La lettre juridique n°583 du 18 septembre 2014 : Sécurité sociale

[Textes] LFRSS 2014, une loi au service des politiques de l'emploi

Réf. : Loi n° 2014-892 du 8 août 2014, de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2014 (N° Lexbase : L0228I49)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 18 Septembre 2014

Les mesures annoncées dans le Pacte de responsabilité se déclinent dans la loi de finances rectificative pour 2014 (champ d'application du versement de transport ; réforme du financement de l'apprentissage ; modification du champ des bénéficiaires de l'allocation temporaire d'attente (1) : loi n° 2014-891 du 8 août 2014, de finances rectificative pour 2014 N° Lexbase : L0228I49) et la loi n° 2014-892 du 8 août 2014, de financement rectificative de la Sécurité sociale (LFRSS) pour 2014 (2). La forte médiatisation de la censure partielle prononcée par le Conseil constitutionnel (3) et l'investissement des parlementaires, en termes de travaux (4), rendent compte de l'importance des enjeux, tant politiques qu'économiques, peut-être aussi électoraux. La LFRSS 2014 comprend, classiquement pour une LFSS, des dispositions relatives aux recettes et équilibre général et des mesures relatives aux dépenses. Au titre des premières (recettes), la LFRSS 2014 prévoit :

- une nouvelle baisse du coût du travail ciblée sur les bas salaires jusqu'à 1,6 SMIC, en complément du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), pour une enveloppe estimée de 4,5 milliards d'euros en 2015 (loi n° 2014-892 du 8 août 2014, art. 1). Les taux d'allégements seront harmonisés entre les entreprises de moins de 20 et celles de plus de 20 salariés. Cette baisse permettra d'atteindre le "zéro charge URSSAF" au niveau du SMIC, dès le paiement des cotisations au titre des salaires de janvier 2015 ;

- une baisse des cotisations sociales des employeurs et des travailleurs indépendants ;

- les cotisations personnelles des travailleurs indépendants et des exploitants agricoles seront réduites de 3,1 points pour les cotisants dont les revenus sont inférieurs à 41 000 euros, la réduction étant prolongée de façon dégressive jusqu'à environ 52 000 euros ;

- une diminution de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), payée par les entreprises à proportion de leur chiffre d'affaires, entamera sa baisse dès 2015, avec une suppression prévue pour toutes les entreprises en 2017 (loi n° 2014-892, art. 2). Un abattement permettra, dès lors qu'elles ont un chiffre d'affaires inférieur à 3 250 000 euros, d'être totalement exonérées dès 2015 ;

- une réduction de cotisations salariales. Les cotisations salariales devaient diminuer dès le 1er janvier 2015 pour les salariés percevant jusqu'à 1,3 SMIC (loi n° 2014-892, art. 2). Mais elle a été censurée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., n° 2014-698 DC du 6 août 2014 N° Lexbase : A8365MUD) (5).

Au titre des dépenses, la LFSS prévoit :

- la révision à la baisse de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour 2014 (ONDAM) est revu à la baisse de près de 0,8 milliards d'euros, pour tenir compte des économies supplémentaires réalisées en 2013 ;

- l'absence de revalorisation pour une année, à titre exceptionnel, au 1er octobre 2014, des aides au logement et des retraites de base (à l'exception de celles touchées par des retraités dont le montant total des pensions est inférieur à 1 200 euros) (loi n° 2014-892, art. 9). Cette disposition n'a pas été censurée par le Conseil constitutionnel (6).

La LFRSS 2014 a également mis en place d'autres mesures :

- élargissement des possibilités de recommandations temporaires d'utilisation (C. santé. publ., art. L. 5121-12-1 N° Lexbase : L9697I3K ; CSS, art. L. 162-17-2-1 N° Lexbase : L9698I3L) ;

- élargissement de l'accès à l'aide à l'acquisition de la complémentaire santé aux contrats collectifs à adhésion facultative (CSS, art. L. 863-1 N° Lexbase : L2015IZN et L. 863-6 N° Lexbase : L4699H9W) ;

- obligation pour les contrats présentés dans le cadre des appels d'offres prévus pour déterminer les prestations susceptibles d'être couvertes par l'ACS de couvrir l'ensemble des bénéficiaires de l'ACS (CSS, art. L. 863-6 N° Lexbase : L4699H9W) ;

- possibilité de résiliation ou de modification d'un contrat en cours pour un titulaire de l'ACS (CSS, art. L. 863-4 N° Lexbase : L3463HW8) ;

- enfin, modulation en faveur des signataires d'un contrat d'accès aux soins du montant des plafonds de prise en charge des dépassements par les contrats d'assurance complémentaire éligibles à l'ACS (loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la Sécurité sociale pour 2014, art. 56 N° Lexbase : L6939IYN).

