La lettre juridique n°911 du 23 juin 2022

La lettre juridique - Édition n°911

Droit pénal général

[Brèves] Récidive : précision sur la détermination de la peine encourue pour l’infraction servant de premier terme

Réf. : Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-83.409, F-B N° Lexbase : A470977K

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N1888BZX

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par Adélaïde Léon

Le 22 Juin 2022

► La circonstance aggravante personnelle de récidive ne peut être prise en compte pour la détermination de la peine encourue pour l’infraction qui sert de premier terme de la récidive ; seule doit être retenue la peine édictée par la disposition réprimant l’infraction.

Rappel des faits. Un individu a été poursuivi du chef d’association de malfaiteurs en récidive. Condamné en première instance, il a relevé appel de cette décision. Le ministère public a également fait appel.

En cause d’appel. La cour a déclaré le prévenu coupable du chef précité considérant qu’il avait été condamné en février 2006 pour association de malfaiteurs, détention sans autorisation d’armes ou de munitions des première et quatrième catégories, fabrication ou détention non autorisées et sans motif, en bande organisée, de substance, élément ou engin meurtrier, incendiaire ou explosif.

L’intéressé a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Il est fait grief à la cour d’appel d’avoir déclaré le prévenu coupable du délit d’association de malfaiteurs en état de récidive légale alors que la condamnation constitutive du premier terme de la récidive légale portait sur une infraction que la loi réprimait d’une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement hors la circonstance personnelle de récidive.

Il était également reproché à la cour d’appel d’avoir retenu l’état de récidive légale comme circonstance aggravante du délit d’association de malfaiteurs alors que l’intéressé avait été relaxé de ce chef et que, s’agissant de la détention d’arme, la circonstance aggravante de bande organisée, qui n’était pas même visée à la prévention, n’a pas été retenue à son encontre.

Décision. La Chambre criminelle casse l’arrêt d’appel au visa des articles 132-9 du Code pénal N° Lexbase : L2124AMM et 593 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3977AZC.

La Cour rappelle qu’aux termes du premier de ces textes, lorsqu’une personne déjà condamnée définitivement pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement par la loi, commet, dans un délai de dix ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la peine, un délit puni de la même peine, le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé.

La Cour précise que, dans le cadre de l’application de ces dispositions, la circonstance aggravante personnelle de récidive ne peut être prise en compte pour la détermination de la peine encourue pour l’infraction qui sert de premier terme de la récidive. Seule doit être retenue la peine édictée par la disposition réprimant l’infraction.

En l’espèce, l’arrêt de février 2006 avait en réalité :

  • relaxé le demandeur pour le délit d’association de malfaiteurs en état de récidive légale ;
  • déclaré coupable le demandeur de détention illégale d’armes et de munitions des première et quatrième catégories, aggravée et en récidive, de détention illégale d’explosifs en récidive, sans que soit visée la circonstance aggravante de bande organisée, et de recel de vol avec effraction commis en récidive.

Or, les dispositions réprimant les infractions retenues en février 2006 prévoyaient des peines inférieures à dix ans d’emprisonnement, en dehors de la récidive.

Le raisonnement de la Cour peut donc se résumer ainsi :

  • la circonstance aggravante personnelle de récidive ne doit pas être prise en compte dans le calcul de la peine encourue pour l’infraction constituant le premier terme de la récidive ;
  • en l’espèce, les peines édictées par les dispositions réprimant les infractions retenues en février 2006 étaient inférieures à dix ans, en dehors la récidive ;
  • le premier terme de la récidive n’était donc ici pas constitué.

Contexte. Dans un arrêt du 30 juin 2021, la Chambre criminelle avait jugé que les causes d'exemption ou d'atténuation de la peine ne sauraient être prises en compte pour la détermination de la peine d'emprisonnement encourue au sens des articles 132-8 N° Lexbase : L2197AMC et suivants du Code pénal.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Obligation de délivrance du bailleur et règles d’urbanisme

Réf. : Cass. civ. 3, 1er juin 2022, n° 21-11.602, FS+B N° Lexbase : A58527YE

Lecture: 19 min

N1924BZB

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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

Le 21 Septembre 2022

Mots-clés : bail commercial • local édifié sans permis de construire • destination de commerce de pizzas à emporter • obligation de délivrance • exploitation du local conformément à sa destination (non) • défaut de conformité (oui) • manquement du bailleur à son obligation de délivrance (oui) • résolution du bail aux torts du bailleur (oui).

L’obligation de délivrance, qui prend une coloration particulière dans le cadre du bail commercial en raison de la finalité spécifique de ce contrat spécial ayant vocation à permettre l’exercice d’une activité économique, fait l’objet d’un contentieux abondant tant s’agissant de son contenu que de son étendue. La présente décision offre une nouvelle occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur les contours de l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur de locaux commerciaux. Elle rappelle d’abord, au visa de l’article 1719 du Code civil, que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.

Elle retient ensuite qu’en rejetant la demande en résolution du bail, aux motifs que le locataire exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers alors qu’elle relève que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte précité.


 

1. Cet arrêt vient s’ajouter aux décisions déjà rendues par la Haute juridiction à propos des contours de l’obligation de délivrance dont est tenu le bailleur vis-à-vis de son locataire, s’agissant spécifiquement de la conformité des locaux aux règles d’urbanisme. La solution n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la droite ligne jurisprudentielle établie en la matière.

2. Dans l’affaire litigieuse, des consorts ont consenti un bail commercial, le 1er juillet 2009, à une société portant sur un local édifié sans permis de construire, à destination de commerce de pizzas à emporter. La conclusion dudit bail s’est faite à la suite de l’acquisition du fonds de commerce. À la requête de la société locataire, une expertise judiciaire a été diligentée afin d'établir la situation administrative de toute la construction au regard des permis et certificat de conformité. En l'état de ce rapport, l’entreprise locataire a attrait les bailleurs devant le tribunal de première instance de Papeete, par requête enregistrée le 30 juillet 2012 et assignations des 25, 26 et 30 juillet 2012, en sollicitant principalement la résiliation du bail commercial aux torts exclusifs des bailleurs, avec effet rétroactif, ainsi que leur condamnation au paiement de différentes sommes au titre de l'indemnité d'éviction et du remboursement des loyers indûment versés.

3. Par jugement du 10 septembre 2018, le tribunal civil de Papeete a prononcé la résiliation judiciaire du bail commercial signé le 1er juillet 2009 à compter de la date du jugement et condamné les consorts bailleurs à payer la somme de 614 600 FCP à la société locataire. Suivant requête enregistrée au greffe le 1er février 2019, cette dernière a relevé appel de la décision de première instance. À l’appui de son appel, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de se prononcer sur la résiliation du bail aux torts exclusifs des bailleurs, mais à l'effet rétroactif à compter de cette date et en visant, tout à la fois, la condition résolutoire toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques par application de l'article 1184 du Code civil N° Lexbase : L1286ABA et l'existence d'un dol, sanctionné par la nullité du contrat conformément aux dispositions de l'article 1116 du même code N° Lexbase : L1204AB9, et de condamner les bailleurs à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts liés au manque à gagner et à la perte éprouvée en ce que le fonds de commerce est invendable, au remboursement des loyers ainsi qu’au chiffre d'affaires pondéré. La cour d’appel [1] rejette la demande de l’appelante en résolution du bail, puisqu’il n'est pas établi que les bailleurs ont commis des manœuvres telles sans lesquelles la société preneuse n'aurait pas contracté, alors que les clauses du bail permettaient l'exploitation paisible du commerce envisagé.

S’agissant ensuite de la résiliation, la cour d’appel rejette également la demande aux motifs que l’entreprise locataire exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers, après avoir relevé, de façon assez paradoxale, que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir.

En revanche, elle considère qu’il s'évince des dispositions combinées des articles 1721, alinéa 2 N° Lexbase : L1843ABU, et 1147 N° Lexbase : L1248ABT du Code civil, applicables en Polynésie française, que le bailleur est tenu d'indemniser le preneur des pertes causées par le défaut de la chose louée, en particulier lorsque ce défaut résulte de sa faute, de sorte que les bailleurs ont commis une faute, à l'origine du défaut de conformité de la chose louée, ayant causé à l'appelante des préjudices qu'il leur incombe de réparer.

Insatisfaite de cette décision, la société locataire se pourvoit en cassation.

Selon un premier moyen, elle reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de résolution du bail aux torts des bailleurs et en réparation de ses préjudices, alors « que le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que pour juger que la société locataire ne démontre pas que les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance, la cour d'appel a retenu qu'elle exploitait le local litigieux conformément à sa destination, qu'un commerce identique était exploité dans les lieux de manière constante depuis 1996, qu'elle ne produisait pas de courrier de l'administration lui enjoignant de quitter les lieux et que selon l'expert, l'absence de régularité de la situation administrative du local n'avait pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé, pour retenir une faute à l'encontre des bailleurs, que la chose louée était affectée d'un défaut de conformité dont il n'était pas démontré qu'il était régularisable, causant des troubles d'exploitation à la société locataire "consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de sa capacité à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1719 du Code civil N° Lexbase : L8079IDL ».

Cet argumentaire emporte la conviction des Hauts conseillers qui cassent et annulent l’arrêt d’appel, en toutes ses dispositions, et remettent l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoient devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée. À ce titre, ils rappellent d’abord, au visa de l’article 1719 du Code civil, que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée. Ils en déduisent ensuite que la cour d’appel, en rejetant la demande de la société preneuse en résolution du bail, aux motifs qu'elle exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers, alors qu’elle relève que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé.

4. Cette solution apparaît pleinement cohérente et justifiée. Il est évident qu’un défaut de conformité des locaux aux règles d’urbanisme caractérise bien un manquement du bailleur à son obligation de délivrance (I). Quant à la sanction d’un tel manquement, s’il en existe plusieurs, celle de la résolution semble justifiée (II).

I. La caractérisation d’un manquement à l’obligation de délivrance

5. Dans le silence du statut des baux commerciaux, celui-ci ne définissant pas les obligations des parties dans les articles L. 145-1 N° Lexbase : L2327IBS à L. 145-60 du Code de commerce, il faut s’en remettre au droit commun du bail régi par les articles 1714 N° Lexbase : L1775IEH et suivants du Code civil [2]. Concernant précisément l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur, ce sont les articles 1719, 1° et 1720, alinéa 1er N° Lexbase : L1842ABT, qui s’appliquent. Ce n’est qu’à la marge que le statut des baux commerciaux a eu une incidence sur l’obligation de délivrance dans ses articles L. 145-40-2 N° Lexbase : L4976I3P et R. 145-35 N° Lexbase : L7051I4W [3]. Le législateur ne définit pas l’obligation de délivrance et se contente d’instituer l’obligation sans la définir. L’article 1719, 1° dispose que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée ». Et l’article 1720, alinéa 1er, ajoute que « le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce ». La notion d’obligation de délivrance s’est donc construite au gré des décisions jurisprudentielles et des interprétations doctrinales. Au-delà de la question centrale relative à la marge de liberté contractuelle, cette obligation a soulevé d’autres questionnements, notamment ceux de son contenu exact, de son autonomie par rapport à ses obligations voisines ou encore de sa conception temporelle. C’est justement sur un de ces derniers points que l’arrêt soumis à notre analyse revient.

6. De façon analytique, l’obligation de délivrance correspond à une double prestation : une prestation de mise à disposition et une prestation de mise en état conforme de la chose louée [4]. Ces deux prestations, qui ancrent le contenu de l’obligation de délivrance, comprennent l’ensemble des actions qui assurent la mise à disposition de la chose et qui tendent à mettre cette chose dans un certain état matériel, fonctionnel ou juridique. D’un point de vue fonctionnel, cette même obligation a pu être définie comme une mise en capacité d’exercice de l’activité économique du preneur, justifiant ainsi son caractère essentiel [5] et paralysant toute clause qui porterait atteinte à sa substance [6]. Obligation première du bailleur, elle permet la réalisation de la finalité du bail commercial qui n’est autre que l’exercice du droit de jouissance et donc le retrait des utilités du bien loué. L’obligation de délivrance trouve ses prolongements dans d’autres obligations dont elle se distingue : obligations d’entretien, de jouissance paisible, de réparation et de garantie des vices cachés [7]. Aussi, la délivrance est une obligation continue qui perdure pendant toute la durée du bail [8]. Cette obligation à la structure duale affiche un contenu particulièrement vaste. En effet, celle-ci implique de mettre à la disposition du locataire une chose dans un état conforme non seulement au regard du contrat (volonté des parties), mais également de la loi, des règlements et du juge [9]. On assiste à une standardisation de la conformité de la chose à délivrer notamment eu égard aux règles d’urbanisme. Ce faisant, compte tenu de ces caractéristiques, la troisième chambre civile ne pouvait que caractériser un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance en présence d’un local donné à bail alors que celui-ci a été édifié en infraction aux règles d’urbanisme.

7. Effectivement, pour censurer la solution de la cour d’appel, la Cour de cassation vise précisément l’article 1719 du Code civil et en rappelle la teneur en indiquant que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée. Cela lui permet d’en déduire que les juges du fond auraient dû reconnaître un manquement du bailleur à son obligation de délivrance dans la mesure où ils avaient bien pris acte que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les bailleurs ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir et ce, même si dans les faits, les locaux ont pu être exploités conformément à leur destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et si l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas eu d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce. Il est évident que la location d’un bien immobilier édifié sans permis de construire constitue un défaut de conformité justifiant un manquement du bailleur à son obligation de délivrance : « pour satisfaire son obligation de délivrance, le bailleur doit délivrer un local ayant une destination contractuelle conforme aux règles d’urbanisme en vigueur, conforme à la destination et l’usage que le bien peut effectivement recevoir au regard des règles d’urbanisme » [10]. La Cour de cassation l’a déjà affirmé à propos d’un bail rural consenti pour un parc de chasse dont les terres ne pouvaient être utilisées conformément à cette destination [11]. Il en va de même pour le bailleur qui ne vérifie pas si la chose louée pouvait être affectée à l'usage prévu au bail, alors qu’une disposition du POS empêchait l’exercice de l’activité prévue [12], qui ne délivre pas des locaux susceptibles d'être affectés à un usage commercial au regard de la loi [13] ou qui loue un local pour l'exploitation d'un centre équestre, avec une clause de destination « tous commerces » alors que le maire de la commune rejette une demande de permis de construire pour l'édification d'un restaurant [14]. Dans cette logique, l'autorisation administrative prévue par la loi doit être obtenue par le propriétaire bailleur préalablement à la signature du bail initial [15]. A minima, celui-ci doit au moins s’assurer qu’il est possible de l’obtenir, d’autant plus qu’une régularisation postérieure est sans effet [16]. Aussi, dans la mesure où l’obligation de délivrance doit mettre en capacité le preneur d’exercer son activité économique, il semble logique que le droit de l’urbanisme, dont le but est de prescrire des contraintes d’intérêt général [17] participant ainsi à la protection de l’activité économique, voit ses règles intégrer le champ de l’obligation de délivrance [18].

Un tel manquement étant établi, il pouvait dès lors être sanctionné.

II. La sanction d’un manquement à l’obligation de délivrance

8. Les manquements à l’obligation de délivrance peuvent être sanctionnés de diverses manières, notamment par la résolution du bail [19]. Si le droit positif prévoit plusieurs mécanismes pour sanctionner le bailleur d’un manquement à son obligation de délivrance, les règles d’attribution ou de choix de ces sanctions sont très sommaires. Au-delà du choix discrétionnaire du preneur de demander telle ou telle sanction et de la hiérarchie découlant du nouvel article 1217 du Code civil N° Lexbase : L1986LKR [20], de la mise en demeure préalable [21], de la gravité de l’inexécution, du coût déraisonnable ainsi que de l’appréciation du juge [22], aucune autre règle ne gouverne l’attribution et la combinaison des sanctions. C’est la raison pour laquelle une sanction peut tout à fait être adaptée dans sa nature, par l’objectif qu’elle poursuit, mais se révéler inefficace parce qu’elle a été préférée à une autre sanction et appliquée dans un contexte qui ne s’y prêtait pas [23]. S’agissant spécifiquement de la résolution du contrat, celle-ci doit remplir certaines conditions. C’est sur ce point que la solution commentée invite à réfléchir en second lieu.

