La lettre juridique n°640 du 21 janvier 2016 : Licenciement

[Jurisprudence] L'inexistence d'une autorisation administrative de licenciement accordée après expiration de la période de protection

Réf. : Cass. soc., 6 janvier 2016, n° 14-12.717, FS-P+B (N° Lexbase : A3922N3N)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 21 Janvier 2016

Les salariés protégés ne peuvent être licenciés sans une autorisation administrative préalable, à défaut de quoi, la rupture de leur contrat sera nulle et le salarié qui le souhaite, réintégré. Parfois, l'autorité administrative se croit compétente alors que la période de protection a expiré. Dans ce cas, la décision doit être considérée comme inexistante et sera réputée n'avoir jamais existé. C'est ce que confirme un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 6 janvier 2016 (I), ce qui permet à l'employeur de licencier le salarié, en dépit d'un refus d'autorisation, et laisse le juge judiciaire libre de ses appréciations sur la justification de la rupture (II).
Résumé

Dès lors que la période de protection légale a pris fin avant que l'inspecteur du travail ne rende sa décision, l'employeur retrouve le droit de licencier le salarié sans autorisation de l'autorité administrative, qui n'est plus compétente pour autoriser ou refuser cette mesure.

Commentaire

I - L'hypothèse de l'autorisation administrative inexistante

Cadre juridique. Les représentants du personnel bénéficient d'un régime juridique destiné à les protéger contre les atteintes injustifiées à leur mandat. Outre une application particulière du principe de non-discrimination (1), l'employeur qui souhaite les licencier doit obtenir une autorisation préalable de l'inspection du travail. La première protection peut être qualifiée de "matérielle", car elle vise des faits que l'employeur ne peut pas prendre en compte pour arrêter la mesure envisagée ; la seconde est "temporelle", dans la mesure où elle ne confère aucune immunité particulière au salarié qui peut donc être licencié pour tout motif, comme n'importe quel autre salarié, à la double réserve près que l'inspection du travail doit vérifier l'absence de tout caractère discriminatoire avant d'autoriser la rupture et peut s'y opposer s'il existe un motif d'intérêt général conduisant à maintenir le salarié en poste. Cette protection temporelle cesse à l'expiration de la période légale ou conventionnelle et pendant une durée qui varie selon la nature du mandat, contrairement à la protection contre les discriminations, qui survit tant que l'employeur prend en compte l'exercice du mandat dans ses décisions.

L'autorité administrative n'est donc plus compétente à l'expiration de cette période de protection. Reste à déterminer quelles sont les conséquences qu'il convient de tirer de cette incompétence, singulièrement lorsque l'employeur saisit indûment l'inspecteur du travail après l'expiration du mandat, et que celle-ci rend une décision alors que le salarié n'est plus protégé. C'est tout l'intérêt de ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui en tire des conséquences radicales, conformes aux solutions jusque-là admises.

L'affaire. Un salarié, engagé en janvier 2007 et dont le mandat de membre élu et secrétaire du CHSCT avait expiré le 13 février 2009, a été convoqué le 1er juillet 2009 à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire. Dans le même temps, l'employeur avait saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement qui lui avait été refusée. Le salarié ayant repris ultérieurement le travail, il a été convoqué le jour même à un entretien préalable à son licenciement avec mise à pied conservatoire, avant d'être licencié pour faute grave. Contestant son licenciement, le salarié a alors saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes.

La cour d'appel de Paris lui a donné raison et considéré son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse. La juridiction parisienne a, en effet, considéré que la lettre de licenciement visait des faits concernant la période de protection, et que ces derniers étaient les mêmes que ceux pour lesquels l'inspecteur du travail avait refusé le licenciement ; que dans sa décision de refus d'autorisation du licenciement, l'inspecteur du travail reprenait chacun des griefs énumérés dans la lettre de licenciement pour conclure que leur matérialité n'était pas établie ; et que si, à l'expiration de la période de protection, l'employeur peut licencier un ancien salarié protégé sans avoir à demander l'autorisation de l'inspecteur du travail, c'est à condition que le licenciement ne soit pas prononcé pour des faits antérieurs ayant déjà fait l'objet d'un refus d'autorisation de l'inspecteur du travail.

Telle n'est pas l'opinion de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse cette décision pour violation des articles L. 2411-13 (N° Lexbase : L0158H9Q) et L. 2421-3 (N° Lexbase : L0209H9M) du Code du travail. Pour la Haute juridiction, en effet, dès lors que la période de protection légale a pris fin avant que l'inspecteur du travail ne rende sa décision, l'employeur retrouve son droit de licencier le salarié sans autorisation de l'autorité administrative qui n'est plus compétente pour autoriser ou refuser cette mesure.

II - Une nouvelle application de la théorie de l'inexistence de la décision administrative

Une hypothèse inédite. La question qui se posait ici était de savoir si, lorsque l'inspecteur du travail se déclare compétent pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement alors que le salarié n'est plus protégé, cette décision est valable tant qu'elle n'a pas été retirée, ou annulée, et acquiert alors autorité de la chose décidée, ou si, au contraire, elle doit être considérée de plein droit comme nulle et non avenue.

Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de statuer sur ces hypothèses où le salarié n'était, en réalité, pas ou plus protégé, pour considérer, l'autorité administrative n'étant plus compétente (2), la décision comme inexistante et ne pouvant donc pas être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir, car ne faisant pas grief (3). L'employeur peut donc non seulement licencier le salarié, sans être tenu de saisir l'autorité administrative ni craindre d'être poursuivi pour entrave, mais il peut même le licencier alors qu'il aurait saisi l'autorité administrative avant l'expiration de la période de protection, mais que celle-ci n'aurait pas encore rendu sa décision au moment où la protection expire, l'autorité administrative étant, en quelque sorte, dessaisie par le terme de la protection (4).

Une nouvelle solution logique. La solution adoptée, qui assure la plénitude du pouvoir de licencier de l'employeur après l'expiration de la période de protection, est conforme à ces solutions (5). Le Conseil d'Etat traite, en effet, la décision, comme si elle était existante, c'est-à-dire que l'employeur n'a même pas à saisir le juge administratif pour faire prononcer la nullité de la mesure. N'existant pas, cette décision n'a aucune autorité, ni du point de vue de l'employeur, qui demeure donc libre de licencier le salarié en dépit d'un refus, ni du point de vue du juge judiciaire, qui n'est pas lié par l'autorité de la chose décidée, puisque de décision il n'y a pas. Il s'agit ici d'une application de la théorie administrativiste de l'inexistence (6) qui permet à l'administration de retirer à tout moment l'acte inexistant, et aux juges, tant judiciaires qu'administratifs, de la constater et d'en tirer toutes les conséquences utiles (7).

On peut, toutefois, penser que, même réputée n'être jamais intervenue, la décision administrative pourra être produite par la partie qui y aura intérêt, et que les observations factuelles faites par l'autorité administrative pourront peser dans le débat, singulièrement lorsque l'inspecteur du travail aura refusé d'autoriser le licenciement du salarié protégé, soit parce que les griefs sont inexistants, soit parce que la mesure masque, en réalité, une discrimination dans l'exercice des fonctions. Même si, officiellement, le juge judiciaire devra exercer pleinement sa compétence sans se sentir lié par les constatations de l'autorité administrative, sous peine de déni de justice, il pourra être influencé par celles-ci et considérer, à tout le moins, que le salarié a ainsi rapporté l'existence d'éléments de fait qui laissent supposer qu'il a été victime d'une discrimination en raison de l'exercice passé de son mandat. Faut-il le rappeler, l'expiration de la période de protection fait perdre au salarié le bénéfice de la procédure d'autorisation administrative préalable, mais non celui de l'application du principe de non-discrimination.


(1) C. trav., art. L. 2141-5 (N° Lexbase : L5555KGT).
(2) La solution vaut également si, au moment où le ministre du Travail statue dans le cadre d'un recours hiérarchique, le mandat a pris fin ; il peut alors soit rejeter le recours, soit l'annuler, mais dans cette dernière hypothèse, il n'a plus la possibilité d'autoriser le licenciement : CE, 8° et 9° s-s-r., du 30 juin 1997, n° 169269, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0396AEE).
(3) CE, 6° et 2° s-s-r., 19 juillet 1991 n° 84259 (N° Lexbase : A0005ARM) ; RJS, 1991, n° 1110 ; CE, 25 avril 1994, n° 77732 (N° Lexbase : A7146B88) ; RJS, 1994, n° 724.
(4) Cass. soc., 13 mai 2008, n° 06-42.806, F-D (N° Lexbase : A5235D8E). Sauf à démontrer la fraude ; ainsi, pour un licenciement prononcé le lendemain de l'expiration de la période de protection : Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-44.001, FS-D (N° Lexbase : A7752ERK).
(5) Son application n'est pas sans susciter certaines réserves du point de vue de la sécurité juridique : V. Nadan, Quelques remarques sur l'utilité d'une modulation à l'envers : l'inexistence en question, Droit administratif n° 6, juin 2010, étude 12.
(6) Lire, en droit privé, V. Peltier, Contribution à l'étude de la notion d'inexistence en droit privé, RRJ 2000, pp. 937-976.
(7) T. confl., 27 juin 1966, Guigon ; Rec. CE, 1966, p. 830 ; AJDA, 1966, p. 547, note A. de Laubadère.

Décision

Cass. soc., 6 janvier 2016, n° 14-12.717, FS-P+B (N° Lexbase : A3922N3N).

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 11 décembre 2013 n° 11/12208 N° Lexbase : A1093KRW).

Textes : C. trav., art. L. 2411-13 (N° Lexbase : L0158H9Q) et L. 2421-3 (N° Lexbase : L0209H9M).

Mots clef : salarié protégé ; autorisation administrative de licenciement.

Lien base : (N° Lexbase : E4048ET4).

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