La lettre juridique n°920 du 13 octobre 2022 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La confidentialité de la conciliation, une exigence même entre les parties !

Réf. : Cass. com., 5 octobre 2022, n° 21-13.108, F-B N° Lexbase : A58878MY

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N2883BZS

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 12 Octobre 2022

Mots-clés : procédures préventives • procédure de conciliation  obligation de confidentialité  étendue  obligation entre les parties (oui)

L’obligation de confidentialité posée par l’article L. 611-15 du Code de commerce pour les personnes appelées à la conciliation n’est pas uniquement posée à l’égard des tiers ; elle s’impose également entre les parties.


 

L’obligation de confidentialité est une question en vogue. Les lecteurs se souviennent d’un arrêt de la cour d’appel de Versailles [1] commenté le mois dernier dans ces colonnes et ayant également pour centre d’intérêt cette question. Il est vrai que la confidentialité apparaît aujourd’hui comme un principe cardinal du droit de la prévention.

L’obligation de confidentialité est posée en lettres d’or à l’article L. 611-15 du Code de commerce N° Lexbase : L4119HB8, tant pour le mandat ad hoc que pour la conciliation, la Cour de cassation s’étant attachée à assurer la plus large portée à ce principe. On se souvient en effet d’un arrêt [2] ayant condamné des organes de presse pour manquement au principe de confidentialité, la Cour de cassation n’hésitant pas alors à dépasser la lettre de l’article L. 611-15 du Code de commerce, qui énonce que « Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ». Il suffit en effet d’en avoir connaissance, même si on n’y a pas été appelé ou que les fonctions de l’intéressé ne conduisent à cette connaissance [3]. C’est encore le leitmotiv de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 octobre 2022 d’assurer l’efficacité maximale de la confidentialité, dans le domaine de la conciliation, mais la solution peut naturellement être exportée dans celui du mandat ad hoc, l’article L. 611-15 du Code de commerce ayant une portée commune à cette mesure et à la procédure de conciliation.

Mandat ad hoc et conciliation reposent largement sur un socle contractuel. De là à dire que c’est l’affaire des parties, comme le contrat lui-même, il n’y a qu’un pas, que pourtant, farouchement, la Cour de cassation s’est refusée à franchir s’agissant de la problématique de la confidentialité.

Si le contenu de l’accord est l’affaire des parties, et des parties seulement, en revanche, la mécanique générale qui entoure la conciliation doit rester, au même titre que le contenu de l’accord, secrète. Il y va de l’efficacité du mandat ad hoc et de la conciliation.

Signalons cependant que l’obligation de confidentialité n’interdit nullement au débiteur de communiquer sur son état. Il en est spécialement ainsi à l’égard de partenaires contractuels ayant fait figurer dans leurs conditions contractuelles une obligation d’indiquer l’existence d’une procédure de conciliation. Le non-respect de cette information peut être une cause de résiliation du contrat ou, en matière bancaire, de rupture des concours, pour manquement à l’obligation contractuelle de sincérité. La rupture des concours ne peut donc être considérée comme abusive et est donc exclusive de responsabilité du banquier, du fait du comportement gravement répréhensible du partenaire contractuel [4].

À la vérité, la lettre de l’article L. 611-15 ne commandait pas d’inclure dans la liste des personnes tenues par l’obligation de confidentialité le débiteur, qui n’est pas une personne appelée à la conciliation, ni une personne ayant connaissance par ses fonctions de la conciliation ou du mandat ad hoc [5].

Au-delà de la simple lettre des textes visés dans l’arrêt, c’est sans doute à cette efficacité que la Cour de cassation a pensé en posant, dans l’espèce commentée, une solution de principe, qui explique que l’arrêt soit soumis à une publicité au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

En l’espèce, une banque a consenti à la Société de distribution une ouverture de crédit de 350 000 euros et un prêt de 800 000 euros, dont son dirigeant, M. N., s'est rendu caution solidaire. La Société de distribution ayant rencontré des difficultés financières, une procédure de conciliation a été ouverte et un protocole de conciliation du 28 avril 2008 a été homologué. À cette occasion, M. N. a contracté de nouveaux engagements de cautionnement solidaire au profit de la banque.

L'accord de conciliation n'a pas été exécuté jusqu'à son terme et, après l'échec d'une nouvelle procédure de conciliation, la Société de distribution a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 18 janvier 2012, cette procédure collective étant convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 9 janvier 2013.

