La lettre juridique n°925 du 24 novembre 2022 : Droit des étrangers

[Questions à...] La problématique du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière - Questions à Cédric Meurant, Maître de conférences en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3

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[Questions à...] La problématique du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière - Questions à Cédric Meurant, Maître de conférences en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/89988465-questions-a-la-problematique-du-contentieux-de-leloignement-des-etrangers-en-situation-irreguliere-q
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le 24 Novembre 2022

Mots clés : oqtf • étrangers • situation irrégulière • éloignement • laisser-passer consulaires

Comme le démontrent encore la récente affaire de l’Océan Viking, qui a donné lieu à une passe d’armes entre les dirigeants français et italiens, ou du meurtre de la petite Lola qui a enflammé le monde politique, l’éloignement des étrangers en situation irrégulière fait l’objet d’une mise en lumière quasi-permanente dans le débat hexagonal, au gré des faits divers ou de l’approche d’échéances électorales. Sujet délicat, qui mêle juridisme foisonnant, limites matérielles de l’intervention étatique et tensions diplomatiques, il symbolise une forme d’impuissance publique à faire respecter sa législation, puisque seulement environ 10 % des obligations de quitter le territoire français sont réellement exécutées, passant même à 5,6 % pour le premier semestre 2021. Pour faire le point sur cette thématique d’une actualité brûlante, Lexbase Public a interrogé Cédric Meurant, Maître de conférences en droit public, Université Jean Moulin Lyon 3*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le fonctionnement du mécanisme de l'OQTF ?

Cédric Meurant : L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est une décision administrative adoptée par le préfet compétent [1] qui prescrit au ressortissant étranger en situation irrégulière de sortir du territoire français. Elle appartient à la famille des décisions administratives qui organise l’éloignement forcé, contraint, des ressortissants étrangers. Cette catégorie de décisions administratives est ancienne [2]mais elle a eu tendance à se perfectionner et à se complexifier dans les années quatre-vingt, au point que leur nature juridique – et le régime juridique qui leur est applicable – a pu poser question : ces décisions étaient-elles des mesures de police administrative ou des sanctions ? Dans une fameuse décision clôturant ce débat [3], le Conseil constitutionnel a opté pour la première branche de l’alternative en jugeant en outre que seul le juge administratif pouvait connaître de ces mesures d’éloignement adoptées dans le cadre de prérogatives de puissance publique [4]. La législation relative aux mesures d’éloignement s’est ensuite étoffée à plusieurs reprises dans les années 1990 et 2000.

Ce n’est formellement qu’avec la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration N° Lexbase : L3439HKL, que le législateur a créé la catégorie des « obligations de quitter le territoire français » pour mettre fin à la pratique contestable des « invitations à quitter le territoire français » qui accompagnaient les décisions préfectorales refusant les titres de séjour [5]. Cette première OQTF était prise en conséquence du refus de titre de séjour décidé par le préfet. Elle fixait également le pays de destination du ressortissant étranger – bien souvent son pays d’origine – et devait être exécutée dans un délai d’un mois. La loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : L4969IQ4,  perfectionna ensuite les OQTF en transposant la Directive « retour » (Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 N° Lexbase : L3289ICS). Ainsi, la loi distingua d’une part, les OQTF « 48h » qui devaient être spontanément exécutées par les ressortissants étrangers dans un délai de… deux jours (ces OQTF sont les héritières des anciens arrêtés de reconduite à la frontière) ; d’autre part, les OQTF « 30 jours » qui devaient être exécutées dans un délai de… trente jours. Les réformes législatives du 7 mars 2016 (loi n° 2016-274, relative au droit des étrangers en France N° Lexbase : L9035K4E) et du 10 septembre 2018 (loi n° 2018-778, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie N° Lexbase : L9696LLP) – la dernière en date –, confortèrent cet édifice en le raffinant néanmoins encore davantage.