9. En matière de contrats à exécution successive, dont le bail est l’exemple topique, c’est l’arrêt du 30 avril 2003, qui marque la possibilité de demander la résolution [24], bien que celle-ci ait déjà été prononcée auparavant lorsque les locaux commerciaux, devant être délivrés à usage de commerce, étaient impropres à leur destination et alors que le bailleur ne prouvait pas qu'il avait avisé le preneur de la situation administrative du terrain [25]. Depuis la réforme des contrats, l’article 1226, nouveau, du Code civil N° Lexbase : L0937KZQ offre la possibilité au créancier, outre le jeu d’une clause résolutoire formulée au profit du locataire [26] et réglementée par l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE, de résoudre le contrat par voie de notification, à ses risques et périls et à condition qu’il ait préalablement mis en demeure, sauf urgence, le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable [27]. L’article ajoute que la mise en demeure doit mentionner expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat, ce qui signifie que la sanction n’est pas automatique [28]. La résolution devra être motivée, sachant que le débiteur pourra, à tout moment, saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier devra alors prouver la gravité de l'inexécution. En principe, la résolution du bail, en ce qu’elle ne produit pas d’effet pour le passé et n’entraîne des restitutions qu’à partir du moment où le contrat a commencé à ne plus être exécuté correctement par le débiteur bailleur, donne lieu à la restitution des loyers perçus uniquement après l’inexécution [29]. Aussi, le preneur ne sera pas tenu au versement des loyers, mais seulement à celui d’une indemnité d’occupation correspondant à la valeur locative du bien [30]. Toutefois, par un arrêt inédit du 15 octobre 2014, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a censuré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, un arrêt d’appel ayant prononcé la résolution d’un bail commercial pour manquement du bailleur à son obligation de délivrance et condamné le locataire à verser une indemnité d’occupation au bailleur, au motif que ce dernier n’avait tiré aucun avantage de la mise à disposition des lieux [31]. Dans ces conditions, le défaut de délivrance pouvait donner lieu à la résolution du contrat de bail.

10. Justement, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui a rejeté la demande en résolution du bail pour manquement à l’obligation de délivrance. De plus, en application de l'article 624 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7853I4M, il s’en infère que la cassation à intervenir sur le pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions critiquées par le moyen du pourvoi incident fixant le montant des préjudices subis par la société locataire, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

En l’occurrence, puisqu’un défaut de délivrance conforme était caractérisé et que la gravité de celui-ci ne faisait a priori pas de doute, la régularisation du permis étant manifestement impossible, la cour d’appel aurait dû accueillir la demande en résolution du bail. En effet, le refus de permis de construire a déjà été considéré comme suffisamment grave pour justifier la résolution d’un bail commercial [32]. En conséquence, la résolution devrait donner lieu au versement d’une indemnité d’occupation puisque dans les faits, le local a vraisemblablement pu être exploité. Quant à l’allocation d’une indemnisation sur le fondement du défaut d'exécution de l'obligation de délivrance du bailleur, sanction qui peut se cumuler avec la résolution, encore faut-il que le locataire démontre l'existence de son préjudice [33]. Ceux-ci peuvent être de natures diverses : préjudice de jouissance, perte financière, préjudice matériel, préjudice moral ou corporel, perte de chance [34]. Dans l’espèce litigieuse, le préjudice invoqué se matérialise par des troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir, et pourrait en principe occasionner l’allocation de dommages et intérêts.

11. Par ailleurs, les rédacteurs de baux commerciaux, qui sont en première ligne en ce qu’ils sont tenus d’assurer la validité et l’efficacité des actes qu’ils rédigent ainsi que d’un devoir de conseil, devront faire preuve de rigueur et vigilance à propos de la destination administrative et l’usage des lieux loués [35] dans la mesure où ils peuvent engager leur responsabilité. Une telle responsabilité peut être reconnue tant vis-à-vis du bailleur qui manque à son obligation de délivrance qu’à l’égard du preneur qui n’a pas été correctement informé au moment de la conclusion du bail ou de la cession du droit au bail accompagnant la cession du fonds de commerce [36]. En pratique, la réalisation d’un audit juridique de l’immeuble objet du bail est donc conseillée.

 

[1] CA Papeete, 30 janvier 2020, n° 19/00028 N° Lexbase : A14723EA.

[2] F. Auque, Les baux commerciaux. Théorie et pratique, LGD., 1996, p. 6, n° 6 ; C. Denizot, Droit civil et bail commercial, th. Paris XI, 2003, p. 214 et s., n° 251 et s.

[3] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A. M. Luciani, L’Harmattant, 2021, p. 49, n° 20, p. 155, n° 126, p. 285-287, n° 281 et s.

[4] Ibid., p. 67 et s., n° 41 et s.

[5] Ibid., p. 243 et s., n° 217 et s., p. 291 et s., n° 285 et s.

[6] Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P, JCP E, septembre 2008, n° 38, pan. 2131, p. 25 ; JCP N, juillet 2009, n° 29, chron. 1241, p. 24, obs. H. Kenfack ; AJDI, novembre 2008, n° 11, p. 841, obs. V. Zalewski ; Dalloz Actualité, 15 juillet 2008, obs. Y. Rouquet ; D., septembre 2008, n° 29, p. 1999, obs. Y. Rouquet ; RLDA, novembre 2008, n° 32, act. 1922, p. 19, note H. Kenfack ; RLDA, octobre 2008, n° 31, act. 1870, p. 43, obs. M. Filiol de Raimond ; Rev. loyers, octobre 2008, n° 890, jur. 821, p. 432, note B. Humblot-Gignoux ; RLDC, octobre 2008, n° 53, act. 3140, p. 16, obs. V. Maugeri  – Cass. civ. 3, 2 juillet 2013, n° 11-28.496, F-D N° Lexbase : A5551KIG, Loyers et copr., octobre 2013, n° 10, comm. 280, p. 27, obs. E. Chavance ; AJDI, mai 2014, n° 5, p. 376, obs. C. Dreveau – Cass. civ. 3, 6 mars 2012, n° 11-14.156, F-D N° Lexbase : A3889IER, AJDI, mai 2012, n° 5, p. 348 – Cass. civ. 1, 11 octobre 1989, n° 88-14.439 N° Lexbase : A8594AHR – CA Paris, 5-3, 1er juin 2011, n° 10/03286 N° Lexbase : A1727HT7, AJDI, juin 2012, n° 6, p. 427 – CA Paris, 5-3, 16 janvier 2013, n° 10/23656 N° Lexbase : A3787I3N, AJDI, septembre 2013, n° 9, p. 612 ; AJDI, décembre 2014, n° 12, p. 898, chron. J.-P. Blatter.

[7] V. sur la distinction de l’obligation de délivrance par rapport à se sobligations voisines : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 208 et s., n° 184 et s.

[8] V. pour la démonstration du caractère continu de l’obligation de délivrance : ibid., p. 329 et s., n° 335 et s.

[9] Ibid., p. 83 et s., n° 57 et s., p. 106 et s., n° 85 et s.

[10] Ibid., p. 110, n° 87.

[11] Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-28.170, FS-P+B N° Lexbase : A1513IZ3.

[12] Cass. civ. 3, 2 juillet 1997, n° 95-14.151, publié N° Lexbase : A1836ACY, JCP G, septembre 1997, n° 39, somm. 1865, p. 292 ; JCP E, septembre 1997, n° 39, act. 973, p. 331 ; AJDI, juin 1994, n° 6, p. 455, obs. J.‑P. Blatter.

[13] Cass. civ. 1, 20 février 2001, n° 99-13.848, inédit N° Lexbase : A3266ARE.

[14] Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n° 08-16.734, FS-D N° Lexbase : A1541EPR, RJDA, février 2010, n° 2/10, obs. 123, p. 130.

[15] Cass. civ. 3, 29 avril 2002, n° 00-20.213, F-D N° Lexbase : A5569AYW, Rev. loyers, juillet 2002, n° 829, p. 410, an. M.‑O. Vaissié.

[16] En matière de changement d’usage, la jurisprudence refuse toute régularisation ultérieure : E. Briand, Bail et changement d’usage, Rev. loyers, avril 2012, n° 926, doctr. 1432, p. 146 ; Cass. civ. 3, 14 février 2012, n° 11-10.559, F-D N° Lexbase : A8604ICN, AJDI, avril 2012, n° 4, p. 269 ; AJDI, décembre 2013, n° 12, p. 882, chron. J.-P. Blatter ; Cass. civ. 3, 29 avril 2002, n° 00-20.213, F-D N° Lexbase : A5569AYW, Rev. loyers, juillet 2002, n° 829, p. 410, an. M.-O. Vaissié ; Cass. civ. 3, 7 avril 2004, n° 02-19.062, FS-D N° Lexbase : A8348DBS, AJDI, décembre 2004, n° 12, somm. p. 882, obs. S. Porcheron.

[17] J. Morand-Deviller et S. Ferrari, Droit de l’urbanisme, op. cit., p. 1.

[18] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 283-284, n° 276.

[19] V. sur les sanctions d’un manquement à l’obligation de délivrance : ibid., p. 520 et s., n° 588 et s., spéc. p. 557, n° 605.

[20] H. Boucard, Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle, in R. Schulze (dir.), G. Wicker (dir.), G. Mäsch (dir.), D. Mazeaud (dir.) et alii, La réforme du droit des obligations en France, 5e journées franco-allemandes, Société de législation comparée, 2015, p. 153 ; M. Faure-Abbad, Un nouveau système pour l’inexécution du contrat, in G. Pignarre (dir.) et alii, Le droit des obligations d’un siècle à l’autre, Dialogues autour de la réfrome du titre III du livre III du Code civil, LGDJ, 2016, p. 197.

[21] Cass. civ. 3, 14 juin 2018, n° 17-15.426, F-D N° Lexbase : A3175XRZ, AJDI, septembre 2018, n° 9, p. 607.

[22] H. Boucard, Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle, art. cit. ; M. Faure-Abbad, Un nouveau système pour l’inexécution du contrat, art. cit.

[23] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 519, n° 557, p. 627-629, n° 675-676.

[24] Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-14.890, FP P+B+R+I N° Lexbase : A7549BSE, Loyers et copr., octobre 2003, n° 10, comm. 196, p. 10, note B. Vial-Pedroletti ; JCP G, mars 2004, n° 10, comm. II 10031, p. 402, note Ch. Jamin ; D., juin 2003, n° 21, p. 1408 ; Ann. Loyers, mai 2003, n° 5, p. 750, note Ch. Atias ; Rev. loyers, 2003, n° 839, p. 407, note B. Humblot-Gignoux.

[25] CA Versailles, 12ème ch., 14 décembre 1989, D., septembre 1990, n° 31, p. 259, obs. L. Rozès.

[26] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 559-560, n° 607.

[27] H. Boucard, Le nouveau régime de l’inexécution contractuelle, art. cit.

[28] O. Gout, La montée de la place de l’unilatéralisme dans les sanctions de l’inexécution du contrat, art. cit..

[29] A. Pinna, La mesure du préjudice contractuel, op. cit., p. 368, n° 395.

[30] Ibid., loc. cit. et p. 395, n° 421.

[31] Cass. civ. 3, 15 octobre 2014, n° 13-24.285, FS-D N° Lexbase : A6558MYK, AJDI, janvier 2015, n° 1, p. 43.

[32] Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n°  08-16.734, préc.

[33] CA Paris, 1ère ch., sect. G, 19 mai 1999

[34] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 548-550, n° 593.

[35] J. Monéger, Articulation entre destination des lieux au sens des baux commerciaux et affectation des locaux au sens de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation, JCP E, février 2000, n° 6, p. 224.

[36] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 574-594, n° 630-634 ; Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-17.518, F-P+B N° Lexbase : A5235NUG, Resp. civ. et assur., janvier 2016, n° 1, comm. 17, p. 12 ; JCP N, novembre 2015, n° 46, act. 1076, p. 5 ; Defrénois, janvier 2016, n° 2, p. 78, note L. Ruet ; CA Paris, 16ème ch., sect. A, 22 février 1994, n° 91/17773 N° Lexbase : A9993DET – CA Paris, 1ème ch., sect. G, 3 janvier 1999 et CA Paris, 16ème ch., sect. A, 3 février 1999, n° 1996/86915 N° Lexbase : A5937A4N, JCP E, février 2000, n° 6, p. 224, obs. J. Monéger.

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Collectivités territoriales

[Focus] Les documents utiles à l’accès aux délibérations des collectivités territoriales

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N1919BZ4

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par Edwin Matutano, Avocat à la cour, docteur en droit, enseignant à l’Université de Lille

Le 22 Juin 2022

Mots clés : collectivités territoriales • délibérations • procès-verbaux • registre • assemblée délibérante • simplification

À partir du 1er juillet 2022, les comptes rendus des séances des assemblées délibérantes de plusieurs collectivités territoriales, dont les communes, seront supprimés et cette suppression répond à un objectif de simplification des procédures d'adoption de leurs délibérations. Demeureront en vigueur les registres des délibérations, ainsi que les procès-verbaux de séance. Les premiers de ces supports servent à vérifier les conditions de déroulement du scrutin, cependant que les seconds oeuvrent à la restitution de la teneur des questions soumises à l'ordre du jour des assemblées.


 

Le 1er juillet 2022, les comptes rendus des séances des conseils municipaux seront supprimés de par l’effet conjugué de deux textes abrogatifs.

Le premier est l’article 4 de l’ordonnance n° 2021-1310 du 7 octobre 2021, portant réforme des règles de publicité, d’entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements N° Lexbase : L4636L89, qui a abrogé, à partir du 1er juillet 2022, les dispositions de l’article L. 2121-5 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8555AA4.

Le second est l’article 3 du décret n° 2021-1311 du 7 octobre 2011, portant réforme des règles de publicité, d’entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements N° Lexbase : L4587L8E, lequel a abrogé, à compter de cette même date, l’article R. 2121-11 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L1299KZ7.

Et par cohérence, l’article 15 dudit décret du 7 octobre 2021 a abrogé, d’une part, l’article D. 6221-4 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L5220H99 qui prévoyait un compte rendu des séances du conseil territorial de Saint-Barthélemy et, d’autre part, l’article D. 6321-4 de ce code N° Lexbase : L5111H98, qui imposait la tenue d’un document analogue s’agissant des séances du conseil territorial de Saint-Martin.

Ces abrogations ont simplifié le régime juridique des supports des délibérations de cette série de conseils délibérants de collectivités territoriales, étant observé que la question d’une abrogation d’une portée plus étendue ne se posait pas, puisque les comptes rendus des séances n’étaient expressément prévus que pour les collectivités territoriales précitées (communes, Saint-Barthélemy, Saint-Martin [1]).

Aussi, ces abrogations récentes invitent-elles à présenter l’état du droit applicable aux supports des délibérations des collectivités territoriales, car, après même le 1er juillet 2022, il ne sera pas uniforme selon les catégories de collectivités.

Nous distinguerons ainsi les registres des délibérations des procès-verbaux de séance des organes délibérants des collectivités territoriales françaises, avant de nous intéresser à leur raison d’être respective.

I. Les registres des délibérations et les procès-verbaux de séance : un champ d’application distinct selon les textes en vigueur

Ces deux catégories de supports, qui subsistent, après la réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1310 et le décret n° 2021-1311 du 7 octobre 2021 précités, ne sont pas uniformément requises par le Code général des collectivités territoriales, pour chaque catégorie de collectivités.

En effet, si le procès-verbal de séance est prévu de manière homogène et exhaustive, il n’en n’est pas de même du registre des délibérations.

A. Le registre des délibérations : un document propre aux conseils municipaux ?

À la seule lecture des dispositions du Code général des collectivités territoriales, l’inscription des délibérations sur un registre est une procédure exclusivement réservée à celles des conseils municipaux.

