La lettre juridique n°583 du 18 septembre 2014 :

[Doctrine] De l'art de faire n'importe quoi : l'oeuvre législative en droit des sûretés

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 18 Septembre 2014

"Jadis réputé poussiéreux et figé" (1), le droit des sûretés fait l'objet, depuis maintenant une quinzaine d'années, de nombreuses réformes.
La plus emblématique, et la plus importante, fut celle réalisée par l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH). Cette réforme peut être globalement qualifiée de réfléchie, puisqu'elle fut précédée et inspirée par un rapport, élaboré par des spécialistes du droit des sûretés, issus de l'Université et de la pratique. L'ordonnance ne s'est toutefois pas limitée au contenu du rapport, et comportait un certain nombre d'ajouts.
La réforme de 2006 avait été précédée par certains textes, tels la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), et a été suivie par de nombreux autres, relatifs à une ou plusieurs sûretés : les décrets du 23 décembre 2006 n° 2006-1803 relatif au gage des stocks (N° Lexbase : L9635HTZ) et n° 2006-1804, à la publicité du gage sans dépossession (N° Lexbase : L9636HT3), la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, introduisant en droit français la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM), la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté (N° Lexbase : L2777ICT), l'ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009, relative aux instruments financiers (N° Lexbase : L4604ICI), l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, relative à la fiducie (N° Lexbase : L6939ICY) et la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG). Ces différentes réformes, qui ambitionnaient toutes -du moins peut-on l'espérer- d'améliorer le droit français des sûretés, ont pour la plupart engendré des difficultés. Celles-ci sont telles qu'une certaine insécurité juridique a gagné le droit des sûretés.
Pour s'en convaincre, il suffit d'opérer un rappel (I) des critiques que l'on peut adresser à l'oeuvre législative en droit des sûretés, avant de proposer des solutions, sous forme d'un appel (II).

I - Le rappel

Les effets néfastes de l'oeuvre législative en droit des sûretés se font sentir tant dans les sûretés personnelles (A) que dans les sûretés réelles (B).

A - L'oeuvre législative en droit des sûretés personnelles

Les réformes récentes du droit des sûretés n'ont guère perturbé la garantie autonome et la lettre d'intention, pour une raison assez simple : le législateur n'a aucunement innové au sujet de ces sûretés. L'ordonnance du 23 mars 2006 s'est judicieusement contentée de les intégrer dans le Code civil, aux articles 2321 (N° Lexbase : L1145HIA) et 2322 (N° Lexbase : L1146HIB). Ces deux textes constituent un simple énoncé de quelques règles tirées de la pratique et de la jurisprudence, telles que l'inopposabilité des exceptions ou la théorie de l'appel manifestement abusif.

Le cautionnement a, en revanche, particulièrement souffert des lacunes législatives.

En premier lieu, il convient de remarquer que, faute d'habilitation législative (2), l'ordonnance du 23 mars 2006 n'a pu réformer la plus utilisée des sûretés personnelles. Le droit français du cautionnement date ainsi, en grande partie, de la promulgation du Code civil en 1804. Il en résulte quelques dispositions quelque peu désuètes, comme par exemple l'article 2296 (N° Lexbase : L1125HII), qui dispose que "la solvabilité d'une caution ne s'estime qu'eu égard à ses propriétés foncières".

Le défaut de réforme a également laissé subsister des doublons qui auraient utilement pu être supprimés. C'est ainsi qu'en 2014, le droit français connaît toujours des textes redondants relatifs à l'obligation d'information pesant sur le créancier ou à l'exigence de proportionnalité du montant du cautionnement aux biens et revenus de la caution. Certes, ces textes n'ont jamais exactement le même domaine d'application, quant aux personnes ou aux contrats principaux. Néanmoins, les articles L. 341-4 (N° Lexbase : L8753A7C à propos de la proportionnalité) et L. 341-6 (N° Lexbase : L5673DLP au sujet de l'obligation annuelle d'information) ont procédé à une telle généralisation de ces mécanismes qu'il est permis de se demander s'il n'aurait pas été possible de les regrouper en un seul texte, afin de supprimer les doublons.

Le défaut de réforme a enfin empêché de remédier à la balkanisation du droit français du cautionnement. A une époque où la simplicité du droit et l'accessibilité à la norme sont des impératifs unanimement reconnus, peut-on encore se satisfaire d'un cautionnement dont le régime relève d'une douzaine de codes (3) ?