L’OQTF n’est pas la seule décision administrative à avoir pour finalité l’éloignement forcé d’un ressortissant étranger : d’autres existent mais se différencient de l’OQTF par leur régime juridique. Ainsi, la mesure d’expulsion (CESEDA, art. L. 630-1 N° Lexbase : L3675LZ7) a la particularité de produire des effets juridiques après son exécution – c’est-à-dire l’expulsion. En effet, la mesure d’expulsion interdit alors en outre au ressortissant étranger de revenir sur le territoire français. Cette rigueur explique que cette mesure soit édictée par le ministre de l’Intérieur après une procédure particulière et ne puisse être exercée que dans des cas limités : elle n’a effectivement pas pour objet de tirer les conséquences d'une violation des règles relatives au séjour, mais de sauvegarder l’ordre public en éloignant une personne de nationalité étrangère qui, pour s’en tenir à l’essentiel, constituerait à ce titre une menace grave. Par exemple, l’imam Iquioussen a récemment fait l’objet d’une mesure d’expulsion [6]. En second lieu, l’OQTF ne doit pas être confondue avec les mesures de réadmission qui permettent par exemple (CESEDA, art. L. 621-2 N° Lexbase : L3666LZS) à l’administration d’éloigner le ressortissant étranger qui séjourne en France en violation de la Convention Schengen vers un État signataire de ce traité. La procédure est proche de celle qui existe pour l’OQTF, même si des subtilités demeurent.

Aujourd’hui, et depuis l’entrée en vigueur le 1er mai 2021 du nouveau Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet qui souhaite édicter une OQTF doit se fonder sur différents motifs (CESEDA, art. L. 611-1 N° Lexbase : L3601LZE) comme par exemple : l’entrée puis le séjour irréguliers sur le territoire français (1°), le maintien irrégulier en France après l’expiration du visa ou du titre de séjour (2°), le séjour irrégulier (3°), le refus définitif de reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire (4°), etc. Par ailleurs, la procédure d’édiction d’une OQTF est dérogatoire de la procédure de « droit commun » prévue par le Code des relations entre le public et l’administration. En effet, et suivant une jurisprudence constante, le législateur a « entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger » l’OQTF [7]. Autrement dit, la loi spéciale – le CESEDA – déroge à la lex generalis des relations entre le public et l’administration – le Code des relations entre le public et l’administrtion. Par exemple, si l’autorité préfectorale doit évidemment examiner particulièrement et personnellement la situation du ressortissant étranger [8], la motivation de l’OQTF peut se confondre avec celle du refus de titre de séjour lorsque la première est adoptée en conséquence du second [9], tandis que, dans cette même hypothèse, les droits de la défense sont regardés comme respectés lorsque le ressortissant étranger a été entendu avant l’édiction du refus de titre de séjour [10].

Comme toutes les décisions administratives, les OQTF sont exécutoires de plein droit. Ainsi, le ressortissant étranger doit exécuter spontanément cette mesure d’éloignement (CESEDA, art. L. 711-1 N° Lexbase : L3717LZP, l’étranger peut alors bénéficier d’une aide au retour) en rejoignant l’État dont il a la nationalité ou un État dans lequel il est légalement admissible (CESEDA, art. L. 711-2 N° Lexbase : L3718LZQ, ces dispositions précisant sur ce dernier point qu’il ne peut s’agir d’un État-membre de l'Union européenne, la République d'Islande, la Principauté du Liechtenstein, le Royaume de Norvège ou la Confédération suisse). Pourtant, parmi les 143 226 mesures d’éloignement adoptées en 2021, seulement 10 091 ont été exécutées [11].

Cette situation, qui interroge tant les agents de État que les juges sur le sens de leur mission [12] peut s’expliquer pour différentes raisons.

Lexbase : Quels sont les principaux obstacles à sa mise en œuvre ?

Cédric Meurant : En principe, aucun obstacle ne devrait entraver l’exécution des OQTF. Bien au contraire : le législateur a prévu un régime dérogatoire qui doit faciliter la bonne application de ces OQTF. Ainsi, les OQTF sont en règle générale assorties d’une série de décisions administratives connexes comme, par exemple, la décision fixant le pays de destination (CESEDA, art. L. 612-2 N° Lexbase : L3617LZY). Il s’agit bien souvent, mais pas seulement, de l’État dont le ressortissant étranger a la nationalité (CESEDA, art. L. 721-4 N° Lexbase : L3723LZW), l’octroi au ressortissant étranger d’un délai de départ volontaire en principe de trente jours (CESEDA, art. L. 612-1 N° Lexbase : L3616LZX), l’interdiction administrative de rester sur le territoire français (CESEDA, art. L. 612-6 N° Lexbase : L3632LZK et s.).

