La lettre juridique n°925 du 24 novembre 2022 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La créance née après l’adoption d’un plan, une créance « ni ni »

Réf. : Cass. com., 26 octobre 2022, n° 21-13.474, F-B N° Lexbase : A00928RT

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 28 Novembre 2022

Mots-clés : créance de restitution née de l’anéantissement d’une décision de condamnation du débiteur • fait générateur • arrêt de cassation infirmant la décision de condamnation • créance de droit commun • arrêt des mesures d’exécution frappant le créancier (non)

La créance de restitution résultant de l’anéantissement d’une décision de justice condamnant le débiteur au paiement naît de cet anéantissement. Si ce dernier intervient après l’adoption d’un plan, la créance qui en résulte est une créance de droit commun non soumise à la discipline collective. Le créancier peut en obtenir l’exécution.


 

En droit des entreprises en difficulté, il existait traditionnellement une summa divisio entre les créances. Les créances antérieures étaient soumises à la discipline collective : pour l’essentiel, arrêt des poursuites individuelles et des mesures d’exécution, interdiction des paiements et obligation de déclaration au passif. Les créances postérieures, quant à elles, devaient être payées à l’échéance et n’étaient donc pas soumises à la discipline collective.

Cette distinction existe toujours. Cependant, en 2005, le législateur (loi n° 2005-845, du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) a introduit un distinguo entre les créances postérieures : seules celles qui correspondent à une certaine finalité sont émancipées de la discipline collective, les autres, les créances postérieures non méritantes, sont soumises à la discipline collective. La summa divisio est donc aujourd’hui celles des créances postérieures méritantes et celles des autres créances.

Mais, pour être une créance postérieure au jugement d’ouverture, encore faut-il que la créance naisse à un moment précis. C’est ce que nous permet de comprendre l’arrêt commenté.

En l’espèce, un jugement du 9 septembre 2014 a condamné la société Delta security solutions (la société Delta) à payer à la société Avenir telecom la somme de 53 679,33 euros à titre de dommages et intérêts. Le 4 janvier 2016, la société Avenir telecom a été mise en redressement judiciaire.

Un arrêt d'appel du 25 octobre 2016 [1] a confirmé le jugement du 9 septembre 2014, sauf sur le montant de la condamnation, et condamné la société Delta à payer à la société Avenir telecom la somme principale de 434 412,22 euros. La société Delta, qui a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, a payé la somme de 389 927 euros entre les mains du mandataire judiciaire de la société Avenir telecom, le 15 décembre 2016. Le 10 juillet 2017, a été arrêté le plan de redressement de la société Avenir telecom sur dix ans.

Par un arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt précité du 25 octobre 2016 du chef de la condamnation de la société Delta. Sur le fondement de cet arrêt de cassation, la société Delta a délivré à la société Avenir telecom un commandement aux fins de saisie-vente, afin d'obtenir le paiement de la somme de 389 927 euros versée en exécution de l'arrêt cassé du 25 octobre 2016. La société Avenir telecom et son mandataire judiciaire ont assigné la société Delta en annulation de ce commandement, devant le juge de l'exécution.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si la créance de restitution résultant de la cassation de la décision de condamnation pouvait, après l’adoption du plan, faire l’objet d’une exécution.

La Cour de cassation, rejetant le pourvoi du débiteur et de son mandataire judiciaire, va répondre à la question par l’affirmative : « l'arrêt de cassation constitue une décision de justice faisant naître un droit à restitution de la somme versée en exécution de la décision cassée. Les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun. Lorsqu'est soumis à une procédure collective le débiteur d'une créance de restitution née d'un arrêt de cassation, la détermination de la date de naissance de cette créance dépend de la date de l'arrêt de cassation ». Par conséquent, juge la Cour de cassation, « la créance de restitution de la société Delta, née de l'arrêt de cassation du 14 février 2018, pouvait donner lieu à la délivrance du commandement aux fins de saisie-vente ».

Pour comprendre la solution, il convient de raisonner en trois temps.

Tout d’abord, il convient de déterminer le fait générateur de la créance de restitution née de la cassation d’une décision ayant condamné le débiteur au paiement. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que les créances de restitution résultant de la réformation d’une décision de justice sur le fondement de l’exécution provisoire de laquelle le paiement est intervenu ont pour fait générateur la décision de réformation [2]. À  titre d’exemple, il a été jugé que la créance de remboursement appartenant à un administrateur judiciaire condamné à titre personnel en responsabilité, si la décision de condamnation est réformée, prend naissance lors de la décision de réformation [3].

C’est cette solution que reproduit ici la Cour de cassation pour la créance de restitution naissant de la cassation de la décision de condamnation [4]. Par conséquent, la créance de restitution née de la cassation, postérieurement à l’adoption d’un plan de redressement, d’une décision ayant confirmé un jugement de condamnation, est une créance qui ne peut être qualifiée de créance antérieure.