I - Les mesures d'allègement du coût du travail consacrées

Le dispositif comprend deux mécanismes : amplification des allégements généraux de cotisations patronales pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC ("réduction Fillon") ; réduction linéaire de 1,8 point des cotisations d'allocations familiales pour la même fourchette de rémunérations, pour les employeurs ; réduction forfaitaire de 3,1 points des cotisations personnelles d'allocations familiales des travailleurs indépendants jusqu'à 3 SMIC, puis d'une réduction dégressive de ces mêmes cotisations jusqu'à 3,8 SMIC.

Au printemps 2014, le Gouvernement a lancé un programme dit "zéro charges URSSAF" au niveau du SMIC. Sa mise en oeuvre passe par un double dispositif : amplification des exonérations de cotisations patronales par l'augmentation du taux des cotisations entrant dans le champ de l'exonération, sans modification de son ciblage sur les bas salaires (compris entre 1 et 1,6 SMIC) et sans modification du caractère dégressif du dispositif ; diminution, proportionnelle, de 1,8 point des cotisations d'allocations familiales pour les rémunérations comprises entre 1 et 1,6 SMIC.

A - Elargissement de la réduction "Fillon"

A ce jour, il existe deux mécanismes, au bénéfice des employeurs de salariés dont le salaire est le moins élevé : la réduction générale des cotisations patronales de Sécurité sociale (allégements "Fillon"), instaurée par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003, relative aux salaires au temps de travail et au développement de l'emploi (N° Lexbase : L0300A9Y) ; le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), créé par la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L7970IUQ).

La LFRSS 2014 réforme la réduction "Fillon", en l'élargissant à des catégories de cotisations qui en étaient jusque là exclues : cotisations et contribution des employeurs au Fonds national d'aide au logement (FNAL, soit 0,1 % pour les entreprises de moins de 20 salariés et à 0,5 %, pour celle de plus de 20 salariés) ; contribution de solidarité pour l'autonomie (taux de 0,3 %), dont bénéficie la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ; fraction des cotisations AT-MP, dans la limite de 1 %.

Enfin, en application de la LFRSS 2014 :

- à compter du 1er janvier 2015, l'allégement "Fillon" ne sera plus différencié selon l'effectif de l'entreprise (plus ou moins 20 salariés) puisque toutes les entreprises bénéficieront d'un même niveau de réduction ;

- à partir du 1er janvier 2015, le nouvel article L. 241-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2961IWL) ne reprend pas le dispositif permettant de neutraliser la rémunération des temps de pause, d'habillage et de déshabillage. La rémunération des temps de pause, d'habillage et de déshabillage ne constituant pas du temps de travail, versée en application d'une convention ou d'un accord collectif étendu en vigueur au 11 octobre 2007, sera réintégrée dans la rémunération totale retenue pour le calcul de l'allègement "Fillon" (ce qui aura pour conséquence d'en réduire le montant).

1 - Cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP)

La LFRSS 2014 intègre dans le champ des allègements généraux, les cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP), dans la limite de la cotisation minimale (CSS, art. L. 241-13-I N° Lexbase : L1981IP3) (7).

En 2011, en raison de la nature des cotisations AT-MP (directement liée à la sinistralité des entreprises), le législateur avait écarté du champ des allègements généraux les cotisations AT-MP (loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011).

La LFRSS 2014 (CSS, art. L. 241-5, al. 3 N° Lexbase : L3101IN8) réintègre les cotisations AT-MP du champ des allègements généraux pour la partie correspondant à la cotisation minimale commune à toutes les entreprises qui n'est pas liée au taux spécifique de sinistres intervenus dans l'entreprise mais à la situation financière générale de la branche. En effet, ce taux est indépendant des efforts que peut déployer l'entreprise pour réduire les risques.

