Lexbase Affaires n°270 du 27 octobre 2011 : Propriété intellectuelle

[Chronique] Chronique de droit de la propriété intellectuelle - Octobre 2011

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N8450BSR

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par Célia Zolynski, Professeur à l'Université de Rennes 1 et Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté

le 03 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Célia Zolynski, Professeur à l'Université de Rennes 1 et Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté. Au sommaire de cette chronique, on retrouvera, tout d'abord, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 22 septembre 2011 dans lequel les juges européens apportent une nouvelle pierre dans le jardin du droit des marques et de son articulation avec les nouvelles technologies en confirmant la nécessité d'encadrer la faculté d'interdiction de l'usage d'une marque à titre publicitaire par un tiers concurrent dans le strict respect des diverses fonctions de la marque. Par ailleurs, le Professeur Martial-Braz a choisi de revenir également sur un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 20 septembre 2011 qui énonce que "le droit à rémunération supplémentaire, pour un salarié investi d'une mission inventive, prenant naissance à la date de réalisation de l'invention brevetable et non à celle du dépôt ou de la délivrance d'un brevet, c'est la loi en vigueur à la première de ces dates qui doit seule s'appliquer pour déterminer la mise en oeuvre de ce droit". Enfin, le Professeur Zolinsky apporte ses lumières sur l'important et étonnant arrêt de la CJUE du 4 octobre 2011 concernant la conformité des contrats de cession de droits pour la retransmission des matchs de football aux principes de libre prestation de services et de libre concurrence.
  • Utilisation de la marque d'un concurrent au titre de mots-clefs dans le cadre d'un service de référencement par internet : à vouloir faire parler les fleurs au pays de la Rose, le risque est de s'y piquer ! (CJUE, 22 septembre 2011, aff. C-323/09 N° Lexbase : A9468HXX)

C'est certainement la leçon très imagée que pourrait inspirer la fable qui s'est jouée devant la CJUE le 22 septembre 2011 (1).

La Cour de justice vient en effet d'apporter une nouvelle pierre dans le jardin du droit des marques et de son articulation avec les nouvelles technologies en confirmant la nécessité d'encadrer la faculté d'interdiction de l'usage d'une marque à titre publicitaire par un tiers concurrent dans le strict respect des diverses fonctions de la marque. En l'espèce, le litige opposait la société titulaire de la marque "Interflora" et la société Marks & Spencers. La première reprochait à la seconde d'avoir utilisé les termes "Interflora" ainsi que des variantes de ce terme comme mots-clefs dans le cadre du service de référencement par "Ad Words" mis en place par le moteur de recherche Google permettant d'apparaître dans la rubrique des "liens commerciaux". Or Marks & Spencers offre, à travers tant son important réseau de magasins que son site internet, un service de livraison de fleurs, concurrent de celui proposé par le titulaire de la marque Interflora protégée au titre de marque nationale au Royaume-Uni et au titre de marque communautaire. Ce dernier après avoir fait constater l'usage du signe constitutif de la marque dont il est titulaire a agi contre la société Marks & Spencer pour violation de ses droits de marques devant la High Court of Justice. Afin de déterminer si un tel usage était possible et corrélativement si le titulaire de la marque était habilité pour prohiber une telle utilisation, la High Court of Justice devait se fonder tant sur le droit national des marques harmonisé par la Directive 89/104 du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (N° Lexbase : L9827AUI), que sur le droit des marques communautaires issu du Règlement n° 40/94 du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (N° Lexbase : L5799AUC). Celle-ci a cependant décidé de surseoir à statuer afin d'obtenir des réponses à plusieurs questions préjudicielles. En effet les articles 5 de la Directive 89/104 et 9 du Règlement n° 40/94 soulignent en termes très généraux que le titulaire de la marque est habilité "à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires [...] d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels" ladite marque est enregistrée. Il est ensuite prévu en des termes plus précis les usages qui sont notamment susceptibles d'être interdit par le titulaire de la marque au titre desquels figure le fait "d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité". Toutefois, dans cette description, n'apparaît pas la pratique de référencement par mots-clefs rendue pourtant très courante en raison du développement de l'internet.