Après avoir déclaré sa créance qui a été admise, la banque a assigné, le 10 janvier 2014, M. N., la caution, en paiement. Celui-ci a alors formé des demandes reconventionnelles tendant à la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts d'un montant équivalent aux sommes réclamées au titre des cautionnements et à la compensation de leurs dettes respectives, en invoquant un comportement fautif de la banque à l'occasion de la nouvelle procédure de conciliation. Il s’est fondé sur des pièces, notamment un mail de la banque adressé au conciliateur, pour rechercher la responsabilité de la banque. Le pouvait-il ?

Pour répondre à cette interrogation, il faut de façon plus générale répondre à la question de savoir si une partie à la procédure de conciliation peut utiliser des documents transmis par une autre, dans le cadre de la conciliation, à l’occasion d’une procédure ultérieure. C’est ce que pensait la caution en distinguant l’utilisation de documents de la conciliation faite par une partie contre un tiers, qui est illicite, et l’utilisation de documents faite par une partie contre une autre partie à la conciliation, qui selon la caution, serait licite, ce qui l’a amenée à contester la décision de la cour d’appel.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi de la caution, en énonçant qu’il « résulte de l'article L. 611-15 du Code de commerce que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité. Le moyen, qui postule que cette obligation ne s'applique qu'à l'égard des tiers et non entre les parties à la procédure et que M. [N], gérant de la Société […], était fondé à opposer à la banque le contenu de leurs échanges pour rechercher sa responsabilité, manque en droit ».

Ainsi, par cet arrêt, Cour de cassation pose-t-elle en règle que l’obligation de confidentialité s’impose entre les parties à la procédure de conciliation ; elle ne s’impose pas seulement à l’égard des tiers.

La lecture de l’arrêt laisserait, a priori, penser que l’adage selon lequel là où la loi ne distingue pas l’interprète n’a pas à distinguer (Ubi lex…) suffit à justifier la solution, puisqu’effectivement la lettre de l’article L. 611-15 soumettant à l’obligation de confidentialité les « personnes appelées à la conciliation » ne distingue pas selon qu’il est question de respecter le principe de confidentialité à l’égard des tiers, ou à entre les parties.

Mais au-delà de la lettre des textes, l’esprit de ces procédures préventives et le climat qui les entoure conduisent à la même solution.

En interdisant aux parties de communiquer à l’égard des tiers sur la conciliation ou le mandat ad hoc, l’obligation de confidentialité a, d’une part, pour objet d’éviter des fuites préjudiciables à l’image du débiteur, à son crédit, et, d’autre part, tend à empêcher que soient divulguées les pratiques des créanciers, et spécialement la politique de remise de dettes et de délais des créanciers institutionnels, au premier rang desquels figurent les établissements de crédit, pratiques dont pourraient ensuite s’emparer d’autres débiteurs désireux d’obtenir des avantages identiques.   

En interdisant aux parties d’utiliser les unes contre les autres des pièces de la conciliation, cela permet d’éviter que la prévention ne soit l’antichambre de procédures contentieuses, si la prévention échoue et que s’ouvre ensuite une procédure collective. Il ne faut pas que la confiance, témoignée par les acteurs les uns envers les autres, condition nécessaire à la recherche d’un accord global, et qui conduit nécessairement à la communication de documents et à des échanges laissant des traces, se retourne ensuite contre ces acteurs ayant joué le jeu de la transparence.

Le plus souvent, comme en l’espèce, celui qui aura généralement intérêt à l’utilisation de ces pièces sera le dirigeant social caution, qui aura tôt fait de désigner le coupable de son échec. C’était le cas en l’espèce.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’aborder la question de l’obligation de confidentialité que cherchait à écarter une caution. Elle a jugé que, du fait de cette obligation de confidentialité, un mandataire ad hoc ne peut délivrer une attestation à la société débitrice ainsi qu’à sa caution, afin de rapporter la preuve que la banque qui avait refusé de donner son accord s’était opposée à tort au moratoire proposé par le mandataire ad hoc pour apurer son passif. C’est à bon droit, énonce la Cour de cassation, qu’une cour d’appel écarte des débats « l’attestation remise à la caution de la société débitrice par le mandataire ad hoc de celle-ci, dans laquelle, au mépris de l’obligation de confidentialité qui le liait en application de l’article L. 611-15 du Code de commerce, il stigmatisait l’attitude de la banque lors des négociations » [6]. Il importe d’observer que le mandataire ad hoc, comme le conciliateur, sont des personnes ayant, par leurs fonctions, connaissance du mandat ad hoc ou de la conciliation [7].

