La lettre juridique n°751 du 26 juillet 2018 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] A propos de la holding animatrice de groupe

Réf. : CE Plénière, 13 juin 2018, n° 395495, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9347XQA)

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N5126BX7

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 26 Juillet 2018

Par un arrêt rendu le 13 juin 2018, le Conseil d'Etat se prononce pour la première fois sur la notion de holdings animatrices.

La question de la holding animatrice hante la matière fiscale et le juge de l’impôt, qu’il s’agisse du juge administratif ou du juge judiciaire. Alors que nombre d’observateurs attendaient un éclaircissement jurisprudentiel de la part de la Cour de cassation, celui-ci advient grâce au Conseil d’Etat.

 

La décision -pragmatique, à savoir favorable aux acteurs économiques- de ce dernier jure d’ailleurs avec les exigences redoutables de la Cour de cassation quant à l’appréciation de la politique d’animation. L’enjeu n’est pas de peu tant le rôle des holdings animatrices est fondamental pour les groupes de société. Or, la position de l’administration fiscale s’est notablement durcie s’agissant des critères permettant à une entreprise de bénéficier des régimes de la holding animatrice.

 

Le Conseil d’Etat vient, de manière salutaire, encadrer les exigences de l’administration en la matière. Le juge rappelle tout d’abord ce qu’il faut entendre par société holding animatrice : «Une société holding qui a pour activité principale, outre la gestion d'un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, est animatrice de son groupe et doit, par suite, être regardée comme une société exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière au sens des dispositions du b du 2° du II de l'article 150-0 D bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L0119IWC), éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 (N° Lexbase : L6430HEU), de laquelle elles sont issues».

 

Dans les contentieux soumis à l’examen du Conseil d’Etat, les requérants -qui déboutés par le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 22 octobre 2015, n° 14NT00291 N° Lexbase : A1819NUW), qui déboutés par le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 25 février 2016, n° 14PA01391 N° Lexbase : A7900QDX), qui déboutés par le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 25 février 2016, n° 15PA00515 N° Lexbase : A7925QDU), qui débouté par le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 25 février 2016, n° 15PA01104 N° Lexbase : A7893QDP)- estiment que les plus-values par eux réalisées ne doivent pas supporter de taxation (impôt sur le revenu). Ce faisant, ils récusent l’interprétation de la doctrine fiscale leur refusant le bénéfice des dispositions et l’application de l’abattement aux gains visés.

 

En vertu du I de l’article 150-0 D ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L9350LHR), l’abattement prévu à l’article 150-0 D bis du même Code s’applique aux gains nets réalisés lorsque sont cédés, à titre onéreux, des actions, parts ou des droits démembrés portant sur ces actions ou parts ; encore faut-il que cette cession porte sur l’intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant dans la société dont les titres ou droits sont cédés ou sur plus de 50 % des droits de vote ou, en cas de détention de l’usufruit, sur plus de 50 % des droits dans les bénéfices sociaux de cette société. Quant à l’article 150-0 D bis du Code général des impôts, il dispose que les gains nets retirés des cessions à titre onéreux d’actions font l’objet d’un abattement d’un tiers pour chaque année de détention au-delà de la 5ème.

 

Encore faut-il que la société -dont les actions, parts ou droits sont cédés- exerce : une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière (à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier) ou a pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités mentionnées en amont. Une telle condition s’apprécie de manière continue pendant les 5 années précédant la cession.

 

Une fois rappelées les dispositions du Code général des impôts, une fois soulignée sa politique jurisprudentielle, le Conseil d’Etat décide de régler ces différentes affaires au fond (CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ). Pour le juge, la société Cofices a bien eu pour activité principale -et cela pendant les 5 années précédant la cession des titres-  «la participation active à la conduite du groupe et au contrôle de la société CES» ; la société Cofices constituait une société animatrice de groupe entrant dans le champ d’application de l’article 150-0 D bis du Code général des impôts.

 

Décomposons les éléments de fait permettant de comprendre le raisonnement du Conseil d’Etat et, in fine, sa conclusion synonyme de censure des juges d’appel :

- la société Cofices -constituée dans le cadre du rachat de la société CES par ses salariés- détenait 95 % du capital de cette société,

- le PDG de la société Cofices était aussi celui de la société CES,

- des personnalités qualifiées indépendantes, spécialisées dans le secteur d’activité de la société CES, étaient membres du conseil d’administration de la société Cofices,

- dès 1999, la société Cofices «participait à la conduite de la politique» de la société CES et des filiales de cette dernière, une telle participation de la société Cofices était «conforme à ses statuts»,

- nombre d’«actions concrètes» mettaient en exergue une telle participation, notamment la recherche de nouveaux partenaires ou la détermination de projets de recherche et de développement,

- de telles actions concrètes «allaient au-delà de l’exercice des attributions» que la société Cofices tirait de sa seule qualité d’actionnaire,

- une convention d’assistance en matière administrative et en matière de stratégie et de développement avait été conclue entre les deux sociétés ; en vertu de cette convention, la société Cofices avait vocation à «prendre part activement à la stratégie et au développement» de la société CES, une telle participation -aussi active qu’elle puisse être- n’emportait pas mise en cause de l’indépendance juridique de la société CES en tant que personne morale.