Cette inscription est mentionnée par l’article L. 2121-10 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4836LUN et elle fait l’objet, à titre d’obligation pour les conseils municipaux, de l’article L. 2121-23 de ce même code N° Lexbase : L8572AAQ. Ce dernier article prévoit, ainsi, une inscription, selon l’ordre de date, de leurs délibérations, dans des conditions auxquelles il est renvoyé par décret en Conseil d’État.

Il convient de souligner que cette version de l’article L. 2121-23 est issue de l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-1310 du 7 octobre 2021. Autrement dit, elle est applicable à compter du 1er juillet 2022.

Et par coordination, l’article 2 de l’ordonnance du 7 octobre 2021 a modifié l’article L. 2121-21 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4837LUP, lequel était quelque peu redondant avec l’article L. 2121-23. Ce dernier se contentait, en effet, de prévoir la manière dont les délibérations des conseils municipaux étaient inscrites, l’obligation principale de leur inscription figurant à l’article L. 2121-21.

À partir du 1er juillet 2022, l’article L. 2121-23 sera l’article prévoyant cette inscription.

En outre, l’article 1er du décret n° 2021-1311 du 7 octobre 2021 a modifié l’article R. 2121-9 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L7364IMP constituant la disposition réglementaire d’application dont il s’agit.

En toute hypothèse, il y a lieu d’indiquer que l’ordonnance et le décret du 7 octobre 2021 ont laissé subsister une singularité qui leur préexistait, à savoir, l’absence de disposition du Code général des collectivités territoriales ayant prévu, de manière analogue, l’inscription des délibérations des organes délibérants des autres collectivités territoriales françaises (départements, Département de Mayotte, Métropole de Lyon, régions, collectivité de Corse, collectivités territoriales de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Guyane et de Martinique). 

Pourtant, ces collectivités territoriales et notamment les départements, tiennent traditionnellement un registre des délibérations.

Il est à relever que cette tenue est d’origine coutumière et qu’elle n’est pas prévue par le Code général des collectivités territoriales.

Cette distorsion persistante dans la construction de ce code n’est pas sans évoquer ce qui avait été souligné supra à propos des comptes rendus de séances supprimés à compter du 1er juillet 2022 : leur existence n’était pas uniformément prévue par le droit des collectivités territoriales.

Tel n’est pas le cas des procès-verbaux de séances.

B. Les procès-verbaux des séances : des documents prévus expressément pour chaque collectivité territoriale

À l’inverse de ce qui a pu être analysé au sujet des comptes rendus des séances et des registres des délibérations, il apparaît que les procès-verbaux des séances des organes délibérants des collectivités territoriales sont généralisés [2].

Prévus par l’article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4211KYM pour les conseils municipaux, ils le sont par les articles L. 3121-13 N° Lexbase : L9305AAU et L. 4132-12 N° Lexbase : L9462AAP, pour, respectivement, les conseils départementaux et les conseils régionaux.

Si l’alignement du régime juridique applicable aux séances du conseil départemental du Département de Mayotte, sur celui prévu par l’article L. 3121-13, peut être déduit de l’article L. 3511-2 N° Lexbase : L9377INM, dont la rédaction n’est toutefois pas des plus explicites, un tel alignement transparaît plus clairement et de manière plus intelligible de l’article L. 3611-3 N° Lexbase : L9657IZP s’agissant du conseil de la Métropole de Lyon, qui rend applicable à cette dernière les dispositions du titre II du Livre Ier de la troisième partie de la partie législative du Code général des collectivités territoriales à cette collectivité territoriale.

De surcroît, des dispositions spéciales prévoient un procès-verbal des séances des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy (CGCT, art. L. 6221-14 N° Lexbase : L8039HWN), de Saint-Martin (CGCT, art. L. 6321-14 N° Lexbase : L8061HWH), de Saint-Pierre-et-Miquelon (CGCT, art. L. 6431-13 N° Lexbase : L8083HWB), ainsi que des assemblées des collectivités territoriales de Guyane (CGCT, art. L. 7122-13 N° Lexbase : L9224KTS) et de Martinique (CGCT, art. L. 7222-14 N° Lexbase : L9358KTR).

Afin d’être exhaustif, il convient de préciser que dans les îles Wallis-et-Futuna, l’article 14 alinéa 2 de la délibération de l’assemblée territoriale n° 04/AT/99 du 18 janvier 1999 prévoit que les secrétaires de séance de cette assemblée, « reproduisent les délibérations et vœux » et « veillent à la rédaction des procès-verbaux des séances » de l’assemblée territoriale, dot l’existence résulte de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer.

En Polynésie française, les procès-verbaux de séances résultent de l’article 125 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, portant statut d’autonomie de la Polynésie française N° Lexbase : L1574DPY.

II. La coexistence des registres des délibérations et des procès-verbaux de séances

La dualité de supports soulève la question de leur nécessité respective.

Et si elle ne se pose expressément qu’à propos des délibérations des conseils municipaux, l’interrogation qu’elle revêt est de plus large portée, puisque, nous l’avons rappelé, les registres des délibérations existent, sans que des dispositions textuelles en aient prévu la tenue, dans d’autres collectivités territoriales que les communes.

A. Le registre des délibérations : un mode de vérification des conditions du scrutin

En pratique, il convient d’indiquer que le registre des délibérations est établi à partir des éléments portés au procès-verbal de la séance.

Et il n'est pas non plus certain que le Code général des collectivités territoriales - et avant lui, le Code des communes [3] - ait entendu établir une distinction entre le procès-verbal des séances et le registre des délibérations. Ainsi, dans la pratique, les communes peuvent ou non pratiquer la dissociation, formelle ou matérielle, du procès-verbal de séance et du registre des délibérations.

Le contenu du registre des délibérations diffère donc selon que la commune a établi un procès-verbal proprement distinct du registre des délibérations, ou seulement un registre.

Au surplus, si on a égard à leur régime juridique, l'inscription à leur date, au registre, des délibérations n'est pas prescrite à peine de nullité de ces délibérations.

L'omission de cette formalité n'a donc pas pour effet d'entacher d'irrégularité la décision ou l'acte [4].

Le défaut d'inscription au registre n'entraîne donc en lui-même aucune conséquence directe. La décision est exécutable malgré cette omission, dès lors que les autres conditions sont réunies. De la même manière, le délai du recours pour excès de pouvoir n'est pas affecté par l'absence d'inscription au registre.

Mais, sur un plan pratique, cette absence d'inscription au registre peut déboucher sur des difficultés contentieuses au cas où la teneur exacte de la délibération, voire son existence, sont discutées.

La transcription d’une délibération au registre des délibérations constitue, au même titre que les mentions figurant au procès-verbal de séance, le mode normal de preuve de l’existence de la majorité [5].

Il convient de souligner qu’il suffit qu'ait été mentionné que la majorité a été atteinte, sans que soit exigée l'indication précise du nombre de voix ayant constitué cette majorité [6].

En pratique, il est recommandé d’y mentionner le détail des chiffres des scrutins, ainsi que le vote des conseillers municipaux. Il n’est pas nécessaire de transcrire sur le registre des documents préparatoires qui ont servi de base aux délibérations, ni de mentionner les interventions des conseillers en cours de séance [7].

La date à laquelle est effectuée la transcription d’une délibération sur le registre est sans incidence directe sur la validité [8].

Les délibérations portées au registre doivent être signées par tous les membres présents à la séance et par eux seuls. En cas de défaut de signature de l’un des membres présents pendant la séance, le registre doit mentionner la cause qui l’a empêché de signer. 

Le Conseil d’État a jugé que, s’agissant de l’accomplissement de la signature des membres d’un conseil municipal sur une délibération, les dispositions du Code général des collectivités territoriales s’appliquent à l’exclusion de celles prévues par le Code des relations entre le public et l’administration [9].

B. Le procès-verbal de la séance : l’instrument de la restitution de la teneur de l’ordre du jour

S’agissant du procès-verbal de séance, il avait été admis par la jurisprudence que qu’un même document tienne lieu de compte rendu et de procès-verbal [10], ainsi que l’a confirmé une réponse ministérielle à la question écrite d’un sénateur [11].

Quant au contenu du procès-verbal, une grande souplesse est laissée aux assemblées délibérantes, qui ont toute liberté à cet égard [12]. Dans une réponse à une question écrite d’un député, le ministre de l’Intérieur a précisé qu’en l’absence de dispositions régissant le contenu des procès-verbaux, une grande latitude est laissée aux conseils municipaux, ce qui explique les différences qu’il est loisible de constater entre les communes [13]. Aucune mention n’est prescrite par la loi à peine de nullité. Il suffit que le procès-verbal fasse apparaître la nature de l’ensemble des questions abordées au cours de cette séance [14].

Et aucune disposition ne prévoit ni n’impose que, en cas de scrutin public, le nom des votants avec désignation de leurs votes doive être porté au procès-verbal, alors qu’une telle mention doit figurer au registre des délibérations.

Dans le même ordre d’idées, l’absence de mentions au procès-verbal des éléments procéduraux de la séance ou des décisions intervenues, ou les erreurs dans ces mentions, sont sans influence sur la régularité des actes [15], même s’il doit être relevé que les absences ou les insuffisances sont de nature à engendrer des contestations.

Il convient, sur un plan pratique, de mentionner les délibérations du conseil sur le procès-verbal ; à défaut, il serait difficile de les transcrire ensuite correctement sur le registre des délibérations.

En droit, les mentions figurant sur le procès-verbal font foi par elles-mêmes [16]. Au cas de contradiction entre les énonciations du registre des délibérations et celles du procès-verbal, un extrait du registre ne peut prévaloir sur les mentions portées à un procès-verbal approuvé à l’unanimité [17]. Néanmoins, le procès-verbal n’a pas valeur d’acte authentique [18]. Il ne fait donc foi que jusqu’à preuve contraire [19].

En conclusion, la suppression des comptes rendus de séances des conseils municipaux et des conseils territoriaux de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, a laissé subsister une dualité dans des supports, dont l’utilité, en droit, se vérifie lors de l’administration de la preuve de ce qu’une délibération a été régulièrement adoptée.

En tout état de cause, avant leur suppression, les comptes rendus de séances se distinguaient mal, en pratique, des procès-verbaux de séances, dont l’existence avait été généralisée par l’ensemble des textes, codifiés ou non, relatifs aux collectivités territoriales.

 

[1] Il n’est pas indifférent de rappeler que Saint-Barthélemy et Saint-Martin furent des communes, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer N° Lexbase : L5251HUZ, qui les érigea en collectivités territoriales régies par l’article 74 de la Constitution N° Lexbase : L1344A9N.  

[2] Cette évolution est remarquable, car si la loi sur l’administration municipale de 1884 prévoyait l’existence des comptes rendus de séance, en son article 56, elle n’avait pas envisagé celle des procès-verbaux de séance.

[3] Dont l’article L. 121-10, dans sa version d’origine issue du décret n° 77-90 du 27 janvier 1977, faisait mention du  registre des délibérations, comme ses devanciers, tant le Code de l’administration communale, que, déjà, l’article 57 de la loi du 5 avril 1884, sur l’organisation municipale (JO n° 96, 6 avril 1884).

[4] CE, 29 décembre 1926, Desgouilles, Rec. p. 1185 ; CE 29 octobre 1969, n° 72791 N° Lexbase : A0042B9G, Rec. p. 459 ; CE, 3 octobre 1990, n° 90679 N° Lexbase : A8263AQ4.

[5] CE, 18 novembre 1931, Leclert et Lepage, Rec. p. 992 ; CE, 20 janvier 1937, Crochet, Rec. p. 72 ; CE, 22 novembre 1939, Tournan, Rec. p. 566 ; TA Dijon, 10 décembre 1991, J.-E. Barbance et autres.

[6] CE, 25 juillet 1933, Delaunay, Rec. p. 869.

[7] CE, 18 novembre 1987, n° 75312 N° Lexbase : A3499APB, Rec. p. 371.

[8] CE, 13 juin 1986, n° 59578 N° Lexbase : A4768AMK, Rec. p. 161.

[9] CE, 22 juillet 2016, n° 389056 N° Lexbase : A1147RY7.

[10] CE, 5 décembre 2007, n° 277087 N° Lexbase : A0197D3P.

[11] Rép. min. n° 1623, JO Sénat, Q. 31 octobre 2013, Rec. p. 1366.

[12] CE, 3 mars 1905, Papot, Rec. p. 218.

[13] Rép.min. n° 66385, JOAN, Q. 27 avril 2010.

[14] CE, 27 avril 1994, n° 145597 N° Lexbase : A0672ASP.

[15] CE, 25 juillet 1986, n° 67767 N° Lexbase : A4797AMM, Rec. p. 216.

[16] CE, 26 novembre 1948, Ourliac, Rec. p. 443.

[17] TA Paris, 5 février 1986, Bodin.

[18] CE, 19 juin 1959, Binet.

[19] CE, 24 octobre 1934, Menjou, Rec. p. 949.

newsid:481919

Construction

[Brèves] CCMI et garantie de livraison

Réf. : Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-12.733, FS-B N° Lexbase : A4700779

Lecture: 3 min

N1944BZZ

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 27 Juin 2022

► L’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation sur la garantie de livraison ne s’applique qu’en cas de défaillance du constructeur ;
► ce n’est qu’en cas de défaillance du constructeur que le garant de livraison à prix et délais convenus prend à sa charge le coût des dépassements du prix convenu nécessaires à l’achèvement de la construction.

L’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L0831LQT oblige le constructeur à souscrire une garantie de livraison à prix et délais convenus. Cette garantie, autonome il faut le rappeler (Cass. civ. 3, 1er mars 2006, n° 04-16.297, FS-P+B N° Lexbase : A4198DNS), apporte une grande sécurité à l’accédant à la propriété quant à la bonne fin de son projet de construction. Elle couvre les dépassements du prix convenu, les conséquences du fait du constructeur ayant abouti à un paiement anticipé ou un supplément de prix ainsi que les pénalités de retard.

Pour autant, cette garantie reste subordonnée à la démonstration de conditions comme l’illustre l’arrêt rapporté.

En l’espèce, des accédants à la propriété signent un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan. Le constructeur souscrit, dans ce cadre, une garantie de livraison. Les accédants à la propriété se réservent la réalisation de certains travaux. Se plaignant de divers désordres, ils assignent, après expertise, le constructeur et le garant.

La cour d’appel de Pau, dans un arrêt rendu le 1er décembre 2020 (CA Pau, 1er décembre 2020, n° 18/02531 N° Lexbase : A339638B), rejette leur demande à l’encontre du garant. Après avoir rappelé que la garantie de livraison couvre la bonne exécution du contrat, les conseillers ont retenu qu’aucun retard de livraison n’est imputable au constructeur et que les accédants à la propriété ne démontraient pas avoir considéré celui-ci comme défaillant au sens de l’article précité.

Les accédants à la propriété forment un pourvoi en cassation dans lequel ils articulent, notamment, que l’information du garant par le maître d’ouvrage de la défaillance du constructeur n’est pas une condition de mise en œuvre de la garantie de livraison.

Le pourvoi est rejeté. La défaillance du constructeur n’est pas démontrée dès lors qu’il est au contraire établi que les accédants à la propriété ont empêché le constructeur d’accéder au chantier afin de réaliser les travaux de finition. Ils avaient conservé les clés et changé le barillet. De plus, ils n’avaient pas dénoncé les vices apparents dans les délais suivant la réception.

L’arrêt est ainsi, également, l’occasion de revenir sur le terme de la garantie mais aussi sur ses conditions de déclenchement. La garantie cesse à la réception des travaux sans réserve lorsque le maître d’ouvrage s’est fait assister d’un professionnel. Elle cesse dans les huit jours de la réception si le maître d’ouvrage ne s’est pas fait assister par un professionnel et qu’aucune réserve n’a été formulée dans ce délai. Les juges d’appel avaient considéré que tel était le cas en l’espèce mais la Haute juridiction censure. Aucune réception n’étant intervenue, la cour d’appel a statué sur des motifs impropres à exclure la garantie.

newsid:481944

Entreprises en difficulté

[Brèves] Réforme du traitement des difficultés de l'entrepreneur individuel : publication du décret d’application

Réf. : Décret n° 2022-890, du 14 juin 2022, relatif au traitement des difficultés de l'entrepreneur individuel N° Lexbase : L1314MDZ

Lecture: 8 min

N1880BZN

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par Vincent Téchené

Le 22 Juin 2022

► Un décret, publié au Journal officiel du 16 juin 2022, vient préciser les conditions d’application du nouveau dispositif de traitement des difficultés de l’entrepreneur individuel.