On terminera en indiquant que la caution ne peut obtenir de la juridiction la levée de l’obligation e confidentialité, cette levée étant réservée au ministère public et à la juridiction, elle-même, et seulement dans le cadre de l’ouverture d’une procédure collective subséquente. Il n’existe en effet, qu’une seule disposition, dans la partie législative du livre VI du Code de commerce, qui s’intéresse à la question de levée de la confidentialité : l’article L. 621-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9117L7S. Selon l’alinéa 5 de cette disposition, « L'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard d'un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent doit être examinée en présence du ministère public, à moins qu'il ne s'agisse de patrimoines distincts d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée ». L’alinéa 6 ajoute que, « Dans ce cas, le tribunal peut, d'office ou à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc ou à la conciliation, nonobstant les dispositions de l'article L. 611-15 ». Pour sa part, l’article R. 611-44 du Code de commerce N° Lexbase : L0661L8Y prévoit la communication de l’accord à l’autorité judiciaire « en application de l’article L. 621-1 », c’est-à-dire lorsque le tribunal statue sur l’ouverture d’une sauvegarde, mais aussi, puisque l’article L. 621-1 est applicable en redressement et en liquidation judiciaires, lorsqu’il s’agit de statuer sur l’ouverture de l’une de ces deux procédures [8]. La levée de la confidentialité du contenu de l’accord n’intervient que dans ce cas précis [9] et c’est pourquoi elle ne peut être décidée une fois la procédure ouverte [10].

On le voit, ce qui entoure la conciliation doit rester un secret bien gardé. C’est une condition d’efficacité de cette procédure préventive, qui doit inspirer confiance à tous, et ne jamais être la source du moindre début de répulsion, sauf à rendre cette procédure, qui repose sur le bon vouloir de chacun, totalement illusoire.

 

[1] CA Versailles, 13ème ch., 24 mai 2022, n° 21/07444 N° Lexbase : A07467YB, P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, septembre 2022, n° 728 N° Lexbase : N2614BZT.  

[2] Cass. com., 15 décembre 2015, n° 14-11.500, FS-P+B+I N° Lexbase : A3643NZX, D., 2016, actu 5, note A. Lienhard ; JCP E, 2016, 1085, note Th. Stefania ; Rev. proc. coll., 2016, comm. 1, note Ch. Delattre ; Rev. sociétés, 2016, 193, note Ph. Roussel Galle ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2016, 92, note S. Doray ; RTD com., 2016, 191, n° 2, note F. Macorig-Venier ; LPA, 7 juin 2016, n° 113, p. 11, note B. Freleteau ; Ch. Lebel, Lexbase Affaires, janvier 2016, n° 451 N° Lexbase : N1012BWE.

[3] C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsèrié-Bon, Prévention et traitement amiable des difficultés des entreprises, LGDJ, 2018, n° 382.

[4] Cass. com., 7 février 2012, n° 10-28.815, F-D N° Lexbase : A3503ICQ, Rev. proc. coll., 2012, comm. 177, note Ch. Delattre.

[5] V. a priori en ce sens, C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsèrié-Bon, Prévention et traitement amiable des difficultés des entreprises, préc., spéc. n° 481.

[6] Cass. com., 22 septembre 2015, n° 14-17.377, F-P+B N° Lexbase : A8343NPP, P.-M. Le Corre, in Chron, Lexbase Affaires, octobre 2015, n° 440 N° Lexbase : N9418BUD.

[7] C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsèrié-Bon, Prévention et traitement amiable des difficultés des entreprises, préc., spéc. n° 483.

[8] Illustr. : T. com. Quimper, 1er juin 2012, n° 2012/004764, Rev. proc. coll., 2012, comm. 178, note Ch. Delattre.

[9] M. Koehl., La négociation en droit des entreprises en difficulté, thèse Paris Nanterre, 2019, n° 26.

[10] CA Versailles, 13ème ch., 24 mai 2022, n° 21/07444, préc. et les obs. préc.

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