La lettre juridique n°832 du 16 juillet 2020

La lettre juridique - Édition n°832

Peines

[Doctrine] À la recherche de l’objet de l’infraction. Réflexions sur le troisième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal

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N3872BY3

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par Lionel Ascensi, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, Maître de conférences associé à l’Université d’Angers

Le 16 Juillet 2020

 


Mots-clés : objet de l’infraction • produit de l’infraction • instrument de l'infraction • saisies • confiscation • recouvrement des avoirs criminels

L’article 131-21 du Code pénal définit le contenu et les modalités d’application de la peine complémentaire de confiscation. Ses modifications contemporaines, insufflées par une dynamique européenne en la matière, ont notamment conduit à l’étendre de plein droit aux crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an mais également à l’appliquer à de plus nombreux biens. Si elle a fait l’objet d’un important consensus politique, la diversité des règles créées par ces réformes a, en revanche, été porteuse de nombreuses interrogations pour les praticiens. La question de la portée de la notion d’objet de l’infraction, absente de l’ordre juridique international et d’apparition récente en droit interne, est en ce sens fondamentale puisqu’elle est elle-même attachée à un régime spécifique. C’est précisément ce régime ainsi que les occurrences de cette notion dans la jurisprudence de la Chambre criminelle qui semblent aujourd’hui les plus à même de révéler le plus fidèlement possible la définition de l’objet de l’infraction.


Le recouvrement des avoirs criminels constitue depuis vingt ans un aspect majeur de la politique criminelle, comme le montre le nombre des lois qui ont été adoptées dans ce but au cours de la période [1]. En effet, quand bien même l’on écarterait l’évolution fondamentale qu’ont connue les saisies pénales, à qui le législateur a conféré une fonction patrimoniale nouvelle en adoptant la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 [2], dite « Warsmann », ou encore la création par ce même texte du nouvel acteur du procès pénal que constitue l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) [3], il faut relever que le seul article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ), qui définit le contenu et les modalités d’application de la peine complémentaire de confiscation, a fait l’objet, dans un passé récent, de pas moins de quatre interventions législatives. Celles-ci ont été initiées par l’entrée en vigueur de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 [4], qui a refondu cet article à l’occasion de la transposition de la décision-cadre n° 2005/212/JAI du Conseil du 24 avril 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime [5]. Ainsi, le texte a été successivement modifié par les lois n° 2007-297 du 5 mars 2007, n° 2010-768 du 9 juillet 2010, n° 2012-409 du 27 mars 2012 [6] et n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 [7].

Rappelons que ces textes ont étendu de manière importante le champ d’application de la peine complémentaire de confiscation de l’instrument, de l’objet et du produit de l’infraction, qui se trouve dorénavant encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an [8], qu’ils ont développé la faculté pour le juge répressif d’ordonner la confiscation de biens sans lien avec l’infraction poursuivie [9] ou dont l’origine illicite est seulement présumée [10], et qu’ils ont enfin généralisé la possibilité de confisquer les biens en valeur [11], c’est-à-dire par équivalent. De surcroît, dans le souci de « lutter contre le recours à des prête-noms ou à des structures sociales, pratique qui permet au condamné de ne pas apparaître comme étant juridiquement propriétaire de biens […] dont il est le propriétaire économique réel » [12], le législateur a généralisé la possibilité de confisquer les biens qui sont à la libre disposition du condamné, sous la seule réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

Cette évolution de la politique criminelle a fait l’objet en France d’un vaste consensus politique, comme l’a montré l’adoption de la loi du 9 juillet 2010 à l’unanimité des deux assemblées, mais il n’en demeure pas moins que celle-ci a été précédée par la transformation du contexte normatif européen et international, au point qu’il a été soutenu que les développements du droit positif français ont été « grandement (si ce n’est exclusivement) conduits par l’Union européenne » [13]. Car il est vrai que, depuis la fin des années 1980, marquée par la conclusion de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988, dite de Vienne, sont successivement entrées en vigueur, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies [14] comme dans celui du Conseil de l’Europe [15], nombre de conventions internationales ayant pour objet d’enjoindre aux États de développer dans leur droit interne les possibilités de saisies et de confiscations pénales ; les institutions de l’Union européenne se saisissant ensuite intensément de cette problématique [16].

La réécriture de l’article 131-21 du Code pénal a cependant été porteuse de nombreuses interrogations pour les praticiens, en raison notamment de la multiplication des fondements de la peine complémentaire de confiscation et de la diversité des régimes juridiques qui leur ont été associés. L’on relèvera par exemple, à s’en tenir aux confiscations pouvant être prononcées sur le seul fondement de l’article 131-21 du Code pénal – lorsque l’infraction poursuivie fait encourir à son auteur une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an – que la confiscation de l’instrument de l’infraction [17]  et celle de son objet ou produit [18] obéissent à des régimes juridiques qu’opposent des différences essentielles. Ainsi, alors que seul est susceptible de confiscation l’instrument de l’infraction appartenant ou étant à la libre disposition du condamné, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, l’objet et le produit de celle-ci peuvent au contraire être confisqués sans que le condamné n’en soit propriétaire, ni qu’il en ait la libre disposition [19]. De même, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 [20] a dérogé au droit commun de la motivation des peines en énonçant que le juge répressif n’est pas tenu de motiver « la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction » [21], quand la Chambre criminelle de la Cour de cassation a exclu ces confiscations, prononcées en nature ou en valeur, du champ d’application du contrôle de proportionnalité [22]. A l’évidence, de telles différences de régime juridique imposent un effort de définition des notions d’instrument, d’objet et de produit de l’infraction, puisque, selon la qualification qui sera retenue, s’appliqueront des régimes juridiques plus ou moins protecteurs des intérêts du condamné et des tiers ayant des droits sur le bien confisqué.

Si le législateur n’a nullement défini, à l’article 131-21 du Code pénal, les notions d’instrument et de produit de l’infraction, autrement qu’en indiquant, s’agissant de ce que l’on qualifie d’instrument, que sont confiscables les biens « ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre », ressortent des textes internationaux et de la jurisprudence de la Chambre criminelle des indications relativement précises sur ce qu’il convient d’entendre par ces notions. Ainsi, selon la Convention de Strasbourg [23], comme en application de la décision-cadre n° 2005/212/JAI [24], l’instrument de l’infraction désigne « tous objets employés ou destinés à être employés de quelque façon que ce soit, en tout ou partie, pour commettre une ou des infractions pénales », ce qui rejoint la définition retenue par la Chambre criminelle, pour qui « constitue l'instrument de l'infraction, au sens de l'article 131-21, alinéa 2, du code de procédure pénale, l'immeuble qui a permis la commission de l'infraction, peu important que son usage ait été déterminant ou non de sa commission » [25]. Par ailleurs, si la notion de produit direct ou indirect de l’infraction n’a jamais été définie par la Chambre criminelle et a récemment fait l’objet de travaux importants [26], celle-ci s’entend, selon la Convention de Strasbourg [27] et la décision-cadre n° 2005/212/JAI [28], de « tout avantage économique tiré d’infractions pénales ».

Au contraire, l’objet de l’infraction, associé par la loi du 5 mars 2007 au produit de celle-ci pour composer le troisième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal, se trouve davantage indéterminé : de quelque côté de l’ordre juridique que l’observateur regarde, l’objet de l’infraction n’a jamais été formellement défini. Si sans doute cette situation a ses sources (I), il n’en demeure pas moins que le régime juridique attaché à l’objet de l’infraction est tel qu’il est impératif de tenter de poser les jalons d’une définition de la notion (II).

I. Les sources de l’indétermination de l’objet de l’infraction

La notion d’objet de l’infraction se trouve indéterminée en droit international comme en droit interne. La cause en est double : la notion est pour l’essentiel absente du droit international (A), quand elle est d’apparition récente en droit interne (B).

A. L’absence de l’objet de l’infraction dans l’ordre juridique international

Dans l’ordre juridique international, force est de constater qu’aucune des conventions enjoignant aux États de développer, dans leur droit interne, les possibilités de confiscations pénales, n’envisage la confiscation de l’objet de l’infraction : les conventions adoptées dans le cadre de l’Organisations des Nations Unies, comme celles l’ayant été au sein du Conseil de l’Europe, ont en commun de se borner à envisager la seule question de la confiscation du produit et de l’instrument de l’infraction, à l’exclusion de celle de son objet. C’est en vain que l’on partirait à la recherche de l’objet de l’infraction dans ces textes.  

Cette exclusion est d’ailleurs délibérée, en tous les cas s’agissant des conventions adoptées dans le cadre du Conseil de l’Europe. L’on relèvera en effet que le Rapport explicatif de la Convention de Strasbourg expose à cet égard : « Après discussion, les experts ont décidé de ne pas inclure « les objets des infractions » dans le champ d'application de la convention. En effet, la définition des termes « produits » et « instrument » est suffisamment large pour couvrir, le cas échéant, les objets des infractions. La définition large des « produits » pourrait notamment comprendre les biens volés – des œuvres d'art, par exemple – ou le commerce d'espèces menacées » [29]. Au reste, le Rapport explicatif de la Convention de Varsovie, qui lui a succédé, révèle que l’opportunité d’inclure dans le texte de la convention la notion d’objet de l’infraction a fait l’objet de nouvelles discussions, puisqu’il est relevé à ce propos que, « pour qu’il n’y ait aucun doute quant à la question de savoir si un bien blanchi peut être confisqué, en cas de condamnation dans une procédure engagée du seul chef de blanchiment, en tant qu’instrument ou en tant que produit (alors que dans certains systèmes de droit, ces biens peuvent être considérés comme l’objet de l’infraction en question), les auteurs de la présente Convention ont inséré les mots « biens blanchis » au paragraphe 1 de l’article 3 de la présente Convention  ». « En outre, est-il ajouté, il convient de noter que « les biens blanchis » et « les produits » ne se confondent pas nécessairement dans tous les systèmes juridiques et, en ce sens, les deux peuvent faire l’objet de confiscation » [30].

Il reste que de telles explications ne sauraient totalement convaincre. D’une part, le fait que la définition des notions de produit et d’instrument soit suffisamment compréhensive pour couvrir, le cas échéant, l’objet de l’infraction, ne renseigne évidemment nullement sur ce qu’il convient d’entendre par cette notion, outre le fait que le produit et l’instrument obéissent en droit interne à des régimes juridiques si différents, que l’on ne saurait se satisfaire d’une telle assimilation à l’une et à l’autre de ces notions. D’autre part, il ressort en tout état de cause du second rapport explicatif que certains biens qui, à l’évidence, devraient être confiscables, ne sauraient être vus comme le produit, non plus que l’instrument, de l’infraction. Ainsi en est-il, en effet, des fonds blanchis, qui ne sauraient être qualifiés ni de produit de l’infraction, comme préexistant à celle-ci, ni d’instrument, dès lors qu’ils ne constituent pas le moyen de commettre l’infraction, mais plus fondamentalement un élément constitutif de celle-ci. Ceci explique d’ailleurs, précisément, que les rédacteurs de la Convention de Varsovie aient mentionné à l’article 3, § 1, de ce texte, qu’il y a lieu pour les États d’adopter « les mesures […] qui se révèlent nécessaires pour lui permettre de confisquer des instruments, des biens blanchis et des produits ou des biens dont la valeur correspond à ces produits », ce qui revient à avoir envisagé distinctement, sans les mots pour le dire, la confiscation des produits, des instruments et de l’objet du délit de blanchiment.

Relevons enfin que, si le droit de l’Union européenne a exercé une influence considérable sur le développement, dans le droit interne des États membres, de la peine complémentaire de confiscation, il n’en demeure pas moins que l’objet de l’infraction est pour l’essentiel absent des divers instruments de droit dérivé successivement adoptés. Ainsi, ni la décision-cadre n° 2005/212/JAI précitée, ni la Directive n° 2014/42/UE du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne [31], n’ont envisagé d’autres confiscations que celles de l’instrument et du produit de l’infraction, de même que, s’agissant des textes relatifs à l’entraide judiciaire entre les États membres, seule à notre connaissance la décision-cadre n° 2003/577/JAI du 22 juillet 2003 relative à l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve envisage le gel des biens qui constituent l’objet de l’infraction, sans cependant en proposer de définition [32] ; mais il faut relever que ce texte a été adopté à la suite d’une initiative de la République française, du Royaume de Belgique et du Royaume de Suède, et qu'au moins les deux premiers de ces États ont en commun de comprendre cette notion dans leur droit interne [33].

B. La modernité de l’objet de l’infraction dans l’ordre juridique interne

La notion d’objet de l’infraction est d’apparition relativement récente en droit interne et, si faire son archéologie permet de l’assimiler vraisemblablement à l’ancienne notion de corps délit, celle-ci n’en demeure pas moins largement indéterminée.

Il faut en effet rappeler que, dans son état initial, le deuxième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal se bornait à disposer que « lorsqu'elle est encourue à titre de peine complémentaire pour un crime ou un délit, la confiscation porte sur la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou sur la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution » : seules étaient envisagées la confiscation de l’instrument et celle de son produit, lesquelles obéissaient de surcroît à un seul et même régime juridique. Le texte ne faisait plus référence à la confiscation du « corps du délit », que prévoyait l’article 11 de l’ancien Code pénal, à côté de celle des « choses produites par le délit », et de celles qui « [avaient] servi ou qui [avaient] été destinées à le commettre ». Les intentions du législateur n’ayant cependant pas été de modifier l’état du droit à cet égard, ainsi que cela ressort de la circulaire d’application du 14 mai 1993 [34], la loi n° 92-1636 du 16 décembre 1992 [35], afin de dissiper tout ambiguïté, a ajouté un nouvel alinéa à l’article 131-21 du Code pénal disposant que « la chose qui est l'objet de l'infraction est assimilée à la chose qui a servi à commettre l'infraction ou qui en est le produit au sens du deuxième alinéa ». Ce sont ces dispositions que le législateur a modifiées, lors de la refonte de l’article 131-21 du Code pénal par la loi du 5 mars 2007, en substituant la notion d’objet de l’infraction à celle de corps du délit, et en rapprochant celle-ci du produit de l’infraction, pour faire relever l’un et l’autre d’un même régime juridique, distinct de celui de l’instrument.

L’abandon de l’assimilation de l’objet à l’instrument ou au produit était certainement heureux, pour des motifs comparables à ceux évoqués à propos des conventions du Conseil de l’Europe [36]. Il avait d’ailleurs été relevé, dans une étude qui demeure de première importance, que « la précision apportée par la loi du 16 décembre 1992 [était] loin d’être superflue » car si, « par certains côtés,  l’objet du délit peut apparaître proche du produit de l’infraction » et qu’« il peut en être ainsi dans l’hypothèse d’un billet de banque contrefait », néanmoins « il s’en différencie, dans le cas où l’on parvient à obtenir par exemple la souscription d’un billet par une personne ou bien si l’on achète un objet grâce à l’argent dérobé. L’argent volé c’est l’objet du délit, et le bien acquis est le produit du vol. Aussi bien, il était utile de prévoir expressément que l’objet du délit était susceptible de confiscation » [37]. Si l’auteur poursuivait en relevant que « la distinction instrument, objet ou produit du délit [présentait] moins d’intérêt » dans le nouveau Code pénal que sous l’empire de l’ancien, en raison de l’identité du régime juridique de la confiscation de ces trois sortes de biens, force est de constater que la discussion mérite à nouveau d’être tenue à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 qui a marqué l’abandon de cette identité.

Pour le surplus, l’identification des origines de l’objet de l’infraction ne règle pas tout. Sans doute la notion de corps du délit avait-elle été définie sous l’empire de l’ancien Code pénal. Selon le vocabulaire juridique de référence, la notion s’entendait de la « chose qui porte en elle-même la trace de l’infraction dont elle a été l’objet et qui peut être saisie comme pièce à conviction » [38] ; ainsi en était-il, selon cette définition, du document falsifié, de la fausse monnaie, de l’objet contrefait ou bien encore de la marchandise introduite en contrebande. Une telle définition rejoint d’ailleurs celle d’ouvrages de référence : Garraud définissait cette notion comme les choses « sur lesquelles le fait délictueux a été exécuté » [39], telles que les monnaies contrefaites et les armes dont le port est prohibé, quand plus près de nous Merle et Vitu citaient, comme autant de corps du délit, les faux poids et mesures ou bien encore les sommes remises à un fonctionnaire corrompu [40]. Ceci étant, outre le fait que la marchandise introduite en contrebande, l’arme dont le port est prohibé ou bien encore les sommes remises au fonctionnaire corrompu peuvent difficilement être vues comme des choses portant en elle-même la trace de l’infraction ou encore celles sur lesquelles le fait délictueux a été exécuté, ces définitions paraissent impropres à rendre compte de l’état actuel de la notion en droit positif, par exemple si l’on relève que, dans la jurisprudence de la Chambre criminelle, la somme remise à un fonctionnaire corrompu paraît ne pas constituer l’objet du délit de corruption mais son produit ou bien son instrument [41]. Il s’en déduit qu’il convient de pousser l’analyse et de tenter de poser les jalons d’une définition de l’objet de l’infraction. 

II. Les jalons d’une définition de l’objet de l’infraction

La définition de l’objet de l’infraction n’est pas chose aisée. La notion est d’ailleurs laissée indéfinie par la plupart des auteurs d’ouvrages généraux ou davantage spécialisés de droit pénal, qui se limitent à la rapprocher de celle de produit de l’infraction [42], ou bien à l’identifier à l’ancienne notion de corps du délit [43], quand certains auteurs relèvent que l’objet de l’infraction peut être défini comme « le bien ayant été la cible du délinquant » [44], ou encore que « l'objet de l'infraction ne bénéficie pas d'une définition légale qui puisse le faire entrer dans une catégorie juridique déterminée », qu’« il renvoie à une appréciation casuelle que constitue l'identification de ce sur quoi porte l'acte illicite », qu’« à ce titre, il entretient des liens étroits avec le mobile, c'est-à-dire l'objectif que poursuit le délinquant dans la réalisation de son acte », et qu’« ainsi entendu, l'objet de l'infraction conduit à s'intéresser au résultat obtenu ou recherché » [45], ce qui ne constitue cependant pas des définitions suffisamment précises pour être opérantes. Au reste, si l’appréciation ne peut être que casuelle, encore faut-il que le juge puisse se référer à la définition qu’il y a lieu de mettre en œuvre dans les circonstances de la cause. Les enjeux de la définition de la notion d’objet de l’instruction sont cependant tels que l’exercice doit être tenté ; à tout le moins, doivent être posés les jalons d’une définition. Sa recherche peut être menée de deux manières : d’une part en se fondant sur le régime juridique attaché à la confiscation de l’objet (A) ; d’autre part à partir des occurrences de la notion dans la jurisprudence de la Chambre criminelle (B).

A. Une définition de l’objet de l’infraction inférée de son régime

Le régime juridique de la confiscation de l’objet de l’infraction recèle certaines indications de nature à préciser les contours de la notion. Il se déduit en effet des dispositions du troisième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal, dont il résulte que l’objet de l’infraction peut être confisqué en quelques mains qu’il se trouve, tout comme de celles des articles 365-1 (N° Lexbase : L0982LKL) et 485-1 (N° Lexbase : L7241LPU) du Code de procédure pénale, qui dispensent le juge répressif du devoir de motiver le prononcé de cette peine, que l’objet de l’infraction doit être tel que sa possession présente un caractère illégitime : c’est l’illégitimité de la possession de l’objet de l’infraction qui justifie qu’il puisse être dérogé aux principes de la personnalité et de la motivation des peines. La Chambre criminelle ne s’est d’ailleurs pas inscrite dans une autre approche en posant pour principe que « le principe de proportionnalité ne peut s’appliquer à la confiscation d’un bien qui, dans sa totalité, est le produit ou l’objet des infractions dont le prévenu a été déclaré coupable » [46], puis que « la violation du principe de proportionnalité ne peut être invoquée en raison du prononcé d'une mesure de confiscation, en nature ou en valeur, tant du produit direct ou indirect de l'infraction que de son objet » [47].

En effet, ainsi que l’a relevé un auteur, « la justification de la solution est facilement devinée : cette peine n’est que l’effacement de la conséquence illégale de l’infraction, l’enrichissement de son auteur » [48], tandis qu’un autre a observé plus généralement, à propos du produit de l’infraction : « L’activité infractionnelle de l’agent provoque parfois un résultat original, un « produit », qui a au moins trois particularités : premièrement, ne pas exister sans l’infraction qui l’a provoqué ; deuxièmement, survivre à l’infraction qui l’a provoqué ; troisièmement, n’avoir aucune légitimité, puisque son assise toute entière est dans cette infraction, tant et si bien que l’on conçoit sans mal que ce produit soit ultérieurement saisi, restitué ou confisqué, indépendamment même des questions de réparation et de punition » [49]. Si nous verrons que l’on peut ne pas partager l’idée que la possession de l’objet de l’infraction implique nécessairement l’enrichissement de son possesseur, c’est en revanche bien la nécessité d’effacer les effets patrimoniaux de la commission de l’infraction qui justifie qu’il soit dérogé au droit commun. Le rédacteur de l’amendement à la loi du 23 mars 2019 [50] qui est à l’origine des dispositions des articles 365-1 et 485-1 du Code de procédure pénale, jugeait d’ailleurs « logique » que la confiscation de l’objet de l’infraction, comme celle de son produit, ne doive pas être motivée, et considérait que ne pas déroger au principe de la motivation des peines serait revenu à « imposer aux juridictions des charges nouvelles qui [auraient été] excessives et injustifiées » [51] :  l’objet doit être tel que sa confiscation tombe sous l’évidence.

Au reste, il convient de prendre en compte les termes mêmes du troisième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal, dont il résulte que l’objet de l’infraction doit constituer un « bien », et ne saurait donc être confondu avec le comportement défini par le texte d’incrimination, comme lorsque l’on énonce que l’objet de l’obligation consiste en la prestation due, ou encore l’intérêt pénalement protégé auquel l’auteur cherche à attenter.

B. Une définition de l’objet de l’infraction induite de ses occurrences

La recherche de la définition de l’objet de l’infraction peut prendre la forme de l’examen des occurrences de la notion dans la jurisprudence de la Chambre criminelle, mais à condition de convenir que celles-ci sont en nombre si limité que la recherche doit être menée avec prudence : seuls des jalons seront posés.

L’on relèvera d’abord que plusieurs véhicules appartenant ou ayant été loués par une société commerciale, avant d’être saisis au domicile de ses gérants qui se les étaient appropriés pour leur usage personnel, ont été qualifiés par la Chambre criminelle d’objet du délit d’abus de biens sociaux qui leur était reproché [52], cette solution pouvant raisonnablement être étendue à l’ensemble des crimes et des délits d’appropriations frauduleuses de résultat, tels que le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie ou bien encore l’abus de confiance, qui ont en commun de réprimer l’acquisition de la possession d’un bien selon des procédés illicites divers. Au cours des travaux préparatoires de la loi du 5 mars 2007, le rapporteur de la Commission des lois du Sénat avait d’ailleurs cité, comme autant d’exemples d’objet de l’infraction, sans malheureusement définir abstraitement la notion, le bien « volé, détourné ou escroqué ». La solution retenue paraît acceptable au regard du régime juridique attaché à l’objet, puisque la possession du bien n’est que le résultat du comportement pénalement prohibé et présente ipso facto un caractère illégitime justifiant la confiscation. Ce serait une première façon de définir l’objet de l’infraction, qui pourrait être vu comme le bien dont la possession est le résultat du comportement pénalement prohibé. Si, ainsi défini, l’objet de l’infraction apparaît en première analyse faiblement différencié de son produit, dont il paraît constituer un type particulier [53], puisque la possession indue engendre le plus souvent pour son possesseur un avantage économique tiré de l’infraction, les deux notions pourraient cependant demeurer distinctes. Rappelons, par exemple, que la valeur pécuniaire de la chose volée est bien sûr indifférente à la constitution de l’infraction de vol, et que cette chose est ainsi susceptible de recevoir la qualification d’objet de cette infraction, à l’exclusion de celle de produit, faute d’avantage économique tiré de l’infraction par son auteur ; en sorte qu’un bien peut donc être l’objet d’une infraction dont il n’est pas simultanément le produit. Réciproquement, il est des résultats de comportements pénalement prohibés qui répondent à la qualification de produit de l’infraction, et non à celle d’objet de celle-ci, comme le montre le fait que la Chambre criminelle qualifie le bien remis à la personne corrompue de produit de l’infraction [54] – celui-ci étant qualifié d’instrument vis-à-vis du corrupteur [55] – et non d’objet, ce qui est la conséquence du caractère formel de ce délit ; en sorte qu’un bien peut donc être le produit d’une infraction dont il n’est pas simultanément l’objet. En définitive, l’objet de l’infraction ne pourrait-il pas constituer le résultat du comportement pénalement prohibé nécessaire à la constitution de l’infraction, tandis que le produit, qui doit par ailleurs constituer un avantage économique pour l’auteur, demeurerait extérieur à l’infraction ? Une telle distinction pourrait d’ailleurs ressortir de la dénomination même des notions de produit et d’objet, puisque qualifier un bien de produit de l’infraction revient à désigner sa provenance, quand le qualifier d’objet de celle-ci renseigne sur son appartenance. Ainsi, le produit provenant de l’infraction, contrairement à l’objet lui appartenant, ne saurait pour ce motif en constituer un élément constitutif [56].

D’autres arrêts, tout en confortant cette idée que l’objet de l’infraction pourrait s’entendre du bien que l’on possède par l’effet nécessaire de la commission du comportement pénalement prohibé, renforcent d’ailleurs son autonomie vis-à-vis du produit de celle-ci. Ainsi ont été qualifiés d’objet du délit d’exercice illégal de la profession de banquier, les fonds collectés en France par les auteurs de cette infraction auprès de ressortissants algériens, en vue de leur conversion en machines-outils livrées en Algérie, ou de leur change en dinars remis à des personnes désignées résidant dans ce pays [57], puis ceux inscrits au crédit des comptes d’un tel auteur, sur lesquels ce dernier avait encaissé les chèques que lui avaient remis plusieurs sociétés en remboursement de prêts qu’il leur avait consentis en contrepartie d’une commission de 30 % [58]. À l’évidence, la réception – et donc la possession – des fonds caractérisant l’opération de banque constitutive du délit d’exercice illégal de la profession de banquier constituait le résultat du comportement pénalement prohibé nécessaire à la constitution de l’infraction : c’est la réalisation de l’opération de banque qui a rendu son auteur possesseur des fonds objet du délit d’exercice illégal de la profession de banquier. Mais au contraire, force est de constater que les fonds qualifiés d’objet de ce délit ne constituaient pas simultanément le produit de celui-ci, dès lors que leur possession caractérisait l’opération de banque, et non le bénéfice susceptible d’être réalisé en l’effectuant, seul constitutif d’un avantage économique pour l’auteur. Pour le dire autrement, la possession des fonds caractérisait l’opération de banque nécessaire à la constitution du délit ; la commission perçue en effectuant cette opération correspondait au produit de celui-ci.

Surtout, les arrêts rendus en matière de blanchiment, tout en confortant l’existence d’une différence entre les notions d’objet et de produit de l’infraction, invitent à voir dans l’objet autre chose que le seul bien dont la possession est le résultat nécessaire du comportement pénalement prohibé. Observons en effet qu’a été qualifiée d’objet du délit de blanchiment de travail dissimulé et de fraude fiscale, la somme d’argent qui avait été dissimulée dans les bagages de l’auteur, alors que celle-ci était en partance pour l’étranger [59], puis d’objet du délit de blanchiment des infractions d'exercice illicite de la profession de négociant en perles et de travail dissimulé, le solde créditeur d’un compte bancaire constitué des sommes provenant de ces activités [60], cette qualification pouvant vraisemblablement s’étendre au bien recelé qui constitue, comme le blanchiment, une infraction de conséquence [61]. L’on objectera à juste titre que la portée de ces décisions pourrait dorénavant être moindre, depuis que la Chambre criminelle a posé pour principe que l’objet du blanchiment de fraude fiscale n’est autre que le produit de cette infraction, soit l’impôt éludé, et non les sommes non déclarées [62] ; ce qui rejoint la jurisprudence qui s’est développée dans le contentieux des saisies et confiscations pénales, où le produit du délit de travail dissimulé, comme celui de la fraude fiscale, consistent en la seule économie réalisée par la fraude [63]. Ainsi, ne paraissent dorénavant confiscables comme objet du délit de blanchiment du produit des délits de travail dissimulé et de fraude fiscale, que les seuls fonds placés, convertis ou dissimulés correspondant au montant des impôts et cotisations sociales éludées. Ceci étant, ces décisions permettent à nouveau de distinguer entre le produit et l’objet de l’infraction, et imposent surtout de rechercher ailleurs que précédemment ce qui fonde le régime juridique attaché à l’objet. D’une part, objet et produit paraissent en effet pouvoir être distingués, puisque l’objet du blanchiment, soit la somme placée, convertie ou dissimulée, ne constitue pour son possesseur un avantage économique qu’à la condition que ce dernier ne soit pas en même temps l’auteur de l’infraction d’origine. Au contraire, lorsque le possesseur de l’objet du blanchiment n’est autre que l’auteur de l’infraction d’origine, soit l’auteur d’un auto-blanchiment, l’avantage économique préexiste par définition à l’acte de blanchiment, de sorte qu’en cas de poursuites diligentées du seul chef de blanchiment, les fonds paraissent pouvoir être confisqués sous la seule qualification d’objet. C’est d’ailleurs très précisément ce qui a justifié que la Convention de Varsovie envisage la confiscation des biens blanchis distinctement de celle du produit [64]. D’autre part, l’illégitimité de la possession de l’objet du blanchiment ne saurait être fondée, comme précédemment, sur le fait qu’elle est le résultat nécessaire du comportement pénalement prohibé, puisque, par définition, la possession préexiste à l’acte de blanchiment. L’illégitimité de la possession de l’objet du blanchiment pourrait cependant être trouvée ailleurs, dès lors que, si elle est n’est pas le résultat nécessaire du comportement pénalement prohibé, le bien dont la possession est nécessaire à la constitution de l’infraction rend par sa nature même sa possession illégitime, comme étant le produit de l’infraction d’origine.

Une telle compréhension de la notion d’objet de l’infraction pourrait enfin expliquer que la Chambre criminelle, après avoir approuvé des juges d’avoir qualifié, au stade du contentieux de la saisie, des immeubles dont la propriété avait été frauduleusement transférée, par l’auteur de faits de fraude fiscale, à une société civile immobilière créée pour les besoins de l’opération, d’objet des délits de complicité de fraude fiscale par organisation frauduleuse d’insolvabilité et de blanchiment reprochés à cette société [65], paraisse s’être écartée de cette analyse. En effet, dans un arrêt ultérieurement rendu dans la même affaire, sur le pourvoi formé contre l’arrêt de condamnation, la Chambre criminelle a reproché à la cour d’appel d’avoir ordonné la confiscation des immeubles sans préciser la nature et l’origine des biens confisqués, ni le fondement de la mesure, en sorte que l’étendue de l’exigence de la motivation de la confiscation ne pouvait être appréciée ; sans donc que la Chambre criminelle ne relève elle-même qu’il ressortait des énonciations de l’arrêt attaqué que les biens confisqués constituaient l’objet des infractions de complicité de fraude fiscale par organisation frauduleuse d’insolvabilité et de blanchiment pour lesquelles la société avait été condamnée [66]. En effet, en cas d’organisation frauduleuse d’insolvabilité par dissimulation de certains biens, la possession de ceux-ci par l’auteur de l’infraction préexiste à la commission de celle-ci, sans donc pouvoir être vus comme le résultat du comportement pénalement prohibé, de même que les biens dont la possession est nécessaire à la commission de l’infraction ne rendent nullement par leur nature même leur possession illégitime. Sans doute la propriété des biens acquise par le complice du délit et l’enrichissement qui en résulte pour ce dernier sont-ils le résultat du comportement pénalement prohibé ayant consisté à dissimuler les biens de l’auteur dans le patrimoine du complice mais, outre le fait qu’il paraît douteux que des biens qui ne seraient pas confiscables en répression de la commission d’une infraction, puissent l’être en répression des faits de complicité de celle-ci [67], l’on relèvera que l’effacement de l’enrichissement indu du complice prend dans la loi une autre forme que celle du prononcé d’une peine de confiscation, puisque le juge répressif peut décider que le complice de l’infraction d’organisation frauduleuse d’insolvabilité sera « tenu solidairement, dans la limite des fonds ou de la valeur vénale des biens reçus à titre de gratuit ou onéreux, aux obligations pécuniaires résultant de la condamnation à l’exécution de laquelle l’auteur de l’infraction a voulu se soustraire » [68], de même que le complice du délit de fraude fiscale par organisation frauduleuse d’insolvabilité peut être solidairement tenu, avec le redevable légal de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes [69].

