Lexbase Droit privé n°464 du 1 décembre 2011 : Droit de la famille

[Jurisprudence] Délégation-partage de l'autorité parentale : la résistance basque...

Réf. : TGI Bayonne, 26 octobre 2011, n° 11/00950 (N° Lexbase : A9852HZW)

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N9019BST

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 01 Décembre 2011

Largement commenté sur les ondes, le jugement du tribunal de grande instance de Bayonne du 26 octobre 2011, admettant la délégation-partage de l'autorité parentale à la concubine pacsée d'une mère de jumelles, constitue un acte de résistance fort à la jurisprudence limitative de la Cour de cassation sur cette question. Dans un arrêt du 8 juillet 2010 (1), la Cour de cassation avait, en effet, mis un "coup d'arrêt" à la délégation-partage de l'autorité parentale en refusant catégoriquement qu'elle puisse être accordée à la concubine d'une mère en l'absence de circonstances particulières, laissant entendre qu'une telle délégation ne répondait pas aux exigences de l'intérêt de l'enfant. Le juge aux affaires familiales bayonnais prend clairement -et heureusement- le contre-pied de la solution posée par la Haute cour. Il retient, en effet, que la délégation peut être admise en dehors de toute circonstance exceptionnelle (I) et considère que le partage de l'autorité parentale entre les deux femmes qui l'élèvent satisfait l'intérêt de l'enfant (II). I - Le critère inutile des circonstances particulières

Cour de cassation. Dès le premier arrêt, en date du 24 février 2006, relatif à la délégation-partage de l'autorité parentale (2), confirmé par l'arrêt du 8 juillet 2010, la Cour de cassation exigeait que la délégation-partage de l'article 377-1 du Code civil (N° Lexbase : L2925ABX), soit subordonnée, comme la délégation-transfert de l'article 377 (N° Lexbase : L7193IMD), à des circonstances particulières. Il s'agissait de démontrer que le parent de l'enfant, qui exerce l'autorité parentale, pourrait être empêché d'exercer l'autorité parentale. Tel était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 24 février 2006, la mère étant contrainte, du fait de sa profession, à effectuer de nombreux déplacements, mais pas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 8 juillet 2010, ce qui a conduit, dans ce dernier cas, la Cour de cassation à refuser la délégation. La Cour de cassation refusait, ainsi, de manière regrettable, de faire du partage de l'exercice de l'autorité parentale une délégation de l'autorité parentale autonome, distincte de la délégation classique ; cette dernière suppose pourtant une difficulté pour le (ou les) parent(s) à prendre en charge leur enfant alors que la délégation-partage de l'autorité parentale mise en place par le législateur de 2002 paraissait davantage destinée à faciliter la prise en charge quotidienne de l'enfant dans le cadre d'une famille recomposée.

Consécration d'une situation de fait. Comme plusieurs juges du fond avant lui (3), mais à notre connaissance, pour la première fois depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010, le juge aux affaires familiales de Bayonne adopte une conception beaucoup plus souple, et sans doute plus conforme aux voeux du législateur, de la délégation-partage. La décision du 26 octobre 2011 ne contient en effet aucune référence à des circonstances particulières, susceptibles d'empêcher la mère des enfants d'exercer l'autorité parentale. A l'inverse, le jugement décrit une situation simple, de deux femmes prenant en charge les deux filles de l'une d'entre elles, qui mérite de recevoir une consécration juridique. Le jugement exprime formellement cette idée en affirmant que "cette autorité parentale [...] étant exercée déjà de fait conjointement, cette situation soit juridiquement consacrée". Le raisonnement de la juridiction bayonnaise va donc clairement à l'encontre de la solution posée par la Cour de cassation en détachant la délégation-partage de la délégation-transfert de l'autorité parentale. Alors que la première doit répondre à une défaillance du parent, la seconde poursuit seulement le but de permettre la reconnaissance juridique du rôle d'un tiers dans la prise en charge de l'enfant, ce qui, selon les juges bayonnais, est conforme à l'intérêt de ce dernier.

