Lexbase Affaires n°452 du 28 janvier 2016 : Sociétés

[Jurisprudence] Convention réglementée entachée de fraude et dissimulée

Réf. : Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-18.688, F-P+B (N° Lexbase : A3833N3D)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse 1 Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 28 Janvier 2016

Bien que les dirigeants disposent à l'égard des tiers des plus larges prérogatives pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve d'intervenir dans le cadre de l'objet social, la conclusion de certaines opérations constituent une menace pour la société, susceptible d'entraver son fonctionnement, voire de mettre en cause sa survie. Pour remédier aux conflits d'intérêts susceptibles de survenir entre les dirigeants et leur société et ainsi combattre les risques d'abus, plusieurs solutions sont proposées.
La première solution est imprégnée de la notion de liberté. Elle s'applique aux conventions qui ne présentent pas a priori de risques pour la société, c'est-à-dire celles habituellement conclues à des conditions normales (1).
La deuxième solution, la plus draconienne, consiste à interdire purement et simplement ces conventions. Mais sa sévérité n'est pas exempte d'inconvénients. D'une part, l'annulation de la convention passée au mépris de la prohibition risque de léser les contractants de bonne foi. D'autre part, elle fait échec à la naissance de certaines conventions nécessaires à la vie des affaires. C'est la raison pour laquelle la solution radicale de l'interdiction n'intervient que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l'opération ne profite qu'au seul dirigeant, notamment quand ce dernier utilise à des fins personnelles les ressources financières de la société.
La solution intermédiaire, la troisième, s'inspire davantage de l'idée de prévention que de celle de répression. Elle édicte une approbation de la convention préalable à son exécution, donnée par certains organes sociaux. Afin d'éviter un encombrement excessif du fonctionnement de la société, le législateur ne prévoit ce contrôle préventif que pour les conventions les plus importantes. L'arrêt rapporté, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 janvier 2016, a trait à une convention réglementée. Il présente la particularité de rejeter deux pourvois contre deux décisions de la cour d'appel de Bourges des 10 avril (n° 14-18.689) (2) et 9 mai 2014 (n° 14-18.688) (3). Seul le premier pourvoi retient notre attention. Il concerne d'une part, l'annulabilité d'une telle convention entachée de fraude (I), d'autre part, le point de départ de la prescription de l'action en nullité de ladite convention qui a été dissimulée (II).

I - L'annulabilité de la convention réglementée entachée de fraude

A - Les éléments du litige

La convention, objet du litige, est un avenant au contrat de travail conclu par une société anonyme avec un de ses salariés nommé successivement directeur général puis administrateur les 5 et 28 novembre 2007. Cet avenant, daté du 20 février 2007, stipulait qu'en cas de licenciement pour une cause autre qu'une faute grave ou lourde ou une force majeure, une indemnité lui serait allouée. L'intéressé, dont les fonctions ont pris fin le 15 mars 2010, a été révoqué de son mandat d'administrateur par l'assemblée générale le 22 juillet 2010 et licencié le 21 octobre 2010. Il a alors agi auprès du conseil des prud'hommes contre sa société en paiement de l'indemnité de licenciement prévue par l'avenant à son contrat de travail.

Après avoir fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, ladite société et les organes de la procédure ont sollicité que cet avenant soit déclaré nul et de nul effet au motif qu'il a été conclu en fraude des dispositions légales régissant les conventions réglementées, plus précisément les articles L. 225-38 (N° Lexbase : L8876I37) et L. 225-42 (N° Lexbase : L5913AIT) du Code de commerce.

