La lettre juridique n°833 du 23 juillet 2020

La lettre juridique - Édition n°833

Terrorisme

[Jurisprudence] Recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme : rétablir l’ordre ne règle pas nécessairement le problème

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-845 QPC, du 19 juin 2020 (N° Lexbase : A85303NA)

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par Amane Gogorza, Maître de conférences à l’Université Toulouse

Le 06 Décembre 2020

 


Mots-clés : recel de biens • apologie d’actes de terrorisme • adhésion • idéologie • liberté d’expression et de communication • intention terroriste • intention apologétique

Sans grande surprise le Conseil constitutionnel s’est opposé à la répression du recel d’apologie d’actes de terrorisme telle que consacrée par la Chambre criminelle. S’alignant sur les décisions relatives à la consultation habituelle des sites terroristes, les Sages ont naturellement relevé l’absence de nécessité, l’inadéquation et le défaut de proportionnalité de l’incrimination au regard de la liberté d’expression et de communication. Le rétablissement de la cohérence répressive ne doit cependant pas occulter les difficultés propres à la question examinée, loin d’être toutes résolues.


 

Par une décision du 19 juin 2020 [1], le Conseil constitutionnel vient confirmer ce qui était très largement attendu : telle qu’issue de la jurisprudence de la Cour de cassation, la répression du recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme méconnait la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1358A98). Le contexte et les précédents de la décision sont connus. Le 7 janvier 2020 [2] la Chambre criminelle jugeait « qu’entre dans les prévisions des articles 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS) et 421-2-5 (N° Lexbase : L8378I43) du Code pénal le fait de détenir, à la suite d'un téléchargement effectué en toute connaissance de cause, des fichiers caractérisant l'apologie d'actes de terrorisme ». Elle relevait cependant qu’ « une condamnation de ce chef n'est compatible avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que si est caractérisée, en la personne du receleur, son adhésion à l'idéologie exprimée dans de tels fichiers ». L’étonnement suscité par cet arrêt, lequel revenait à réhabiliter le délit de consultation habituelle des sites terroristes, conduisit la Chambre criminelle à soumettre sa jurisprudence à l’examen des Sages.

Le 24 mars 2020 [3], une question prioritaire de constitutionnalité leur était donc transmise afin que la toute récente solution soit mise à l’épreuve de la liberté d’expression et de communication ainsi que des décisions ayant abrogé l’ancien délit de l’article 421-2-5-2 du Code pénal (N° Lexbase : L4801K8C) [4]. Bien que s’étant déjà prononcé sur la constitutionnalité du délit d’apologie d’actes de terrorisme [5], le Conseil relevait un changement de circonstances consécutif à l’arrêt du 7 janvier 2020 et acceptait de revenir sur la question afin de vérifier si les termes « ou de faire publiquement l’apologie de ces actes » figurant à l’article 421-2-5 du Code pénal pouvaient être interprétés comme participant d’un délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme. À l'image de 2017, le Conseil constitutionnel procédait à l’examen de la nécessité de l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication puis à celui de son adaptation et de sa proportionnalité.


Relativement au premier point, le Conseil reproduit quasiment mot pour mot l’argumentaire mené en matière de consultation habituelle des sites terroristes. Le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme a certes pour objet de prévenir la diffusion d’idées ou de propos dangereux en lien avec le terrorisme et l’endoctrinement d’individus susceptibles de passer à l’acte (§ 14). Il reste que l’arsenal répressif est déjà suffisamment complet, indépendamment du délit contesté, pour parvenir à cette fin (§ 22). Et au Conseil de rappeler, comme il l’avait déjà fait à deux reprises en 2017, la liste des infractions de prévention existantes, les mesures d’investigation particulièrement performantes applicables à la lutte antiterroriste et les prérogatives des autorités administratives, soit pour retirer les contenus apologétiques publiés en ligne, soit pour surveiller des individus constituant une menace terroriste (§§ 16 à 22).  Les mêmes causes produisant les mêmes effets [6], le Conseil constitutionnel ne pouvait que conclure à l’inutilité du délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme reconnu par la Chambre criminelle.

L’analyse du second point, bien que proche de celle menée en 2017, invite à certaines réflexions. Si, telle que conçue par la Chambre criminelle, l’incrimination du recel d’apologie d’actes de terrorisme est inadéquate, c’est que l’adhésion à l’idéologie terroriste ajoutée à l’acte matériel de détention des fichiers apologétiques est insusceptible d’établir l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes ou d’en faire la glorification (§ 24). En somme, l’inadéquation du délit examiné résulte d’abord de ce que la figure délictive ne prolonge en rien la criminalité de l’infraction d’origine et, ensuite, qu’elle ne s’inscrit dans aucun projet terroriste clair. À défaut d’intention terroriste ou apologétique, l’incrimination de la détention de fichiers ou documents apologétiques serait dépourvue de cohérence et sa répression disproportionnée, des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement étant manifestement excessives compte tenu d’une exigence morale aussi mince (§ 25). Incontestable sur le plan constitutionnel, la censure n’en fait pas moins remonter les difficultés de droit pénal spécial que la Chambre criminelle avait cru résoudre. En effet, en imposant que la condamnation pour recel d’apologie d’actes de terrorisme dépende, au moins [7], de l’adhésion du receleur à l’idéologie exprimée par les fichiers détenus, la Chambre criminelle entendait réduire le périmètre de l’infraction en s’assurant des liens entretenus entre délits d’origine et de conséquence. Certes, la démarche était doublement maladroite. D’abord, cette condition subjective supplémentaire rappelait la seconde mouture du délit de consultation habituelle de sites terroristes que le Conseil avait clairement réfutée au motif qu’une version édulcorée de l’intention terroriste ne suffisait pas à emporter pareille qualification [8]. Ensuite, l’accent mis sur l’idéologie de l’auteur prêtait à confusion : étrangère à la qualification d’apologie d’actes de terrorisme et non impliquée par celle de recel [9], elle venait contredire l’exigence de légalité criminelle et l’interprétation stricte de la loi pénale. Le problème demeurerait si, d’aventure, la Chambre criminelle admettait la condamnation du détenteur de fichiers litigieux en cas d’intention apologétique ou terroriste. Le recel étant une infraction autonome, son élément moral ne saurait être emprunté à l’infraction d’origine (intention apologétique) ni à la catégorie dont elle prolonge la criminalité (intention terroriste). Le fait que le degré de culpabilité exigé par le Conseil constitutionnel soit plus marqué que celui dégagé par le juge pénal ne change rien à cette réalité. D’ailleurs, ainsi reconfiguré, le recel d’apologie d’actes de terrorisme aurait bien du mal à trouver une place dans le paysage antiterroriste actuel. La détention de fichiers apologétiques accompagnée de cette même intention impliquerait un nouvel acte d’apologie ; doublée de l’intention de commettre des actes terroristes, elle s’insinuerait au stade immédiatement antérieur à l’entreprise terroriste individuelle (C. pén., art. 421-2-6 N° Lexbase : L7543LP3) ou à l’association de malfaiteurs terroriste (C. pén., art. 421-2-1 N° Lexbase : L1874AMD), pour appréhender la préparation de la préparation des actes terroristes...

La question, il est vrai, ne devrait pas se poser, le Conseil Constitutionnel ayant de toute façon conclu à l’absence de nécessité de l’infraction dès lors que notre droit est suffisamment pourvu pour « surveiller une personne consultant ou collectant des messages apologétiques » et même « pour l’interpeller et la sanctionner » lorsque pareille démarche est accompagnée « d’un comportement relevant une intention terroriste, avant même que le projet ne soit entré en phase d’exécution » (§ 22). Il reste que, d’une manière générale, le recours à une intention terroriste [10] afin de combler les carences matérielles de l’infraction doit être reçu avec prudence. Certes, le Conseil constitutionnel ne fait que répondre à la question posée. Rejoignant le point d’équilibre dégagé lors des décisions relatives à la consultation habituelle des sites terroristes, il insiste sur l’état d’esprit à même de colorer pénalement la détention, par nature équivoque [11], de fichiers apologétiques.

Pour autant, le rapprochement avec les précédentes décisions trouve ses limites dans la mesure où il lui revenait de se prononcer sur l’application d’une infraction de conséquence – le recel – dont les éléments constitutifs ne sauraient varier selon les caractéristiques de l’infraction d’origine [12], non de fixer les limites constitutionnelles des infractions terroristes. Cela conduit à penser que la discussion de départ était mal engagée : si le fait de télécharger et de détenir des fichiers apologétiques ne peut être constitutif d’un recel d’apologie d’actes de terrorisme c’est tout simplement qu’il est difficile de concevoir que ces actes prolongent, d’un point de vue matériel, la criminalité résultant de la diffusion au public de tels messages. C’est peut-être ce que suggère le Conseil constitutionnel, observant que la détention de fichiers ou de documents apologétiques ne participe à la diffusion d’idées et de propos dangereux qu’à « la condition de donner lieu ensuite à une nouvelle diffusion publique » (§ 23). Ainsi que le relève un auteur [13], ferait alors défaut le résultat de l’infraction, la détention d’un fichier apologétique ne permettant pas, en l’absence de publicité, de perpétrer l’atteinte réalisée par l’infraction dont le recel n’est qu’un épilogue [14]. Mais ce sont, il est vrai, des considérations de droit pénal spécial dont l’analyse détaillée ne relève pas de la compétence du Conseil constitutionnel. Pour sa part, il importait seulement de relever que les mots « ou faire publiquement l’apologie de ces actes (de terrorisme) » ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’expression et de communication être interprétés comme réprimant le recel d’apologie d’actes de terrorisme (§ 26). 

 

[1] Cons. const., décision n° 2020-845 QPC, du 19 juin 2020 (N° Lexbase : A85303NA).

[2] Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-80.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5582Z9M), G. Beaussonie, Sanction du recel de fichiers caractérisant l'apologie d'actes de terrorisme, JCP G, 2020, n° 12, p. 341 ; V. Malabat, Recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme, RPDP 2020,  p. 121 ;  F. Safi, Le recel de l’apologie du terrorisme : du juge qui prononce la lettre de la loi au juge qui trahit l’esprit de la loi, Lexbase Pénal, mars 2020 (N° Lexbase : N2501BYB).

[3] Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-86.706, FD (N° Lexbase : A18073K7).

[4] Cons. const., décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017 (N° Lexbase : A7723TBN), JCP G, 2017, p. 343, note A. Gogorza et B. de Lamy ; Dr. pén., 2017, comm. 85, Ph. Conte ; Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017, (N° Lexbase : A7105W7B), O. Cahn, Délit de consultation de sites terroristes : ni fleurs, ni couronnes..., Lexbase Pénal, janvier 2018 (N° Lexbase : N2232BXX), JCP G, 2018, 109, note A. Gogorza et B. de Lamy.

[5] Cons. const., décision n° 2018-706 QPC, du 18 mai 2018 (N° Lexbase : A9687XMQ).

[6] Déjà en ce sens relativement à la deuxième décision portant sur la consultation habituelle des sites terroristes, O. Cahn, préc.

[7] Précision introduite par l’arrêt Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-86.706, préc.

[8] Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017, préc., cons. 14.

[9] G. Beaussonie, préc.

[10] J. Alix, Flux et reflux de l’intention terroriste, RSC, 2020, p. 505. 

[11] G. Beaussonie préc. ; V. Malabat, préc.

[12] G. Beaussonie, préc.

[13] V. Malabat, préc.

[14] A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, 1982, Cujas, n° 2451.

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Actes administratifs

[Questions à...] L’élargissement du champ des actes de droit souple pouvant donner lieu à recours contentieux - Questions à Thomas Hochmann, Professeur de droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne

Réf. : CE Sect., 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A55233NU)

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N4162BYS

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Le 22 Juillet 2020

 

 


Mots clés : Actes législatifs et administratifs - Instructions et circulaires - droit souple

Les lignes directrices émanant d'autorités publiques sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre, et sont, par suite, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler ce que recouvre exactement la notion de "droit souple" ?

