Réf. : Cass. civ. 3, 17 décembre 2015, n° 14-22.095, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8776NZ3)
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par Ariane Gailliard, Docteur en droit, ATER à l'Université Jean Moulin (Lyon 3)
le 26 Janvier 2016
La CEDH déclare que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale" et "de son domicile" (art. 8). La mise en perspective de ces droits avec les situations des gens du voyage n'est pas un cas d'école. La Cour refuse de donner à la notion de vie privée une définition arrêtée (1), et en retient une vision évolutive. Elle entend le domicile comme le "lieu, l'espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale" (2). Support de la vie privée, le domicile fait l'objet d'une conception autonome de la CEDH, indépendamment des qualifications retenues en droit interne, au gré des circonstances factuelles. Concernant les gens du voyage, le domicile a déjà été associé au terrain acheté (3), tout comme à la caravane (4). Les interférences entre domicile et vie privée, la conception large que la Cour retient de ces droits, lui a permis de créer, sur le fondement de l'article 8, un "droit au mode de vie" dans la célèbre affaire "Chapman c/ Royaume-Uni" (5), en considérant que "la vie en caravane fait partie intégrante de l'identité tsigane". On voit émerger un droit atypique, à la fois semblable à la notion de vie privée et familiale et distinct, par sa forte dimension sociale (6).
Si l'on comprend les fondements invoqués par les requérants, l'invocation du droit au logement était davantage discutable, même si la cour d'appel était tenue d'y répondre. La Cour européenne a en effet eu l'occasion de rappeler que "l'article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile, pas plus que la jurisprudence de la Cour" (7). Autrement dit, le droit au mode de vie ne saurait donner aux gens du voyage plus de droits que n'en donne le droit au respect de la vie privée, et ne saurait dégénérer en obligation positive de procurer un logement. Rappelons que, pour le moment, le droit au logement n'est en droit interne qu'un objectif à valeur constitutionnelle, et non un principe, contrairement à ce que soulevaient les requérants (8). La propriétaire, qui avait acheté un terrain pour y faire stationner des caravanes et construire des installations, s'était également fondée sur la violation du droit de propriété. La régularité de sa situation exclut l'occupation illégale, mais ne rendait pas pour autant un tel argument recevable. Dans la mesure où les installations sur le terrain contrevenaient aux dispositions du Code de l'urbanisme, les mesures prises en référé ne portaient pas atteinte à la jouissance du droit de propriété, mais à son exercice, ce qui est compatible avec l'article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4).
La consécration d'un "mode de vie" propre à l'identité tsigane permet aux gens du voyage d'invoquer tant l'article 8 § 1, en arguant d'une "obligation positive" pesant sur l'Etat de respecter ses traditions (9), que l'article 8 § 2, pour lutter contre diverses dispositions ne leur permettant pas une installation. Dans l'affaire "Chapman" du 18 novembre 2001, la Cour a établi à propos de cette population qu'une ingérence étatique pouvait influencer "sa faculté de conserver son identité tsigane et de mener une vie privée et familiale conforme à cette tradition". Il est souvent jugé en ce sens dans des cas d'expulsion d'une aire d'accueil (10), la Cour considérant que les "décisions ordonnant l'expulsion d'une communauté de près d'une centaine de personnes, ont des répercussions inévitables sur leur mode de vie et leurs liens sociaux et familiaux" (11).
En condamnant à l'évacuation des cinq caravanes occupées par la requérante et sa famille et à la démolition des ouvrages, le juge des référés portait donc bien atteinte à l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des requérants. L'arrêt ne porte donc pas sur l'ingérence en soi, mais sur ses justifications... Ou plutôt sur leur absence. En effet, si les aménagements et les constructions des gens du voyage étaient faites en violation des règles internes (I), les mesures ordonnées en référé par la commune n'en étaient pas moins inconventionnelles (II).
I - Des aménagements et des constructions en violation des règles internes
A l'appui de sa demande en référé, la commune invoquait la contrariété des installations aux dispositions du Code de l'urbanisme (A), caractérisant selon elle un trouble manifestement illicite (B).