La Cour de justice, alors saisie pour interpréter ces textes, avait donc en substance à se prononcer sur la faculté du titulaire de la marque d'en interdire l'usage par les tiers, et plus spécialement par les concurrents, afin de faire la promotion de produits ou services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée.

Ce faisant, la Cour de justice devait également s'interroger sur les conséquences de cette pratique de référencement par l'usage de la marque du concurrent à l'égard du public consommateur. La solution rendue sous l'empire de textes désormais abrogés est toutefois parfaitement transposable dans le cadre de la Directive 2008/95 (N° Lexbase : L7556IBH) et du Règlement n° 207/2009 (N° Lexbase : L0531IDZ).

Joignant ces deux questions, la Cour de justice décide que le titulaire d'une marque n'est habilité à en interdire l'usage publicitaire aux tiers qu'à la condition que cette utilisation porte atteinte à l'une des fonctions de la marque.

La Cour de justice rappelle, en premier lieu, que le fait d'utiliser un signe au titre de mots-clefs dans le cadre d'un service de référencement afin de déclencher l'affichage de son annonce sur internet constitue bien un usage dans la vie des affaires au sens des textes précités (2). Elle souligne, en outre, qu'il s'agit d'un usage pour des produit ou des services de l'annonceur, que les mots-clefs retenus soient apparents ou invisibles dans l'annonce même (3). La Cour de justice ne déduit toutefois pas de tels constat que le titulaire puisse, sans condition, interdire aux tiers l'usage en qualité de mots-clefs dans le cadre d'un service de référencement des signes protégés par la marque.

Le principe posé est donc bien celui de la libre utilisation des signes protégés. Liberté sous conditions toutefois dès lors que le titulaire peut interdire l'usage de sa marque si un tel usage porte atteinte aux fonctions de la marque.

Si la fonction d'indication d'origine constitue l'une des fonctions de la marque, la plus essentielle sans aucun doute, elle n'est cependant pas exclusive. Et les juges n'ont pas entendu restreindre à la protection de cette seule fonction la faculté d'interdire l'usage de la marque en qualité de mot-clef dans le cadre d'un service de référencement par internet.

La Cour décide ainsi que "le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un concurrent de faire, à partir d'un mot-clef identique à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pur des produits ou services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistré, lorsque cet usage est susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque" et notamment la fonction d'indication d'origine, de publicité ou encore d'investissement. Ce faisant, la Cour précise les éléments d'interprétation qu'il convient d'adopter pour déterminer ces trois fonctions de la marque.

La fonction d'indication d'origine, tout d'abord, sera atteinte chaque fois que l'annonce d'un tiers qui apparaît par l'usage du signe protégé à titre de marque suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque. Il en ira également ainsi en l'absence de toute suggestion d'un quelconque lien économique, lorsque l'annonce reste vague sur l'origine des produits et services en cause au point qu'un "internaute normalement informé et raisonnablement attentif" puisse ne pas connaître les liens économique existant entre l'annonceur et le titulaire de la marque (4). Il y a donc une atteinte à la fonction d'indication d'origine chaque fois que les réponses obtenues par l'emploi par un internaute du signe protégé risque de lui faire croire erronément à l'existence d'un lien économique entre l'annonceur et le titulaire de la marque.

La fonction de publicité, en revanche, n'est nullement atteinte par l'utilisation d'un signe identique à la marque dans le cadre d'un service de référencement (5). En effet, cette utilisation contraint seulement le titulaire à intensifier ses efforts publicitaires. Elle ne le prive pas de la possibilité d'utiliser efficacement sa marque pour informer et convaincre les consommateurs, ce qui constitue la fonction de publicité de la marque.

Enfin, la fonction d'investissement a pour but de permettre au titulaire de la marque d'acquérir ou de conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs. Elle se distingue toutefois de la seule fonction de publicité dès lors que cet objectif peut être également obtenu par des moyens étrangers à la publicité, à l'instar de techniques commerciales. Une telle fonction de la marque sera atteinte lorsque l'usage par un tiers de la marque de son concurrent dans le cadre d'un service de référencement par internet gêne de manière substantielle l'emploi par ledit titulaire de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs (6).

