Lexbase Public n°625 du 6 mai 2021 : Contrats administratifs

[Actes de colloques] Les contrats publics à l'épreuve de la crise sanitaire - L'impact de la crise sanitaire sur les occupations du domaine public

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par Christian Baillon-Passe, Avocat au barreau de Marseille

le 04 Mai 2021

La crise du covid-19 offre un écho singulier et puissant à la problématique évoquée par Madame La Professeure Françoise Thibault dans les Mélanges Jean-François Lachaume. C’était en 2007. Elle interrogeait : « Quelle peut- être la mesure d’évolution du droit administratif français ? » 1.

Loin de moi l’ambition de répondre à cette question vertigineuse. Néanmoins l’expérience vécue depuis mars 2020 éclaire cet enjeu récurrent du droit administratif, et du droit public en général.

À l’heure où il est de mode de critiquer la décision publique, la gestion des occupations du domaine public depuis mars 2020 offre un exemple de la capacité d’adaptation des décideurs publics et de la souplesse qui finalement est offerte par le système administratif français. Au prix de quelques accommodements pragmatiques et aussi faut- il le dire d’un certain courage juridique de la part des décideurs.

Quelques rappels permettront de mesurer la faculté d’adaptation du système.

1 - L’occupation du domaine public est, sauf exceptions, consentie à titre onéreux. C’est l’article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L9594LDP) qui le prévoit 2.

2 - L’occupation du domaine public est temporaire voire précaire.

3 - L’occupation du domaine public est encadrée soit par la délivrance d’autorisations (acte unilatéral) soit par des conventions d’occupation du domaine public (procédé contractuel) 3.

Le contexte du covid-19 a fourni l’occasion, plutôt spectaculaire, de mettre à mal quelques un de ces sacrés principes pour ne pas dire ces principes sacrés.

Que s’est- il passé ? Comment la gestion et l’utilisation du domaine public ont – elles été impactées ? Au prix de quelles questions et de quels enjeux ? La situation née du covid-19 ouvre-t-elle de nouvelles perspectives dans la manière, une fois que tout sera revenu à l’état normal, de gérer désormais ces occupations ?

Essayons de répondre à ces questions avec à la fois des considérations nationales et des éléments d’information plus locale au vu de la pratique qui s’est jouée à Marseille.

I. L’assouplissement dans les conditions matérielles d’occupation du domaine public en temps de crise

Comme on le sait, la mesure la plus spectaculaire a été de permettre l’extension des surfaces d’occupation du domaine public aux titulaires d’autorisation. Cela va des bars et restaurants a tous les exploitants du domaine public, type Vélib ou autres.

La question se pose de savoir de quelle manière juridiquement on a acté ces modifications.

L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5734LWB), ne vise que les contrats de commande publique et donc, en application de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 (N° Lexbase : L8339LD9), aussi les contrats d’occupation du domaine public.

A contrario, cette ordonnance ne concerne donc pas les actes unilatéraux d’occupation (permis de stationnement, permissions de voirie) et on le verra tout à l’heure, à ce titre, les titulaires de telles autorisations n’ont pas droit, en vertu de ce texte, à l’exonération du paiement de leurs redevances d’occupation.

L’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L7287LWS), a apporté des compléments et a abordé quant à elle de front la question des occupants du domaine public. J’y reviendrai.

Ainsi, le sort des occupants du domaine public n’a pas été sacrifié. D’autant que c’est au niveau local que les choses se sont d’abord jouées. Et le pragmatisme l’a largement emporté.

À Marseille par exemple, cela a été géré de façon très souple. Comment cela s’est-il passé ?

Il faut savoir qu’en plus de la soudaineté de la pandémie et des mesures à prendre, il y avait un autre problème qui rendait les décisions compliquées. Je rappelle qu’on est au lendemain des élections municipales. Avec les changements d’équipe, de délégations, le tout on s’en souvient dans un contexte ou l’équipe nouvelle a du mal - tractations, etc - à se mettre en place.

Dans ce contexte strictement impossible d’envisager de modifier les autorisations et les conventions en cours par avenant.

Les choses se sont en conséquence déroulées d’une manière souple.

Un courrier circulaire, simple et non AR, a été adressé aux occupants du domaine public pour leur indiquer qu’ils ont l’autorisation de s’installer - au vu des conditions de distanciation sociale - au- delà des limites qui leur sont consenties par les autorisations ou conventions.

Sans préciser la surface disponible. Cela eut été impossible.

Alors l’idée de la commune de Marseille et de ses services a été de se dire que les restaurateurs, les bars etc.. géreraient celà au mieux en tenant compte toutefois d’un impératif : il appartenait aux occupants de ne pas créer de « conflits d’usage » sur le domaine public.