Thomas Hochmann : On conçoit souvent le droit comme un ensemble d’énoncés normatifs, qui ordonnent, autorisent ou interdisent. Mais les autorités juridiques, et notamment l’Administration, peuvent parvenir tout aussi bien à orienter les comportements au moyen d’un langage non normatif, en recommandant une action plutôt qu’en l’ordonnant. On appelle « droit souple » ou « soft law » cette technique, qui a reçu une attention soutenue au moins depuis que le Conseil d’État lui a consacrée son étude annuelle en 2013 [1].

D’un point de vue contentieux, le caractère normatif ou non de l’acte a longtemps revêtu une importance fondamentale. En effet, la recevabilité du recours en excès de pouvoir dépendait du caractère « décisoire », c’est-à-dire normatif, de l’acte attaqué. Le juge ne contrôlait que des normes, il s’agissait uniquement d’examiner si le droit était conforme au droit. Un recours contre un acte de droit souple n’était donc pas recevable, en dépit de ses éventuelles conséquences très palpables dans le monde réel.

En 2016, deux arrêts du Conseil d’État ont néanmoins posé les bases d’une reconnaissance de la justiciabilité du droit souple [2]. Le Conseil d’État jugeait en effet qu’un certain nombre d’actes non normatifs, telles les recommandations ou les « mises en garde », pouvaient faire l’objet d’un recours s’ils étaient « de nature à produire des effets notables » ou avaient « pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ». Cette première étape ne concernait que les autorités de régulation, mais elle a constitué le point de départ d’une dissociation entre la normativité de l’acte et la recevabilité du recours dirigé contre lui.

Lexbase : Quelle est la portée concrète de l'arrêt du 12 juin 2020 ?

           

Thomas Hochmann : Les arrêts « Fairvesta » et « Numéricable » de 2016 ont immédiatement soulevé la question de l’élargissement du raisonnement qu’ils mettaient en œuvre. Il a d’abord été étendu à l’ensemble des autorités administratives [3]. Mais l’arrêt « GISTI » du 12 juin 2020 va plus loin et rompt pour de bon le lien ancestral entre la normativité de l’acte et la recevabilité du recours. Le Conseil d’État annonce de manière solennelle que tous les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques […] peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre ». Le juge ajoute qu’« ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif », c’est-à-dire normatif. Le mot « notamment » est ici déterminant : la normativité n’est plus une condition nécessaire pour qu’il soit possible de former un recours pour excès de pouvoir. Ce sont désormais les conséquences réelles du comportement de l’Administration qui importent. Il peut exister des actes normatifs qui, telles les mesures d’ordre intérieur, développent des effets trop minimes pour que le juge s’y intéresse et, inversement, il peut exister des actes non normatifs dont les conséquences pratiques justifient la recevabilité du recours.

Avec ce critère très large de « documents de portée générale émanant d’autorités publiques », le Conseil d’État peut unifier le régime des actes de droit souple, en envisageant explicitement deux catégories qui faisaient l’objet de jurisprudences « classiques » : les circulaires et les directives (rebaptisées « lignes directrices » depuis 2014). Le régime contentieux de ces actes paraissait en effet devoir être modifié depuis les arrêts « Fairvesta » et « Numéricable » de 2016 [4]. L’arrêt du 12 juin 2020 constitue en ce sens l’aboutissement du mouvement jurisprudentiel lancé en 2016.

Une circulaire est un document rédigé par l’Administration qui explique, commente, propose une interprétation des normes applicables. En principe, elle n’impose rien, mais se contente d’émettre des recommandations. En pratique, néanmoins, elle est souvent considérée par les agents concernés comme une norme à laquelle ils ne sauraient désobéir, ce qui explique que leur publication soit obligatoire depuis 2008. Leur régime contentieux a été modifié par un arrêt « Duvignères » [5], qui se fondait pleinement sur le critère de la normativité. Le Conseil d’État distinguait les circulaires « impératives » des circulaires simplement indicatives, et prévoyait que seules les premières pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. C’est donc le texte de la circulaire, son caractère normatif ou non, qui importait, sans égard pour les effets concrets qu’elle pouvait développer par ailleurs.

Une ligne directrice est un document par lequel un organe administratif, « sans renoncer à [son] pouvoir d’appréciation, sans limiter celui de [ses] subordonnés et sans édicter aucune condition nouvelle, défini[t] des orientations générales en vue de diriger » son activité [6]. Très proche de la circulaire, elle est censée porter moins sur le droit applicable que sur le sens des décisions à prendre concrètement. Elle indique la décision qu’il conviendra d’adopter dans la plupart des cas, tout en permettant de s’écarter de cette ligne si les circonstances particulières le justifient. Étant dès lors « dénuée de caractère impératif », elle ne pouvait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir [7].  Dès 2017 [8], le Conseil d’État a appliqué la solution des arrêts « Fairvesta » et « Numéricable » aux lignes directrices émises par des autorités de régulation. L’arrêt du 12 juin 2020 vient parachever cette évolution.

Le Conseil d’État mentionne en effet explicitement les circulaires et les lignes directrices parmi les actes contre lesquels le recours pour excès de pouvoir est ouvert. Il ne s’agit donc plus de s’interroger sur le caractère normatif, « impératif » de l’acte, mais d’examiner s’il développe des « effets notables » sur la situation des administrés. Dans un tel cas, le juge pourra contrôler si le comportement qu’il ordonne ou recommande aux agents de l’Administration est illégal, par exemple parce que la prétendue « interprétation » du droit qu’il mentionne est erronée. On a pu affirmer que le recours pour excès de pouvoir qu’ouvrait cet arrêt était un recours diminué, « allégé », en ce qu’il était limité à l’examen de certains vices de légalité [9]. Une telle analyse nous semble néanmoins faire fi du mot « notamment », qui apparaît une seconde fois dans l’arrêt : « Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure ». Ces motifs d’illégalité, repris de la jurisprudence « Duvignères », ne sont que des illustrations, et c’est donc bien l’ensemble des « vices susceptibles d’affecter la légalité du document » qui devra être envisagé par le juge.

             

Lexbase : L'élargissement du champ des actes pouvant donner lieu à recours contentieux ne risque-t-il pas d’accroître le risque de judiciarisation de la société ?

           

Thomas Hochmann : Cette ouverture plus large du recours pour excès de pouvoir devrait logiquement conduire à davantage de décisions au fond et donc renforcer en ce sens la « judiciarisation de la société ». Mais il n’est pas certain qu’il y ait là un « risque » dont il faudrait s’inquiéter. Au contraire, du point de vue des libertés, il s’agit d’une évolution qui paraît devoir être saluée. Dès lors que le juge de l’excès de pouvoir examine notamment l’atteinte aux droits des individus, il n’y a en effet aucune raison de limiter le contrôle aux actes normatifs. Ce n’est pas uniquement au moyen de normes que l’Administration peut menacer les libertés : des actes non normatifs peuvent développer en pratique des effets tout aussi puissants. Déconnecter la recevabilité du recours d’une attention exclusive à la normativité de l’acte est donc un progrès.

Dans un tout autre contexte, le droit allemand a par exemple reconnu depuis longtemps que l’atteinte aux droits fondamentaux pouvait prendre une forme « indirecte » ou purement factuelle, c’est-à-dire non normative. Ainsi, la Cour constitutionnelle a examiné des recours contre des avertissements par lesquels des autorités administratives restreignent l’exercice des libertés sans édicter de norme. Les exemples classiques concernent la publication d’une liste de produits dangereux ou encore la mise en garde contre le caractère sectaire d’un mouvement religieux [10].

Lexbase : En outre, ne risque-t-on pas d'assister à une raréfaction des actes de droit souple, pourtant utiles dans la marche quotidienne des administrations ?

           

Thomas Hochmann : Je ne le crois pas. D’abord, l’Administration ne peut effectivement se passer de ce type d’actes, et il n’existe pas de raison de croire que la possibilité de recours juridictionnels devrait la conduire à y renoncer. Pourrait-elle être tentée de dissimuler davantage ces actes afin qu’ils échappent à tout contrôle ? Il faut souligner que le Conseil d’État a anticipé cette parade, en précisant bien que les « documents de portée générale » pouvaient être susceptibles de recours qu’ils soient « matérialisés ou non ».

Ensuite, et surtout, il faut bien comprendre que ces instruments de droit souple ont été conceptualisés par le juge pour pallier l’absence de pouvoir réglementaire de certaines autorités administratives. Ainsi, qualifier un acte de « ligne directrice » plutôt que de règlement permet de sauver un acte qui serait sinon entaché d’incompétence. Comme le remarquait un auteur, « la directive n’est rien d’autre qu’un acte administratif réglementaire, que le juge a lui-même assorti d’un pouvoir de dérogation » [11]. Cette démarche est particulièrement visible dans les conclusions rendues sur l’arrêt « Crédit Foncier de France » [12]. Remarquant que le document litigieux présentait tous les aspects d’un règlement adopté par une autorité incompétente, le commissaire du Gouvernement incitait le juge à « faire l'effort de considérer que la Commission nationale (...) n'a fait après tout, par son instruction n° 46, comme par les autres, qu'arrêter pour elle-même et pour les Commissions départementales, en vue d'opérer l'indispensable sélection des demandes, une doctrine ou ensemble de recommandations laissant place à des dérogations justifiées par des circonstances particulières ».

L’arrêt « GISTI » du 12 juin 2020 s’inscrit parfaitement dans cette lignée, et démontre bien que l’évolution jurisprudentielle est peu susceptible d’entraver le fonctionnement de l’Administration. Le recours portait sur une « note d’actualité » émise par la direction centrale de la police aux frontières qui préconisait aux agents de rejeter la validité de tout acte de naissance guinéen, en raison d’un système de fraude généralisé dans ce pays. Si le recours contre cette note est recevable, ce document ne se voit pas imposer pour autant toutes les exigences qui s’attachent aux règlements ou plus largement aux actes normatifs. Le Conseil d’État juge ainsi qu’elle « entre dans les attributions » de l’autorité qui l’a émise, et qu’on ne saurait lui reprocher le non respect des obligations formelles que le Code des relations entre le public et l’administration impose aux actes normatifs. En outre, alors que la note litigieuse risque bien, en pratique, de conduire ses destinataires à prononcer systématiquement l’irrégularité des actes de naissance guinéen, le juge remarque que rien ne leur interdit de prendre une décision différente dans un cas particulier. La ligne directrice demeure donc un mécanisme qui permet de protéger certains actes adoptés par l’Administration, laquelle ne saurait considérer avec trop d’inquiétude la nouvelle ère inaugurée par l’arrêt du 12 juin 2020.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

 
  1. [1] Conseil d’État, Le droit souple, EDCE, 2013 ; voir aussi la thèse de référence de B. Lavergne, Recherche sur la soft law en droit public français, LGDJ, 2013.
  1. [2] CE, Ass., 21 mars 2016, deux arrêts publiés au recueil Lebon, n°s 368082, 368083, 368084 (N° Lexbase : A4320Q8I) et 390023 (N° Lexbase : A4296Q8M).
  1. [3] CE, 19 juillet 2019, n° 426389 (N° Lexbase : A5758ZKH).
  1. [4] Voir par exemple Th. Hochmann, D. Jouve, P. Pailler (dir.), Le contrôle juridictionnel du droit souple, Editions et presses universitaires de Reims, 2017, p. 222 ; F. Melleray, Quel avenir pour les jurisprudences « Crédit Foncier de France » et « Duvignères » ? , AJDA, 2019, p. 2513.
  1. [5] CE, 18 décembre 2002, n° 233618 (N° Lexbase : A9733A7M).
  1. [6] CE, 11 décembre 1970, n° 78880 (N° Lexbase : A8286B7Z).
  1. [7] CE, 3 mai 2004, n° 254961 (N° Lexbase : A0684DCC).
  1. [8] CE, 13 décembre 2017, n° 401799 (N° Lexbase : A1340W87).
  1. [9] M. Touzeil-Divina,  Un nouveau « recours Gisti » contre les lignes directrices ?, JCP A, 2020, act. 351.
  1. [10] Voir Th. Hochmann, L’atteinte indirecte aux droits fondamentaux en Allemagne, in Th. Hochmann, D. Jouve, P. Pailler (dir.), op. cit., p. 211-223.
  1. [11] É. Untermaier-Kerléo, Le droit souple, un regard circonspect sur la jurisprudence « Crédit Foncier de France », RFDA, 2014, p. 1029.
  1. [12] Concl. Bertrand, Lebon 1970, p. 750.