Il serait cependant inexact d'écrire que les défauts du cautionnement découlent tous de l'absence de réforme en 2006. La loi n° 2003-721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), dite "loi Dutreil", a montré à quel point le législateur peut faire preuve d'ineptie lorsqu'il s'agit du droit des sûretés.

L'exemple le plus frappant est assurément constitué par les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation. Ces textes sont à ce point mal rédigés qu'ils ont permis toutes les interprétations, même les plus surprenantes, de la part de la jurisprudence. Les juges du fond ont ainsi pu annuler des cautionnements pour cause de point remplacé par une virgule (4), ou encore de lettre minuscule remplaçant une lettre majuscule (5). Certaines cautions ont vu dans ces textes une règle juridique à la hauteur de leur mauvaise foi (6). Même si la Cour de cassation a mis un peu d'ordre dans ce contentieux, le droit français ne sort pas grandi de ce genre d'errements législatifs et jurisprudentiels.

De même, les articles L. 341-2 à L. 341-4, en ne visant que la caution personne physique, a contraint la jurisprudence, sur le fondement de l'adage "ubi lex non distinguit [...]", à décider que ces textes sont applicables au dirigeant qui se porte caution de sa société (7). Sans même discuter de l'opportunité d'une telle idée sur le fond, il est permis de regretter que par la grâce de la loi du 1er août 2003, le Code de la consommation en vienne à protéger des dirigeants sociaux se portant cautions dans l'exercice de leur activité professionnelle...

Une dernière illustration est fournie par l'article L. 341-6, qui prévoit comme sanction de l'obligation annuelle d'information la déchéance du créancier de son droit au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus durant la période au cours de laquelle l'information fait défaut, et non la déchéance du créancier de son droit aux intérêts échus durant cette période. La sanction retenue révèle, elle aussi, la pauvreté intellectuelle et la faiblesse juridique des dispositions relatives au cautionnement issues de la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003. En effet, au contraire, par exemple, de l'article L. 341-1 du Code de la consommation, qui envisage l'information de la caution dès le premier incident de paiement du débiteur principal non régularisé dans le mois suivant l'exigibilité, l'information prévue par l'article L. 341-6 est absolument étrangère à une situation d'impayé. La référence aux pénalités et intérêts de retard n'a donc aucune raison d'être.

B - L'oeuvre législative en droit des sûretés réelles

L'oeuvre législative en droit des sûretés réelles est, sur certains points, tout aussi saugrenue qu'en droit du cautionnement. Et malheureusement, toutes les sûretés réelles semblent touchées.

L'hypothèque ordinaire n'a guère souffert des réformes récentes. En revanche, l'hypothèque rechargeable invite à se poser des questions quant à la méthode législative. Créée par l'ordonnance du 23 mars 2006, l'hypothèque rechargeable a été supprimée par l'article 46 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX). Certes, le succès pratique de ce mécanisme n'était pas flagrant. Cependant, les arguments justifiant cette suppression ne sont guère convaincants. Qualifier l'hypothèque rechargeable de "subprime à la française" (8) est risible. En outre, si l'on considère que l'hypothèque rechargeable est dangereuse pour les emprunteurs en raison de son caractère rechargeable, pourquoi ne pas avoir également abrogé la fiducie-sûreté rechargeable (C. civ., art. 2372-5 N° Lexbase : L2542IEU et 2488-5 N° Lexbase : L2532IEI) ? La seule explication plausible est que le législateur a oublié l'existence de la fiducie-sûreté rechargeable.

L'antichrèse était déjà mal aimée. Elle est maintenant également mal nommée. La loi du 12 mai 2009, dite de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, a considéré que la simplification et la clarification du droit des sûretés nécessitait un changement de vocabulaire. C'est ainsi que le législateur a décidé de remplacer le terme "antichrèse" par celui de "gage immobilier". Le simplisme d'un tel raisonnement laisse pantois. D'une part, pourquoi rattacher l'antichrèse au gage, quand la réforme du 23 mars 2006 l'en avait éloigné, la rapprochant de l'hypothèque ? D'autre part, qui peut sérieusement penser qu'une simplification du vocabulaire suffit à simplifier le fond ?

