La lettre juridique n°925 du 24 novembre 2022 : Droit pénal de l'environnement

[Jurisprudence] Délit de pollution des eaux : qui peut et n’empêche, ne pèche pas toujours !

Réf. : Cass. crim., 6 septembre 2022, n° 21-81.708, F-D N° Lexbase : A61798HC

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N3324BZ7

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par Adeline Costes, Doctorante à l’Université de Bordeaux

le 25 Novembre 2022

Mots-clés : pollution • déchets • omission • responsabilité du fait personnel • interprétation stricte de la loi pénale

Le fait pour le propriétaire de ne pas prendre les mesures permettant de prévenir le dépôt de déchets sur son terrain ne constitue pas le délit de pollution prévu par l’article L. 216-6 alinéa 3 du Code de l’environnement qui exige un fait personnel d’abandon ou de jet de déchets.


 

Le propriétaire d’un terrain est poursuivi pour avoir jeté ou abandonné des déchets dans les eaux superficielles ou souterraines se trouvant sur ses parcelles, faits incriminés par l’article L. 216-6, alinéa 3 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7875K9K. Pour l’en déclarer coupable, la cour d’appel, après avoir relevé la présence des déchets sur le terrain du prévenu, énonce que le propriétaire ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant qu’il s’agit de dépôts sauvages sur lesquels il n’a aucune maitrise dès lors qu’il lui appartenait de prendre des dispositions afin de prévenir pareils dépôts.

Le prévenu forme alors un pourvoi en cassation au moyen tiré de la violation des articles 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) N° Lexbase : L4797AQQ, 111-4 du Code pénal N° Lexbase : L2255AMH et L. 216-6 du Code de l’environnement, la cour d’appel étant entrée en voie de condamnation à son encontre pour ne pas avoir pris des dispositions pour prévenir le dépôt de déchets sur ses terrains alors que l’incrimination fondant la condamnation réprime des actes positifs.

La Cour de cassation devait dès lors se prononcer sur l’application de l’article L. 216-6, alinéa 3 du Code de l’environnement à l’inaction du propriétaire sur le terrain duquel des déchets ont été déposés.

Elle juge, dans cet arrêt du 6 septembre 2022, au visa des articles 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC et L. 216-6 du Code de l’environnement, que la cour d’appel s’est déterminée « par des motifs ne caractéris[ant] pas à la charge du prévenu un fait personnel entrant dans les prévisions de la loi » de sorte que la cassation est encourue. La solution de la Cour rappelle une règle classique du droit pénal général : celui désigné auteur de l’infraction doit avoir commis personnellement (II.) le fait incriminé (I.).

I. Nécessité d’un fait incriminé

En énonçant que la cour d’appel n’avait pas caractérisé un fait « entrant dans les prévisions de la loi », la Cour de cassation indique que l’infraction de jet ou d’abandon de déchets ne peut consister dans le fait, pour le propriétaire d’un terrain, de ne pas prendre les mesures nécessaires pour éviter les dépôts de déchets sur son terrain. Pareille affirmation ne saurait être contestée. L’article L. 216-6, alinéa 3 du Code de l’environnement réprime en effet uniquement le jet ou l’abandon de déchets. Si de tels actes n’ont pas été définis par la jurisprudence et qu’il est difficile d’en dégager les traits au regard de la rareté des décisions rendues sur ce fondement, ils évoquent un acte positif : celui d’ « envoyer à quelque distance » [1], pour ce qui est du jet, ou de « renoncer à un pouvoir, à des droits, à la possession d'un bien ou à l'utilisation d'une chose » [2], s’agissant de l’abandon, ce qui évoque la définition retenue par le Code de l’environnement en matière de gestion des déchets [3]. Certes, la Chambre criminelle a jugé, pour ne pas transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 216-6 du Code de l’environnement, que ces dispositions étaient « suffisamment claires et précises pour permettre leur interprétation et leur sanction, qui relèvent de l'office du juge, sans que quiconque puisse être condamné pour une action ou une omission qui ne constituerait pas une infraction » [4] ; la discussion était cependant seulement relative à l’alinéa 1er de l’article L. 216-6. Or, contrairement à l’alinéa 1er qui réprime le fait de laisser s’écouler des substances nuisibles dans certaines eaux, l’alinéa 3 du même article n’incrimine pas le fait de laisser-faire [5]. Si l’alinéa 1er laisse envisager une omission punissable, ce n’est pas le cas de l’alinéa 3. L’inaction, le fait de ne pas empêcher le jet ou l’abandon de déchets, n’est donc pas répréhensible. N’est pas davantage réprimé tout fait en lien avec la situation illicite [6] que constitue la présence irrégulière de déchets : si tel avait été le cas, les éléments retenus par la cour d’appel, cette seule présence combinée à l’inaction du propriétaire, auraient été suffisants.