Au stade du bilan, l’objet de l’infraction pourrait provisoirement être défini comme un bien dont la possession est illégitime, soit que celle-ci constitue le résultat du comportement pénalement prohibé nécessaire à la constitution de l’infraction, soit que le bien dont la possession est nécessaire à la constitution de l’infraction rende par sa nature sa possession illégitime. Cette définition reviendrait donc à distinguer entre l’objet-produit et l’objet-instrument, la possession de l’un et l’autre étant illégitime, mais pour des motifs distincts ; l’illégitimité de la possession du premier ressortant suffisamment de ce qu’il constitue le résultat du comportement pénalement prohibé, quand celle de la possession de la seconde, qui préexiste à la commission de l’infraction et doit ainsi trouver sa justification en dehors d’elle, devrait être fondée sur la nature même de l’objet possédé. Ainsi, pourraient être qualifiés d’objet de l’infraction du premier type, le bien volé ou détourné, le document ou les denrées alimentaire falsifiées, ou bien encore l’objet contrefait, quand constitueraient autant d’objets d’infractions du second type, le bien recelé ou blanchi, le faux dont on use, ou bien encore les denrées falsifiées que l’on détient ou que l’on expose à la vente. Une telle définition, outre le fait qu’elle rendrait compte des occurrences de la notion d’objet de l’infraction dans la jurisprudence de la Chambre criminelle, pourrait aussi être apte à expliquer que le législateur ait soumis la confiscation de l’objet de l’infraction à un régime juridique dérogeant au droit commun des peines. Au reste, elle permettrait de distinguer, d’une part, entre l’objet et le produit de l’infraction, d’autre part, entre l’objet et l’instrument de celle-ci. En effet, l’objet de l’infraction différerait du produit, en ce qu’il constituerait le résultat du comportement pénalement prohibé nécessaire à la constitution de l’infraction, sans nécessairement procurer un avantage économique à son possesseur, de même qu’il se distinguerait de l’instrument, comme constituant un bien qui, outre le fait que sa possession serait nécessaire à la commission de l’infraction pour que celle-ci soit constituée, présenterait une nature telle que sa possession serait illégitime.

 

[1] V. sur le nouvel état du droit en résultant L. Ascensi, Droit et pratique des saisies et confiscations pénales, Dalloz référence, 2019-2020.

[2] Loi n° 2010-768, du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (N° Lexbase : L7041IMQ), v. sur ce texte J. Buisson, Saisie et confiscation en matière pénale, Dr. pén., 2010, comm. n° 352 ; E. Camous, Les saisies en procédure pénale : un régime juridique modernisé. Commentaire des dispositions de droit interne de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, Dr. pén., 2011, étude n° 1 ; Ch. Cutajar, Commentaires des dispositions de droit interne de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, D., 2010, p. 2305 ; C. Ribeyre, Loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, RSC, 2010, p. 937 ; H. Robert, Une importante réforme de procédure pénale inachevée. À propos de la loi du 9 juillet 2010, JCP G, 2010, p. 1607.

[3] C. proc. pén., art. 706-159 et s., v. notamment J. Buisson, Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, Procédures, 2017, comm. n° 111 ; Ch. Cutajar, L’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, D., 2011, p. 826 ; L’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, AGRASC. Interview d’Elisabeth Pelsez, Directrice générale de l’AGRASC, AJ pénal, 2012, p. 139 ; E. Pelsez et H. Robert, Pour une meilleure appréhension des patrimoines frauduleux. A propos de l’Agence de gestion et de recouvrements des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), JCP G, 2011, p. 769 ; R. Stiffel, L’activité de l’AGRASC en matière de saisie pénale immobilière et de confiscation immobilière, AJ pénal, 2012, p. 142.

[4] Loi n° 2007-297, du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3).

[5] Décision-cadre (UE) n° 2005/212/JAI, du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime (N° Lexbase : L2912LHC).

[6] Loi n° 2012-409, du 27 mars 2012, de programmation relative à l’exécution des peines (N° Lexbase : L6318ISS).

[7] Loi n° 2013-1117, du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW).

[8] C. pén., art. 131-21, al. 1 (N° Lexbase : L9506IYQ).

[9] C. pén., art. 131-21, al. 6.

[10] C. pén., art. 131-21, al. 5.

[11] C. pén., art. 131-21, al. 9, v. sur cette modalité des confiscations E. Camous, La confiscation en valeur, une peine en devenir, Dr. pén., 2017, étude n° 5.

[12] Rapport n° 4112, Assemblée nationale (XIIIe législ.), p. 148 [en ligne].

[13] G. Giudicelli-Delage, O. Cahn, J. Tricot, I. Grebenyuk, N. Jeanne et M. Nicolas, « France », in A. Bernardi (dir.), Improving confiscation procedures in the European Union, Jovene Editore, 2019, p. 167 : « The developments very briefly presented at the moment have been largely (if not exclusively) driven by the European Union ».

[14] Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988 (décret n° 91-271, du 8 mars 1991, portant publication de la convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée à Vienne le 19 décembre 1988 et signée par la France le 13 février 1989 N° Lexbase : O4096B4H) ; Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 (décret n° 2003-875, du 8 septembre 2003, portant publication de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à New York le 15 novembre 2000 et signée par la France le 12 décembre 2000 N° Lexbase : L8451LBM) ; Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003 (décret n° 2006-1113, du 4 septembre 2006, portant publication de la Convention des Nations Unies contre la corruption, adoptée à New York le 31 octobre 2003 N° Lexbase : L7542HKK).

[15] Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990 (décret n° 97-183, du 25 février 1997, portant publication de la convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, faite à Strasbourg le 8 novembre 1990 et signée par la France le 5 juillet 1991 N° Lexbase : O6655BL3) ; Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme du 16 mai 2005 (décret n° 2016-499, du 22 avril 2016, portant publication de la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (ensemble une annexe), signée par la France à Strasbourg le 23 mars 2011 N° Lexbase : L8194K7M).

[16] A. Bernardi (dir.), Improving confiscation procedures in the European Union, préc. ; J. Lelieur, Le dispositif juridique de l’Union européenne pour la captation des avoirs criminels, AJ pénal, 2015, p. 232 ; M. Massé, Notes brèves sur la rencontre de deux expressions : crime organisé et espace judiciaire européen, RSC, 2000, p. 469 ; L’évolution du droit en matière de gel et confiscation, RSC, 2006, p. 463.

[17] C. pén., art. 131-21, al. 2.

[18] C. pén., art. 131-21, al. 3.

[19] V. cependant Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7), réservant les droits du propriétaire de bonne foi.

[20] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC).

[21] C. proc. pén., art. 365-1 (N° Lexbase : L0982LKL) : « La motivation […] de la peine de confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction […] n’est pas nécessaire » ; C. proc. pén., art. 485-1 (N° Lexbase : L7241LPU) : « En cas de condamnation, […], la motivation doit également porter sur le choix de la peine, sauf s’il s’agit […] de la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction ».

[22] Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879, F-P+B (N° Lexbase : A3814SPX), JCP G, 2017, p. 13, obs. J.-H. Robert ; AJ pénal, 2017, p. 142, obs. O. Violeau ; Dr. pén., 2017, comm. n° 31, obs. V. Peltier ; Cass. crim., 3 mai 2018, n° 17-82.098, F-P+B (N° Lexbase : A4386XME) ; Cass. crim., 15 mai 2019, n° 18-84.494, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1614ZBE).

[23] Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, dite « Convention de Strasbourg », du 8 novembre 1990, art. 1, c (N° Lexbase : L7872LU4).

[24] Décision-cadre (UE) n° 2005/212/JAI, du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, art. 1er, préc.

[25] Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-82.370, FS-P+B (N° Lexbase : A5503YIN).

[26] Le produit de l’infraction en droit pénal, in Annales de l’Institut de criminologie et de sciences pénales Roger Merle, vol. n° 1/2020, 20 février 2018, Toulouse.

[27] Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, dite « Convention de Strasbourg », du 8 novembre 1990, art. 1, a, précitée.

[28] Décision-cadre (UE) n° 2005/212/JAI, du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, art. 1er, préc.

[29] Conseil de l’Europe, Rapport explicatif de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, du 8 novembre 1990, § 22 [en ligne].

[30] Conseil de l’Europe, Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, § 37 [en ligne].

[31] Directive (UE) n° 2014/42, du Parlement et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (N° Lexbase : L1123I3Y).

[32] Décision-cadre (UE) n° 2003/577/JAI, du Conseil, du 22 juillet 2003, relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve, art. 2, d (N° Lexbase : L2917LHI).

[33] F. Lugentz et D. Vandermeersh, Saisie et confiscation en matière pénale, Bruylant, 2015, p. 21 ; Y. Cartuyvels, Ch. Guillain et Th. Slingeneyer, « Belgium », in A. Bernardi (dir.), Improving confiscation procedures in the European Union, préc., p. 95.

[34] Circ. Justice-DACG, 14 mai 1993, présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à son entrée en vigueur.

[35] Loi n° 92-1636, du 16 décembre 1992, relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur (N° Lexbase : O9068B3A).

[36] V. supra.

[37] H. Matsopoulou, La confiscation pénale dans le nouveau code pénal, RSC, 1995, p. 301, n° 12.

[38] G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 6ème éd., PUF, Coll. « Quadrige », 2004, v. « chose, sens 4, – du délit ».

[39] R. Garraud, Droit pénal français, t. II, 3ème éd., Sirey, 1914, n° 644.

[40] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 1, 7ème éd., Cujas, 1997, n° 794.

[41] V. infra.

[42] A. Beziz-Ayache, v. Confiscation, in Rép. pén. Dalloz ; E. Bonis-Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, 2nde  éd., LexisNexis, Coll. « Manuel », 2015, n° 222 ; E. Dreyer, Droit pénal général, 3ème éd., LexisNexis, Coll. « Manuel », 2014, n° 1352 : « La confiscation peut également porter sur « tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction […] ». Il faut alors pouvoir démontrer le bénéfice retiré de l’infraction ».

[43] L. Ascensi, Droit et pratique des saisies et confiscations pénales, préc., n° 124.43 ; B. Bouloc, Droit pénal général, 25ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », 2017, n° 627 : « Elle peut porter […] sur le corps du délit (document falsifié, arme prohibée, marchandise contrefaite, denrées avariées) » ; F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 6ème éd., Economica, Coll. « Corpus droit privé », 2009, n° 835 : « L’objet du délit – autrefois dénommé « corps du délit » – (par exemple, l’objet volé, détourné ou escroqué) » ; R. Parizot, La confiscation, sanction applicable en droit pénal des affaires, in H. Matsopoulou et C. Mascala (dir.), Le lamy droit pénal des affaires, Wolters Kluwer, 2020, n° 181 ; J. Pradel, Droit pénal général, 21ème éd., Cujas, Coll. « Référence », 2016, n° 682 : « La lecture des textes (art. 11, ACP, art. 131-21, C.P.) nous apprend que la confiscation a traditionnellement un triple objet. Elle peut porter sur le corps du délit (cas de l’avantage injuste procuré à l’occasion d’atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats sur les marchés publics, art. 432-17, C.P.). […] Cette trilogie vaut encore après la loi du 5 [mars] 2007. […] 2° Ensuite la confiscation peut désormais porter sur « tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction » (art. 131-21, al. 3, C.P.) ».

[44] M. Peter, Les saisies pénales spéciales. Une évolution majeure pour une stratégie pénale patrimoniale repensée, thèse, 2018, Aix-Marseille, p. 89.

[45] E. Camous, JCl Pénal Code, art. 131-21 et 131-21-1, fasc. 20, n° 28.

[46] Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879, F-P+B (N° Lexbase : A3814SPX), JCP G, 2017, p. 13, obs. J.-H. Robert ; AJ pénal, 2017, p. 142, obs. O. Violeau ; Dr. pén., 2017, comm. n° 31, obs. V. Peltier.

[47] Cass. crim., 15 mai 2019, n° 18-84.494, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1614ZBE).

[48] J.-H. Robert, Les confiscations et les mesures de leur proportionnalité, préc.

[49] G. Beaussonie, Le produit de l’infraction et le principe de la personnalité des délits et des peines, in Annales de l’Institut de criminologie et de sciences pénales Roger Merle, préc., p. 135.

[50] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, préc.

[51] Ass. nat., amendement n° 1110 (rect.).

[52] Cass. crim., 28 juin 2017, n° 17-80.968, F-D (N° Lexbase : A7187WLR).

[53] En ce sens M. Segonds, À la recherche d’une définition du produit de l’infraction, in Annales de l’Institut de criminologie et de sciences pénales Roger Merle, préc., p. 120, qui relève, en étudiant les lois d’incrimination, que, « indéniablement, le terme de « produit de l’infraction » déborde ainsi « l’objet de l’infraction » et permet alors d’appréhender la valeur économique générée par la commission d’une infraction  et ce, indépendamment des transformations voulues de son objet initial », ou encore que « le produit direct désignerait l’objet de l’infraction, tandis que le produit indirect désignerait l’objet de l’infraction transformé ainsi que les revenus provenant de l’objet de l’infraction transformée [de sorte que] la référence à l’« objet ou au produit de l’infraction » pourrait être tenue pour équivalente à la référence au « produit direct ou indirect » de l’infraction » (p. 122), avant de convenir, en étudiant les lois de pénalités, que « si, véritablement, l’objet n’est pas le produit direct de l’infraction, il faut alors réserver la qualification de produit direct à la première transformation de l’avantage économique obtenu par la commission de l’infraction et considérer alors que le produit indirect de l’infraction correspond à toutes les transformations subséquentes » (p. 129).

[54] Cass. crim., 4 décembre 2019, nos 19-80.409, F-D (N° Lexbase : A2957Z7N), 19-80.411, F-D (N° Lexbase : A2919Z7A), 19-80.413, F-D (N° Lexbase : A2998Z78) et Cass. crim., 11 décembre 2019, n° 19-81.407, F-D (N° Lexbase : A1554Z83).

[55] Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-81.818, F-P+B+I (N° Lexbase : A95143GH).

[56] V. en ce sens à propos du produit de l’infraction M. Segonds, À la recherche d’une définition du produit de l’infraction, in Annales de l’Institut de criminologie et de sciences pénales Roger Merle, préc., p. 116 : « Il est d’ailleurs à souligner que la loi française n’a jamais cédé à l’invitation de certains engagements internationaux […] qui, de façon particulièrement maladroite, ont intégré le profit à la définition de certaines infractions », notant cependant que « le produit, tout en demeurant étranger à l’élément matériel et à l’élément moral de l’infraction, est désormais davantage intégré à la définition de la peine qu’il s’agisse de la peine d’amende ou de la peine de confiscation ».  

[57] Cass. crim., 11 mars 2015, no 13-88.250, F-D (N° Lexbase : A3274NDM).

[58] Cass. crim., 26 juin 2019, n° 18-85.209, F-P+B+I (N° Lexbase : A3110ZHN) ; Cass. crim., 26 juin 2019, n° 18-85.220, F-D (N° Lexbase : A3216ZHL).

[59] Cass. crim., 18 janvier 2017, n° 15-84.003 F-D (N° Lexbase : A7115S9E).

[60] Cass. crim., 20 juin 2017, n° 16-85.814 F-D (N° Lexbase : A1106WK8).

[61] V. pour une étude de ces infractions P. Cazalbou, Étude de la catégorie des infractions de conséquence. Contribution à une théorie des infractions conditionnées, LGDJ, Coll. « Bibliothèque de droit privé », 2016.

[62] Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.040, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9081ZMB).

[63] Cass. crim., 29 juin 2016, no 15-81.426, F-D (N° Lexbase : A1971RWW) ; Cass. crim., 12 juillet 2016, nos 15-83.355, F-D (N° Lexbase : A2060RXL) à 15-83.390, F-D (N° Lexbase : A2060RXL) ; Cass. crim., 3 avril 2019, n° 18-83.052, F-D (N° Lexbase : A3169Y8U) ; Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 18-85.618, F-D (N° Lexbase : A6508ZST) ; Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 18-85.070, F-D (N° Lexbase : A4030ZUS).

[64] V. supra.

[65] Cass. crim., 14 octobre 1995, n° 14-81.533, F-D (N° Lexbase : A5846NTP).

[66] Cass. crim., 29 janvier 2020, n° 17-83.577, F-P+B+I (N° Lexbase : A83173CZ) – Contra Cass. crim., 25 mars 2020, n° 19-81.719, F-D (N° Lexbase : A90223KD) dans lequel la cour d’appel, dont l’arrêt était attaqué, avait qualifié un bien, dont la propriété avait été frauduleusement transférée à une société créée pour l’occasion, d’objet du délit d’organisation frauduleuse. On relèvera cependant que cette qualification n’était pas contestée par les demandeurs au pourvoi, en sorte que cet arrêt ne renseigne aucunement sur la doctrine de la Cour de cassation.

[67] Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-82.124, FS-P+F (N° Lexbase : A4967D74) énonçant qu’« il résulte des termes des articles 121-6 et 432-17 3° du code pénal que la peine complémentaire de la confiscation peut être prononcée, non seulement à l'encontre de l'auteur principal du trafic d'influence, mais aussi de son complice », ce qui pourrait suggérer une identité entre les peines pouvant être prononcées contre l’un et l’autre.

[68] C. pén., art. 314-8, al. 1 (N° Lexbase : L2005AM9).

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Droit pénal général

[Doctrine] Vingt ans après… Un bilan de confirmation pour la loi du 10 juillet 2000 relative aux délits non intentionnels

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par Yves Mayaud, Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas Paris II

Le 15 Juillet 2020

 


Mots-clés : causalité • dommage indirect • faute • faute génératrice du dommage • obligation de sécurité • obligation de prudence • responsabilité pénale des élus locaux

L’anniversaire de la loi du 10 juillet 2000 et l’impact de la récente crise sanitaire sont l’occasion de revenir sur la responsabilité pénale en rapport avec les délits non intentionnels. Une loi dont les applications confirment sa légitimité, qu’il s’agisse des différences de régime fondées sur la causalité, de la hiérarchie des fautes, ou encore des subtiles distinctions relatives aux obligations de prudence ou de sécurité : tout ce qui s’inscrit dans l’articulation de la réforme a finalement trouvé sa place, témoignant d’un gain non négligeable de justice, compte tenu de la diversité des situations propres à la matière.


 

Un anniversaire est toujours un événement sensible, et celui de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (N° Lexbase : L0901AI9) contient sa part d’émotion. La gestation fut difficile, particulièrement s’agissant de la responsabilité pénale des élus locaux, dénoncée comme trop éloignée des réalités municipales, avec ce qu’elle entraînait de désaffection de candidatures pour en assurer les risques. Une première réforme de l’article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY) était intervenue quatre ans plus tôt, par la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence (N° Lexbase : L3097AIK). Cette dernière se révéla très vite insuffisante, faute d’une vraie portée normative, le législateur ayant seulement invité le juge à plus de motivation, fondée sur les « diligences normales ». Les magistrats ayant quelque peu résisté au modèle proposé, les parlementaires ont alors privilégié une voie plus radicale, celle de modifications en profondeur, objet de la loi du 10 juillet 2000, aujourd’hui parvenue à majorité, et dont il n’est pas inutile, « vingt ans après », de dresser le bilan de ses applications.

La démarche s’impose d’autant plus que la crise sanitaire que nous traversons, liée au covid-19, vient d’être à l’origine d’un rebondissement assez spectaculaire, mais qui ne surprendra pas la communauté des juristes. Aux mêmes causes, les mêmes effets : devant des menaces explicites, voire les nombreuses plaintes déjà déposées auprès des autorités juridictionnelles compétentes, les décideurs locaux qui sont intervenus ou auront à intervenir dans la gestion de cette crise appréhendent d’être à nouveau soumis à une responsabilité démesurée, surtout au regard de l’absence de tout antécédent et du peu de moyens dont ils disposent pour des prises de décisions adaptées et efficaces. Là encore, le législateur n’est pas resté sans réaction : la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (N° Lexbase : L8351LW9) a enrichi le Code de la santé publique d’un nouvel article L. 3136-2 (N° Lexbase : L8575LWI), afin de préciser que « l’article 121-3 du Code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ». Bien que surabondante et superflue, n’étant que la redite de ce qui est déjà posé et appliqué par ailleurs, cette disposition revêt malgré tout un certain intérêt : d’abord, par son existence, qui cristallise les craintes qu’inspirent les délits non intentionnels ; ensuite, pour rejoindre le bilan soumis à notre analyse, un bilan de confirmation des différences consacrées par la loi du 10 juillet 2000, relatives tant aux personnes responsables (I) qu’aux techniques de responsabilité (II).

I. La confirmation des différences personnelles

La réforme du Code pénal, entrée en vigueur le 1er mars 1994, est à l’origine de l’intégration des personnes morales dans la répression, ce qui rend la responsabilité pénale applicable, non seulement aux personnes physiques, qui en avaient jusqu’alors l’exclusivité, mais encore aux entités revêtues de la personnalité juridique, sous réserve d’une grande exception, l’État, et de certains aménagements pour les collectivités territoriales. La loi du 10 juillet 2000 n’a fait que s’insérer dans ce cadre préalable, mais avec des différences importantes sur l’étendue de la responsabilité respectivement applicable aux personnes physiques (A) et aux personnes morales (B).

  1. A. Les différences affectant les personnes physiques

Les personnes physiques connaissent une responsabilité pénale différenciée en matière non intentionnelle, la loi les soumettant à un régime distinct selon l’emprise de la causalité sur le dommage, toute faute étant prise en considération lorsque la causalité est directe, alors que seule une faute qualifiée, à savoir une faute délibérée ou une faute caractérisée, est exploitable si la causalité est seulement indirecte. Là est l’originalité de la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000, qui a entendu nuancer ce qui s’inscrit dans une causalité distendue, à laquelle, pour valoir responsabilité, doit s’attacher, non une faute simple ou ordinaire, mais une faute de gravité supérieure. Il en résulte que les personnes physiques sont différemment traitées selon que la causalité est directe ou indirecte, la faute simple n’étant pas retenue dans la seconde figure.

La Chambre criminelle a saisi l’opportunité d’une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la situation d’une personne ayant eu à répondre d’une faute caractérisée, pour juger que « le législateur, se fondant sur des critères qui ne sont pas, de manière manifeste, inappropriés à l'objet poursuivi, a entendu placer cette personne dans une situation plus favorable que l'auteur direct du dommage dont la responsabilité pénale peut être engagée pour une simple maladresse, imprudence, inattention ou négligence », ce constat de légitimité ayant eu pour conséquence de ne pas renvoyer la question au Conseil constitutionnel [1]. La formule est intéressante, qui parle explicitement de « faveur », et d’une faveur adaptée à l’objet de la loi du 10 juillet 2000. C’est dire très nettement que la différenciation opérée entre les personnes physiques, selon que la causalité est directe ou indirecte, ne saurait être remise en cause, et que sa confirmation s’inscrit dans les équilibres recherchés par le législateur lui-même.

La dépénalisation est au centre de la loi du 10 juillet 2000. La situation des élus locaux en avait animé le principe, mais le législateur a vite réalisé que l’exclusivité à leur profit d’une réforme en ce sens ne pourrait que susciter réserves et rejets, en consacrant une rupture d’égalité choquante et inadmissible. Aussi l’article 121-3 du Code pénal a-t-il une portée générale, toute personne physique étant à même d’en bénéficier. Il n’en demeure pas moins que le mécanisme qu’il exploite, par la combinaison de la causalité et de la faute, reste très proche de ce que les décideurs et agents territoriaux redoutent le plus [2] : engager leur responsabilité tout en étant en retrait dans la réalisation du dommage. Ce mécanisme correspond à la plupart des actes relevant de leur gestion, qu’ils soient décisionnels ou de contrôle, et qui, le plus souvent, restent étrangers à l’exécution proprement dite. C’est pourquoi, cette distance causale par rapport au dommage a été érigée en critère de dépénalisation, sauf à ce que la faute génératrice soit d’une telle gravité - délibérée ou caractérisée qu’elle devient inapte à la justifier. On vérifie ainsi que, tout en profitant à tous les justiciables, la réforme du 10 juillet 2000 reste très proche des élus et décideurs locaux, qui ont servi de modèle aux différences devenues de droit positif, elles-mêmes confirmées par la Cour de cassation.

  1. B. Les différences affectant les personnes morales

La loi du 10 juillet 2000 affiche une grande distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. Alors que les premières bénéficient d'une dépénalisation appréciable, liée au fait que seule une faute qualifiée peut rendre compte de leur responsabilité pénale lorsque le dommage est indirect, les secondes, en revanche, ne voient leur situation en rien modifiée et continuent à être justiciables des infractions non intentionnelles, que le dommage soit direct ou indirect. Le support de la matière est l'article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY), qui précise que la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits « sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 ». C'est donc en relation avec cette réserve que s'articulent les responsabilités entre personnes physiques et personnes morales et que se profile la spécificité de chacune, seules les personnes physiques, au titre de l'alinéa visé, bénéficiant de la dépénalisation opérée en lien avec la causalité indirecte.

Cette différence n’a pas manqué d’être dénoncée. Déjà, lors des débats qui ont présidé à l’entrée des personnes morales dans la responsabilité pénale, les enjeux égalitaires ont tenu une place importante, et les exclusions qui avaient été prévues à l’avantage des groupements sans finalité lucrative ont vite été abandonnées, afin de ne pas exposer la réforme à un risque de censure par le Conseil constitutionnel. La loi du 10 juillet 2000 ayant fait le choix de régimes différenciés de responsabilité, ce débat ne pouvait que rebondir. Et là encore, une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée a servi de relais : « Les dispositions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, en ce qu’elles excluent les personnes morales du régime favorable de responsabilité institué pour les délits non intentionnels au bénéfice des personnes physiques dont la faute n’a pas directement causé le dommage, portent-elles atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi, d’égalité devant la justice et de garantie des droits découlant des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? ». Le principe d’égalité est au cœur de l’interrogation. La réforme est présentée dans ce qu’elle consacrerait de rupture entre les personnes physiques et les personnes morales. Une rupture d’autant plus prononcée que la responsabilité pénale est en cause, très sensible dans ses conséquences.

Mais la Chambre criminelle, dans un arrêt du 21 mars 2017, n’a pas adhéré à la critique [3]. Elle juge que : « la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; que la différence de situation entre les personnes physiques et les personnes morales justifie la différence de traitement induite par l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, laquelle est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Sont ici rejoints le pourquoi de la redéfinition des délits non intentionnels, ainsi que les équilibres qui ont présidé à l’adoption de la loi du 10 juillet 2000. Les personnes morales ont été recherchées comme un contrepoids à la dépénalisation opérée au bénéfice des personnes physiques, afin de compenser ce qui est désormais en dehors du champ de la répression pour leurs dirigeants. Loin de consacrer une rupture d’égalité, c’est au contraire vers une meilleure justice que le législateur a tendu, dans le prolongement de sa motivation, lors de la réforme du Code pénal, au soutien de la responsabilité pénale des personnes morales : « disparaîtra la présomption de responsabilité pénale qui pèse en fait aujourd'hui sur des dirigeants à propos d'infractions dont ils ignorent parfois l'existence », et « ainsi sera mieux respecté le principe fondamental selon lequel, en droit pénal, nul ne répond que de son propre fait » [4].

L'objectif n’est donc pas inégalitaire, mais au service des réalités vécues, sans fiction ni présomption, et on comprend, dans ces conditions, que la QPC n’ait pas été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Par cette confirmation, presque dix-sept ans après la réforme, la Cour de cassation ne fait que respecter ce que la loi du 10 juillet 2000 contient de différenciation entre les personnes morales et les personnes physiques, au nom d’un système qui se veut délibérément nuancé, afin de rompre avec une antériorité marquée par trop d’égalité, et donc de neutralité dans la manière d’approcher la responsabilité pénale pour les délits non intentionnels. Parce que la matière se devait d’être plus engagée, pour mieux répondre à des circonstances elles-mêmes très différenciées, le législateur a pris le parti de rompre avec un absolu trop théorique et déplacé à ses yeux, celui de l’égalité parfaite, laquelle, en effet, n’est pas toujours l’instrument de la meilleure justice.

La politique de différenciation de la loi du 10 juillet 2000 n’affecte pas que les personnes, elle se manifeste également par des techniques adaptées.

II. La confirmation des différences techniques

Il est bien évident que les différences que nous venons de faire ressortir entre les personnes physiques et les personnes morales engagent des différences techniques. Nous l’avons rappelé, elles résultent d’une combinaison inventive et subtile entre la causalité et la faute, cette dernière s’imposant avec d’autant plus de rigueur que le dommage est indirect. Deux relais interviennent, qui agissent différemment selon les connexions qui en sont faites. Notre propos n’est pas de revenir sur ces interférences, dont nous connaissons tout de leurs retombées personnelles, mais d’insister sur ce que l’un de ces relais contient d’aménagements particulièrement novateurs pour en faire, là encore, un facteur de meilleure justice. Il s’agit, bien sûr, de la faute génératrice du dommage, sur laquelle la loi du 10 juillet 2000 a greffé une diversité de conception, et qui était la seule à pouvoir se prêter à de telles retouches, contrairement à la causalité, qui ne saurait sortir, quant à elle, de ce qu’elle engage d’alternative définitive entre sa version directe et sa version indirecte.

C’est doublement que la faute a été ouverte à une fonctionnalité repensée : d’abord par l’établissement d’une hiérarchie entre ses composantes (A), ensuite par une approche duale de la prudence ou de la sécurité à laquelle elle renvoie (B).

  1. A. La hiérarchie des fautes

La faute pénale est restée pendant longtemps une faute uniforme, toujours identique à elle-même, sans différence aucune permettant de la situer au sein d'une hiérarchie. Les « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements », auxquelles renvoyaient les anciens articles 319 et 320 du Code pénal, étaient autant d'expressions synonymes de la même réalité fautive, dont la portée couvrait indifféremment, pour être soumises au même régime répressif, toutes les défaillances, depuis les moins graves jusqu'aux plus conséquentes. La faute ne se prêtait à aucune diversité répressive, toutes ses manifestations étant soumises aux mêmes peines, et aucune distinction n'était faite afin d'en varier le régime sur le critère de sa gravité. Mais cette conception s'est révélée inadaptée, et ce fut l’objet de la loi du 10 juillet 2000 que de mieux restituer la substance de la faute, en opérant une distinction entre deux grandes figures, la faute simple ou ordinaire, et les fautes qualifiées.

À la faute simple correspond « le plancher » de la matière [5], que l'article 121-3, alinéa 3, du Code pénal décrit comme « une faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement… ». Aux fautes qualifiées se rattachent la faute délibérée et la faute caractérisée. La faute délibérée est une création des lois du 22 juillet 1992 qui ont porté réforme des dispositions du Code pénal [6]. Elle a une nature volontaire, attachée à l’action ou à l’omission fautive, mais sans aller jusqu’à la volonté du résultat dommageable. Quant à la faute caractérisée, intégrée dans le système par la loi du 10 juillet 2000, elle est matérialisée par ce qui expose autrui « à un risque d’une particulière gravité » que son auteur ne pouvait ignorer. La hiérarchie déduite de l’existence de ces trois fautes s’impose d’elle-même, avec deux extrêmes, représentés par la faute simple et la faute délibérée, et une figure intermédiaire, la faute caractérisée. Cette trilogie, source de nuances et de différences importantes dans la manière d’appréhender la non-intention, a soulevé plusieurs interrogations, avec la faute caractérisée pour centre, et les réponses apportées ne sont que des confirmations de l’autonomie de chacune des fautes participant du système, qu’il s’agisse de la relation entre la faute délibérée et la faute caractérisée (1), ou de celle entre la faute simple et la faute caractérisée (2).