Cette demande ayant été accueillie par décision de la cour d'appel de Bourges du 10 avril 2014 (4), le dirigeant forme un recours en cassation par lequel il reproche à cette dernière d'avoir statué ainsi. Il prétend que les dispositions de l'article L. 225-38 du Code de commerce ne sont applicables qu'à condition que le bénéficiaire de la convention passée avec la société soit effectivement mandataire social de cette dernière à la date de conclusion de la convention. La juridiction d'appel aurait donc porté atteinte aux dispositions de ce texte et de l'article L. 225-42 dudit code en décidant qu'était nul et de nul effet l'avenant au contrat de travail conclu, en relevant que celui-ci a été rédigé avant la réunion du 5 novembre 2007 durant laquelle le conseil d'administration de la SA l'a nommé directeur général et antérieurement à la délibération du 28 novembre 2007 par laquelle l'assemblée générale l'a désigné en qualité d'administrateur. En outre, elle n'a pas constaté que la conclusion de cet avenant est intervenue postérieurement aux deux dates précédemment énoncées.

Ce moyen est rejeté en l'espèce par la Chambre commerciale.

B - La résolution du litige

En effet, l'article L. 225-38 du Code de commerce énonce que toute convention intervenue directement ou par personne interposée entre la société et, entre autres, son directeur général ou un administrateur, ce qui est le cas du dirigeant ici concerné, doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration (5). Cette exigence suppose que l'autorisation ait précédé la conclusion de la convention et ne peut donc opérer rétroactivement (6). Il s'ensuit que l'exécution de la convention par le conseil d'administration ne concrétise en aucune manière l'autorisation préalablement requise (7).

Reste à déterminer la sanction qui accompagne le non-respect de la procédure prévue. Le défaut de déclaration au conseil d'administration par l'intéressé a pour conséquence normale d'empêcher le déroulement de la procédure d'autorisation instaurée par les articles L. 225-40 (N° Lexbase : L5911AIR) et L. 225-88 (N° Lexbase : L5959AIK) du Code de commerce. La situation se confond avec celle de l'absence d'autorisation du conseil et, en conséquence, aboutit à la même solution, à savoir la possibilité d'obtenir l'annulation de la convention.

S'agissant comme dans l'actuelle affaire du défaut d'autorisation préalable du conseil d'administration, trois situations peuvent être envisagées selon que :
- le conseil n'a pas été saisi en raison d'un défaut de déclaration ou d'une erreur sur le caractère de la convention considérée à tort comme normale ;
- la convention a été passée malgré le refus d'autorisation ;
- l'autorisation a été donnée à la suite d'une délibération irrégulière.

Les articles L. 225-42 et L. 225-90 (N° Lexbase : L5961AIM) du Code de commerce prévoient l'annulabilité des conventions conclues sans l'autorisation préalable du conseil d'administration ou de surveillance (8), peu importe que les actionnaires aient eu individuellement connaissance de la convention lors de la signature (9).

Qu'en est-il en l'espèce ? La Cour de cassation estime qu'une convention réglementée passée entre une société et son dirigeant peut être annulée, si elle est entachée de fraude pour avoir été conclue dans le dessein de l'exclure du champ d'application des conventions réglementées par les articles L. 225-38 et suivants du Code de commerce. Elle approuve donc la décision de la cour d'appel de Bourges. Cette dernière a relevé qu'après avoir constaté que la rédaction de l'avenant daté du 20 février 2007 était intervenue au cours des jours précédant la tenue du conseil d'administration du 5 novembre 2007 et celle de l'assemblée générale du 28 novembre suivant, et que l'intéressé avait, lors de son audition dans le cadre de l'enquête diligentée pour faux et usage de faux, indiqué que, sans cet avenant lui assurant une indemnité en cas de perte de son mandat social, il n'aurait jamais accepté le mandat de directeur général de la société. De plus, l'arrêt d'appel retient que le document litigieux a été établi afin de lui permettre de faire face aux conséquences personnelles de sa nomination en qualité d'administrateur. Il considère enfin que ce document, en tant qu'il stipule le versement à son profit d'une indemnité en cas de licenciement, a pour cause, non le contrat de travail qui le liait à la société, mais sa nomination en qualité de directeur général de cette société.