2 - Cotisation au FNAL et contribution solidarité autonomie

La LFRSS 2014 a modifié le champ des allègements généraux de cotisations non seulement pour y réintroduire les cotisations AT-MP mais aussi y ajouter la cotisation au FNAL et la contribution solidarité autonomie. Cette innovation représente une réduction nouvelle de 1,8 point pour les entreprises de plus de 20 salariés et de 1,4 point pour les entreprises de moins de 20 salariés (LFRSS 2014, art. 2-I-5°, préc.).

B - Baisse des cotisations d'allocations familiales

1 - Réduction du taux de cotisation d'allocations familiales sur les salaires

La LFRSS 2014 a mis en place une réduction de 1,8 point du taux des cotisations d'allocations familiales à la charge des employeurs (CSS, art. L. 241-6 N° Lexbase : L5056I3N) (8). L'objectif poursuivi est double : renforcer la baisse du coût du travail sur les bas salaires et renforcer la progressivité des cotisations d'allocations familiales.

Ce taux réduit de cotisation s'appliquera :

- aux employeurs bénéficiant de la réduction "Fillon", c'est-à-dire les employeurs du secteur privé soumis à l'obligation de cotiser au régime d'assurance chômage, les employeurs des régimes spéciaux de Sécurité sociale des marins, des mines et des clercs et employés de notaires ainsi que certains employeurs du secteur parapublic ;

- pour les rémunérations ou gains versés à leurs salariés inférieurs ou égaux à 1,6 fois le montant annuel du SMIC (soit 27 751 euros bruts), que les salariés soient à temps plein ou à temps partiel, en contrat à durée déterminée ou indéterminée ;

- de façon uniforme jusqu'à 1,6 SMIC.

A compter du 1er janvier 2015, le taux des cotisations patronales famille au titre des salariés rémunérés entre 1 et 1,6 SMIC sera donc de 3,45 % et de 5,25 % pour les rémunérations supérieures à ce seuil.

2 - Exonération partielle pour les indépendants

A l'heure actuelle, les travailleurs indépendants sont soumis (CSS, art. L. 242-11 N° Lexbase : L4435IRP) à cotisation au titre des allocations familiales au même taux que celui applicable pour les employeurs (CSS, art. R. 242-13 N° Lexbase : L8674IUS), soit 5,25 % ; ils sont dispensés du versement de la cotisation les travailleurs indépendants lorsque le revenu d'activité est inférieur à un certain seuil (13 % du plafond annuel de la Sécurité sociale, soit 4 881 euros en 2014).

La LFRSS 2014 instaure une exonération partielle de cotisations d'allocations familiales pour ceux d'entre eux dont les revenus d'activité sont inférieurs à un certain seuil (le niveau doit être fixé par décret à l'équivalent de 3,8 SMIC nets annuels, soit un peu plus de 52 000 euros) (9).

La LFRSS 2014 s'inscrit dans la continuité de la réforme du régime social des travailleurs indépendants, engagée par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (N° Lexbase : L4967I3D). La loi du 18 juin 2014 a revu le niveau des cotisations minimales à compter du 1er janvier 2015. La cotisation minimale d'assurance maladie (976 euros pour les travailleurs indépendants dont les revenus d'activité sont inférieurs à 40 % du plafond annuel de la Sécurité sociale) s'établirait à environ 250 euros pour les travailleurs indépendants dont les revenus d'activité sont inférieurs à 3 830 euros (10,2 % du plafond annuel) ; la cotisation minimale d'assurance vieillesse de base (338 euros pour les travailleurs indépendants dont les revenus d'activité sont inférieurs à 1 971 euros), passera à environ 500 euros, pour faciliter l'acquisition de deux trimestres de retraite (au lieu d'un seul).

La LFRSS 2014 réduit jusqu'à l'équivalent de 140 % du plafond annuel de la Sécurité sociale, soit un peu plus de 52 000 euros par an :

- l'exonération serait proportionnelle et égale à 3,1 points de cotisations, jusqu'à l'équivalent de 3 SMIC nets annuels (soit un peu plus de 40 000 euros, soit 110 % du plafond annuel de la Sécurité sociale). Jusqu'à ce niveau de revenus, les travailleurs indépendants seront soumis à un taux de cotisations d'allocation familiales de 2,15 % (contre 5,25 % actuel) ;

- à partir du seuil de 3 SMIC nets annuels et jusqu'au plafond de 3,8 SMIC nets annuels, le taux de l'exonération décroîtrait linéairement.

