Lexbase Affaires n°270 du 27 octobre 2011 : Internet

[Questions à...] Atteinte à vie privée et diffamation : les sites de notations dans le collimateur des juges ? - Questions à Maître Etienne Papin, avocat associé, FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, société d'avocats

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[Questions à...] Atteinte à vie privée et diffamation : les sites de notations dans le collimateur des juges ? - Questions à Maître Etienne Papin, avocat associé, FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, société d'avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5618192-questions-a-atteinte-a-vie-privee-et-diffamation-les-sites-de-notations-dans-le-collimateur-des-juge
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 27 Octobre 2011

Récemment le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a fait droit à la demande du ministre de l'Intérieur d'ordonner le blocage du site Copwatch dont le but était de dénoncer les violences policières, estimant que le site litigieux était diffamatoire et injurieux à l'encontre de la gendarmerie et de la police (TGI Paris, 14 octobre 2011, n° 11/58052 N° Lexbase : A7501HYH). Cette affaire récente et largement médiatisée illustre les nombreuses polémiques nées ces dernières années, notamment sur les sites internet de notations qui n'hésitent pas à publier des informations sur des personnes physiques, tels que des professeurs ou des médecins, et des avis d'internautes sur leurs compétences professionnelles. Et, parce qu'internet est un espace propice à l'exercice de la liberté d'expression pour tous les citoyens, il porte en germe des risques accrus de diffamation et d'atteinte à la vie privée. L'autorité judiciaire y est attentive ; c'est ce que démontre la censure de ce type de sites internet.
Pour faire le point sur cette jurisprudence, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré Maître Etienne Papin, avocat associé, FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, société d'avocats qui a accepté de répondre à nos questions.

 

Lexbase : Sur quel fondement les sites de notation de médecins, de professeurs, etc. sont-ils censurés ?

Etienne Papin : L'affaire du site de notation des professeurs, ou "affaire Note2be", avait suscité certaines polémiques et intéressé le grand public qui imaginait déjà ce genre d'initiative se multiplier. On rappellera que, dans cette affaire, des enseignants invoquaient le fait que la publication sur le site de leur nom, prénom, de l'établissement d'affectation et d'une note (attribuée par les internautes de façon anonyme en fonction de six critères mais constituant une évaluation de leur aptitude à enseigner) constituait une atteinte à leur droit au respect de la vie privée prévu par l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) ainsi qu'un traitement de données à caractère personnel dans des conditions caractérisant un trouble manifestement illicite et en violation de la loi informatique et libertés de 1978 (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS).

Le tribunal de grande instance de Paris, saisi par des professeurs et des syndicats et statuant en référé avait, le 3 mars 2008, fait injonction à la société qui avait créé et qui exploitait le site de suspendre sur le site "l'utilisation de données nominatives d'enseignants aux fins de leur notation et leur traitement, ainsi que leur affichage sur les pages du site en question, y compris sur le forum de discussion" (TGI Paris, 3 mars 2008, n° 08/51650 N° Lexbase : A1955D7K).

Le tribunal avait donc considéré que la collecte par le site des données personnelles des enseignants sans leur consentement ne poursuivait pas un intérêt légitime et pouvait entraîner un dommage imminent justifiant la suspension du dispositif mis en place. Toutefois, et concernant l'argument relatif à la vie privée, le juge des référés avait estimé que "la possibilité de rattacher l'identité d'une personne au lieu d'exercice de son activité professionnelle comme à l'évaluation de celle-ci ne pouvait s'assimiler à une atteinte à la vie privée".

La cour d'appel de Paris a confirmé cette décision le 25 juin 2008 en soulignant que "les données du site litigieux, ne sont dans ces conditions manifestement pas collectées de façon loyale, et ne présentent évidemment aucune garantie tant sur leur pertinence que sur leur caractère adéquat" (CA Paris, 14ème ch., sect. A, 25 juin 2008, n° 08/04727 N° Lexbase : A3362D9E).