La décision ainsi rendue confirme la solution retenue dans l'affaire "Google" très commentée (7) et permet de déterminer avec davantage de précision le cadre juridique de l'utilisation des marques par internet. Ce faisant, l'arrêt rendu souligne l'aspect créateur de la jurisprudence de la Cour de justice qui à force de réitération affine les différentes fonctions de la marque qu'elle a elle-même pris le soin de consacrer. La reconnaissance de nouvelles fonctions assure une plus large portée à la marque. Toutefois, une telle pratique pourrait se révéler pernicieuse si ces fonctions conduisaient à l'avenir à exclure la faculté d'interdire l'usage du signe par le titulaire de la marque enregistrée.

Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté


  • Rémunération supplémentaire des salariés au titre des inventions de mission et application de la loi dans le temps : mieux vaut tard que jamais... sauf pour le salarié inventeur qui ne s'est vu reconnaître que tardivement le droit à une rémunération supplémentaire ! (Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-20.997, FS-P+B N° Lexbase : A9526HX4)

En effet, seules les inventions réalisées après la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 novembre 1990 (loi n° 90-1052 N° Lexbase : L9557A9T) sont susceptibles de donner lieu à la rémunération supplémentaire prévue par ce texte au titre des inventions de mission .

En l'espèce, le salarié d'un laboratoire pharmaceutique avait réalisé plusieurs inventions avant l'entrée en vigueur de la loi rendant obligatoire la reconnaissance d'une rémunération supplémentaire au titre des inventions de mission dans les conventions collectives ; toutefois la délivrance des brevets avait eu lieu après l'entrée en vigueur dudit texte. Ce dernier réclamait donc un complément de rémunération pour ces inventions. Les juges du fond lui ont accordé une telle rémunération au motif que la loi était applicable aux brevets délivrés après l'entrée en vigueur de la loi y compris pour des inventions réalisées avant le 26 novembre 1990.

La Cour de cassation était donc saisie de la détermination du critère d'application de la loi dans le temps. Le droit à rémunération supplémentaire peut-il être admis pour des inventions réalisées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi mais dont le brevet a été délivré postérieurement ?

De manière fort classique la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 septembre 2011 (8), décide de censurer les juges du fond en visant l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3556AD3), dans sa rédaction issue tant de la loi du 2 janvier 1968 antérieurement applicable et de la loi du 26 novembre 1990, au motif que "le droit à rémunération supplémentaire, pour un salarié investi d'une mission inventive, prenant naissance à la date de réalisation de l'invention brevetable et non à celle du dépôt ou de la délivrance d'un brevet, c'est la loi en vigueur à la première de ces dates qui doit seule s'appliquer pour déterminer la mise en oeuvre de ce droit". Or sous l'empire du texte ancien, il était prévu dans la convention collective que seules les inventions revêtant un intérêt exceptionnel étaient susceptibles d'être récompensées par une rémunération supplémentaire, et qu'il appartiendra aux juges de déterminer si les inventions revêtaient bien en l'espèce une telle qualité.

La loi du 2 janvier 1968 ne prévoyait que la possibilité pour les conventions collectives de reconnaître une rémunération supplémentaire pour les inventions de service. Cette rémunération pouvait donc être soumise à condition, à l'instar de ce qui était prévu dans la convention collective de l'industrie pharmaceutique où la rémunération était conditionnée par l'intérêt exceptionnel pour l'entreprise que devait revêtir le brevet. La loi du 13 juillet 1978, en transformant notamment l'invention de service en invention de mission, n'avait cependant pas modifié les modalités de reconnaissance de cette prime à la recherche. Ce n'est en effet que la loi du 26 novembre 1990 qui modifiera la lettre du texte devenu l'article L. 611-7 en substituant aux termes "le salarié [...] peut bénéficier", ceux, beaucoup plus contraignants, de "le salarié [...] bénéficie". Le principe de non-rétroactivité de la loi, prévu à l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4), implique de déterminer le critère qui permet l'application de la loi nouvelle, critère constitué par l'existence des droits. Or sur ce point, la Cour de cassation n'innove nullement et respecte la logique du droit des brevets. La question s'était en effet posée pour l'application de la loi du 13 juillet 1978 et la Cour de cassation avait décidé que "l'existence même des droits qui [...] découlent des inventions de salariés ayant donné lieu au dépôt d'une demande de brevet" (9). La solution rendue par la Cour de cassation le 20 septembre 2011 s'inscrit donc naturellement dans cette perspective.