II - Une mesure d'allègement du coût du travail invalidée

A - Le dispositif de réduction dégressive des cotisations salariales de Sécurité sociale

Le législateur a voulu instaurer une réduction dégressive des cotisations salariales de Sécurité sociale (CSS, art. L. 131-1 N° Lexbase : L4584AD7) (10). Cette réduction dégressive des cotisations à la charge des travailleurs salariés au titre des assurances sociales était assise sur les gains et rémunérations jusqu'à 1,3 fois le SMIC. Cette mesure devait également s'appliquer au régime des travailleurs salariés agricoles (C. rur., art. L. 741-15 N° Lexbase : L9514ITK) ainsi qu'à la fonction publique (C. pens. retr., art. L. 61 N° Lexbase : L3095INX). L'ensemble devait porter sur les cotisations dues au titre des rémunérations versées à compter du 1er janvier 2015.

- Objectif

L'exonération des cotisations salariales, pour les salariés dont les rémunérations étaient comprises entre 1 et 1,3 SMIC et pour les fonctionnaires dont les traitements sont compris entre 1 et 1,5 SMIC, aurait permis, selon les travaux parlementaires, de redonner du pouvoir d'achat à 5,2 millions de salariés et à 2,2 millions de fonctionnaires.

De plus, l'objectif poursuivi par le législateur était d'introduire un mécanisme, clairement affiché, de progressivité. Jusqu'à présent, le système des cotisations salariales reposait sur un principe de proportionnalité, dans les faits, atténué, en raison des mécanismes de plafonnement existants, les prélèvements salariaux présentant in fine une légère dégressivité. Il s'agissait donc de rétablir une plus franche progressivité de ces prélèvements, par l'introduction d'une réduction dégressive des cotisations salariales pour les rémunérations comprises entre 1 et 1,3 SMIC.

- Mécanisme

A ce jour (depuis le 1er janvier 2014), les cotisations à la charge des travailleurs salariés au titre des assurances sociales obligatoires s'élèvent à 0,75 % sur la totalité du salaire, au titre de l'assurance maladie, maternité, invalidité, décès ; 6,80 % en 2014 (puis de 6,85 % en 2015, de 6,90 % en 2016 et en 2017) sur la partie du salaire inférieure au plafond de la Sécurité sociale (soit 37 548 euros par an et 3 129 euros par mois) et de 0,25 % au 1er janvier 2014 (0,30 % au 1er janvier 2015 et de 0,40 % au 1er janvier 2017) au-delà du plafond de la Sécurité sociale, au titre de assurance vieillesse. A ces cotisations, il faut ajouter : 7,86 % pour une rémunération inférieure à 12 516 euros (8 % au-delà), au titre de la CSG et CRDS ; 3,05 % pour la tranche de rémunération inférieure à 3 129 euros et de 8,05 % pour la tranche comprise entre 3 129 euros et 9 387 euros, au titre des retraites complémentaires ; enfin, 2,40 % jusqu'à 12 516 euros, au titre de l'assurance chômage.

La formule de calcul de ce coefficient envisagée par le Gouvernement et présentée dans l'étude d'impact du projet de loi était : (0,03/0,3) x (1,3 x Smic annuel / rémunération annuelle - 1). Pour un salarié rémunéré au SMIC, le gain net lié à la mise en place de cette exonération de cotisations salariales se serait élevé à 520 euros par an ; 347 euros pour un salarié dont la rémunération est égale à 1,1 SMIC ; et 173 euros pour un salarié dont la rémunération est égale à 1,2 SMIC. Le gain se réduirait ensuite pour devenir nul à hauteur de 1,3 SMIC.