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Actes administratifs

[Brèves] Ordonnance inintelligible : le JA peut procéder à sa réécriture

Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 15 juillet 2020, n° 436155, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A18333RC)

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par Yann Le Foll

Le 22 Juillet 2020

En l'absence de doute sur la portée d’un article inséré dans un code par une ordonnance, il y a lieu pour le Conseil d'État, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les dispositions erronées de cet article, mais de leur conférer leur exacte portée (CE 1° et 4° ch.-r., 15 juillet 2020, n° 436155, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A18333RC).

Faits. La Polynésie française demande l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions des 4° et 5° de l'article 6 de l'ordonnance n° 2019-861 du 21 août 2019, visant à assurer la cohérence de diverses dispositions législatives (N° Lexbase : L7958LR8) avec la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (N° Lexbase : L9567LLW). Les dispositions du 4° de cet article 6 modifient l'article L. 5775-1 du Code des transports (N° Lexbase : L8230LRA) en ajoutant à la liste des dispositions applicables en Polynésie française les articles L. 5547-3 (N° Lexbase : L9744LLH) à L. 5547-9 de ce code, relatifs à l'agrément des organismes de formation professionnelle maritime, dans leur rédaction issue de la loi du 5 septembre 2018. Celles du I du 5° insèrent dans le même code un article L. 5775-10 (N° Lexbase : L8231LRB) prévoyant que ces articles L. 5547-3 à L. 5547-9 sont applicables en Polynésie française aux organismes de formation conduisant à l'obtention ou au renouvellement des titres de la formation professionnelle maritime délivrés par l'Etat. Celles du II du même 5° prévoient des adaptations pour l'application de l'article L. 5547-3 en Polynésie française.

Sur l'intelligibilité de l'ordonnance attaquée. Il est vrai, comme le soutient la requête, que le 2° du II de cet article L. 5775-10 est entaché d'une erreur matérielle qui en affecte l'intelligibilité. Mais il résulte, à l'évidence, des dispositions du 5° de l'article 6 de l'ordonnance qu'elles entendaient seulement supprimer, pour la Polynésie française, la référence à la définition des formations professionnelles du second degré figurant à l'article L. 337-1 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L9482ARM), dont seul le troisième alinéa est applicable dans cette collectivité. Il s'ensuit que le II de l'article L. 5547-3 du Code des transports (N° Lexbase : L9744LLH) doit être lu, pour son application en Polynésie française, comme prévoyant que : « Les formations dispensées par des établissements placés sous tutelle du ministre chargé de la Mer et conduisant à la délivrance d'un diplôme national sanctionnant la poursuite ou le suivi d'études supérieures au sens des articles L. 612-2 et L. 613-1 du Code de l'éducation ne sont pas soumises à l'agrément prévu au I du présent article ».

Décision. En l'absence de doute sur la portée du 2° du II de l'article L. 5775-10 inséré dans le code des transports par l'ordonnance attaquée, il y a lieu pour le Conseil d'État, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les dispositions erronées de cet article, mais de leur conférer leur exacte portée et de prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l'erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d'un extrait de sa décision (s'agissant d'une telle correction au lieu d'une annulation, CE, 25 mars 2002, n° 224055 N° Lexbase : A5014AYD).

newsid:474151

Assurances

[Brèves] Assurance vie en unités de compte : éligibilité des obligations négociées sur un marché reconnu

Réf. : Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-16.922, F-P+B+I (N° Lexbase : A35563R7)

Lecture: 5 min

N4226BY8

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 22 Juillet 2020

► Les obligations négociées sur un marché reconnu constituent en elles-mêmes des actifs éligibles à un contrat d’assurance vie en unités de compte.

La seule circonstance qu’une valeur mobilière ou un actif figure parmi les unités de compte éligibles énumérées par les articles R. 131-1 et R. 332-2 du Code des assurances suffit à établir que cette valeur mobilière ou cet actif offre une protection suffisante de l’épargne.

En l’espèce, un particulier avait souscrit, le 21 février 1997, par l’intermédiaire de son courtier, un contrat d’assurance sur la vie, libellé en unités de compte, auprès d’un assureur. Le 12 décembre 2016, il avait procédé à l’arbitrage de l’intégralité des sommes investies sur un unique support, dénommé « Optimiz presto 2 », produit structuré indexé sur un panier d’actions de référence, émis par une filiale du groupe Société générale et coté sur le marché de la Bourse de Luxembourg. A la suite des mauvaises performances de ce support, soutenant que celui-ci n’était pas éligible à l’assurance sur la vie et reprochant à l’assureur et au courtier d’avoir manqué à leur obligation d’information et de conseil, l’assuré avait assigné ces derniers en paiement de dommages-intérêts.

Il n’obtiendra pas gain de cause.

Le texte. Selon l'article L. 131-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7352LQD), dans sa rédaction applicable au litige, en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat.

Question soulevée. La question soulevée par le requérant était de savoir si la seule circonstance que la valeur mobilière ou l’actif en cause figure parmi les unités de compte éligibles énumérées par les articles R. 131-1 (N° Lexbase : L5949LTI) et R. 332-2 (N° Lexbase : L1092IB3) du Code des assurances suffisait à établir que cette valeur mobilière ou cet actif offrait une protection suffisante de l’épargne.

Le requérant prétendait que la réponse à cette question était négative, et faisait valoir que le respect de l’exigence de protection suffisante de l’épargne que doivent remplir les valeurs mobilières ou actifs éligibles en qualité d’unités de comptes d’un contrat d’assurance-vie ou de capitalisation devait s’apprécier au regard de la probabilité de perte en capital et de l’importance de celle-ci.

Réponse de la Cour de cassation. Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui vient préciser que :

- il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992 (N° Lexbase : L7849IQR), que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du Code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte ;

- selon l'article R. 131-1 du Code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, les unités de compte visées à l'article L. 131-1 du Code des assurances incluent les actifs énumérés au 1, 2, 2 bis, 2 ter, 3, 4 , 5 et 8 de l'article R. 332-2 du Code des assurances, au nombre desquels figurent les obligations négociées sur un marché reconnu.

Elle approuve ainsi la décision de la cour d’appel de Paris qui avait, d’abord, retenu que le produit « Optimiz presto 2 » s'analysait en une obligation au sens de l'article L. 213-5 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9898DYA), soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital (on rappellera que cette précision a été apportée par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt rendu le 23 novembre 2017 : Cass. civ. 2, 23 novembre 2017, n° 16-22.620, FS-P+B+I N° Lexbase : A5704W3N ; qui avait alors cassé un arrêt de la cour d’appel de Paris et renvoyé l’affaire devant la même cour autrement composée, et l’on comprend que c’est l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi qui était ici attaqué).  

Les juges d’appel avaient ensuite relevé que le produit avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2 2 du Code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par cinq mille deux-cent-vingt négociations par les clients de la société Generali vie, intervenues de 2007 à 2013.

La cour d'appel de Paris en a alors exactement déduit que le produit en cause était bien éligible comme unité de compte dans un contrat d'assurance sur la vie.

newsid:474226

Assurances

[Brèves] Compétence territoriale de la juridiction devant laquelle l’action directe à l'encontre de l'assureur est engagée

Réf. : Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-18.795, F-P+B+I (N° Lexbase : A35603RB)

Lecture: 2 min

N4186BYP

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 24 Juillet 2020

La victime d’un accident de la circulation a le choix pour engager une action directe, de se prévaloir soit des règles de compétence issues des articles 42 (N° Lexbase : L1198H47) et suivants du Code de procédure civile, soit de celles de l’article R. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L4059IMB), qui donnent compétence au tribunal du domicile de l’assuré.

Faits et procédure. A la suite d’un accident de la circulation, dans lequel était impliqué un véhicule assuré par la Macif, l’assureur a été assigné par les consorts X devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, en indemnisation de leurs préjudices, et en présence de la CPAM. Devant le juge de la mise en état, l’assureur a soulevé l’incompétence territoriale de la juridiction saisie.

Le pourvoi. Les demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt rendu le 3 mai 2019, par la cour d’appel de Colmar, d’avoir déclaré le tribunal de grande instance de Strasbourg incompétent territorialement et d’avoir renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de grande instance de Mulhouse. Le moyen invoqué par les intéressés est la violation de l’article R. 114-1 du Code des assurances, concernant la juridiction compétente dans le cas d’une action directe engagée par la victime.

Réponse de la Cour. Après avoir rappelé que la solution précitée était de jurisprudence constante, les Hauts magistrats relèvent, dans un premier temps que les consorts avaient fondé leur action directe sur le fondement de l’article L. 124-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L4188H9Y) ; en conséquence la juridiction compétente était celle du lieu où était situé le siège social du défendeur, au sens de l’article 42 du Code de procédure civile. Dans un second temps, les Hauts magistrats démontrent que si les demandeurs avaient voulu se prévaloir en matière délictuelle des dispositions de l’article 46 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1210H4L), concernant la juridiction du lieu du fait dommageable, ou celle dans laquelle le dommage a été subi, la juridiction saisie aurait été le tribunal de grande instance de Saverne. Enfin, la Cour suprême, énonce dans sa réponse, que la même juridiction aurait été compétente si le choix s’était porté sur le domicile de l’assuré.

En conséquence, il découle de ces différentes énonciations que les juges d’appel, ont légalement justifié leur décision, et qu’aucun texte ne permettait de retenir la compétence territoriale de la juridiction dans le ressort de laquelle demeurait la victime.

Solution de la Cour. Enonçant la solution précitée, la Cour suprême rejette le pourvoi.

 

newsid:474186

Autorité parentale

[Jurisprudence] L’ex-concubine de la mère n’est pas titulaire d’un droit à entretenir des relations avec l’enfant après la séparation

Réf. : Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 19-15198, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3962ZUB) ; Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15198, F-P+B+I (N° Lexbase : A33673PE)

Lecture: 13 min

N4274BYX

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille

Le 24 Juillet 2020


Mots clés : autorité parentale • concubin • séparation • projet parental • parent d’intention • maintien des relations avec l’enfant • article 371-4

Les conséquences de la séparation d’un couple de concubines sur l’enfant né d’un projet commun est une question particulièrement délicate compte tenu de l’absence de droits parentaux de la mère d’intention. La Cour de cassation, qui est intervenue à deux reprises dans la même affaire, précise dans les arrêts du 6 novembre 2019 et 24 juin 2020, les conditions du maintien, après la séparation, des liens entre l’enfant et la femme qui n’est pas sa mère.


 

En l’espèce, après plusieurs années de vie commune, un couple de concubines avait réalisé leur projet parental en passant par la voie d’une insémination avec donneur à l’étranger. En l’absence de mariage et d’adoption de l’enfant du conjoint, seule la mère biologique de l’enfant était titulaire de l’autorité parentale. Elles se sont séparées deux ans après la naissance de l’enfant, de manière très conflictuelle. Après plusieurs mois au cours desquels l’ex-compagne de la mère a pu entretenir des relations avec l’enfant, la mère de celui-ci y a mis un terme, en raison du comportement violent de son ancienne concubine. Celle-ci a alors entrepris une bataille judiciaire acharnée pour obtenir le maintien de ses liens avec l’enfant, en contestant la constitutionnalité puis la conventionnalité de l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L8011IWM) qui ne serait pas, selon elle, suffisamment respectueux des droits de la personne avec qui l’enfant a vécu avec son parent ni des droits de l’enfant. Le texte, issu de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (N° Lexbase : L7926IWH), dispose en effet seulement que « si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables. ». Ces dispositions incitent certes le juge à favoriser le maintien des liens de l’enfant avec la personne qui a partagé sa vie et celle de son parent, sans cependant en faire un principe.