La souplesse a donc eu comme contrepartie, pour rendre le système acceptable par tous, la responsabilisation des occupants. Cela plutôt bien fonctionné et c’est peut- être ce côté pragmatique qu’il faudra retenir. Ce mode de décision publique, fait de bon sens et de souplesse, ne manque ni d’efficacité ni d’un certain charme en ce qu’il déstabilise les modèles établis.

II. L’allègement des conditions financières de l’occupation du domaine public en temps de crise

A situation exceptionnelle, réponses exceptionnelles.

On rappelle que la plupart du temps aucune clause de suspension de redevance n’existe dans un contrat d’occupation du domaine public, sauf dans des montages sophistiqués où la convention est l’accessoire d’autres contrats. A fortiori, rien de ce genre dans les autorisations unilatérales.

A - La suspension et l’annulation du paiement des redevances

Du côté de l’Etat :

1 - on rappelle qu’il a notamment annulé pour 3 mois à compter du 12 mars 2020 les redevances et produits dus au titre de l’occupation du domaine public par les petites et moyennes entreprises des secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, du sport , de la culture et de l’évènementiel ;

2 - il y a eu aussi l’ordonnance du 25 mars 2020 qui a prévu la suspension du paiement des redevances.

L’ordonnance du 25 mars ayant immédiatement révélé ses limites :

- elle ne précise pas si cette suspension est de droit ou si elle doit être demandée et acceptée expréssement par l’autorité gestionnaire . Par sécurité on a pu conseiller de faire des lettres en ce sens ;

- par ailleurs, les entreprises qui s’acquittent annuellement de la redevance n’ont pu bénéficier de cette supension

3 - Durant la période de confinement, il a été demandé aux services de ne pas émettre les avis des paiements relatifs aux redevances domaniales pour les titres qui devaient être émis durant cette période.

Une autre voie aurait pu être envisagée en étalant les paiements, solution qui relève de la compétence des comptables et non de celle des ordonnateurs.

4 - Il y a eu l’ordonnance du 22 avril 2020 est venue modifier celle du 25 mars 2020 en y ajoutant un 7° ainsi rédigé :

« Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er (NDLR : soit au 24 juillet 2020). A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».

Là encore, au pied de la lettre, ne sont concernés que les contrats d’occupation. Pas les autorisations unilatérales.

Les redevances restant dues puisque simplement suspendues.

L’État a imaginé alors l’option consistant à un aménagement des paiements de la redevance, qui relève des comptables et non des ordonnateurs, qui permet de lisser le paiement des redevances, mais implique pour le comptable d'examiner au cas par cas la situation de chacun des exploitants et de prendre des décisions au vu des justifications apportées quant aux difficultés de paiement rencontrées. Solution trop compliquée.

L’État a voulu ensuite aller plus loin.

La seule solution juridique pour permettre à l’État et ses établissements publics qui disposent d'une autonomie juridique de pouvoir renoncer à une recette, étant la loi de finances.

D’où la loi de finances rectificatives pour 2020 en date du 30 juillet 2020 (loi n° 2020-935 N° Lexbase : L7971LXI) qui a prévu dans son article 1 que  « les redevances et les produits de location dus au titre de l'occupation ou de l'utilisation du domaine public de l'Etat et de ses établissements publics par les entreprises appartenant à la catégorie des micro, petites et moyennes entreprises, au sens de l'annexe I au Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité, qui exercent leur activité principale dans les secteurs relevant du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration, du sport, de la culture et de l'événementiel, particulièrement affectés par les conséquences économiques et financières de la propagation de l'épidémie de covid-19, sont annulés pendant une période de trois mois à compter du 12 mars 2020. Lorsque la redevance ou le loyer est dû pour une période annuelle, l'annulation porte sur le quart de son montant.

II. Le bénéfice de l'annulation est subordonné au respect du règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis ».

Cette mesure va donc au-delà de la simple suspension du paiement des redevances domaniales, prévue par l'ordonnance du 22 avril 2020.

Les PME visées par ce texte étant celles :

- qui emploient moins de 250 personnes ;

- et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros.

Du coté des collectivités territoriales, chacun y est allé aussi de son pouvoir de décision. Les illustrations sont multiples.

Á Marseille, la commune a non seulement pas envisagé d’augmenter les redevances d’occupation alors que les surfaces occupées ont été étendues (ce qui est logique car vu les contraintes de distanciation ce n’est pas pour autant que les occupants avaient plus de clients) mais elle a renoncé par avance à percevoir les redevances et des indemnités d’occupation.

Elle a aussi renoncé à percevoir la taxe locale sur la publicité extérieure 4.