B - Son invalidation

Selon les requérants, l'introduction d'une réduction dégressive des cotisations salariales de Sécurité sociale serait contraire à la distinction entre les cotisations sociales et les impositions de toute nature et aurait pour effet de dénaturer l'objet des cotisations sociales ; en réservant la réduction dégressive de cotisations sociales aux seuls salariés dont la rémunération équivalent temps plein est comprise entre 1 et 1,3 SMIC, alors que ces salariés continueront de jouir d'un niveau de prestations sociales inchangé, le législateur méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

Le Conseil constitutionnel a été convaincu du bien-fondé de ces critiques (décision préc., cons. 12 et 13), et a rappelé que le législateur (PLFRSS 2014) avait institué une réduction dégressive des cotisations salariales de Sécurité sociale des salariés dont la rémunération, qui équivaut au temps plein, est comprise entre 1 et 1,3 SMIC ; mais dans le même temps, le législateur a maintenu inchangés, pour tous les salariés, l'assiette de ces cotisations ainsi que les prestations et avantages auxquels ces cotisations ouvrent droit. Ainsi, un même régime de Sécurité sociale aurait continué à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime. Il s'ensuit, pour le Conseil constitutionnel, que le législateur a institué une différence de traitement qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d'un même régime de Sécurité sociale, sans rapport avec l'objet des cotisations salariales de Sécurité sociale. Bref, cette disposition méconnait le principe d'égalité.

Une différence de traitement entre assurés d'un même régime placés dans la même situation peut être admise dès lors qu'elle repose sur des critères objectifs et rationnels et est en lien avec l'objectif poursuivi par le législateur. Cette problématique n'est ni récente ni inédite. Elle s'est posée essentiellement dans le champ des cotisations sociales versées par les employeurs (11), notamment au titre de la prévoyance complémentaire (12). En matière de cotisations sociales salariées, le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé à plusieurs reprises.

1 - Critère objectif et rationnel justifiant une différence de traitement

Dans la décision n° 2011-158 QPC du 5 août 2011 (N° Lexbase : L3735IPZ), portant sur une exonération de cotisations patronales sur certaines aides à domicile, le Conseil constitutionnel a estimé que l'objectif de favoriser le maintien à domicile de personnes dépendantes, en rapport direct avec l'exonération instituée, constituait un critère objectif et rationnel pour fonder la différence de traitement.

2 - Différences de traitement, en rapport avec l'objet de ces cotisations

En 2012, le Conseil constitutionnel (13) a reconnu qu'une différence de traitement distinguant entre les employeurs et les salariés est bien en rapport avec l'objet de la protection sociale.

Toujours en 2012, le Conseil constitutionnel (14), sur le fondement de ce principe selon lequel la différence de traitement doit être en rapport avec l'objet de ces cotisations, a déclaré la deuxième phrase du second alinéa de l'article L. 131-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4405IRL), issu du PLFSS 2012, contraire à la Constitution. En effet, le législateur avait voulu mettre en place des taux particuliers de cotisations d'assurance maladie sur la fraction des revenus des assurés d'un régime français d'assurance maladie exonérés en tout ou partie d'impôts directs en application d'une convention ou d'un accord international qui n'est pas assujettie à l'impôt sur le revenu. Pour le Conseil constitutionnel, le PLFSS 2012, en soumettant à un régime dérogatoire de taux de cotisations certains des assurés d'un régime français d'assurance maladie, a crée une rupture d'égalité ente les assurés d'un même régime qui ne repose pas sur une différence de situation en lien avec l'objet de la contribution sociale.

3 - Différence de traitement, en rapport avec une différence de situation

En l'espèce, le Conseil constitutionnel relève que la différence de traitement instituée par le dispositif de réduction dégressive des cotisations salariales de Sécurité sociale ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d'un même régime de Sécurité sociale. En effet, le législateur a maintenu inchangés, pour tous les salariés, l'assiette de ces cotisations ainsi que les prestations et avantages auxquels ces cotisations ouvrent droit. Ainsi, un même régime de Sécurité sociale aurait continué à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement (par les salariés dont le salaire est compris entre 1 SMIC et 1,3 SMIC, soit près d'un tiers de ceux-ci), de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime. La solution, assez peu commentée eu égard à son caractère très récent, a été approuvée (15).

La décision, pour être techniquement en ligne avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, n'emporte pas une approbation juridiquement totalement enthousiaste. Si le fondement de la solution se comprend parfaitement, un certain nombre d'arguments, en sens contraire, peuvent être avancés.