Pour rappel, la loi n° 2022-172, du 14 février 2022 N° Lexbase : L3215MBP, a instauré pour tout entrepreneur individuel une scission patrimoniale. L’idée phare réside dans le fait qu’un tel entrepreneur ne répondra plus désormais de toutes ses dettes sur tous ses biens. Pour cela, le législateur a systématisé la partition patrimoniale permise jusqu’à présent par le recours au régime de l’EIRL.

L'article 5 de la loi du 14 février 2022 a ainsi créé un nouveau titre VIII bis au sein du livre VI du Code de commerce et a adapté au nouveau statut de l'entrepreneur individuel les dispositions du livre VI du Code de commerce, celles du livre VII du Code de la consommation et celles du chapitre 1er du titre V du livre III du Code rural et de la pêche maritime relatives au traitement des difficultés des entreprises.

Le nouveau dispositif est entré en vigueur le 15 mai 2022… c’est dire si le décret d’application était attendu.

Comme la loi avant lui, l’article 1er du décret du 14 juin modifie de nombreuses dispositions du livre VI du Code de commerce (partie réglementaire) afin d’adapter les procédures de sauvegarde, de redressement, de liquidation judiciaire et de rétablissement professionnel au nouveau régime. L’essentiel de ces modifications consiste, selon les articles concernés, soit à adjoindre l’entrepreneur individuel à l’EIRL déjà visé par le texte, soit à remplacer le terme d’EIRL par celui d’entrepreneur, qui englobe l’EIRL.

Ensuite, la loi du 14 février a créé un nouveau titre dans le livre VI exclusivement consacré à l’entrepreneur individuel (C. com., art. L. 681-1 N° Lexbase : L3711MB3 à L. 681-4, nouv.). Le décret en précise les modalités d’application en créant également un nouveau titre contenant les dispositions particulières à l’entrepreneur individuel, composé des articles R. 681-1 à R. 681-7.

L’article R. 681-1 du Code de commerce N° Lexbase : L1586MD4 précise le contenu de la demande d’ouverture de la procédure collective. Il est ainsi prévu que la situation de trésorerie, l'état chiffré des créances et des dettes, l'état actif et passif des sûretés ainsi que celui des engagements hors bilan et l'inventaire sommaire des biens du débiteur sont présentés en distinguant les biens, droits ou obligations du débiteur relevant du patrimoine professionnel et ceux relevant du patrimoine personnel. Les actes de renonciation à la protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel sont également mentionnés en précisant le nom du créancier concerné ainsi que le montant de l'engagement.

Par ailleurs, les pièces et informations jointes à toute demande d’ouverture d’une procédure collective (C. com., art. R. 621-1 N° Lexbase : L6127L4P et R. 631-1 N° Lexbase : L6128L4Q) doivent être complétées par celles exigées pour l’ouverture d’une procédure de surendettement (C. consom., art. R. 721-2 N° Lexbase : L1392HZL et R. 721-3 N° Lexbase : L1393HZM) et, le cas échéant, par la copie de tout acte de renonciation à la protection du patrimoine personnel. Il est précisé que le débiteur peut solliciter, dans sa demande d'ouverture, le bénéfice des mesures de traitement de sa situation de surendettement.

En cas de respect de la distinction des patrimoines professionnel et personnel, le tribunal, qui a ouvert la procédure collective, doit alors saisir, avec l’accord du débiteur, la commission de surendettement aux fins de traitement des dettes dont l'entrepreneur individuel est redevable sur son patrimoine personnel (C. com., art. L. 681-2, IV N° Lexbase : L3712MB4). De même si seules les conditions d’ouverture d’une procédure de surendettement sont réunies, le tribunal dit n'y avoir lieu à l'ouverture d'une procédure collective et renvoie l'affaire, avec l'accord du débiteur, devant la commission de surendettement (C. com., art. L. 681-3 N° Lexbase : L3710MBZ). L’article R. 681-2 du Code de commerce N° Lexbase : L1587MD7 précise que dans ces deux cas, l'accord du débiteur peut être recueilli lors de l'audience au cours de laquelle le tribunal examine la demande d'ouverture d'une procédure collective.

Ensuite, selon le nouvel article R. 681-3 du Code de commerce N° Lexbase : L1580MDU, le tribunal apprécie dans un même jugement si les conditions d'ouverture d’une procédure collective et d’une procédure de surendettement sont, alternativement ou cumulativement, réunies. En outre, dans les deux cas visés au IV de l'article L. 681-2 et L. 681-3 (v. supra), le greffe du tribunal transmet sans délai au secrétariat de la commission de surendettement territorialement compétente une copie du jugement et de l'ensemble des pièces du dossier.

Concernant les publications du jugement d’homologation d’un accord de conciliation (C. com., art. R. 611-43 N° Lexbase : L9395LUI) et du jugement d’ouverture d’une procédure collective (C. com., art. R. 621-8 N° Lexbase : L9396LUK), l’article R. 681-4 du Code de commerce N° Lexbase : L1568MDG prévoit que l'avis du jugement au BODACC doit contenir, outre les mentions prévues, la dénomination utilisée pour l'exercice de l'activité professionnelle incorporant son nom ou nom d'usage, précédé ou suivi immédiatement des initiales « EI » ou « entrepreneur individuel » et l'indication de la procédure ouverte en application du II, du III ou du IV de l'article L. 681-2.

Lorsqu'il est fait application du IV de l'article L. 681-2 ou de l'article L. 681-3 (v. supra), le jugement est notifié par le greffe au débiteur et aux créanciers dont l'existence a été signalée par le débiteur. S'il y a lieu, le greffe en avise également le mandataire judiciaire, le ministère public et l'administrateur judiciaire lorsqu'il en a été désigné un. La notification aux autres organismes et personnes mentionnés aux articles R. 722-1 N° Lexbase : L1409HZ9 et R. 722-6 N° Lexbase : L1414HZE du Code de la consommation, est effectuée par la commission de surendettement dans les conditions prévues par ces articles.

Par ailleurs, la décision de rejet de la demande d'ouverture doit être est notifiée par le greffe au débiteur.

Concernant ensuite les recours, l’article R. 681-5 du Code de commerce N° Lexbase : L1569MDH prévoit spécifiquement que les jugements rendus en application du IV de l'article L. 681-2 et de l'article L. 681-3 (v. supra) sont susceptibles d'appel par les parties dans un délai de dix jours à compter de leur notification.

L’article R. 681-6 du Code de commerce N° Lexbase : L1570MDI précise que le créancier qui n'est pas partie à l’un de ces jugements peut contester la séparation des patrimoines de l'entrepreneur individuel par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification qui lui a été faite, ou à compter de la publication du jugement au BODACC

En cas de contestation, l'entrepreneur individuel, les créanciers connus, le mandataire judiciaire, le ministère public et l'administrateur judiciaire, lorsqu'il en a été désigné un, sont convoqués par tout moyen et sans délai par le greffe. Le tribunal recueille leurs observations et statue sur l'ensemble des contestations soulevées.

La décision du tribunal est notifiée par le greffe. Elle est également susceptible d'appel dans un délai de dix jours à compter de sa notification.

Enfin, selon l’article R. 681-7 du Code de commerce N° Lexbase : L1571MDK, quand il a été fait application du IV de l'article L. 681-2 (v. supra), le tribunal et la commission de surendettement se communiquent réciproquement toutes informations qu'ils jugent utiles à l'accomplissement de leur mission, et notamment les décisions et mesures qu'ils prennent ainsi que les pièces versées à leurs dossiers susceptibles d'éclairer la situation financière générale de l'entrepreneur individuel concerné par les deux procédures.

Les articles 2 et 3 du décret modifient respectivement le Code de la consommation et le Code rural et de la pêche maritime.

Ainsi, un nouvel article R. 752-2 N° Lexbase : L1574MDN est inséré dans le Code de la consommation qui prévoit que dès que la commission de surendettement est saisie par le tribunal de la procédure collective, elle en informe la Banque de France pour qu'il soit procédé à l'inscription au fichier des incidents de paiement. La commission informe également la Banque de France, aux mêmes fins, lorsqu'elle est saisie par la cour d'appel statuant sur un recours formé contre une décision de rejet de la demande d'ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

Quant au Code rural et de la pêche maritime, le décret modifie les mentions des avis publiés au BODACC dans le cadre du règlement amiable, lorsqu’est prononcée la suspension provisoire des poursuites (C. rur., art. R. 351-5 N° Lexbase : L7358IZK) et en cas d’homologation de l’accord (C. rur., art. R. 351-6-3 N° Lexbase : L1591MDB) : ils doivent désormais indiquer « la dénomination de l'activité professionnelle exercée par l'entrepreneur ».

Pour aller plus loin : v. P.-M. Le Corre et B. Ferrari, L’entrepreneur individuel et le droit des entreprises en difficulté, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 709 N° Lexbase : N0727BZX.

 

newsid:481880

Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] À quelle date apprécier le rôle d’animateur de groupe d’une société holding pour l’application du pacte Dutreil ? La Cour de cassation vient-elle d’ouvrir la boîte de Pandore ?

Réf. : Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-25.513, F-D N° Lexbase : A50357DT

Lecture: 9 min

N1901BZG

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 25 Octobre 2022

Mots-clés : pacte Dutreil • holding animatrice • transmission • patrimoine • donations

Le fait pour une holding animatrice de cesser, postérieurement à la transmission de ses titres, d’exercer de manière prépondérante son activité éligible n’entraine pas la remise en cause du régime de faveur Dutreil.

Telle est la solution dégagée par la Chambre commerciale le 25 mai 2022.


 

1.- En cas de transmission à titre gratuit de titres de société, il est possible de bénéficier d’un avantage fiscal, celui-ci se traduisant par un abattement de 75 % sur l’assiette des droits de donation ou succession.

Ce dispositif visé à l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L5936LQW, également appelé pacte Dutreil, nécessite de remplir certaines conditions.

2.- Parmi les conditions à remplir, il est impératif que la société exerce une activité opérationnelle. Ainsi, seules les sociétés exerçant une activité de type artisanale, commerciale, industrielle, agricole ou libérale sont susceptibles de pouvoir être éligibles au pacte Dutreil.

Ainsi, les transmissions à titre gratuit de holdings passives, se contentant de gérer leur participation, ne peuvent pas bénéficier de l’abattement de 75 %.

3.- Les holdings animatrices de leur groupe peuvent en revanche faire l’objet d’un engagement collectif, unilatéral ou d’un pacte réputé acquis.

Nous ne reviendrons pas en détail sur les difficultés pratiques relatives à la qualification de holding animatrice et les arrêts de ces derniers mois.

4.- Il convient de rappeler que sont animatrice de leur groupe, les sociétés qui outre la gestion d’un portefeuille de participations ont pour activité principale, la participation active à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, et le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers [1].

5.- La charge de la preuve du caractère « animateur de groupe » pèse sur le redevable [2]. La jurisprudence a notamment apporté des précisions concernant le cas d’une société holding venant d’être constituée [3].

La chambre commerciale a pu refuser, à titre d’exemple, le caractère animateur à une société créée depuis moins de trois mois [4].

6. Il est intéressant de s’interroger sur la date à laquelle il convient d’apprécier le caractère animateur de groupe de la société holding. Un arrêt rendu récemment par la chambre commerciale de la Cour de cassation [5] traite cette question.

7.- Dans cette affaire, une société holding avait été constituée. Celle-ci détenait en 2010, date du décès de Madame JX, des participations dans plusieurs sociétés.

Deux mois après le décès de Madame JX, la société holding a cédé cinq des sept sociétés commerciales qui formaient le groupe de BTP. Une sixième société a été cédée en mars 2012. Dix-huit mois après le décès, la société holding détenait une participation majoritaire dans une société commerciale, et dans une société civile immobilière qu’elle contrôlait. Elle détenait également des participations minoritaires essentiellement dans des sociétés civiles.

8.- Les titres avaient été transmis avec l’application de l’article 787 B du Code général des impôts. L’administration fiscale a remis en cause l’application de l’abattement de 75 % au motif que la société holding n’avait pas conservé son activité d’animatrice de groupe sur la période d’application de l’engagement de conservation.

9.- La cour d’appel de Rennes [6] suit la position de l’administration fiscale, considérant que l’article 787 B du CGI impose nécessairement que la société exerce une activité opérationnelle pendant toute la période de conservation des titres.

10.- C’est dans ce contexte que l’affaire arrive devant la chambre commerciale de la Cour de cassation.

Celle-ci considère que le caractère de holding animatrice de groupe s’apprécie au jour du fait générateur de l’imposition. La Chambre commerciale de la Cour de cassation censure ainsi l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes au motif que celui-ci viole l’article 787 B du Code général des impôts, en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.

11.- Comment appréhender cet arrêt ? Tout d’abord il convient de relever que celui-ci prend le contre-pied de la doctrine administrative. En effet, les commentaires administratifs à jour au 21 décembre 2021 précisent : « La condition du caractère de holding animatrice d'une holding de groupe s'apprécie au moment de la conclusion du pacte « Dutreil » ou de la transmission en cas d'engagement réputé acquis (II-A-1-d § 230 et suivants), et doit être remplie jusqu'au terme des engagements collectif, le cas échéant unilatéral, et individuel de conservation » [7].

Ainsi, pour la doctrine administrative la holding doit conserver son rôle d’animation durant toute la phase des engagements collectifs/unilatéraux et individuel de conservation.

12.- L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation remet ainsi en cause le positionnement de l’administration fiscale sur ce sujet. Reste à voir comment l’administration fiscale adaptera sa doctrine. Il convient à ce titre de relever que l’administration fiscale en matière de pacte Dutreil n’a pas systématiquement adaptée sa doctrine. Cela n’a notamment pas été le cas, en ce qui concerne l’appréciation de la notion d’activité principale [8] et de poursuite de l’activité par les héritiers pour l’application de l’article 787 C du CGI pour les entreprises individuelles.

13.- Cette solution est susceptible d’interroger sur la réception pratique qui en sera faite. En effet, à la lecture de celui-ci, on comprend que si la société holding est bien animatrice au jour de la donation ou de la succession, et si celle-ci cesse de l’être quelques jours ou mois après, l’article 787 B du Code général des impôts ne serait pas remis en cause. Il ne faut cependant pas perdre de vue l’existence du mécanisme de l’abus de droit, qu’il s’agisse du mécanisme classique ou du mini-abus de droit.

Le contribuable ne serait-il pas en train de faire une application littérale de l’article 787 B du CGI afin de bénéficier d’un avantage fiscal ?

14.- L’une des questions posées par cet arrêt consiste à savoir si la portée de celui-ci s’étend à la condition d’activité dans son ensemble.

L’arrêt ne le précise pas de manière explicite. Cependant, la Cour de cassation casse sans renvoi. On peut en effet se demander, si l’absence de renvoi ne justifie pas l’extension de la portée de cet arrêt à l’ensemble de la condition d’activité. On peut penser que si la portée de celui-ci avait été limitée à la holding animatrice, il y aurait eu un renvoi, notamment afin de vérifier que si la holding exerçait une activité de nature commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.

15.- Il est vrai que la rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts n’invite pas à respecter la condition d’activité durant la période d’engagement collectif/unilatéral et individuel de conservation des titres. Le premier alinéa se contente de faire référence à la notion d’activité sans la lier aux engagements de conservation. De plus, ce cas de sortie du dispositif n’apparaît pas aux alinéas dédiés aux hypothèses de remises en cause du régime de faveur visée au e à i de l’article 787 B du Code général des impôts. Une lecture littérale du texte est ainsi susceptible de militer pour une extension de la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

16.- On peut se demander si une telle approche se marie avec les autres conditions d’application de l’article 787 B du Code général des impôts. On pense notamment à l’exercice par les signataires de l’engagement collectif et/ou les bénéficiaires de la transmission de leur activité professionnelle principale pour les sociétés relevant de l’impôt sur le revenu. À l’heure actuelle, l’administration fiscale l’analyse à l’aune du régime des biens professionnels en matière d’impôt sur la fortune immobilière. Nous avons un peu de difficultés à imaginer comment il serait possible d’exercer son activité professionnelle à titre principal au sein d’une holding qui serait devenue passive.