II. Nécessité d’un fait personnellement commis

Tout fait personnel en lien avec la présence illicite de déchets n’est donc pas incriminé par l’article L. 216-6 alinéa 3 du Code de l’environnement. Seuls le jet et l’abandon le sont, et ne peuvent être caractérisés par la seule inaction du propriétaire. La présence de déchets sur le terrain du propriétaire, constatée par la cour d’appel, a pu établir une partie de l’infraction : des déchets ont nécessairement été abandonnés ou jetés. Elle ne permet cependant pas d’établir que le propriétaire a commis le fait personnel spécifiquement incriminé, le jet ou l’abandon. Les éléments sur lesquels la cour d’appel s’est fondée sont donc insuffisants et ne permettent pas de retenir la constitution de l’infraction à l’encontre du propriétaire.

Jugeant de cette manière, la Chambre criminelle parait écarter, de manière fort classique, une forme de commission par omission : l’inaction du propriétaire ne saurait suppléer l’acte positif incriminé lorsque la loi ne le prévoit pas. La Cour de cassation n’a pas toujours été si rigoureuse en la matière [7]. Pourtant, la Chambre criminelle, alors que le pourvoi l’y invitait, ne rend pas sa décision au visa de l’article 111-4 du Code pénal relatif au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui supposait de reconnaître une violation de la loi, mais au regard de l’article 593 du Code de procédure pénale, traduisant le défaut de base légale. C’est que l’insuffisance des motifs ne permet pas à la Cour de cassation d’opérer son contrôle sur la qualification juridique des faits [8]. Reste à la cour d’appel de renvoi de trouver dans les faits les éléments suffisants permettant de caractériser le jet ou l’abandon des déchets par le propriétaire.

 

[1] TLFi, Vo Jeter, I. A [en ligne].

[2] TLFi, Vo abandonner, I. A. 1. a) [en ligne].

[3] C. env., art. L. 541-3, III N° Lexbase : L1473LWH : « tout acte tendant, sous le couvert d'une cession à titre gratuit ou onéreux, à soustraire son auteur aux prescriptions du chapitre I, du titre IV, du livre cinquième du code de l'environnement et des règlements pris pour son application. ».

[4] Cass. crim., 24 mars 2015, 14-81.897, F-D N° Lexbase : A6719NEL : J.-H.Robert, obs., RSC, 2015 p. 337.

[5] B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis, 27è éd., 2021, p. 234, note 3.

[6] J.-H. Robert, Droit pénal général, PUF, 6e éd., 2005, p. 207.

[7] V. not. Cass. crim., 3 juin 2015, n° 13-87.405, F-D N° Lexbase : A2221NKH : O. Decima, RPDP, 2015, p. 903 ; S. Detraz, note, Gaz. Pal., 2015, n° 223 p. 20 ; J.-H. Robert, obs. Dr. Pén., 2015, comm. 114.

[8] J. et L. Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz, coll. Dalloz Action, 4è éd., 2017, p. 317.

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