De plus, la loi a autorisé les services compétents – la police aux frontières – à exécuter d’office les OQTF après l’expiration du délai de départ volontaire (CESEDA, art. L. 722-3 N° Lexbase : L3738LZH). En outre, le législateur a étoffé les pouvoirs préfectoraux en créant deux dispositifs portant atteinte à la liberté individuelle des ressortissants étrangers pour assurer l’exécution des OQTF (sous réserve de la réunion de certaines conditions) : d’une part, et en principe (en vertu de l’article 15 de la Directive « retour »), l’assignation administrative à résidence (CESEDA, art. L. 730-1 et s. N° Lexbase : L3744LZP ; d’autre part, le placement en rétention administrative (CESEDA, art. L. 740-1 N° Lexbase : L3229LZM et s.). Enfin, nouvelle manifestation de la pénalisation du droit des étrangers, la loi prévoit paradoxalement à présent qu’un ressortissant étranger qui ne s’acquitterait pas spontanément de son obligation de quitter le territoire français s’exposerait à une peine de trois ans de prison (CESEDA, art. L 824-9 N° Lexbase : L4921L7E). Cette peine est également applicable si la personne étrangère se soustrait aux modalités de transport qui lui sont désignées ou aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure dont il fait l'objet. En effet, avec la pandémie de Covid-19, de nombreux États étrangers ont conditionné l’accès à leur territoire à la présentation d’un test PCR négatif. Or, 82 % des personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement refusaient ce test [13].

Pourtant, le taux d’exécution des OQTF demeure particulièrement faible – c’est un euphémisme. Cette défaillance peut s’expliquer pour de nombreuses raisons qui peuvent notamment (outre la soustraction du ressortissant étranger à la mesure d’éloignement ou la difficulté d’identifier une personne en situation irrégulière qui ne dispose naturellement pas toujours de documents d’identité) être d’ordre juridique ou matériel et diplomatique. En premier lieu, l’exécution des OQTF peut être entravée pour des motifs juridiques. Tout d’abord, certaines catégories de ressortissants étrangers ne peuvent purement et simplement pas faire l’objet d’une OQTF. C’est par exemple le cas des étrangers mineurs ; des étrangers qui justifient résider habituellement en France depuis l’âge de leurs 13 ans ; du ressortissant étranger marié depuis trois ans au moins avec une personne de nationalité française ; du ressortissant étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, etc. (CESEDA, art. L. 611-3 N° Lexbase : L7589L79).

Ensuite, dans l’hypothèse dans laquelle l’OQTF a été édictée, elle ne pourra pas être exécutée d’office avant l’expiration du délai de départ volontaire (en principe, trente jours) laissé au ressortissant étranger pour quitter spontanément la France.

Elle ne pourra pas non plus être exécutée d’office avant l’expiration du délai de recours pour contester l’OQTF devant les juridictions administratives. Ce délai de recours peut coïncider avec le délai de départ volontaire lorsque ce dernier est de trente jours (V. infra). De plus, lorsque le juge administratif a été saisi d’un recours juridictionnel dirigé contre l’OQTF (et les actes connexes), celle-ci ne pourra pas être exécutée avant que le juge n’ait statué sur le recours. En effet, et par dérogation à la « règle fondamentale du droit public » d’absence de caractère suspensif des recours juridictionnels en contentieux administratif [14], la loi a conféré une telle caractéristique au recours pour excès de pouvoir exercé contre l’OQTF (CESEDA, art. L. 722-7 N° Lexbase : L3779LZY). C’est une exigence de la Directive « retour ». Enfin, ces mêmes dispositions précisent que l’éloignement effectif du ressortissant étranger ne peut pas non plus intervenir avant l’expiration du délai ouvert pour contester la décision fixant le pays de renvoi si celle-ci a été notifiée après l’OQTF (ce qui demeure rare). L’OQTF ne pourra évidemment a fortiori pas être exécutée lorsqu’elle aura été annulée par le juge administratif. De même, l’annulation de la seule décision fixant le pays de destination du ressortissant étranger – par exemple s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESEDA, art. L. 721-4) – pourra entraver l’exécution de l’OQTF.