Nathalie Martial-Braz, Professeur à l'Université de Franche-Comté


  • Exclusivité 0, Harmonisation 1 ! Une étonnante victoire (CJUE, 4 octobre 2011, aff. C-403/08 N° Lexbase : A1573HYW)

La Cour de justice vient de rendre un arrêt étonnant concernant la conformité des contrats de cession de droits pour la retransmission des matchs de football aux principes de libre prestation de services et de libre concurrence. Saisie par la Hight court of Justice, la Cour devait se prononcer sur la licéité de la pratique consistant pour la tenancière d'un pub au Royaume-Uni à diffuser les rencontres de la ligue 1 anglaise par l'intermédiaire du décodeur d'un diffuseur grec, à moindre coût, en violation de la répartition territoriale des droits de retransmission réalisée par la Federation Association Premier League, et ce au moyen d'une fausse adresse et d'une fausse identité. La solution était très attendue. L'arrêt du 4 octobre 2011 est assez surprenant. Donnant raison à la tenancière du pub, cette décision fait trembler les professionnels du secteur qui s'interrogent sur sa portée. L'arrêt "Premier League" appelle en effet de nombreuses remarques qui ne porteront ici que sur ses conséquences dans le domaine des droits d'auteur et droits voisins. Il convient à ce titre de revenir successivement sur les apports de cette décision concernant la licéité de l'exclusivité territoriale (I) puis de comprendre de quelle manière la Cour de justice participe à l'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins (II).

I - Une remise en cause de l'exclusivité territoriale

La Cour de justice remet en cause l'exclusivité territoriale mise en oeuvre par la fédération : elle critique à la fois sa non-conformité au principe de libre prestation de services et sa non-conformité avec les règles imposant une libre concurrence. Il est dès lors nécessaire d'analyser le raisonnement des juges pour comprendre ensuite la portée de l'arrêt.