Toutefois, selon la Cour de cassation, l’article 371-4 du Code civil, est in abstracto conforme aux exigences supra-législatives (I) et le refus d’accorder un droit de visite à l’ex-concubine, en l’espèce, répond aux exigences du contrôle de proportionnalité in concreto (II).

I. La conformité in abstracto de l’article 371-4 du Code civil aux droits fondamentaux

Contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité. C’est d’abord par la voie d’une QPC que l’ex-concubine a tenté de remettre en cause le contenu de l’article 371-4 du Code civil et plus particulièrement le fait que ce texte ne consacre pas le droit pour le parent d’intention de maintenir des liens avec l’enfant qu’il a élevé, à travers, notamment un droit de visite et d’hébergement. Par la suite, dans le débat au fond, c’est la conventionnalité de l’article 371-4 qui a été contestée, tant au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (N° Lexbase : L6807BHL), qu’au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. La Cour de cassation a ainsi procédé à la fois à un contrôle de constitutionnalité et à un contrôle de conventionnalité de l’article 371-4 alinéa 2, qui en réalité portaient sur les mêmes arguments, fondés sur des dispositions différentes : le non-respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, le non-respect du droit à la vie familiale, et l’existence d’une discrimination.

Intérêt supérieur de l’enfant. L’absence de conformité de l’article 371-4 alinéa du Code civil à la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant a d’abord été invoquée dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, puisque la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant est une exigence constitutionnelle, particulièrement depuis la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2019 [1].  C’est ensuite directement l’article 3 § 1 de la CIDE consacrant la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant qui a été invoqué. Dans les deux cas, le pourvoi prétendait que l’intérêt supérieur de l’enfant imposerait que lorsqu’une personne est impliquée dans la vie d’un enfant depuis sa conception et l’a élevé, le lien entre eux doit en principe être maintenu, sauf dans des cas exceptionnels. Le fait que l’article 371-4 n’impose pas d’obligation au juge de fixer un droit de visite au bénéfice du tiers qui a vécu avec l’enfant serait donc contraire à l’intérêt supérieur de celui-ci.

Dans les deux arrêts du 6 décembre 2019 et du 24 juin 2020, la Cour de cassation rejette l’argument en affirmant que l’article 371-4 du Code civil fonde les décisions relatives aux relations personnelles de l’enfant avec un tiers sur le seul critère de l’intérêt de l’enfant. Elle précise dans le second arrêt que « ce texte permet le maintien des liens entre l’enfant et l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués tout en le conditionnant à l’intérêt de l’enfant. En ce qu’il tend en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait en lui-même méconnaître les exigences de l’article 3 § 1 de la CIDE et 8 de la CEDH ». La Cour de cassation considère ainsi que le juge doit recourir à une appréciation in concreto de l’intérêt supérieur de l’enfant pour décider de maintenir ou non des relations entre l’enfant et l’ancienne compagne de sa mère, ce qui en creux, aboutit à refuser de considérer que, selon une appréciation in abstracto, l’intérêt supérieur de l’enfant serait, en principe, de maintenir ces liens. Alors que l’article 373-2-1 du Code civil (N° Lexbase : L7190IMA) accorde au parent légal, avec lequel l’enfant ne vit pas, un droit de visite et d’hébergement, sauf motifs graves, la Cour cassation refuse de considérer qu’il devrait en être de même pour le parent d’intention. En tant que tel, l’article 371-4 du Code civil est conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.

Vie familiale. L’argument du droit au respect de la vie familiale du parent d’intention et de l’enfant a été invoquée dans le cadre de la demande de QPC, sous la forme du droit à mener une vie familiale normale fondé sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, et dans le débat au fond, sous la forme du droit au respect de la vie privée et familiale, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Sans que l’existence même d’une vie familiale entre l’enfant et son parent d’intention ne soit évoquée tant elle relevait de l’évidence, l’absence de violation du droit au respect de la vie familiale est constatée par la Cour de cassation dans les deux arrêts. Si l’on peut admettre qu’il existe bien une atteinte au droit au respect de la vie familiale existant entre le parent d’intention et l’enfant, du fait de l’absence de maintien des liens, cette atteinte est justifiée par l’intérêt supérieur de l’enfant. La modification, en 2013, de l’article 371-4 avait justement pour objectif de permettre la préservation des relations entre l’enfant et le parent qui l’a élevé. L’ex-concubine estimait que cette possibilité n’était pas suffisante et qu’une obligation pour le juge de fixer un droit de visite était nécessaire pour satisfaire les exigences découlant du droit au respect de la vie familiale. Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui estime que la vie familiale du parent d’intention est suffisamment préservée par la faveur que lui accorde l’article 371-4, opérant une sorte de hiérarchie entre, d’une part, la vie familiale entre l’enfant et son parent d’intention, et d’autre part, la vie familiale entre l’enfant et son parent légal, ce dernier bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement systématique, contrairement au parent d’intention qui ne peut que demander que la question du maintien de ses liens avec l’enfant soit examinée par le juge.   

Discrimination. L’ex-concubine a également brandi l’argument de la discrimination, fondé sur l’article 6 de la Constitution et 14 (combiné avec l’article 8) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, en prétendant que la manière dont la concubine était traitée, pour ce qui est du maintien de ses relations avec l’enfant après la séparation, était excessivement différente de celles dont bénéficie un conjoint dans la même situation. Là encore, l’argument est rejeté dans les deux arrêts par la Cour de cassation qui, logiquement, considère que le texte n’opère en lui-même aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe. En effet, la différence de traitement entre le concubin et le parent marié avec le parent de l’enfant résulte d’autres dispositions légales qui permettent l’établissement d’un lien de filiation par la voie de l’adoption à l’égard du conjoint du père ou de la mère de ce dernier. Autrement dit, la différence de traitement est liée à la différence de situation, le couple marié, y compris homosexuel, ayant accès à l’adoption de l’enfant du conjoint et non le couple de concubins. La Cour de cassation, comme la Cour européenne, n’impose pas aux Etats une égalité des couples mariés et de concubins, notamment en ce qui concerne les conséquences sur les enfants [2]. Si le couple s’était marié, et que la femme qui n’était pas la mère biologique de l’enfant avait adopté ce dernier, elle aurait pu revendiquer un droit de visite et d’hébergement en tant que mère, et non en tant que tiers. Elle n’aurait pas fondé sa demande de droit de visite sur l’article 371-4 mais sur l’article 373-1-1 du Code civil. La situation n’étant pas comparable, il ne peut y avoir discrimination dans le fait de traiter différemment des personnes n’ayant pas la même qualité. La question reste cependant ouverte de savoir si l’impossibilité pour les concubins d’accéder à l’adoption intra-familiale constitue ou non une discrimination. La réponse semble plutôt être négative dans la mesure où le fait de ne pas se marier relève du choix du couple.

II. La proportionnalité in concreto du refus du droit de visite de la concubine

Pouvoir souverain d’appréciation. Une fois écartée la suspicion de non-conformité de l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil, en tant que tel aux droits fondamentaux, il convenait pour la Cour de cassation d’opérer un contrôle de la motivation du refus des juges du fond d’accorder un droit de visite à l’ancienne concubine de la mère. En effet, tout en reconnaissant à ce dernier un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation vérifie de manière assez détaillée que la motivation de sa décision repose bien sur le principe de primauté de l’intérêt de l’enfant et que celui-ci justifie l’atteinte au droit au respect de la vie familiale.

Equilibre psychique. En l’espèce, la mère de l’enfant avait d’abord accepté que son ancienne compagne bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux. Elle avait cependant mis fin rapidement à ces relations au regard du comportement de son ex-concubine, qui s’est montrée véhémente et emportée devant l’enfant âgé de moins de trois ans. Pour refuser d’accorder à cette dernière le droit de visite qu’elle sollicitait, la cour d’appel a estimé que « ces confrontations, en présence de l’enfant, ont généré une crainte et une réticence réelle de celle-ci à se rendre chez Mme Z, et que cette dernière n’a pas préservé Sacha du conflit avec son ancienne compagne, ce qui est de nature à perturber son équilibre psychique. » Le juge en déduit que les relations de l’enfant avec l’ancienne compagne de sa mère n’étaient pas conformes à son intérêt, ce qui justifiait de les suspendre selon le critère de l’article 371-4 du Code civil. Cette solution, sans doute logique, est sévère car elle risque d’être définitive, la suspension du droit de visite entraînant une rupture des liens avec l’ancienne concubine, qui empêchera en réalité toute possibilité de rétablir un droit de visite dans l’avenir.

Relation affective. La cour d’appel utilise un autre argument pour rejeter la demande du droit de visite, qui tient à la nature des relations de l’enfant avec l’ancienne compagne de sa mère. En effet, elle émet un doute quant à la profondeur des sentiments existants entre cette dernière et l’enfant. Après avoir fait une allusion à propos de la réticence de l’ancienne concubine à accueillir un enfant dans son foyer, au départ, la cour d’appel considère que « si Mme Z a pu résider de manière stable avec l’enfant du temps de la vie commune du couple et a pourvu à son éducation et à son entretien sur cette même période, la preuve du développement d’une relation forte et de l’existence d’un lien d’affection durable avec Sasha n’est pas rapportée ». Le juge reprend les termes de l’article 371-4 du Code civil et semble considérer que les circonstances dans lesquelles le maintien des liens entre l’enfant et le tiers doit être privilégié selon ce texte ne sont pas réunies en l’espèce, seuls les aspects matériels de la vie commune pouvant être établis, et non les aspects affectifs, ou psychologiques. Par cette analyse, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, semble faire la distinction entre les relations entre un enfant et un tiers découlant de la seule vie commune, avec celles fondées sur un réel investissement affectif de la part de l’adulte. En l’absence de ce dernier, et si l’on ajoute le comportement violent de l’ancienne compagne devant l’enfant, il était logique que le juge du fond conclue dans cette affaire que l’intérêt de l’enfant n’était pas de maintenir les liens avec l’ancienne compagne de sa mère…

 

[1] Cons. const., décision QPC n° 2018-768 du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A3247XYW), D. 2019 p. 709, obs. H. Fulchiron, P Parinet, D. 2019 p. 742

[2] F. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF 2019 p. 662

newsid:474274

Avocats/Honoraires

[Brèves] Ne pas confondre contestation des honoraires et responsabilité de l'avocat (rappel)

Réf. : Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-18.145, F-P+B+I (N° Lexbase : A35623RD)

Lecture: 3 min

N4185BYN

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par Marie Le Guerroué

Le 22 Juillet 2020

► Le Bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information (Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-18.145, F-P+B+I N° Lexbase : A35623RD).

Faits/procédure. Une société Immobilière avait confié la défense de ses intérêts dans un litige relatif au recouvrement d’appels de fonds à un avocat. A la suite d’un différend sur le montant des honoraires, la société avait saisi le Bâtonnier de l’Ordre d’une contestation.

Enoncé du moyen. L’avocat fait grief à l’ordonnance de fixer à la seule somme de 26 163,59 euros hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la société immobilière et, en conséquence, de la condamner à lui verser cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20 %, alors « que le juge de l'honoraire n’est pas habilité à se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat envers son client, qui serait liée à un prétendu manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l’évolution prévisible de ses honoraires. Selon lui, en retenant, pour réduire les honoraires dus par la société au cabinet au titre d’un dossier à la somme de 20 000 euros, que ce dernier n’avait pas informé sa cliente, autrement qu’à réception des factures, de l’évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d’information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier président de la cour d’appel a violé, ensemble, l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et l’article 174 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : C29048U4).