En second lieu, le défaut d’exécution des OQTF peut résulter de motifs matériel et diplomatique. En effet, l’éloignement d’un ressortissant étranger présente en filigrane un arrière-plan diplomatique. Si l’édiction d’une OQTF par les autorités étatiques françaises est effectivement une manifestation de la souveraineté dont l’État est titulaire – tant pour maintenir l’ordre public que pour contrôler les frontières –, il n’en demeure pas moins que l’exécution de cette décision ne peut s’opérer qu’avec l’accord de l’État de retour du ressortissant étranger (désigné dans la décision fixant le pays de renvoi) ; lui-même étant également souverain et ayant la maîtrise de ses propres frontières. Certes, le ressortissant d’un État peut en règle générale librement accéder à l’État dont il a la nationalité [15]. Or, dans l’écrasante majorité des cas, les ressortissants étrangers sont éloignés à destination de l’État dont ils ont la nationalité. Par conséquent, le franchissement de la frontière par le ressortissant étranger éloigné ne devrait poser aucun problème. Mais encore faut-il que ce dernier puisse justifier de sa nationalité en produisant des documents d’identité. Or, c’est ici que le bât blesse : compte tenu de la précarité de sa situation ainsi que des conditions entourant son départ de son pays d’origine, il peut arriver qu’un ressortissant étranger soit dans l’incapacité de présenter ces documents. Certes, il existe des sanctions pénales pour les ressortissants étrangers récalcitrants qui ne présenteraient volontairement pas les documents de voyage permettant l’exécution de l’OQTF ou, en leur absence, qui refuseraient de communiquer les renseignements permettant cette exécution (CESEDA, art. L. 824-1 N° Lexbase : L4272LZA). Mais en l’absence de ces documents, l’État (supposé) d’origine des ressortissants étrangers éloignés n’est pas tenu de les accueillir. Pour surmonter cet obstacle, le préfet qui a édicté l’OQTF doit alors solliciter un laissez-passer auprès du chef de poste consulaire de l’État dont l’étranger éloigné est réputé être le ressortissant. Ce « laissez-passer consulaire » est (la définition peut varier en fonction des États…) un « document officiel délivré par les autorités consulaires » de l’État de destination et « se substituant à un document officiel pour établir la nationalité de la personne concernée » (aux termes de la définition donnée par l’art. 1er §. 5. de l’accord franco-autrichien du 20 avril 2007, relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière). Ce document est usuellement établi pour un seul voyage et une durée maximale (trente jours dans la réglementation française, selon l’article 5 du décret n° 2004-1543 du 30 décembre 2004, relatif aux attributions des chefs de poste consulaire en matière de titres de voyage N° Lexbase : L5265GUK). Mais, s’agissant d’un problème tel que le contrôle souverain des frontières, la délivrance de ces autorisations administratives ne peut qu’être discrétionnaire, et même gracieuse. Autrement dit, pour que l’OQTF soit exécutée, encore faut-il que l’État à destination duquel le ressortissant étranger est éloigné soit coopératif. C’est bien souvent faute de ce laissez-passer que l’éloignement ne peut avoir lieu. En effet, on évalue à 53,7 % les laissez-passer consulaires délivrés en temps utile [16].

Lexbase : Comment remédier à la problématique de l'absence des laisser-passer consulaires ?

Cédric Meurant : Il n’y a par définition pas de réponse univoque à cette question relative à une problématique fondamentalement souveraine – l’admission par un État d’un ressortissant qui ne justifie pas de sa nationalité – qui n’appelle qu’une réponse diplomatique. Deux hypothèses coexistent. Dans la première, la France et l’État de retour réputé être celui dont le ressortissant étranger a la nationalité n’ont pas réglé par un traité international bilatéral le cas dans lequel la nationalité ne pourrait pas être à coup sûre établie, soit parce qu’aucune convention internationale en matière d’immigration n’est intervenue entre eux, soit parce que la convention bilatérale qui organise leurs relations n’envisage pas cette situation. À titre d’illustration – et pour prendre des exemples tirés de la récente « crise des laissez-passer consulaires » (ou crise des visas) avec les États algérien, marocain et tunisien –, ni l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ni l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987, ni l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988 n’envisagent ce problème. Dans ce cas, l’État requis par la mesure d’éloignement est, dans les limites de sa législation nationale, libre de délivrer le laissez-passer consulaire à la personne éloignée par la France.