Il faut rappeler que l’ordonnance 2020-460 du 22 avril 2020,en son article 16, a prévu que « par dérogation aux articles L. 2333-8 et L. 2333-10 du Code général des collectivités territoriales ainsi qu'au paragraphe A de l'article L. 2333-9 du même code, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et la métropole de Lyon ayant choisi d'instaurer une taxe locale sur la publicité extérieure avant le 1er juillet 2019 peuvent, par une délibération prise avant le 1er septembre 2020, adopter un abattement compris entre 10 % et 100 % applicable au montant de cette taxe due par chaque redevable au titre de l'année 2020. Le taux de cet abattement doit être identique pour tous les redevables d'une même commune, d'un même établissement public de coopération intercommunale ou de la métropole de Lyon ».

Tout cela à Marseille s’est fait via une première délibération du 27 juillet 2020, qui a prévu un système à deux temps :

- 1er temps : On est à la sortie du confinement. On exonère des redevances d’occupation et taxe sur la publicité extérieure tous les commerces pendant une période de 3 mois (2 mois de confinement + 1 mois de relance de l’activité) 5 ;

- 2ème temps : nouvelle exonération pendant 1 mois pendant la fermeture.

Une autre délibération, du 5 octobre 2020, n’a concerné cette fois que la redevance d’occupation du domaine public (la taxe sur la publicité extérieure n’est plus concernée) et que les établissements concernés par l’arrêté préfectoral du 27 septembre 2020 ( restaurants, bars ) , celui - là même qui a fait l’objet d’un recours contentieux et donné lieu au jugement du tribunal administratif de Marseille l’ayant rejeté (TA Marseille, 30 septembre 2020, n° 2007302 N° Lexbase : A78123WA).

Ailleurs qu’à Marseille les mêmes solutions ont pu être prises.

Il faudra pour chaque collectivité chiffrer quand même le manque à gagner.

Au vu de mes investigations et sans que cela puisse valoir de chiffres officiels on peut avoir une idée de grandeur pour la ville de Marseille :

- 1 500 000 euros : coût de la première délibération du 27 juillet 2020 ;

- 100 000 euros : coût de la deuxième délibération du 5 octobre 2020.

B - La régularisation des situations

L'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 a posé que « Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er. A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires. »

Quelle est la portée précise de cette disposition ?

1 - Elle n’ouvre qu’une « faculté » de modification. Qui sera à l’appréciation des parties au contrat. Et non pas seulement nous semble-t-il à celle seule de la personne publique.

2 - Sur quoi portera l’avenant ?

- Uniquement sur la question du montant de la redevance ?

- Ou sur la totalité du contrat ?

Je penche pour ma part pour la seconde hypothèse.

III. De quelques questions en suspens ?

A - La question des aides d’Etat

Dès l’annonce des mesures visant à exonérer les occupants du domaine public du paiement des redevances il n’était pas illégitime de s’interroger sur la question de savoir si ces dispositifs ne constituaient pas des aides d’État au sens de la législation et de la jurisprudence de l’Union Européenne.

Il n’est hélas pas le temps de rappeler ici dans le détail le régime des aides d’État, rappelant simplement qu’aux termes de la jurisprudence constante de la CJUE cette qualification au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (N° Lexbase : L2404IPQ), requiert que quatre conditions soient remplies :

- il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ;

- cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres ;

- elle doit accorder un avantage sélectif à l’entreprise bénéficiaire ;

- elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, en ce sens, CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-659/17, Azienda Napoletana Mobilità N° Lexbase : A7374ZKC, point n° 20) 6.

L’intérêt de cette question fait d’autant moins de doute que précisément la Commission européenne s’est emparée du sujet.

La Commission européenne a ainsi face à la covid-19 décidé d’assouplir les règles et la procédure relatives aux aides d'État

Elle a ainsi publié, le 19 mars 2020, un « encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de covid-19 ».

Cette communication décrit notamment les possibilités offertes par les règles de l'Union aux États membres pour les aides dont l'objectif est de remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre.

Á noter que les mesures de financement des entreprises font l'objet d'une notification et d'une autorisation préalable de la Commission, mais leur champ de compatibilité est élargi et leur traitement accéléré.

Sont visées :

- les mesures de recapitalisation et de dette subordonnée afin de soutenir davantage l'économie dans le contexte de la pandémie de coronavirus ;

- les mesures de soutien aux micro et petites entreprises et aux jeunes pousses et encourager les investissements privés ;

- les mesures de soutien des entreprises confrontées à des pertes de chiffre d'affaires importantes.

Les autorités françaises ont ainsi notifié à la Commission plusieurs régimes temporaires, par exemple :

- le dispositif d'activité partielle ;

- le moratoire sur le paiement de taxes aéronautiques en faveur des entreprises de transport public aérien ;

- le régime d'aides sous la forme de prêts publics subordonnés ;

- la garantie de l’État en soutien à l’assurance-crédit ;

On rappele que la loi de finances rectificatives pour 2020 en date du 20 juillet 2020 a prévu dans son article 1 que « Les redevances et les produits de location dus au titre de l'occupation ou de l'utilisation du domaine public de l'Etat et de ses établissements publics par les entreprises appartenant à la catégorie des micro, petites et moyennes entreprises, au sens de l'annexe I au Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 sont annulés pendant une période de trois mois à compter du 12 mars 2020 mais que le bénéfice de l'annulation est subordonné au respect du Règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013, relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis ».