Les privilèges constituent l'une des faces les plus obscures du droit des sûretés. Obscure, car, au fil du temps, le législateur a créé un nombre de privilèges tel, qu'il est devenu quasiment impossible de tous les recenser! Le dernier exemple en date résulte de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY). Ce texte a ajouté un privilège immobilier spécial à la liste de l'article 2374 du Code civil (N° Lexbase : L9083IZG 1° ter), qui profite à l'opérateur chargé par une commune ou un établissement public de coopération intercommunale d'entretenir les parties communes ayant fait l'objet d'une expropriation sur le fondement de l'article L. 615-10 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8864IZC). A chaque nouveau privilège, c'est l'accessibilité et la prévisibilité du droit des sûretés qui en pâtit.

La fiducie est la sûreté qui a fait l'objet du plus de réformes récentes : outre la loi du 19 février 2007 qui a créé la fiducie française, la loi du 4 août 2008, les ordonnances des 18 décembre 2008 et 30 janvier 2009 et la loi du 12 mai 2009 l'ont considérablement retouchée. Si ces textes visaient à améliorer le mécanisme, voire à corriger certaines erreurs (9), ils ne sont pas exempts de reproches. D'un point de vue formel, il est permis de regretter d'avoir intégré la fiducie-sûreté dans le plan retenu dans le livre IV du Code civil, qui distingue entre les sûretés mobilières et les sûretés immobilières. La fiducie pouvant grever des meubles et/ou des immeubles, le législateur a créé des textes miroirs (C. civ., art. 2372-1 N° Lexbase : L2551IE9 à 2372-5 et 2488-1 N° Lexbase : L2497IE9 à 2488-5). Ceci était parfaitement inutile, et aboutit à ce que toute modification de texte doive être apportée en double exemplaire.

En outre, la loi de 2007, en créant la fiducie, l'avait limitée aux constituants personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés. Il s'agissait d'une sorte de période d'essai, destinée à évaluer l'intérêt de ce mécanisme avant de l'étendre aux personnes physiques pour lesquelles l'opération pourrait présenter davantage de risques. Or, moins de 18 mois plus tard, la loi du 4 août 2008 procède à cette extension, sans aucun recul, sans retour d'expérience, sans avoir examiné ce que la pratique entendait faire de la fiducie.

Enfin, s'agissant du gage, il est permis de penser qu'il est le plus touché. Le gage de droit commun a vécu une évolution bizarre en 2008, au sujet du droit de rétention accordé au gagiste sans dépossession. En effet, la loi du 4 août 2008, pour la modernisation de l'économie, a doté le créancier bénéficiaire d'un gage sans dépossession d'un droit de rétention dématérialisé (C. civ., art. 2286, 4° N° Lexbase : L2439IBX). Mais quatre mois plus tard, l'ordonnance du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté, déclare ce droit de rétention inopposable pendant la période d'observation et l'exécution du plan (C. com., art. L. 622-7, I N° Lexbase : L7285IZT), c'est-à-dire au moment où ce droit serait le plus utile ! Certes, la logique et les contraintes du droit des entreprises en difficulté sont différentes de celles du droit des sûretés, mais la confrontation de ces deux réformes, si rapprochées d'un point de vue chronologique, donne une impression d'improvisation non réfléchie.

Certains gages spéciaux ne sont pas en reste. L'illustration la plus marquante est sans conteste le gage sur stocks. Le problème découle de l'ordonnance de 2006, qui a créé cette sûreté, tout en autorisant le gage de droit commun à grever des biens fongibles et futurs. Ce texte ayant oublié d'articuler le gage de droit commun et le gage sur stocks, s'est posée la question de savoir si des stocks pouvaient être mis en garantie par le biais d'un gage de droit commun, plus simple à constituer. La cour d'appel de Paris a jugé que les parties pouvaient choisir entre les deux sûretés (10). La Cour de cassation a condamné cette solution, estimant que l'établissement de crédit qui souhaite une sûreté sur les stocks de son débiteur ne peut inscrire que le gage des stocks des articles L. 527-1 (N° Lexbase : L2852IXW) et suivants du Code de commerce (11). Cette position n'a visiblement pas convaincu la cour d'appel de Paris, qui, sur renvoi, a considéré qu'aucune disposition n'interdit aux parties de choisir l'application du droit commun du gage, et qu'elles peuvent donc valablement se référer aux dispositions des articles 2333 (N° Lexbase : L1160HIS) et suivants du Code civil (12). Ici encore, les hésitations sont dues au travail bâclé du législateur.