17.- Une extension de la portée de cet arrêt aboutirait là encore à remettre en cause la position de l’administration fiscale sur la notion d’activité.

En effet, les commentaires administratifs [9] à jour au 21 décembre 2021 précisent :

« La société doit vérifier la condition d’activité précisée aux I-A § 15 et 20 pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation ».

Le cas échéant, la doctrine administrative serait également invalidée sur ce point.

18.- Si l’extension de l’arrêt de la chambre commerciale venait à être confirmée, il ne serait pas sans rappeler le positionnement du juge de l’impôt [10] concernant l’application de l’article 885-0 V bis du CGI.

Au final, les incertitudes entourant la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation sont de nature à créer une incertitude pour le contribuable et son conseil. Dans l’attente d’une confirmation d’une telle extension, la prudence et une interprétation téléologique de l’article, 787 B du CGI [11] devrait amener les praticiens à essayer de conserver une activité éligible durant la durée des engagements de conservation.

Nous ne sommes par ailleurs pas à l’abri d’une énième réécriture du texte afin de tenir compte de ce positionnement de la Cour de cassation et éviter la gestion d’éventuels contentieux.

Affaire à suivre…

 

[1] CE Plénière 13 juin 2018, n° 395495, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9347XQA : lire sur cet arrêt, les conclusions du Rapporteur public, Y. Bénard, Lexbase Fiscal, septembre 2018, n° 753 N° Lexbase : N5392BXY, F. Laffaille, À propos de la holding animatrice de groupe, Lexbase Fiscal, juillet 2018, n° 751 N° Lexbase : N5126BX7 ; Cass. com., 14 octobre 2020 n° 18-17.955, FS-P+B N° Lexbase : A95613XE : lire sur cet arrêt, O. Sube, Éligibilité des titres d’une holding mixte à un « Pacte Dutreil », Lexbase Fiscal, décembre 2020, n° 846 N° Lexbase : N5530BYH ; BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 55 à jour au 21 décembre 2021 N° Lexbase : X6754ALQ.

[2] Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-16.351, F-D N° Lexbase : A40864XM ; Revue fiscale du patrimoine n° 9, septembre 2021, 17.

[3] CA Dijon, 24 octobre 2017, n° 16/00993 N° Lexbase : A6577WWI : La Semaine juridique Entreprise et Affaires n° 28, 9 juillet 2020, 1283 ; Cass. com., 18 mars 2020, n° 17-31.233, F-D N° Lexbase : A49123K7 : La semaine juridique Entreprise et Affaires n° 28, 9 juillet 2020, 1283.

[4] Cass. com. 21 juin 2011, n° 10-19.770, F-P+B N° Lexbase : A5153HUE.

[5] Cass. com., 25 mai 2022 n° 19-25.513, F-D.

[6] CA Rennes, 8 octobre 2019, n° 17/08339 N° Lexbase : A6128ZQZ.

[7] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 50, à jour au 21 décembre 2021.

[8] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 n° 90 à jour au 6 avril 2021 ; CA Pau, 10 janvier 2013 n° 11/03410 N° Lexbase : A9372IZ7 ; CA Grenoble, 8 septembre 2015, n° 13/00609 N° Lexbase : A6648NNK.

[9] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 25, à jour au 21 décembre 2021.

[10] Cass. com., 2 février 2016, n° 14-24.441, FS-P+B N° Lexbase : A3195PKK.

[11] François Fruleux, site CRIDON nord-est [en ligne].

newsid:481901

Licenciement

[Brèves] Limite du secret médical en cas de faute grave d’un salarié professionnel de santé

Réf. : Cass. soc., 15 juin 2022, n° 20-21.090, F-B N° Lexbase : A471277N

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N1926BZD

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par Lisa Poinsot

Le 23 Juin 2022

► Un salarié professionnel de santé, participant à la transmission de données couvertes par le secret, ne peut se prévaloir, à l'égard de son employeur, d'une violation du secret médical pour contester le licenciement fondé sur des manquements à ses obligations ayant des conséquences sur la santé des patients.

Faits et procédure. Une salariée, professionnelle de santé, se voit notifier son licenciement pour fautes graves commises à l’égard des résidents d’une maison de retraite. Elle saisit la juridiction prud’homale afin de contester son licenciement.

Pour dire que les manquements relevés rendent impossible le maintien de la salariée dans la structure et que son licenciement pour faute grave est bien fondé, la cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 26 juin 2020, n° 17/19578 N° Lexbase : A65243PC) retient que :

  • la salariée n’a pas veillé, de manière régulière et rigoureuse, au renseignement du logiciel destiné au suivi des résidents de la structure dont elle était l’infirmière coordinatrice ;
  • ces défaillances ont notamment conduit à l’administration à des résidents de traitement qui n’était plus d’actualité ;
  • ces carences dans le suivi auraient pu entraîner des conséquences graves sur la santé de personnes âgées et fragilisées, et la mise en cause de la responsabilité de l’employeur ;
  • les justifications avancées par la salariée, s’agissant de la surcharge de travail et du dysfonctionnement de son ordinateur ne sont ni avérées, pour la première ni suffisante, pour la seconde, pour expliquer les fautes qui lui sont reprochées et qui ont perduré durant plusieurs mois.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation en soutenant que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse puisqu’il est fondé sur une violation par l’employeur du principe fondamental du secret médical. En effet, pour prouver l’existence des fautes relevées par les juges du fond, l’employeur a dû consulter le logiciel de gestion des dossiers de soins et des dossiers médicaux des patients géré sous la responsabilité de ladite salariée. Selon la salariée, ce logiciel de gestion des dossiers médicaux et de soins de plusieurs résidents ne garantissait pas un parfait anonymat puisqu’était précisée la première lettre du nom du résident.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en application des articles L. 1110-4 N° Lexbase : L4479L7Z et R. 4127-4 N° Lexbase : L8698GTC du Code de la santé publique qui prévoit que le secret professionnel est institué dans l’intérêt des patients. Il s’agit d’un droit propre au patient instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant.

En conséquence, le principe du secret médical, visant à protéger la vie privée du patient et ses informations, ne peut être détourné par une salariée fautive dans le but de se protéger elle-même contre des sanctions disciplinaires.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La responsabilité ordinale, Secret professionnel, in Droit médical, Lexbase N° Lexbase : E12973RH.

 

newsid:481926

Procédure pénale

[Le point sur...] Numériser la procédure pénale : présent et perspectives de la procédure pénale numérique

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N1885BZT

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par Vincent Pénard, Avocat au Barreau d’Aix en Provence, Ancien membre du Conseil national des barreaux

Le 22 Juin 2022

Mots-clés : procédure pénale numérique • PPN • PLEX • procédure nativement numérique • communication électronique pénale • CEP • e-Barreau

 Lancé en 2018 conjointement par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, le projet de Procédure Pénale Numérique (PPN) tire la conclusion qu’à l’instar du monde économique, le monde juridique est indiscutablement en train de basculer dans l’ère du numérique. Cette contribution se propose de présenter deux composantes fondamentales de ce projet ambitieux – la procédure nativement numérique et la communication électronique pénale – et d’évoquer les questions qu’elles soulèvent. 


 

Le ministère de la Justice s’est engagé dans un plan de transformation numérique, qui a pour ambition d’offrir la possibilité d’une dématérialisation totale des procédures civiles et pénales.

Parallèlement les magistrats et personnels de la Justice devaient disposer d’outils performants, les échanges avec les professionnels du droit devaient être facilités, les justiciables devaient avoir la possibilité de suivre leurs affaires en ligne, l’orientation des détenus devait être facilitée, ils devaient bénéficier de services en ligne (cantine, formations), leurs proches devaient pouvoir effectuer des démarches en ligne (demande de visite au parloir, envoi d’argent). Les mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse devaient être suivis plus efficacement.

Cette transformation numérique de la Justice et de la société pose diverses questions juridiques et sociétales, qu’il s’agisse du droit applicable aux outils numériques, de la protection des droits fondamentaux (liberté d’expression, liberté d’entreprendre, droit à la vie privée, droit à l’oubli, propriété et exploitation des données, droit d’auteur, etc.), mais aussi de la redéfinition de la fonction du juge.

Haffide Boulakras, directeur du projet PPN, s’est félicité dès 2020 de l’avancée majeure des discussions entre le ministère de la Justice et le Conseil national des barreaux [1].

Interrogé le 2 décembre 2020 par le service communication du ministère de la Justice [2], Flavien Fouquet, Magistrat en détachement à la DACG rappelait que :

« Dorénavant, la version papier n’est plus la seule à avoir une valeur juridique, comme cela a été le cas pendant des centaines d’années.

La procédure pénale peut être entièrement numérique, de bout en bout, c’est-à-dire depuis la plainte de la victime jusqu’au jugement.

C’est un gain pour les professionnels du droit, notamment pour les avocats, qui pourront disposer plus rapidement des procédures nécessaires à la défense des intérêts de leurs clients.

C’est aussi un allégement certain des formalités diverses qui pèsent au quotidien sur les policiers et gendarmes car la procédure pénale numérique permet de simplifier les enquêtes.

C’est également un gain pour les agents du ministère de la Justice qui ont des missions d’archivage, de manutention et de reprographie. Ils pourront gagner du temps et se recentrer sur le cœur de leurs missions.

Passer d’un monde papier à un monde numérique ne peut pas se faire du jour au lendemain. Cela nécessite le développement de nouvelles applications informatiques, l’adaptation des méthodes de travail et un accompagnement fort des professionnels du droit et des personnels du ministère de la Justice.

Deux tribunaux, celui d’Amiens et de Blois, expérimentaient depuis un an cette nouvelle manière de travailler. Le premier bilan de l’expérimentation de la dématérialisation des procédures pénales dans ces tribunaux est très positif. Dans ces deux juridictions, plusieurs milliers d’affaires ont déjà été traitées de manière numérique.

En d’autres termes, ce qui paraissait impossible il y a quelques années devient une réalité. »

Il faut rappeler que PPN est un projet très ambitieux composé de multiples briques dont nous retiendrons en l’état deux éléments nous apparaissant fondamentaux : la procédure nativement numérique d’une part et la communication électronique pénale d’autre part.

La procédure nativement numérique, en phase de test depuis 2020, est juridiquement devenue la règle depuis le 14 janvier 2022.

Cette révolution consiste en définitive, à procédure pénale constante, à faire disparaître le papier au profit d’une procédure nativement numérique depuis le début de l’enquête jusqu’à la décision définitive, voire jusqu’au post-sentenciel.

Le défi technique n’est pas anodin dans la mesure où les questionnements suivants sont apparus très tôt :

  • comment stocker les données ? Sous quel format ? Quelles possibilités de réversibilité ou d’évolution du format ?
  • si la procédure pénale n’est pas modifiée du fait de la procédure nativement numérique (droit constant), comment le juge peut-il contrôler la régularité de la procédure ?
  • comment les auxiliaires de justice auront-ils accès à la procédure ? Pourront-ils intervenir numériquement également ?
  • les services d’enquête sont-ils dotés de systèmes informatiques compatibles et dimensionnés pour accepter ce nouveau mode de construction d’une procédure pénale ?

Autant de questions qui trouvent, parfois de manière empirique, des réponses au fur et à mesure du déploiement de PPN sur le territoire national.

Retenons, par souci de simplicité, et du fait de notre point de vue, que la procédure nativement numérique, à condition d’être intégrale pour une procédure donnée, comporte des avantages certains, mais aussi des inconvénients :

  • rapidité d’accès aux données à tous les stades de la procédure, fluidité de la communication entre les différents enquêteurs et avec l’autorité judiciaire décisionnaire, ce qui permet, notamment pour les magistrats du parquet, de prendre des décisions avec une connaissance quasi complète de la procédure ;
  • indépendamment de la possibilité pour le juge de contrôler la régularité de la procédure nativement numérique, le développement induit par PPN ne résout pas l’absence d’accès par les parties ou leurs avocats au contenu de la procédure avant les différentes phases contradictoires de la procédure pénale actuelle (déferrement, audience de jugement, mise ne examen et instruction préparatoire).

Gageons que les conclusions prochainement publiques du rapport Sauvé des États généraux de la justice offriront au Garde des Sceaux différentes propositions à mettre en œuvre, notamment pour un meilleur contradictoire de la procédure pénale dématérialisée dans un premier temps, nativement numérique dans un second.

Gageons aussi qu’à l’horizon 2024-2025, le système informatique abritant PPN permettra, durant la phase d’instruction préparatoire, une consultation de la procédure en temps réel.

La communication électronique pénale (CEP) permet les échanges entre les juridictions et les avocats.

À titre de bref rappel chronologique, il faut se souvenir que la lecture combinée des articles 803-1 N° Lexbase : L1638MAW, D. 591 N° Lexbase : L3966MCU et suivants et R. 165 N° Lexbase : L0076H39 du Code de procédure pénale permettait, sous réserve de la conclusion de conventions préalables entre les juridictions et les barreaux, de communiquer électroniquement en matière pénale.

Dès avant la crise sanitaire, la Chancellerie a lancé la mise en place de la plateforme PLEX (Plateforme d’échanges externes), dont la mise en service a vu le jour le 24 avril 2020 pour se développer jusqu’à sa pérennisation au mois de mai 2021.

L’idée de principe est d’utiliser la messagerie d’e-Barreau (plateforme d’échanges sécurisée entre les avocats et les juridictions) pour communiquer avec les juridictions et échanger des liens hypertextes ce qui permettait d’envoyer des volumes importants.

Indépendamment des blocages politiques et techniques, le CNB et la chancellerie ont pris conscience des besoins des juridictions et des avocats au cours de la crise sanitaire et de l’état d’urgence.

C’est ainsi que deux conventions ont été régularisées entre la chancellerie et le CNB. Une première le 24 avril 2020, relative à la communication électronique pénale, et une seconde le 12 mai 2020, pour l’utilisation du logiciel PLEX, dont l’application a été prorogée par avenant jusqu’au 10 décembre 2020.

Plus précisément, la plateforme PLEX (plateforme de communication du ministère de la Justice) est accessible aux magistrats et greffiers d’une part et aux avocats d’autre part. À date, PLEX est exclusivement utilisé pour les notifications émises par les juridictions et les délivrances des copies de procédure.

La mise en œuvre de PLEX fut un vrai succès avec 7 000 avocats inscrits à fin octobre 2021 depuis la mise en œuvre et une appropriation de l’outil assez rapide qui a permis notamment plus de 900 000 délivrances de procédures par voie dématérialisée en période de reprise d’activité à ce jour.

Parallèlement, les évènements depuis le 16 mars 2020 ont conduit le CNB à réinvestir le champ de la communication électronique pour permettre, en temps de crise comme en temps normal, d’opérer franchement un virage numérique de la communication entre les avocats et les juridictions.

C’est ainsi que la rédaction d’une convention de communication électronique pénale a été entreprise et signée le 5 février 2021 entre le Garde des Sceaux et le président du CNB.

Cette convention est nationale du fait de l’absence de territorialité de l’exercice de l’avocat et de la nécessité absolue que les modalités d’exercice de la CEP soient identiques sous tout le territoire.

L’objectif de fond est de permettre à terme aux avocats de pouvoir effectuer par la CEP toute demande, tout acte, tout dépôt de document, depuis le dépôt de plainte entre les mains du procureur de la République jusqu’à la requête en aménagement de peine afin de couvrir l’intégralité de la procédure pénale, en ce compris l’inscription de recours et les demandes et échanges en matière de contentieux de la liberté.

La signature d’une telle convention nécessitait des prérequis techniques, organisationnels et juridiques a minima, notamment des modifications textuelles décrétales (D. 590 N° Lexbase : L4542IYU et suivants du Code de procédure pénale) dans un premier temps, sans doute législatives par la suite.

Les intervenants de la chancellerie (direction PPN, DSJ et DACG notamment) et les membres du groupe de travail côté CNB se sont accordés sur le fond de la convention et sur les modifications textuelles pré requises.