A - L'objet de la violation : les dispositions du Code de l'urbanisme
Le terrain était situé dans un espace boisé et dans une zone classée "naturelle". Le plan local d'urbanisme (PLU) de la commune interdisait sur ce genre de zones "l'implantation des constructions à usage d'habitation", "les terrains de camping ou de caravanage ainsi que ceux affectés à l'implantation d'habitations légères de loisirs", "le stationnement des caravanes à usage de résidence principale ou d'annexe à l'habitation". L'ensemble des mesures prises par les requérants contrevenait donc au PLU. De plus, les installations des algécos et des cabanons de jardin étaient faites sans déclaration préalable, ce qui est contraire à l'article R. 421-9 du Code de l'urbanisme (12). Normalement soumis à l'obtention d'un permis de construire, certains aménagements et installations bénéficient d'une exemption et nécessitent seulement une déclaration préalable (13). Une telle formalité, qui nécessite le dépôt à la mairie d'un dossier, permet à l'administration de s'assurer que le projet est bien conforme aux règles d'urbanisme, auquel cas la mairie peut s'y opposer (14).
Les requérants s'exposaient ainsi aux deux catégories d'infractions prévues en droit pénal de l'urbanisme, l'une sanctionnant la méconnaissance d'une "règle de fond" (15), l'autre d'une règle de procédure (16). Les situations donnant lieu à un cumul de ces délits sont fréquentes (17), sans que l'on puisse vraiment savoir si ce cumul est voulu par le législateur ou s'il n'est que le simple reflet de la complexité de ces infractions (18). C'est un droit hétérogène, complexe et technique, qui a déjà été confronté au principe de légalité des délits et des peines (19) et dont l'efficacité est souvent remise en cause (20). Surtout, la diversité des buts qu'il poursuit (21) appelle à douter de son adaptabilité à la responsabilité pénale (22). Dans cette affaire, le droit pénal de l'urbanisme était tourné vers un but de régularisation davantage que de répression. La rédaction du procès-verbal d'infraction par les autorités a parfois un rôle incitatif, et peut donner lieu à une solution intermédiaire et à une résolution en amont du conflit le temps de l'instruction ; l'affaire sera ensuite classée sans suite (23). La violation des dispositions de droit de l'urbanisme était ici un argument avancé par la commune et repris par le juge des référés, utile pour caractériser le trouble manifestement illicite. Le juge pénal seul a le pouvoir de réprimer ces infractions, mais le juge des référés peut prescrire des mesures pour faire cesser le trouble manifestement illicite (24), y compris lorsqu'il s'agit "seulement" de violation de dispositions de droit de l'urbanisme (25), et non d'atteinte à la propriété.
L'ingérence de la commune dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile était donc bien prévue par la loi. Mais comme le veut l'article 8 § 2 de la CESDH, une telle étape n'est pas suffisante ; justifiée par la loi, une ingérence n'en est pas pour autant légitime. Dans ce genre de conflit, le constat de la violation d'une disposition légale ne peut suffire à entraîner l'expulsion, l'évacuation de la caravane ou la démolition des ouvrages. La CEDH avait déjà jugé en ce sens (26) et l'avait rappelé dans l'affaire "Winterstein et autres c/ France" (27). Le constat de la contrariété de la requérante aux dispositions internes n'était, dans la logique européenne, que la première étape. La cour d'appel s'était arrêtée là, sans doute convaincue qu'elle le pouvait grâce à la procédure particulière et au trouble illicite que le juge des référés avait constaté.
B - La conséquence de la violation : un trouble manifestement illicite
A l'appui de leur recours, les requérants contestaient la mesure en référé en soutenant que les stationnements et installations "ne sont pas à l'origine d'un trouble manifestement illicite, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, dès lors que la légalité du PLU de la commune [...] est contestable en l'absence de réalisation d'un aire de stationnement d'une capacité suffisante pour accueillir les gens du voyage". Un tel argument, rejeté par la cour d'appel, qui se contente d'affirmer qu'il y a trouble parce qu'il y a violation des dispositions de droit de l'urbanisme, et que les requérants "n'établissent d'aucune manière l'illégalité du PLU qu'ils invoquent" était-il recevable ?