Avant même la procédure en référé devant le TGI de Paris, la CNIL avait été saisie de plaintes de professeurs concernés par le site litigieux. Elle a donc opéré un contrôle en février 2008. Compte tenu de la décision du TGI, la CNIL n'avait pas jugé nécessaire de prononcer des sanctions à l'égard du site. Elle a néanmoins conclu, dans un avis du 6 mars 2008, au caractère illicite du site au regard de la loi informatique et libertés. Concernant l'éventuelle violation de la vie privée, la position de la CNIL diffère de celle du tribunal puisque la commission estime que "la mise en ligne sur internet de la notation d'enseignants et de leur établissement d'activité était susceptible de porter atteinte à leur vie privée en diffusant une affectation qu'ils ont pu souhaiter conserver confidentielle pour protéger leur vie privée".

Lexbase : Donner son avis sur un professionnel constitue-t-il irrévocablement de la diffamation, dès lors que les commentaires ne sont pas positifs ? Internet n'est-il pas, aujourd'hui, l'espace privilégié de la liberté d'expression ?

Etienne Papin : Il convient de distinguer la diffamation du libre exercice du droit de critique ou de la liberté d'expression qui a en droit français une valeur constitutionnelle.

La diffamation désigne "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé". En revanche, il est admis d'exercer un jugement critique, quand bien même il serait négatif, mais dans la limite de la loi de 1881 sur la liberté d'expression.

La limite entre la liberté d'expression et la diffamation est une problématique récurrente, aussi vieille que la loi de 1881. Elle ne connaîtra jamais de réponse définitive car il appartient au juge, en fonction des modes de communications et des époques, de fixer ce qui sera considéré comme diffamatoire ou non. Cette notion est évolutive. La société évolue et des propos considérés comme infamant hier ne le sont plus aujourd'hui.

Ce qu'il y a de nouveau avec internet c'est qu'il s'agit d'un outil de communication qui facilite l'exercice du droit à la liberté d'expression par tous. Avant internet, il était rare qu'un particulier s'exprime dans la presse écrite ou audiovisuelle. Avec internet, n'importe qui peut tenir des propos publics et par là-même, se rendre coupable de diffamation. C'est finalement une problématique d'éducation et de prise de conscience : on ne peut pas tout dire n'importe comment sur internet.

Lexbase : Pourtant il existe des sites qui recensent l'avis de internautes et qui ne souffrent aucune critique (ex. : sites d'évaluation de restaurants). Qu'est-ce qui les différencie des sites de notation qui sont dans le collimateur de la Justice ?

Etienne Papin : Ces sites traitent de produits ou de sociétés. La loi du 6 janvier 1978 "informatique et libertés" ne leur est donc pas applicable. Contrairement aux sites d'évaluation et de partage d'avis sur des produits ou des services de consommation (restaurants, hôtels, etc.) les sites de notation concernent eux directement des personnes physiques identifiées par leurs noms, prénoms et profession.

Concernant un site de notation d'avocats, la CNIL a déclaré qu'elle n'interdit pas en soi ce type de pratique à condition que ces sites respectent la réglementation en vigueur, notamment l'obligation d'obtenir le consentement des personnes concernées et à la condition que le site garantisse la mise en place effective d'un droit d'opposition. En pratique, cela rend illusoire la mise en place de tels sites de notation de professionnels, personnes physiques.

Il faut souligner que les avis publiés sur les prestations de service suscitent de plus en plus d'interrogations, notamment compte tenu de leur faible fiabilité. Récemment, Frédéric Lefebvre, secrétaire d'Etat à la Consommation, a chargé la DGCCRF de mener une enquête sur les sites d'évaluation publiant parfois de faux avis de consommateurs pour faire la promotion de leurs services. Les résultats de cette enquête seront instructifs et conduiront peut-être les pouvoirs publics à prendre de nouvelles dispositions pour encadrer ces pratiques.

Lexbase : La France ne fait-elle pas figure d'exception en la matière ?

Etienne Papin : Concernant la protection des données personnelles, la France a été l'un des premiers pays à se doter d'une législation particulièrement stricte en matière de droit au respect de la vie privée et de protection des données à caractère personnel.

Aujourd'hui la Directive du 24 octobre 1995 (Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données N° Lexbase : L8240AUQ), directement inspirée de la loi "informatique et libertés" française, a été transposée dans toute l'Union européenne. L'harmonisation n'est pas complète mais les législations sont proches.