Réponse de la cour. La Cour rappelle que la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le Bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information (v., déjà, Cass. civ. 2, 26 mai 2011, n° 10-12.728, FP-P+B+R N° Lexbase : A8839HS8). Pour fixer à la somme de 20 000 euros hors-taxes les honoraires dus dans le dossier, soit un reliquat à devoir de 7 925 euros après versement des provisions, l’ordonnance énonce que dans ce dossier, la société n’a jamais été informée, autrement qu’à réception des factures, de l’évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à l’obligation d’information préalable du client concernant le tarif horaire pratiqué ne peut aboutir à priver l’avocat de toute rémunération mais peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge. Elle conclut qu’en statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés. La Cour reprend son analyse concernant la fixation à la somme de 35 000 euros hors-taxes des honoraires dus dans le dossier « Divers » soit un reliquat à devoir de 16 310 euros après versement des provisions

Cassation. La Cour censure l'ordonnance rendue le 19 avril 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris.

Pour aller plus loin : Etude : Le champ d'application de la procédure spéciale de fixation ou de taxation des honoraires de l'avocat, in La profession d’avocat (N° Lexbase : E2704E4W).

 

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Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Au bon souvenir de la communication par voie électronique

Réf. : Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-11.450, F-P+B+I (N° Lexbase : A05343MQ)

Lecture: 10 min

N3857BYI

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par Romain Laffly, avocat au barreau de Lyon.

Le 22 Juillet 2020


Mots-clefs : Commentaire • Avocat • Litiges • Collaboration • Contrat de travail • Bâtonnier • Appel 

Pour les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail d'un avocat, relevant de la compétence du Bâtonnier et portés devant la cour d’appel, la déclaration d'appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d’appel par RPVA.


 

Assiste-t-on à la fin des (trop) nombreux arrêts de la Cour de cassation en matière de communication par voie électronique dans les procédures sans représentation obligatoire ? Cette décision est peut-être, et disons-le tout de suite, sans regret aucun, l’une des dernières sur le sujet puisqu’un arrêté du 20 mai 2020 (JORF n° 0124 du 21 mai 2020), vient d’abroger les précédents arrêtés du 5 mai 2010 sur la communication électronique en procédure sans représentation obligatoire et du 30 mars 2011 dans les procédures avec représentation obligatoire, pour ne créer qu’un arrêté pour les procédures avec et sans représentation obligatoire.

A la suite de son licenciement, un avocat salarié saisit le Bâtonnier à l’encontre de son cabinet d’avocats. Débouté de ses demandes, il relève appel par une première déclaration formalisée directement auprès du greffe de la cour d’appel le 11 juin 2018, puis le 12 juin 2018 par la voie du Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA). La cour d’appel de Riom déclare irrecevables les deux appels. Pour juger irrecevable le premier appel, la cour d’appel avait estimé, par application des alinéas 1 et 2 de l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), que l’appel doit être formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef. Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse sans représentation obligatoire, tandis que l'acte d'appel avait été formé par remise faite au secrétariat-greffe de la cour d’appel de Riom le 11 juin 2018, sans que le « greffier en chef » n'en délivre récépissé. Quant au second appel régularisé par voie électronique, la cour d’appel rappelait que l'article 749 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6963H7Z) précise que « les dispositions du présent livre s'appliquent devant toutes les juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud'homale, sous réserve des règles spéciales à chaque matière et des dispositions particulières à chaque juridiction alors que l'article 277 du décret précité prévoient des règles spéciales et que s'agissant d'une instance ordinale et non prud'homale, les règles spécifiques prévues par le décret susvisé ont seules vocation à s'appliquer ; qu'il en résulte que cet appel est tout aussi irrecevable ».

Au visa des articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, ensemble les articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4), 748-3 (N° Lexbase : L1183LQU) et 748-6 (N° Lexbase : L1184LQW) du Code de procédure civile et 1er de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel (N° Lexbase : L3316IKZ), la deuxième chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt. Pour la Haute Cour, « il résulte de la combinaison des quatre derniers de ces textes que, pour les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail d'un avocat, relevant de la compétence du Bâtonnier et portés devant la cour d’appel, la déclaration d'appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d’appel par la voie électronique par le biais du RPVA ».

Dit comme cela, la solution dégagée par la deuxième chambre civile, qui prend la peine de préciser que sa solution concerne les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration comme d'un contrat de travail d'un avocat, pourrait paraître limpide si elle ne s’inscrivait pas déjà dans l’œuvre complète à laquelle elle se livre – plus pour trop longtemps donc – sur la possibilité d’user de la communication par voie électronique devant la cour d’appel. User est le terme tant il est vrai que la compréhension du bon usage de la communication électronique a fini par lasser praticiens et doctrine. Est née en fait, en marge de la procédure civile d’appel, une nouvelle matière, technique, qui consiste uniquement à savoir si un acte de procédure peut être accompli via le RPVA, ce qui pourrait presque faire sourire si la sanction engendrée n’était pas celle de l’irrecevabilité du recours [1].

La matière est obscure, et la jurisprudence de la Cour de cassation est rendue en forme de clair-obscur. Et une fois de plus, personne n’aurait pu miser avec certitude sur le sort du pourvoi puisque dans une affaire, à première vue similaire, la deuxième chambre civile venait de juger qu’étant porté devant le Premier président de la cour d’appel dans une procédure sans représentation obligatoire, le recours formé également en application de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991 contre la décision du Bâtonnier statuant en matière de contestations d’honoraires et débours n’entrait pas dans le champ d’application de l’arrêté du Garde des Sceaux du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique [2]. Mais cette fois, si ! Pourquoi alors une telle différence de traitement tandis que les deux recours ressortent l’un et l’autre de l’application du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ? Aux côtés des décrets « Magendie », des arrêtés des 5 mai 2010 et 30 mars 2011 sont venu définir les contours de la communication électronique, respectivement dans les procédures sans représentation obligatoire et avec représentation obligatoire par avocat devant les cours d'appel. Dans la procédure avec représentation obligatoire, les choses sont, osons-le, à peu près simple : l’article 930-1 (N° Lexbase : L7249LE9) prévoit qu’« A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ». Il s’agit de tout type d’acte ou de recours, de la requête en déféré à la déclaration de saisine après cassation. Les choses sont plus complexes en matière de procédure sans représentation obligatoire. En effet, en matière de communication électronique, l’article 748-6 du Code de procédure civile (sous couvert de garantie, d’intégrité, de sécurité et de confidentialité des échanges) conditionne, en l’absence d’une disposition générale, la mise en place d’arrêtés techniques pour l’utilisation de la voie électronique. Bien que la garantie soit toujours finalement strictement identique - comme du reste la signature électronique - puisque l’avocat utilise le RPVA, il faut alors savoir, en cas de procédure autonome, si un arrêté technique autorise un tel procédé ou bien si l’article 1er de l’arrêté du 5 mai 2010 vise l’acte qui peut être effectué par la voie électronique.

Au cas présent, si la Cour de cassation vise les articles 748-1, 748-3 et 748-6 du Code de procédure civile et l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel et adopte une solution différente de son précédent arrêt, c’est que le recours était porté devant la Cour elle-même et non pas devant le Premier président, compétent en matière de contestation d’honoraires. En effet, celui-ci ne semble pas, ce qui peut être contestable, pouvoir être regardé comme une juridiction, et il n’est en tous cas pas la Cour. Or, l’article 1er de l’arrêté du 5 mai 2010 précise bien la possibilité du recours à la voie électronique pour les actes d’appels mais uniquement devant la Cour : « Lorsqu'ils sont effectués par voie électronique entre auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties ou entre un tel auxiliaire et la juridiction, dans le cadre d'une procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, les envois et remises des déclarations d'appel, des actes de constitution et des pièces qui leur sont associées doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté ».

Certes l’arrêté du 5 mai 2010 est dit relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire « devant les cours d'appel », et non devant les Premiers présidents mais, on le voit, la défense d’une telle position est de moins en moins défendable… Elle pourra cependant être défendue jusqu’au 1er septembre 2020 puisque ce n’est qu’à compter de cette date que l’arrêté précité du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel pourra (ou devra ?) s’appliquer, enfin, devant le Premier président.

La Cour de cassation semble en tous cas avoir été entendue puisqu’elle-même appelait de ses vœux, depuis des années, à une cohérence des textes. Jusque-là, l’adoption d’une disposition générale ou d’arrêtés techniques s’est fait attendre au détriment du justiciable, livrant les plaideurs parfois aux sanctions procédurales, les laissant toujours devant l’incompréhension.

Comment justifier en effet, juridiquement comme au regard de la sécurité juridique avancée, qu’un appel devant la chambre d’expropriation présente toute garantie pour être effectué par voie électronique, mais que les conclusions notifiées, selon le même procédé, devant la même chambre et dans la même procédure, ne sont pas recevables[3]. De même, si la requête aux fins d’assignation à jour fixe devra être présentée devant le Premier président par voie papier [4] cette assignation devra faire l’objet, en procédure avec représentation obligatoire, d’un enrôlement devant la Cour par voie électronique à peine d’irrecevabilité par application de l’article 930-1 [5] et ce quand bien même l’assignation a fait l’objet d’une remise préalable par voie papier au greffe avant l’audience [6]. D’autres exemples ? Par application de l’article 1495 du Code de procédure civile, l’appel, mais aussi le recours en annulation d’une sentence arbitrale (qui n’est pas une déclaration d’appel), se fera à peine d’irrecevabilité par voie électronique [7], à l’instar de l’opposition par application des articles 573 et 576 du Code de procédure civile. Et c’est encore la voie électronique qui s’impose pour les avis du greffe en cas de requêtes en rectification d’erreur ou omission matérielle en procédure avec représentation obligatoire [8]. En cas de déclaration de recours formé contre la décision du directeur général de l’INPI rendue à l’occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien d’un titre de propriété industrielle, la voie électronique pourrait également être autorisée [9]. En revanche, tout comme le recours en contestation d’honoraires devant le Premier président, la requête en récusation de magistrats sera jugée irrecevable si elle est faite par RPVA, aucun arrêté technique n’autorisant de transmission électronique [10].

Espérons donc, avec l’arrêté du 20 mai 2020, que cet arrêt s’ajoutera à la longue liste, à valeur historique, de ceux rendus en matière de communication et que l’histoire ne se répètera plus. Ni ne bégaiera.

 

[1] Pour une illustration : nos obs., Communication électronique : lorsque avocat et juge se perdent dans la jungle des textes, Dalloz Actualité, 22 décembre 2016 ; C. Bléry, Périmètre de la communication par voie électronique obligatoire en appel : pas simple !, Dalloz actualité, 14 décembre 2017 ; C. Bléry, RPVA : pourquoi pas le droit alors qu’il y a les tuyaux ?, Dalloz actualité, 14 septembre 2018 ; Mais qui est donc le Premier président ? Procédures, n° 2, février 2018, obs. H. Croze.

[2] Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, n° 17-20.047, F-P+B (N° Lexbase : A7254X33), Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry.

[3]  Cass. civ. 2, 10 novembre 2016, n° 15-25.431, FS-P+B (N° Lexbase : A8985SGU).

[4] Cass. civ. 2, 7 décembre 2017, n° 16-19.336, F-P+B+I (N° Lexbase : A6749W4Q), Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D., 2017. 2542 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; JCP, n° 3,15 janv. 2018, obs. C. Laporte.

[5] Cass. civ. 2, 27 septembre 2018, n° 17-20.930, F-P+B (N° Lexbase : A1864X8K), Dalloz actualité, 3 octobre 2018, obs. C. Bléry.

[6] Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-24.513, F-P+B+I (N° Lexbase : A47083AM), Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. F. Kieffer.

[7] Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 18-14.708, F-P+B+I (N° Lexbase : A7137ZPZ), Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry.

[8] Cass. com., 13 mars 2019, n° 17-10.861, F-P+B (N° Lexbase : A0286Y4D) ; Cass. civ. 2, 18 octobre 2018, n° 17-10.861, FS-D (N° Lexbase : A0294Y4N), Dalloz actualité, 28 mars 2019, obs. C. Bléry.