On ne voit pas la Commission demain, vu le contexte, s’emparer des difficultés éventuelles mais la question demeure. Je vous laisse y réfléchir notamment au regard du très récent arrêt de la CJUE du 17 septembre 2020 « Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation c/ Compagnies de pêches de Saint- Malo » (CJUE, aff. C-212/19 N° Lexbase : A88233TX) dans laquelle la CJUE a jugé qu’un allègement de cotisations salariales n’est pas une aide d’État.

B - La question de la responsabilité

Au- delà de la question de l’exonération des redevances d’occupation (phase 1) ou de la suspension de leur paiement (phase 2), se pose potentiellement la question des responsabilités.

Les titulaires d’autorisations du domaine public avaient vocation à exploiter les terrasses, les trottoirs occupés par leurs installations.

Indépendamment de la question des redevances, se pose donc la question des pertes d’exploitation et du chiffre d’affaires au vu des fermetures administratives qui leur sont imposées.

Nul doute que des procédures seront engagées en demande de réparation des préjudices ainsi subis par les exploitants.

Il me semble qu’il sera difficile pour les personnes publiques d’arguer du fait que les occupants du domaine public, surtout ceux qui sont titulaires de conventions, ayant bénéficié d’exonérations ou de la suspension du paiement, ne seraient pas recevables à agir en indemnisation du fait du non- respect du contrat ou de l’impossibilité de bénéficier du contrat en vertu des décisions administratives (Gouvernement, préfets).

Les contentieux risquent, selon la manière dont ils vont être noués, de poser des questions plutôt inédites et le paysage de l’exécution du contrat risque bien d’être bouleversé. A suivre donc avec intérêt.

Ce qui me conduit à ma conclusion.

Conclusion : Vers un nouveau droit de l’occupation du domaine public ?

Que nous enseigne cet épisode ?

1 - Qu’il faut intégrer la vie et le fonctionnement du contrat administratif dans la société du risque. Se dire enfin que le risque n’est plus exceptionnel, ni dans ses survenances, ni dans ses effets, ni dans sa durée.

2 - Et fait se poser la question : que peut- on imaginer demain ? Peut- être de concevoir un « nouveau contrat administratif.. » ?

Avec par exemple l’apparition d’un nouveau droit ? : celui de modifier le contrat administratif autrement que ce qui est permis à ce jour ( pouvoir de modification unilatérale par la personne publique).

L'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, je le rappelle a posé que « Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er. A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».

Comme je l’ai déjà dit cette forme d’écriture ouvre - potentiellement - un « droit » de demander la révision du contrat (ensuite on appréciera s’il y a ou pas matière à le modifier). Le juge j’en suis certain aura vocation bientôt à se prononcer sur l’existence de ce « droit » ou pas.

Par ailleurs, certes ce texte est destiné à ne s’appliquer que de façon exceptionnelle à la situation et aux conséquences de la covid-19. Toutefois, cela invite à réfléchir et peut- être se dire que les circonstances exceptionnelles sont l’occasion de repenser le droit du contrat public hors circonstances exceptionnelles. Un contrat plus équilibré, plus conforme à la réalité du terrain, moins « régalien », un contrat que les deux parties peuvent à tout moment rediscuté (avec les clauses à cet effet qui doivent alors être intégrées dans le contrat), un contrat qui dans le sillage de la jurisprudence « Béziers 1 » (CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802 N° Lexbase : A0493EQC) continuerait ainsi sa mue…

Jusqu’où cependant ? J’entends l’objection : si on vide le contrat administratif de sa substance et de son particularisme, où va alors le droit administratif ? En 2007 toujours dans les Mélanges Jean -François Lachaume Didier Truchet posait la question « Avons-nous encore besoin du droit administratif ? ».

Ne nous affolons pas.

A l’heure où parait-il « le droit civil dépérit », ce n’est pas moi qui le dit mais le Professeur Frédéric Rouvière9 qui reprend la formule de R. Libchaber 10, le droit administratif, lui, a fait depuis l’interrogation de Didier Truchet la preuve de sa survivance et de sa puissance.

Preuve d’ailleurs en est ce colloque. Je vous remercie.


9 RTD Civ. 2000 p.538 , « Qu’est-ce que le droit civil aujourd’hui ? » ;

10 R. Libchaber, Le dépérissement du droit civil, in F. Audren et S. Barbou des Places (dir.), Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? Fondation et recomposition des disciplines dans les facultés de droit, LGDJ, 2018, p. 243.

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