Les requérants avaient en vue les exigences du Code de l'urbanisme, qui réglemente la rédaction des PLU. Le droit de l'urbanisme tente de concilier les exigences de protection environnementale des zones naturelles avec l'accueil des gens du voyage (28), dans le respect de la loi du 5 juillet 2000, dite "Loi Besson" (29). L'article L. 151-13 (N° Lexbase : L2570KIZ) prévoit ainsi que le règlement peut "délimiter dans les zones naturelles, agricoles ou forestières des secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées dans lesquels peuvent être autorisés" des constructions et des aires d'accueil, en précisant toutefois que ce n'est qu' "à titre exceptionnel". La loi "Besson" met en place pour les communes un schéma départemental destiné à prévoir des secteurs géographiques d'implantation des aires permanentes d'accueil pour les gens du voyage ; un tel schéma départemental figure à titre d'obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants (30). La commune concernée qui n'a pas établi une aire d'accueil ne bénéficiera pas de tout l'arsenal répressif mis en place par la loi (31). Forte de son nombre d'habitants, la commune d'Herblay est soumise à la loi "Besson". Cependant, les dispositions précitées ne s'appliquent pas au stationnement des résidences mobiles lorsque les personnes sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent (32), ce qui était le cas en l'espèce.
La lettre même de l'article 809, alinéa 1er, rend de plus un tel argument inopérant : les mesures en référé peuvent être prescrites "même en présence d'une contestation sérieuse". Si l'auteur du trouble a un droit à faire valoir, il doit le faire devant le juge, et non par un acte de "justice personnelle" ou sans respecter les dispositions légales applicables (33). D'ailleurs, la contestation était ici extérieure au trouble (34). Reste à déterminer, même si ce n'est que pure hypothèse, quelles actions seraient ouvertes aux requérants ; si une action fondée sur le droit au logement ne paraît guère envisageable (35), les requérants auraient pu contester la légalité du PLU devant le juge administratif (36), ce qui ne ressort pas de la compétence du juge des référés.
Entre la cour d'appel, qui affirme que l'article 8 et le droit au logement "ne peuvent faire obstacle" au respect des règles d'urbanisme ni faire disparaître le trouble manifestement illicite résultant de leur violation, et les requérants, qui dans leur conclusions d'appel, font valoir que l'article 8 et le droit au logement "doivent primer" sur les dispositions du Code de l'urbanisme et du PLU, qui a raison ? Personne, puisque la vérité doit jaillir d'une recherche d'équilibre ; pour être admise, l'ingérence de l'autorité nationale dans l'exercice d'un droit protégé par la Convention doit être prévue par la loi, et faire l'objet d'un contrôle de proportionnalité qui n'a été fait ni par le premier juge, ni par la cour d'appel. C'est pour cette raison que l'arrêt encourt une cassation pour défaut de base légale.
II - L'inconventionnalité des mesures prises par le juge des référés
La Cour de cassation rappelle que, lorsque les requérants invoquent une atteinte à un droit protégé par la Convention, le juge du fond doit en tenir compte en effectuant le contrôle de proportionnalité (A). Reste à envisager l'hypothèse, dans le cas où un tel contrôle avait été exercé, de son résultat (B).
A - La nécessité du contrôle de proportionnalité
L'article 8 § 2 nous apprend que l'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, ne peut être admise que si elle est "prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". L'atteinte doit donc réunir trois conditions : être prévue par la loi, obéir à un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Ce sont les deux dernières qui n'avaient pas été vérifiées. Pour un auteur, la notion de société démocratique exprime "la valeur centrale de l' ordre public européen' autour duquel s'ordonne aujourd'hui le droit européen des droits de l'Homme" (37). Dans l'affaire "Handyside c/ Royaume-Uni", la Cour considère qu'une société démocratique ne peut exister sans "le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture" (38) ; dans l'affaire "Young, James et Webster c/ Royaume-Uni", elle souligne que "la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l'opinion d'une majorité ; elle commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d'une position dominante" (39).