1) Faute délibérée et faute caractérisée

Est particulièrement en cause la distinction entre la faute délibérée et la faute caractérisée. Ces deux versions de la faute qualifiée sont le symbole de l’extrême, pour couvrir des comportements qui témoignent de manquements d’autant plus sensibles et répréhensibles qu’ils relèvent, soit d’une adhésion psychologique à l’action ou l’omission dommageable, soit d’une indifférence intolérable à des risques évidents. Elles ne sont pas interchangeables, ni descriptives d’une même réalité, mais correspondent à des figures que le législateur a voulu séparées, à la mesure de leur définition. Il est donc essentiel de les respecter et de les soumettre à des applications qui soient le reflet de leur spécificité, en veillant à bien restituer ce qu’elles sanctionnent de manquements différents, avec l’avantage de trouver dans la faute caractérisée de quoi répondre à des défaillances graves, même si elles ne parviennent pas au seuil des conditions propres à la faute délibérée.

En date du 5 février 2002, un arrêt de la Cour de cassation est très significatif en ce sens, bien que n’ayant pas été publié au Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle [7]. Il n’a pas adhéré à l’analyse du pourvoi qui présentait la faute caractérisée comme une « attitude délibérée », entretenant ainsi une confusion revenant à nier sa spécificité, et ne pouvant que remettre en cause la dualité des fautes qualifiées. Il est vrai que l’on peut se demander si la faute caractérisée, dont la définition est légalement associée à ce qui ne saurait être ignoré quant à la gravité des risques encourus, ne se réduit pas à une faute délibérée présumée, tant ce qui relève d’une connaissance éclairée ne peut que renvoyer à un comportement volontaire. Mais la faute caractérisée gagne à être indépendante de toute volonté réelle ou fictive. C’est là que se situe l’intérêt de son autonomie, en renvoyant, moins à une volonté de défaillance, qu’à un devoir prononcé de connaissance. Les risques sont parfois tels qu’il n’est pas possible de se retrancher derrière son ignorance, surtout de la part de ceux dont la formation et les compétences dictent un devoir particulier de surveillance et de prévention. La faute est alors « caractérisée » par le manquement qui en résulte, indépendamment de toute référence à une volonté établie ou présumée en ce sens.

Ainsi appréhendée en termes de connaissance requise plus que de volonté acquise, la faute caractérisée dévoile une identité nettement séparée de la faute délibérée, à laquelle s’ajoute une complémentarité fort utile, en tenant un rôle de substitution : ce que la faute délibérée ne peut saisir, pour ne pas réunir toutes les conditions de son existence, la faute caractérisée peut éventuellement l’appréhender. Le domaine de la faute délibérée est étroit, dépendant qu’il est d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, alors que la faute caractérisée n’en est en rien tributaire, ce qui permet des applications plus larges. Dans l’affaire relative à l’arrêt du 5 février 2002, le pourvoi dénonçait la condamnation du prévenu sur le fondement de la faute délibérée, contestant que l’obligation d’obtenir une autorisation pour l’exploitation d’une installation classée fût « particulière » au sens des articles 121-3 et 221-6 (N° Lexbase : L3402IQ3) du Code pénal. Mais la Chambre criminelle fait l’économie d’une motivation à ce titre : relevant l’existence de la faute caractérisée dans les termes de la loi, elle se prononce pour le rejet du pourvoi. C’est bien dire que l’une des deux fautes suffit, et que là où elle est pertinemment établie, la culpabilité est légalement fondée. Certes, il n’est pas possible d’affirmer que la violation de la réglementation relative aux installations classées ne renvoie qu’à des obligations générales, par principe incompatibles avec la faute délibérée. Mais il est au moins une certitude, liée au fait que la faute caractérisée est un relais fort appréciable, pour répondre à sa manière à la gravité d’une défaillance répréhensible, lorsque ne sont pas remplies les conditions de la faute délibérée.

La faute caractérisée est ainsi confirmée, tant dans son existence séparée des autres fautes, que dans sa vocation supplétive à relayer la faute délibérée. Sa matérialité étant libérée de tout asservissement à des obligations légales ou réglementaires préalables, point n’est besoin de la situer par rapport à des dispositions formalistes, seule la gravité du risque auquel autrui a été exposé servant de critère à son appréciation. Dès lors que les faits rejoignent une telle gravité, ils rendent inutile la référence à des textes, du moins permettent de s’en passer, à supposer que le formalisme dont ils s’accompagnent n’ait pas été scrupuleusement respecté [8].

  1. 2) Faute simple et faute caractérisée

La faute caractérisée entretient des liens non seulement avec la faute délibérée, mais aussi avec la faute simple, la Cour de cassation n’excluant pas la possibilité de qualifier en faute caractérisée le manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement, tel qu’il est érigé en faute ordinaire par le troisième alinéa de l’article 121-3 du Code pénal. Rien n’interdit de considérer un tel manquement comme une faute caractérisée, à supposer, bien sûr, que toutes les conditions mises à la réalisation de celle-ci soient bien remplies, à savoir l’exposition d’autrui à un risque d’une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer.

Mais cette possibilité suppose une démarche respectueuse des nuances voulues par le législateur, tenant à la progression que représentent les alinéas 3 et 4 de l’article 121-3, une progression allant dans le sens de comportements dont la gravité est ascendante. L’accès à la faute qualifiée n’est ouvert que si la faute ordinaire est elle-même susceptible d’être retenue, ce qui, appliqué au manquement à une obligation de sécurité, impose que soit démontré le défaut de diligences normales, avant de prétendre à une faute caractérisée. C’est exactement ce qu’a fait la Chambre criminelle, dans un arrêt de cassation du 18 juin 2002, en ayant reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché « en quoi les diligences du prévenu n’étaient pas normales au regard de l’article 121-3, alinéa 3, du Code pénal, et adaptées aux risques prévisibles » [9]. La faute caractérisée n’était pas exclue du débat, mais elle devait être passée au filtre des diligences normales. Autrement dit, c’est seulement si la preuve relative à leur défaut est établie qu’elle devient possible, et ce n’est que sous couvert des carences constatées qu’elle a sa place.

Les diligences normales se présentent ainsi comme une modalité d’appréciation de la faute caractérisée, assurant le passage de la faute simple à la faute qualifiée. Il ne s’agit pas de se fixer sur leur défaut ou leur existence, afin de les exploiter en faute ordinaire, mais de puiser en elles de quoi se convaincre de la faute caractérisée, ce qui ne saurait être que si les diligences du prévenu sont insuffisantes au regard des « risques prévisibles » pour lui. Est ainsi assuré le lien avec la faute caractérisée, et démontré que toutes les relations sont envisageables d’une faute à une autre, dès lors qu’est respectée la spécificité de chacune.

L’analyse débouche sur une conclusion très à l’avantage de la faute caractérisée. Au centre de la trilogie des fautes, elle fait le lien entre la faute simple et la faute délibérée, ce qui confirme qu’elle était promise à un « bel avenir » [10], et ce qu’elle manifeste par des applications significatives, qu’il s’agisse d’actions [11] ou d’omissions [12].

  1. B. La dualité des obligations de prudence ou de sécurité

L’article 121-3 du Code pénal fait état, et du « manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », et de la violation « manifestement délibérée » d’une « obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». À la première occurrence correspond l’alinéa 3, relatif à la faute simple, et à la seconde l’alinéa 4, en lien avec la faute délibérée. Une nuance les sépare : le particularisme de l’obligation lorsqu’il s’agit de la faute délibérée, contrairement à la faute simple, quant à elle indifférente à la condition. Nuance par ailleurs reproduite en droit pénal spécial, d’abord en tant que faute constitutive de l’homicide et des violences involontaires, qu’elle soit simple ou délibérée, ensuite en tant que composante du délit formel de risques causés à autrui, en référence à la faute délibérée.

Les délits non intentionnels se partagent ainsi entre ce qui correspond à un manquement à une obligation générale de prudence ou de sécurité et ce qui répond à la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, autrement dit d’un « modèle de conduite circonstanciée » [13]. Le clivage est important, qui engage différemment la responsabilité pénale, la dimension « particulière » de l’obligation étant facteur de plus grande sévérité lorsqu’elle se conjugue avec une faute délibérée. Il est donc essentiel de confirmer la distinction par des critères suffisamment porteurs pour la rendre facilement accessible et applicable. C’est ce à quoi s’est appliquée la jurisprudence, plusieurs décisions pouvant être retenues comme ayant contribué à stabiliser la matière.

Un arrêt de la Chambre criminelle du 10 décembre 2002 mérite la primauté [14]. Relatif à la mort dramatique d’un enfant de 10 ans, il a reproché à une cour d’appel, mais sans aller jusqu’à la cassation, d’avoir jugé, pour rejeter toute faute délibérée, qu’aucun texte, parmi ceux invoqués par les parties civiles, notamment l’article 14 de la loi n° 89-483 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, aujourd’hui repris à l’article L. 912-1 du Code de l’éducation (N° Lexbase : L3323IXD), ne contenait « aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité pénalement sanctionnée ». Cette référence à la dimension pénale de l’obligation a été relevée comme surabondante, et on ne peut qu’adhérer à la censure de la Cour de cassation. La violation manifestement délibérée d’une telle obligation suffit à engager la responsabilité pénale de son auteur lorsqu’elle a contribué au dommage, même si cette obligation n’est pas en elle-même pénalement sanctionnée. La faute délibérée est établie seulement au regard d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, sans avoir à se convaincre que sa violation est également constitutive d’une infraction. Certes, l’hypothèse d’une obligation pénalement sanctionnée n’est pas d’école. Le Code de la route et le droit pénal du travail en témoignent, qui érigent en contraventions, voire en délits, de nombreux manquements correspondant aux obligations de sécurité qu’ils définissent. Mais ce qui relève ainsi du constat ne saurait prétendre à la portée d’une règle juridique, et l’arrêt doit être compté au nombre des décisions à ne pas négliger, d’autant plus que l’erreur n’est pas isolée [15].

Plus positivement, l’identification de l’obligation de prudence ou de sécurité peut être le fait de plusieurs indices. La finalité des textes, la ratio legis, en est un, qui a permis de nier tout rapport avec la sécurité, du moins au sens des délits non intentionnels, du dispositif relatif à la durée du travail [16]. La sémantique en est un autre, empruntée aux nuances terminologiques, afin de les exploiter dans un esprit de parfaite restitution, et qui a apporté sa contribution pour résoudre la distinction entre stationnement gênant et stationnement dangereux, ce qui est seulement gênant ne pouvant être perçu comme engageant la sécurité [17]. Enfin, n’est pas à sous-estimer la politique judiciaire, la volonté des magistrats d’imposer dans un domaine sensible une attention soutenue à la sécurité, même si les textes peuvent difficilement être interprétés comme contenant une obligation particulière en ce sens, ce qui est par exemple le cas de la « formation renforcée » dont doivent bénéficier les salariés temporaires, lorsqu’ils sont affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé [18].

On le voit, la matière n’est pas avare de solutions. Il faut surtout en retenir qu’est confirmée sur l’essentiel l’articulation des dispositions de la loi du 10 juillet 2000, même s’il est parfois, comme en toute discipline, des difficultés d’approche ou d’application. De 2000 à 2020 le régime des délits non intentionnels n’a pas été défiguré.

 

[1] Cass. crim., QPC, 24 septembre 2013, n° 12-87.059, FS-P+B (N° Lexbase : A9609KLH), Dalloz Actualité, 1er octobre 2013 ; D., 2013. 2443, note P. Hennion-Jacquet ; AJ pénal, 2013. 605, obs. C. Lacroix ; Dr. pén., 2013, comm. n° 163, obs. A. Maron et M. Haas, et n° 168, obs. M. Véron ; JCP G, 2013, n° 1176, note S. Detraz ; Gaz. Pal., 2013. 2. 3051, note R. Mésa.

[2] L'article 121-3 du Code pénal sert de disposition pilote aux articles consacrés aux délits non intentionnels par le Code général des collectivités territoriales (articles L. 2123-34 N° Lexbase : L4860LUK, L. 3123-28 N° Lexbase : L6519I7L, L. 4135-28 N° Lexbase : L8236AAB, L. 4422-46 N° Lexbase : L2993LBH, et L. 5211-15 N° Lexbase : L9728AAK), et par le statut des fonctionnaires (loi no 83-634, du 13 juillet 1983, art. 11 bis A), le législateur ayant ainsi entendu éviter toute critique fondée sur un quelconque « favoritisme » au bénéfice des politiques ou des agents publics.

[3] Cass. crim., QPC, 21 mars 2017, n° 17-90.003, F-P+B (N° Lexbase : A7740ULA), RSC, juillet - septembre 2017, p. 515, obs. Y. Mayaud.

[4] R. Badinter, Projet de nouveau code pénal, Dalloz, 1988, p. 17.

[5] A. Sériaux, L’appréciation de la faute pénale d’imprudence en droit français contemporain, RSC, 2017, p. 231.

[6] Loi n° 92-683, du 22 juillet 1992, portant réforme des dispositions générales du Code pénal (N° Lexbase : O9066B38) ; loi n° 92-684, du 22 juillet 1992, portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes (N° Lexbase : L4794GU4) ; loi n° 92-685, du 22 juillet 1992, portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les biens (N° Lexbase : O9065B37).

[7] Cass. crim., 5 février 2002, n° 01-81.470 (N° Lexbase : A8561CMZ), RSC, 2002, p. 585, obs. Y. Mayaud.

[8] Très significatif en ce sens, à propos d’un accident d’aviation, v. Cass. crim., 15 octobre 2002, n° 01-83.351, FS-P+F (N° Lexbase : A2628A3Q), D., 2003. Somm. 244, obs. G. Roujou de Boubée ; Dr. pén., 2003. 4, obs. M. Véron ; RSC, 2003, p. 96, obs. Y. Mayaud.

[9] Cass. crim., 18 juin 2002, n° 01-86.539, F-P+F (N° Lexbase : A0935AZN), D., 2003. 240, note Gauvin ; ibid. 2003. Somm. 244, obs. G. Roujou de Boubée ; Gaz. Pal., 2002. 2. 1743, note Petit ; Dr. pén., 2002. 120, obs. M. Véron ; RSC, 2002, p. 814, obs. Y. Mayaud. Sur la reconnaissance de la faute caractérisée par la Cour de renvoi, v. CA Rouen, 10 septembre 2003, JCP, 2003. IV. 3015.

[10] Y. Mayaud, Un bel avenir pour la faute caractérisée, RSC, 2001, p. 381.

[11] Pour la faute caractérisée d’un maire par accumulation de négligences, v. CA Toulouse, 13 novembre 2003, n° 02/00329, RSC, 2004, p. 637, obs. Y. Mayaud.

[12] Pour une « fatale inertie » constitutive de faute caractérisée, v. Cass. crim., 13 novembre 2002, n° 01-88.643, F-P+F (N° Lexbase : A1301A4X), RSC, 2003, p. 337, obs. Y. Mayaud.

[13] M. Puech, Droit pénal général, Litec, 1988, n° 546, p. 197 ; De la mise en danger d’autrui, D. 1994. Chron. p. 153 s., spéc. p. 154, col. 1.

[14] Cass. crim., 10 décembre 2002, n° 02-81.415, FS-P+F (N° Lexbase : A4427A4Q), Dr. pén., 2003. 45 (2ème arrêt), obs. M. Véron ; RSC, 2003, p. 332, obs. Y. Mayaud ; Confirmation de CA Paris, 24 janvier 2002, n° 00/05096.

[15] Elle a été partagée par la cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 28 juin 2001 relatif à l’affaire du Drac (CA Lyon, 28 juin 2001 n° XLYON280601X, D., 2001. IR. 2562 ; Gaz. Pal., 2001. 2. 1140, note S. Petit ; RSC, 2001, p. 804, obs. Y. Mayaud), où sont utilisés les mêmes termes pour nier pareillement, toujours en rapport avec la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, toute obligation particulière de prudence ou de sécurité « pénalement sanctionnée ».

[16] CA Toulouse, 3ème ch., 1er février 2001, n° 00/00644 (N° Lexbase : A5459DHN), RSC, 2002, p. 104, obs. Y. Mayaud.

[17] CA Toulouse, 3ème ch., 4 octobre 2001, n° 01/00312 (N° Lexbase : A9143DNX), D., 2002. 1383, note S. Vignette ; JCP, 2002. IV. 1464 ; RSC, 2002, p. 106, obs. Y. Mayaud.

[18] Cass. crim., 25 avril 2017, n° 15-85.890, F-P+B (N° Lexbase : A2835WBM), n° 118 ; Dalloz Actualité, 9 mai 2017, obs. D. Goetz ; RSC, 2017, p. 288, obs. Y. Mayaud.

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Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] La personnalité civile de l’AARPI de Poitiers

Réf. : CA Poitiers, 28 janvier 2020, n° 19/02107 (N° Lexbase : A16473DD)

Lecture: 7 min

N3934BYD

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par Audrey Chemouli, Avocat au Barreau de Paris, Membre du CNB et Présidente de la commission "Statut professionnel"

Le 15 Juillet 2020


Mots-clefs : Observations • Jurisprudence • Avocat • Personnalité civile • AARPI • Poitiers

La cour d'appel de Poitiers, tout en rappelant que l’AARPI n’est pas dotée de la personnalité morale, a relèvé que l’AARPI pouvait postuler auprès de tribunaux, dispose d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’Urssaf, qu’elle est titulaire de comptes bancaires et d’avoirs et qu’elle a une personnalité civile qui la met en mesure d’être « susceptible de succomber à une condamnation ».


 

Penchons-nous sur un arrêt de la cour d’Appel de Poitiers qui n’a pas fini de faire parler de lui !

En l’espèce, il s’agissait d’une avocate engagée en qualité d’avocate stagiaire en 1996 par une SELAFA devenue par la suite SELARL qui, développant son activité, s’associe avec une SCP au sein d’une AARPI en 2011. Soulignons pour être complets, qu’un pacte d’associés avait été rédigé prévoyant que les contrats de travail souscrits par les sociétés associées seraient transférés à l’AARPI au plus tard le 1er janvier 2016. Manifestement des tensions apparaissent dans l’association qui conduisent à l’exclusion de la SELARL, début décembre 2017. Par courrier recommandé du même mois, l’AARPI informait l’avocate salariée que cette séparation entraînait le retour partiel de son contrat de travail au sein de la SELARL, son employeur d’origine, de sorte que dès janvier 2018, elle ne serait plus liée qu’à mi-temps à l’AARPI. Par courrier envoyé par son conseil, ladite collaboratrice a répondu ne pas souhaiter se conformer à ces nouvelles conditions de travail considérant qu’il y avait là une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail, en l’occurrence sa durée, qui nécessitait son accord. De son côté, la SELARL a fait savoir qu’elle n’entendait pas fournir à son ancienne collaboratrice un temps partiel de complément puisqu’elle considérait que seule l’AARPI était l’employeur de l’intéressée. A la mi-mars 2018, l’avocate saisissait le Bâtonnier de l’Ordre d’une demande de conciliation et prenait acte de la rupture de son contrat de travail. La conciliation s’avérant impossible, l’avocate saisissait le Bâtonnier d’une requête à l’encontre de l’AARPI en vue d’obtenir la condamnation de celle-ci à lui payer diverses sommes. Par conclusions, l’AARPI sollicitait, à titre principal, le rejet des demandes. La SELARL devenue SELAS a été mise dans la cause sollicitant que la décision à intervenir soit également opposable à la SCP. Par conclusions récapitulatives, l’AARPI et la SCP ont fait valoir que les demandes de l’ancienne collaboratrice étaient irrecevables, la première parce qu’elle ne disposait pas de la personnalité morale et la seconde parce qu’elle considérait que les demandes à son encontre étaient prescrites. La SELAS reprenait à son compte les développements sur l’absence de personnalité morale de l’AARPI soutenant que le contrat de travail aurait dû être transféré à la SCP. Par décision du 24 mai 2019, le Bâtonnier a, notamment, considéré que la prise d’acte était justifiée ceci entraînant des conséquences pécuniaires qui ne sont pas l’objet du présent article. Plus intéressant, on relèvera que le Bâtonnier a considéré que la rupture était imputable aux deux employeurs conjointement et solidairement, soit la SCP et la SELAS antérieurement SELARL, ce au motif que l’AARPI ne disposait pas de la personnalité morale. La SELAS a relevé appel de la décision sollicitant, en tout état de cause, être relevée indemne de toute condamnation par la SCP. L’AARPI et la SCP sollicitaient la confirmation de la décision du Bâtonnier en ce qu’il a déclaré l’action de l’avocate irrecevable. L’ancienne collaboratrice quant à elle, sollicitait la réformation de la décision notamment en ce qu’elle avait mis hors de cause l’AARPI.

Il convient de s’arrêter sur un point de son argumentaire : le fait qu’elle faisait valoir que l’AARPI a une personnalité morale - conformément à la doctrine.

On rappellera que l’association d’avocats est le mode le plus ancien d’exercice de la profession [1]. Ses règles de fonctionnement résultent de textes disparates qui ne sont pas compilés comme l’ont été les textes régissant les sociétés civiles professionnelles, puis les sociétés d’exercice libéral et depuis 2015, les sociétés de droit commun. Il en résulte des sources d’erreurs importantes et d’incompréhension de la part de nombreux praticiens. Ce n’est d’ailleurs qu’à l’occasion de la loi du 31 décembre 1990 [2] portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que le législateur a entériné ce mode d’exercice, lequel a été complété par la suite par le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat [3]. Constatant l’essor de ce type d’association mais aussi leurs limites, la loi du 30 décembre 2006 [4] et son décret d’application du 15 mai 2007 [5] ont « réformé en profondeur régime des associations en leur permettant d’individualiser la responsabilité professionnelle de leurs membres qui était jusque-là conjointe et indéfinie entre les associés [6] ». Telles sont les conditions dans lesquelles les AARPI sont nées : des associations d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle.

Depuis ces dernières années, il est essentiel d’avoir en mémoire que l’AARPI constitue un des modes privilégié de l’association entre avocats. La raison principale de son succès est la souplesse de son fonctionnement. En effet, étant contractuelle puisque les règles qui régissent les relations entre associés ne sont pas inscrites dans la loi, l’AARPI permet de proposer de nombreuses possibilités d’exercice en commun de la profession. Il est aussi vrai que n’étant pas dotée d’un capital social et les associés mettant à la disposition de celle-ci leur clientèle, elle permet de faire rentrer et sortir des associés sans valorisation a priori de titres sociaux source de nombreux conflits.

Néanmoins, l’exposé de l’état de la situation ne serait pas complet s’il n’était pas évoqué les problématiques que cette forme d’exercice pose. Notamment dus au fait qu’elle ne dispose pas de la personnalité morale, sans parler du fait qu’elle est très peu connue des services de l’état ou des agents économique au premier chef desquels l’on retrouve les banquiers et les experts-comptables. En effet, seuls les avocats connaissent ce type d’exercice !

Les conséquences principales de l’absence de personnalité morale sont que le régime des associés est donc celui d’une indivision et bien sûr le fait qu’elle ne peut ester en justice. C’est donc avec surprise que les auteurs ont découvert la condamnation de l’AARPI par la cour d’appel de Poitiers.

La juridiction, tout en rappelant que l’AARPI n’est pas dotée de la personnalité morale, relève que l’AARPI peut postuler auprès de tribunaux, dispose d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’Urssaf, qu’elle est titulaire de comptes bancaires et d’avoirs et qu’elle a une personnalité civile qui la met en mesure d’être « susceptible de succomber à une condamnation » [7] .

On rappellera que la personnalité civile est souvent reconnue à des groupements faisant valoir des intérêts tels que le CSE, les comités d’entreprises, certains syndicats... dont la jurisprudence détermine qu’ils disposent d’une « personnalité civile qui n’est pas une création de la loi mais qui appartient à tout groupement pourvu d’une expression collective pour la défense d’intérêts licites ce qui lui permet d’ester en justice [8] ».

A la lecture de cette définition, on comprend le lien qu’a pu faire la cour d’appel avec l’AARPI puisqu’elle est bien un groupement qui défend des intérêts. Mais peut-on parler d’une « expression collective » ? Peut-on comparer cette association d’intérêts privés à la mission qui est donnée aux syndicats par exemple ?

Rien n’est moins sûr. Il sera dès lors très intéressant de suivre le devenir de cette jurisprudence qui pourra à l’avenir, peut-être, régler un certain nombre d’incertitudes consubstantielles à l’AARPI.

 

[1] Décret n° 54-406 du 10 avril 1954 portant règlement d’administration publique sur l’exercice de la profession d’avocat pour l’application de la loi n°54-390 du 8 avril 1954 sur la profession d’avocat et la discipline du barreau, JO 11 avril, p. 3494

[2] Loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L7803AIT).

[3] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, art. 124 et s. (N° Lexbase : C28398UP).

[4] Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006, de finances rectificative pour 2006 (N° Lexbase : L9270HTI).

[5] Décret n° 2007-932 du 15 mai 2007 portant diverses dispositions relatives à la profession d'avocat

[6] Guide du Conseil National des barreaux (Extrait) [en ligne].

[7] Extraits de l’arrêt.

[8] V., éd. Francis Lefebvre.

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Contrats et obligations

[Le point sur...] Clause de résiliation anticipée et indemnité de rupture

Lecture: 26 min

N4107BYR

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par Guillaume Maire, Maître de conférences à l’Université de Lorraine, Faculté de droit de Metz, Institut François Gény (EA 7310)

Le 15 Juillet 2020

1. Diversité des clauses de résiliation anticipée. « Le présent contrat peut être résilié à tout moment par le client. La résiliation du contrat de service avant l’expiration de la période initiale rendra immédiatement exigible les montants dus au titre du service pour la période restant à courir jusqu’au terme de ladite période initiale ». Telle est la stipulation que l’on peut lire à l’article 4.2 des conditions générales d’un contrat de téléphonie mobile conclu par un opérateur à destination des professionnels [1]. Une telle clause de résiliation anticipée est fréquente en pratique et fait l’objet d’un contentieux important [2]. Susceptible d’être insérée dans tout contrat de prestation de service à durée déterminée, notamment au sein des contrats d’adhésion, cette stipulation est au cœur de nombreux arrêts qui révèlent sa présence dans des contrats tels qu’un contrat de maintenance de toute sorte de matériels [3], d’abonnement à un bouquet de chaînes de télévision [4], de crédit-bail [5], de concession [6], de formation [7], d’abonnement téléphonique [8], de location [9]

La clause qui a pour objet de conférer à l’une ou aux deux parties le droit de rompre unilatéralement le contrat est une clause de dédit. Au-delà de l’instauration du droit de rompre unilatéralement le contrat, la clause de dédit précise les modalités d’exercice de ce droit de rompre. Celles-ci peuvent être de natures différentes, notamment procédurales (invoquer un motif de rupture, respecter un délai de préavis, exercer ce droit par lettre recommandée, élire domicile auprès d’un tiers pour l’exercice de ce droit…) et financières (paiement d’une indemnité plus ou moins élevée).

2. Difficulté de la clause de résiliation anticipée. Le contentieux illustre les difficultés que soulève ce genre de stipulation lorsque l’exercice du droit de rompre est conditionné au paiement d’une indemnité dont le mode de calcul aboutit à ce que son montant soit égal à la somme qui aurait dû être payée si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme. La présente étude est consacrée à cette modalité de clause de résiliation anticipée qui cristallise les difficultés. Celles-ci proviennent, notamment, de l’apparente contradiction entre l’objet de la clause et son effet. D’une part, la clause confère à l’une des parties (ou aux deux selon les cas) une faculté de résiliation unilatérale du contrat autorisant son bénéficiaire à le rompre sans avoir à se justifier. D’autre part, cette faculté s’accompagne d’une indemnité d’un montant égal aux sommes qui auraient dû être payées si le contrat avait été maintenu jusqu’à son terme, ruinant, ainsi, l’intérêt pour son bénéficiaire de mettre en œuvre sa faculté unilatérale de résiliation.

La jurisprudence est divisée quant à l’analyse d’une telle stipulation [10] de telle sorte qu’il en ressort une incertitude qui concerne tant la qualification (I) que la validité (II) de cette clause [11].

I - Une qualification incertaine

3. Incertitude. Si la clause de résiliation anticipée - ou clause de dédit - se distingue d’autres stipulations (A), une confusion se crée dès lors que l’exercice de cette faculté de résiliation est conditionné au paiement d’une indemnité d’un montant équivalent au coût d’exécution du contrat (B).

A - Distinction

4. Autonomie de la clause de résiliation anticipée. La clause de résiliation anticipée se distingue tant de la clause résolutoire que de la clause pénale.

5. Clause de résiliation anticipée et clause résolutoire. La distinction entre la clause de résiliation anticipée et la clause résolutoire ne suscite pas de difficulté. Si les deux stipulations autorisent l’une des parties à rompre le contrat, elles ne procèdent pas de la même logique. La clause résolutoire a pour objet d’aménager une sanction de l’inexécution en autorisant le créancier à rompre le contrat dès lors que le débiteur ne respecte pas son engagement. L’intérêt d’une telle stipulation est, notamment, d’autoriser le créancier à mettre en œuvre la résolution du contrat en invoquant un manquement contractuel dont la moindre gravité n’aurait pas justifié une telle sanction en l’absence de clause résolutoire [12]. À l’inverse, la clause de résiliation anticipée est détachée de toute notion d’inexécution. Elle confère à son bénéficiaire un droit de rompre le contrat sans avoir à reprocher à son cocontractant un manquement contractuel, ni même à invoquer un quelconque motif.

6. Clause de résiliation anticipée et clause pénale. La distinction entre la clause de résiliation anticipée et la clause pénale est en revanche plus délicate. La difficulté est exacerbée lorsque la mise en œuvre de la première s’accompagne du paiement d’une indemnité d’un montant égal, voire supérieur au prix que le bénéficiaire de la faculté de résiliation aurait dû payer en cas d’exécution du contrat jusqu’à son terme.

Théoriquement, ces deux stipulations s’opposent par leur objet contradictoire. La clause de dédit confère au débiteur le droit de ne pas exécuter son obligation [13], alors que la clause pénale maintient l’obligation pour le débiteur d’accomplir sa prestation. Dans un cas, l’inexécution est licite [14] : le débiteur étant autorisé à ne pas exécuter son obligation, il ne pourra pas y être contraint en justice. Dans l’autre hypothèse, l’inexécution est illicite et le cocontractant pourra poursuivre le débiteur en exécution de l’obligation inexécutée.

Cette distinction se prolonge quant à la fonction de la somme d’argent prévue par chacune de ces stipulations. L’indemnité due en cas de mise en œuvre de la faculté unilatérale de résiliation constitue la contrepartie du droit d’option offert au bénéficiaire de la clause. Elle a une fonction exclusivement indemnitaire [15]. La somme d’argent prévue par la clause pénale constitue, quant à elle, une sanction de l’inexécution. Celle-ci a, non seulement, une fonction indemnitaire, en ce qu’elle évalue, de manière anticipée et forfaitaire, le montant des dommages-intérêts, mais elle présente aussi, le plus souvent [16], un caractère comminatoire en ce que, lorsqu’elle est d’un montant important, elle vise à contraindre le débiteur à respecter son engagement. En outre, la distinction est bien connue de la Cour de cassation qui considère de manière constante que « la clause de dédit ne s’analyse pas en une clause pénale ayant pour objet de faire assurer par l’une des parties l’exécution de son obligation mais une faculté de dédit permettant de se soustraire à cette exécution » [17].

Cette différence théorique importante peut, toutefois, être éprouvée en pratique lorsque l’indemnité conditionnant la mise en œuvre de la faculté de résiliation unilatérale est d’un montant équivalent au prix que le bénéficiaire aurait dû payer en cas d’exécution du contrat jusqu’à son terme.

B - Rapprochement

7. Clause de résiliation anticipée : une clause pénale ? Dans une telle situation, les deux stipulations se rapprochent dans la mesure où, qu’il mette ou non en œuvre sa faculté de résiliation anticipée, le bénéficiaire est obligé de payer une somme d’argent d’un montant égal à ce qu’il aurait dû payer en exécution du contrat. Une telle indemnité de résiliation le prive en réalité de son droit de rompre et semble, ainsi, davantage constituer une incitation à l’exécution de l’obligation contractuelle que le prix d’une liberté.

L’enjeu est considérable, car cette ambiguïté est l’occasion pour les parties d’adopter une stratégie contractuelle visant à contourner le pouvoir judiciaire de modération dont est doté le juge en cas de clause pénale [18]. Il est, en effet, acquis que ce pouvoir de révision est limité à la clause pénale, stipulant une pénalité manifestement excessive ou dérisoire, à l’exclusion de la clause de dédit, sauf à requalifier cette dernière stipulation en clause pénale [19].