Tant de maladresses et d'approximations nécessitent des solutions (II).

II - L'appel

Pour remédier aux difficultés recensées précédemment, il est possible d'appeler à une réforme du cautionnement (A) et à davantage de pragmatisme dans le domaine des sûretés réelles (B).

A - Appel à une réforme du cautionnement

L'appel à une réforme du cautionnement se doit de commencer par une nuance. Si nous appelons de nos voeux une réforme du cautionnement, c'est à la condition qu'elle soit menée intelligemment. Si la réforme du cautionnement doit être du même niveau que la loi "Dutreil" du 1er août 2003, il est préférable de ne commettre aucune réforme.

Une réforme du cautionnement pourrait se servir, comme base de travail, du rapport remis par le groupe de travail présidé par M. Grimaldi. Certaines propositions contenues dans ce rapport seraient précieuses en vue d'une réforme.

Plus particulièrement, la volonté de restituer la cohérence du droit des sûretés, en luttant contre l'éparpillement des textes est louable. Des dispositions générales dans le Code civil relatives à l'obligation annuelle d'information de la caution (13) et à l'exigence de proportionnalité (14), accompagnées de l'abrogation des multiples textes spéciaux qui y sont relatifs seraient judicieuses.

De même, un texte précisant mieux quelles sont les exceptions appartenant au débiteur principal que la caution peut opposer au créancier serait le bienvenu (15), afin de mettre un terme aux incertitudes découlant de la jurisprudence du 8 juin 2007 (16).

Il est par ailleurs possible de penser à des améliorations du droit français des sûretés que n'avait pas proposé le rapport "Grimaldi". Ainsi, l'abrogation pure et simple des mentions manuscrites imposées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation serait opportune, au regard du contentieux suscité par ce texte, et de l'inefficacité de la protection fournie à la caution.

De même, il serait intéressant de mieux délimiter le périmètre des mesures de protection de la caution. Cela supposerait une définition précise de la caution avertie (17), notamment afin de clarifier la situation des professionnels du droit (18) et des cautions profanes assistées d'un conseil (19). Cela supposerait également de mieux distinguer les mesures de protection qui sont applicables aux seules cautions personnes physiques et celles qui peuvent aussi bénéficier aux cautions personnes morales.

Enfin, le droit du cautionnement octroyé par une société pourrait également être amélioré. Le législateur pourrait utilement déterminer les effets d'une fusion ou d'une scission sur le cautionnement (20). Il pourrait aussi préciser les conditions pour qu'un cautionnement soit, ou non, conforme à l'intérêt social (21). Il pourrait encore fixer le sort du cautionnement donné par une société anonyme sans autorisation du conseil d'administration (22).

Il ne s'agit là que de quelques pistes. Le droit français des sûretés réelles, quant à lui, pourrait faire l'objet de davantage de pragmatisme (B).

B - Appel à davantage de pragmatisme en droit des sûretés réelles

Comment est-il possible d'aboutir à davantage de pragmatisme en droit des sûretés réelles ?

Une première idée serait d'articuler plus souplement les sûretés réelles entre elles. Le cas du gage des stocks est très significatif : la position de la Cour de cassation, qui refuse aux contractants la possibilité de grever des stocks d'un gage de droit commun, n'emporte pas l'adhésion (23). Le gage des stocks obéit à un régime inutilement lourd pour un contrat conclu, par hypothèse, entre professionnels. Il serait certainement plus opportun de ramener le gage des stocks dans le giron du gage sans dépossession de droit commun, en précisant simplement que le pacte commissoire y est prohibé, puisqu'il s'agit là du principal enjeu.

Une seconde idée, beaucoup plus ambitieuse, serait de réduire le nombre de sûretés réelles que connaît le droit français. L'objectif serait d'élaborer un droit commun des sûretés réelles, et moins de règles spéciales. Le droit comparé offre un exemple intéressant d'une telle méthode : le législateur québécois a fait le choix de regrouper toutes les sûretés réelles conventionnelles en une seule: l'hypothèque (24). L'hypothèque n'est donc pas réservée aux biens immobiliers, et peut porter sur tout bien, meuble ou immeuble, corporel ou incorporel (25). Ainsi, sous le vocable "hypothèque", le droit québécois regroupe l'équivalent de l'hypothèque, du nantissement et du gage du droit français. Et lorsqu'elle porte sur des biens meubles corporels, l'hypothèque québécoise peut être constituée avec ou sans dépossession du constituant (26).

