pour obtenir l'annulation de cet article des statuts, des délibérations de l'assemblée générale et des délibérations et assemblées ultérieures, ainsi que la nomination d'un administrateur ad hoc ayant pour mission de convoquer une assemblée en vue de la mise en conformité des statuts, et du paiement de diverses sommes.

La question posée est celle de la validité de cette clause des statuts, au regard des articles 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN) et 1844-10 du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS).

La cour d'appel d'Aix-en-Provence (1) considère que la clause est illicite, en tant qu'elle entraîne la perte automatique des droits attachés à la qualité d'associé, cependant que ni la loi, ni les statuts type n'ont prévu une telle sanction.

L'arrêt est censuré par la Cour de cassation: "en statuant ainsi, alors que les statuts d'une société d'exercice libéral de pharmacien d'officine peuvent déroger aux dispositions légales non impératives et notamment prévoir que l'associé qui cesse toute activité professionnelle peut rester associé mais que, si cette situation a pour effet de réduire la part de capital des associés professionnels en exercice à une fraction inférieure à la moitié de ce capital, il perd, dès la survenance de cet événement, l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détient et ses parts sont rachetées à la diligence de la gérance, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cet arrêt de censure suscite une certaine perplexité.

En premier lieu et en tout état de cause, ce motif de cassation comporte une erreur manifeste. Ni les statuts, ni la loi sur les SEL ne visent la réduction de "la part de capital des associés professionnels en exercice à une fraction inférieure à la moitié de ce capital". L'article 5 de la loi sur les SEL dispose que "plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue directement ou indirectement par des professionnels en exercice au sein de la société" ; quant aux statuts, ils visent "une fraction inférieure au minimum légal".

La prise en compte des données de l'espèce donne à observer que c'est bien cette réduction à la moitié exactement qui fait difficulté dans la mesure où la société comprenait deux associés égalitaires.

Cette rédaction de l'arrêt est donc pour le moins énigmatique et de surcroît, elle ne laisse pas d'inquiéter sur les contentieux ultérieurs du droit des SEL à la suite de la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC), lorsque la sophistication de ses mécanismes supposera un surcroît d'exactitude dans leur interprétation et leur solution. En somme, voici un argument supplémentaire en faveur de la clause d'arbitrage dans ce type de société.

Mais il faut aussi faire abstraction de cette difficulté rédactionnelle, et apprécier le principe même de la validité de la clause. Est-il juste de dire que cette clause est valable ?

Stipuler que l'associé retrayant "perd, dès la survenance de cet événement, l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détient et ses parts sont rachetées à la diligence de la gérance" appelle plusieurs observations :

- on voit aussitôt que l'indemnisation de l'associé qui se retire, par exemple pour prendre sa retraite ou bien en cas d'incapacité permanente de travail, est perturbée par la clause, si ce n'est "écrasée" par la clause. Quelle valeur peut bien s'attacher à des parts sur lesquelles l'associé a perdu l'exercice de ses droits ? Virtuellement zéro.

- en effet, il convient de distinguer les droits conférés par le titre et les droits sur le titre. La clause qui stipule que l'associé perd l'exercice des droits attachés à la qualité d'associé a pour effet de réduire à une expression au mieux symbolique la valeur de ses droits. Comment concevoir l'indemnisation de quelqu'un qui ne détient aucun droit ?

- ce qui conduit à une observation corrélative, à savoir que la clause ressemble à un piège. Elle représente en la forme un risque tout à fait anormal pour chacun des deux associés, et seule une investigation plus approfondie des circonstances de l'espèce permettrait de dire si l'effet produit aux dépens de cet associé ont été en réalité recherchés par l'autre associé et le rédacteur des statuts ;

- en tout état de cause, la clause n'est pas conforme à l'économie générale du contrat de société. Une association entre deux professionnels n'échappe pas à l'exigence juridique de bonne foi (faut-il le rappeler ? Il semble que oui) et à ce titre, elle ne peut raisonnablement comporter une machinerie contractuelle porteuse d'un risque de spoliation aussi considérable ;

- en résumé, le mécanisme représente en l'état une clause léonine.

La clause querellée n'aurait pas l'excuse, ou la circonstance atténuante, de répondre à un besoin légitime. En effet, le législateur n'a pas manqué de proposer des solutions dans le cas où la société d'exercice libéral viendrait à ne plus respecter la condition de majorité des professionnels en exercice.