[9] Cass. civ. 2, 7 décembre 2017, n° 16-18.216, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6748W4P).

[10]  Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 17-01.695, F-P+B (N° Lexbase : A8433WLW), Procédures, n°10, oct. 2017, obs. H. Croze.

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Discrimination

[Jurisprudence] Après le voile… la barbe !

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.743, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A71533QY)

Lecture: 9 min

N4230BYC

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par Joël Colonna et Virginie Renaux-Personnic, Maîtres de conférences à la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, Centre de Droit social (UR 901)

Le 22 Juillet 2020

 


Mots clef : discrimination • licenciement • convictions religieuses • barbe

En l’absence de règlement intérieur ou d’une note de service précisant la nature des restrictions à la liberté religieuse du salarié que l’employeur entendait lui imposer, l’interdiction faite à un salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques doit répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4, § 1 de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4). Si les demandes d’un client ne peuvent constituer une telle exigence, l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier, en application de ces dispositions, des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer au salarié une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.

Faute pour l’employeur de démontrer les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié, le licenciement de ce dernier est nul en ce qu’il reposait, au moins pour partie, sur un motif discriminatoire lié aux convictions politiques ou religieuses.


 

On le pressentait. Après le voile islamique, le port de la barbe en entreprise, considéré comme une manifestation des convictions religieuses, n’allait pas manquer d’investir à son tour les prétoires [1]. L’arrêt du 8 juillet 2020, bénéficiant de la large diffusion des arrêts « PBRI », confirme cette impression. Il fournit à la Chambre sociale de la Cour de cassation l’occasion d’appliquer, pour la première fois, au port de la barbe dans une entreprise privée, les principes posés à propos du voile.

En l’espèce, un cadre, consultant en sûreté dans une entreprise de prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense auprès de gouvernements, d’organisations internationales non gouvernementales ou d’entreprises privées, a été licencié pour faute grave pour avoir refusé d’adopter une apparence plus neutre, l’employeur lui reprochant de porter une « barbe taillée d’une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique ». Soutenant avoir été licencié pour un motif discriminatoire, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à obtenir la nullité de son licenciement. Confirmant la solution qu’elle avait dégagée dans son arrêt du 22 novembre 2017 [2], la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir fait droit à ses demandes (I). Elle apporte néanmoins une précision nouvelle, qui fait tout l’intérêt de l’arrêt, relative aux éléments de nature à justifier les restrictions à la liberté religieuse des salariés (II).

I. Une confirmation

L’arrêt du 8 juillet 2020 produit, de prime abord, une impression de déjà-vu tant il apparaît comme une confirmation de la nouvelle position de la Chambre sociale, adoptée à la suite des arrêts de la CJUE du 14 mars 2017 [3].

En effet, mélangeant à nouveau les textes relatifs aux libertés et ceux relatifs aux discriminations [4], à l’exception toutefois de l’article 9 de de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4799AQS) curieusement non cité, la Cour de cassation reprend, ici, comme dans l’arrêt de 2017, le principe selon lequel les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Puis, appliquant le mode d’emploi délivré par la CJUE, elle réaffirme que l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail [5], dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. Il faut comprendre, bien que la Cour de cassation ne le dise pas expressément, que dans une telle hypothèse, l’interdiction du port de signes exprimant une conviction religieuse ne constitue pas une discrimination directe [6].

Tel n’était pas le cas dans la présente affaire. L’employeur ne produisant aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer au salarié, la cour devait appliquer la seconde partie du mode d’emploi européen selon laquelle, dans une telle situation, toute interdiction du port de signes religieux doit s’analyser en une discrimination directe. En conséquence, la Haute juridiction approuve logiquement les juges du fond d’avoir décidé que l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, que l’employeur considérait comme une manifestation de convictions religieuses ou politiques, et l’injonction de revenir à une apparence plus neutre caractérisaient l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.

L’employeur ne pouvait, dès lors, espérer échapper à la condamnation que, en rapportant la preuve, conformément aux dispositions des articles 4, § 1 de la Directive du 27 novembre 2000 et L. 1133-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8177LQW), que cette interdiction répondait à une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Et, sur ce point, la Cour de cassation ne se contente pas de confirmer sa position antérieure, elle apporte une précision nouvelle.

II. Une précision

Que l’interdiction du port de la barbe, considéré comme l’expression d’une conviction religieuse, constitue une discrimination n’est pas un scoop. On s’en doutait même fortement. Là ne réside assurément pas l’intérêt de l’arrêt commenté, mais dans la précision qu’il apporte quant aux possibilités offertes à l’employeur pour justifier une différence de traitement fondée sur les convictions religieuses du salarié. La mesure doit répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante [7].

De portée tout à fait générale et applicable à l’ensemble des critères discriminatoires [8], cette notion recèle une part de mystère [9]. Conçue pour n’être utilisée que dans des « circonstances très limitées » [10], elle reste, en effet, empreinte d’incertitudes [11]. On se souvient que, dans ses arrêts du 14 mars 2017 [12], la CJUE a précisé que la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause, et qu’elle ne saurait couvrir des considérations subjectives comme, par exemple, les souhaits particuliers d’un client (§ 40). Ainsi, de la même manière qu’elle avait jugé discriminatoire, parce que non justifié par une telle exigence, le licenciement d’une salariée qui avait refusé de retirer son voile pour satisfaire à la demande d’un client de l’entreprise chez lequel elle effectuait une prestation de conseil informatique [13], la Chambre sociale affirme, dans l’arrêt du 8 juillet 2020, que les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Pour autant, le contenu positif de la notion demeurait très incertain. Et on en était réduit à émettre des hypothèses parmi lesquelles les exigences de protection de la santé et de la sécurité occupaient la première place [14]. L’arrêt commenté confirme cette hypothèse que certaines décisions antérieures avaient laissé entrevoir [15]. L’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante et justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif. Mais il lui appartient de le démontrer.

Or, en l’espèce, les éléments de justification apportés par l’employeur n’ont pas convaincu les juges. Celui-ci soutenait que la fonction de consultant en sécurité du salarié, qui exerçait des missions dans des zones à risques, exigeait qu’il adopte une apparence neutre tenant compte des us et coutumes locaux et exclusive de toute connotation susceptible de remettre en cause sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il intervenait. Mais, la cour d’appel a considéré que si l’employeur reprochait au salarié de porter sa barbe comme une provocation politique et religieuse, il ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés. Elle en a conclu que l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen, de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés de ce dernier. Dès lors, se rangeant derrière l’appréciation souveraine des juges du fond, la Chambre sociale les approuve d’avoir jugé que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur un motif discriminatoire et d’en avoir prononcé la nullité en application de l’article L. 1132-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0680H93).

Cette affaire permet de mesurer le niveau de précision que doivent revêtir les éléments susceptibles de caractériser une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Elle est en cela révélatrice de la volonté des juges de n’admettre que de façon très exceptionnelle cette justification de la prise en considération d’un critère prohibé. On ne peut, en effet, s’empêcher de penser que, en l’espèce, les juges ont un peu rapidement écarté comme insuffisants les arguments de l’employeur. Car si le port d’une barbe, qui peut procéder de différentes motivations, ne peut être considéré, en lui-même, comme un signe d’appartenance religieuse [16], il reste qu’il figure parmi les indicateurs de radicalisation définis par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation [17], et qu’il peut être perçu comme tel, surtout dans des zones telles que le Yémen où la situation politique est particulièrement instable. Mais il est vrai que nous ne disposons pas de tous les éléments du dossier. On peut aussi penser que la Cour de cassation entend inciter les employeurs à user de la voie du règlement intérieur ou de la note de service pour réguler la liberté religieuse dans l’entreprise.

Il reste une dernière question. D’autres justifications à la limitation de l’expression de la foi religieuse au travail peuvent-elles répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante ? En l’état de la jurisprudence, et dans l’attente d’une nouvelle prise de position de la Cour de cassation ou de la CJUE, on ne voit guère que l’interdiction du prosélytisme.


[1] V., par ex., CA Orléans, 21 juin 2007, n° 06/01917 (N° Lexbase : A0066ETM) ; CAA Versailles, 19 février 2008, n° 06VE02005 (N° Lexbase : A4177D7T) ; CAA Versailles, 19 décembre 2017, n° 15VE03582 (N° Lexbase : A0849W9C) ; CA Versailles, 27 septembre 2018, n° 17/02375 (N° Lexbase : A9558X77), RJS, 12/2018, n° 714 ; CA Poitiers, 15 mai 2019, n° 17/04126 (N° Lexbase : A4811ZBS) ; CE, 5° et 6° ch.-r., 12 février 2020, n° 418299 (N° Lexbase : A34933E4), RJS, 5/2020, n° 227 ; CAA Versailles, 2 juillet 2020, n° 20VE00675 (N° Lexbase : A71483QS). V., également, Défenseur des Droits, décision-cadre n° 2019-205, 2 octobre 2019, annexe 4, p. 35 et s. [en ligne].

[2] Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3737NGI), Ch. Radé, Port du voile et neutralité dans l'entreprise : le client n'est pas roi !, Lexbase Social, décembre 2017, n° 722 (N° Lexbase : N1556BXW) ;  LPA, 5 juillet 2018, n° 134, p. 6, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic ; JCP S, 2017, 1399, avis C. Courcol-Bouchard et 1400, notes B. Bossu et F. Pinatel.

[3] CJUE, 14 mars 2017, aff. C-157/15 (N° Lexbase : A4829T3A) ; CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15 (N° Lexbase : A4830T3B), Gaz. Pal., 23 mai 2017, p. 57, note J. Colonna et V. Renaux-Personnic ; JCP S, 2017, 1105, note B. Bossu.

[4] C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P), L. 1132-1 (N° Lexbase : L4889LXD) et L. 1133-1 (N° Lexbase : L8177LQW) ; Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4), art. 2, § 2, et 4, § 1. Ce mélange des fondements demeure étonnant sous l’angle du contrôle de proportionnalité. V., en ce sens, A. Bugada, Réflexions sur le contrôle judiciaire de proportionnalité en droit du travail, Le juge judiciaire face au contrôle de proportionnalité, PUAM, coll. Droits, pouvoirs et sociétés, 2018, p. 133.

[5] Sur cette clause, V. M.-C. Pottecher, Les clauses de neutralité en pratique, Table ronde "L'entreprise confrontée aux comportements religieux", organisée à la Faculté de droit d'Aix-Marseille le 21 février 2020, Lexbase Social, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3297BYR) ; D. Berra, La problématique générale du fait religieux en entreprise, Table ronde "L'entreprise confrontée aux comportements religieux", organisée à la Faculté de droit d'Aix-Marseille le 21 février 2020, Lexbase Social, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3293BYM).

[6] Elle pourrait néanmoins constituer une discrimination indirecte. V. CJUE, 14 mars 2017, préc..

[7] V. K. Berthou, Différences de traitement : esquisse des « exigences professionnelles essentielles » après la loi du 27 mai 2008, Droit social, 2009, p. 410.

[8] S. Maillard-Pinon, La justification des discriminations dans l'emploi - Le regard du travailliste, Droit social, 2020, p. 310.

[9] J.-Ph. Lhernould, JSL, 2013, n° 342-2, p. 8.

[10] Considérant 23 du Préambule de la Directive.

[11] S. Séréno, Le Défenseur des droits et les discriminations dans l’emploi, PUAM, 2017, n° 227.

[12] Préc..

[13] Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855, préc..

[14] V., en ce sens, J. Colonna et V. Renaux-Personnic, La liberté religieuse du salarié, Gaz. Pal., 7-8 juin 2013, p. 13.