La Cour de justice a examiné l'exclusivité de retransmission à l'aune des principes organisant le marché intérieur pour conclure à la non-conformité de la pratique litigieuse. Concernant tout d'abord le principe de libre prestation de services (10), la Cour de justice va retenir que la législation nationale qui prohibe l'importation, la vente et l'utilisation des cartes pour décodeurs permettant d'accéder à un service crypté diffusé depuis un autre Etat membre par satellite n'est pas conforme à l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2705IPU). Sa démarche, classique, conduit à procéder en deux temps pour, d'abord, vérifier l'existence d'une restriction à la libre prestation de services et, ensuite, analyser si celle-ci est justifiée. Ainsi, l'arrêt commence par relever que la législation nationale protégeant les limitations territoriales qui restreignent l'usage des cartes de décodeur à certaines zones territoriales limite l'accès à ces services et, partant, restreint la libre prestation de services. La restriction étant caractérisée, la Cour de justice analyse ensuite son éventuelle justification. Parmi les justifications avancées, la principale consistait en la protection des droits de propriété intellectuelle assurée par la répartition territoriale des autorisations de diffusion. A cette occasion, la Cour de justice rappelle que la protection de la propriété intellectuelle constitue de longue date une raison impérieuse d'intérêt général permettant de justifier une atteinte portée à la libre prestation de service (v. déjà en ce sens CJCE, 18 mars 1980, aff. C-62/79 N° Lexbase : A5882AUE et CJCE, 20 janvier 1981, aff. C-55/80 et C-57/80 N° Lexbase : A6056AUT). Soulignant à cette occasion la difficulté portant sur le point de savoir si les rencontres sportives peuvent être protégées par un droit de propriété intellectuelle (11), la Cour de justice va écarter cette justification pour défaut de proportionnalité. Elle retient, en effet, que la protection ainsi organisée par la législation va au-delà de ce qui est nécessaire pour parvenir à l'objectif poursuivi. Cela rappelle combien la Cour, généreuse lorsqu'il s'agit d'étendre les justifications aux restrictions à la libre prestation de services en découvrant de nouvelles raisons impérieuses d'intérêt général, se montre rigoureuse dans son contrôle de proportionnalité (jusqu'à donner l'impression de reprendre d'une main ce qu'elle avait donné de l'autre !). En ce qui concerne plus particulièrement les droits de propriété intellectuelle, la Cour confirme sa jurisprudence passée retenant que la restriction est justifiée dès lors qu'elle permet de sauvegarder les droits qui constituent l'"objet spécifique" du droit d'auteur, lequel autorise les titulaires de droits à exploiter les objets protégés en accordant des licences en contrepartie desquelles ils perçoivent une rémunération (CJCE, 18 mars 1980, aff. C-62/79, préc. et CJCE, 20 octobre 1993, aff. C-92/2 et 326/92 N° Lexbase : A3435DAH). Elle confirme bien que "les règles du Traité ne sauraient, en principe, faire obstacle aux limites géographiques dont les parties au contrat de cession de droits de propriété intellectuelle sont convenues pour protéger l'auteur et ses ayants droit" (12). La Cour apporte, en revanche, d'intéressantes précisions concernant le montant de cette rémunération : selon elle, il ne s'agit en aucun cas d'assurer la "rémunération la plus élevée possible", mais plutôt de garantir "une rémunération appropriée pour chaque utilisation d'objets protégés", laquelle suppose d'être "raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie" (13) ; elle précise que, pour cela, il convient de prendre en compte des paramètres tels que l'audience réelle et potentielle ainsi que les barrières linguistiques. La Cour en déduit qu'en matière de diffusion satellitaire, l'exclusivité territoriale consentie conduit à des différences de prix qu'elle qualifie d'"artificielles" entre les marchés nationaux, emportant leur cloisonnement. On notera d'ailleurs ici que, si la tenancière du pub à Portsmouth diffusait les rencontres via un décodeur grec, c'est parce que son abonnement était presque divisé par dix par rapport au prix de l'abonnement pratiqué par le diffuseur anglais. La Cour de justice ne paraît pas être restée insensible à cet argument d'ordre pécuniaire. Cela ne saurait étonner dans la mesure où, déjà dans son arrêt "Coditel II", la Cour invitait la juridiction nationale à vérifier si les redevances dues au titre du droit exclusif de représentation d'un film ne dépassaient pas "une juste rémunération des investissements" (14). La Cour de justice paraît bien s'inscrire ici dans une logique concurrentielle qui la conduit à contrôler le caractère excessif des prix (15), ce que confirme son analyse de l'exclusivité au regard de l'article 101 TFUE (N° Lexbase : L2398IPI).

Concernant ensuite la libre concurrence, la Cour de justice admet que les clauses de licence exclusive figurant dans les contrats de cession de droits de retransmission pour les matchs de la ligue 1 anglaise constituent une restriction à la concurrence prohibée par le Traité. Elle commence par rechercher si les clauses du contrat de licence exclusive conclu entre le titulaire de droits et l'organisme de diffusion ont un objet anticoncurrentiel, ce qui permet, on le sait, de présumer l'atteinte. Pour ce faire, la Cour rappelle qu'il faut analyser l'accord stricto sensu, i.e. la teneur de ses stipulations ainsi que ses objectifs, et prendre également en compte son contexte économique et juridique. Concernant la catégorie d'accord en cause, la Cour confirme encore sa jurisprudence "Coditel II" selon laquelle l'octroi d'une licence exclusive n'a pas per se un objet anticoncurrentiel (16). Elle constate néanmoins que tout accord qui conduit à un cloisonnement des marchés nationaux doit être jugé contraire à l'article 101 TFUE. L'accord qui organise une exclusivité territoriale absolue est dès lors présumé anticoncurrentiel en raison de son objet. Mais cette présomption peut être renversée : il convient alors de prouver que son contexte économique et juridique justifie que l'accord ne porte pas ainsi atteinte à la concurrence. Or, la Cour de justice constate qu'une telle preuve n'est pas rapportée en l'espèce. Elle en déduit donc que l'accord constitue une restriction à la concurrence interdite au sens de l'article 101 TFUE.