En bref, si les autorités nationales bénéficient d'une certaine autonomie et de la possibilité de porter atteinte à l'exercice des droits reconnus par la Convention, ce n'est qu'à la limite de respecter les conditions de l'article 8 § 2, que la jurisprudence européenne est venue clarifier. Toute mesure portant atteinte à un droit protégé doit être nécessaire, et une telle exigence "implique un besoin social impérieux ; en particulier, la mesure prise doit être proportionnée au but légitime poursuivi" (40). Afin de satisfaire à un besoin social impérieux, la CEDH contrôle si les motifs invoqués par l'Etat sont "pertinents et suffisants" (41) ; puis elle vérifie si "l'ingérence est proportionnée au but légitime" et qu'un "juste équilibre a été ménagé entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu" (42).
Afin de vérifier si ces conditions étaient réunies, le juge aurait donc dû se livrer à un tel contrôle : la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 8 de la Convention et de l'article 809 du Code de procédure civile. Les deux violations se rejoignent : dès lors que les parties invitent le juge à vérifier l'ingérence au regard d'arguments pour voir s'il y a proportionnalité, le juge est tenu de le faire, sans pouvoir se dissimuler derrière l'existence d'un trouble manifestement illicite. La CEDH a ainsi déjà établi que "lorsque des arguments pertinents concernant la proportionnalité de l'ingérence ont été soulevés par le requérant dans les procédures judiciaires internes, les juridictions nationales doivent les examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate" (43).
La Cour de cassation rappelle ainsi que le contrôle de conventionnalité s'impose au juge, même en référé. L'article 12 du Code de procédure civile, qui dispose que "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables", pourrait laisser penser le contraire, puisque le juge des référés ne tranche pas le litige. Mais un tel article a une portée bien plus générale que ne laisse penser le texte pris au sens littéral. Le contrôle du trouble semble de plus avoir partiellement été fait par le juge. Ce dernier doit être manifestement illicite, c'est-à-dire "qu'il ne doit pas y avoir de doute sur l'illicéité du trouble : le juge des référés est le juge de l'évidence" (44). En ne reprenant pas les conclusions d'appel tendant à mettre en balance les mesures prises en référé et l'atteinte au droit au respect de la vie privée, familiale et du domicile, la cour d'appel n'a pas clairement caractérisé le trouble. Par le visa de l'article 809, la Cour de cassation rappelle donc également qu'elle exerce un contrôle sur la notion de trouble manifestement illicite (45).
B - Le résultat éventuel du contrôle de proportionnalité
La Cour de cassation reproche à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si "les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile". L'étaient-elles ? Nous distinguerons les arguments des requérants des motifs qu'avançaient implicitement (ou qu'auraient dû avancer) les juges du fond.
Les requérants considéraient que les mesures prises en référé n'étaient pas "strictement nécessaires" car les juges n'avaient pas examiné si la mesure était proportionnée au regard "de l'ancienneté de l'occupation dans les lieux, de la longue tolérance de la commune, de l'absence de possibilité de relogement et de l'absence de droits de tiers en jeu". La tolérance ancienne de la commune paraissait selon eux incompatible avec le recours à la procédure de référé. Ils avaient de leur côté une jurisprudence antérieure : dans la procédure de droit interne qui avait donné lieu à l'affaire "Winterstein", le juge des référés avait rejeté la demande de la commune en relevant que "la longue tolérance de la commune, si elle n'était en aucun cas constitutive d'un droit, ne permettait pas de constater l'urgence ou le trouble manifestement illicite, seuls susceptibles de justifier la compétence du juge des référés" (46) ; l'affaire s'était alors déplacée devant le tribunal de grande instance et la CEDH avait approuvé un tel raisonnement. L'argument de la longue tolérance communale est souvent utilisé dans des cas similaires pour contester l'existence d'un trouble manifestement illicite, mais n'est pas, en droit recevable ; il est aujourd'hui constant que la demande en référé fondée sur l'article 809 peut être faite indépendamment de toute condition d'urgence (47). S'il peut dans les faits y avoir urgence, les juges n'ont pas à le constater. Dans des affaires similaires, la jurisprudence le constate : ainsi une cour d'appel a-t-elle considéré que "la présence ou l'installation de [...] caravanes, local sanitaire et chalet en infraction aux dispositions du POS et aux règles d'urbanisme applicables, caractérise un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du Code de procédure civile, sans que l'ancienneté de cette situation et sa connaissance depuis plusieurs années par la commune puissent faire obstacle à la constatation de ce trouble et à la compétence du juge des référés pour ordonner les mesures de remise en état qui s'imposent pour y mettre fin, étant rappelé que l'application de l'article 809 alinéa 1 n'est, en ce cas, pas subordonnée à la preuve de l'urgence de la mesure sollicitée" (48).