8. Incertitude jurisprudentielle. Sur ce problème de requalification de la clause de résiliation anticipée, la jurisprudence est mal établie, de telle sorte qu’il est difficile d’identifier une tendance. La question de l’interprétation des éléments de fait permettant la qualification de la clause litigieuse en clause de dédit ou clause pénale relève du pouvoir souverain des juges du fond [20]. Ces derniers se montrent, cependant, particulièrement discordants [21]. Dès lors, il appartient à la Cour de cassation de fixer les critères sur lesquels les juges du fond doivent se fonder afin d’en déduire la qualification pertinente. Mais, la Haute juridiction n’est pas plus constante. Tantôt, les juges se livrent à une analyse concrète de la stipulation et déduisent de son montant élevé que celle-ci présente, en réalité, un caractère comminatoire révélant une clause pénale [22]. Ces arrêts s’inscrivent, ainsi, dans un courant faisant primer la réalité économique sur la lettre de la clause [23]. Tantôt, la Cour de cassation s’en tient à la volonté exprimée par les parties, évinçant expressément le critère tenant à l’importance de l’indemnité de résiliation [24]. Cette solution est adoptée notamment lorsque la volonté des parties est clairement exprimée en faveur de la faculté de dédit [25]. La mission est d’autant plus ardue dans les contrats d’adhésion dont les stipulations ne sont pas toutes négociées et dans lesquels de telles clauses sont fréquemment insérées.

9. Primauté de la réalité économique. Il nous semble, cependant, que la volonté exprimée par les parties est insuffisante, à elle seule, à fonder la qualification de la clause litigieuse [26]. Deux raisons s’y opposent. La première tient à la nécessité de prendre en considération la réalité économique lors de l’opération de qualification. Le juge n’est pas lié par la volonté exprimée des parties ; il lui appartient de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée » [27]. S’il peut, certes, se référer à la volonté exprimée par les parties, en relevant par exemple l’utilisation du terme dédit, l’autorisation expresse du débiteur de ne pas exécuter ses obligations contre le versement d’une indemnité, la possibilité conférée à toute partie de rompre le contrat sans référence à la notion d’inexécution, etc., il ne s’agit là que d’un critère parmi d’autres [28]. Afin de déterminer la commune intention des parties, le juge doit également se fonder sur des éléments objectifs qu’aurait retenus une « personne raisonnable placée dans la même situation » [29]. Dès lors que la volonté exprimée apparaît contradictoire avec la réalité, notamment économique, le juge doit faire primer la seconde sur la première. Le débiteur ne saurait, ainsi, véritablement être titulaire d’un droit de ne pas exécuter son engagement si l’exercice de ce droit est subordonné au paiement d’une somme plus ou moins équivalente à celle qu’il aurait dû verser s’il n’avait pas exercé ce prétendu droit. Dans cette hypothèse, la somme correspond davantage à une incitation à l’exécution de l’obligation qu’à la contrepartie d’une liberté. Si la clause de résiliation anticipée constitue davantage une garantie d’exécution de l’obligation que la contrepartie d’une faculté de résiliation, c’est qu’il s’agit en réalité d’une clause pénale susceptible de modération. La primauté de la réalité objective sur la volonté exprimée par les parties n’est d’ailleurs pas l’apanage de la problématique relative à la distinction entre la clause de résiliation anticipée et la clause pénale [30]. En outre, cette solution est encore plus souhaitable lorsqu’il s’agit d’un contrat d’adhésion qui, dans le doute, s’interprète contre celui qui l’a proposé [31].

La deuxième raison de ne pas s’en tenir exclusivement au critère subjectif lors de la qualification de la clause, de laquelle dépend le pouvoir modérateur du juge, tient au caractère d’ordre public reconnu à ce pouvoir. Il serait trop simple de permettre aux parties d’échapper à ce contrôle de l’excès uniquement en déclarant conférer un prétendu droit au débiteur de ne pas exécuter ses obligations, tout en stipulant une indemnité tellement élevée qu’elle inhibe ce droit et produit, en réalité, le même effet comminatoire qu’une clause pénale. Des auteurs n’ont pas manqué de relever le paradoxe auquel aboutit l’inapplication du pouvoir modérateur à la clause de dédit. Il y a, tout d’abord, l’idée d’une injustice à « faire bénéficier le contractant qui se rend coupable d’une inexécution fautive du pouvoir modérateur du juge alors que celui qui s’était réservé le droit de ne pas remplir son engagement ne disposerait pas de cet avantage ! » [32]. L’injustice est d’autant plus accrue qu’en l’absence de requalification en clause pénale, le client se voit priver de la prestation convenue en contrepartie du paiement du prix. En cas de mise en œuvre d’une clause de résiliation anticipée, le client qui met en œuvre cette faculté de résiliation devra payer une somme d’argent équivalente au prix sans pouvoir exiger de son cocontractant qu’il exécute son obligation. Alors qu’en présence d’une clause pénale, si le client ne paie plus le prix, le prestataire de service peut le contraindre en justice, mais il sera tenu d’exécuter sa propre obligation. Il y a ensuite une véritable incohérence - un « absurde paradoxe » [33] - à ce qu’une clause ayant pour objet d’assurer l’exécution de l’obligation parvienne moins efficacement à produire cet effet, en raison du risque de modération, qu’une clause de dédit dont l’objet est précisément, à l’inverse, d’autoriser le débiteur à ne pas exécuter ses obligations en contrepartie du versement d’une indemnité insusceptible de révision.

10. Nuance. En présence d’une clause de résiliation anticipée comprenant une indemnité d’un montant égal à la somme qui aurait dû être payée en exécution du contrat jusqu’à son terme, le risque de requalification et de réduction de l’indemnité est donc grand. Cette conséquence n’est cependant pas automatique. D’une part, une indemnité équivalente à la somme due en exécution du contrat ne garantit pas nécessairement une requalification en clause pénale. Dans le cas d’une rupture proche du terme du contrat, le faible montant de l’indemnité ainsi due ne revêtirait sans doute pas un caractère comminatoire. Dans d’autres cas, une indemnité de résiliation d’un montant élevé pourrait se justifier par d’autres considérations qu’une garantie d’exécution. Il en serait ainsi d’une indemnité de fin de contrat élevée stipulée en contrepartie d’investissements lourds réalisés par le prestataire en vue de l’exécution du contrat [34]. D’autre part, une requalification ne garantit pas une réduction de la pénalité convenue. Encore faut-il que le juge estime que celle-ci est manifestement excessive eu égard au préjudice effectivement subi [35].

Il n’en demeure pas moins que le risque est réel. Et ce d’autant plus que, dans certains cas, il ne réside pas uniquement dans une minoration de l’indemnité, mais bien dans la remise en cause de sa validité.

II - Une validité incertaine

11. Validité ? D’une manière générale, la validité de la clause de résiliation anticipée n’est pas douteuse. Il pourrait, certes, être reproché à une telle clause, dont l’objet est d’autoriser une partie à ne pas respecter ses engagements, de porter atteinte au principe de force obligatoire du contrat. Celui-ci implique, en effet, un principe d’intangibilité qui suppose que le contrat à durée déterminée soit exécuté jusqu’à son terme sans qu’aucune partie ne puisse unilatéralement y mettre fin de façon anticipée [36]. Il n’en est cependant rien. La Cour de cassation estime que la mise en œuvre de cette clause ne constitue que le reflet de la volonté des parties et que l’atteinte à la force obligatoire du contrat réside, à l’inverse, dans le non-respect de cette faculté conventionnelle de résiliation [37]. Dès lors qu’aucun obstacle ne s’oppose à sa validité [38], elle tient lieu de loi des parties qui peuvent donc la mettre en œuvre. La validité de la clause de dédit est par ailleurs largement admise par la doctrine [39].

Dans certaines hypothèses, la validité de la clause de résiliation anticipée qui stipule une indemnité de fin de contrat élevée est néanmoins susceptible d’être remise en cause. Deux obstacles majeurs peuvent être identifiés : le caractère d’ordre public de la faculté de résiliation (A) et la prohibition du déséquilibre significatif (B).

A - Caractère d’ordre public de la faculté de résiliation

12. Existence de facultés légales de résiliation. Indépendamment d’une clause de résiliation unilatérale, la loi confère, parfois, une telle faculté aux contractants. Dès lors que celle-ci est reconnue comme étant d’ordre public, les parties ne sauraient valablement y renoncer par anticipation. Elles peuvent, en revanche, en principe [40], aménager conventionnellement cette faculté légale de résiliation, notamment en conditionnant son exercice au paiement d’une indemnité. La clause ne doit, cependant, pas avoir pour effet de rendre cette faculté de résiliation illusoire. Le risque procède du montant de l’indemnité qui, lorsqu’il est élevé, pourrait avoir pour effet de priver le bénéficiaire de cette faculté. Deux exemples [41], donnant lieu à un contentieux important, permettent d’illustrer cette difficulté.

13. Clause de résiliation anticipée et crédit-bail. Le contrat de crédit-bail immobilier est un terrain d’élection des clauses de résiliation anticipée. L’article L. 311-9 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9619LGD) impose, en effet, que ces contrats prévoient, à peine de nullité, une clause de résiliation anticipée indiquant les conditions dans lesquelles leur résiliation pourra, le cas échéant, intervenir à la demande du preneur. Justifiée par la durée relativement longue de ce type de contrat, cette faculté de résiliation est exigée à peine de nullité du contrat et, partant, présente un caractère d’ordre public. Soucieuse d’empêcher les faux semblants, la Cour de cassation veille à ce que l’indemnité conventionnelle ne soit pas d’un montant équivalent à la somme que le crédit-preneur aurait payé en exécution du contrat jusqu’à son terme. De nombreux arrêts témoignent de cette vigilance [42]. Deux obstacles à la validité de cette clause peuvent être identifiés. Premièrement, une telle clause n’est pas valable lorsqu’elle a pour effet de priver le crédit-preneur de sa faculté de résiliation. Deuxièmement, il en est de même lorsqu’elle aboutit à imposer à ce dernier l’exécution de ses obligations contractuelles tout en le privant de la jouissance de l’immeuble, ce qui, outre l’injustice que cette situation engendre, pose un problème de cohérence. Le contrat résilié est, en quelque sorte, exécuté uniquement s’agissant des obligations de la partie qui disposait pourtant théoriquement d’une faculté de résiliation.

La Cour de cassation se montre, toutefois, exigeante lors de l’appréciation du montant de l’indemnité. Seule une indemnité équivalente au montant des sommes restant dues en exécution du contrat est prohibée [43], de telle sorte qu’il est possible de prévoir des modalités différentes d’évaluation de l’indemnité de résiliation [44].

14. Clause de résiliation anticipée et contrat de travail (clause de dédit-formation). Le droit du travail fournit une autre illustration de la remise en cause de la validité d’une clause de résiliation anticipée. Un contentieux important s’est développé à propos de la clause de dédit-formation. Cette stipulation est, parfois, insérée dans le contrat de travail d’un salarié qui bénéficie d’une formation financée par l’employeur. En contrepartie des frais de formation engagés par ce dernier [45], les parties prévoient, qu’en cas de départ prématuré du salarié, celui-ci sera redevable d’une certaine somme d’argent correspondant, notamment, au coût de la formation  [46]. La Cour de cassation admet la validité d’une telle stipulation à condition qu’elle n’ait pas « pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner » [47]. Cette solution se justifie par la nécessité de protéger la liberté du travail du salarié comportant la liberté de ne pas travailler. Celui-ci ne saurait être contraint à conserver son emploi. On peut y voir une clause pénale sanctionnant le non-respect par le salarié de son engagement de ne pas rompre le contrat de travail avant l’expiration d’une certaine durée [48]. En conditionnant la validité d’un tel « engagement » à une faculté de résiliation, la Cour de cassation fait, toutefois, douter de l’existence d’un réel engagement de la part du salarié de telle sorte qu’il pourrait s’agir d’une clause de dédit conformément à son intitulé.

Quelle qu’en soit la qualification, l’indemnité de résiliation stipulée ne doit pas être d’un montant tellement élevé qu’elle priverait le salarié de sa faculté de démissionner. La Cour de cassation exige, ainsi, qu’elle soit proportionnée aux frais de formation engagés [49] et, qu’en tout état de cause, elle ne saurait correspondre aux rémunérations que le salarié a perçues pendant sa formation [50].

15. Validité et pouvoir modérateur du juge. L’obstacle qui s’oppose à la validité des clauses de résiliation anticipée dans certains contrats pour lesquels il existe une faculté de résiliation d’ordre public est finalement le même que celui qui impose une requalification de cette stipulation en clause pénale. L’indemnité a pour effet de priver le bénéficiaire de son droit de rompre le contrat. La Cour de cassation ne doit, néanmoins, pas déduire de la requalification, impliquant le pouvoir du juge de modérer l’indemnité convenue, la validité d’une telle stipulation dans les hypothèses précédentes. Le raisonnement serait le suivant. Requalifiée en clause pénale, la clause litigieuse peut faire l’objet d’une révision judiciaire. Dès lors, susceptible de réduction que le juge peut d’ailleurs prononcer d’office, l’indemnité ne serait jamais d’une telle ampleur qu’elle annihilerait la faculté de rétractation. Ce raisonnement est un leurre. D’une part, le critère de la modération est différent. Il ne tient pas à la contradiction entre l’indemnité convenue et la faculté de rétractation. D’autre part, une telle solution serait très peu dissuasive. Sans craindre la nullité de la clause ou du contrat [51], le bénéficiaire de l’indemnité ne serait pas incité à stipuler ab initio une indemnité d’un montant raisonnable. Il n’en aurait même aucun intérêt dans la mesure où le seul risque serait de voir réduire son indemnité excessive à une juste mesure.

Si la Cour de cassation s’est un temps laissée convaincre par ce raisonnement [52], elle semble aujourd’hui y être moins sensible, n’évoquant plus l’effet salvateur que le pouvoir judiciaire de modération pourrait avoir sur la validité d’une clause pénale [53].

Ce risque existe de même à propos d’une clause abusive, dont l’abus procéderait d’un montant excessif de l’indemnité convenue. Le débat est d’autant plus important que le déséquilibre significatif constitue le deuxième obstacle susceptible de heurter la validité des clauses de résiliation anticipée.

B - Prohibition du déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion

16. Double condition. L’instrument de contrôle de la validité d’une clause qui crée un déséquilibre significatif dépasse désormais le droit de la consommation [54] et le droit commercial [55] puisqu’une telle clause est également prohibée dans tout contrat d’adhésion sur le fondement de l’article 1171 du Code civil (N° Lexbase : L1981LKL).  La clause de résiliation anticipée est susceptible d’être réputée non écrite sur ce fondement à une double condition.

17. Champ d’application. La première vérification tient au champ d’application du texte qui impose une double exigence. Tout d’abord, seules les clauses insérées dans un contrat d’adhésion sont susceptibles d’être réputées non-écrites. Aux termes de l’article 1110 du Code civil, tel que modifié par la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance de 2016 [56], un tel contrat est celui qui contient un ensemble de clauses qui, non négociables, ont été imposées par l’une des parties. Cette exigence ne suppose pas que les clauses n’aient pas été effectivement négociées ; il convient de prouver que la négociation était impossible. Ensuite, seules les clauses qui, parmi toutes les stipulations du contrat, étaient non négociables sont concernées par la prohibition du déséquilibre significatif [57]. La clause de résiliation anticipée qui, insérée dans un contrat d’adhésion, a été négociée ou aurait pu l’être, serait ainsi exclue du giron de cet instrument de contrôle.

18. Existence d’un déséquilibre significatif. Afin de pouvoir réputer non écrite une clause de résiliation anticipée non négociable, encore faut-il, deuxièmement, qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Si cette notion n’a jamais été précisément définie par le législateur, elle est désormais bien balisée. D’un côté, il est admis que les listes noires et grises établies par le pouvoir réglementaire en droit de la consommation constituent une référence pour le juge chargé d’apprécier le déséquilibre significatif créé par une clause insérée dans un contrat d’adhésion [58]. Il en ressort qu’une clause conférant une faculté de résiliation est susceptible d’être abusive dès lors que celle-ci n’est pas réciproque. Il est, en effet, prévu de réputer abusive, d’une part, de manière irréfragable, la clause qui reconnaît au professionnel « le droit de résilier discrétionnairement le contrat, sans reconnaître le même droit au consommateur » [59], et, d’autre part, sauf à rapporter la preuve contraire, la clause qui confère un caractère onéreux à la faculté de dédit du consommateur sans prévoir ce même caractère en cas de résiliation par le professionnel [60]. Il est également prévu de réputer abusive, de manière irréfragable, la clause qui a pour effet de « subordonner, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation par le consommateur au versement d’une indemnité au profit du professionnel » [61]. Si cette présomption irréfragable est limitée aux contrats à durée indéterminée dont on connaît l’importance de la faculté de résiliation justifiée par la prohibition des engagements perpétuels, il en ressort l’idée selon laquelle la clause qui limite une faculté de résiliation est suspecte.

D’un autre côté, la doctrine a identifié des critères de déséquilibre significatif au fur et à mesure du développement du contentieux consumériste [62] et commercial [63]. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment celui tenant à l’absence de réciprocité d’une clause qui n’accorderait un avantage ou une prérogative qu’à la partie qui a rédigé le contrat. Ce critère a d’ailleurs été mis en œuvre par la Chambre commerciale de la Cour de cassation à propos d’une clause de résiliation anticipée insérée dans un contrat de concession [64]. Un autre critère susceptible de concerner la clause objet de la présente étude réside dans l’excès que constituerait la stipulation [65]. Or, la clause subordonnant la faculté de résiliation de la partie non rédactrice au paiement d’une indemnité importante pourrait être considérée comme excessive et donc abusive. Le risque est d’autant plus important que le pouvoir modérateur du juge ne saurait sauver une telle stipulation, même requalifiée de clause pénale [66].

19. En résumé. L’attention du rédacteur doit, ainsi, être attirée sur le risque de remise en cause de la clause de résiliation anticipée : si la requalification et la réduction de l’indemnité paraissent une sanction peu dissuasive, il en est différemment du risque d’éviction de la clause, voire de nullité du contrat. Le meilleur moyen de se prémunir contre ce risque consiste à stipuler une indemnité de résiliation qui n’équivaut pas au prix restant à payer en exécution du contrat jusqu’à son terme.


[1] Clause reproduite dans l’arrêt suivant, CA Douai, 11 juin 2020, n° 19/04807 (N° Lexbase : A59283NU).

[2] Il ressort d’une recherche jurisprudentielle réalisée en interrogeant la base de données « Lexbase » que, sur la seule période du 1er janvier 2019 au 7 juillet 2020, 484 décisions contiennent les termes « clause de résiliation anticipée ».

[3] CA Paris, 15 juin 2020, n° 18/23415 (N° Lexbase : A58283N8) : contrat de mise à disposition et de nettoyage de linge de table - CA Douai, 23 janvier 2020, n° 18/04876 (N° Lexbase : A41663CB) : maintenance de copieurs - Cass. com., 25 septembre 2019, n° 18-14.427, F-D (N° Lexbase : A0406ZQ4) : maintenance de copieurs - CA Paris, 27 mai 2019, n° 18/17658 (N° Lexbase : A6700ZC7) : contrat de mise à disposition et d’entretien d’articles textiles et d’hygiène professionnels.

[4] Cass. com., 10 mars 2015, n° 13-27.993, F-D (N° Lexbase : A3330NDP).

[5] Cass. civ. 3, 4 avril 2019, n° 18-13.393, F-D (N° Lexbase : A3304Y8U) - V. infra d’autres arrêts.

[6] Cass. com., 12 avril 2016, n° 13-27.712, F-D (N° Lexbase : A6963RIQ).

[7] Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-16.869 (N° Lexbase : A6341AHC).

[8] CA Douai, 11 juin 2020, n° 19/04807 (N° Lexbase : A59283NU) - CA Rennes, 1er octobre 2019, n° 16/08995 (N° Lexbase : A1911ZQT) - CA Amiens, 17 octobre 2017, n° 16/00084 (N° Lexbase : A9653WU3).

[9] CA Poitiers, 7 janvier 2020, n° 17/04151 (N° Lexbase : A6272Z98).

[10] V. infra n° 8.

[11] L’efficacité d’une telle clause pourrait aussi être discutée.

V. par exemple admettant le caractère abusif de l’exercice d’un droit de rompre pourtant exercé conformément aux modalités prévues : Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 02-21.240, FS-P+B (N° Lexbase : A1699DNA), RTD civ., 2006, p. 312, obs. J. Mestre et B. Fage ; D., 2006, 2648, obs. B. Fauvarque-Cosson ; CCC, 2006, n° 99, note L. Leveneur ; RDC, 2006, p. 704, note D. Mazeaud - Sur le contrôle de l’abus, v. not. J. Granotier, Le droit unilatéral de rompre le contrat : de la faculté de dédit à la clause de break-up fees, D., 2014, p. 1960 - V. également l’impossibilité de se prévaloir de cette clause de résiliation anticipée, et surtout de l’indemnité convenue, lorsque celle-ci était insérée dans un contrat devenu caduc en raison de la disparition d’un contrat interdépendant : Cass. mixte, 12 avril 2018, n° 16-21.345 (N° Lexbase : A8036XKT), D., 2018, 1185, note H. Barbier ; ibid., 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid., 2019, 279, obs. M. Mekki ; RTD civ., 2018, 388, obs. H. Barbier ; AJ Contrat, 2018, 277, note C.-E. Bucher ; JCP G, 2018, 543, note F. Buy ; JCP E, 2018, 1418, chron. J.-B. Seube (à propos d’un contrat de crédit-bail) - Cass. com., 12 juillet 2017, n° 15-27.703, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6550WMK), D., 2017, 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ., 2017, p. 846, note H. Barbier ; AJ Contrat, 2017, 429, note S. Bros ; JCP G, 2017, 1021, note F. Buy ; ibid., doctr. 1290, obs. G. Virassamy ; ibid., 2018, doctr. 782, obs. P. Grosser ; JCP E, 2017, 1523, note N. Dissaux ; Gaz. Pal., 2017, n° 32, p. 34, obs. D. Houtcieff (à propos d’un contrat de location financière).

[12] C. civ., art. 1224 (N° Lexbase : L0939KZS) : « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice » (nous soulignons).

[13] L. Boyer, La clause de dédit, in Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, spéc. p. 41, n° 5.

[14] C. Chabas, L’inexécution licite du contrat, J. Ghestin (préf.), D. Mazaud (av.-propos), coll. « Bibl. dr. privé », t. 380, LGDJ, 2002, spéc. n° 23.

[15] Cass. com., 11 avril 2018, n° 16-24.143, F-P+B (N° Lexbase : A1418XL4), AJ Contrat, 2018, p. 295, obs. Th. de Ravel d’Esclapon : « même fixée de manière forfaitaire, l’indemnité de résiliation due en cas d’exercice du droit de résilier le contrat de manière anticipée conféré au crédit-preneur […] ne constitue pas une pénalité […], mais a pour objet de réparer le préjudice subi par le crédit-bailleur du fait de l’exercice par le crédit-preneur de sa faculté de résiliation anticipée du contrat ».

[16] Cette fonction comminatoire n’est pas expressément reprise par l’article 1231-5 du Code civil (N° Lexbase : L0617KZU) issu de la réforme du droit des contrats de 2016, dont le premier alinéa dispose : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre ». Comp. antérieurement : ancien article 1226 du Code civil (N° Lexbase : L1340ABA) non repris par la réforme qui définissait la clause pénale comme celle « par laquelle une personne, pour assurer l’exécution d’une convention, s’engage à quelque chose en cas d’inexécution » (sous soulignons).

La doctrine s’accorde pour reconnaître une fonction comminatoire à la pénalité convenue par la clause pénale. V. not., D. Mazeaud, La notion de clause pénale, F. Chabas (préf.), coll. « Bibl. dr. privé », t. 223, LGDJ, 1992, n° 705.

[17] Cass. com., 18 janvier 2011, n° 09-16.863, F-P+B (N° Lexbase : A2760GQB), RTD civ., 2011, p. 122, note B. Fages ; JCP G, 2011, 492, note V. Da Silva ; JCP E, 2011, 1482, chron. J.-B. Seube ; CCC, 2011, comm. 86, note L. Leveneur ; RDC, 2011, p. 812, note E. Savaux ; RLDC, 2011, n° 80, p. 12, obs. A. Paulin ; Gaz. Pal., 2011, n° 97, obs. D. Houtcieff - V. aussi les arrêts cités infra à la note n° 19 - Adde : Cass. com., 8 novembre 2016, n° 15-12.455 (N° Lexbase : A0662W9E) : « la clause litigieuse, qui sanctionne l’inexécution de son obligation par [le débiteur] ne peut constituer une clause de dédit, laquelle permet au débiteur de se libérer unilatéralement de son engagement dans les conditions fixées au contrat ».

[18] C. civ., art. 1231-5, al. 2 (N° Lexbase : L0617KZU).

[19] En ce sens, v. Cass. civ. 3, 26 février 2013, n° 12-13.863, F-D (N° Lexbase : A8775I8I) - Cass. com., 18 janvier 2011, préc. - Cass. com., 14 février 2006, n° 04-11.560, F-D (N° Lexbase : A9807DM8) - Cass. com., 29 novembre 2005, n° 02-19.174 (N° Lexbase : A8323DLT) - Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-12.580 (N° Lexbase : A9294C7D), RDC 2004, p. 930, note D. Mazeaud – Cass. civ. 3, 1er avril 1998, n° 95-18.625 (N° Lexbase : A9846CKU) – Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-11.448 (N° Lexbase : A1732AC7), publié ; D., 1999, p. 103, note Ch. Willmann ; Defrénois 1998, art. 36753, n° 15, obs. D. Mazeaud - Cass. com., 2 avril 1996, n° 93-13.433 (N° Lexbase : A3510CMX), D., 1996, note D. Mazeaud - Cass. com., 5 avril 1994, n° 92-14.582 (N° Lexbase : A6961ABG), publié - Cass. civ. 3, 9 janvier 1991, n° 89-15.780 (N° Lexbase : A0286AB9), publié, D., 1991, p. 481, note G. Paisant - Contra, proposant d’étendre le pouvoir modérateur du juge à toutes les clauses fixant par avance et de façon forfaitaire les conséquences d’une inexécution, même licite, d’une obligation contractuelle : Ph. Malaurie, La révision judiciaire de la clause pénale, Defrénois 1976, art. 31075, p. 533, nos 9 et 10 - J. Mestre, De la notion de clause pénale et de ses limites, RTD civ., 1985, chron., p. 372 - Id., Les conditions de la révision judiciaire, dans le cadre de l’article 1152 du Code civil, de la peine convenue entre les parties, ibid., 1986, chron. p. 103 - G. Paisant, Dix ans d’application de la réforme des articles 1152 et 1231 du Code civil relative à la clause pénale (loi du 9 juillet 1975), RTD civ., 1985, p. 647, nos 28 et s. - D. Mazeaud, th. préc., nos 272 et s. – C. Chabas, th. préc., nos 39 et s. - Y. Dagorgne-Labbé, note sous Cass. civ. 1, 6 mars 2001, JCP E, 2002, II, 10067 - D. Bakouche, Le domaine d’application de l’article 1152, alinéa 2, du Code civil, Lexbase Affaires, août 2002, n° 35 (N° Lexbase : N3452AA4).

[20] Cass. civ. 3, 12 décembre 1968, n° 67-10.017, Bull. civ. III, n° 548.

[21] Sans qu’il soit nécessaire ici de multiplier les références d’arrêts contradictoires, v., à titre l’illustration, ces deux arrêts récents provenant de la même juridiction à propos d’une clause de résiliation anticipée prévoyant une indemnité d’un montant égal aux sommes qui auraient dû être payées si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme initial : CA Douai, 11 juin 2020, n° 19/04807 (N° Lexbase : A59283NU) : refus de requalification en clause pénale - CA Douai, 23 janvier 2020, n° 18/04876 (N° Lexbase : A41663CB) : requalification en clause pénale.

[22] Cass. com., 25 septembre 2019, n° 18-14.427, F-D (N° Lexbase : A0406ZQ4), CCC, 2019, comm. 193, note L. Leveneur - Cass. com., 5 décembre 2018, n° 17-22.346, F-D (N° Lexbase : A7866YPZ), JCP G, 2019, 167, note Ch.-E. Bucher - Cass com., 10 mars 2015, n° 13-27.993, F-D (N° Lexbase : A3330NDP), RTD civ., 2015, p. 378, obs. H. Barbier ; RDC, 2015, p. 449, note Th. Genicon - Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-16.869 (N° Lexbase : A6341AHC), publié ; D., 1996, p. 116, note Ph. Delebecque ; JCP G, II, 22580, note G. Paisant ; ibid., I, 3914, n° 9, obs. M. Billiau.

[23] V. infra d’autres arrêts, s’inscrivant dans ce courant, rendus à propos d’autres clauses.

[24] Cass. civ. 1, 17 juin 2009, n° 08-15.156, F-D (N° Lexbase : A3013EIG), JCP G, 2009, 279, chron. P. Grosser : cassation de l’arrêt d’appel qui avait requalifié la clause aux motifs que « la clause de résiliation anticipée autorisant [le client] à dénoncer, à tout moment, le contrat de maintenance s’analysait, en l’absence de toute notion d’inexécution, en une faculté de dédit, de sorte qu’elle ne constituait pas une clause pénale, peu important le mode de calcul de l’indemnité devant être payée si le contrat était arrivé à son terme » - Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 03-12.795, F-D (N° Lexbase : A5452DLI) : approbation de la cour d’appel d’avoir « énoncé à bon droit », que la clause s’analyse en une faculté de dédit, « peu important qu’elle fût équivalente au montant des sommes qui auraient dû être perçues [par le créancier] si le contrat était allé jusqu’à son terme » - Adde en ce sens : Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-27.293, F-D (N° Lexbase : A8742I38) - Cass. com., 18 janvier 2011, préc. - Cass. civ. 1, 6 mars 2001, n° 98-20.431(N° Lexbase : A4543ARP), publié - Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-12.580, F-D (N° Lexbase : A9294C7D).

[25] Dans les arrêts précités à la note précédente, rendus les 17 juin 2009, 15 novembre 2005 et 6 mars 2001, les juges relèvent « l’absence de toute notion d’inexécution » et que la clause « autorise [une partie] à rompre le contrat à tout moment moyennant le paiement d’une indemnité ».

Cette logique se retrouve également dans certaines décisions de juges du fond qui retiennent de même, pour refuser la requalification en dépit d’une indemnité d’un montant égal au prix dû en exécution du contrat jusqu’à son terme, que la clause litigieuse est étrangère à toute notion d’inexécution : CA Douai, 11 juin 2020, n° 19/04807 (N° Lexbase : A59283NU)  - CA Versailles, 18 janvier 2018, n° 16/02132 (N° Lexbase : A7210XAB)  - CA Douai, 23 juin 2016, n° 14/07614 (N° Lexbase : A4993SQY)  - CA Toulouse, 1er juin 2016, n° 14/06056 (N° Lexbase : A3318RRC)  - CA Besançon, 3 mai 2016, n° 14/02739 (N° Lexbase : A5298RNK)  - CA Dijon, 28 mai 2015, n° 13/01285 - CA Montpellier, 25 mars 2014, n° 13/00084 (N° Lexbase : A9141MHZ) - CA Paris, 18 avril 2013, n° 11/10539 (N° Lexbase : A2255KCI).

[26] V. notre thèse : G. Maire, Volonté et exécution forcée de l’obligation, N. Damas et L. Perreau-Saussine (préf.), coll. « Bibl. dr. privé », t. 587, LGDJ, 2018, spéc. n° 465.

[27] C. pr. civ, art 12 (N° Lexbase : L1127H4I).

[28] C. civ., art. 1188, al. 1er (N° Lexbase : L0905KZK) : « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des termes ».

[29] C. civ., art. 1188, al. 2 (N° Lexbase : L0905KZK).