La portée de l'arrêt n'est pas évidente à déterminer. Sa lecture ne permet pas de clairement préciser s'il remet en cause tout système de découpage géographique pour la cession des droits ou s'il s'explique par les circonstances propres au litige. La formulation retenue par l'arrêt, qui précise ne pas opérer de revirement par rapport à ses arrêts "Coditel", ne permet pas d'être catégorique. Il faut toutefois noter que la Cour de justice prend soin de souligner que les marchés en cause sont distincts et que, depuis lors, l'acquis a évolué ; elle pourrait ainsi se ménager une "porte de sortie" pour faire évoluer à l'avenir sa jurisprudence (17). La décision paraît donc plutôt s'expliquer par les circonstances propres à la situation. La Cour de justice précise en effet que, en l'espèce, la répartition territoriale conduit à un cloisonnement des marchés, que son objet anticoncurrentiel n'est nullement justifié par les circonstances propres à l'espèce. On peut notamment penser que l'intérêt du consommateur a été déterminant en la matière compte tenu du coût d'accès aux services proposés. On retrouverait finalement la même logique que celle ayant guidé la jurisprudence de la Cour relative à l'application (détournée) de la théorie des facilités essentielles en matière de propriété intellectuelle. On se souvient, en effet, que ce qui expliquait les solutions de l'arrêt "Magill" (18) ou encore "IMS" (19) était bien l'intérêt du consommateur d'accéder à un nouveau produit (20). L'intérêt du consommateur pourrait bien ici encore être l'élément fondamental qui permet de faire céder un monopole de droit, l'objectif étant que le consommateur accède au service fourni à meilleur prix. On se situe alors dans une logique propre au droit de la concurrence -qui fait primer l'intérêt général, celui du marché et des consommateurs- et non dans celle gouvernant le droit d'auteur (21). La prééminence du raisonnement de nature concurrentiel pourrait également s'expliquer en raison de l'objet du litige dans la mesure où la Cour de justice dénie la qualité d'oeuvre de l'esprit aux retransmissions footballistiques. On retrouve ici encore la même logique que celle adoptée par la Cour de justice concernant ces créations "à la marge". Plus généralement, on sait combien les litiges paraissant opposer droit d'auteur et concurrence inquiètent lorsque les solutions retenues semblent atteindre ce qui est la substance même du droit d'auteur ; qu'en revanche, sont saluées les solutions qui conduisent à reconnaître au droit de la concurrence un rôle "correcteur", une fonction de régulation des excès du droit d'auteur (22). Mais la formulation retenue dans l'arrêt "Premier League" ne permet pas de trancher clairement dans un sens ou un autre. Quoi qu'il en soit, cette solution confirme la sévérité des autorités de concurrence à propos des licences territoriales exclusives (23) : si elles ne sont pas interdites per se, elles doivent néanmoins passer les fourches caudines du test de proportionnalité, sans succès en l'espèce. Si la portée de l'arrêt demeure incertaine concernant l'avenir des licences exclusives portant sur les droits de retransmission, il est en revanche très clair quant à son apport au processus d'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins.

II - Une harmonisation prétorienne du droit d'auteur

La Cour de justice confirme sa tendance récente à s'immiscer dans le processus d'harmonisation en matière de droit d'auteur et de droits voisins.