Ces solutions sont bien connues ; elles figurent à l'article 5 in fine de la loi, avec notamment le délai d'un an accordé à la société pour se mettre en conformité et en définitive, dans le pire des cas, la réduction du capital à un prix fixé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34). On est bien loin d'une "perte de l'exercice des droits attachés aux parts sociales".

Certes, les statuts d'une SEL peuvent déroger aux dispositions légales non impératives, et l'on veut bien admettre que la référence à l'article 1843-4 du Code civil ne soit pas une disposition impérative, encore que la Cour de cassation en fasse généralement une application impérative (2).

Mais cela n'autorise pas une clause léonine d'une telle stature. L'interdiction des clauses léonines fait partie du droit des sociétés qui est en substance impératif ; il s'applique comme tel dans toutes les sociétés, y compris par exemple dans les sociétés par actions simplifiées (3), donc à plus forte raison dans toute autre société, notamment les sociétés d'exercice libéral.

On comprendra donc qu'il est difficile de ne pas émettre une réserve sur le bien-fondé de l'admission de la clause et de la cassation de la décision qui l'avait annulée.

II - Sur les effets de la clause statutaire de "perte automatique de l'exercice des droits attachés à la qualité d'associé"

L'associé qui a cessé son activité a-t-il droit au partage des bénéfices sociaux tant que la situation de ses parts sociales n'est pas liquidée ? Cette affaire donne lieu à un croisement de contradictions entre la cour d'appel et la Cour de cassation.

La cour d'appel, qui rappelons-le avait annulé la clause de perte automatique de l'exercice des droits, dans l'intérêt par conséquent de l'associé partant, adopte sur la seconde question une position qui lui est défavorable. A l'inverse, la Cour de cassation lui accorde une solution favorable.

Pour rejeter la demande de l'associé partant, et en particulier la demande en désignation d'un administrateur ad hoc ayant pour mission notamment de procéder à la distribution des bénéfices réalisés par la société, la cour d'appel retient que la loi du 31 décembre 1990 tend uniquement à réserver la majorité du capital et des droits de vote aux pharmaciens exerçant effectivement au sein de la société et que l'associé qui cesse son activité n'a pas vocation à percevoir les bénéfices réalisés grâce à l'industrie de l'associé exerçant au sein de l'officine.

La solution est censurée, au visa de l'article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 et des articles 1844-1 (N° Lexbase : L2021ABH) et 1869 (N° Lexbase : L2066AB7) du Code civil.

La Cour de cassation décide qu'il résulte de la combinaison de ces textes que la perte, en application d'une clause statutaire, de l'exercice des droits attachés aux parts détenues par un associé au sein d'une société d'exercice libéral de pharmacien d'officine, dès la cessation de ses fonctions professionnelles au sein de la société, n'emporte pas, jusqu'au remboursement des droits sociaux, la perte de la rétribution des apports en capital.

La cour d'appel avait en effet confondu l'exercice professionnel et les droits conférés par des droits sociaux. La solution n'est cependant pas sans une contradiction : la perte automatique de l'exercice des droits sur les parts sociales n'interviendrait donc pas sur les droits aux bénéfices. Difficile d'émettre une suggestion sur ce qui pourrait rationnellement justifier une telle application distributive des effets de la "perte automatique de l'exercice des droits" de l'associé.

En définitive, la cassation du chef du premier moyen manque de justice et le rejet du second moyen manque de cohérence ; deux motifs de désordre dans ce droit des sociétés d'exercice libéral aux équilibres délicats.


(1) CA Aix-en-Provence, 15 mai 2014, n° 13/10472 (N° Lexbase : A1619MLK).
(2) Cf. récemment, : Cass. com., 25 novembre 2015, n° 14-14-003, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7761NXQ), nos obs. L'article 1843-4 du Code civil, enfant terrible du droit des sociétés : une réforme à parfaire ?, Lexbase Hebdo n° 450 du 14 janvier 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N0780BWS).
(3) D. Vidal et K. Luciano, Droit spécial des sociétés, Gualino, 2015, n° 861, p. 218 ; M. Buchberger, L'ordre public sociétaire, Mélanges Michel Germain, 2015, p. 181.

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