L'argument de l'absence de possibilité de relogement pouvait jouer en faveur des requérants, bien que les obligations de la commune ne s'appliquaient pas, comme nous l'avons vu, au cas d'espèce. L'ingérence dans l'exercice du droit au respect du domicile est plus communément admise lorsque les requérants ont établi illégalement le domicile, comme en cas d'installation illicite de campements (49). Ici, la requérante était propriétaire de la parcelle, ce qui jouait en sa faveur.
Dans le cadre du contrôle de proportionnalité, les autorités nationales bénéficient d'une marge d'appréciation reconnue par le juge européen, dont la latitude varie en fonction des intérêts en jeu : elle est assez large lorsqu'il s'agit de politiques sociales ou économiques (50), mais plus restreinte quand le droit en cause garantit des droits d'ordre intime, comme ceux protégés par l'article 8 (51). Concernant l'ingérence dans l'exercice du droit au domicile, la CEDH a déjà considéré qu'un besoin social impérieux était justifié pour le respect des droits d'autrui ou pour des exigences du bien être économique du pays (52).
Reste à se demander si les mesures prises en référé poursuivaient un besoin social impérieux. Deux motifs auraient pu, selon nous, être invoqués à l'appui des mesures d'évacuation des caravanes et de la démolition.
Le respect du droit environnemental d'abord, qui est un des soucis du droit de l'urbanisme (53). La parcelle litigieuse était ici située dans un espace boisé classé en zone naturelle, dont la protection est une obligation pour les auteurs des plans locaux d'urbanisme. Les modalités de règlement sont régies aux articles L. 151-11 et s. du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2568KIX) ; toute construction ou installation doit préserver "l'activité agricole ou la qualité paysagère du site" (54). Pour autant, le droit de l'urbanisme tente de concilier les exigences de protection avec l'accueil des gens du voyage, dans le respect de la loi Besson (55). Le juge des référés aurait donc certainement dû, en plus de constater l'illégalité des installations au regard du PLU, prouver qu'elles présentaient un danger pour la protection de l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. Des auteurs ont en effet montré en quoi le développement des stationnements prolongés de caravanes pouvait présenter certains problèmes au regard de l'environnement. Par "le mitage des zones naturelles (N), boisées ou agricoles, la multiplication de ces infractions a priori mineures pouvant avoir d'autres conséquences redoutables, comme une dispersion des moyens de secours en cas d'incendie et un accroissement conséquent des charges liées aux réseaux qui devront, à terme, être réalisées" (56).
Le besoin social impérieux des mesures pourrait ainsi se parer d'un deuxième argument, celui de la sécurité nationale. A condition, toujours, de le prouver... Dans un arrêt récent (57), la Cour de cassation avait approuvé la cour d'appel qui avait ordonné l'expulsion de personnes à la suite de l'installation illicite de campements. L'atteinte aux droits de l'article 8 avait été justifiée au regard de la sécurité des requérants et des tiers : les campements situés à l'angle d'avenues et à proximité d'une bretelle de sortie du boulevard périphérique, présentaient un ensemble de caractéristiques (il n'y avait pas de sanitaires, d'eau courante et d'électricité ; et le camp était gardé par des chiens dangereux), par lesquels la cour d'appel avait retenu "que la nécessité de prévenir un dommage imminent caractérisé par un danger pour la sécurité tant des usagers du boulevard périphérique que des intéressés eux-mêmes et de leurs familles, exigeait leur expulsion sans délai, a légalement justifié sa décision au regard des droits fondamentaux protégés par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales".
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