Le Quotidien du 20 avril 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Premier procès pénal de « l’ubérisation » : Deliveroo France condamnée à l’amende maximale

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[A la une] Premier procès pénal de « l’ubérisation » : Deliveroo France condamnée à l’amende maximale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/83717607-a-la-une-premier-proces-penal-de-luberisation-deliveroo-france-condamnee-a-lamende-maximale
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par Vincent Vantighem

le 27 Avril 2022

               Finalement, peu importe ce qu’en pensent les livreurs. Peu importe qu’ils s’estiment « satisfaits », « libres » ou totalement exploités par un système. Le tribunal judiciaire de Paris a infligé, mardi 19 avril, l’amende maximale de 375 000 euros à Deliveroo France pour « travail dissimulé » dans ce qui s’apparente au premier procès pénal de « l’ubérisation » autour de la question du statut des livreurs. « Le délit de travail dissimulé » est établi a sobrement affirmé la présidente de la 31e chambre du tribunal judiciaire. De son côté, la plateforme de livraison de repas à domicile a fait savoir, par la voix d’un porte-parole, qu’elle « envisageait » de faire appel de la décision.

Celle-ci est intégralement conforme aux réquisitions du parquet qui, lors de l’audience en mars, avait demandé l’amende maximale à l’encontre de Deliveroo ainsi qu’un an de prison avec sursis contre deux anciens dirigeants français de l’entreprise, ayant eu des responsabilités entre 2015 et 2017. Un troisième cadre a été jugé coupable de complicité et écope d’une peine de quatre mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende.

Outre ces peines, Deliveroo a été condamné à verser 50 000 euros de dommages et intérêts à chacun des cinq syndicats (CGT, Union Solidaires, Sud Commerces et services, Sud Commerces et services Ile-de-France et le Syndicat des transports légers) qui s’étaient constitués parties civiles à l’audience, arguant du préjudice moral subi.

« Deliveroo contrôlait et décidait de tout… »

               La 31e chambre du tribunal a également condamné Deliveroo à afficher devant ses locaux, pendant un mois, la décision qu’elle a rendue. Preuve que cette affaire est aussi une question d’affichage, tant la problématique du statut des livreurs de repas à domicile a cristallisé l’opinion publique ces dernières années.

               Une dizaine d’entre eux, travailleurs à vélo ou en scooter, pour l’essentiel désormais engagés contre le « système », avaient défilé à la barre, lors de l’audience, pour raconter leur arrivée à Deliveroo, attirés par les promesses de « liberté » et de « flexibilité ». Mais ils avaient détaillé la pression subie, la « guerre » pour obtenir les meilleurs créneaux de livraison, la « surveillance généralisée » et les réprimandes de la direction. Alors même qu’ils n’étaient qu’indépendants et non pas salariés de la plateforme. Au final, une centaine d’entre eux étaient parties civiles au procès.

               Le jugement de la 31e chambre, que nous avons pu consulter, résume d’ailleurs les conditions de travail des livreurs dans une phrase lourde de sens : « Deliveroo contrôlait et décidait de tout : les zones, les horaires, les tenues. [Les livreurs] ont ajouté qu’il était très difficile de modifier les jours et créneaux horaires initialement choisis et qu’en cas d’absence ou de refus de plusieurs courses, ils étaient rétrogradés dans le classement de la performance, ce qui limitait ensuite l’amplitude horaire de choix des jours et créneaux horaires… »

Un « forum politique » pour l’avocat de Deliveroo France         

Deliveroo, de son côté, s’est défendue en maintenant qu’elle ne faisait que « mettre en relation » des clients, restaurateurs et livreurs et a démenti tout « lien de subordination ». Une position qui n’avait pas convaincu la procureure Céline Ducourneau. Deliveroo est responsable d’une « instrumentalisation de la régulation du travail », dans le but d’organiser une « dissimulation systématique » d’emplois de livreurs qui auraient dû être salariés, avait-elle expliqué dans ses réquisitions.

               La « fraude » mise en place avait pour unique but d’employer « à moindre frais » ses livreurs, et peu importe si certains sont « satisfaits » de ce statut, avait-elle souligné afin de battre en brèche l’un des arguments les plus souvent prononcés par les tenants de « l’ubérisation ». Avocat de Deliveroo France, Antonin Lévy avait bien tenté de dénoncer un procès s’apparentant, selon lui, à un « forum politique », expliquant que la justice ne devait pas s’attarder sur la question des « conditions de travail » ou sur celle des « modes de consommation de notre époque ». Sans convaincre donc.

               Mais le plus dur est peut-être à venir pour Deliveroo. En effet, partie civile à la procédure, l’Urssaf bénéficie d’ores et déjà de 27 230 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. L’organisme de recouvrement pourrait, désormais, réclamer, au civil, les arriérés de cotisations non versées pendant des années. Le jugement indique ainsi que l’Urssaf a ainsi étudié les « contrats » de 2 256 livreurs. Autant de travailleurs qui pourront, eux aussi, demander devant les prud’hommes une requalification, avec arriérés de congés, cotisations retraites, etc.

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