Dans la seconde hypothèse, l’État français et l’État de retour qui doit accueillir le ressortissant étranger ont envisagé dans une convention bilatérale comment résoudre le cas de l’admission du ressortissant étranger dont la nationalité serait incertaine. Par exemple, l’accord du 2 avril 2007 entre la France et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la réadmission et au transit des personnes en situation irrégulière (décret n° 2008-16 du 3 janvier 2008, portant publication de l'accord N° Lexbase : L7181H3D) envisage différentes voies pour surmonter cette situation. Ainsi, ce traité distingue l’hypothèse dans laquelle la nationalité d’un ressortissant de l’un de ces deux États est établie (art. 2.1 : grâce à la production de documents d’identité, d’un passeport, d’un document de voyage, etc.) de celle dans laquelle elle est seulement présumée (art. 2.2. : un document d’identité ou de voyage périmés ; un document de la Partie requise établissant l’identité de l’intéressé comme un acte de naissance, un livret de famille ; des titres de séjour périmés). Dans ce dernier cas, un laissez-passer consulaire doit être délivré par la Partie requise (art. 3.2). En cas de doute sur la présomption de nationalité, la convention prévoit une procédure permettant de lever les incertitudes (art. 3.4 : audition du ressortissant étranger par la Partie requise). Autre exemple, l’accord franco-autrichien du 20 avril 2007 relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (loi n° 2018-692 du 3 août 2018, autorisant son approbation N° Lexbase : L6078LLP) prévoit des procédures similaires. Cette hypothèse dans laquelle les conventions bilatérales comportent des clauses de délivrance des laissez-passer consulaires demeure très rare.

La diplomatie française gagnerait peut-être à renégocier sur le modèle de ces deux exemples les conventions conclues avec les États avec lesquels la France a organisé ses rapports en matière d’immigration. Mais ce n’est évidemment pas chose aisée : une telle négociation internationale ne constitue alors qu’un pion parmi d’autres sur l’échiquier des relations diplomatiques entretenues par la France et l’autre État qui peuvent être éminemment complexes… Néanmoins, une telle problématique a au moins le mérite de rappeler que l’éloignement des ressortissants étrangers – et plus largement, le droit des étrangers – présente fondamentalement un ressort diplomatique qui est souvent perdu de vue dans nos débats publics sur ce sujet.

Lexbase : Comment le juge administratif se positionne-t-il dans cette procédure de l'OQTF ?

Cédric Meurant : Le juge administratif est compétent pour connaître de la légalité des OQTF en vertu de la décision susmentionnée de 1989 [17]. Le contentieux des OQTF relève en l’état de l’excès de pouvoir. Néanmoins, les règles de son intervention sont infiniment complexes, ainsi que l’a souligné récemment le rapport préparé sous la direction du Président adjoint de la Section du contentieux du Conseil d’État, Jacques-Henri Stahl, à propos de l’ensemble du contentieux des étrangers [18]. Cela pose un problème évident pour des justiciables étrangers qui ne maîtrisent la plupart du temps pas la langue française ou les méandres procéduraux de la réglementation française, a fortiori lorsqu’ils sont donc une situation précaire. D’autant plus que ce trait de caractère du contentieux des étrangers est également dénoncé par des experts comme les juges et les avocats. D’où les propositions actuelles de réformer le contentieux des étrangers – y compris celui des mesures d’éloignement [19] – qui devraient au moins partiellement être reprises dans le projet de loi « immigration » qui devrait être discuté au Parlement en début d’année prochaine. 

Ainsi, les modalités de jugement d’une OQTF – la formation de jugement ; le délai de recours contentieux pour contester l’OQTF ; le délai de jugement – varient en fonction d’une série de paramètres qui tiennent tant aux motifs justifiant l’OQTF que de la présence d’éventuelles décisions administratives connexes. Tout d’abord – et cela concerne de nombreux contentieux –, les OQTF assorties d’un délai de départ volontaire et motivées par le refus de délivrer au ressortissant étranger un titre de séjour, de le renouveler, voire de le retirer, par le comportement menaçant du ressortissant étranger pour l’ordre public, ou encore par la violation du Code du travail par le ressortissant étranger qui a exercé une activité professionnelle, ne peuvent être contestées que dans un délai de recours contentieux de trente jours et sont jugées, après les conclusions du rapporteur public (qui peut néanmoins s’en dispenser : CJA, R. 732-1-1 N° Lexbase : L0864IYN), par une formation collégiale dans un délai de trois mois.

Ensuite, les OQTF assorties d’un délai de départ volontaire et fondées sur l’entrée et le maintien irréguliers du ressortissant étranger sur le territoire français, le séjour irrégulier du ressortissant étranger après une entrée régulière, ou le refus définitif de reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire sont, compte tenu de ces motifs, jugées plus rapidement que les précédentes et suivant des modalités procédurales allégées. Ainsi, ces OQTF sont examinées sans conclusions d’un rapporteur public, par un juge unique (le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin) qui doit être saisi dans un délai de quinze jours après la notification de la décision et qui doit statuer dans un délai de six semaines à compter de sa saisine (CESEDA, art. L. 614-5 N° Lexbase : L3645LZZ).