L'arrêt "Premier League" confirme la jurisprudence initiée par la décision "Infopaq" (24) selon laquelle la Cour de justice se reconnaît compétente pour définir l'objet du droit d'auteur au sens du droit de l'Union européenne, alors pourtant que l'acquis est jusqu'à présent resté silencieux à ce sujet (25). Elle affirme en effet que "le droit d'auteur au sens de l'article 2 [de la Directive "sur le droit d'auteur" (Directive (CE) n° 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L8089AU7)] n'est susceptible de s'appliquer que par rapport à un objet qui constitue une création intellectuelle propre à son auteur" (26), que "les différentes parties d'une oeuvre bénéficient d'une protection au titre de ladite disposition à condition de contenir des éléments qui sont l'expression de la création intellectuelle propre à l'auteur de cette oeuvre" (27). Partant, elle retient que les retransmissions footballistiques ne sauraient être qualifiées d'oeuvres au sens du droit d'auteur. Concernant la définition ainsi retenue de l'originalité, on relèvera sa conformité avec la définition admise en France par la jurisprudence. Quant au procédé, d'aucuns avaient déjà noté cette "politique extrêmement volontariste" du juge communautaire qui, sous couvert d'interpréter les directives en la matière -notamment la Directive 2001/29/CE-, s'arroge une compétence qui n'est pas la sienne en principe. Alors que le législateur communautaire était resté prudent face à la notion d'originalité -clé de voûte du droit d'auteur mais notion à contenu variable selon les Etats membres-, la Cour de justice semble faire fi de cette liberté qui paraissait être laissée aux Etats membres pour réaliser "une harmonisation judiciaire à marche forcée" (28). Ses décisions en série confirment ce nouveau rôle que joue désormais la Cour de justice dans la construction du droit d'auteur européen. On se situe donc dans une approche globale du droit d'auteur et des droits voisins, que confirme cette généralisation de la notion d'originalité (29). Cela est confirmé par la Cour de justice lorsqu'elle affirme que "compte tenu des exigences de l'unité de l'ordre juridique de l'Union et de sa cohérence, les notions utilisées par l'ensemble de ces directives doivent avoir la même signification, à moins que le législateur de l'Union n'ait exprimé, dans un contexte législatif précis, une volonté différente" (30). La Cour ne fait pas ici qu'encourager l'interprétation systémique parmi les méthodes d'interprétation des directives communautaires (31). Elle semble promouvoir une approche globale du droit d'auteur à partir d'un "droit commun" que constituerait la Directive 2001/29/CE ici qualifiée de "Directive sur le droit d'auteur" (la précision "dans la société de l'information" étant -délibérément ?- omise) (32). La Cour paraît ainsi s'inscrire dans la nouvelle politique des autorités de l'Union en matière de droit d'auteur. La Commission, dans sa stratégie publiée en mai 2011 (33) évoque en effet la possible adoption d'un Code européen du droit d'auteur qui permettrait de codifier l'acquis en le consolidant, notamment en clarifiant les relations entre les différents droits exclusifs conférés aux titulaires et en procédant à l'actualisation et à l'harmonisation des exceptions prévues par la Directive 2001/29. Les réflexions promettent d'être nourries et le droit d'auteur européen sera très certainement encore au centre de l'actualité ces prochains mois.