Dans un premier temps, le périmètre de la convention recouvre la rédaction actuelle de l’article D. 591 du Code de procédure pénale en excluant toute territorialité.

Afin d’éviter d’avoir à modifier le texte de la convention, les rédacteurs, côté ministère comme côté CNB, ont privilégié des renvois aux textes applicables.

L’évolution probable, au cours des trois prochaines années, de l’article D. 591 du Code de procédure pénale devrait permettre d’élargir le périmètre des actes soumis à la CEP, notamment pour inclure dans le périmètre de la convention le contentieux de la liberté, les voies de recours et le post sentenciel.

Sur ces trois derniers points, l’état des discussions est encourageant.

À terme, l’ambition des parties est de permettre à l’avocat comme à la juridiction de pouvoir échanger par voie électronique dans tous les domaines du droit pénal.

Une phase transitoire faisant coexister les deux types de communication (actuelle d’une part et électronique d’autre part) est prévue sur une période qui devra être la plus brève possible pour accélérer le changement de culture des acteurs. Un délai de deux années doit permettre à minima un investissement des acteurs dans la numérisation de la communication, soit un basculement numérique à la fin de l’année 2023.

 

[1] Gazette du Palais, 2 juin 2020, p. 5

[2] Interview réalisée par le ministère de la Justice – SG – DICOM – D. Arnaud, Dématérialisation de la procédure pénale, 2 décembre 2020 [en ligne].

newsid:481885

Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Action en reconnaissance d’un contrat de travail : une action personnelle qui se prescrit par 5 ans

Réf. : Cass. soc., 11 mai 2022, 2 arrêts, n° 20-14.421 N° Lexbase : A56207W3 et n° 20-18.084 N° Lexbase : A56447WX, FS-B

Lecture: 12 min

N1904BZK

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par Myriam Tourneur, Avocat associé et Marie Koehl, Avocat collaborateur, Factorhy Avocats

Le 22 Juin 2022

Mots-clés : prescription • délai • requalification • contrat de travail • prescription quinquennale • reconnaissance d’un contrat de travail • C. trav., art. L. 1471-1

Dans deux arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation pose pour principe que l’action tendant à voir qualifier de contrat de travail, un contrat dont la nature juridique est indécise ou contestée, revêt le caractère d’une action personnelle et relève ainsi de la prescription quinquennale de droit commun. La Cour de cassation précise également que la qualification du contrat dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de la prescription est la date de cessation de la relation contractuelle dont la qualification est contestée.


Dans le prolongement des réformes de la prescription en matière civile [1] et sociale [2], la Cour de cassation doit régulièrement faire des arbitrages entre prescription de droit commun et de droit spécial.

Ainsi, en matière sociale, la Cour de cassation intervient souvent afin d’apporter des clarifications nécessaires aux textes fixant les délais de prescription.

Elle pose notamment pour principe que la durée de la prescription des actions dépend de la nature de la créance [3], objet du litige (discrimination [4], demande de rappel de salaire fondée sur l'invalidité d'une convention de forfait en jours [5], action en requalification d’un contrat de mission en CDI [6], etc.) [7].

Par deux arrêts en date du 11 mai 2022, la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre à son édifice jurisprudentiel et tranche la question du délai de prescription relative à l’action en reconnaissance d’un contrat de travail.

Dans la première affaire (n° 20-14.421), un journaliste photographe a travaillé pour une société de presse, en tant que correspondant local de presse dès 2001. Il a ensuite été embauché en 2008 par contrats à durée déterminée en remplacement de salariés absents pour, par la suite, reprendre son activité de pigiste de 2009 jusqu’au mois de mai 2015, date à laquelle la collaboration a cessé.

Il saisit la juridiction prud’homale, en 2016, d’une demande de requalification de la relation professionnelle en un contrat de travail à durée indéterminée.

Dans la seconde affaire (n° 20-18.084), une salariée a été engagée par une société de prévoyance en avril 1992 par un contrat à durée indéterminée en qualité de médecin-conseil et licenciée le 4 mai 2018. Cette dernière a saisi la juridiction prud’homale, en septembre 2014, estimant que la relation de travail avait en réalité commencé le 1er février 1984 alors qu’elle exerçait auprès de la société à titre libéral.

Dans les deux affaires, les juges ont eu à se prononcer sur l’éventuelle prescription de l’action des demandeurs.

La Cour de cassation rejette le pourvoi dans l’affaire du médecin-conseil et casse le raisonnement de la cour d’appel dans l’affaire du journaliste photographe en se fondant sur le double visa de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC et de l’article L. 1471-1, alinéa 1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ.

Au visa des articles 2224 du Code civil et L. 1471-1, alinéa 1, du Code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN, la Cour de cassation pose pour principe que l’action par laquelle une partie demande de qualifier de contrat de travail, un contrat dont la nature juridique est indécise ou contestée, relève de la prescription quinquennale de droit commun (I.) et que son point de départ est la date de cessation de la relation contractuelle dont la qualification est contestée (II.).

I. La demande de requalification d’un contrat en contrat de travail est soumise à la prescription de droit commun 

A. La censure du raisonnement fondé sur la prescription spéciale (C. trav., art. L. 1471-1)

À l’examen de la jurisprudence, et sauf rares exceptions faites des actions fondées sur une discrimination [8], il ressort très clairement que les délais de prescription en matière sociale sont bien inférieurs à la prescription quinquennale de droit commun.

Dans les deux arrêts commentés du 11 mai 2022, la Cour de cassation opte pourtant pour l’application du délai de droit commun en considérant que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle et relève de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil.

En l’espèce, dans la première affaire (n° 20-14.421), les juges du fond ont considéré l’action du journaliste photographe comme prescrite en se fondant sur le délai spécifique de prescription applicable en matière d’exécution du contrat de travail (C. trav., art. L. 1471-1), prescription quinquennale devenue biennale avec la réforme du 14 juin 2013.

La Cour de cassation casse le raisonnement de la cour d’appel en appliquant, au contraire, le délai quinquennal de droit commun de l’article 2224 du Code civil.

Le raisonnement de la Haute Cour est identique dans la seconde affaire (n° 20-18.084), aux termes de laquelle elle rejette le pourvoi de la salariée déclarant l’action intentée par cette dernière en 2014 comme prescrite, ayant constaté que la relation contractuelle dont la qualification en contrat de travail était sollicitée avait pris fin le 31 mars 1992, soit avant son embauche en contrat à durée indéterminée.

Cette solution, qui apparait de prime abord à contre-courant de la volonté du législateur, n’en est pas moins juridiquement parfaitement fondée.

En effet, le raisonnement est simple : le délai de droit commun s’applique à toutes les actions qui ne relèvent d’aucun texte spécial. Or, l’action en reconnaissance d’un contrat de travail ne peut se voir appliquer la prescription spécifique biennale des actions portant sur l’exécution du contrat de travail dès lors que l’existence même du contrat de travail n’a pas encore été reconnue.

B. La justification : la demande de requalification revêt le caractère d’une action personnelle

Dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation justifie ainsi, de manière parfaitement cohérente, l’application du délai de prescription quinquennale de droit commun par le fait que l’action en reconnaissance d’un contrat de travail revêt le caractère d’une action personnelle.

Ici, la Cour de cassation prend ainsi le soin de qualifier l’action : « l'action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle ».

Ce faisant, la Cour de cassation s’en tient à sa jurisprudence constante selon laquelle la durée de la prescription des actions dépend de la nature de la créance, objet du litige.

Ainsi, la Chambre sociale écarte logiquement l’application du délai de prescription biennale de l’article L. 1471-1 du Code du travail puisqu’une solution inverse consisterait à faire appliquer des dispositions du Code du travail à un contrat qui n’en revêt pas la qualification juridique, et dont la demande porte précisément sur la reconnaissance de cette qualification juridique.

La clarification opérée par la Cour de cassation s’inscrit ainsi dans le droit fil d’une jurisprudence constante selon laquelle, en l’absence de prescription spécifique, c’est la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil qui doit s’appliquer [9].

II. Le point de départ de cette prescription est la date de la fin des relations contractuelles

A. Une confirmation jurisprudentielle au visa surprenant (C. trav., art. L. 1471-1)

La Cour de cassation tranche dans le même temps la question du point de départ du délai de prescription. En effet, dans le second temps du raisonnement de la Cour de cassation, celle-ci précise que la qualification du contrat dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle, dont la qualification est contestée, a cessé. C’est en effet à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit.

Dans la première affaire (n° 20-14.421), le pigiste ayant cessé son activité en mai 2015, son action était prescrite selon la Haute Cour en mai 2020, et non au jour de la réception du courrier de son employeur lui déniant la qualité de salarié pour lui refuser son congé paternité, comme l’avaient retenu les juges du fond en l’espèce.

Dans la seconde affaire (n° 20-18.084), la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir jugé l’action de la salariée irrecevable car prescrite, en retenant que le point de départ de la prescription quinquennale avait commencé à courir à compter du 31 mars 1992, date à laquelle la relation contractuelle, dont la qualification en contrat de travail était demandée, avait cessé.

Si la solution retenue par la Cour de cassation apparaît justifiée au regard de la jurisprudence constante en la matière selon laquelle la prescription s’applique à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action [10], les visas retenus ne manquent pas d’étonner.  

La Cour de cassation motive en effet ses décisions au double visa des articles 2224 du Code civil et L. 1471-1 du Code du travail en les reproduisant in extenso : « selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » ; « selon le second, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».

Pour construire son raisonnement, la Cour de cassation ajoute qu’« il résulte de leur combinaison que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle ».

Ainsi, tout en rejetant l’application de l’article L. 1471-1 du Code du travail au cas d’espèce concernant la durée de la prescription, la Cour de cassation semble se fonder sur ledit article s’agissant du point de départ de la prescription puisqu’elle précise que « la qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C’est en effet à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit ».

Bien qu’une telle motivation puisse ainsi apparaitre surprenante, la position de la Cour de cassation n’en demeure pas moins logique et opportune.

B. Une sécurisation juridique en demi-teinte nécessitant l’intervention du législateur 

La clarification apportée par la Cour de cassation sur le délai de prescription applicable à l’action visant à faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail est bienvenue tant la question de la prescription est loin d’être anodine pour les travailleurs et les employeurs, notamment dans un contexte d’ « ubérisation » de la société et des relations de travail.

La solution retenue par la Cour de cassation a donc le mérite d’assurer une « sécurité juridique » en la matière aux parties qui se trouvent fixées sur les délais de prescription applicables et leur point de départ.

Une telle solution a néanmoins de quoi surprendre lorsque l’on sait que la volonté du législateur depuis les dernières réformes de la prescription tant en matière civile qu’en matière sociale est de réduire drastiquement les délais.

Notamment, il sera rappelé qu’au dernier état, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN a encore réduit à un an le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail [11].

L’intervention du législateur serait donc la bienvenue s’agissant des actions en reconnaissance d’un contrat de travail, d’autant plus que les litiges concernant les travailleurs indépendants recourant aux plateformes de mise en relation, réclamant le statut de salariés, n’ont de cesse de se multiplier ces dernières années [12].

Cette intervention serait d’autant plus la bienvenue qu’en l’état, ces décisions de la Cour de cassation créent une rupture d’égalité entre les salariés et les travailleurs non-salariés, lesquels bénéficient donc d’un délai plus long pour saisir le juge.

Au-delà, ces arrêts posent la question de l’articulation de ce délai de prescription quinquennal pour voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail, avec les actions en rappel de salaire qui pourraient par exemple en découler, lesquelles se prescrivent quant à elles dans un délai de trois ans.

Ainsi, si cette solution est particulièrement favorable aux travailleurs qui entendent revendiquer la qualité de salarié, elle sera source d’incertitudes supplémentaires voire d’insécurité juridique pour les entreprises.

👉 Quel impact sur la pratique ?

Dans l’attente d’une clarification textuelle, il pourrait être conseillé aux entreprises (au-delà du fait évidemment d’encadrer la relation contractuelle afin d’éviter de caractériser une relation de travail) d’encadrer la fin des relations en faisant par exemple signer un quitus au travailleur indépendant à la fin des relations contractuelles mentionnant la date de fin (afin qu’il n’y ait aucun débat sur cette dernière et afin de faire courir le délai) et au terme duquel le travailleur reconnaît être rempli de ses droits.

Cette solution, qui ne garantit pas l’absence de contentieux ultérieur, aurait davantage un effet moral « dissuasif ».

 

[1] Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I.

[2] Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi N° Lexbase : L0394IXU.

[3] Cette formulation est issue des arrêts rendus par l’assemblée plénière de la Cour de cassation et une Chambre mixte : v. Cass. ass. plén., 10 juin 2005, n° 03-18.922 N° Lexbase : A6766DIG ; Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n° 03-16.800 N° Lexbase : A7226DPC.

[4] Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 16-26.209, F-D N° Lexbase : A3487Z4W.

[5] Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-23.314, FS-P+B N° Lexbase : A7290Y77 ; Cass. soc., 30 juin 2021 n° 18-23.932, FS-B N° Lexbase : A21214Y9 : l'action en paiement d'un rappel de salaire fondée sur l'invalidité d'une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH, l’objet de l’action en justice étant la demande de rappel de salaire.

[6] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-16.655, FS-B N° Lexbase : A20064YX : l’action en requalification d’un contrat de mission en CDI se rattache à une action portant sur l’exécution du contrat de travail à titre principal et se voit donc appliquer le délai de prescription biennal de l’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ. Tel n’est pas le cas lorsque la demande porte sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet dès lors que la créance objet de la demande a une nature salariale. La Cour de cassation considère à cet effet que l'action en requalification n’est qu’un moyen au soutien de la demande principale en rappel de salaire : v. Cass. soc., 19 décembre 2018, n°16-20.522, F-D N° Lexbase : A6579YR4 ; Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-10.161, FS-B N° Lexbase : A21654YT.

[7] V. sur ce point : B. Desaint, La prescription en droit du travail : synthèse sous forme de tableaux, Lexbase Social, 25 novembre 2021, n° 885 N° Lexbase : N9492BY9.

[8] La prescription quinquennale doit s’appliquer : Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 16-26.209, préc..

[9] Cass. soc., 17 février 2016, n° 14-22.097 et n° 14-26.145, FS-P+B N° Lexbase : A4739PZK ; Cass. civ. 2, 18 février 2021, 2 arrêts, n° 19-25.886 N° Lexbase : A62204HT et n° 19-25.887 N° Lexbase : A60924H4, FS-P.

[10] CA Orléans, 18 janvier 2022, n° 19/02886 N° Lexbase : A97037I9 ; CA Aix-en-Provence, 28 janvier 2022, n° 20/08824 N° Lexbase : A80057KP ; CA Versailles, 3 mars 2022, n° 20/02509 N° Lexbase : A37247PM.

[11] C. trav., art. L. 1471-1, al. 2 N° Lexbase : L1453LKZ.

[12] Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0887YN8; Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316 FP-P+B+R+I N° Lexbase : A95123GE ; T. corr. Paris, 19 avril 2022, arrêt « Deliveroo » (lire : V. Vantighem, Premier procès pénal de « l’ubérisation » : Deliveroo France condamnée à l’amende maximale, Lexbase Social, 21 avril 2022, n° 903 N° Lexbase : N1213BZX.

newsid:481904

Responsabilité

[Brèves] Préjudice économique des victimes indirectes en cas de décès d’un enfant handicapé, du fait de la cessation du versement de la PCH affectée au dédommagement de l'aidant familial ?

Réf. : Cass. civ. 2, 16 juin 2022, n° 20-20.270, FS-B N° Lexbase : A482877X

Lecture: 4 min

N1952BZC

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 23 Juin 2022

► Il résulte des articles L. 245-1, L. 245-3, L. 245-5, L. 245-7, L. 245-8, alinéa 1, et L. 245-12 du Code de l'action sociale et des familles que la prestation de compensation du handicap affectée au dédommagement de l'aidant familial, calculée sur la base d'un pourcentage du salaire minimum de croissance, doit être considérée comme une ressource de l'aidant, incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique des victimes indirectes ;
dès lors, viole ces dispositions la cour d'appel qui retient que la prestation de compensation du handicap n'avait pas vocation à contribuer à l'entretien de la famille et que la cessation de son versement, à la mère d'un enfant en situation de handicap accidentellement décédé ayant fait le choix de ne pas travailler pour s'occuper de ce dernier en qualité d'aidant familial, ne saurait constituer un préjudice économique, alors que cette prestation constituait une ressource pour cet aidant qui, comme telle, devait être incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul de son préjudice économique.