Concernant ensuite la liberté d'expression, l'appréciation selon les législations peut en effet être différente. Le cas le plus emblématique est celui des Etats-Unis où le droit à la liberté d'expression, garanti par le 1er amendement de la Constitution américaine, prévaut et est systématiquement mis en avant par les internautes.

Lexbase : Récemment le ministre de l'Intérieur a manifesté sa volonté d'intervenir pour interdire la consultation d'une base de données de policiers mise en ligne par un site hostile aux forces de l'ordre. Le juge a fait droit à cette demande. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Etienne Papin : Copwatch est un site qui se présentait comme "administré par un collectif de citoyens souhaitant lutter par la transparence et l'information contre les violences policières". Sur ce site étaient publiées des photos de différentes scènes sur la voie publique dans lesquelles était intervenus des policiers. Ces photos étaient accompagnées de commentaires ou de précisions qui permettaient d'identifier les personnes sur les photos.

Le juge, considérant que les infractions d'injure et de diffamation étaient constituées et que le site permettait une collecte illicite de données à caractère personnel a enjoint aux fournisseurs d'accès (FAI) de bloquer le site. Cette décision a été prise en considération du fait qu'il n'était pas possible d'identifier l'éditeur du site ni l'hébergeur directement sur le site. Dans cette hypothèse la "LCEN" (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC) permet de solliciter du juge "toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne".

Comme il semblait techniquement difficile et onéreux pour les FAI de bloquer uniquement le contenu illicite, le juge a ordonné de bloquer l'intégralité du site.

Cette décision d'injonction aux FAI de rendre inaccessible le site Copwatch ne doit cependant pas être mal interprétée : il n'existe pas d'interdiction générale de diffuser une photo représentant un fonctionnaire de police lorsqu'il est en exercice, surtout si une telle photo vient illustrer un fait d'actualité en application du droit à l'information. Mais le site en question, par son agencement et les commentaires qu'il comportait, a été analysé par le ministère de l'Intérieur, les syndicats de police puis par le tribunal comme illicite notamment compte tenu des propos tenus et de la façon dont les données personnelles étaient collectées et traitées.

Lexbase : Bloquer l'accès à un site internet reste techniquement complexe, notamment lorsqu'il est hébergé à l'étranger ? Cette bataille n'est-elle pas vaine ?

Etienne Papin : Bloquer l'accès à un site est possible pour les fournisseurs d'accès à internet mais cela s'avère complexe et parfois onéreux à mettre en oeuvre.

Sans entrer dans les détails techniques, le blocage peut être fait à partir de l'adresse IP du serveur sur lequel se situe le site, par le nom de domaine du site litigieux ou enfin par un système combinant les deux méthodes. Contrairement à d'autres pays, en France le filtrage du réseau internet est rendu difficile puisqu'il est divisé entre plusieurs opérateurs.

La décision sur le site Copwatch est d'ailleurs très intéressante sur ce point car le tribunal est allé au-delà des demandes initiales (à savoir le blocage de certaines pages) et a fait injonction aux FAI de bloquer l'intégralité du site.

Une autre question soulevée par cette affaire est le fait que, manifestement, toutes les recherches pour identifier l'hébergeur du site n'ont pas été mises en oeuvre. La procédure menée au fond permettra peut-être que ces recherches soient diligentées. Cette question est d'autant plus importante que le tribunal précise que son injonction de bloquer l'intégralité du site "n'est en l'espèce rendue nécessaire et justifiée que par l'impossibilité actuelle d'identifier les responsables du site litigieux et son hébergeur".

La décision rendue à propos de l'affaire "Copwatch" a entraîné, du moins provisoirement, la mise en ligne quasi immédiate de sites miroirs. On peut donc légitimement se poser la question de l'efficacité d'une telle action. Mais ce n'est pas parce qu'il y a des difficultés techniques d'application qu'il faut renoncer à obtenir des décisions de justice et à poursuivre des comportements ou des contenus illicites sur internet.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'efficacité de telles mesures. En pratique, de nombreux sites internet disparaissent sous la menace de poursuites judiciaires. Prenons l'exemple du site de notation de médecins Note2bib qui a été fermé dix jours seulement après avoir été ouvert.

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