Célia Zolynski, Professeur à l'Université de Rennes 1


(1) Cf. D., 2011, act. C. Manara.
(2) CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08 (N° Lexbase : A8389ETU), Rec. p. I-2417, point 49 à 52, D., 2010, 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; CCE, 2010, comm. n° 132, Ch. Caron ; et CJUE 25, mars 2010, aff. C-278/08 (N° Lexbase : A9881ET7), Rec. p. I-2517, point 18.
(3) CJUE, 25 mars 2010, op. cit., point. 19 ; CJUE, ord. du 26 mars 2010, C-91/09, point 18.
(4) CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, op. cit, Rec. p. I-2417, point 89 et 90 ; CJUE, 8 juillet 2010, aff. C-558/08 (N° Lexbase : A0472E4A), point 35.
(5) CJUE, 23 mars 2010, op. cit., point 98 ; CJUE, 25 mars 2010, op. cit., point. 33.
(6) CJUE, 12 juillet 2011, aff. C-324/09 (N° Lexbase : A9865HUW), point 83.
(7) CJUE, 23 mars 2010, op. cit. ; Cass. com., 13 juillet 2010, n° 06-15.136, FS-P+B (N° Lexbase : A6717E4K), D., 2010. p. 1065, obs. I. Gavanon et J. Huet, ibid., p. 1992, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny, CCC, 2010, comm. n° 229, note M. Malaurie-Vignal ; Cass com., 13 juillet 2010, n° 08-13.944, FS-P+B (N° Lexbase : A6723E4R), D., 2010, p. 1966 obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny, ibid., 2010, p. 885, obs. C. Manara, ibid., 2011. 908, obs. S. Durrande, L'essentiel Droit de la propriété intellectuelle, 2010, n° 1, p. 1, obs. Lucas.
(8) Sur cet arrêt, cf. D., 2011, act. J. Daleau.
(9) Cass. soc., 25 février 1988, n° 84-45.086, publié (N° Lexbase : A7682AGM), Bull. civ. V, n°145,
(10) L'article 56 TFUE est jugé applicable à l'espèce dans la mesure où l'activité visait les services fournis par un diffuseur par l'intermédiaire d'un décodeur ; la commercialisation de ces derniers n'étant que secondaire, cela permet à la Cour d'écarter la libre circulation des marchandises.
(11) V. infra, II.
(12) Point 118.
(13) Point 108.
(14) CJCE, 6 octobre 1982, aff. C-262/81 (N° Lexbase : A6338AUB), point 14 ; RTDE, 1983, p. 297, obs. G. Bonet ; RTDCom., 1982, p. 558, obs. Françon.
(15) Comp. la prise en compte des prix excessifs dans la caractérisation d'un abus de position dominante. V. sur ce point N. Mallet-Poujol, Grands arrêts de la propriété intellectuelle, D., 2003, n° 3, note, spéc. p. 66 et les réf. citées.
(16) CJCE, 6 octobre 1982, aff. C-262/81 "Coditel II", préc., point 15.
(17) Point 118.
(18) CJCE, 6 avril 1995, aff. C-241/91 et 242/91 (N° Lexbase : A8042AYI), RTDE, 1996, p. 747, obs. J.-B. Blaise et p. 835, obs. G. Bonet ; D., 1996, chron., p. 119, note B. Edelman ; JCP éd. G, 1995, I 3883, note M. Vivant ; Grands arrêts de la propriété intellectuelle, préc., spéc. p. 66.
(19) CJCE 29 avril 2004, aff. C-418/01 (N° Lexbase : A0419DCI), D., 2004, JP, p. 2366, note F. Sardain ; CCE, 2004, comm. n° 69, obs. Ch. Caron ; Légipresse, 2004, n° 220, III, p. 57 ; RAE, 2003-2004, p. 463, nos obs..
(20) En ce sens, v. Ch. Caron, Le consumérisme en droit d'auteur, in Mélanges J. Calais-Auloy, Etudes du droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 781, spéc. n° 16 et s..
(21) V. déjà sur ce point nos obs., préc. note 19, p. 470.
(22) Notamment en ce sens Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd., 2010, n° 300.
(23) Sur cette question, v. O. Bosco, L'obligation d'exclusivité, Bruylant 2008, n° 150 et s..
(24) CJCE, 19 juillet 2009, aff. C-5/08 (N° Lexbase : A9796EIN) ; CCE, 2009, comm. 97, obs. Ch. Caron ; JCP éd. G, 2009, 272, note L. Marino ; Propriétés intellectuelles, 2009, p. 378, obs. V.-L. Bénabou ; RTDE, 2010, p. 944, obs. E. Treppoz.
(25) Egalement en ce sens, CJUE 22 décembre 2010, aff. C-393/09 (N° Lexbase : A7106GNI) ; Propriétés intellectuelles, 2011, p. 205, obs. V.-L. Bénabou ; Europe, 2011, comm. 86, obs. L. Idot ; RLDI, 2011/68, n° 2228, obs. H. Bitan.
(26) Pt. 155 et déjà arrêt "Infopaq" (CJCE, 19 juillet 2009, aff. C-5/08, préc.), point 37.
(27) Pt. 156 et déjà arrêt "Infopaq" (CJCE, 19 juillet 2009, aff. C-5/08), préc.), point 39.
(28) V. notamment V.-L. Bénabou, Propriétés intellectuelles, 2009, p. 378 et 2011, p. 209 ; adde, du même auteur "Que reste-t-il au juge national pour dire le droit d'auteur ?", RDTI, 2009/37, p. 71.
(29) Sur cette méthode, v. les critiques d'E. Treppoz, obs. préc.
(30) Point 188.
(31) Sur cette présomption de rationalité du législateur européen justifiant de recourir à ce procédé comparatiste mais avec prudence, v. nos obs, Méthode d'interprétation des directives communautaires, Dalloz, 2007, n° 83.
(32) Sur cette analyse, v. V.-L. Bénabou, Propriétés intellectuelles, 2011, p. 209.
(33) Communication de la Commission "Vers un marché unique des droits de propriétés intellectuelles. Doper la créativité et l'innovation pour permettre à l'Europe de créer de la croissance économique, des emplois de qualité et des produits et services de premier choix", COM(2011) 287 final, point 3.3.1, p. 14.

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