Faits et procédure. En l’espèce, un incendie s’était déclaré, le 2 mai 2014, dans l'appartement occupé par des parents et leurs deux enfants, dont l’un en situation de handicap. Ce dernier était décédé le lendemain, des suites de l'incendie.

Les parents avaient souscrit un contrat d'assurance « Garantie des Accidents de la Vie » prévoyant l'indemnisation, notamment, du préjudice économique des bénéficiaires du contrat, déterminé, en cas de décès, par référence au droit commun.

Ils avaient assigné l'assureur devant un tribunal de grande instance afin d'être indemnisés, notamment, de leur préjudice économique.

Décision CA. Pour les débouter de leur demande de réparation d'un préjudice économique, la cour d’appel de Nîmes (CA Nîmes, 8 mars 2018, n° 16/04691 N° Lexbase : A4900XGL) avait d’abord relevé que, selon eux, la prestation de compensation du handicap constituait un revenu pour la mère, qui avait abandonné son activité salariée, à la naissance de l’enfant, pour s'occuper de lui et que la perte de revenu consécutive à son décès la laisse dans le dénuement, puisqu'elle était désormais trop âgée pour trouver un nouvel emploi.

Mais la cour d’appel avait retenu, ensuite, que cette prestation étant destinée à rémunérer les frais occasionnés par le handicap, tel que le financement de la tierce personne, la cessation de son versement ne saurait constituer un préjudice économique puisqu'elle n'avait pas vocation à contribuer à l'entretien de la famille et que la mère avait fait le choix de ne pas travailler pour s'occuper de son fils.

Cassation. Le raisonnement est censuré par la Cour suprême, qui relève qu’il résulte des articles 245-1 N° Lexbase : L3793LWE, L. 245-3 N° Lexbase : L8850KUC, L. 245-5 N° Lexbase : L3791LWC, L. 245-7 N° Lexbase : L0799KWI, L. 245-8, alinéa 1 N° Lexbase : L9787KXR, et L. 245-12 N° Lexbase : L5178LWP du Code de l'action sociale et des familles, que lorsqu'elle est affectée à une charge liée à un besoin d'aides humaines, y compris pour celles apportées par les aidants familiaux, la contrepartie monétaire attachée à la prestation de compensation du handicap bénéficie exclusivement à la tierce personne qu'elle dédommage ou rétribue. La personne physique ou morale qui assume la charge d'aider le bénéficiaire est en droit, en cas de non-paiement du montant de la prestation de compensation du handicap, d'obtenir du président du conseil départemental qu'elle lui soit versée directement.

Dès lors, comme indiqué supra, la prestation de compensation du handicap affectée au dédommagement de l'aidant familial, calculée sur la base d'un pourcentage du salaire minimum de croissance, doit être considérée comme une ressource de l'aidant, incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique des victimes indirectes.

Or, en l’espèce, il résultait des propres constatations de la cour d’appel, que la mère était dédommagée, au titre de la prestation de compensation du handicap, pour répondre, en qualité d'aidant familial, au besoin en aide humaine de son fils, de sorte que cette prestation constituait pour elle une ressource qui, comme telle, devait être incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique subi par les parents.

newsid:481952

Responsabilité médicale

[Brèves] Action subrogatoire de l’ONIAM possible contre toute personne sans incidence de l’acceptation d’une offre d’indemnisation partielle par la victime

Réf. : Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 21-16.022, FS-B N° Lexbase : A4698777

Lecture: 3 min

N1898BZC

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par Laïla Bedja

Le 22 Juin 2022

► L'indemnisation au titre de la solidarité nationale présente un caractère subsidiaire et lorsque la CCI a estimé que le dommage engageait la responsabilité de deux personnes distinctes, que seul l'un de leurs assureurs a fait une offre d'indemnisation partielle qui a été acceptée et que l'ONIAM s'est substitué à l'autre assureur pour que la victime bénéficie d'une réparation intégrale, l'ONIAM dispose alors, comme l'assureur auquel il s'est substitué, d'un recours contre toute personne qu'il considère comme responsable du dommage, sans que l'acceptation par la victime d'une offre d'indemnisation partielle n'y fasse obstacle.

Les faits et procédure. À la suite d’une intervention consistant en la pose d’une prothèse de hanche au sein d’une clinique, une patiente a chuté de la table d’opération et présenté une fracture de vertèbres dorsales avec contusion de la moelle épinière.

Saisie par la patiente, la CCI a estimé que le dommage était la conséquence d’un défaut de surveillance de la patiente par l’infirmière et par le médecin anesthésiste exerçant à titre libéral, qu’il appartenait à l’assureur de celle-ci ainsi qu’à l’assureur de la clinique de faire une offre d’indemnisation avec une répartition par moitié entre eux.

L’assureur du médecin a présenté une offre d’indemnisation à la patiente et son époux couvrant la moitié de leurs préjudices qu’ils ont acceptée. En revanche, l’assureur de la clinique ayant refusé de formuler une offre, l’ONIAM s’est substitué à celui-ci et les a indemnisés à hauteur de l’autre moitié.

En première instance, le recours subrogatoire de l’ONIAM contre la clinique et son assureur a été rejeté en l’absence de responsabilité de la clinique dans la survenue du dommage. L’ONIAM a alors dirigé son action contre l’anesthésiste et son assureur en remboursement des indemnités versées.

La cour d’appel. Pour rejeter les demandes de l’ONIAM contre l’anesthésiste et son assureur, la cour d’appel retient que l’ONIAM ne s'est pas substitué à cet assureur, en application de l'article L. 1142-15 N° Lexbase : L5390IR3, qu'en tout état de cause, l'ONIAM ne fait qu'exercer une action subrogatoire et qu'il n'a pas plus de droits que la victime ayant accepté l'offre d'indemnisation de l'assureur en considération d'une responsabilité à hauteur de 50 % (CA Pau, 16 février 2021, n° 18/02246 N° Lexbase : A75194IC).

La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond (CSP, art. L. 1142-1, II N° Lexbase : L0696H9N, L. 1142-14 N° Lexbase : L5391IR4 et L. 1142-15).

Pour aller plus loin :

newsid:481898

Sociétés

[Brèves] Nouvelles modalités relatives à l'identification et à l'information des actionnaires

Réf. : Décret n° 2022-888, du 14 juin 2022, relatif à l’identification des actionnaires, la transmission d’informations et la facilitation de l’exercice des droits des actionnaires N° Lexbase : L1310MDU

Lecture: 7 min

N1934BZN

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par Kévin de Amorim

Le 22 Juin 2022

► Un décret, publié au Journal officiel du 16 juin 2022, vient modifier le droit à l’information des sociétés émettrices de titres financiers et précise les informations communiquées aux actionnaires par les intermédiaires. 

La loi n° 2021-1308, du 8 octobre 2021 N° Lexbase : L4586L8D est venue porter diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne, notamment en matière économique et financière. Elle transpose notamment la Directive n° 2017/828, du 17 mai 2017 N° Lexbase : L6905LTW. Le décret n° 2022-888, du 14 juin 2022 porte donc application des dispositions des articles du Code de commerce issus de la loi n° 2021-13308, du 8 octobre 2021. 

Les nouvelles obligations d’information des intermédiaires. Le décret du 14  juin 2022 modifie les articles R. 228-3 N° Lexbase : L1582MDX et R. 228-4 N° Lexbase : L1583MDY du Code de commerce. Les intermédiaires, au sens de l’article L. 228-2 du Code de commerce N° Lexbase : L4883L8D, sont désormais tenus de fournir une série d’informations à destination des sociétés émettrices sur chaque propriétaire de titre. Sur ce point, elles doivent communiquer  : 

  • l’identifiant unique de l’actionnaire s’il s’agit d’une personne morale ou d’une personne physique ; le nom de l’actionnaire s’il s’agit d’une personne morale ou d’une personne physique ; la rue et son numéro ; le code postal ; la ville ; le pays ; le code postal de la boite postal ; le numéro de la boite postale ; l’adresse électronique ; le type de détention d’actions ; le nombre d’actions détenues par l’actionnaire auprès de l’intermédiaire auteur de la réponse (C du tableau  2, item  1 [a] à 11 de l’annexe du règlement d’exécution n° 2018/1212 de la Commission du 3  septembre 2018 N° Lexbase : L8076LLP) ; 
  • en cas de demande expresse de la société émettrice ou de son mandataire, la date de début de la détention d’actions (C du tableau  2, item  12 de l’annexe du règlement d’exécution n° 2018/1212 de la Commission du 3  septembre 2018) ou les classes des actions détenues par chaque actionnaire ; 
  • s’il y a lieu et en cas de demande expresse de la société émettrice ou de son mandataire, le nom du tiers désigné par l’actionnaire  et l’identifiant unique du tiers désigné par l’actionnaire (C du tableau  2, items  13 et 14 de l’annexe du règlement d’exécution n° 2018/1212 de la Commission du 3  septembre 2018) ; 
  • en cas de demande expresse de la société émettrice et sous réserve de la disponibilité des informations chez la personne interrogée, la nationalité ; selon les cas, l’année de constitution ou l’année de naissance ; le cas échéant, les restrictions dont les titres peuvent être frappés autres que celles directement attachées à la personne titulaire des titres ;  
  • le code indiquant l’activité principale exercée faisant référence à la nomenclature d’activités française (NAF) ou son équivalent européen au sens du règlement (CE) n° 1893/2006, du 20 décembre 2006, établissant la nomenclature statistique des activités économiques NACE rév 2 N° Lexbase : L0075HUC ;  
  • le caractère professionnel ou non du propriétaire des titres, au sens de l’article L. 533-16 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4643LT7
  • lorsque le titre est une part ou une action d’un organisme de placement collectif, la dénomination et le numéro d’immatriculation du distributeur ayant effectué leur cession auprès du propriétaire.

Les intermédiaires sont tenus de respecter des délais de transmission. Le nouvel article R. 228-4 du Code de commerce renvoie au règlement d’exécution n° 2018/1212 de la Commission du 3 septembre 2018, précité. Selon le texte européen, l’intermédiaire est tenu de respecter certains délais :

  • la demande de divulgation de l’identité de l’actionnaire doit être transmise sans délai par les intermédiaires et au plus tard à la clôture du jour ouvrable de réception de la demande. En cas de demande transmise après 16 h un jour ouvrable donnée, l’intermédiaire doit transmettre les informations sans tarder et au plus tard à 10 h le jour ouvrable suivant ;
  • la réponse de l’intermédiaire est fournie et transmise sans délai par chaque intermédiaire au destinataire désigné dans la demande, au plus tard dans le courant du jour ouvrable suivant immédiatement la date d’enregistrement ou la date de réception de la demande par l’intermédiaire qui répond, si cet événement intervient plus tard. Ces délais ne s’appliquent pas pour les demandes ou réponses qui, selon le cas, ne peuvent être traitées par ordinateur ni traitées de façon entièrement automatisée.  

Les intermédiaires sont tenus de fournir des services aux actionnaires. Pour que les actionnaires puissent exercer au mieux leur droit politique, les intermédiaires sont tenus de communiquer certaines informations (C. com., art. R. 228-32-1 N° Lexbase : L1584MDZ et article 4 du règlement d’exécution n° 2018/1212, du 3 septembre 2018) : 

  • les informations communiquées doivent être effectuées dans des formats électroniques et lisibles par ordinateur ;  
  • les informations fournies par l’émetteur le sont dans la langue de publication de ses informations financières ou à défaut dans celle de la base d’actionnaires de l’émetteur, mais également dans une langue utilisée dans la sphère de la finance internationale.

Pour les convocations aux assemblées générales, les actionnaires doivent recevoir certaines informations (quelques mentions exposées) :  

  • la date, l’heure, le type et le lieu de l’assemblée générale ; 
  • le mode de participation par actionnaire, le délai fixé par l’émetteur pour la notification de la participation et le délai fixé par l’émetteur pour voter ;  
  • l’identifiant unique du point de l’ordre du jour, le titre du point de l’ordre du jour, l’URL des documents, la nature de vote (si le vote est contraignant ou consultatif), les options de vote. 

L’actionnaire peut solliciter une confirmation, de réception, mais également sur la prise en compte de ses droits et du droit de vote auprès de l’intermédiaire.  

Pour les demandes de confirmation d’enregistrement et de prise en compte des votes, la confirmation comprend notamment le nom de l’actionnaire, le cas échéant son tiers, les modalités portant sur la manière dont les votes ont été enregistrés et pris en compte ou reçus par l’émetteur, notamment s’ils ont été exprimés avant ou pendant l’assemblée générale. Il y figure la date et l’heure de réception et l’identifiant unique de vote.

Pour les confirmations de vote, une attestation de vote doit être remise à l’actionnaire, qui comprend notamment la date de l’assemblée générale, le nom de la partie confirmant le vote, le nom de la personne ayant voté et le nom de l’actionnaire. L’actionnaire dispose d’un délai de trois mois pour solliciter une confirmation de son vote (C. com., art. R. 228-32-1, II). 

L’actionnaire se voit également transmettre des informations sur des événements touchant la société émettrice, autres que les assemblées générales. L’intermédiaire respecte une série d’obligations vis-à-vis de l’actionnaire (article 8 du règlement d’exécution n° 2018/1212 de la Commission du 3 septembre 2018).

Les intermédiaires sont par ailleurs tenus de garantir la confidentialité des informations transmises par la société émettrice des titres et des actionnaires. Ils sont également tenus de mettre en œuvre des moyens techniques d’authentification portant sur les demandes ou les informations transmises émanant de l’émetteur.  

Entrée en vigueur. Le décret est entré en vigueur le 17 juin 2022. 

newsid:481934

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] L’amende pour défaut d’autoliquidation de la TVA renvoyée devant le Conseil constitutionnel : les amendes pour défaut de déclaration sur la sellette ?

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 14 juin 2022, n° 462398, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A481477G

Lecture: 2 min

N1920BZ7

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par Marie-Claire Sgarra

Le 24 Juin 2022

La question de la conformité à la Constitution des dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du CGI est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Que prévoient ces dispositions ? Lorsqu'au titre d'une opération donnée le redevable de la TVA est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l'application d'une amende égale à 5 % de la somme déductible (CGI, art. 1788 A, 4, al. 1 N° Lexbase : L5786MAK).

Les énonciations du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 16 juin 2021 au bulletin officiel des finances publiques – impôts sous la référence BOI-CF-INF-20-20 N° Lexbase : X5244ALS réitérant les dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du CGI, celles-ci sont applicables au litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment, du fait de l'absence de plafonnement du montant de l'amende, au principe de proportionnalité des peines, soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a, dès lors, lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Précisions. Le Conseil d’État a refusé de transmettre une QPC sur les dispositions du a du 1 de l'article 1788 A du CGI N° Lexbase : L5786MAK aux termes duquel entraîne l'application d'une amende de 750 euros le défaut de production dans les délais des déclarations prévues à l'article 289 B. L'amende est portée à 1 500 euros à défaut de production de la déclaration dans les trente jours d'une mise en demeure (CE 9°-10° ch. réunies, 1er juin 2022, n° 459099, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A61697Y7).

Le contrôle effectué par le Conseil d’État sur le principe de proportionnalité des peines peut interroger…

 

À noter : une autre amende pour défaut de déclaration est en sursis. La question de la conformité à la Constitution du 1 du I de l'article 1736 du Code général des impôts N° Lexbase : L9063LNY a été renvoyée au Conseil constitutionnel (CE 9°-10° ch. réunies, 25 avril 2022, n° 458429, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A45717UT) (amende de 50 % pour défaut de déclaration des sommes versées à des tiers). Réponse le 1er juillet !