D'autres salariés bénéficient d'exonération de cotisations salariales, sans que l'argument d'atteinte de rupture d'égalité n'ait prospéré. Il s'agit :

- des apprentis, non soumis à aucune cotisation salariale sur le montant de leur rémunération correspondant au minimum légal (C. trav., art. D. 6222-26 N° Lexbase : L1946I4T) ;

- des salariés agricoles liés par un "contrat vendanges", lesquels bénéficient d'une exonération totale de cotisations salariales quel que soit le niveau de leur rémunération ;

- des stagiaires en entreprise et les stagiaires du service civique, lesquels jouissent d'une exemption d'assiette de leurs cotisations salariales maladie et vieillesse (dues uniquement sur le montant net de l'indemnité mensuelle) ;

- des salariés effectuant des heures supplémentaires, lesquels bénéficiaient d'une exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires et complémentaires. Mais cette mesure a été supprimée dans le cadre de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 (préc.) ;

- dans le cadre du complément de mode de garde, la branche famille prend en charge une partie des cotisations salariales des gardes d'enfants à domicile ainsi que des assistantes maternelles, à hauteur de 50 % pour les premières dans la limite d'un montant plafond, et en intégralité pour les secondes dans la limite d'un plafond journalier.

L'argument, avancé par le Conseil constitutionnel, selon lequel il n'est pas juste qu'une partie des salariés ne participe pas au financement des régimes de base de la Sécurité sociale (assurance vieillesse et assurance maladie) tout en étant pris en charge, au titre des prestations ("un même régime de Sécurité sociale continuerait à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime"), n'est pas du tout convaincant. Certes, en raison même du mécanisme mis en place par le législateur (LFRSS 2014), les salariés visés spécifiquement par le législateur auraient été dispensés de verser des cotisations salariales. En effet, le législateur a prévu un mécanisme dit de "compensation", selon lequel l'Etat prend à sa charge les exonérations (et autres dispositifs d'allègement et réductions de charges sociales), en raison des ressources financières dont les caisses de Sécurité sociale se seraient trouvées privé.

Or, la LFRSS 2014 a justement, spécifiquement mentionné, en son article 4, qu'un montant rectifié de 3,7 milliards d'euros sera affecté à la compensation des exonérations, réductions ou abattements d'assiette de cotisations ou contributions de Sécurité sociale (liste figurant à l'annexe 5 jointe au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014). En d'autres termes, le débat ne serait plus celui de l'égalité entre les cotisants ou de la différence de traitement entre les cotisants dont les rémunérations sont comprises entre 1 et 1,3 SMIC (par hypothèses, qui auraient été dispensés de verser des cotisations) et les autres salariés (dont la rémunération est supérieure).

Cette approche est réductrice, en ce que :

- les cotisants dont les rémunérations sont comprises entre 1 et 1,3 SMIC ne cotisent pas (directement), mais cotisent, indirectement, dans la mesure où c'est l'Etat (au titre du mécanisme de compensation) qui prend en charge leur cotisation ;

- dans la mesure où les cotisants dont les rémunérations sont comprises entre 1 et 1,3 SMIC cotisent (au final, indirectement, via l'Etat, au titre du mécanisme de compensation), la question de l'égalité de traitement, finalement, ne se pose plus, contrairement ce qu'avance le Conseil constitutionnel.

La question que pose cette décision du Conseil constitutionnel, au final, n'est pas tant celle de la rupture d'égalité entre cotisants (selon qu'ils appartiennent à la catégorie des cotisants 1-1,3 SMIC ou à la catégorie de cotisants + 1,3 SMIC) que celle du financement de la branche maladie et de la branche vieillesse, qui pourrait être assuré non pas par les cotisants mais par l'Etat ; en d'autres termes, la question de la fiscalisation du financement de ces branches.