A cela la juridiction du fond ajoute que le fait de le dater avant sa nomination permettait de l'exclure du champ d'application des conventions réglementées. Dès lors, devait être annulé cet avenant intervenu en fraude des dispositions légales régissant les conventions réglementées. Par ailleurs, l'avenant a eu des conséquences dommageables pour la société, en lui imposant d'allouer une indemnité complémentaire de licenciement représentant l'équivalent d'une année de la rémunération de mandataire social, qui avait généré un important contentieux entre les parties.

II - Le point de départ de la prescription de l'action en nullité de la convention réglementée dissimulée

Il y a lieu de distinguer selon que le conseil d'administration a été informé, mais n'a pas répondu, a refusé son autorisation, ou n'a pas eu connaissance de la convention dont la conclusion a été dissimulée ; la présente espèce relève de la dernière hypothèse. A ce propos, le fait que la convention litigieuse se trouvait dans un dossier à la disposition du commissaire aux comptes et des administrateurs ou qu'elle avait été discutée avec un dirigeant du groupe ne suffit pas à considérer que le conseil d'administration a été informé (10).

Dans l'actuelle affaire, le juge du droit considère que l'action en nullité d'une convention visée à l'article L. 225-38 du Code de commerce et conclue sans autorisation du conseil d'administration se prescrit par trois ans à compter de la date de la convention, en vertu de l'article L. 225-42, alinéa 2 de ce code. Néanmoins, si elle a été dissimulée, le point de départ du délai de la prescription est reporté au jour où elle a été révélée (11). S'il y a eu volonté de dissimulation d'une convention réglementée qui doit être établie, une telle volonté ne pouvant être déduite du seul défaut d'information du conseil d'administration, la révélation de la convention s'apprécie à l'égard de la personne qui exerce l'action (12), c'est-à-dire de la volonté de la lui dissimuler (13). Ladite révélation peut donc concerner telle personne agissant en nullité et pas une autre, étant entendu que l'action en nullité appartient tant à la société elle-même qu'aux actionnaires intervenant individuellement.

Là encore, la Cour régulatrice consacre la décision rendue par la cour d'appel de Bourges, après avoir conclu que la convention relève bien des dispositions des articles L. 225-38 et suivants du Code de commerce. Celle-ci avait retenu la dissimulation volontaire de la convention litigieuse aussi bien à la société qu'à ses organes, ce dont il résultait le report du point de départ du délai de prescription au jour de la révélation de la convention.

Effectivement, après avoir constaté que l'avenant, daté du 20 février 2007, avait été signé simplement quelques jours avant la nomination de l'intéressé aux fonctions de directeur général et d'administrateur, l'arrêt signale que c'est seulement au cours du conseil d'administration du 7 avril 2010 qu'il a informé ce dernier de l'existence de cet avenant. En outre, les procès-verbaux antérieurs à celui du 7 avril 2010 ne font aucunement état de cet avenant dont il n'est pas démontré qu'il figurait dans le dossier de l'intéressé.

La Haute juridiction approuve l'arrêt d'appel qui, constatant que l'existence de l'avenant litigieux a été révélée au président-directeur général de la société ayant exercé l'action en nullité au nom de celle-ci lors de la réunion préparatoire du conseil d'administration du 7 avril 2010, a admis que le point de départ de la prescription courrait à compter de cette date.

Sa position tient au fait que le délai de prescription de trois ans est un véritable délai susceptible d'interruption et de suspension selon les règles de droit commun, et non un délai préfix (14). Cette question est très importante car il en résulte que le point de départ du délai est la date de conclusion de la convention, si celle-ci est connue, et le jour de sa révélation, si elle a été dissimulée (15).


