La lettre juridique n°920 du 13 octobre 2022 : Propriété intellectuelle

[Brèves] Non-respect d’une licence de logiciel : la Cour de cassation consacre la possibilité d’agir en contrefaçon

Réf. : Cass. civ. 1, 5 octobre 2022, n° 21-15.386, FS-B N° Lexbase : A58928M8

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par Vincent Téchené

le 12 Octobre 2022

► Le titulaire de droits d’auteur portant sur un programme d’ordinateur peut agir en contrefaçon contre son cocontractant en cas de violation d'une clause du contrat de licence.

Faits et procédure. Une société (la titulaire des droits) a conçu un logiciel permettant la mise en place d'un système d'authentification unique, qu'elle diffuse sous licence libre ou sous licence commerciale en contrepartie du paiement de redevances à son profit.

À la suite d'un appel d'offres de l'État pour la réalisation d'un portail internet, Orange a fourni une solution informatique au moyen d'une plate-forme logicielle intégrant le logiciel.

Estimant que cette mise à disposition de son logiciel n'était pas conforme aux clauses de la licence libre et qu'elle constituait un acte de concurrence déloyale, la société titulaire des droits, après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon au siège de la société Orange, a assigné celle-ci en contrefaçon de droits d'auteur et parasitisme.

La cour d’appel (CA Paris, 5-2, 19 mars 2021, n° 19/17493 N° Lexbase : A74524LL, C. Le Goffic, Lexabase Affaires,  avril 2021, n° 672 N° Lexbase : N7087BY7) ayant rejeté les demandes de la titulaire des droits au titre de la contrefaçon de droits d’auteur mais accueilli celles fondées sur le parasitisme, cette dernière a formé un pourvoi en cassation, tandis que la société Orange a formé un pourvoi incident.

Décision. Seule retiendra ici notre attention la réponse de la Cour de cassation sur le pourvoi principal, c’est-à-dire sur la question de savoir si le titulaire de droits d’auteur portant sur un programme d’ordinateur peut agir en contrefaçon ou si, comme l’avait jugé la cour d’appel, seule une action en responsabilité contractuelle est possible.

C’est la première option que consacre la Haute juridiction, censurant l’arrêt d’appel au visa de l'article L. 335-3, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3557IEH, les articles 7 et 13 de la Directive n° 2004/48/CE, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle N° Lexbase : L2091DY4 et l'article 1er de la Directive n° 2009/24/CE, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur N° Lexbase : L1676IES.

Après avoir rappelé la teneur de ces textes, la Cour de cassation relève que la CJUE a dit pour droit que « la Directive [n° 2004/48] et la Directive [n° 2009/24] doivent être interprétées en ce sens que la violation d'une clause d'un contrat de licence d'un programme d'ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d'auteur de ce programme, relève de la notion d'"atteinte aux droits de propriété intellectuelle", au sens de la Directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national » (CJUE, 18 décembre 2019, aff. C-666/18 N° Lexbase : A4336Z84).

La Cour poursuit en énonçant que si, selon l'article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016, en cas d'inexécution de ses obligations nées du contrat, le débiteur peut être condamné à des dommages et intérêts, ceux-ci ne peuvent, en principe, excéder ce qui était prévisible ou ce que les parties ont prévu conventionnellement. Par ailleurs, il résulte de l'article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 que les mesures d'instruction légalement admissibles ne permettent pas la saisie réelle des marchandises arguées de contrefaçon ni celle des matériels et instruments utilisés pour les produire ou les distribuer.
La Cour en déduit que, dans le cas d'une d'atteinte portée à ses droits d'auteur, le titulaire, ne bénéficiant pas des garanties prévues aux articles 7 et 13 de la Directive n° 2004/48 s'il agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle, est recevable à agir en contrefaçon.

Or, pour déclarer irrecevables les demandes en contrefaçon de droits d'auteur au titre de la violation du contrat de licence liant les parties, l'arrêt d’appel a retenu que la CJUE ne met pas en cause le principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et il en déduit que, lorsque le fait générateur d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d'un manquement contractuel, seule une action en responsabilité contractuelle est recevable.
Dès lors, en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés.

Observations. L’arrêt de la cour d’appel avait fait l’objet de vives critiques, certains appelant alors de leurs vœux que celui-ci fasse l’objet d’un pourvoi et que la Cour de cassation saisisse l’occasion d’abandonner le principe de non-cumul des responsabilités en cas de contrefaçon commise par un licencié (v. C. Le Goffic, Lexbase Affaires, préc.). C’est donc chose faite avec l’arrêt rapporté.

La solution retenue par la cour d’appel se révélait en effet critiquable pour deux raisons essentielles.

D’une part, elle était difficilement praticable. En effet, il est souvent très difficile de tracer la ligne de départ entre les prérogatives légales des titulaires de droits de propriété intellectuelle et leurs prérogatives contractuelles, dès lors que les contrats précisent les contours du droit d’usage concédé.

D’autre part, la solution était inopportune en ce qu’elle aboutissait à ce que le contrefacteur licencié soit traité avec plus de bienveillance que le contrefacteur tiers, compte tenu du régime a priori plus favorable pour le défendeur qu’est la responsabilité contractuelle.

Enfin, on relèvera qu’un jugement du tribunal judiciaire de Paris avait déjà pris le contrepied de l’arrêt de la cour d’appel de Paris en condamnant pour contrefaçon un licencié de logiciel qui avait dépassé les limites de la licence (TJ Paris, 3e ch., 6 juillet 2021, n° 18/01602 N° Lexbase : A264744S, C. Le Goffic, septembre 2021, n° 689 N° Lexbase : N8844BY9).

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