(1) LSQ, n° 164 du 12 septembre 2014 ; loi de finances rectificative pour 2014 - Dispositions relatives à la taxe d'apprentissage, Lexbase Hebdo n° 581 du 4 septembre 2014 - édition fiscale (N° Lexbase : N3512BUM) ; Dispositions relatives à la prorogation de la contribution exceptionnelle sur l'IS, Lexbase Hebdo n° 581 du 4 septembre 2014 - édition fiscale (N° Lexbase : N3511BUL) ; Dispositions relatives au régime de l'abattement de droit commun en matière de plus-values mobilières concernant les stock-options et BSPCE, Lexbase Hebdo n° 581 du 4 septembre 2014 - édition fiscale (N° Lexbase : N3497BU3) ; D. Chrétien, Loi de finances rectificative pour 2014 - Prix de transfert : renforcement des prérogatives de l'administration concernant le contrôle des opérations avec les Etats et territoires non-coopératifs (ETNC), Lexbase Hebdo n° 581 du 4 septembre 2014 - édition fiscale (N° Lexbase : N3457BUL).
(2) Publication de la loi de finances rectificative de la Sécurité sociale pour 2014, Lexbase Hebdo n° 581 du 4 septembre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N3456BUK).
(3) Cons. const., décision n° 2014-698 DC, du 6 août 2014 ([LXB=8365MUD]) ; loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 Note, V. Collen, Cotisations des salariés modestes : les sages infligent un camouflet à Hollande, Les Echos, 7 août 2014 ; H. Bekmezian, Nouveau camouflet pour le gouvernement, Le Monde, 8 août 2014, p. 5 ; I. Ficek, Le camouflet du Conseil constitutionnel relance le débat fiscal à gauche, Les Echos, 8 et 9 août 2014, p. 3 ; J. Le Cacheux, Il faut réformer la CSG pour soulager les bas revenus, Le Monde débats, 10 et 11 août 2014.
(4) Essentiellement, G. Bapt, rapport Assemblée nationale n° 2061, 25 juin 2014 ; Y. Daudigny, rapport Sénat n° 703, 9 juillet 2014 ; J.-P. Caffet, avis Sénat n° 701, 9 juillet 2014 ; D. Lefebvre, avis Assemblée nationale n° 2058, 25 juin 2014 ; V. aussi G. Bapt, rapport Assemblée nationale, n° 2160, 18 juillet 2014 ;
(5) LSQ n° 16647, 8 août 2014.
(6) Selon les requérants, en limitant l'application de la règle de revalorisation annuelle à certaines pensions, le PLFRSS 2014 produisait un effet de seuil entre des assurés se trouvant dans des situations comparables, en violation du principe d'égalité. Le Conseil constitutionnel a rejeté l'argument (cons. 17). En réservant la revalorisation annuelle des pensions de retraite des régimes de base aux seuls pensionnés qui perçoivent des pensions de retraite inférieures à un seuil, le législateur a entendu préserver les faibles pensions de retraite. A cette fin, il a retenu l'ensemble des revenus de pension pour l'application d'un dispositif de revalorisation des seules pensions servies par les régimes obligatoires de base de Sécurité sociale. Cette mesure ne s'applique qu'à la seule revalorisation au titre de l'année 2014. Bref, le PLFRSS ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
(7) Not., G. Bapt, rapport Assemblée nationale n° 2061, préc., p. 72- 77, p. 91-100 ; Y. Daudigny, rapport Sénat n° 703, préc., p. 37.
(8) Not., G. Bapt, rapport Assemblée nationale n° 2061, préc., p. 100-101 ; Y. Daudigny, rapport Sénat n° 703, préc., p. 35.
(9) Not., G. Bapt, rapport Assemblée nationale n° 2061, préc., p. 103-108 ; Y. Daudigny, rapport Sénat n° 703, préc., p. 39 et p. 42-43.
(10) Not., G. Bapt, rapport Assemblée nationale n° 2061, préc., p. 59-70 ; Y. Daudigny, rapport Sénat n° 703, préc., p. 27-34.
(11) Not., P. Lokiec, L'égalité devant la loi, Dr. soc., 2014 p. 325 ; R. Lafore, L'égalité en matière de Sécurité sociale, RDSS, 2013 p. 379.
(12) J. Barthélémy, Egalité de traitement et sort des cotisations de prévoyance : à propos de l'article 17 de la LFSS du 20 décembre 2010 et du décret y afférent du 9 janvier 2012, Dr. soc., 2012. 510 ; D. Asquinazi-Bailleux, L'exonération de cotisations sociales et sa conjugaison avec le principe d'égalité de traitement, Dr. soc., 2013 p. 907.
(13) Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012, cons. 13 (N° Lexbase : A8299IYZ)
(14) Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012, préc., cons. 15.
(15) D. Rousseau, entretien, Le Monde, 8 août 2014, p.5.

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