[30] Rappr., faisant référence à ce critère économique afin de requalifier une promesse unilatérale en promesse synallagmatique aux motifs d’une indemnité d’immobilisation si importante par rapport au prix de vente qu’elle prive le bénéficiaire de sa liberté d’acheter ou de ne pas acheter le bien objet de la promesse : Cass. civ. 3, 26 septembre 2012, n° 10-23.912, FS-D (N° Lexbase : A6244ITG), RTD civ., 2012, p. 723, note B. Fages ; RDC, 2013, p. 59, note Y.-M. Laithier ; D., 2013, p. 391, chron. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; Gaz. Pal., 2013, n° 10, p. 12, note L.-F. Pignarre - Cass. com., 13 février 1978, n° 76-13.429 (N° Lexbase : A7240AGA), publié - Contra : Cass. civ. 1, 1er décembre 2010, n° 09-65.673, F-P+B+I (N° Lexbase : A4104GMX), publié ; RTD civ., 2011, p. 111, note J. Hauser ; ibid., p. 349, note B. Fages ; JCP G, 2011, 481, note Y. Dagorne-Labbe ; ibid., 503, obs. Ph. Simler ; RDC, 2011, p. 420, note Y.-M. Laithier ; ibid., p. 928, note S. Gaudemet ; D., 2012, p. 459, chron. S. Amrani-Mekki et M. Mekki - Adde, réputant non-écrites, aux motifs qu’elles sont « inconciliables avec cette interdépendance », les clauses de divisibilité insérées dans des contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière : Cass. mixte, 17 mai 2013, nos 11-22.768 et 11-22.927 (N° Lexbase : A4415KDU), D., 2013, p. 1658, note D., Mazeaud ; ibid. 2014, p. 360, chron. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ., 2013, p. 597, note H. Barbier ; JCP G, 2013, 673, note F. Buy ; ibid., 674, note J.‑B. Seube ; JCP E, 2013, 1403, note D. Mainguy ; CCC, 2013, comm. 176, note L. Leveneur ; RDC, 2013, p. 849, note L. Le Mesle ; ibid., p. 1331, note Y.-M. Laithier. 

[31] C. civ., art. 1190 (N° Lexbase : L0903KZH).

[32] G. Paisant, art. préc., n° 31. V. aussi, entre autres, D. Mazeaud, note sous Cass. com., 2 avril 1996, D., 1996, p. 329 : « il est pour le moins paradoxal qu’à montant équivalent la sanction d’une inexécution illicite puisse être modérée par le juge alors que le prix d’une liberté contractuelle demeure intangible ».

[33] Th. Genicon, Ce que les régimes comparés de la clause pénale et de la clause de dédit nous disent de la force obligatoire du contrat, note sous deux arrêts, RDC, 2015, p. 449.

[34] CA Paris, 24 novembre 2015, n° 14/17322 (N° Lexbase : A6436NXN) - Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-12.580, F-D (N° Lexbase : A9294C7D) : versement de l’indemnité de résiliation « en réparation des efforts » réalisés par le contractant qui subit la résiliation du contrat.

[35] Cass. civ. 1, 24 juillet 1978, n° 77-11.170 (N° Lexbase : A0055AYP), publié ; RTD civ., 1979, p. 150, obs. G. Cornu - Cass. civ. 3, 13 juillet 2010, n° 09-68.191, F-D (N° Lexbase : A6879E4K).

[36] C. civ., art. 1212 (N° Lexbase : L0926KZC).

[37] Cass. civ. 1, 3 avril 2001, n° 99-18.442 (N° Lexbase : A8526CEI), publié ; RTD civ., 2001, p. 584, note J. Mestre et B. Fages ; D., 2001, p. 3240, note D. Mazeaud ; JCP G, 2001, I, 354, note J. Rochfeld, Defrénois 2001, 1048, obs. E. Savaux : cassation, au visa de l’ancien article 1134 du Code civil, de l’arrêt aux motifs qu’en refusant d’appliquer une clause de résiliation selon laquelle chacune des parties est autorisée à mettre fin au contrat quand bon lui semblera et sans qu’elle ait à motiver ou justifier le bien-fondé de sa décision, la cour d’appel a violé la loi des parties.

[38] C. civ., art. 1103 (N° Lexbase : L0822KZH) : cet article limite la force obligatoire aux « contrats légalement formés ».

[39] C. Humann, La spécificité de la clause de dédit, RDI, 1997, p. 169 - W. Dross, Clausier. Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats de droit privé interne, 3ème éd., LexisNexis, 2016, v° Dédit.

[40] Il existe toutefois des exceptions. V. par exemple en droit du travail : Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 95-45.431 (N° Lexbase : A6096C7W), publié, JCP E, 1999, p. 1298, note J. Mouly : nullité de la clause de résiliation anticipée dans un contrat de travail à durée déterminée contraire à l’ancien article L. 122-3-8 du Code du travail [devenu art. L. 1243-1] qui prévoit que le contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave ou de force majeure - Cass. soc., 12 février 2014, n° 12-11.554, F-P+B (N° Lexbase : A3675MET).

[41] Le problème est susceptible de se rencontrer pour toute faculté légale de résiliation d’ordre public. V. par exemple l’article 1210 du Code civil (N° Lexbase : L0928KZE) conférant à chaque contractant d’un contrat à durée indéterminée, au nom de la prohibition des engagements perpétuels, la faculté d’y mettre fin dans les conditions prévues par le contrat - v. l’article 2004 du Code civil (N° Lexbase : L2239ABK) conférant au mandant un droit de rompre le contrat « quand bon lui semble » (v. toutefois estimant que, cet article présentant un caractère supplétif, la clause subordonnant l’exercice de cette faculté à une indemnité égale au montant des rémunérations qui auraient dû être perçues si le mandat était allé jusqu’à son terme est valable : Cass. civ. 1, 6 mars 2001, n° 98-20.431 (N° Lexbase : A4543ARP), publié).

[42] Cass. civ. 3, 4 avril 2019, n° 18-13.393 (N° Lexbase : A3304Y8U) : « la clause ne mettant pas à la charge du preneur des obligations équivalentes à celles de l’exécution du contrat jusqu’au terme prévu, mais stipulant une faculté effective de résiliation au bénéfice du preneur était valable » - Cass. civ. 3, 30 janvier 2001, n° 97-16.178 (N° Lexbase : A9607ASM) – Cass. civ. 3, 3 octobre 2000, n° 97-16.177 (N° Lexbase : A0078CMT) - Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-16.179 (N° Lexbase : A8131AGA), publié : cassation de l’arrêt rendu par une cour d’appel qui a fait application d’une clause de résiliation anticipée sans « rechercher si les sommes dues à ce titre n’équivalaient pas, dans leur montant, à celles qui auraient été dues par le preneur en cas d’exécution normale du contrat » - Cass. civ. 3, 27 avril 1988, n° 84-13.101 (N° Lexbase : A8469AAW), publié : cassation de l’arrêt qui a refusé de prononcer la nullité du contrat de crédit-bail alors que « sous couvert d’une clause de résiliation anticipée à la demande du preneur, la stipulation dont il s’agit tend à l’exécution de toutes les clauses du contrat, supposé non résilié, dans le seul intérêt du crédit-bailleur ».

[43] Cass. civ. 3, 12 février 2003, n° 01-11.896, FS-D (N° Lexbase : A0080A74) - Cass. civ. 3, 27 juin 2001, n° 00-11.996 (N° Lexbase : A8103ATB), publié ; AJDI, 2002, 699, obs. F. Cohet-Cordet - Cass. civ. 3, 19 avril 2000, n° 98-20.223 (N° Lexbase : A3732AUR), publié - Cass. civ. 3, 5 mai 1999, n° 97-18.576 (N° Lexbase : A6414AGN) - Cass. civ. 3, 27 novembre 1996, n° 94-20.043, publié - Cass. civ. 3, 8 juin 1995, n° 93-15.973 (N° Lexbase : A4250AY3).

[44] Sur ces difficultés tenant à la comparaison entre l’indemnité de résiliation et les sommes dues en exécution du contrat : N. Cohen-Steiner, La clause de résiliation anticipée dans le contrat de crédit-bail immobilier, JCP N, 2001, p. 661.

[45] Il doit s’agir de « frais réels au-delà des dépenses [de formation] imposées par la loi ou la convention collective » : Cass. soc., 5 juin 2002, n° 00-44.327, F-P (N° Lexbase : A8603AYB), publié - Cass. soc., 21 mai 2002, n° 00-42.909 (N° Lexbase : A7162AYW), publié ; Dr. soc., 2002, p. 902, note J. Savatier - Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 94-43.195 (N° Lexbase : A6904AH8) - Cass. soc., 17 juillet 1991, n° 88-40.201 (N° Lexbase : A1503AAW), publié.

À défaut, une telle stipulation, notamment lorsqu’elle prévoit le remboursement par le salarié des frais de formation, aurait pour effet de faire supporter par le salarié le coût de la formation professionnelle que la loi ou la convention collective met à la charge de l’employeur.

[46] Sur cette clause, v. not. J.-P. Chauchard, La clause de dédit-formation ou le régime de liberté surveillée appliqué au salarié, Dr. soc., 1989, p. 388 - CERIT de Nancy, Clause de dédit formation, Bull. soc. Fr. Lefebvre 1990, p. 569 - F. Gaudu, Fidélité et rupture, Dr. soc. 1991, p. 419 - Y. Aubrée, Contrat de travail (clauses particulières), Rép. trav., Dalloz, 2017 (actu. 2018), spéc. nos 179 et s..

[47] Cass. soc., 5 juin 2002, préc. - Cass. soc., 21 mai 2002, préc. - Cass. soc., 19 novembre 1997, préc. - Cass. soc., 17 juillet 1991, préc. - Cass. soc., 23 novembre 1983, n° 81-41.607 (N° Lexbase : A1762ABU), publié.

[48] En ce sens, v. Cass. soc., 18 juin 1981, n° 78-40.939 (N° Lexbase : A9910AG7), publié - Cass. soc., 23 janvier 1985, n° 82-42.992 (N° Lexbase : A1505ABD), publié - Cass. soc., 21 juillet 1986, n° 83-43.880 (N° Lexbase : A5453AA9), publié.

[49] Cass. soc., 5 juin 2002, préc. - Cass. soc., 21 mai 2002, préc.

[50] Prononçant la nullité d’une telle clause : Cass. soc., 23 octobre 2013, n° 11-16.032, FS-P+B (N° Lexbase : A4723KNA), publié ; Dr. soc., 2014, p. 77, obs. F. Canut ; D., 2014, p. 302, chron. F. Ducloz ; JCP S, 2014, 1026, note L. Drai ; Gaz. Pal., 2014, n° 7, p. 28, note P. Le Cohu.

Cette limite provient de l’assimilation légale du temps de formation à un temps de travail effectif entraînant le maintien de la rémunération du salarié. Dès lors que ce dernier a suivi la formation, il ne peut pas être tenu de rembourser la rémunération qui en constitue la contrepartie.

[51] Dans le contrat de crédit-bail immobilier, la clause de résiliation anticipée est exigée à peine de nullité du contrat (C. mon. fin., art. L. 313-9 [LXB= L2971G9W]).

[52] Cass. soc., 18 juin 1981, n° 78-40.939 (N° Lexbase : A9910AG7), publié : licéité de la clause de dédit-formation qui, requalifiée en clause pénale, peut faire l’objet d’une réduction par le juge - Comp. adoptant ce raisonnement à propos d’une clause prévoyant le versement d’une indemnité en cas de licenciement du salarié : Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-23.106, FS-P+B (N° Lexbase : A3986MGQ), publié ; RTD civ., 2014, p. 644, note H. Barbier ; Dr. soc., 2014, p. 481, note J. Mouly ; ibid., p. 760, chron. S. Tournaux ; D., 2014, p. 1115, chron. P. Lokiec ; JCP S, 2014, 1215, note G. François : cassation de l’arrêt rendu par la cour d’appel qui a déclaré nulle cette stipulation en raison de l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre de l’employeur « sans préciser en quoi cette indemnité contractuelle, qu’elle avait le pouvoir de réduire, même d’office, si elle présentait un caractère manifestement excessif, était de nature à faire échec au droit de licenciement reconnu à l’employeur ». En précisant que les juges du fond avaient le pouvoir de réduire, même d’office, la pénalité prévue, la Cour de cassation en déduit que la clause pénale ne pourra jamais être d’une telle ampleur qu’elle prive l’employeur de son droit de licencier le salarié -  Comp. la jurisprudence relative à la clause résolutoire, insérée dans une vente avec constitution de rente viagère, qui autorise le vendeur à conserver les arrérages déjà perçus en cas de résolution aux tords de l’acquéreur : la validité d’une telle clause est admise à condition que le juge la requalifie et accepte, le cas échéant, de modérer la pénalité : Cass. civ. 3, 20 mai 2014, n° 13-16.534, F-D (N° Lexbase : A5097MMQ) - Cass. civ. 1, 2 octobre 2013, n° 10-11.841, F-D (N° Lexbase : A3259KMN) - Cass. civ. 2, 26 janvier 2011, n° 10-10.376, FS-P+B (N° Lexbase : A8571GQI), publié ; JCP G, 2011, doctr. 566, chron. P. Grosser ; JCP E, 2011, 1482, chron. J.-B. Seube ; CCC, 2011, comm. 87, note L. Leveneur ; RDC, 2011, p. 817, note Y.-M. Laithier ; RLDC, 2011, n° 81, p. 14, note A. Paulin.

[53] Cass. soc., 5 juin 2002, préc., et Cass. soc., 21 mai 2002, préc., qui, plutôt que de se retrancher derrière le pouvoir judiciaire de modération pour estimer que les clauses de dédit-formation sont licites quel que soit leur montant, exige, à titre de validité, que « le montant de l’indemnité de dédit soit proportionné aux frais de formation engagés et qu’elles n’[aient] pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner » - Comp., à propos d’une clause pénale testamentaire qui, en raison de son montant prive le droit de tout indivisaire de demander le partage : Cass. civ. 1, 13 avril 2016, n° 15-13.312, FS-P+B (N° Lexbase : A6917RIZ), publié ; AJ fam., 2016, p. 275, obs. J. Casey ; JCP G, 2016, 527, obs. M. Nicod ; Lexbase Privé, 2016, n° 656, note M. Jaoul ; RTD civ., 2016, p. 424, note M. Grimaldi ; Defrénois 2016, p. 683, note H. Leyrat (les juges réputent la clause non écrite au lieu d’en réduire la pénalité dont le montant excessif porte atteinte à un droit fondamental).

[54] C. consom., art. L. 212-1 (N° Lexbase : L3278K9B).

[55] C. com., art. L. 442-1, I, 2° (N° Lexbase : L0501LQM), mais la sanction est uniquement l’engagement de la responsabilité de l’auteur de la clause.

[56] Loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L0250LKH).

[57] L’article 1171 du Code civil (N° Lexbase : L1981LKL) limite la prohibition du déséquilibre significatif à « toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties ».

[58] V. not., Rapport remis au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations – M. Mekki, Réforme du contrat et des obligations : clauses abusives dans les contrats d’adhésion, JCP N, 2016, 1190.

[59] C. consom., art. R. 212-1, 8° (N° Lexbase : L0546K94).

[60] C. consom., art. R. 121-2, 2° (N° Lexbase : L2496I49).

[61] C. consom., art. R. 212-1, 11° (N° Lexbase : L0546K94).

[62] V. not., Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, R. Bout (préf.), coll. « Bibl. dr. privé », t. 337, LGDJ, 2000, nos 447 et s. - C.-M. Péglion-Zika, La notion de clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, L. Leveneur (dir.), th. dactyl. Paris II, 2013, spéc. nos 296 et s. - N. Sauphanor-Brouillaud, Clause abusives dans les contrats de consommation : critère de l’abus, CCC, 2008, étude 7 - X. Lagarde, Qu’est-ce qu’une clause abusive ? Etude pratique, JCP G, 2006, I, 110.

[63] H. Hadj-Aïssa, Contribution critique à l’étude du déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-1 du Code de commerce, X. Henry (dir.), th. dactyl. Université de Lorraine, 2019.

[64] Cass. com., 12 avril 2016, n° 13-27.712, F-D (N° Lexbase : A6963RIQ), CCC, 2016, comm. 142, note N. Mathey ; JCP E, 2016, 1474, note S. Le Gac Pech : pas de déséquilibre significatif créé par une clause de résiliation anticipée insérée dans un contrat de concession dès lors que la stipulation litigieuse « confère au concédant comme au concessionnaire le même droit de mettre fin au contrat et dans les mêmes conditions ».

[65] Rappr. : C. consom., art. R. 212-2, 3° (N° Lexbase : L0547K97) qui répute abusive, sauf pour le professionnel à rapporter la preuve contraire, la clause ayant pour objet ou pour effet d’« imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant manifestement disproportionné ».

[66] V. supra n° 15 - Adde : Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-11.387, F-P+B (N° Lexbase : A8361NII), publié ; RTD civ., 2015, 696, note H. Barbier ; CCC, 2015, comm. 229, note N. Mathey, jugeant que l’existence du pouvoir modérateur du juge ne fait pas obstacle à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce qui prohibe les clauses abusives entre certains professionnels.

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Covid-19

[Brèves] Publication de la loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire

Réf. : Loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire (N° Lexbase : L6437LXP) ; Cons. const., décision n° 2020-803 DC, du 9 juillet 2020 (N° Lexbase : A81023Q7)

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N4085BYX

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par Yann Le Foll

Le 15 Juillet 2020

La loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire (N° Lexbase : L6437LXP), a été publiée au Journal officiel du 10 juillet 2020 après avoir été validée par les Sages (Cons. const., décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020 N° Lexbase : A81023Q7).

Restrictions de circulation (jusqu'au 30 octobre 2020 inclus)

Concernant la possibilité donnée au Premier ministre par le 1° du paragraphe I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 de réglementer ou interdire sous certaines conditions la circulation des personnes et des véhicules ainsi que celle des moyens de transport collectif, les Sages ont relevé que l'interdiction de circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l'interdiction d'accès aux moyens de transport collectif de voyageurs, ne peut être édictée que dans les territoires où une circulation active du virus a été constatée. Le Conseil constitutionnel juge, en outre, que l'interdiction de circulation des personnes ne peut conduire à leur interdire de sortir de leur domicile ou de ses alentours. Enfin, l'ensemble des mesures susceptibles d'être prises en application des dispositions contestées s'appliquent sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé. Ils ont estimé que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a procédé à une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. 

Fermeture provisoire de certaines catégories d'ERP, de lieux de réunion et réglementation des manifestations (jusqu'au 30 octobre 2020 inclus)

S'agissant de la possibilité donnée au Premier ministre par le second alinéa du 2° du paragraphe I de l'article 1er d'ordonner la fermeture provisoire de certaines catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion et, par le 3° du même paragraphe I de la loi, de réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités se déroulant sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, le Conseil constitutionnel relève qu’elle est subordonnée au fait que les activités qui s'y déroulent, par leur nature même, ne permettent pas de garantir la mise en œuvre des mesures susceptibles de prévenir les risques de propagation du virus. Ces fermetures peuvent également être ordonnées lorsque les établissements en cause sont situés dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus.

Dans l'un comme dans l'autre cas, l'objet de telles fermetures provisoires ne peut être que de remédier au risque accru de contamination que présente la fréquentation publique de ces lieux. Ces mesures répondent donc à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. D'autre part, la mesure de fermeture provisoire ne s'applique qu'aux lieux ou établissements accessibles au public. Elle ne concerne pas les locaux d'habitation ni les parties de tels établissements qui n'ont pas vocation à accueillir du public. En outre, elle est également soumise aux mêmes conditions et garanties que celles applicables à la réglementation ou l'interdiction de la circulation des personnes et des véhicules.

Quant à la réglementation des rassemblements, activités ou réunions rendus possible par les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel juge qu'elle vise à déterminer les conditions dans lesquelles ils doivent se tenir pour limiter la propagation de l'épidémie.

Limitation temporelle et géographique.

Les mesures précitées sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l'objet d'une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent. En outre, elles peuvent faire l'objet d'un référé-suspension ou d'un référé-liberté devant le juge administratif.

Situation particulière de territoires ultramarins

L'état d'urgence sanitaire est prorogé jusqu'au 30 octobre 2020 inclus sur les seuls territoires de la Guyane et de Mayotte. Les personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance de ces territoires pourront se voir imposer de présenter le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par le covid-19.

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Covid-19

[Focus] Surcoûts et manque à gagner dans les contrats de la commande publique : Quelle prise en charge ?

Lecture: 15 min

N4095BYC

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par Sophie Pignon, Avocat associée et Stephane Braconnier, consultant Droit public & Projet, cabinet Taylor Wessing

Le 15 Juillet 2020

 

Mots clés : covid-19 • commande publique • fait du prince • imprévision

La crise sanitaire liée au Covid-19 a entraîné un bouleversement total des conditions d'exécution des contrats de la commande publique. Plusieurs options s'offrent aux co-contractants des personnes publiques pour voir allégées les conséquences des surcoûts induits par le confinement : invocation de la théorie dite du « fait du Prince » ; de la théorie de l’imprévision ; de la possibilité offerte par les textes de la modification des contrats en cours.

 

En raison de la crise sanitaire liée au Covid-19 et consécutivement aux mesures de confinement décidées par le Gouvernement le 16 mars 2020, de très nombreux opérateurs économiques parties à des contrats de la commande publique ont subi une dégradation majeure et souvent inédite des conditions d’exécution de ces derniers : contrats suspendus ou interrompus, notamment dans le secteur de la construction, diminution drastique du volume des prestations à réaliser ou du nombre des usagers (parkings publics, restauration collective, transports), interruption du service (piscines, remontées mécaniques par exemple). Cette situation inédite a provoqué, sur les contrats de la commande publique, une puissante onde de choc à laquelle le droit tente d’apporter des réponses.

La première série de réponses est venue de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB) qui, pour les marchés publics (art. 6-1° à 4°) et les concessions (art. 6-5° et 6°), prévoit des mécanismes d’aménagement des délais d’exécution, d’annulation des pénalités, de suspension des paiements au concédant ou d’aménagement du versement des sommes dues au concessionnaire. Cette ordonnance a permis de régler financièrement certaines conséquences de la période de confinement, mais elle se révèle impuissante à couvrir les surcoûts générés, en aval, par la sortie de la période d’urgence sanitaire. En d’autres termes, l’ordonnance du 25 mars 2020 contient des mécanismes d’amortissement des effets directs de la période d’urgence sanitaire. Elle ne comporte pas de mécanismes dédiés à la prise en charge, plus générale, des surcoûts et manques à gagner générés par la crise dans son ensemble (à l’exception des concessions qui sont explicitement mentionnés).  Il est à noter que le pouvoir réglementaire s’est saisi de cette question par la publication d’une la circulaire n° 6177/SG  du 9 juin 2020, sur la prise en charge des surcoûts liés à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de la reprise des chantiers de bâtiment et de travaux publics (N° Lexbase : N3776BYI). Toutefois, cette circulaire n’apporte aucune réponse satisfaisante. Tout au plus permet-elle de rappeler aux pouvoirs publics la nécessité d’un avenant ou d’un protocole transactionnel pour gérer contractuellement les modifications du délai contractuel et de prise en charge des surcoûts.

Dans ce contexte, plusieurs voies sont donc susceptibles d’être empruntées pour tenter de sécuriser l’indemnisation, par les pouvoirs publics co-contractants, des surcoûts et manques à gagner générés par cette crise sanitaire qui, compte tenu de sa nature et de son ampleur exceptionnelles, soulève des questions inédites. La principale d’entre elles est de savoir quels mécanismes actionner pour couvrir ces surcoûts et pertes générés par la crise.

1. Une première voie consiste à analyser ces conditions nouvelles d’exécution des contrats de la commande publique comme une modification unilatérale des contrats à l’initiative des personnes publiques et/ou comme la manifestation de la théorie dite du « fait du Prince ».

Cette voie privilégie l’idée selon laquelle la crise sanitaire a conduit la puissance publique (c’est-à-dire l’Etat et, par ricochet, ses établissements publics, les collectivités territoriales locales et les EPCI) à adopter des mesures qui ont provoqué une modification des conditions d’exécution des contrats (théorie du fait du Prince), ou une modification unilatérale des contrats pour motif d’intérêt général (CCP, art. L. 6 4° N° Lexbase : L4463LRQ : « L'autorité contractante peut modifier unilatéralement le contrat […], sans en bouleverser l'équilibre. Le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat »).

Ces deux options nous paraissent toutefois délicates à mettre en œuvre, d’abord parce que, dans la théorie du fait du Prince, l’aggravation des charges pesant sur le cocontractant de l’administration doit résulter d’une décision, non contractuelle, de l’autorité publique qui a passé le contrat (CE, 20 octobre 1971, n° 79315 N° Lexbase : A3880B89, Rec. CE, p. 624 ; CE, 29 novembre 1997, n° 146753 N° Lexbase : A5475ASL), notamment de l’exercice, par l’Administration, de ses pouvoirs de police ou de son pouvoir réglementaire (CE, Ass., 2 mai 1958, n° 32401 N° Lexbase : A9976Y4A, Rec. CE, p. 236). Or, si les mesures de confinement et toutes les décisions qui ont découlé de la crise sanitaire sont à l’évidence extérieures aux contrats de la commande publique impactés, elles doivent, en revanche, être considérées comme émanant de l’Etat seul. Conséquemment, la théorie du fait du Prince pourrait être plus difficilement actionnée à l’encontre des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. En conséquence, si la théorie du fait du Prince pourrait sans doute être invoquée dans les contrats auxquels l’Etat et ses établissements publics sont parties, il serait plus difficile de le faire dans ceux auxquels sont parties des collectivités locales ou établissements publics locaux.

Ensuite, l’invocation d’une modification unilatérale des marchés publics ou concessions sur le fondement de l’article L. 6 4° du Code de la commande publique peut s’avérer fragile. Certes, le fait que les mesures d’où procède cette modification soient de nature quasi-réglementaire et affectent toute une série de contrats ne forme pas un obstacle au droit à indemnisation des cocontractants lésés (CE, 2 février 1983, n° 32407 N° Lexbase : A4431AQ8, Rec. CE, p. 33 ; CE, 12 mars 1999, n° 176694 N° Lexbase : A4868AXL, Rec. CE, p. 62). Cependant, le pouvoir de modification unilatérale du contrat ne peut pas être mis en œuvre, et donc produire des effets juridiques, s’il aboutit à un bouleversement de l’équilibre du contrat (V° art. L. 6 4° précité). Or, dans le cas des contrats de la commande publique affectés par la crise sanitaire, il est vraisemblable que, compte tenu de l’ampleur des mesures à prendre pour couvrir les surcoûts et le manque à gagner, la plupart d’entre eux verront leur économie bouleversée. Il est donc difficile de fonder une demande d’indemnisation sur un support juridique (art. L. 6 4° précité), dont la « surface » est, d’emblée, insuffisante pour absorber la totalité du préjudice subi.

Compte tenu de ces limites, peut être privilégiée une approche dans laquelle sont prises en compte les circonstances imprévisibles qui s’imposent aux parties, leur sont extérieures et viennent modifier, sinon bouleverser, l’équilibre économique du contrat, en rendant ce dernier excessivement plus onéreux que ce qui était convenu au départ (augmentation des charges) ou en diminuant sensiblement les recettes d’exploitation.

2. La théorie de l’imprévision, aujourd’hui codifiée à l’article L. 6 3° du Code de la commande publique (« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l'exécution, a droit à une indemnité »), est reprise sous une forme sensiblement différente en droit civil (C. civ., art. 1195 N° Lexbase : L0909KZP : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation »). Elle n’est mise en œuvre que de manière très exceptionnelle par le juge administratif. Elle est, en effet, insérée dans des conditions qui rendent son application positive très aléatoire (voir en dernier lieu, pour une décision de rejet en raison du non-respect de la condition d’extériorité : CE, 21 octobre 2019, n° 419155 N° Lexbase : A9739ZR7).

Fondée à titre principal (voir ci-dessous) sur la continuité du service public, la théorie s’applique de manière privilégiée aux concessions de service public, dans lesquelles la rémunération du cocontractant est très étroitement dépendante du contexte économique dans lequel le contrat s’exécute, le plus souvent sur une durée assez longue. Elle est, à l’inverse, plus difficile à mettre en œuvre dans le champ des marchés publics, qui entretiennent un lien plus distant avec la continuité du service public. L’application de la théorie demeure toutefois possible dans le champ des marchés publics (voir notamment la circulaire du Premier ministre et du ministre de l'Economie et des Finances du 20 novembre 1974, relative à l'indemnisation des titulaires de marchés publics en cas d'accroissement imprévisible de leurs charges économiques - application de la théorie de l'imprévision -), sous réserve, naturellement, que les conditions posées aujourd’hui par l’article L. 6 3° du Code de la commande publique puissent être remplies : évènement imprévisible, extérieur aux parties et bouleversement de l’économie du contrat.

S’agissant de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, et compte tenu du caractère exceptionnel de cette crise, les deux premières conditions (imprévisibilité et extériorité) pourront être considérées comme remplies. C’est bien la crise sanitaire, imprévisible et extérieure aux parties, qui a d’abord conduit à une suspension ou quasi-interruption de l’exécution des contrats de la commande publique et va, ensuite, affecter profondément l’exécution de ces derniers en sortie de confinement. En dépit du fait que les obligations de confinement ont été prescrites par l’Etat, elles trouvent bien leur origine dans un évènement (la crise sanitaire) extérieur aux deux parties (CE, 20 octobre 1971, n° 79315, précité).

En revanche, le « test » du bouleversement de l’économie du contrat peut se révéler, par nature, plus difficile à remplir. La théorie de l’imprévision ne vise pas, en effet, à compenser le simple renchérissement du coût de l’exécution d’un contrat public, mais suppose un véritable et grave déficit d’exploitation (CE, 5 novembre 1921, Compagnie pour l’éclairage des villes : Rec. CE, p. 1001) dépassant toutes les prévisions initiales. Or, la jurisprudence administrative demeure sur ce point très exigeante (CE, 14 juin 2000, n° 184722 N° Lexbase : A9265AGA), même si cette dernière pourrait, à terme, subir l’influence de l’article 1195 du Code civil qui, en visant le caractère « excessivement onéreux » de la poursuite du contrat, apparaît moins contraignant.

Mais au-delà du « test » du bouleversement de l’économie du contrat, il faut relever que l’indemnité d’imprévision suppose que la situation d’imprévision soit temporaire, puisque si l’évènement n’est pas temporaire, l’imprévision devient de la force majeure justifiant, par exemple, la résiliation du contrat (CE, Ass., 9 décembre 1932, n° 89655 N° Lexbase : A6802B73, Rec. CE, p. 1050). Cette condition figure expressément à l’article L. 6 4° du Code de la commande publique. Or, dans le cas des contrats de la commande publique affectés par la crise sanitaire, la dégradation des conditions d’exécution qui a prévalu en phase de confinement va sans doute perdurer pendant toute la durée des restant à courir. Cela est vrai, à l’évidence, des marchés publics de travaux, qui vont devoir, jusqu’à leur terme, appliquer des mesures de protection sanitaires coûteuses. Mais cela est vrai, également, de beaucoup de concessions, qui ne pourront, d’ici le terme du contrat, rétablir un équilibre satisfaisant. En conséquence, dès lors qu’il ne s’agira pas, dans la plupart des cas, de régler les conséquences financières d’une situation temporaire, mais de sécuriser les surcoûts afférant à des conditions d’exécution dégradées et définitives au regard de chacun des contrats, la théorie de l’imprévision risque de s’avérer inadaptée.

3. C’est la raison pour laquelle la voie des articles L. 2194-1 3° (N° Lexbase : L4685LRX) et R. 2194-5 (N° Lexbase : L4268LRI) du Code de la commande publique pour les marchés publics et L. 3135-1 3° (N° Lexbase : L7143LQM) et R. 3135-5 (N° Lexbase : L4401LRG) du même code pour les concessions, paraît pouvoir être privilégiée, afin d’obtenir une modification des contrats en cours, tenant compte des conditions dégradées dans lesquelles ils sont censés poursuivre leur exécution.

Le Code de la commande publique autorise ainsi la modification du contrat en cours d’exécution lorsque « les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues » (CCP, art. L. 2194-1, 3° et L. 3135-1-3°). Il doit s’agir de « circonstances qu’un [acheteur ou une autorité concédante] diligent ne pouvait pas prévoir » (CCP, art. R. 2194-5 et R. 3135-5).