 

 

 

 

newsid:481920

Voies d'exécution

[Pratique professionnelle] La mise à prix : le cas de la licitation

Lecture: 14 min

N1894BZ8

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par Denis Talon, avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien membre du Conseil de l’Ordre et du Conseil national des Barreaux, ancien Président de Droit & Procédure, et Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’AAPPE et de Droit & Procédure

Le 22 Juin 2022

Mots-clés : licitation • indivision • vente forcée • mise à prix • vente aux enchères • bien indivis

La licitation, c’est la vente aux enchères d’un bien indivis pour permettre le partage de son prix et la fin de l’indivision. Comme en matière de saisie immobilière, la mise à prix est le point de départ des enchères, mais ce n’en est pas le point d’arrivée. Le risque en matière de licitation est qu’il n’y ait aucun enchérisseur, empêchant de mettre fin à l’indivision. C’est pourquoi, comme en matière de saisie immobilière, les auteurs des présentes lignes proposent une fourchette basse pour le montant de la mise à prix, de l’ordre de 30 % de la valeur vénale raisonnablement prévisible du bien. Cela a pour but d’attirer les amateurs, mais peut aussi permettre à un indivisaire de garantir que la vente se fasse, en prévoyant de se porter adjudicataire du bien pour un prix qu’il peut payer.


 

Cet article est le second d’une série sur la mise à prix. Il traite de la mise à prix en matière de licitation. Le premier traitait de la mise à prix en matière de saisie immobilière (D.Talon, Ch. Simon, La mise à prix : le cas de la saisie immobilière, Lexbase Droit privé, n° 908 N° Lexbase : N1589BZU). Nous ferons, tout d’abord, un rappel sur la notion de licitation (I), puis nous développerons la question spécifique de la fixation de la mise à prix et des risques associés (II). Enfin, nous conclurons en formulant des recommandations quant à la fixation de son montant (III).

I. Rappel sur la notion de licitation

A. Définition de la licitation

Si la notion de saisie immobilière est largement connue et s’explique d’elle-même (c’est la saisie d’un immeuble), ce n’est pas le cas de la licitation. Son régime général est fixé aux articles 1686 N° Lexbase : L1796AB7 à 1688 N° Lexbase : L1798AB9 du Code civil. Ces articles se trouvent au Livre III (« Des différentes manières dont on acquiert la propriété ») ; Titre IV (« De la vente ») ; Chapitre VII (« De la licitation »).

L’article 1686 du Code civil délimite à la fois le cadre dans lequel la licitation intervient et la façon dont elle se résout :

« Si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ;

Ou si, dans un partage fait de gré à gré de biens communs, il s'en trouve quelques-uns qu'aucun des copartageants ne puisse ou ne veuille prendre,

La vente s'en fait aux enchères, et le prix en est partagé entre les copropriétaires. »

Trois éléments fondamentaux se dégagent de cet article :

  • la licitation concerne le cas où un bien qui n’est pas aisément divisible est juridiquement en indivision entre plusieurs personnes. Ce peut être un bien meuble non fongible, par exemple un tableau. C’est cependant bien souvent un immeuble, cas qui nous intéresse ici ;
  • pour partager ce bien et donc sortir de l’indivision, il faut liquider le bien, c’est-à-dire le transformer en argent qui est un bien fongible et indéfiniment divisible ;
  • l’opération de liquidation passe par la vente du bien aux enchères.

L’article 1688 du Code civil précise les conditions de la vente aux enchères :

« Le mode et les formalités à observer pour la licitation sont expliqués au titre " Des successions " et au code de procédure. » On avouera que ce double renvoi ne nous avance guère sur le régime de la licitation, tant il est général.

B. Domaines de la licitation

Le renvoi au titre « Des successions » du Code civil indique toutefois l’un des terrains d’élection de la licitation : les indivisions successorales. L’autre type d’indivisions où la licitation se rencontre fréquemment est l’indivision à la suite de la séparation du couple. Se pose alors fréquemment la question du devenir du domicile familial qui a été, tout aussi fréquemment, acheté en commun, quel que soit l’habillage juridique adopté par le couple pour l’organisation de la vie commune avant la séparation (concubinage ; pacte civil de solidarité avec ou sans contrat ; mariage et régime matrimonial choisi dans ce cas).

L’idée fondamentale, exprimée à l’article 815 du Code civil N° Lexbase : L9929HN3 concernant les successions, est que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention ». L’objectif est bien la dissolution de l’indivision afin que chacun puisse reprendre sa liberté.

De façon originale, la licitation se rencontre également fréquemment dans un cas où les indivisaires ne veulent pas sortir de l’indivision. C’est l’action oblique du créancier qui ne peut pas procéder à la vente du bien par la voie de la saisie immobilière. Cette situation se rencontre quand le créancier ne dispose pas d’une créance commune à l’ensemble des indivisaires ou quand le bien en indivision n’est pas un bien commun au sens des régimes matrimoniaux. En effet, dans ce dernier cas, le créancier d’un seul des époux peut toujours réaliser le bien commun par la voie d’une saisie immobilière, en application de l’article 1413 du Code civil N° Lexbase : L1544ABS (Cass. civ. 2, 16 mai 2012, n° 11-18.278, F-D N° Lexbase : A7063IL8). La saisie est alors poursuivie contre les deux époux, aux termes de l’article L. 311-7 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5871IRU, quand bien même un seul serait débiteur.

C. Acteurs de la licitation

À l’issue de ce rappel, deux types d’acteurs paraissent donc intéressés à poursuivre une procédure de licitation :

  • les indivisaires qui ne veulent pas rester en indivision ;
  • les créanciers d’un ou de plusieurs indivisaires qui ne peuvent pas procéder directement par la voie de la saisie immobilière. Ils doivent alors provoquer, par la voie oblique, le partage pour pouvoir se payer sur la part revenant à leur(s) débiteur(s).

II. Fixation de la mise à prix et risques associés

A. Qu’est-ce que la mise à prix ?

Comme en matière de saisie immobilière, la mise à prix n’est définie nulle part dans les textes réglementant « le mode et les formalités à observer pour la licitation », que ce soit dans le Code civil ou dans le Code de procédure civile. Nous renvoyons donc, sur ce point, à notre premier article sur la mise à prix en matière de saisie immobilière (D. Talon, Ch. Simon, La mise à prix : le cas de la saisie immobilière, Lexbase Droit privé, n° 908 N° Lexbase : N1589BZU).

Il suffit de rappeler que la mise à prix est le point de départ des enchères lorsque la vente forcée d’un bien intervient. Ce n’est cependant pas le point d’arrivée des enchères, sauf en cas de défaut d’enchère.

Pas plus qu’en matière de saisie immobilière, la mise à prix en matière de licitation ne présage de ce que le prix d’adjudication sera.

B. Textes encadrant la mise à prix

Comme en matière de saisie immobilière, les textes régissant la licitation sont allusifs quant à la fixation du montant de la mise à prix. Le titre « Des successions » du Code civil n’en dit pas un mot. Quant au Code de procédure civile, il organise un jeu de piste.

Il contient un paragraphe de deux articles (CPC, art. 1377 N° Lexbase : L1631IUX et 1378 N° Lexbase : L6332H7N) consacré à la licitation. Celui-ci se trouve au Livre III (« Dispositions particulières à certaines matières »), Titre III (« Les régimes matrimoniaux – Les successions et les libéralités »), Chapitre II (« Les successions et les libéralités »), Section IV (« Le Partage »), Sous-section II (« Le partage judiciaire »), Paragraphe 3 (« La licitation »). Mais ces articles indiquent uniquement :

« Le tribunal ordonne, dans les conditions qu'il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués.

La vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 N° Lexbase : L2150H4E à 1281 N° Lexbase : L2177H4E. »

Il faut donc se reporter aux articles 1271 à 1281 du Code de procédure civile qui concernent « La vente des immeubles et des fonds de commerce appartenant à des mineurs en tutelle ou à des majeurs en tutelle ». En pratique, pour ce qui nous intéresse, le texte pertinent est l’article 1273 N° Lexbase : L2153H4I. Il dispose :

« Le tribunal détermine la mise à prix de chacun des biens à vendre et les conditions essentielles de la vente. Il peut préciser qu'à défaut d'enchères atteignant cette mise à prix, la vente pourra se faire sur une mise à prix inférieure qu'il fixe.

Le tribunal peut, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, faire procéder à leur estimation totale ou partielle. »

À nouveau, ce texte ne nous avance guère, même s’il fait apparaître deux différences avec le mécanisme de fixation de la mise à prix en matière de saisie immobilière déjà étudié.

C. Personnes fixant la mise à prix

La première différence concerne la personne qui fixe la mise à prix.

En matière de saisie immobilière, c’est le créancier poursuivant et lui seul qui fixe la mise à prix, sous réserve de la possibilité pour le débiteur de demander au juge de l’augmenter en cas d’insuffisance manifeste. Nous en avons vu les raisons dans notre premier article.

En matière de licitation, c’est le tribunal qui détermine la mise à prix. La Cour de cassation lui reconnaît un pouvoir discrétionnaire ici. Il n’a même pas à exprimer les motifs de sa décision (Cass. civ. 1, 14 mai 1996, n° 94-14.895 N° Lexbase : A1063CTK).

Mais le tribunal est extérieur à la situation. De plus, si les textes lui en donnent la possibilité, il n’a pas l’obligation de faire procéder à une estimation et on imagine bien que, dans tous les cas, ce n’est pas lui qui va la payer. En pratique, il est donc évident que, si « le tribunal détermine la mise à prix », c’est sur la base de la ou des propositions des parties et des estimations de la valeur du bien qu’elles ont éventuellement versées aux débats.

Le tribunal a ainsi un pouvoir plus grand qu’en matière de saisie immobilière mais ce pouvoir est largement de façade. La principale différence est donc, au final, que toutes les parties peuvent proposer une mise à prix et non une seule, comme en saisie immobilière, à raison de sa qualité (créancier poursuivant). Le tribunal, quant à lui, tranchera.

D. Possibilité de baisse de la mise à prix

La deuxième différence est que les textes prévoient expressément une possibilité de baisse de la mise à prix à défaut d’enchères.

Cela se pratique aussi en saisie immobilière, malgré l’absence de texte (par exemple, CA Besançon, 1er septembre 2009, n° 09/01511 N° Lexbase : A1476UBB ; CA Agen, 2 mars 2016, n° 15/00901N° Lexbase : A9353QDR). Cela ne nous semble cependant pas dans l’esprit de cette procédure, alors que la baisse de la mise à prix est naturelle en matière de licitation.

Cette différence s’explique par les risques attachés à la fixation de la mise à prix dans ces deux procédures qui ne sont pas les mêmes.

E. Risques associés à la mise à prix

Nous avons vu dans notre premier article que, en matière de saisie immobilière, c’est le créancier poursuivant qui court le risque lié à la fixation de la mise à prix. À défaut d’enchère, il est déclaré adjudicataire pour le montant de celle-ci, en application de l’article L. 322-6 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5884IRD. Accepter qu’il puisse baisser ce montant à défaut d’enchères n’est cependant pas satisfaisant. Car, si c’est dans son intérêt pour permettre à un éventuel amateur de se découvrir après la remise en vente du bien sur baisse de sa mise à prix ou pour diminuer le prix qu’il devra payer à défaut d’enchère, une autre personne est intéressée au montant de la mise à prix : le débiteur saisi. Accepter de la baisser, c’est accepter de porter atteinte aux intérêts de celui-ci, son bien pouvant partir pour un prix plus faible que le prix minimum initialement escompté. Or, c’est bien le débiteur saisi plus que le créancier poursuivant qui a le plus à perdre à une mauvaise vente.

Il n’y a rien de tel en matière de licitation. À défaut d’enchère, personne n’est déclaré adjudicataire. Cela signifie cependant que le bien indivis n’est pas liquidé et que l’indivision se poursuit. Or, la licitation est la procédure visant à mettre fin à l’indivision en permettant la liquidation du bien et le partage du prix. Un défaut d’enchère est donc un constat d’échec. Du temps, de l’argent et de l’énergie ont été dépensés en vain.

Dans ces conditions, permettre une baisse de la mise à prix semble se justifie à nos yeux. Certes, le bien va, potentiellement, se vendre à un prix inférieur au prix minimum initialement escompté mais cette décote est le prix de la liberté pour les indivisaires. Pour sortir de l’indivision, ils doivent potentiellement accepter de « brader » le bien.

III. Recommandations concernant la fixation de la mise à prix

A. Fourchette proposée

Ce risque présent à l’esprit, nous sommes d’avis que, comme en matière de saisie immobilière, une fourchette comprise entre un quart et un tiers du prix du marché peut être retenue. Ici encore, comme en matière de saisie immobilière, cette fourchette peut être justifiée par la nécessaire « attractivité » de la mise à prix, mise en avant aussi bien par la doctrine (S. Guinchard, M. Moussa, Dalloz Action Droit et pratique des voies d’exécution 2022|2023, Dalloz, 10e éd., 2022, 1422.121) que par la jurisprudence (CA Nîmes, 8 janvier 2015, n° 13/03861 N° Lexbase : A9438M83 ; CA Riom, 1er avril 2014, n°13/01442 N° Lexbase : A3404MIW).

Pour les créanciers agissant par le biais de l’action oblique, la voie de la saisie immobilière leur étant bloquée, les mêmes raisons qui nous amènent à proposer cette fourchette dans notre premier article s’appliquent ici mutatis mutandis.

Pour les indivisaires qui souhaitent mettre fin à l’indivision, cette fourchette basse permet d’espérer atteindre effectivement le but poursuivi, potentiellement en acceptant une décote. Nous ne sommes pas favorables à la solution intermédiaire consistant à prévoir une mise à prix plus haute, en se laissant la possibilité d’une baisse à défaut d’enchère. En effet, l’expérience montre que, dans ce cas, les amateurs ont tendance à ne se découvrir qu’après baisse de la mise à prix, quitte à ce que le prix d’adjudication final soit supérieur au montant de la mise à prix initiale avant baisse. Autant donc partir de plus bas, plutôt que de descendre pour remonter.

B. Réflexions finales

Deux autres raisons nous amènent à proposer une mise à prix basse en matière de licitation.

Tout d’abord, il existe un moyen simple d’éviter un défaut d’enchère et la survie de l’indivision : qu’un indivisaire se porte adjudicataire du bien. Pour parer tout reproche à la suite d'un défaut d’enchère, l’avocat chargé de mettre en place une licitation a d’ailleurs tout intérêt à informer systématiquement son ou ses clients de cette possibilité, en leur proposant de fixer la mise à prix à un montant qu’ils peuvent acquitter. Ce d’autant que son ou ses clients pourront compenser une partie du prix avec leur créance sur l’indivision, résultant de la part leur revenant à la suite de la liquidation du bien. S’il n’y a pas d’amateur, un ou plusieurs indivisaires pourraient donc faire une bonne affaire et, s’il y en a, ils contribueront à faire monter le prix, au moins jusqu’au niveau qu’ils sont prêts à payer.

Ensuite, hors le cas de la licitation par voie oblique, succédanée à une saisie immobilière impossible, la licitation a habituellement lieu dans un cadre conflictuel au sein de l’indivision. Un ou plusieurs indivisaires empêchent le partage amiable et la sortie de l’indivision. Une mise à prix basse, associée à la mauvaise réputation des ventes aux enchères dans le public, peut être de nature à ramener les récalcitrants à de meilleurs sentiments vis-à-vis des autres indivisaires.

Ces deux dernières raisons ne doivent cependant pas laisser penser qu’une mise à prix basse serait un subterfuge en matière de licitation.

D’abord, comme en matière de saisie immobilière, la mise à prix n’est qu’un point de départ, pour autant qu’il y ait des amateurs en salle des ventes. Notre première réflexion tend à assurer qu’il y en ait au moins un.

Ensuite, dans la vaste majorité des cas, la licitation remplit son office en se concluant par la vente à un tiers, à un prix parfois même supérieur au prix du marché en cas de marché immobilier tendu. Même en cas de retour à meilleur sentiment du réfractaire, il peut donc y avoir un intérêt à poursuivre la licitation qui permet d’organiser la vente sans intermédiaire et en coupant court aux marchandages.

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