Le contraste est saisissant avec le droit français des sûretés, qui connaît la fiducie-sûreté, l'hypothèque, le gage immobilier, le gage de droit commun, le gage automobile, le gage des stocks, le gage du matériel et de l'outillage, les warrants, le nantissement de créance, le nantissement du fonds de commerce, le nantissement de parts sociales, le nantissement des comptes-titres, le nantissement du droit d'exploitation des logiciels, le nantissement des films cinématographiques, et une centaine de privilèges...

Les opposants à un tel regroupement font généralement valoir qu'il ne s'agit que d'une façade, car le droit québécois, en plus des règles générales, communes à toutes les hypothèques, connaît également des règles spéciales, en fonction de la nature du bien grevé. L'objection est fondée. Il n'en demeure pas moins que l'option retenue par le droit québécois présente un avantage considérable : il oblige le législateur à penser avant tout en termes de droit commun, ce qui est un facteur de simplification et de meilleure lisibilité du droit. Délaisser l'entassement des règles spéciales, au profit d'une réflexion sur le droit commun mériterait assurément l'attention de notre législateur.


(1) Expression empruntée à l'ouvrage de M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 9ème éd. 2010, 4ème de couverture.
(2) Loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie, art. 24 (N° Lexbase : L5001HGC).
(3) Sans compter les textes qui font un usage abusif des termes "cautionnemen" et "caution", les employant comme synonymes de dépôt de garantie: v. par exemple les articles 383 du Code des douanes (N° Lexbase : L0987ANU) ou R. 623-52 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L4304ADR).
(4) CA Rennes, 22 janvier 2010, n° 08/08806 (N° Lexbase : A5135ESY), JCP éd. G, 2010, doctr. 708, n° 2, obs. Ph. Simler, arrêt cassé par Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7), nos obs., La mention manuscrite dans le contrat de cautionnement, encore et toujours !, Lexbase Hebdo n° 251 du 18 mai 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N2752BSQ).
(5) CA Dijon, 26 janvier 2012, cassé par Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-19.094, nos obs.. Mentions manuscrites dans le cautionnement : la Cour de cassation tiraillée entre pointillisme et pragmatisme, Lexbase Hebdo n° 354 du 10 octobre 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8835BTE).
(6) V. également Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.623, F-P+B (N° Lexbase : A7128IUK), D., 2012, p. 2509, obs. V. Avena-Robardet, Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p. 11, obs. Ch. Albigès : remplacement de la lettre X par la désignation du débiteur principal ; Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, F-P+B+I (N° Lexbase : A0814KC7), D., 2013, p.1460, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette : substitution du mot "banque" à ceux de "prêteur" et de "créancier".
(7) Cass. com., 13 avril 2010, n° 09-66.309, F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39), D., 2010, p. 1985, note D. Houtcieff, RTDCiv., 2010, p. 593, obs. P. Crocq, RTDCom., 2010, p. 552, obs. C. Champaud et D. Danet, RDBF, septembre-octobre 2010, n° 172, obs. D. Legeais, V. Téchené, La sanction du cautionnement disproportionné souscrit par le dirigeant, personne physique, au profit d'un créancier professionnel, Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6432BPW) ; Cass. com., 19 octobre 2010, n° 09-69.203, F-D (N° Lexbase : A4348GCZ), RLDC, décembre 2010, p. 33, obs. J.-J. Ansault.
(8) Opinion du rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, à l'occasion de la discussion du rapport n° 1156 fait au nom de la Commission des affaires économiques.
(9) Par exemple, le fait pour la loi du 4 août 2008 d'avoir qualifié le décès du constituant personne physique de cause d'extinction de la fiducie-sûreté constituait une erreur, corrigée par la loi du 12 mai 2009.
(10) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 3 mai 2011, RG 10/13656 (N° Lexbase : A9188HZC), RTDCiv., 2011, p. 785, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal., 22 décembre 2011, p. 21, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