Il ne définit pas quelles sont les circonstances qui peuvent ou ne peuvent pas être prévues par un acheteur ou une autorité concédante diligent, ni ce qu’est un acheteur diligent ou une autorité concédante diligente. Il est certain, toutefois, que « circonstances » visées par ces articles sont plus larges que les seules « sujétions techniques » visées par l’ancien article 20 du Code des marchés publics qui, conformément à une jurisprudence constante, ne pouvaient être que des « difficultés matérielles rencontrées lors de l’exécution d’un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisible lors de la conclusion et dont la cause est extérieure aux parties » (CE, 30 juillet 2003, n° 223445 N° Lexbase : A2385C99 ; CE, 27 septembre 2006, n° 269925 N° Lexbase : A3341DR8). Ainsi, les « circonstances imprévues » envisagées par les articles R. 2194-5 et R. 3135-5 peuvent sans doute être rapprochées des hypothèses admises en jurisprudence dans le cadre de la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision et intégrer les conséquences nées de la pandémie de Covid-19.

Toutefois, le contrat peut être modifié sur le fondement des articles précités, indépendamment de tout « bouleversement » de son économie et cette modification peut aboutir à une couverture intégrale du surcoût supporté par le cocontractant de l’administration. Le test du « bouleversement » est donc inutile et la couverture des surcoûts peut être plus large que dans la théorie de l’imprévision.

 

Les articles R. 2194-5 et R. 3135-5 renvoient néanmoins aux articles R. 2194-3 (N° Lexbase : L3557LR8) et R. 2194-4 (N° Lexbase : L3830LRB), d’une part, R. 3135-3 (N° Lexbase : L3652LRP) et R. 3135-4 (N° Lexbase : L3651LRN) d’autre part, ce qui signifie, d’abord que si l’acheteur ou l’autorité concédante est un pouvoir adjudicateur, les modifications ne peuvent pas conduire à une augmentation du prix supérieure à 50 % de la valeur du marché public ou de la concession initial ; ensuite que « lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s'applique au montant de chaque modification » et « les modifications successives ne peuvent avoir pour effet de contourner les obligations de publicité et de mise en concurrence » (CCP, art. R. 2194-3, al. 2, et R. 3135-3). De plus, l’acheteur doit tenir compte de la mise en œuvre de la clause de variation des prix pour le calcul du montant de la modification (CCP, art. R. 2194-4). Une règle similaire existe pour les concessions (CCP, art. R. 3135-4) : « Pour le calcul du montant de la modification mentionnée à l'article R. 3135-2, le montant actualisé du contrat de concession initial est le montant de référence lorsque le contrat de concession comporte une clause d'indexation. Dans le cas contraire, le montant actualisé du contrat de concession initial est calculé en tenant compte de l'inflation moyenne ». Enfin, la publication d’un avis de modification s’impose lorsque le marché ou la concession qui a été modifié pour intégrer les modifications rendues nécessaires par les évènements imprévisibles est un contrat qui a été passé selon une procédure formalisée (CCP, art. R. 2194-10 N° Lexbase : L2724LRC et R. 3135-10 N° Lexbase : L4583LR8).

En l’absence de dispositions législatives imposant la prolongation automatique des concessions ou encore la diminution du volume d’investissements initialement mis à la charge du concessionnaire, la question de la couverture des pertes de recettes et de la prise en charge des surcoûts imposera aux parties aux contrats de la commande publique de s’entendre. La conclusion d’avenants, fondée sur l’imprévisibilité des circonstances nées de la pandémie, forme, dans ce contexte, la voie la plus sûre permettant d’optimiser la consolidation économique de ces contrats souvent complexes. C’est d’ailleurs la voie indiquée à l’article 6-5° de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 en cas de suspension d'une concession par décision du concédant ou en raison d'une mesure de police administrative. Ainsi à l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat « apparues nécessaires ».

Il est à noter que le champ d’application de l’ensemble de ces théories ne sont applicables qu’aux contrats administratifs et qu’aux relations entre les cocontractants et les pouvoirs publics dans ce cadre. En d’autres termes, les opérations liées à la valorisation commerciale et/ou immobilière ne peuvent bénéficier de la prise en charge de leurs surcoûts ou de leurs pertes d’exploitation dans le cadre des relations contractuelles liées à ces contrats administratifs. Il y a dans le cadre de ces montages complexes associant contrats de la commande publique et valorisation commerciale/immobilière une indépendance contractuelle., qui ne permet pas la prise en charge des pertes d’exploitation par les pouvoirs publics.

Toutefois, ces possibilités ouvertes par le droit de la commande publique ne sauraient être les seules voies que peuvent explorer les co-contractants des personnes publiques. Les récents débats sur la prise en charge des pertes d’exploitation dans le cadre des contrats d’assurance témoignent des actions qui peuvent être entreprises.

newsid:474095

Droits fondamentaux

[Brèves] Conditions indignes de détention : nouvel obstacle au maintien de la mesure d’emprisonnement

Réf. : Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A71573Q7)

Lecture: 5 min

N4075BYL

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par Adélaïde Léon

Le 16 Juillet 2020

► Chargé de l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), le juge national doit tenir compte de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) condamnant la France pour défaut de recours préventif et effective permettant de mettre fin à des conditions de détention indignes, sans attendre d’éventuelles réformes législatives ou réglementaires ;

Le juge judiciaire, en sa qualité de gardien des libertés individuelles, doit veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes ; il doit à ce titre offrir aux personnes détenues dans des conditions indignes au mépris de l’article 3 de la Convention un recours préventif et effectif permettant de mettre fin à cette violation ;

Pour constituer un commencement de preuve permettant, au ministère public ou à défaut à la chambre de l’instruction, de vérifier la réalité des conditions de détention, la description du demandeur de ses conditions personnelles de détention doit être suffisamment crédible, précise et actuelle ; la constatation de l’atteinte alléguée doit conduire le juge à ordonner la mise en liberté de la personne.

Résumé des faits. Un homme a été mis en examen des chefs de meurtre commis en bande organisée, tentative de meurtre commis en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. Il a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD). Il a par la suite présenté une demande de mise en liberté rejetée par le JLD. L’intéressé a interjeté appel de cette ordonnance.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance et rejeté la demande de mise en liberté.

Moyen du pourvoi. L’intéressé fait grief à l’arrêt d’avoir confirmé l’ordonnance rejetant sa demande de mise en liberté et soutient également l’inconstitutionnalité des articles 137-3 (N° Lexbase : L7465LP8), 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) et 144-1 (N° Lexbase : L2984IZK) du Code de procédure pénale lesquels ne prévoiraient pas de recours effectif permettant au juge d’instruction ou au JLD de mettre un terme au caractère inhumain et dégradant des conditions de détention.

Décision. La Cour rejette le pourvoi en s’appuyant sur la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 30 janvier 2020 (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, JMB et autres c/ France N° Lexbase : A83763C9) et, par arrêt distinct, renvoi au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale (Note explicative, titre 3).

Défaut de recours préventif et effectif s’agissant des conditions de détention. La Chambre criminelle rappelle que le 30 janvier 2020, la CEDH a condamné la France au visa des articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la CESDH réprimant respectivement les traitements inhumaines ou dégradant et l’absence de recours effectif (Note explicative, titre 1).

Office du juge judiciaire. Si ces recommandations émises à cette occasion s’adressaient avant tout au Parlement et au Gouvernement, la Chambre criminelle affirme que le juge national demeure tenu d’appliquer la Convention et, dans ce cadre, de tenir compte des décisions de la Cour sans attendre l’adoption de réformes réglementaires ou législatives (Note explicative, titre 4).

À ce titre, il doit offrir aux personnes détenues dans des conditions indignes au mépris de l’article 3 de la CESDH un recours préventif et effectif permettant de mettre fin à cette violation. La Haute juridiction rappelle, par ailleurs, qu’en sa qualité de gardien des libertés individuelles, le juge judiciaire doit veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et exemptes de caractère inhumain ou dégradant.

La Chambre criminelle précise enfin que, pour constituer un commencement de preuve, la description faite par un demandeur de ses conditions personnelles de détention doit être suffisamment crédible, précise et actuelle (Note explicative, titre 5). Il appartient alors à la chambre de l’instruction, lorsque le ministère public n’a pas lui-même fait vérifier ces allégations, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité. Si une atteinte devait être constatée, la mise en liberté doit être ordonnée, accompagnée, si nécessaire, du prononcé d’une mesure d’assignation à résidence, de surveillance électronique ou de contrôle judiciaire.

En l’espèce, la Chambre criminelle rejette spécifiquement le pourvoi formé par le détenu au motif que celui-ci s’est borné à décrire, dans sa demande de mise en liberté, les conditions générales de détention au sein de la maison d’arrêt sans apporter de précision sur sa situation personnelle (Note explicative, titre 6).

Contexte. Jusqu’à présent, la jurisprudence de la Cour de cassation (Note explicative, titre 2) consistait à affirmer que l’éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions dans lesquelles elle est détenue ne faisait pas obstacle au placement et au maintien en détention provisoire de l’intéressé (Cass. crim., 18 septembre 2019, n° 19-83.950, FS-P+B+I N° Lexbase : A6987ZN4). Ce n’était qu’en cas d’éléments propres à la personne concernée et attestant que son état de santé physique ou mentale était incompatible avec la détention et s’il n’existait pas de risque grave de renouvellement de l’infraction que sa mise en liberté pouvait être ordonnée. Désormais la constatation de conditions indignes de détentions peut constituer un obstacle au maintien de cette mesure.

Pour aller plus loin :

Y. Carpentier, Mise en demeure de la CEDH à propos du surpeuplement carcéral en France, Lexbase Pénal, mars 2020 (N° Lexbase : N2631BY4). 

C. Carbonaro, Détention provisoire et contrôle judiciaire (juin 2019 à juin 2020), § 13, Lexbase Pénal, juillet 2020 (N° Lexbase : N4100BYI).

 

newsid:474075

Filiation

[Brèves] Action en recherche de paternité : l'absence de décision irrévocable sur la recevabilité de l’action peut-elle constituer un motif légitime de ne pas se soumettre à une expertise biologique ?

Réf. : Cass. civ. 1, 8 juillet 2020, n° 18-20.961, F-P+B (N° Lexbase : A12383RB)

Lecture: 5 min

N4133BYQ

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 16 Juillet 2020

► L'absence de décision irrévocable sur la recevabilité d'une action en recherche de paternité ne peut constituer un motif légitime, même au regard du droit au procès équitable, pour refuser de se soumettre à une expertise biologique ordonnée à l'occasion de cette action par le tribunal, s’agissant d’une mesure qui, destinée à lever les incertitudes d’un enfant sur ses origines, doit être exécutée avec célérité.

En l’espèce, par acte du 22 juin 2011, la mère d’un enfant né en 2003, sans filiation paternelle déclarée, agissant en qualité de représentante légale du mineur, avait assigné le requérant en recherche de paternité.

Recevabilité de l’action/forclusion (non). Ce dernier faisait tout d’abord grief à un arrêt rendu le 24 octobre 2014 de déclarer recevable l'action en recherche de paternité. Il faisait valoir que la mère avait attendu le 22 juin 2011, soit plus de huit ans après la naissance de son fils, le 21 mars 2003, pour agir en recherche de paternité contre lui, sur le fondement de l'article 328 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L3419IQP) ; or, selon lui, en affirmant que la forclusion tirée de la loi ancienne n'était pas opposable à cette action, peu important que l'article 20-IV ne vise pas l'article 328 du Code civil, la cour d'appel avait violé les articles 20-IV de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 (N° Lexbase : L8392G9P), 328 nouveau du Code civil et 340-4 ancien du même code (N° Lexbase : L2833ABK).

Il n’obtiendra pas gain de cause devant la Haute juridiction qui vient ici préciser qu’il résulte des articles 327 (N° Lexbase : L8829G9U) et 328 (N° Lexbase : L3419IQP) du Code civil, d'une part, que l'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant, d'autre part, que pendant la minorité de celui-ci, le parent à l'égard duquel la filiation est établie a seul qualité pour exercer l'action en recherche de paternité. Il en résulte que l'article 20, IV, de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, qui prévoit, au titre des dispositions transitoires, que l'action prévue par l'article 327 du Code civil peut être exercée sans que puisse être opposée la forclusion de deux ans tirée de la loi ancienne, dès lors qu'à la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance, le 1er juillet 2006, la prescription de dix ans prévue par l'article 321 du même code (N° Lexbase : L8823G9N) n'est pas acquise, s'applique lorsque l'action est exercée par le représentant légal de l'enfant mineur sur le fondement de l'article 328 du Code civil.

Après avoir énoncé à bon droit que l'article 20, IV, de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 est applicable à toutes les actions en recherche de paternité intentées postérieurement au 1er juillet 2006, qu'elles soient exercées par la mère pendant la minorité de l'enfant ou par l'enfant lui-même devenu majeur et relevé que l'action en recherche de paternité avait été engagée par la mère de l'enfant, en qualité de représentante légale de ce dernier, postérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions et dans le délai de dix ans requis par l’article 321 du Code civil, la cour d'appel en avait exactement déduit que celle-ci était recevable.

Expertise biologique/motif légitime de ne pas y procéder (non). Il faisait ensuite grief à l’arrêt du 8 juin 2018 de l’avoir déclaré père l’enfant, soutenant que constituait un motif légitime de refuser de se soumettre à l’expertise biologique judiciairement ordonnée, la circonstance que la question de la recevabilité de l’action intentée contre soi n’avait pas été définitivement tranchée.

L’argument est écarté par la Cour suprême qui, après avoir en effet rappelé que, selon l'article 310-3 du code civil, l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder, énonce clairement que l'absence de décision irrévocable sur la recevabilité d'une action en recherche de paternité ne peut constituer un motif légitime, même au regard du droit au procès équitable, pour refuser de se soumettre à une expertise biologique ordonnée à l'occasion de cette action par le tribunal, s’agissant d’une mesure qui, destinée à lever les incertitudes d’un enfant sur ses origines, doit être exécutée avec célérité.

Elle approuve alors les conseillers d’appel qui, après avoir, par motifs propres et adoptés, retenu que l'action était recevable et relevé que le requérant avait volontairement mis en échec l'expertise génétique ordonnée par le tribunal en faisant le choix de ne pas déférer aux convocations qui lui avaient été adressées, en vertu de la décision ordonnant l’expertise, laquelle était exécutoire, avaient décidé, à bon droit, que ce dernier ne disposait d'aucun motif légitime pour s'opposer à la réalisation de l'expertise génétique et qu'il se déduisait de son refus de s'y soumettre un indice supplémentaire de sa paternité.

Pour aller plus loin : cf. l’Ouvrage « La filiation », L'examen sanguin et l'expertise génétique aux fins d'établissement de la filiation naturelle (N° Lexbase : E4353EYU).

newsid:474133

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Des carences dans l’organisation d’une société peuvent caractériser un acte anormal de gestion

Réf. : CAA Bordeaux, 18 juin 2020, n° 18BX01037, 18BX01038 (N° Lexbase : A09683PK)

Lecture: 4 min

N4109BYT

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par Marie-Claire Sgarra

Le 15 Juillet 2020

En cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. Il en va ainsi, en particulier, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers ;

En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.

Rappel des faits : en l’espèce, une société, exerçant l'activité de transport routier de produits alimentaires liquides, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service vérificateur a, notamment, réintégré aux résultats soumis à l'impôt sur les sociétés des charges initialement déduites correspondant à des achats fictifs, et rectifié, à hauteur des rehaussements apportés aux résultats imposables, la valeur ajoutée retenue pour la liquidation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des mêmes années. De même, le vérificateur a remis en cause le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces achats fictifs, et notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Le tribunal administratif de Bordeaux rejette la demande de la société tendant à la décharge des suppléments d’impôt mis à sa charge.

Prinicipe : le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. C'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise que l'administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale, sans qu'il y ait lieu pour elle, dans ce cadre, de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion faits par l'entreprise et notamment sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats (CGI, arts. 38 N° Lexbase : L6167LUX et 39 N° Lexbase : L7516LWB).

Les détournements de fonds commis au détriment d’une société sont, par principe, des charges déductibles des résultats de la société (CE 9° et 10° ch.-r., 12 avril 2019, n° 410042, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2804Y9Q). Le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de préciser la notion de détournements commis à l'insu des dirigeants qui vise les situations dans lesquelles ces derniers n'ont pas eu effectivement connaissance des détournements ou n'ont pas concouru, par leur comportement délibéré ou par leur carence manifeste dans l'organisation de l'entreprise, notamment dans le domaine du contrôle interne, à de tels détournements (CE 8° et 3° ch.-r., 5 octobre 2007, n° 292049, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6690DYG).

Pour la cour administrative d’appel de Bordeaux, « eu égard aux anomalies ainsi relevées, ainsi qu’à l’importance et à la répétition des détournements sur une durée de près de six années […], c’est à bon droit que le service vérificateur a considéré qu’ils révélaient une carence manifeste dans l’organisation de la société et dans la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraire à l’intérêt de la société ».

Cf. le BOFiP annoté (N° Lexbase : X8799ALH).

Pour aller plus loin :

À lire, E. Leclerc, L'acte anormalement risqué : oraison funèbre d'un "Lazare juridique", Lexbase Fiscal, novembre 2016, n° 676 (N° Lexbase : N5226BWH)

F. Laffaille, Acte anormal de gestion et théorie du risque excessif. De l'intérêt de l'entreprise, Lexbase Fiscal, septembre 2016, n° (N° Lexbase : N4096BWM).

 

newsid:474109

Fiscalité internationale

[Focus] La réforme fiscale japonaise

Lecture: 16 min

N4088BY3

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par Marc Bister et Clément Riccio, Étudiants en Master 2 Droit fiscal - Fiscalité appliquée à l'Université Paris-Est Créteil, sous la direction scientifique de Alexandre Maitrot de La Motte, Professeur à la Faculté de droit de l’Université Paris-Est Créteil, Directeur du Master Droit Fiscal, spécialité fiscalité appliquée

Le 17 Juillet 2020

En date du 20 décembre 2019, le gouvernement japonais a adopté une « règle générale » (令和二年度税制改正大綱, Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō) concernant la réforme de la fiscalité.

Partie intégrante des « Abenomics », dénomination laconique de la politique économique prônée par le Premier Ministre Shinzo Abe [1], la fiscalité joue donc son rôle pour parvenir aux ambitions portées par la troisième économie mondiale.

Mais au-delà de ce pur aspect politique interne, propre à cet État, la réforme demeure tout de même très marquée par la tendance globale en matière de fiscalité internationale. L’analyse des différents éléments portés par la réforme fait ressortir le marqueur de l’OCDE ainsi que la volonté globale de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Les composantes de ladite règle se sont retrouvées pour partie, à l’heure actuelle, dans différents textes législatifs : par exemple, la loi réformant partiellement la loi sur l’impôt sur le revenu [2], ou encore la loi portant réforme partielle de la loi sur le tarif douanier [3]. L’adoption de ces dernières repose alors sur un système semblable à celui de la Vème République française, notamment en ce que l’exercice du pouvoir législatif appartient à un parlement bicaméral. Dès lors, « la Diète » (国会, Kokkai), composée de la chambre des représentants (衆議院, Shūgi-in - chambre basse) et de la chambre des conseillers (参議院, Sangi-in - chambre haute), vote les lois de finances, les budgets, et ratifie les conventions fiscales signées par le Japon, après examen des textes en question par chacune des chambres.

C’est donc en date du 27 mars 2020 que les différentes modifications précitées ont été adoptées. Le choix de la date n’est pas un hasard puisque l’année fiscale commence au 1er avril au Japon. Certaines mesures de la « règle générale » portent notamment sur la fiscalité internationale, domaine propice à la fraude et l’évasion fiscales. Néanmoins, elles ne figurent à l’heure actuelle dans aucun texte législatif.

Ces principes directeurs sont au nombre de cinq et sont les suivants :

I - La réforme de la moins-value générée en cas de cession d’actions d’une filiale après distribution de dividendes

Le droit fiscal japonais demeure assez similaire au régime français au sujet des remontées de dividendes en provenance de filiales. En effet, l’article 23-2 de la loi sur l’impôt sur les sociétés (法人税法, Hōjin zeihō) prévoit une exonération d’impôt pour les distributions sous réserve de réintégration d’une quote-part pour frais et charges. Ce taux est fixé à 5 % en vertu de l’article 22-4 de l’ordonnance d’application de la loi sur l’impôt sur les sociétés (法人税法施行令, Hōjin zeihō sekōrei). D’où la quasi-similitude si l’on met ce système en perspective avec le régime mère fille découlant des articles 145 (N° Lexbase : L6168LUY) et 216 (N° Lexbase : L9037LNZ) du Code général des impôts. Seule subsiste, une première différence relative au contribuable en ce que ce régime concerne uniquement les filiales étrangères. Les sociétés nationales peuvent profiter d’une exonération allant jusqu’à la totalité du montant des distributions reçues, en fonction du taux de participation dans la filiale [4] : 100 % des distributions reçues par une filiale détenue à plus d’un tiers [5], 50 % des distributions perçues par la mère dont la filiale est détenue entre 5 % et un tiers [6], et pour finir 20 % du montant distribué pour les filiales dont la mère a une participation inférieure à 5 % [7].

L’autre différence étant celle du taux de participation dans la filiale étrangère. Afin de bénéficier de ce régime favorable il faut remplir une condition : le taux de détention, par la société mère, des actions émises par sa filiale, ou encore la fraction du capital apporté par la mère à sa filiale, doit représenter au moins 25 % de l’ensemble des actions, des droits de vote, ou du capital social de la filiale en question [8]. En outre, cette situation doit être caractérisée six mois avant la date de l’assemblée générale décidant la distribution. Sur ce point le régime apparaît moins souple que celui prévu par le droit français [9]

Hormis ces points de divergence, s’il reste un constat commun à ces deux systèmes, c’est qu’ils n’échappent pas aux tentatives de fraude et d’abus. En effet, ce régime a donné lieu à des dérives lors de la cession des actions de la part de la société mère. La démarche consistait, de la part de la société mère, à provoquer une moins-value lors de la cession d’actions de sa filiale. Pour ce faire, la société mère procédait, dans un premier temps, à la distribution de dividendes. De ce fait, la valeur boursière de la filiale étant alors diminuée, la société mère pouvait ensuite vendre les actions à un prix inférieur au prix d’acquisition des titres.

Il s’agit là d’une forme de « coquillard », constitutif d’un abus de droit par fraude à la loi [10], comme il a pu en exister en droit fiscal français [11]. Si l’on compare le « coquillard français » au « coquillard japonais », il s’agit, économiquement, du même procédé qui consiste à faire remonter des liquidités exonérées tout en permettant, dans le même temps, une déduction du restant de la base fiscale effectivement imposable. La seule différence ici tient du moyen juridique employé. Dans le cadre japonais, l’avantage fiscal est obtenu par le moyen de la moins-value qui est imputable sur le résultat d’ensemble. Ce qui n’est pas le cas en France puisque le montage se réalisait au moyen d’une provision pour dépréciation de la valeur des titres de participation [12]. Notamment du fait qu’une moins-value à long-terme ne peut s’imputer que sur une autre plus-value à long terme en droit français [13].

Afin de lutter contre ces pratiques, il a été décidé que les sociétés mères détenant directement ou indirectement au moins 50 % des actions de la fille, ou ayant apporté 50 % du capital social de cette dernière, devront diminuer le montant de la moins-value réalisée par le montant de la distribution exonérée [14]. Ceci est cependant conditionné au fait que la distribution effectuée par la filiale représente au moins 10 % de la valeur comptable des actions émises. Ainsi la moins-value en question sera diminuée par la totalité du montant de la distribution car d’une part, les 95 % du montant de la distribution exonérée viennent compenser la moins-value, d’autre part, il en va de même pour les 5 % qui constituent la quote-part pour frais et charges.

Il existe cependant quelques exceptions à ce régime :

- La première est lorsque la filiale est japonaise et qu’elle est détenue à 90 % par une personne morale, coopérative, ou personne physique, japonaise. Dans ce cas, les distributions versées entre la date de création de la filiale et la date où elle devient une filiale à 50 % d’une autre entité ne seront pas prises en compte. En d’autres termes, il suffit de regarder une filiale détenue à 90 % par une entité japonaise. Si au cours de son existence la filiale était détenue à moins de 50 %, alors toutes les distributions effectuées durant cette période restent hors du champ d’application du dispositif anti-abus. Ce n’est qu’à partir du moment où la filiale dépasse le seuil de 50 % qu’elle devient concernée.

- La deuxième est lorsque les bénéfices distribuables au premier jour d’un exercice social donné, auxquels est soustrait le montant des distributions effectuées antérieurement au jour de l’assemblée générale décidant la distribution en question, sont supérieurs au montant des bénéfices distribuables au premier jour de l’exercice social susmentionné après ajustement.

- Le troisième cas concerne les distributions intervenues après dix ans de détention de la filiale, à au moins 50 %, par la mère.

- Enfin, la dernière hypothèse concerne les distributions inférieures à vingt millions de yens [15].

II - La réforme du système de lutte contre les paradis fiscaux

 

Afin de lutter contre la fraude fiscale et les montages artificiels, le Japon a mis en place un système de lutte contre les filiales établies dans des États dont la charge fiscale est faible (taux inférieur à 30 % pour les sociétés écran, 20 % pour le reste [16]). En effet, dans le cas de filiales établies dans de tels États, le Japon impose partiellement ou totalement les bénéfices de la filiale, en les intégrant au résultat de la mère [17].

Dans la dernière « règle générale », il est question d’assouplir les conditions de réintégration des revenus au niveau de la société mère. En particulier pour les filiales étrangères, considérées comme n’étant pas des sociétés écrans, et qui remplissent tous les critères permettant de justifier d’une existence économique (à savoir des critères relatifs à l’activité économique, à l’existence, au contrôle de gestion, ainsi qu’à l’État de résidence ou aux parties non-liées).

Actuellement, les filiales établies dans un État dont le taux d’imposition est inférieur à 20 % et remplissant les critères susmentionnés, voient certains de leurs revenus financiers intégrés dans le résultat de la mère à hauteur de leur taux de participation [18].

La « règle générale » prévoit d’exclure une partie de ces revenus financiers tels que les intérêts bancaires ou ceux perçus du fait d’un délai de paiement accordé [19].  

En outre, pour les sociétés d’investissements qui auraient une filiale dans un État à fiscalité faible, une élimination de double imposition a été décidée. En effet, il sera possible de considérer que l’impôt étranger acquitté par la filiale, relatif aux revenus devant être réintégrés dans le résultat de la mère, ont été directement payés par cette dernière. Cette mesure sera applicable pour les exercices sociaux des filiales étrangères ultérieurs au 1er avril 2020 [20].

III - Le durcissement des conditions d’octroi d’un crédit d’impôt quant à l’impôt sur les sociétés étranger payé

A titre liminaire il est utile de rappeler le fonctionnement de l’impôt sur les sociétés. Contrairement à l’impôt sur les sociétés français [21], le « Hōjin zeihō » ne repose pas uniquement sur une logique territoriale et retient donc une approche bipartite entre territorialité et mondialité. A cet égard, le critère déterminant est le type de société imposable. Si une société est considérée comme japonaise, en ayant son siège social au Japon, elle est alors redevable d’une obligation fiscale illimitée [22]. Dans le cas contraire, la société est considérée comme étrangère et ses obligations en matière d’impôt sur les sociétés se limitent aux seuls revenus de source japonaise [23].

La conséquence logique de cette mondialité est donc le recours accru aux conventions fiscales en vue d’éviter les doubles impositions. Conformément aux conventions fiscales internationales, le Japon a tendance à éliminer les doubles impositions par le biais du crédit d’impôt. Cependant, l’impôt sur les sociétés étranger frappant certains revenus, non imposables au titre de l’impôt sur les sociétés japonais, ne peut donner lieu à un crédit d’impôt puisqu’il n’y a pas de double imposition dans cette hypothèse. En effet, le Japon ne considère pas l’impôt sur de tels revenus comme étant partie de l’impôt sur les sociétés étranger pouvant bénéficier de la convention fiscale [24].

De par la nouvelle « règle générale », il a été fait le choix d’un élargissement des catégories de revenus imposés à l’impôt sur les sociétés étrangers ne pouvant bénéficier de la convention fiscale [25].

En premier lieu, les revenus frappés par un impôt sur les sociétés étranger, mais qui sont réputés être ceux d’une société japonaise (et donc réintégrés dans son bénéfice imposable) ne peuvent plus donner lieu à un crédit d’impôt.

Ensuite, ne seront plus couverts les bénéfices d’un établissement stable imposé du fait d’une absence de distribution au siège ou de paiement à un tiers.

IV - La révision du plafonnement concernant la déductibilité des intérêts

Afin de suivre l’action 4 du Plan BEPS, le Japon a réformé en 2019 les mesures fiscales relatives aux intérêts dont le montant est disproportionné par rapport aux bénéfices réalisés. Pour ce faire, le Japon a fait le choix de suivre les méthodes proposées par l’OCDE. Il a donc été établi un système semblable à celui prévu par le « plafond EBITDA » en droit français [26]. La différence étant les modalités de détermination du plafond, légèrement différentes, qui n’imposent pas de réintégrer le montant des dépréciations. Mais aussi la visée spécifique de certains types d’intérêts ou d’opérations liées à des intérêts.

Avant la modification de l’article 66-5-2 de la loi sur les mesures fiscales spéciales, les intérêts déductibles étaient limités à 50 % du montant égal au résultat imposable, additionné des intérêts nets payés aux parties liées étrangères, des amortissements pratiqués, et des distributions exonérées d’impôt reçues. Par parties liées étrangères, le droit japonais sous-entend une relation entre une société japonaise et une société étrangère où l’une détient directement ou indirectement 50 % du capital ou des actions de l’autre, ou si la société étrangère et la société japonaise sont détenues à 50 % ou plus par la même société, ou encore si l’une des deux sociétés peut diriger l’autre dans les faits [27].

De fait, a été abaissé le taux des intérêts déductibles à 20 % d’un montant égal au résultat imposable auquel s’ajoute la somme des intérêts nets payés [28] à des personnes étrangères (incluant désormais les tiers), et amortissements pratiqués. Ne sont dorénavant plus pris en compte le montant des distributions exonérées perçues. Cette mesure est entrée en vigueur le 1er avril 2020 [29].

Afin de compléter cette disposition, il est mentionné dans la « règle générale » adoptée en décembre 2019 que certains intérêts seront désormais dans le champ d’application de cette mesure. Il s’agira du cas particulier où un établissement stable japonais d’une société étrangère dispose d’une créance qui implique le paiement d’intérêts. S’il est préconisé à l’avance que le droit au paiement en question sera transféré au siège, alors les intérêts payés par le siège à son établissement stable japonais seront susceptibles de se voir appliquer les nouvelles règles en matière de déductibilité des intérêts.

V - La modification du régime actuel du CRS (Common Reporting Standard)

Les dispositions relatives au CRS ont été introduites par la réforme fiscale de 2015 au Japon [30]. En conséquence, depuis le 1er janvier 2017, pour tout nouveau compte bancaire créé, une déclaration sera à remplir sur laquelle devra figurer notamment l’État de résidence. Quant aux établissements bancaires japonais, ils ont l’obligation à partir de 2018, de déclarer avant le 30 avril de chaque année au directeur du bureau des impôts territorialement compétent, les informations bancaires des non-résidents. Ce dernier devra alors transmettre ces informations aux administrations fiscales d’autres États, sous respect des stipulations des conventions fiscales. Parmi les sociétés assujetties aux déclarations susmentionnées, certaines font partie d’une catégorie spécifique, devant mentionner expressément l’État de résidence du dirigeant effectif.

La « règle générale » décidée en décembre 2019 prévoit deux modifications en matière de CRS [31] : la première est l’exclusion des entités dont l’existence est inférieure à deux ans de la catégorie des sociétés spécifiques susmentionnée. Il en va de même pour les établissements bancaires établis selon la loi d’un État ayant conclu avec le Japon une convention fiscale, mais ne bénéficiant pas de la transmission d’information liée au CRS [32].

Ensuite, concernant le cas d’une opération susceptible de faire l’objet d’une déclaration effectuée par une personne pour le compte d’un tiers, alors devra figurer le nom de ce dernier [33].

Pour finir, l’acquisition d’actions par le biais de stock-options accordées à certains administrateurs de sociétés ne sera plus considérée comme nécessitant une déclaration [34].

 

[1] Haidar, J.I. and Hoshi, T. (2014).  Implementing Structural Reforms in Abenomics: How to Reduce the Cost of Doing Business in Japan, Stanford University FSI Working Paper, June 2014.