Mais cette créance est-elle une créance postérieure au sens de l’article L. 622-17 du Code de commerce N° Lexbase : L9123L7Z ? Là se situe le deuxième temps du raisonnement. Certes, cette créance est née après le jugement d’ouverture. Mais, parce qu’elle est née après l’adoption du plan, sa date de naissance se situe après la fin de la procédure collective. Après adoption du plan de sauvegarde ou de redressement, le débiteur redevient maître de ses droits et biens : il est in bonis. Une fois le plan de sauvegarde ou de redressement adopté, le débiteur ne connaît plus les contraintes inhérentes à la procédure collective, sous la seule réserve de l’exécution du plan. Il s’ensuit que, par principe, les créances naissant après le plan n’ont plus la qualité de créances postérieures. La solution posée pour le plan de continuation de la loi du 25 janvier 1985 [5] est transposable aux plans de sauvegarde et de redressement de la loi de sauvegarde. Par conséquent, sa créance n’est pas née pendant la procédure collective et ne peut bénéficier de la qualification de créance postérieure. Il s’agit donc d’une créance de droit commun, une  créance « ni-ni », ni antérieure ni postérieure.

C’est alors le troisième temps du raisonnement. Puisque cette créance est une créance de droit commun, elle peut être recouvrée selon les voies du droit commun. Les règles de la discipline collective ne peuvent concerner des créances nées en dehors de toute procédure collective. Il en résulte que le créancier peut obtenir l’exécution du titre, à savoir la décision ayant cassé l’arrêt d’appel qui avait confirmé le jugement de condamnation. L’arrêt de cassation constitue donc le titre fondant la créance de restitution, titre qui peut être librement porté à exécution.

La solution est heureuse pour le créancier. Car, s’il avait eu la malchance d’obtenir la cassation de l’arrêt d’appel avant l’adoption du plan, en période d’observation, il aurait été titulaire d’une créance postérieure. Mais, faute pour celle-ci de remplir les conditions d’éligibilité au traitement préférentiel posées à l’article L. 622-17, cette créance aurait été soumise à la discipline collective. C’est en effet le triste sort réservé aux créances postérieures de restitution.

Terminons en faisant toutefois une dernière observation. Il existe une catégorie de créance qui a la qualité de créance postérieure au sens de l’article L. 622-17 du Code de commerce, alors que cette créance est née après l’adoption du plan. Il s’agit de la créance née pour les « besoins du déroulement de la procédure ». La naissance de cette créance peut dépasser le cadre strict de la période d’observation. Il en est ainsi, par exemple, des créances d’honoraires des mandataires de justice qui passent les actes nécessaires à l’exécution du plan, qui terminent la vérification du passif ou qui assurent la surveillance de l’exécution du plan. L’article L. 622-17 du Code de commerce vise d’ailleurs spécialement ces « créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure », sans les enfermer dans la limite de la période d’observation [6].

Sous cette réserve, bien heureux les titulaires de créances « ni-ni ». Le royaume de l’exécution est à eux !


[1]  CA Aix-en-Provence, 21 janvier 2021, n° 19/01604 N° Lexbase : A25354DA.

[2] Cass. com., 8 décembre 1998, n° 96-21.540, publié N° Lexbase : A2223A44, RJDA, 1999/2, p. 153, n° 193 – Cass. com., 21 janvier 2003, n° 00-12.372, F-D N° Lexbase : A7390A4H, Act. proc. coll., 2003/5, n° 54 ; Rev. proc. coll., 2003, p. 148, n° 9, obs. C. Saint-Alary-Houin ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, mais 2003, n° 61 N° Lexbase : N6213AAD.

[3] CA Paris, 5-8, 22 septembre 2009, n° 08/16042 N° Lexbase : A7019ELK.

[4] CA Paris, 16-A, 4 juin 2008, n° 07/07581 N° Lexbase : A2609D9I, Act. proc. coll., 2008/17, n° 264, Rev. proc. coll., 2009/5, p. 48, § 115, note C. Saint-Alary-Houin.

[5] Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-19.807, publié N° Lexbase : A4156AGZ, D., 1990. 385, note M. Jeantin ; RTD com., 1990, 497, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 1990, 232, n° 3, obs. C. Saint-Alary-Houin ; JCP E, 1990, II, 15829, note M. Cabrillac – TI Niort, 12 septembre 1994, Rev. proc. coll., 1995, 299, n° 2, obs. C. Saint-Alary-Houin.

[6] Partageant l’analyse, F. Macorig-Venier, in Traité des procédures collectives, sous la dir. de B. Soinne, M. Menjucq et B. Saintourens, LexisNexis, 3ème éd., 2021, n° 1615.

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