II - Le critère suffisant de l'intérêt de l'enfant

Critère essentiel. Conformément à l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), le juge aux affaires familiales de Bayonne fait de l'intérêt de l'enfant le critère essentiel de la décision relative au partage de l'exercice de l'autorité parentale. Il considère que "vu les attestations multiples versées aux débats, confirmant que les requérantes forment un couple uni, bien intégré dans leur milieu familial et social, et dont les qualités éducatives et affectives à l'égard des deux enfants sont reconnues, iI est de l'intérêt des deux mineurs que les deux adultes présents au foyer partagent cette autorité parentale".

Critère suffisant. Cette affirmation, ajoutée à l'absence de référence à des circonstances particulières justifiant la délégation, permet de considérer, qu'aux yeux du juge de Bayonne, l'intérêt de l'enfant est suffisant pour prononcer la délégation-partage de l'autorité parentale. Ce faisant, il s'oppose sur ce point encore à la Cour de cassation qui, à l'inverse, dans son arrêt du 8 juillet 2010 avait estimé, dans une situation similaire, que les deux concubines "ne démontraient en quoi l'intérêt supérieur des enfants exigeait que l'exercice de l'autorité parentale soit partagé entre elles et permettrait aux enfants d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection quand les attestations établissaient que les enfants étaient épanouis", refusant de considérer que le partage de l'autorité parentale entre les deux femmes qui prennent en charge les enfants au quotidien est présumé conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est la présomption inverse que le juge de Bayonne semble vouloir consacrer, sans aucun doute à juste titre.

Situation de fait/situation de droit. Les deux décisions s'opposent également sur la nécessité de faire correspondre la situation familiale de fait et la situation familiale de droit. Alors que la Cour de cassation note, avec une certaine dose de cynisme, que les enfants sont très épanouis sans cette délégation et que la famille fonctionne parfaitement dans les faits, sans qu'il paraisse nécessaire de consacrer juridiquement cette situation, le juge de Bayonne considère, au contraire, qu'il est opportun de reconnaître juridiquement le partage de fait de l'autorité parentale entre les deux concubines et il est difficile de ne pas l'approuver.

Ministère public. La prise de position clairement résistante du juge de Bayonne a été soutenue par le ministère public qui ne s'est pas opposé à la délégation-partage de l'autorité parentale demandée par les deux concubines. On peut penser qu'il n'interjettera donc pas appel de la décision qui devrait donc être mise en oeuvre sans que la Cour de cassation n'ait son mot à dire. On peut cependant espérer qu'elle en tiendra compte la prochaine fois qu'elle sera saisie de la question et qu'elle modifiera sa position, qui apparaît, à la lumière de la décision du 26 octobre 2011, proprement intenable...


(1) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1235E4I), nos obs., Le rattachement d'un enfant à la compagne de sa mère : la Cour de cassation inverse la tendance..., Lexbase Hebdo n° 404 du 21 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6436BP3).
(2) Cass. civ. 1, 24 février 2006, n° 04-17.090, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1782DNC), AJ fam., 2006, p. 159, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2006, comm. n° 89, obs. P. Murat ; RTDCiv., 2006 p. 297, obs. J. Hauser ; D., 2006, p. 897, note D. Vigneau, p. 876, Point de vue, H. Fulchiron.
(3) TGI Lille, 11 décembre 2007, n° 06-05918, AJ Famille, 2008, p. 119 ; RTDCiv., 2008, p. 290, obs. J. Hauser ; Lamy, Droit civil, 2008, p. 41 ; CA Paris, 5 mai 2006, AJ fam., 2006, 333 ; TGI Nice, 8 juillet 2003, 7 avril 2004, 30 juin 2004, AJFamille, 2004 p. 453, obs. F. Chénédé ; TGI Grenoble, 28 janvier 2008, AJ fam., 2008.

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