[2] 所得税法等の一部を改正する法律, Shotoku zeihō-tō no ichibu o kaisei suru hōritsu.

[3] 関税定率法等の一部を改正する法律案, Kanzei teiritsu-hō-tō no ichibu o kaisei suru hōritsu.

[4] Loi sur l’impôt sur les sociétés, article 23 paragraphe 1 (法人税法第23条第1項, Hōjin zeihō dai 23-jō dai 1-kō).

[5] Loi sur l’impôt sur les sociétés, article 23 paragraphe 5 et 6 (法人税法第23条第5項及び6項, Hōjin zeihō dai 23-jō dai 5-kō oyobi 6-kō).

[6] Loi sur l’impôt sur les sociétés, article 23 paragraphe 1 (法人税法第23条第1項, Hōjin zeihō dai 23-jō dai 1-kō).

[7] Loi sur l’impôt sur les sociétés, article 23 paragraphe 7 (法人税法第23条第7項, Hōjin zeihō dai 23-jō dai 7-kō).

[8] Ordonnance d’application de la loi sur l’impôt sur les sociétés, Article 22-4 (法人税法施行令第22条の4, Hōjin zeihō sekōrei dai 22-jō no 4).

[9] CGI, arts. 145 et 216.

[10] LPF, art. L. 64 (N° Lexbase : L9266LNI).

[11] CE 9° et 10° ssr., 17 juillet 2013, n° 352989, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9569KIA).

[12] Une telle provision était déductible du fait de la rédaction de l’article 219 du CGI applicable à l’époque.

[13] CGI, art. 39 quindecies (N° Lexbase : L9366LHD).

[14] Règle générale, partie 5 paragraphe 1 (令和二年度税制改正大綱 五1, Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 1).

[15] Soit environ 170 650 euros.

[16] Loi sur les mesures fiscales spéciales, article 66-6 paragraphe 5 (租税特別措置法第66条の6 第5項, Sozei tokubetsu sochi-hō dai 66-jō no 6 dai 5-kō).

[17] Loi sur les mesures fiscales spéciales, Article 66-6 (租税特別措置法第66条の6, Sozei tokubetsu sochi-hō dai 66-jō no 6).

[18] Loi sur les mesures fiscales spéciales, Article 66-6 paragraphe 6 (租税特別措置法第66条の6 第­­6項, Sozei tokubetsu sochi-hō dai 66-jō no 6 dai 6-kō).

[19] Règle générale, partie 5 paragraphe 3 (1) (令和二年度税制改正大綱 五 3 (1), Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 3 (1)).

[20] Règle générale, partie 5 paragraphe 3 (1) (令和二年度税制改正大綱 五 3 (1), Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 3 (1)).

[22] Loi sur l’impôt sur les sociétés, article 5 (法人税法第5条, Hōjin zeihō dai 5-jō).

[23] Loi sur l’impôt sur les sociétés, article 143 (法人税法第143条第1項, Hōjin zeihō dai 143-jō dai 1-kō).

[24] Ordonnance d’application de la loi sur l’impôt sur les sociétés, article 141 paragraphe 3 (法人税法施行令第141条第 3項, Hōjin zeihō sekōrei dai 141-jō dai 3-kō).

[25] Règle générale, partie 5 paragraphe 3 (2) (令和二年度税制改正大綱 五 3 (2), Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 3 (2)).

[26] CGI, art. 212 bis (N° Lexbase : L6216LUR).

[27] Loi sur les mesures fiscales spéciales, Article 66-4 paragraphe 1 (租税特別措置法第66条の4 第1項, Sozei tokubetsu sochi-hō dai 66-jō no 4 dai 1-kō), ordonnance d’application de la loi sur les mesures fiscales spéciales, article 39-12 (租税特別措置法施行令第39条の12, Sozei tokubetsu sochi-hō sekōrei dai 39-Jō no 12).

[28] OCDE, rapport : limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et d’autres frais financiers - Action 4, version actualisée, 2016, p. 131.

[29] Loi sur les mesures fiscales spéciales, Article 66-5-2 (租税特別措置法第66条の6 第5項, Sozei tokubetsu sochi-hō dai 66-jō no 6 dai 5-kō).

[30] Loi sur les dispositions spéciales de la loi de l'impôt sur le revenu, de la loi sur l'impôt sur les sociétés et de la loi sur l'impôt local relative à l'application des conventions fiscales, article 10-5 (租税条約等の実施に伴う所得税法、法人税法及び地方税法の特例等に関する法律, 第10条の5, Sozei jōyaku-tō no jisshi ni tomonau shotoku zeihō, hōjin zeihō oyobi chihō zeihō no tokurei-tō ni kansuru hōritsu dai 10-jō no 5).

[31] Règle générale, partie 5 paragraphe 2 (令和二年度税制改正大綱 五 2, Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 2).

[32] Règle générale, partie 5 paragraphe 2 (1) (令和二年度税制改正大綱 五 2, Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 2 (1)).

[33] Règle générale, partie 5 paragraphe 2 (1) (令和二年度税制改正大綱 五 2, Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 2 (1)).

[34] Règle générale, partie 5 paragraphe 2 (3) (令和二年度税制改正大綱 五 2, Reiwa ni-nendo Zeisei Kaisei taikō Go 2 (3)).

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Licenciement

[Le point sur...] Le licenciement pour motif économique : les points clés à connaître pour sécuriser au mieux l'opération

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N4091BY8

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par Sofiane Coly, avocat associé, HOGO avocats

Le 16 Juillet 2020

Le licenciement pour motif économique est un sujet qui est socialement, politiquement, et donc juridiquement discuté. En effet, un licenciement économique peut concerner en une seule fois des centaines de personnes. De plus, un licenciement pour motif économique entraîne, en général, lorsqu’il est important, des conséquences au-delà des salariés licenciés, souvent sur un bassin d’emploi entier concerné.

Petit rappel historique :

Le licenciement pour motif économique a pendant très longtemps fait l’objet d’aucune réglementation spécifique. Il existait tout au plus une ordonnance de 1945 qui avait instaurée un contrôle de l’emploi afin de déterminer quels étaient les secteurs porteurs d’emploi. C’est en 1979 que les partenaires sociaux ont souhaité identifier le licenciement pour motif économique, le sortir du licenciement de droit commun, au niveau de la procédure. Après le premier choc pétrolier de 1974, considérant le nombre de licenciements qui avaient été prononcés, le législateur a adopté, pour la première fois, une loi sur le licenciement pour motif économique, loi qui soumettait le licenciement économique à une autorisation préalable de l’inspecteur du travail. L’employeur voyait donc limité son pouvoir de licenciement.

En 1986, cette autorisation a été supprimé, et par une loi du 2 août 1989 (N° Lexbase : L7352HUT), le législateur a modifié considérablement le droit du licenciement pour motif économique, en donnant une définition, et en prévoyant des procédures spécifiques et des mesures d’accompagnement spécifiques. Puis, le licenciement pour motif économique a fait l’objet de nombreuses lois, surtout du fait du changement des majorités au pouvoir. Ainsi, par exemple, la loi du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49), qui a rendu obligatoire la négociation d’un accord de GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences) dans les entreprises d’au moins 300 salariés. Elle a créé des dispositifs de reclassement personnalisés et a eu pour objectif de revitaliser les bassins d’emploi lorsque des entreprises procédaient à d’importants licenciements pour motif économique. La GPEC, en quelques mots, est un outil de réflexion prospective : l’employeur se projette en essayant de réfléchir sur les compétences nécessaires pour l’entreprise. Il y a également une étude de la démographie, la pyramide des âges...

On se projette dans l’avenir, quelles sont les formations que devront suivre les salariés aujourd’hui pour rester compétents demain. Aujourd’hui, le licenciement pour motif économique bénéficie d’un régime juridique dont le contenu est globalement bien tracé, la Cour de cassation ayant par ailleurs pu donner son interprétation sur toutes les étapes. A l’heure où les entreprises françaises prennent des mesures radicales pour relancer la machine et notamment soulagent leur masse salariale, notre objectif est d’aborder, en synthèse,les différents aspects du licenciement pour motif économique afin que le lecteur attentif puisse éviter quelques écueils. Attention, il s’agit là d’une synthèse, ce qui signifie très clairement que certains sujets ne seront volontairement pas abordés.

1. Le motif économique

Le motif économique est constitué, d’une part, de la cause économique, c’est à dire les raisons économiques qui poussent l’employeur à se réorganiser, et d’autre part, la cause matérielle, c’est à dire les conséquences sur l’emploi. 

Penser le motif économique nécessite toujours de procéder à une analyse du contexte global au sein duquel l’entreprise évolue : quelles sont les mesures prises par l’employeur pour limiter/éviter les difficultés rencontrées, comment se positionne l’employeur dans son marché/quel est l’état de la concurrence ?

Voici une liste des questions qu’il faut se poser avant d’aborder un licenciement pour motif économique :

Contexte

Les mesures prises par l’employeur pour éviter le licenciement

→ L’entreprise subie-t-elle une concurrence particulière ?

→ Le marché a-t-il fortement baissé depuis quelques années de sorte que tous les acteurs économiques sont frappés par la crise ? etc.

→ Principaux concurrents de la structure

→ Position de leader ou d’outsider sur le marché économique

→ Evolution du marché concurrentielle ces dernières années et perspectives d’évolutions justifiant la transformation envisagé

→ Des mesures de réduction des coûts et notamment la diminution de la rémunération du dirigeant

→ Des innovations faites pour vendre de nouveaux produits

→ Des actions commerciales engagées

1.1. La cause économique

Il existe 4 causes économiques que l’on présentera pour plus de simplicité sous forme de tableaux :

Cause économique

Cause 1 : les difficultés économiques

Cause 2 : la mutation technologique

Définition

Elles interviennent en cas de baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d'exploitation, ou encore dégradation de la trésorerie [1].

Elle peut se manifester par l’introduction de nouvelles technologies ou l’automatisation de tâches.

Exemple

La diminution de l'excédent brut d’exploitation qui représente la marge de l’entreprise après avoir enregistré tout ce qui a été consommé et facturé par des tiers, dû aux salariés et aux impôts et taxes sauf l’impôt sur les bénéfices, peut constituer des difficultés  économiques par l’assèchement de la trésorerie de l’entreprise.

Réorganisation d'une société centrée sur l'imagerie traditionnelle entraînée par le déclin de cette technologie au profit de l'imagerie numérique.

Cause économique

Cause 3 : la réorganisation de l’entreprise pour sauvegarde de la compétitivité

Cause 4 : La cessation d’activité

Définition

L’objectif est de prévenir les difficultés économiques à venir compte tenu du contexte actuel.

Il s’agit de la cessation d'activité totale et définitive qui ne doit pas résulter de l'attitude fautive ou de la légèreté blâmable de l'employeur.

Exemple

Une entreprise qui évolue sur le secteur des matériaux de construction (vente de béton cellulaire) et qui définit une nouvelle stratégie commerciale et réorganiser l’activité en profondeur au niveau de l’outil de production afin de limiter la surproduction, de la force de vente afin de s’adapter aux évolutions du marché, de l’encadrement / du support technique, et ce dans le cadre d’une constante diminution de son résultat brut d’exploitation.

Il est tout à fait possible de maintenir une activité résiduelle par les organes sociaux (président de la société par exemple) dans l’objectif d’achever la liquidation des derniers actifs et de régler les formalités administratives.

La cause économique s’apprécie au niveau de l’entreprise ou au niveau du secteur d’activité commun avec les autres entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

1.2. La cause matérielle, c’est à dire les conséquences sur l’emploi

Il existe 3 causes matérielles envisageables :

Suppression d’emploi

Transformation d’emploi

Modification du contrat de travail

Il y a suppression d’emploi dès lors que le salarié licencié n’est pas remplacé après son départ de l’entreprise par un autre salarié, ou encore lorsque ses tâches sont réparties entre les salariés de l’entreprise.

Il s’agit d’un changement de nature de l'emploi, lequel suppose un changement total du contenu de l’emploi concerné.

Cette modification doit porter sur un élément essentielle du contrat de travail, telles que la mutation du salarié, la modification des fonctions ou encore de la rémunération [2].

2. La procédure de licenciement

Globalement, la procédure de licenciement pour motif économique comprend 5 étapes :

Etape 1 : les critères d’ordre

En principe, le choix du ou des salariés dont le licenciement pour motif économique est projeté ne peut jamais être le fruit du hasard et doit ainsi résulter de l’établissement de critères d’ordres. Cependant, les critères d’ordres ne s’appliquent qu’au sein d’une même catégorie professionnelle ce qui signifie qu’il n’y a pas lieu d’établir les critères d’ordres quand tous les emplois de la même catégorie professionnelle sont supprimés. La notion de catégorie professionnelle se caractérise par deux principaux critères : l'exercice de fonctions de même nature, d'une part, supposant, d'autre part, une formation professionnelle commune, de base ou complémentaire, n'excédant pas l'obligation d'adaptation de l'employeur.

Etape 2 : recherche de reclassement

Le reclassement du salarié doit s’effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. Ce n’est qu’à défaut d’emploi disponible et sous réserve de l’accord exprès du salarié que le reclassement peut s’effectuer sur un emploi d’une catégorie inférieure.

Etape 3 : entretien préalable

Il faut convoquer le ou les salariés concernés à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour motif économique.

Quel est l’objet de l’entretien ?

L’objet de l’entretien préalable est de :

- En premier lieu, d’exposer au salarié les raisons pour lesquelles le licenciement est envisagé. Nous n'insistons jamais assez sur ce point mais tant que la lettre de licenciement n’est pas envoyée, le licenciement n’est qu’envisagé, ce qui signifie qu’il faut utiliser à l’oral comme à l’écrit le conditionnel. Dans ce cadre, il convient de remettre au salarié une note comportant l’exposé du ou des motifs économiques.

Que contient la note d’information ?

La note d’information comporte les éléments qui suivent :

• le motif économique du licenciement envisagé : le salarié doit en effet avoir la possibilité d’échanger lors de l’entretien préalable, comme pour tout licenciement, sur les faits justifiants que son licenciement soit envisagé ;

• les informations relatives à l’acceptation du CSP et en particulier le délai et les conséquences sur la date effective de rupture des relations contractuelles en cas d’acceptation du CSP ;

• son droit à la priorité de réembauchage (sur poste compatible avec la qualification du salarié ou sur un poste différent si le salarié a acquis une nouvelle qualification), lequel s’applique pendant un délai d’un an à compter de la date de rupture du contrat de travail à la condition que le salarié en fasse la demande.

- En deuxième lieu, de lui remettre la documentation sur le contrat de sécurisation professionnelle.

Qu’est ce que le contrat de sécurisation professionnelle ?

Le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) est un dispositif d'accompagnement de 12 mois destiné aux salariés dont le licenciement pour motif économique est envisagé dans des entreprises de moins de 1 000 salariés et des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire. Ce dispositif comprend plusieurs mesures visant à accélérer le retour dans l'emploi par le biais d'un accompagnement personnalisé et des mesures d'incitation à la reprise d'un emploi.

Pendant le CSP, son bénéficiaire perçoit une allocation spécifique de sécurisation professionnelle (ASP) égale à 75 % du salaire journalier de référence, sans pouvoir être inférieur au montant de l'allocation spécifique de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (Are) à laquelle l'intéressé aurait pu prétendre, au titre de l'emploi perdu, s'il n'avait pas accepté le CSP. Il s’agit donc d’un dispositif particulièrement intéressant pour les salariés puisqu’ils bénéficient d’une allocation chômage plus importante que celle versée dans le cadre d’un licenciement pour motif personnel ou d’une rupture conventionnelle.

Quel est le contenu du dossier du CSP ?

Il faut le récupérer auprès de Pôle emploi mais, concrètement, il comporte :

• pour l'employeur : un document d'information,

• pour chaque salarié concerné : un document d'information du contrat de sécurisation professionnelle ; un récépissé de ce document d'information et un bulletin d'acceptation du CSP ; un formulaire de demande d'allocation de sécurisation professionnelle ; une attestation d'employeur.

Le salarié dispose d’un délai de 21 jours pendant lequel il peut accepter ou refuser le CSP.

L’employeur doit-il payer le préavis même si le salarié accepte le CSP ?

La réponse est oui. En effet, l'employeur contribue au financement du CSP en s'acquittant auprès de Pôle emploi d'une somme correspondant à l'indemnité de préavis que le salarié aurait perçue s'il n'avait pas adhéré au dispositif, dans la limite de 3 mois de salaire majoré de l'ensemble des cotisations et contributions obligatoires afférentes. Le préavis n’est donc pas versé au salarié mais à Pole Emploi ce qui signifie qu’il faudra bien le provisionner pour éviter toute mauvaise surprise.

Etape 4 : la lettre de licenciement dite "ouverte"

Pendant le délai de réflexion du CSP, la procédure de licenciement peut parfaitement suivre son cours (notamment pour faire partir le préavis) et la jurisprudence admet depuis longtemps la possibilité de notifier une lettre de licenciement « provisoire » ou « conservatoire ». En d’autres termes, est notifiée au salarié une lettre de licenciement qui :

• soit devient sans objet si le salarié accepte le CSP, la rupture prenant effet à l’expiration du délai de 21 jours précité,

• soit, à défaut d’acceptation du CSP, constitue l’acte de rupture des relations contractuelles. Le préavis court à compter de la présentation de la lettre recommandée et le contrat prend fin selon les règles de droit commun, soit à l'issue du préavis.

Illustration pratique :

« Il vous a donc été proposé d’adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle et nous vous rappelons que vous disposez d'un délai de réflexion de vingt et un jours pour y adhérer. Si vous acceptez cette proposition, votre contrat de travail sera réputé rompu d'un commun accord à la date d'expiration de votre délai de réflexion pour le motif énoncé ci-dessus, soit le (…). Dans cette hypothèse, la présente notification de votre licenciement deviendra sans objet. En revanche, si vous refusez d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle ou omettez de nous faire part de votre accord dans le délai mentionné ci-dessus, cette lettre constituera la notification de votre licenciement ».

Quel est le délai de notification de la lettre de licenciement pour motif économique individuel ?

La lettre de licenciement ne peut pas être expédiée moins de 7 jours ouvrables à compter de la date prévue de l’entretien préalable pour un non-cadre et moins de 15 jours ouvrables pour un membre du personnel cadre.

Etape 5 : information de l’administration

L’administration a établi un portail en ligne pour être informée des mesures de licenciement pour motif économique prises au sein des entreprises lorsqu’elles sont collectives. Il faut se connecter sur le site internet  www.ruptures-collectives.emploi.gouv.fr.

Lorsque le licenciement ne concerne qu’un seul salarié, il convient d'adresser un courrier à la DIreccte pour l’informer du licenciement et dont le contenu est strictement défini par décret (nom, adresse, nature de l'activité, effectif employé, etc.). Bien évidemment, ces règles de droit commun peuvent être modifiées dans certaines situations notamment lorsque de nombreux licenciements sont envisagés. Il faut ajouter à cela l’obligation d’informer et de consulter le comité social et économique dans le cadre des licenciements collectifs (moins de 10 comme plus de 10 licenciements). Nous pourrions ainsi développer bien plus encore le licenciement pour motif économique mais disons que pour la grande majeure partie des TPE/PME qui souhaitent le mettre en œuvre, les mesures grandes lignes ont été rappelées.


[1] Il existe une présomption de baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires en fonction de la taille de l’entreprise, comme par exemple un trimestre pour consécutif pour une entreprise de moins de 11 salariés.

[2] La modification du contrat de travail pour motif économique obéit à une procédure particulière : l’employeur doit proposer une modification du contrat de travail que le salarié est libre d’accepter ou non et il dispose à ce titre d’un mois pour se prononcer.

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Procédure pénale

[Brèves] Retrait du dossier d’information des actes ou pièces annulés : éléments concernés et rôle de la chambre de l’instruction

Réf. : Cass. crim., 17 juin 2020, n° 19-87.188, F-P+B+I (N° Lexbase : A71313NG)

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N3968BYM

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par Adélaïde Léon

Le 15 Juillet 2020

► Les actes ou pièces annulés intégralement ou partiellement par décision de la chambre de l’instruction doivent être respectivement retirés du dossier de l’information ou cancellés et classés au greffe de la cour d’appel ; cette règle concerne tous les exemplaires, en original et en copie, des éléments annulés ;

Ainsi, méconnaît ce principe la chambre de l’instruction qui, pour rejeter une requête en incident d’exécution, constate que les copies délivrées aux parties contiennent des pièces annulées ou cancellées mais que les dispositions qui interdisent d’y faire référence suffisent à garantir que les décisions d’annulation seront respectées lors des débats devant la cour d’assises ;

Cette obligation ne s’étend pas, toutefois, aux requêtes en annulation et aux pièces des procédures, ainsi qu’aux décisions auxquelles elles donnent lieu même si celles-ci se réfèrent aux pièces dont l’annulation est demandée et les analysent, pour en apprécier la régularité.

Résumé des faits. Un individu a été mis en examen des chefs d’enlèvement suivi d’une séquestration et d’une extorsion de fonds. Sur requête de l’intéressé, la chambre de l’instruction a annulé plusieurs actes de la procédure. Cet arrêt a été cassé en toutes ses dispositions par la Cour de cassation laquelle a renvoyé la cause et les parties devant la chambre de l’instruction (Cass. crim., 18 octobre 2017, n° 17.81-290, F-P+B+I N° Lexbase : A71313NG). Le 19 décembre 2017, cette dernière a prononcé l’annulation de plusieurs actes de l’information, ainsi que l’annulation partielle d’une pièce avec cancellation d’une partie de son contenu. Le 9 mai 2018, ce dernier arrêt a été cassé sans renvoi par la Cour de cassation qui a étendu la portée de la cancellation à une autre partie de son contenu (Cass. crim., 9 mai 2018, n° 18-80.066, FS-P+B+I N° Lexbase : A6145XMK). Le mis en examen a présenté une nouvelle requête en annulation à la chambre de l’instruction. Celle-ci a déclaré la requête pour partie irrecevable et l’a rejetée pour le surplus. Le pourvoi formé par l’intéressé contre cette dernière décision a été rejeté par la Cour de cassation.

La chambre de l’instruction a par la suite renvoyé le mis en examen devant la cour d’assises.

Requête en incident. L’intéressé a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en incident d’exécution de son arrêt du 19 décembre 2017, soutenant qu’en dépit des décisions prononcées, les copies de la procédure remises aux parties en vue de l’audience de la cour d’assises comprenaient l’ensemble des actes annulés ou cancellés ainsi que les pièces de procédure et les décisions relatifs aux requêtes en annulation.

La chambre de l’instruction a rejeté cette requête au motif que le dossier original de la procédure était conforme aux décisions rendues et que, si les pièces annulées ou cancellées se trouvaient bien dans les dossiers transmis aux parties, les dispositions interdisant d’y faire référence suffisaient à garantir que les décisions d’annulation seraient respectées lors des débats.

Le prévenu a formé un pourvoi contre cette décision.

Moyens du pourvoi. L’intéressé reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté la requête en incident d’exécution en ce qu’elle sollicitait le retrait et la cancellation effectifs en original et en copie des pièces de la procédure annulées ou cancellées ainsi que le retrait effectif des originaux et copies des requêtes, mémoires, réquisitions, avis, arrêts citant, résumant ou se référant à des pièces annulées.

Décision. La Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction au visa des articles 174 (N° Lexbase : L8646HW7), 279 (N° Lexbase : L3188I3H), 593 (N° Lexbase : L3977AZC) et 710 (N° Lexbase : L7690LPI) du Code de procédure pénale.

La Haute juridiction rappelle que, conformément à l’article 174 du Code de procédure pénale, les actes ou pièces annulés par la chambre de l’instruction doivent être retirés du dossier d’information et classés au greffe de la cour d’appel. Les actes ou pièces partiellement annulés sont quant à eux cancellés après qu’a été établie une copie certifiée conforme à l’original classée au greffe de la cour d’appel. Elle souligne également qu’il est interdit de tirer des actes ou pièces annulés aucun enseignement contre les parties.

La Cour constate que la chambre de l’instruction a elle-même reconnu que les copies du dossier délivré aux parties en vue de l’audience devant la cour d’assises contenaient les pièces annulées ou cancellées.

La Chambre criminelle vient ici préciser, d’une part, que l’obligation de retrait des éléments annulés concerne tous les exemplaires de celui-ci, qu’il s’agisse d’originaux ou de copies, d’autre part, que les dispositions du Code de procédure pénale interdisant d’y faire référence ne saurait justifier le maintien d’un quelconque exemplaire des pièces et actes annulés dans le dossier d’instruction. La cour d’appel ne pouvait donc valablement se fonder sur ces dispositions pour rejeter la requête en incident d’exécution au motif que les décisions d’annulation seraient respectées lors des débats devant la cour d’assises. Il lui appartenait au contraire de s’assurer que toutes les pièces avaient été retirées et qu’aucun renseignement contre les parties n’en avait été tiré, et le cas échéant, de prendre les dispositions nécessaires à cette fin.

Cette décision est également l’occasion pour la Haute juridiction de préciser que l’obligation de retrait des actes ou pièces annulés ne s’étend pas aux requêtes en annulation, et aux pièces ainsi qu’aux décisions auxquelles elles donnent lieu « même si celles-ci se réfèrent aux pièces dont l’annulation est demandée et les analysent, pour en apprécier la régularité ».

Pour aller plus loin : F. Dupuis, ETUDE : Le contrôle et la contestation des actes d’investigation, Les conséquences de la nullité, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E3945ZM3).

 

newsid:473968

Propriété intellectuelle

[Brèves] Téléversement d’un film sur une plateforme video sans l’accord du titulaire des droits : la CJUE précise la notion des « adresses » des personnes ayant porté atteinte au droit d’auteur

Réf. : CJUE, 9 juillet 2020, aff. C-264/19 (N° Lexbase : A80903QP)

Lecture: 3 min

N4078BYP

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par Vincent Téchené

Le 15 Juillet 2020

► Dans le cadre du téléversement d’un film sur une plateforme vidéo en ligne sans l’accord du titulaire du droit d’auteur, la Directive n° 2004/48 du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2091DY4), n’oblige pas les autorités judiciaires à ordonner à l’exploitant de la plateforme vidéo de fournir l’adresse courriel, l’adresse IP ou le numéro de téléphone de l’utilisateur ayant téléversé le film litigieux ;

La Directive, qui prévoit la fourniture des « adresses » des personnes ayant porté atteinte à un droit de propriété intellectuelle, vise uniquement l’adresse postale.

Faits et procédure. Des films ayant été téléversés sur la plateforme vidéo YouTube, sans l’accord du titulaire des droits d’exploitation exclusifs sur ces œuvres en Allemagne, et visionnés de nombreuses fois, le titulaire des droits a exigé, de la part de YouTube et de Google, sa société mère, qu’elles lui fournissent un ensemble d’informations relatives à chacun des utilisateurs ayant procédé au téléversement. Les deux sociétés ont refusé de fournir les informations relatives à ces utilisateurs, en particulier, leurs adresses courriel et numéros de téléphone ainsi que les adresses IP utilisées par ceux-ci tant au moment du téléversement des fichiers concernés qu’au moment du dernier accès à leur compte Google/YouTube. Dans ces conditions, le juge allemand saisi du litige a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE des questions préjudicielles afin de savoir si de telles informations relèvent de la notion d’« adresses », au sens de la Directive n° 2004/48.

Décision. La Directive prévoit en effet que les autorités judiciaires peuvent ordonner la fourniture des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Parmi ces informations figurent notamment les « adresses » des producteurs, distributeurs et fournisseurs des marchandises ou des services contrefaisants.

La Cour a constaté, en premier lieu, que, s’agissant du sens habituel du terme « adresse », celui-ci ne vise que l’adresse postale, c’est-à-dire le lieu de domicile ou de résidence d’une personne déterminée. Il s’ensuit que ce terme, lorsqu’il est utilisé sans autre précision, tel que dans la Directive n° 2004/48, ne vise pas l’adresse courriel, le numéro de téléphone ou l’adresse IP. En deuxième lieu, les travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de la Directive ne comportent aucun indice de nature à suggérer que le terme « adresse » devrait être compris comme visant non seulement l’adresse postale, mais également l’adresse courriel, le numéro de téléphone ou l’adresse IP des personnes visées. En troisième lieu, l’examen d’autres actes de droit de l’Union visant l’adresse courriel ou l’adresse IP fait apparaître qu’aucun de ceux-ci n’utilise le terme « adresse », sans autre précision, pour désigner le numéro de téléphone, l’adresse IP ou l’adresse courriel. Cette interprétation est, selon la Cour, conforme à la finalité poursuivie par la disposition de la Directive n° 2004/48 portant sur le droit d’information. La Cour a donc conclu que la notion d’« adresses » figurant dans la Directive n° 2004/48 ne vise pas, en ce qui concerne un utilisateur ayant téléversé des fichiers portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle, son adresse courriel, son numéro de téléphone ni l’adresse IP utilisée pour téléverser ces fichiers ou l’adresse IP utilisée lors de son dernier accès au compte utilisateur.

La Cour a néanmoins précisé que les États membres ont la faculté d’accorder aux titulaires de droits de propriété intellectuelle le droit de recevoir une information plus étendue.

newsid:474078

Propriété intellectuelle

[Brèves] Directive « SMA » : publication des lignes directrices de la Commission européenne

Réf. : Lignes directrices de la Commission, pour l’application pratique du critère relatif à la fonctionnalité essentielle figurant dans la définition d’un « service de plateformes de partage de vidéos » établie par la Directive « Service de médias audiovisuels », JOUE du 7 juillet 2020

Lecture: 7 min

N4142BY3

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par Vincent Téchené

Le 07 Septembre 2020

► Les lignes directrices de la Commission européenne pour l’application pratique du critère relatif à la fonctionnalité essentielle figurant dans la définition d’un « service de plateformes de partage de vidéos » établie par la Directive « SMA » révisée (Directive n° 2010/13 du 10 mars 2010, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels N° Lexbase : L9705IGK) ont été publiées au JOUE du 7 juillet 2020.

La Directive « SMA » révisée (cf. Directive n° 2018/1808 du 14 novembre 2018, modifiant la Directive 2010/13/UE N° Lexbase : L9513LMB) prévoit, en effet, qu'après avoir consulté les représentants concernés des États membres (c'est-à-dire le « comité de contact »), la Commission doit adopter des orientations sur la définition des services de plateformes de partage de vidéos et sur les obligations de promotion des œuvres européennes. La Directive étend certaines règles en matière d'audiovisuel aux plateformes de partage de vidéos, comprenant des services « hybrides », tels que les médias sociaux, dont la fourniture de contenu audiovisuel n'est pas l'objet principal mais constitue néanmoins une « fonctionnalité essentielle ». Les lignes directrices précisent quels services seront soumis aux nouvelles règles en application de ce critère.

Les nouvelles règles renforcent également la diversité culturelle en instaurant notamment l'obligation, pour les services de vidéo à la demande, de proposer une part d'au moins 30 % de contenu européen dans leurs catalogues et de mettre ce contenu en valeur. Elles permettent en outre aux États membres, dans certaines conditions, d'imposer aux fournisseurs de services de médias établis dans d'autres États membres l'obligation de contribuer financièrement à la production d'œuvres européennes. Afin que les nouvelles obligations ne compromettent pas le développement des marchés et n'entravent pas l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché, elles ne s'appliquent pas aux fournisseurs de services de médias ayant un chiffre d'affaires peu élevé ou une faible audience.

À cet effet, les lignes directrices visent également à clarifier :

- le calcul de la part des œuvres européennes dans les catalogues des fournisseurs de services à la demande ; et

- la définition d'une faible audience et d'un chiffre d'affaires peu élevé dans le contexte des dérogations mentionnées plus haut.

  • Critères utilisés pour déterminer si une plateforme donnée est une plateforme de partage de vidéos

Les lignes directrices fournissent une liste d'indicateurs pertinents, répartis en quatre catégories, que les États membres peuvent utiliser pour évaluer le caractère essentiel de la fonctionnalité audiovisuelle de toute plateforme. Elles proposent ainsi des indicateurs relatifs au caractère non accessoire (indépendant) du contenu audiovisuel, à son importance qualitative et quantitative, à la monétisation du contenu audiovisuel et à la disponibilité d'outils visant à renforcer la visibilité ou l'attractivité de ce dernier.