 

Un autre élément mérite d’être souligné : la société Cofices a été cédée pour un montant de 48,4 millions d’euros ; 56,2 % de cette somme (27,5 millions) correspondent à la valeur vénale de la société CES. A cela, il convient d’ajouter que les disponibilités de la société Cofices  -investies en titres de placement- ont augmenté de manière continue durant la période des 5 années considérées. La part de la valeur vénale -à la date de la cession- de la société CES dans l’actif de la société  Cofices a décru ; à la date de la cession, cette part de la valeur vénale atteignait 56,2 %.

Au regard de toutes ces données, la société Cofices est réputée avoir eu pour activité principale la participation active à la conduite du groupe et au contrôle de la société CES, et cela de manière continue pendant les 5 années précédant la cession des titres.

 

Revenons sur quelques points mentionnés précédemment et qui méritent quelques précisions.

 

Tout d’abord, la double casquette du PDG. Le PDG de la société holding était en effet aussi le PDG de la société filiale. A lui seul, cet élément -dont on ne saurait naturellement minorer l’importance- ne suffit cependant pas à établir qu’une société est l’entité animatrice du groupe, participant activement à sa stratégie, à la conduite de sa politique et au contrôle des filiales.

 

Comment ne pas songer, par exemple, à un arrêt non pas du Conseil d’Etat mais de la Cour de cassation (Cass. com., n° 89-19474, 19 novembre 1991 N° Lexbase : A3987ABB) ? Pour la Cour de cassation, le seul critère de l'identité des dirigeants de la société et de sa filiale est jugé impropre à caractériser le rôle d'animation de la société holding sur les filiales de son groupe.

 

Outre le rôle du PDG, une autre question mérite intérêt, celle des conventions passées entre la société et ses filiales. Dans notre espèce de 2018, n’avaient pas été conclues des conventions d’animation entre la société et ses filiales mais seulement des conventions d’assistance administrative et en matière de stratégie et de développement. De l’importance de la sémantique en droit fiscal : le Conseil d’Etat ne regarde pas impérative la conclusion d’une convention spécifique -emportant animation- pour qualifier d’animatrice une holding. Il convient de souligner l’importance de l’objet social de la société : conforme à ses statuts, la participation de la société Cofices s’est manifestée par différentes et substantielles «actions concrètes» qui « «allaient au-delà de l’exercice des attributions» inhérentes à sa seule qualité d’actionnaire. Le juge -sensible au couple déclaration statutaire/actions concrètes- a retenu crédibles les arguments étayés par les requérants ; cela est d’autant plus logique que -statuts à l’appui- la société est réputée, jusqu’à preuve contraire, exercer directement son activité professionnelle. A charge pour l’administration de démontrer le contraire, ce qu’elle est incapable de faire ici.

 

En ne retenant pas indispensable l’existence d’une convention d’animation, le Conseil d’Etat se démarque de la Cour de cassation qui -notamment dans une décision du 6 mai 2014 (Cass. com., 6 mai 2014, n° 13.11.420 F-P+B N° Lexbase : A5511MLP)- exige l’existence d’une telle convention. La Cour de cassation : «caractérise un service financier spécifique, et non une prérogative usuelle d’un actionnaire, le fait pour une société holding de se porter caution des financements souscrits par sa filiale et de conclure une convention spécifique de mise à disposition de sa filiale de ses fonds de trésorerie excédentaires ; qu’en jugeant néanmoins que le fait que la société Comafi ait accepté de se porter caution des financements souscrits par la société Saumur distribution dans le cadre de la consolidation de son fond de roulement ou de ses besoins de trésorerie, et ait conclu avec sa filiale une convention de trésorerie par laquelle « compte tenu des liens de capital qui les unissent, la société Comafi s’est montrée disposée à mettre à la disposition de l’emprunteur (la société Saumur distribution) ses fonds de trésorerie excédentaires » moyennant rémunération, attestent du soutien financier d’un actionnaire mais ne constituent pas une intervention effective dans l’animation de ladite filiale, la cour d’appel a violé les articles 885 O bis (N° Lexbase : L8986IQU), 885 O quater (N° Lexbase : L8827HLIdu Code général des impôts et L. 80 A du Livre des procédures fiscalesn (N° Lexbase : L4634ICM)».

 

Retour à la décision du Conseil d’Etat de 2018, pour conclure. Le juge se penche sur la notion d’activité principale, réputée dépendre du poids relatif de la participation au regard du poids des autres actifs détenus par la holding animatrice ; de fait, se trouve écarté tout renvoi aux revenus des différentes classes d’actif. Enfin, est retenue la part de la valeur vénale à la date de la cession : importe non pas la valeur d’origine mais la valeur réelle. La logique de l’administration fiscale -appuyée sur la valeur comptable des titres- est récusée. Salutaire décision du juge de l’impôt.

 

 

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