[15] V., par ex., Halde, délib. n° 2010-166, 18 octobre 2010 [en ligne] : incompatibilité du voile avec l’obligation de porter une charlotte ou un calot pour une salariée travaillant en cuisine. Cass. soc., 13 septembre 2012, n° 11-20.015, F-D (N° Lexbase : A7479ISS) et CA Poitiers, 15 mai 2019, n° 17/04126 (N° Lexbase : A4811ZBS) : obligation de se raser la barbe pour un salarié affecté à des travaux de désamiantage imposant le port du masque. Dans le même sens, pour un salarié affecté à des travaux dans une centrale nucléaire, V. CA Nîmes, 21 juin 2016, n° 14/04558 (N° Lexbase : A7158RTB). CEDH, 15 janvier 2013, n° 59842/10 (N° Lexbase : A9855NG4), RJS, 5/2013, n° 420 : interdiction pour une infirmière de porter une croix en pendentif autour de son cou en raison du risque de blessure si un patient tire dessus ou si elle entre en contact avec une plaie ouverte.

[16] CE, 5° et 6° ch.-r., 12 février 2020, n° 418299 (N° Lexbase : A34933E4), RJS, 5/2020, n° 227.

[17] V, également le site stop-djihadisme.gouv.fr. [en ligne]. Guide interministériel de prévention de la radicalisation (mars 2016). V., également, J. Colonna et V. Renaux-Personnic, L’entreprise face à la radicalisation religieuse de ses salariés, Table ronde "L'entreprise confrontée aux comportements religieux", organisée à la Faculté de droit d'Aix-Marseille le 21 février 2020, Lexbase Social, mai 2020, n° 824 (N° Lexbase : N3304BYZ).

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[Brèves] Traitement relatif à l’utilisation du système d’exploitation Android : confirmation en demi-teinte de la sanction prononcée par la CNIL contre Google

Réf. : CE, 9° et 10° ch.-r., 19 juin 2020, n° 430810, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A96783NR)

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par Ludovic Pailler, Professeur agrégé à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Membre du Centre de recherche sur le Droit international privé (EDIEC-EA 4185)

Le 22 Juillet 2020


Mots-clés : règlement général sur la protection des données • traitement transfrontalier • compétence de l’autorité de contrôle • notion d’établissement principal • coopération et cohérence • principes de transparence et d’information • ergonomie • principe de licéité • notion de consentement • notion de consentement • acte positif clair • caractère spécifique

Par un arrêt du 12 juin 2020, le Conseil d’État confirme la sanction prononcée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés contre Google LLC. En effet, celle-ci était bien compétente pour statuer en l’absence d’établissement principal du responsable de traitement sur le territoire d’un autre État membre. Et ce dernier a manqué aux principes de transparence et d’information par des choix ergonomiques nuisible à la clarté et à l’accessibilité ainsi qu’aux règles relatives au consentement pour les traitements aux fins de personnalisation de la publicité par son système d’acceptation en raison d’une information déficiente et du recours aux cases précochées. Cependant, l’arrêt, parce qu’il est minimal, déçoit les attentes eu égard aux questions qu’il laisse en suspens.


La responsabilisation des GAFA dans le traitement massif des données qu’ils opèrent est en bonne marche. Alors que les juridictions judiciaires épouillent leurs conditions d’utilisation et politiques de confidentialité pour en expurger les clauses abusives [1], la CNIL, approuvée en cela par le Conseil d’État, les met au pied du mur : de grands traitements impliquent de grandes responsabilités [2].

Le signal envoyé, qui tient moins à la sanction par elle-même qu’à ses motifs, est particulièrement fort au regard des pratiques. Il est à mettre au crédit des associations autrichienne None Of Your Business et française La Quadrature du Net. À peine le « RGPD »  (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I) était-il entré en vigueur, qu’elles déposaient devant la CNIL deux plaintes collectives contre Google qui regroupent les réclamations de 9 974 personnes. Est visé le traitement de données relatif au système d’exploitation des terminaux mobiles Android incluant la création d’un compte Google. La première des associations reprochait aux sociétés Google LLC, établie en Californie, et Google SARL, établie en France, de ne permettre l’utilisation du terminal qu’après acceptation en bloc de la politique de confidentialité et des conditions générales d’utilisation des services Google. Quant à la seconde, elle prétendait que Google ne pouvait licitement mettre en œuvre des traitements de données aux fins d’analyse comportementale et de ciblage publicitaire, indépendamment du terminal utilisé par la personne concernée.

Ces plaintes menèrent au prononcé d’une sanction historique à l’encontre de la société Google qui sonne plus largement comme une injonction faite aux responsables de traitement de se conformer strictement au « RGPD ». Après une vérification effectuée par son secrétaire général, la formation restreinte de la CNIL, par une délibération du 21 janvier 2019, a prononcé, dans des termes durs mais lucides, une amende égale au montant proposé par son rapporteur, 50 millions d’euros, et une sanction complémentaire de publicité de la délibération avant anonymisation au terme d’un délai de deux ans [3]. Le « volontarisme » [4] de la CNIL transparaît des termes de sa décision. Elle y stigmatise « un défaut global d’accessibilité des informations », « un défaut de clarté et de caractère compréhensible » de l’information délivrée aux utilisateurs, par ailleurs insuffisante. À cela s’ajoute, et non sans lien, un traitement illicite aux fins de personnalisation de la publicité à défaut pour le consentement invoqué par Google d’être suffisamment éclairé et de procéder d’un acte positif spécifique et univoque. En somme, la sanction est justifiée par « des atteintes substantielles à la protection de la vie privée ».

Comme attendu, la société Google LLC déposa une requête aux fins d’annulation de la délibération du 21 janvier 2019 et, à titre subsidiaire, aux fins que soient posées deux questions préjudicielles à la Cour de justice relatives à la notion d’établissement principal et aux modalités de consentement à un traitement comportant plusieurs finalités.

Il est regrettable que le Conseil d’État n’ait pas jugé nécessaire d’en appeler à la Cour de justice. Par son arrêt du 12 juin 2020, il rejette la requête en annulation après avoir balayé les différents griefs formulés par la société Google LLC. Les questions de respect des droits de la défense et de motivation seront exclues du présent commentaire à défaut d’être spécifiques aux questions de protection des données et de susciter une difficulté particulière. Mais pour ces questions, comme pour les autres, la Haute juridiction administrative valide, à titre général, les analyses et les conclusions de la CNIL. Toutefois et à titre particulier, elle laisse en suspens des questions importantes sur la compétence de l’autorité de contrôle française (I) et les manquements de Google aux principes de protection des données (II). Ainsi persistent des incertitudes qui nuisent aux opérateurs économiques comme aux personnes concernées, et plus largement à la vigueur du signal émis par la CNIL.

I. La compétence de la CNIL

Dans sa requête, Google invoquait l’incompétence de la CNIL, à défaut d’avoir identifié sa société irlandaise, qualifiée par la requérante de « siège social » de ses opérations européennes, à son établissement principal dans l’Union. Corrélativement, Google reprochait encore à la CNIL d’avoir manqué aux procédures de coopération et de cohérence pour lesquelles l’autorité irlandaise aurait dû être l’autorité chef de file. Il s’agissait en pratique d’échapper à la détermination de l’autorité française et de profiter du débordement et du désengagement d’alors [5] du Data Protection Commissioner irlandais. En effet, lorsqu’un traitement de données est transfrontalier, parce qu’il a en l’occurrence lieu dans le cadre des activités d’établissements dans plusieurs États membres et que son responsable est établi dans plusieurs États membres [6], ce dernier peut bénéficier du « mécanisme du guichet unique » [7]. L’intérêt de ce mécanisme est, pour le responsable de traitement, de n’avoir qu’un seul interlocuteur, l’autorité de contrôle chef de file [8], au lieu d’en avoir autant que d’États membres concernés, sauf l’hypothèse, non rencontrée ici, où la violation considérée concerne un unique établissement dans un État membre ou n’affecte sensiblement que les personnes concernées dans cet État membre [9]. Encore est-il requis, pour ce faire, que le responsable de traitement dispose d’un établissement principal sur le territoire d’un État membre [10].

Cette notion est définie par l’article 4, 16° du « RGPD ». Ce dernier prévoit, pour le cas où le responsable de traitement serait établi dans plusieurs États membres, que son établissement principal est au lieu de « son administration centrale dans l’Union, à moins que les décisions quant aux finalités et aux moyens du traitement de données à caractère personnel soient prises dans un autre établissement du responsable du traitement dans l’Union et que ce dernier a le pouvoir de faire appliquer ces décisions, auquel cas l’établissement ayant pris de telles décisions est considéré comme l’établissement principal ». La lettre du texte est pour le moins ambiguë [11]. Elle n’écarte pas à elle seule l’argumentation de Google selon laquelle en l’absence de centre de décision dans un État membre autre que celui de son administration centrale, le lieu de cette dernière constitue l’établissement central sans autre preuve à rapporter. Mais, selon la CNIL, qui s’appuie sur le considérant 36 du « RGPD » et surtout [12] sur un passage choisi des lignes directrices du Comité européen de la protection des données sur la notion d’autorité chef de file [13], la notion d’établissement principal suppose que l’administration centrale considérée dispose d’un pouvoir décisionnel sur les finalités et les moyens du traitement. Cela revient à localiser le responsable de traitement. Or, l’assimilation des notions d’établissement principal et de responsable de traitement n’est pas si évidente qu’elle n’y paraît dès lors qu’elles sont définies distinctement par le « RGPD ».

Le Conseil d’État ne tranche pas cette question, pourtant centrale dans la requête, et laisse dans le doute la nécessité de démontrer que l’établissement où se situe l’administration centrale dispose du pouvoir de déterminer les moyens et finalités du traitement pour être qualifié d’établissement principal. Pas plus il ne prend parti sur la suggestion des lignes directrices précités au regard de circonstances comparables qui indiquaient la possibilité de « désigner en tant qu’établissement principal l’établissement qui est habilité à faire appliquer les décisions relatives à l’activité de traitement et assumer la responsabilité de ce traitement » [14]. Cette interprétation de la notion d’administration centrale n’aurait pu être retenue sans procéder préalablement à un renvoi préjudiciel en interprétation.

Après avoir repris en substance les termes du « RGPD », le Conseil d’État énonce que « dans l’hypothèse où un responsable de traitement implantée en dehors de l’Union européenne met en œuvre un traitement transfrontalier sur le territoire de l’Union, mais qu’il n’y dispose ni d’administration centrale, ni d’établissement doté d’un pouvoir décisionnel quant à ses finalités et à ses moyens », le mécanisme du guichet unique ne peut être mis en œuvre. Ainsi la Haute juridiction administrative se contente-t-elle de livrer les critères de l’absence d’établissement principal puisque les circonstances ne la contraignent pas à plus.

Au cas d’espèce, la société Google Ireland ne peut pas être qualifiée d’administration centrale à défaut pour elle de disposer d’un pouvoir de direction ou de contrôle sur les autres filiales de la société Google LLC. Par ailleurs, comme Google LLC déterminait seule les finalités et les moyens du traitement, la filiale irlandaise ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel au jour où la décision de la CNIL a été rendue, soit la veille du jour où elle s’est vue attribuée de nouvelles responsabilités s’agissant des traitements opérés par Google en Europe. En l’absence d’établissement principal, la CNIL était donc compétente pour les seuls utilisateurs situés en France [15], ce qui vidait, dans le même temps, l’invocation du principe non bis in idem de son objet. Par ailleurs, la CNIL avait épuisé les exigences de coopération avec les autres autorités de contrôle en diffusant une information et en consultant ses homologues sur l’existence d’une autorité de contrôle chef de file ainsi que sur les investigations qu’elle a menées sans objection de leur part.