Enfin, les OQTF qui ne sont pas assorties d’un délai de départ volontaire doivent être jugées encore plus rapidement et suivant des formes encore plus allégées. Ainsi, un juge unique (le président du tribunal) peut être saisi dans un délai de quarante-huit heures après la notification de cette mesure (CESEDA, art. L. 614-6 N° Lexbase : L3646LZ3).

Les choses se compliquent encore davantage lorsque le ressortissant étranger fait, outre l’OQTF, l’objet d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention administrative. Dans cette hypothèse, et compte tenu de l’atteinte à la liberté individuelle du ressortissant étranger, le président du tribunal doit en tout état de cause être saisi dans un délai de quarante-huit heures et il doit ensuite statuer dans un délai de quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours (CESEDA, art. L. 614-7 N° Lexbase : L3647LZ4 et s.). Par ailleurs, le contentieux de la décision de placement en rétention relève, compte tenu de l’atteinte à la liberté individuelle du ressortissant étranger, de la compétence du juge judiciaire (article 66 de la Constitution N° Lexbase : L0895AHM), et plus précisément du juge des libertés et de la détention (CESEDA, art. L. 741-10 N° Lexbase : L3356LZC). Cela contribue naturellement à complexifier davantage le contentieux de l’éloignement.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] C’est-à-dire le préfet du département dans lequel le séjour irrégulier a été constaté : CAA Douai, 16 juin 2016, n° 16DA00635 N° Lexbase : A495173R.

[2] Par ex., à propos de l’expulsion d’un prétendant au trône royal français : CE, 2 août 1836, Naundorff, Lebon, p. 393.

[3] Cons. const., décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, N° Lexbase : A8203ACS, §. 17-31.

[4] C’est la première application de la célèbre décision « Conseil de la concurrence » : Cons. const., décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 N° Lexbase : A8153ACX, §. 15-23, GAJA n° 80.

[5] Pratique qui, d’ailleurs, a resurgi ces derniers mois. Sur la nature juridique de ces « invitations » : CE, Avis, 27 octobre 2022, n° 462766 N° Lexbase : A22168RI.

[6] CE, référé, 30 août 2022, n° 466554 N° Lexbase : A52988GC).

[7] CE, Sect., 19 avril 1991, n° 120435 N° Lexbase : A9896AQL, Lebon p. 148.

[8] CE, Avis, 4 juin 2012, n° 356505 N° Lexbase : A4065INU, Lebon T. p. 630.

[9] CE, Avis, 19 octobre 2007, n° 306821 N° Lexbase : A8000DYX, Lebon p. 426.

[10] A propos du débat relatif à l’application de l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne N° Lexbase : L8117ANX, comp. : CAA Lyon, 14 mars 2013, n° 12LY02704 N° Lexbase : A9253KAX, GAJAL, n° 3 ; CE, 4 juin 2014, n° 370515 N° Lexbase : A0202MQK, Lebon p. 152).

[11] Ce qui équivaut à un taux d’exécution de 9,3 % selon le rapport sénatorial de F.-N. Buffet, Services de l'Etat et immigration : retrouver sens et efficacité (n° 626), 10 mai 2022, p. 15.

[12] V. en dernier lieu s’agissant de ces derniers : H. Bronnenkant, Pour redonner du sens au contentieux des étrangers, AJDA, 2022 p. 454.

[13] J.-N. Buffet, Rapport préc., p. 16.

[14] CE, Ass., 2 juill. 1982, n° 25288 N° Lexbase : A1806ALH, Lebon, p. 257 ; CJA, art. L. 4 N° Lexbase : L2611ALB.

[15] C’est un principe général bien établi du droit international ; par ex. : art. 13, §. 2 DUDH ; art. 12 §. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; art. 3 du Protocole n° 4 CEDH.

[16] F.-N. Buffet, Rapport préc., p. 15.

[17] Cons. const., décision n° 89-261 DC du 22 juillet 1989, §. 17-31, préc.

[19] J.-H. Stahl, Rapport préc. ; F.-N. Buffet, Rapport préc.

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