(1) C. com., art. L. 225-39 (N° Lexbase : L8877I38).
(2) CA Bourges, 10 avril 2014, n° 13/00946 (N° Lexbase : A9321MI3).
(3) CA Bourges, 9 mai 2014, n° 13/00599 (N° Lexbase : A8845MKS).
(4) CA Bourges, 10 avril 2014, n° 13/00946, préc. note 2.
(5) M. Golestanian, Les contours de l'autorisation préalable du conseil d'administration dans le cadre de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 (C. com., art. L. 225-38), Bull. Joly Sociétés, 2000, p. 1017 ; J. Mestre, La spécificité des contrats conclus par la société, RLDC, 2004/1, n° 37 ; R. Vatinet, Les conventions réglementées, Rev. sociétés, 2011, p. 561.
(6) Bull. CNCC, 1996, n° 103, p. 507.
(7) CA Paris, 4ème ch., sect. B, 22 octobre 1987, n° M 04590 (N° Lexbase : A9442A7T), Bull. Joly Sociétés, 1987, p. 861.
(8) Cass. soc., 11 juin 1997, n° 94-44.548 (N° Lexbase : A8437AXR), Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 880, note P. Le Cannu, à propos d'un contrat de travail conclu par un membre du directoire en fonction, sans l'autorisation préalable du conseil de surveillance.
(9) Cass. com., 12 décembre 2006, n° 04-20.83, F-D (N° Lexbase : A9000DS7), RJDA, 5/2007, n° 509.
(10) Cass. com., 12 janvier 1999, n° 96-20.159, inédit (N° Lexbase : A6700AXG), LPA, 25 février 1999, n° 40, p. 7 ; Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 464, note B. Petit.
(11) Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-29.452, F-P+B (N° Lexbase : A9802MCZ), BRDA, 4/2014, n° 1 ; RJDA, 4/2014, n° 353 ; D., 2014, p. 274, obs. A. Lienhard ; Dr. sociétés, avril 2014, n° 65, obs. M. Roussille ; nos obs., La prescription de l'action en nullité fondée sur l'absence d'autorisation régulière d'une convention réglementée Lexbase Hebdo n? 372 du 6 mars 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N1054BUL).
(12) En ce sens, Cass. com., 8 février 2011, n° 10-11.896, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9585GSS), BRDA, 4/2011, n° 1 ; RJDA, 4/2011, n° 324 ; D., 2011, jur. p. 1314, note N. Molfessis et J. Klein et p. 1321, note F. Marmoz ; J.-B. Lenhof, Point de départ de la prescription dans le cadre de conflits d'intérêts : un revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 242 du 10 mars 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6360BRY); Rev. sociétés, 2011, p. 288, note P. Le Cannu et p. 297, note C.-N. Ohl ; JCP éd. E, 2011, n° 8, 1151, note B. Dondero ; Dr. sociétés, avril 2011, n? 70, obs. M. Roussille ; RTDCiv., 2011, p. 493, obs. P. Deumier ; sur cet arrêt, nos obs., L'annulation plus de trois ans après sa conclusion d'une convention réglementée sciemment dissimulée, RLDA, avril 2011, n° 3359.
(13) Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-24.917, F-D (N° Lexbase : A9393KLH), RJDA 12/2013, n° 1026.
(14) Cass. com., 24 février 1976, n° 74-13.185, publié (N° Lexbase : A5086AYZ), Bull. civ. IV, n° 69 ; JCP éd. G, 1976, II, 18506, 2ème arrêt, note C. Lucas de Leyssac ; Rev. sociétés, 1977, p. 88, 1er arrêt, note Y. Chartier ; RTDCom., 1976, p. 542, obs. R. Houin, cassant CA Aix-en-Provence, 10 avril 1974, JCP éd. G, 1976, II, 18274, note C. Lucas de Leyssac.
(15) Cass. com., 13 décembre 1976, n° 75-11.349 (N° Lexbase : A3732AYU), D., 1977, jurispr. p. 375, note M. Jeantin ; Cass. com. 10 mai 1989, n° 87-19.264, publié (N° Lexbase : A3134AHK), Bull. civ. IV, n° 149, JCP éd. G, 1989, IV, p. 259 ; Cass. soc., 12 février 1987, n° 85-10.169, publié (N° Lexbase : A6302AAN), Bull. civ. V, n° 73 ; JCP éd. E 1987, I, 16644, n° 7, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; Bull. Joly Sociétés 1987, p. 384, note P. Le Cannu.

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