  • Application aux médias sociaux

La Directive « SMA » révisée s'applique aux plateformes de partage de vidéos en vue de protéger le public contre les contenus illicites et préjudiciables. Elle prévoit expressément qu'elle devrait s'appliquer aussi à certains services de médias sociaux si la fourniture de programmes et de vidéos créées par l'utilisateur en constitue une fonctionnalité essentielle.

Si l'évaluation de la fonctionnalité essentielle dans des cas spécifiques reste la prérogative des autorités nationales, les lignes directrices soutiennent, conformément à la lettre et à l'esprit des nouvelles règles, l'idée que les services de médias sociaux relèvent des règles applicables aux plateformes de partage de vidéos.

  • Etablissement de la fonctionnalité essentielle par la démonstration que la plateforme héberge une certaine quantité de contenu audiovisuel

Le fait qu'une plateforme offre une quantité importante de contenu audiovisuel peut être une indication de ce que ce contenu constitue une partie importante du service. Cet indicateur n'est cependant que l'un de ceux qui peuvent être pris en compte, parmi d'autres, et non une condition essentielle pour que la fonctionnalité audiovisuelle soit considérée comme essentielle.

Les lignes directrices reconnaissent également les fréquentes difficultés auxquelles peuvent se heurter les autorités nationales pour obtenir des chiffres et des données quantitatives fiables parce que ces informations ne sont souvent pas disponibles ou ne le sont que pour les plateformes. C'est la raison pour laquelle elles reconnaissent que les autorités nationales peuvent prendre en compte des indicateurs exclusivement ou majoritairement qualitatifs afin de déterminer la fonctionnalité essentielle.

  • Méthode de calcul de la part de 30 % d'œuvres européennes

Les lignes directrices sur les œuvres européennes recommandent une méthode de calcul fondée sur le nombre de titres contenus dans le catalogue. La Commission considère que, dans le cas des services de vidéo à la demande, il est en effet plus approprié, compte tenu de leurs caractéristiques, de calculer la part des œuvres européennes dans les catalogues en se basant sur les titres et non sur le temps de diffusion (visionnage). Le calcul fondé sur les titres est également plus à même de favoriser la création d'une offre plus diversifiée d'œuvres européennes, de présenter moins de contraintes pour les fournisseurs de services de vidéo à la demande que le calcul fondé sur la durée et de faciliter le suivi et la surveillance par les autorités nationales.

  • Notion de « titre » du catalogue

Dans le cas des longs-métrages et des téléfilms, chaque film constitue un titre du catalogue. Les différents films d'une franchise devraient également être considérés comme constituant des titres différents dans un catalogue. La définition de ce qui constitue un titre est plus complexe pour les séries de télévision ou d'autres formats présentés sous forme de série (c'est-à-dire épisode par épisode). Les lignes directrices recommandent qu'une saison d'une série corresponde, en principe, à un titre.

Les lignes directrices permettent expressément aux États membres d'introduire des mécanismes de pondération, par exemple en accordant une pondération plus importante, dans le calcul de la part, aux titres dont les coûts de production sont plus élevés que d'autres articles du catalogue.

  • Exemption des obligations de promotion des œuvres européennes

Selon la Directive « SMA » révisée, les obligations de promotion des œuvres européennes ne s'appliquent pas aux fournisseurs de services de médias ayant un chiffre d'affaires peu élevé ou une faible audience.

Les lignes directrices recommandent de toutes les exempter des obligations de promotion des œuvres européennes. Les lignes directrices proposent également une méthode spécifique pour calculer l'audience des services de vidéo à la demande ainsi que des seuils spécifiques d'exemption, tant pour les services linéaires que pour les services à la demande, dans les cas de faible audience. Afin de tenir compte de la taille inégale des marchés audiovisuels, surtout dans les petits États membres, et des spécificités nationales et sectorielles, les lignes directrices prévoient la possibilité d'introduire des seuils plus bas dans certaines conditions.

  • Transposition

Les États membres sont tenus de transposer la Directive « SMA » révisée pour le 19 septembre 2020 au plus tard, y compris les nouvelles règles relatives aux plateformes de partage de vidéos et aux œuvres européennes. Pour la France, le Président de la République a annoncé dans son allocution du 6 mai 2020 que cette transposition serait effectuée d’ici la fin de l’année (cf. texte intégral du discours du 6 mai 2020 sur le site vie.publique.fr).

newsid:474142

Représentation du personnel

[Brèves] Délais de consultation du CE : possibilité de report en cas de commun accord entre l’employeur et les élus

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 19-10.987, FS-P+B+I (N° Lexbase : A71543QZ)

Lecture: 2 min

N4094BYB

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par Charlotte Moronval

Le 16 Juillet 2020

► Si, dans sa rédaction alors applicable, l’article R. 2323-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1466K98) prévoit que le comité d’entreprise dispose d’un délai de deux mois en cas d’intervention d’un expert, pour donner un avis motivé dans le cadre d’une consultation annuelle obligatoire, un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d'entreprise et l'employeur peut fixer un autre délai, le prolonger, ou modifier son point de départ.

Dans les faits. Le comité d’entreprise d’une société a, lors de l’une de ses séances, désigné un expert-comptable pour l'assister dans le cadre des consultations annuelles obligatoires notamment sur la situation économique et financière et la politique sociale de l'entreprise.

La procédure. Invoquant le dépassement par l'expert des délais impartis pour l'exercice de sa mission, la société a saisi le président du tribunal de grande instance pour voir dire que les honoraires réclamés par l'expert n'étaient pas dûs. La cour d’appel (CA Bordeaux, 8 janvier 2019, n° 18/02740 N° Lexbase : A6745YSM) condamne la société au paiement des honoraires réclamés par l’expert. Elle forme donc un pourvoi devant la Cour de cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

Possibilité de prolongation des délais par accord implicite entre l’employeur et les élus. En l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'à la suite d'échanges avec le comité d'entreprise et le cabinet d'expertise, l'employeur a abondé la base de données économiques et sociales le 23 janvier 2017, provoqué une réunion extraordinaire du comité d'entreprise le 16 février 2017 pour discuter du périmètre et du coût de l'expertise puis fixé, conjointement avec le secrétaire du comité d'entreprise, au 27 avril 2017 la date de restitution des travaux d'expertise et de remise des avis du comité d'entreprise. La cour d'appel a ainsi pu déduire de ses constatations que les délais de consultation du comité d'entreprise, et par conséquent de l'expertise, avaient d'un commun accord été prolongés jusqu'au 27 avril 2017 de sorte que le rapport d'expertise remis avant cette date n'avait pas été déposé hors délai.

Pour en savoir plus, v. Les délais de consultation du comité d'entreprise sur les orientations stratégiques de l'entreprise, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E3303E44).

 

newsid:474094

[Jurisprudence] Le nantissement de contrat d’assurance vie : une sûreté exclusive

Réf. : Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, FS-P+B+I (N° Lexbase : A15493QG)

Lecture: 13 min

N4113BYY

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par Dimitri Nemtchenko, Maître de conférences, Université de Rouen Normandie

Le 15 Juillet 2020


Mots-clés : Nantissement • Assurance vie • Privilège du Trésor • Concours entre créanciers • Sûreté exclusive

Résumé : le créancier bénéficiaire d'un nantissement de contrat d'assurance vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d'un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés.


Dans un arrêt rendu le 2 juillet 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte une précision importante et inédite à propos du nantissement portant sur un contrat d’assurance vie : « le créancier bénéficiaire […] dispose d’un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés ». Ainsi, d’après la Haute juridiction, cette modalité particulière du nantissement le rapproche davantage des sûretés exclusives que sont la fiducie ou encore la cession Dailly, plutôt que des sûretés préférentielles aux côtés desquelles il est habituellement présenté – le gage en tête. De ce point de vue, l’affirmation peut surprendre, tant le nantissement est habituellement perçu comme une sûreté qui n’épargne pas le créancier de tout concours. En réalité, cette solution ne fait que préciser une question qui, jusqu’alors, n’avait pas été tranchée, à savoir la nature du droit du bénéficiaire d’un nantissement portant sur un contrat d’assurance vie. Le raisonnement qui la sous-tend est parfaitement conforme au droit positif, qu’il s’agisse des règles générales ou spéciales du nantissement, de l’agencement des différentes sûretés entre elles ou encore des prérogatives du comptable public, en cause dans cette affaire.

L’espèce opposait en effet le Trésor public à un professionnel de l’assurance, auprès duquel un particulier avait souscrit un contrat d’assurance vie. Ce dernier étant débiteur d’impôts sur les revenus, le comptable public a fait délivrer un avis à tiers détenteur auprès de l’assureur afin de saisir les sommes versées à l’occasion de ce contrat. L’assureur a opposé un refus au Trésor public, car le contrat d’assurance vie était, au moment de la notification de l’avis à tiers détenteur, déjà grevé d’un nantissement valablement constitué et notifié au profit d’un établissement bancaire. Pourtant les juges du fond, de première comme de seconde instance [1], ont condamné l’assureur à remettre au Trésor public les fonds versés par le souscripteur. L’assureur et le créancier nanti forment alors un pourvoi en cassation.

Le pourvoi met en évidence plusieurs difficultés. La première est de savoir qui, entre le souscripteur, le créancier nanti, voire le Trésor public, dispose de la faculté de rachat prévue par le contrat d’assurance vie. La réponse à cette première question conditionne la suivante, qui est celle de savoir si le créancier nanti dispose d’un droit exclusif sur la valeur que représente ce contrat. Une troisième et dernière question est soulevée, relative à l’existence d’un droit de rétention du créancier nanti sur les sommes litigieuses. La Haute juridiction n’y répond pas, car la solution qu’elle retient évacue l’intérêt d’une telle prérogative : le créancier nanti est dans une situation d’exclusivité. Ainsi, en précisant l’effet du nantissement sur la faculté de rachat (I), la Cour de cassation déduit l’existence d’un droit exclusif du créancier nanti (II).

I. L’effet du nantissement sur la faculté de rachat

La singularité du contrat d’assurance vie est notamment liée à la nature rachetable de la créance du souscripteur. Par principe, ce dernier conserve la mainmise sur les sommes en jeu, dont il peut décider de l’utilité. Telle était précisément la volonté du législateur que de permettre au souscripteur de mobiliser une somme initialement destinée à l’épargne afin, par exemple, de se constituer une réserve de crédit. À cette particularité s’ajoute celle du nantissement qui grève le contrat d’assurance vie. Titulaire de cette sûreté, « le créancier nanti peut provoquer le rachat nonobstant l'acceptation du bénéficiaire » [2]. Il s’agissait donc d’abord, à l’occasion de cette espèce, de déterminer l’incidence précise du nantissement sur cette faculté de rachat.

Le rachat est présenté dans le Code des assurances comme une faculté reconnue au créancier nanti – lequel « peut » provoquer le rachat. Les dispositions du Code civil relatives au nantissement de créance, soit le droit commun du nantissement, prévoient quant à elles : « Après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement de la créance donnée en nantissement tant en capital qu'en intérêts » [3]. Une contrariété ressort à première vue entre le droit commun, qui offre une exclusivité, et le droit spécial, qui offre une simple faculté. Cette contrariété n’est qu’apparente : l’exclusivité prévue par le droit commun ne retire pas au créancier nanti sa liberté de décider du sort des sommes grevées, prévue par le droit spécial. Une lecture croisée de ces deux textes amène à la solution que la deuxième chambre civile retient : le nantissement retire au souscripteur la faculté de provoquer le rachat, dont seul le créancier nanti est investi – ce qui est bien conforme aux textes qui prévoient cette faculté « nonobstant l’acceptation du bénéficiaire ».

En conséquence, les sommes versées par le souscripteur sortent de son patrimoine dès l’instant où le nantissement, qui prévoit une faculté de rachat, est valablement formé. Dès lors, au moment où il est notifié à l’assureur, l’avis à tiers détenteur ne peut donc plus être mis en œuvre car il « frappe dans le vide ». Il ne s’agit pas d’une créance insaisissable ou indisponible, mais bien d’une créance qui n’existe plus entre les mains du saisi, puisque seul le créancier nanti est à même de décider de son sort [4].

Par l’effet du nantissement sur la faculté de rachat, l’administration fiscale, en tant que créancier concurrent, se trouve alors reléguée. L’argument de la primauté, habituellement reconnu à ce créancier particulier, n’avait toutefois aucune chance de prospérer en l’espèce. Certes le privilège mobilier général du Trésor public bénéficie d’un statut avantageux, car il « s'exerce avant tout autre sur les meubles et effets mobiliers appartenant aux redevables en quelque lieu qu'ils se trouvent » [5]. Or cette supériorité de principe peut être parfois remise en cause selon la chronologie des évènements. C’est ce que prévoit explicitement le deuxième alinéa de l’article 2327 du Code civil (N° Lexbase : L1151HIH), selon lequel : « Le Trésor public ne peut cependant obtenir de privilège au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers ». La supériorité des intérêts de l’État s’efface lorsque des tiers peuvent prétendre à une situation juridique antérieurement acquise. En d’autres termes la sécurité juridique prime, en l’espèce, les impératifs publics [6].

La solution se comprend d’autant plus que l’administration fiscale avait eu l’occasion de se prononcer dans le même sens avant cet arrêt : « En présence d'un acte de nantissement régulièrement et valablement constitué, l'avis à tiers détenteur ne produira pas ses effets » [7].

Seul un autre fondement aurait pu justifier la décision de la cour d’appel. Il s’agit de l'article L. 263-0 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9448IYL), qui prévoit l’avis à tiers détenteur sur des contrats d’assurances rachetables « y compris si la possibilité de rachat fait l'objet de limitations ». Par extension, la renonciation du souscripteur à exercer la faculté de rachat pourrait s’apparenter à une limitation, ce que les juges du fond semblent avoir retenu. Or une limitation n’est pas une exclusion : elle est synonyme de réduction, de restriction ou encore de circonscription. L’exclusion est plus radicale et ne saurait être assimilée à une limitation. Dès lors, le comptable public ne saurait saisir des sommes qui ont déjà été appréhendées par un tiers et sur lesquelles le débiteur est privé de sa faculté de rachat [8].

Le nantissement a ainsi pour effet de modifier le contrat d’assurance vie sur lequel il porte, car la faculté de rachat est transférée du souscripteur au créancier nanti. Cette précision de la Cour de cassation emporte une conséquence de taille : le droit exclusif du créancier nanti.

II. Le droit exclusif du créancier nanti

La présente solution est aussi inédite qu’elle est utile à la détermination de la nature du nantissement. La Haute juridiction retient en effet le « droit exclusif » du créancier nanti « au paiement de la valeur de rachat excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés ».

Cette affirmation renseigne explicitement sur la nature du nantissement de contrat d’assurance vie : il s’agit d’une sûreté exclusive. Sans jamais avoir été reconnue comme telle jusqu’alors par les tribunaux, cette caractéristique est assez largement partagée en doctrine.

La justification de cette nature exclusive est à trouver dans le droit commun du nantissement. L’article 2363 du Code civil (N° Lexbase : L1190HIW) dispose en effet que : « Après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement de la créance donnée en nantissement ». L’expression employée est peu équivoque. Un créancier « seul » est bien un créancier qui jouit d’une exclusivité, sans quoi il aurait été expressément prévu qu’il bénéficie d’un droit de préférence, voire d’un droit de suite.

Certains auteurs estiment cependant que la notification du nantissement n’emporte aucun effet particulier entre le créancier nanti et ses concurrents et que l’article 2363 se borne à déterminer qui, du constituant ou du créancier, peut recevoir paiement [9]. D’autres, plus nombreux, considèrent que le nantissement valablement formé et notifié confère au bénéficiaire un droit exclusif et évacue toute considération liée à la concurrence des autres créanciers [10]. Cette lecture est d’ailleurs conforme au droit spécial du nantissement de contrat d’assurance vie, qui ouvre le rachat au créancier nanti « nonobstant l'acceptation du bénéficiaire » [11]. Le créancier nanti est bien le seul à pouvoir décider du sort des sommes grevées.

Outre les justifications déjà exposées tenant à la chronologie des évènements, la solution a aussi le mérite de donner une efficacité singulière à cette sûreté. Cette efficacité renforcée apporte un peu plus d’équilibre parmi les sûretés réelles, largement dominées en la matière par le droit de rétention. Le pourvoi tendait d’ailleurs à voir reconnaître ce droit de rétention au créancier nanti. La solution retenue évacue l’intérêt d’une telle reconnaissance, dans la mesure où le nanti est dans une situation d’exclusivité. Il n’a donc aucun intérêt à opposer au débiteur ou aux créanciers concurrents la possibilité de retenir le bien grevé, puisqu’il est déjà dans une situation d’exclusivité par rapport à ce bien – nul ne retient ce qui lui appartient déjà. Il est le seul à pouvoir appréhender sa valeur. En effet, la réalisation du nantissement suppose la mise en œuvre d’un pacte commissoire implicite. Seul bénéficiaire du paiement, le créancier s’approprie les sommes grevées en même temps qu’il réalise sa sûreté. Le droit de rétention n’a donc pas lieu d’être reconnu.

Au-delà de l’efficacité du nantissement, c’est aussi à la simplification de son régime que cette décision aboutit. En désignant le créancier nanti comme bénéficiaire exclusif, la Cour de cassation écarte une difficulté : la détermination des effets de la notification du nantissement selon les échéances respectives de la créance nantie et de la créance garantie. Désormais, soit la créance garantie arrive à échéance en premier et le créancier devra alors seulement attendre le terme de la créance nantie pour obtenir un paiement exclusif ; soit la créance nantie échoit la première et le créancier pourra alors obtenir un paiement exclusif sur les sommes, son nantissement prenant alors la nature d’un gage-espèces [12].

Plus largement, la solution interroge sur la pertinence des divisions fondamentales du droit des sûretés réelles, encore marqué par la distinction qui oppose les meubles aux immeubles. Dès lors que le nantissement de contrat d’assurance vie se rapproche désormais de la fiducie, ou plus largement des propriétés-sûretés [13], un critère de distinction plus pérenne pourrait résider dans l’effet de la sûreté, selon qu’elle place le créancier dans une situation de concurrence ou qu’elle l’épargne d’une telle situation. Cela serait d’autant plus logique que cette distinction est mise en relief par le droit des entreprises en difficultés, lorsqu’il met à l’épreuve les sûretés que les créanciers se sont ménagées.

La question se pose d’autant plus que la portée de la solution reste à préciser, particulièrement au regard du double visa, qui renvoie tant au droit spécial qu’au droit commun du nantissement. Bien que la solution, au fond, soit exprimée en des termes qui sembleraient la circonscrire au seul nantissement de contrat d’assurance vie, il n’est pas douteux qu’elle concerne en réalité le droit commun du nantissement.

D’abord car selon la nature, les modalités ou les stipulations contractuelles de la créance nantie, il est tout à fait envisageable qu’un autre type de créance puisse recevoir les mêmes règles. En d’autres termes, un contrat d’assurance vie n’est pas le seul bien qui, grevé d’un nantissement, autorise cette solution [14].

Ensuite, car la réforme annoncée du droit des sûretés prend explicitement cette voie. L’avant-projet proposé par la commission Grimaldi [15] suggère en effet de clarifier la formule de l’article 2363 du Code civil : « Après notification, le créancier nanti a seul le droit au paiement de la créance donnée en nantissement tant en capital qu'en intérêts ». L’exclusivité concernerait alors tout créancier nanti, indépendamment du bien grevé.

La solution retenue par cet arrêt a ainsi le mérite de préciser un élément essentiel du régime du nantissement, lui conférant à cette occasion une pleine efficacité. Plus largement, elle anticipe de manière bienvenue ce qui risque fortement de devenir le droit positif du nantissement de créance à l’occasion de la prochaine réforme du droit des sûretés.

 

[1] CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 29 novembre 2018, n° 18/05223 (N° Lexbase : A5032YNP).

[2] C. assur., art. L. 132-10, al. 4 (N° Lexbase : L4411H9A).

[3] C. civ., art. 2363 (N° Lexbase : L1190HIW).

[4] Un arrêt plus ancien rendu par la première chambre civile semble se détacher de cette analyse en partant du critère, hasardeux, de l’absence de dépossession du constituant : Cass. civ. 1, 11 mai 2017, n° 16-12.811, F-P+B (N° Lexbase : A8947WCD).

[5] CGI, art. 1920 (N° Lexbase : L7944LGC).

[6] La cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 29 novembre 2018, n° 18/05223, préc.) avait quant à elle retenu que la créance du Trésor public primait le nantissement « quelle que soit la date à laquelle ce dernier a été constitué ».

[7]  BOI-REC-FORCE-30-30, 20170828, n° 366 [en ligne]. Cette précision de l’administration est intervenue postérieurement à l’exercice de l’avis à tiers détenteur, mais avant les décisions des juges du fond, qui invoquaient alors au soutien de leur décision l’absence de rétroactivité de la doctrine fiscale.

[8] Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation avait eu l’occasion d’anticiper la présente solution, en retenant que la renonciation à la faculté de rachat faisait sortir du patrimoine du souscripteur la créance dont il était titulaire : Cass. com., 9 juillet 2015, n° 15-40.017, F-D (N° Lexbase : A7688NMP).

[9] Ph. Théry, note sous Cass. com., 19 décembre 2006, Defrénois, 2008, art. 38726, n° 2 ; M. Mignot, L’indisponibilité de la créance nantie : une pièce manquante essentielle du dispositif législatif issu de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, RD bancaire et fin., janvier 2010, étude n° 2.

[10] V. not. M. Julienne, Le nantissement de créance, Economica, 2012, n° 170 et s..

[11] C. assur., art. L. 132-10.

[12] Sur ce point, v. P. Crocq, Rép. civ. Dalloz, Nantissement, n° 40, 2019 ; L. Bougerol-Prud'homme, Exclusivité et garanties de paiement, 2012, Bibl. de droit privé, t. 538, LGDJ, n° 340.

[13] L. Aynès, Le nantissement de créance, entre gage et fiducie, Dr. et patr., septembre 2007, p. 66.

[14] La présente solution pourrait s’appliquer, par exemple, au futur nantissement de monnaie scripturale, s’il devait être consacré tel que l’avant-projet de la Commission Grimaldi le suggère. Selon l’article 2366-6 de cet avant-projet : « Ni le constituant, ni aucun tiers, ne peut retirer les fonds nantis aussi longtemps que la garantie subsiste » [en ligne]. La formulation renferme, même implicitement, l’idée d’exclusivité du créancier sur les fonds nantis, d’autant que le régime de ce nantissement ne serait pas cloisonné de son modèle de droit commun, dont l’exclusivité de paiement serait plus clairement affirmée.

[15] Sur lequel v. not. G. Piette et D. Nemtchenko, L'avant-projet de réforme du droit des sûretés, Lexbase Affaires, 2018, n° 540 (N° Lexbase : N2475BXX).

newsid:474113

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence relative à la TVA sur la marge

Réf. : CE 8° ch., 1er juillet 2020, n° 435463, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A29813QH) ; CE 8° ch., 1er juillet 2020, n° 431641, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A29763QB)

Lecture: 2 min

N4102BYL

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par Marie-Claire Sgarra

Le 15 Juillet 2020

Par deux arrêts en date du 1er juillet 2020, le Conseil d’État a renouvelé sa position concernant le régime de la TVA sur marge.

Rappel des faits : en l’espèce, une entreprise, exerçant une activité de marchand de biens, a procédé, à la cession de trois terrains à bâtir issus de la division parcellaire de deux ensembles immobiliers constitués, chacun, d'une maison à usage d'habitation et de son terrain d'assiette. À l'issue d'un contrôle sur pièces, la société s'est vue réclamer des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, procédant de la remise en cause du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge qu'elle avait appliqué à ces opérations. Le tribunal administratif de Dijon prononce la décharge de ces impositions. La cour administrative d’appel de Lyon a confirmé le jugement du tribunal administratif (CAA Lyon, 27 août 2019, n° 19LY01266 N° Lexbase : A6568ZM9).

En appel : le bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge est subordonné à la seule condition que l'acquisition du bien cédé n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe ; est sans incidence sur sa mise en oeuvre la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification du bien en cause aient été modifiées entre son acquisition et sa vente. À tort selon le Conseil d’État.

Solution : il résulte des dispositions de l’article 392 de la Directive du Conseil du 28 novembre 2006 (N° Lexbase : L7664HTZ) que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti. Le Conseil d’État confirme donc le redressement.

À noter : le Conseil d’État a rendu une décision identique et annulé le jugement de la cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 12 avril 2019, 18MA00802 N° Lexbase : A7535Y9X).

Rappelons que le débat ne semble pas clos sur cette question de TVA sur la marge. Le Conseil d’État a en effet saisi (enfin) la CJUE sur cette question (CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2020, n° 416727, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A34753PE). Affaire à suivre…

Pour aller plus loin :

À lire, D. Falco, TVA sur la marge en matière immobilière : la condition d’identité validée par le Conseil d’État, Lexbase Fiscal, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3279BY4)

M-C. Sgarra, TVA sur marge : le Conseil d’État saisit la CJUE, Lexbase Fiscal, juillet 2020, n° 830 (N° Lexbase : N3885BYK)

 

 

newsid:474102

Voies d'exécution

[Brèves] Mesure de gel des fonds et des ressources économiques : précisions de l’Assemblée plénière sur la nature et les conséquences de cette dernière

Réf. : Cass. ass. plén., 10 juillet 2020, n° 18-18.542 et n° 18-21.814, P+B+R+I (N° Lexbase : A93843QM)

Lecture: 7 min

N4101BYK

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 16 Juillet 2020

Dans cette affaire, l’Assemblée plénière a été amenée à trancher la question de savoir si une mesure conservatoire, peut être diligentée sur des avoirs gelés, cette dernière étant exclusive tant devant les juridictions française, que les juridictions des États membres, et devait nécessairement découler d’une interprétation du Règlement (CE) n° 423/2007 (N° Lexbase : L0152HWK) et des règlements qui l’ont remplacé ; La Cour de justice de l’Union européenne a donc été saisie de questions préjudicielles en interprétation de ces règlements ;

► Sur le pourvoi de la banque Sepah, la Cour suprême indique que le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités, ne constitue pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d’extériorité.

Contexte. Au début des années 2000, la République islamique d’Iran, État signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, a été suspectée par la Communauté internationale de développer un programme nucléaire et de missiles balistiques en violation de ses engagements internationaux. Dès lors, le Conseil de sécurité des Nations Unies a par résolution 1737 du 23 décembre 2006, décidé que l’Iran devait suspendre toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, ainsi que les travaux sur tous projets liés à l’eau lourde. Le Conseil des gouverneurs de l’agence internationale de l’énergie atomique a également ordonné que l’Iran applique certaines mesures. Des mesures restrictives ont été imposées aux États membres des Nation Unies, dont celle du gel des fonds et ressources économiques par les entités concourant au programme nucléaire ou missiles balistiques iranien. Par résolution 1747 du 24 mars 2007, il a identifié la banque Sepah comme faisant partie de ces dernières, dont la mesure de gel des avoirs devait s’appliquer.

La banque n’a pas exercé, de recours devant les juridictions européennes de cette décision.

La cour d’appel de Paris a rendu un arrêt le 26 avril 2007, condamnant la banque Sepah et des personnes physiques à verser certaines sommes avec intérêts au taux légal à la société Overseas et à la société Oaktree.

Le 17 janvier 2016, la banque Sepah a été radiée par le Conseil de sécurité de la liste des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives. À compter de cette date elle a recouvré la libre disposition des avoirs détenus dans l’Union européenne.

Les défenderesses ont fait délivrer le 17 mai 2016 des commandements de payer aux fins de saisie-vente contre la banque Sepah.

Le 5 juillet 2016, elles ont opté pour une autre mesure d’exécution forcée et ont fait pratiquer auprès de la Société Générale, des saisies-attributions et des saisies de droits d’associés et valeurs mobilières.

La banque Sepah a donc assigné les créancières devant le juge de l’exécution pour voir trancher les intérêts au taux légal des causes des saisies, en reconnaissant devoir le principal, mais soutenant que le gel de ses avoirs, constituait un cas de force majeure ayant entraîné la suspension des intérêts.

Les juges d’appel de Paris ont rejeté la demande de la banque de sa demande par un arrêt rendu le 8 mars 2018 compte tenu que la résolution 1747 constituait une sanction, et que l’appelante était mal fondée à invoquer une cause étrangère.

Néanmoins, la cour d’appel, considérant qu’aucune cause n’avait interdit aux sociétés intimées d’engager des mesures d’exécution, même à titre conservatoire, elle a prononcé la prescription des intérêts courus antérieurement au 17 mai 2011.

L’ensemble des parties ont chacune formé un pourvoi.

Moyen du pourvoi n° 18-18.542 de la banque Sepah. L’intéressée fait grief à l’arrêt 8 mars 2018 par la cour d’appel de Paris de valider les saisies-attributions et saisies de droits d’associés et valeurs mobilières, ainsi que de rejeter sa demande portant sur un cas de force majeure entraînant la suspension des intérêts. Les juges d’appel avaient fondé leur décision, sur l’absence d’extériorité en se fondant sur la nature de la sanction de la mesure de gel.

Réponse de la cour. Les Hauts magistrats énonçant la solution en marge, ont indiqué dans leur réponse que la résolution 1747 du Conseil de sécurité, qui ordonnait le gel des fonds et des ressources économiques de la banque Sepah, n’avait pas été contestée par la banque devant les juridictions de l’Union européenne et qu’en conséquence, cette mesure ne procédait pas d’une circonstance extérieure à son activité. Il indique par motif de pur droit que la décision se trouve légalement justifiée aux visas des articles 620, alinéa 1er (N° Lexbase : L6779H79), et 1015 (N° Lexbase : L3816LDP) du Code de procédure civile.

Dans la note explicative, il est relevé qu’il ressort de la jurisprudence des juridictions de l’Union, que le gel des avoirs n’est pas une sanction.

Moyen du pourvoi n° 18-21.814 des sociétés Overseas et Oaktree. Les demanderesses font grief à l’arrêt de dire prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et de les retrancher des causes des saisies, soutenant la violation de l’article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM), ensemble les articles 1 et 7 du Règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, repris par les articles 1 et 16 du Règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 (N° Lexbase : L9310KBG).

Réponse de la cour. La question inédite était de savoir si les demanderesses auraient pu interrompre la prescription en pratiquant une mesure conservatoire ou une exécution forcée sur les avoirs gelés.

Dans un premier temps, la Cour suprême a donc relevé que les Règlements (CE) n° 423/2007 (N° Lexbase : L0152HWK), (UE) n° 961/2010 (N° Lexbase : L9310KBG) et (UE) n° 267/2012 (N° Lexbase : L8545K9D), a relevé qu’ils ne comportaient pas de dispositions interdisant expressément à un créancier de diligenter une mesure conservatoire ou d’exécution forcée sur les biens gelés de son débiteur. Elle donne également dans son attendu (§ 19), la définition du gel des fonds, et celle du gel des ressources économiques.

Les Hauts magistrats relèvent que des mesures ayant pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur ne peuvent être mises en œuvre sur des avoirs gelés qu’après avoir obtenu l’autorisation de l’autorité nationale compétente (dans les hypothèses visées aux articles 8 à 10 du Règlement (CE) n° 423/2007, 17 à 19 du Règlement (UE) n° 961/2010, puis 24 à 28 du Règlement (UE) n° 267/2012).

La Cour suprême était amenée à s’interroger sur les points suivants :

  • le fait de savoir si des mesures comme des mesures conservatoires, sans effet attributif, peuvent être diligentées sans autorisation préalable sur des avoirs gelés ;
  • si une sûreté judiciaire ou une saisie conservatoire avant leur conversion, faute d’effet attributif, peuvent être diligentées sans autorisation préalable sur des avoirs gelés ;
  • dans le cas où l’autorisation préalable ne serait pas nécessaire, il convient de savoir si la mesure doit s’apprécier par catégorie d’acte, sans égard aux spécificités de l’espèce, ou si ces dernières peuvent être prises en compte.

La réponse à ces questions n’étant pas évidente, et compte tenu du fait que les règlements de l’Union ne comportent aucune disposition expresse, et que ni le tribunal de l’Union, ni la Cour de justice n’ont eu l’occasion de se prononcer sur ces questions, la Cour suprême, a prononcé le sursis à statuer et saisi la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel.

En l’espèce, l’Assemblée plénière, rejette le premier moyen et sursoit à statuer sur le second moyen du pourvoi.

newsid:474101

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