(11) Cass. com., 19 février 2013, n° 11-21763, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3699I8I), D., 2013, p. 493, note R. Damman et G. Podeur ; JCP éd. G, 2013, 539, note N. Martial-Braz ; JCP éd. G, 2013, 585, n° 16, obs. Ph. Delebecque ; Gaz. Pal., 21 mars 2013, p.22, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RLDC 1er avril 2013, p.26, note Ch. Gijsbers ; V. Téchené, Consécration du caractère exclusif du régime juridique du gage de stock, Lexbase Hebdo n° 329 du 28 février 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6011BTS). Adde, M. Bourassin, La force d'attraction du gage des stocks, D., 2013, p. 1363.
(12) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 27 février 2014, n° 13/03840 (N° Lexbase : A0421MGP), D., 2014, p. 924, obs. Ch. Gijsbers ; A. Bordenave, Gage de stocks : une espérance nouvelle à encourager, Lexbase Hebdo n° 381 du 15 mai 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2163BUN)
(13) Rapport Grimaldi, art. 2307.
(14) Ibid., art. 2305.
(15) Ibid., art. 2308.
(16) Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB), JCP éd. G, 2007, II, 10138, note Ph. Simler ; D., 2007, p. 2201, note D. Houtcieff ; G. Mégret, Retour sur la notion "d'exception purement personnelle" en droit du cautionnement, Lexbase Hebdo n° 267 du 5 juillet 2007 - édition privée (N° Lexbase : N7597BBY).
(17) Sur les difficultés liées à cette notion, v. E. Paldeveau, Réflexions sur la caution avertie, Dr. et patr., 1er octobre 2012, p. 36.
(18) Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-15.172, F-D (N° Lexbase : A2295EBM).
(19) Que la Chambre commerciale traite comme des cautions averties (Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-15.949, F-D N° Lexbase : A2301EBT), alors que la première chambre civile les qualifie de cautions profanes (Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n° 07-18.334, FS-P+B+I N° Lexbase : A6440EGM).
(20) V. par exemple les hésitations engendrées par Cass. com., 7 janvier 2014, n° 12-20.204, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0244KT9), JCP éd. G 2014, p. 686, note Ph. Simler ; Ch. Lebel, Transmission universelle du patrimoine en cas de fusion : transmission du cautionnement aussi !, Lexbase Hebdo n° 365 du 16 janvier 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0227BUX).
(21) Entreprise ébauchée par la Cour de cassation : Cass. civ. 3, 25 mars 1998, n° 96-17.307 (N° Lexbase : A5492ACE), Bull. Joly, 1998, p. 635, obs. A. Couret, Banque et droit, 1999, p. 47, obs. N. Rontchevsky ; Cass. com., 8 novembre 2011, n° 10-24438, F-D (N° Lexbase : A8873HZN), JCP éd. G, 2012, 626, n° 4, obs. Ph. Simler, RDBF, 2012, comm. 8, obs. A. Cerles, Dr. et patr., 2012, n° 211, p. 86, obs. Ph. Dupichot, Gaz. Pal., 22 décembre 2011, p.18, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Cass. civ. 3, 12 septembre 2012, n° 11-17.948, FS-P+B (N° Lexbase : A7475ISN), J.-B., Lenhof, Garantie hypothécaire donnée par une SCI et respect de l'intérêt social, Lexbase Hebdo n° 314 du 23 octobre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N4131BT8).
(22) A l'heure actuelle, entre l'irresponsabilité du dirigeant (Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-15.418 N° Lexbase : A5458AC7, JCP éd. E, 1998, p. 2025, note A. Couret) et celle de la société (Cass. com., 15 janvier 2013, n° 11-27.648, F-P+B (N° Lexbase : A4980I3T), D., 2013, p. 624, note B. Dondero ; JCP éd. G, 2013, 585, n° 5, obs. Ph. Simler ; Ch. Lebel, Précisions jurisprudentielles en matière d'autorisation des garanties, Lexbase Hebdo n° 328 du 21 février 2013 - édition affaires N° Lexbase : N5920BTG), c'est le créancier qui pâtit le plus de l'absence d'autorisation.
(23) D'où la résistance de la cour d'appel de Paris. Cf. supra.
(24) A cette hypothèque, il faut ajouter la fiducie-sûreté, et cinq priorités, qui sont des rangs prioritaires s'exerçant lors de la réalisation des biens visés par la priorité, et ne conférant aucun droit réel à leur titulaire: D. Pratte, Priorités et hypothèques, Ed. Revue de Droit de l'Université de Sherbrooke, 3ème éd. 2012, p. 453.
(25) C.c.Q., art. 2660.
(26) C.c.Q., art. 2665, al. 2.

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