L’habileté de la CNIL dans la maîtrise du calendrier lui aura permis d’asseoir sa compétence au détriment de la notion d’établissement principal que le Conseil d’État s’est contenté d’interpréter négativement. C’est regrettable car aujourd’hui, la société Google Ireland disposant d’un pouvoir de décision dont l’ampleur reste à déterminer, sa qualité d’établissement principal au sens du « RGPD » demeure incertaine [16]. Si l’on peut regretter que cette problématique n’ait pas été réglée à l’échelle de l’Union pour éviter les discordances, la décision de la CNIL comme celle du Conseil d’État devrait encourager les responsables de traitement transfrontaliers, et plus particulièrement ceux principalement établis hors de l’Union européenne, à revoir leur organisation pour établir sur le territoire d’un État membre un centre décisionnel unique afin de bénéficier de l’économie d’échelle induit par le mécanisme de guichet unique [17]. C’est d’autant plus nécessaire que le transfert de données personnelles vers les États-Unis a été rendu plus difficile par l’invalidation de la décision « Bouclier de protection des données » [18].

Le regret qu’inspire la stratégie de la CNIL pour établir sa compétence est en partie compensé par son opportunité non seulement au regard de l’inertie de ses homologues et du Comité européen de la protection des données, mais encore au regard de sa décision au fond, confirmée par le Conseil d’État. Au cas d’espèce, le jeu en valait la chandelle.

II. Les manquements de Google aux principes de protection des données

Les analyses de la CNIL sont confirmées pour l’essentiel. Au titre des manquements aux obligations d’information et de transparence, le Conseil d’État rappelle que les articles 12 et 13 du « RGPD » impliquent que la personne concernée doit pouvoir déterminer à l’avance la portée et les conséquences du traitement et que tous les éléments relatifs aux finalités et à l’ampleur du traitement doivent être aisément accessibles. Il confirme également que cette information ne doit pas être « excessivement détaillée afin de ne pas décourager l’utilisateur d’en prendre connaissance » [19]. Ainsi déduit-il des motifs repris en substance de la délibération de la CNIL que « l’arborescence choisie par Google apparaît de nature, par l’éparpillement de l’information qu’elle organise, à nuire à l’accessibilité et à la clarté de celle-ci pour les utilisateurs, alors même que les traitements en cause sont particulièrement intrusifs eu égard au nombre et à la nature des données collectées » [20]. Ce faisant, il conforte en creux la validité de principe d’une information à tiroir recommandé par le Comité européen de protection des données [21] tout en condamnant sa mise en œuvre au regard du lien établi par la CNIL entre le degré d’information requis et l’atteinte portée par le traitement aux droits et libertés de l’utilisateur.

Les termes dans lesquels sont confirmés les manquements aux règles relatives au consentement pour fonder, au titre de l’article 6, a, du « RGPD », la licéité des traitements aux fins de personnalisation de la publicité ne sont guère plus amènes. Le consentement doit être libre, spécifique, éclairé et univoque [22]. Le Conseil d’État rappelle à cet égard le dit pour droit de l’arrêt « Planet49 » [23] qui exclut que le consentement puisse être donné au moyen d’une case cochée par défaut. Il ajoute que l’acceptation globale de conditions générales ne permet pas un consentement spécifique et l’exigence d’une information préalable, claire et distincte de l’ensemble des finalités poursuivies par le traitement. Or, l’information fournie au premier niveau à l’utilisateur « est générale et diluée au milieu de finalités ne retenant pas nécessairement le consentement comme base légale ». De même, l’information de second niveau, obtenue après avoir cliqué aux fins d’avoir plus de renseignements, est jugée insuffisante, impropre à éclairer le consentement. S’ajoute le système d’opt out incompatible avec le « RGPD ». Ce faisant, le Conseil d’État valide de nouveau le recours à plusieurs niveaux d’information. Par ailleurs, il rejette également les griefs d’interprétation incohérente des textes allégués au moyen de délibérations inapplicables ratione temporis et d’instauration d’un régime plus protecteur du consentement que celui requis par le « RGPD », la CNIL ayant donné effet, comme il convenait, à l’article 4, 16° du « RGPD ». Certes, il ne s’agit que de condamner le recours aux cases cochées par défaut sans imposer un système de case à cocher puisque le Règlement paraît ouvrir plusieurs modalités de recueil du consentement [24]. Toutefois, le critère de choix entre elles demeure incertain : le caractère massif et intrusif du traitement justifie-t-il d’imposer le recours à des cases à cocher auquel il est reproché de se confondre avec l’exigence de consentement explicite pour le traitement de données sensibles [25] ? Quoi qu’il en soit, les responsables de traitement sont contraints de se conformer à l’exigence plus générale d’un acte positif clair, qui seul permet valablement de recueillir le consentement, sauf à devoir abandonner leur modèle économique fondée sur la publicité ciblée. En effet, ils ne peuvent valablement fonder la licéité de ce traitement sur un autre fondement que le consentement à défaut pour celui-ci d’être nécessaire à l’exécution du contrat auquel la personne concernée est partie [26] ou de poursuivre un intérêt légitime qui primerait les droits et libertés de la personne concernée [27].

Au-delà de ces confirmations, le Conseil d’État, dans ses réponses aux moyens soulevés par Google, apporte une précision sur le rôle de la formation restreinte de la CNIL et évince un moyen qui aurait nécessité d’interroger la Cour de justice.

Au titre de la précision, et à propos de chacun des manquements, la Haute juridiction énonce qu’il n’appartient pas à la formation restreinte d’indiquer les mesures à prendre[28] ou de définir les obligations les obligations de la société requérante lesquelles découlent du « RGPD » [29]. En apparence, il pourrait ne s’agir que d’un rappel des missions de la formation restreinte en réponse aux moyens. Dans cette formation [30], la CNIL ne peut que prendre les mesures et prononcer les sanctions à l’encontre des responsables de traitement qui manquent aux obligations imposées par le « RGPD » [31]. Elle ne saurait ajouter au texte dont elle assure la sanction ni assister un requérant qui, comme les autres acteurs du secteur, est en mal de solutions ergonomiques compatibles avec le « RGPD » compte tenu de l’ampleur et de la sophistication du traitement qu’il met en œuvre [32]. D’autres supports sont disponibles à cette fin [33]. Mais, en creux, cette réponse au moyen pourrait également s’adresser à la formation restreinte qui, dans sa délibération, a excédé son office en indiquant comment conformer au « RGPD » un consentement mutualisé à différentes finalités proches d’un même traitement.

C’est d’ailleurs sur ce point que le Conseil d’État a évincé le moyen qui était au cœur de la seconde question préjudicielle suggérée par Google. Il retient qu’est sans incidence sur le constat de manquement aux exigences du « RGPD » relatives au consentement « la circonstance alléguée que ce Règlement n’impose pas de recueillir le consentement de manière distincte pour la finalité de ciblage publicitaire » [34]. Il laisse ainsi en suspens une question à laquelle la formation restreinte de la CNIL s’était efforcée de répondre, à défaut pour le « RGPD » d’être clair sur ce point [35]. Dans le prolongement des lignes directrices relatives au consentement [36], l’autorité de contrôle française retient que le consentement doit être spécifique à chaque finalité distincte, en l’occurrence spécifique à la personnalisation des services. La spécificité devait ainsi être distinguée de l’univocité, de sorte que la condamnation de Google par la CNIL au titre de l’acceptation en bloc des conditions générales et, ce faisant, de l’ensemble des traitements de données que cette dernière société met en œuvre n’est pas pleinement confirmée. C’est pourtant une question cruciale. Contraindre à recueillir un consentement au moyen d’un acte positif clair pour chaque finalité distincte, comme cela apparaît le plus conforme au « RGPD » et aux droits et libertés de la personne concernée, obligerait certainement à repenser l’offre de services pseudo-gratuits pour l’hybrider [37].

En conclusion, il est regrettable que le Conseil d’État n’ait pas été inspiré du volontarisme de la CNIL. Certes, il en confirme la délibération. Mais il procède a minima pour ne pas procéder à un renvoi préjudiciel qui aurait été justifié sur différents points qui manquent de clarté. Ainsi la toile des dispositions du « RGPD » demeure-t-elle un clair-obscur quand des atteintes massives et intrusives se perpétuent et se renouvellent.


[1] V. par ex., TGI Paris, 7 août 2018, n° 14/07300 (N° Lexbase : A3709X3R), JCP G, 2018, 1046, obs. G. Raymond.

[2] Librement inspiré du leitmotiv des bandes dessinées consacrées à Spiderman (crée par S. Lee et S. Ditko pour l’éditeur Marvel, 1962)

[3] CNIL, délibération n° SAN-2019-00, 21 janvier 2019 (N° Lexbase : X0990BDZ) prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société Google LLC ; Dalloz actualité, 30 janvier 2019, obs. O. Tambou ; Dalloz IP/IT, 2019, p. 165, note E. Netter ; JCP E, 2019, 1059, obs. J. Deroulez ; CCE, 2019, comm. 35 et 43, note N. Metallinos.

[4] E. Netter, loc. cit..

[5] Depuis, cette autorité semble s’être reprise. Son renvoi préjudiciel est à l’origine de l’arrêt de Grande chambre de la Cour de justice du 16 juillet 2020 qui invalide la décision de la Commission relative à l’adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis (CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18 N° Lexbase : A26443RD, arrêt « Schrems III »).

[6] « RGPD », art. 4, 23°, a.

[7] « RGPD », cons. 127.

[8] « RGPD », art. 56.6.

[9] « RGPD », art. 56.2.

[10] « RGPD », art. 56.1.

[11] Comp. considérant qu’il « signifie nécessairement que l’administration centrale ne se définit pas comme le lieu où l’on prend de telles décisions », E. Neter, loc. cit..

[12] La formule de ce considérant (« l’établissement principal […] devrait supposer l’exercice effectif et réel d’activité de gestion déterminant les décisions principales quant aux finalités et aux moyens du traitement ») n’est pas plus éclairante que le texte de l’article 4, 16° du « RGPD » (v., sur ce point, E. Netter, loc. cit.).

[13] Lignes directrices concernant la désignation d’une autorité de contrôle chef de file d’un responsable du traitement ou d’un sous-traitant, adoptées le 13 décembre 2016, version révisée et adoptée le 5 avril 2017, Groupe de travail « article 29 » sur la protection des données, p. 5 et s. [en ligne].

[14] Lignes directrices, loc. cit., p. 9.

[15] « RGPD », art. 55.1.

[16] Comp., qualifiant la société Google Ireland d’établissement principal en sa qualité de responsable du traitement des données des utilisateurs et lui déniant cette qualité pour les traitements correspondants à l’exploration, l’indexation et la sélection des résultats de recherche : Autorité belge de protection des données, ch. contentieuse, déc. quant au fond, 37/2020 du 14 juillet 2020, points. 24 et s..

[17] Comp., O. Tambou, Manuel de droit européen de la protection des données à caractère personnel, Bruylant, 2020, n° 410.

[18] CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18, préc..

[19] Cons. 15.

[20] Cons. 20.

[21] Lignes directrices sur la transparence au sens du Règlement (UE) n° 2016/679, Groupe de travail « Article 29 » sur la protection des données, adoptées le 29 novembre 2017, version révisée et adoptée le 11 avril 2018, n° 39 [en ligne] .

[22] « RGPD », art. 4, 11°.

[23] CJUE, 1er octobre 2019, aff. C-673/17 (N° Lexbase : A1226ZQH), CCE, 2020, étude 2, note R. Perray et H. Adda ; D., 2019, p. 2128, entretien J.-L. Sauron ; Dalloz IP/IT, 2020, p. 189, obs. F. Coupez et G. Péronne ; Europe 2019, comm. 492, obs. F. Péraldi-Leneuf, Légipresse, 2019, p. 524 et 694, étude C. Thiérache et A. Gautron.

[24] Cons. 32.

[25] « RGPD », art. 9.2, a.

[26] V. sur cette interprétation de l’article 6.1, b, lignes directrices 2/2019 sur le traitement des données à caractère personnel au titre de l’article 6, paragraphe 1, point b), du RGPD dans le cadre de la fourniture de services en ligne aux personnes concernées, Comité européen de la protection des données, adoptées le 8 octobre 2019, n° 53 [en ligne].

[27] « RGPD », art. 6.1, f.

[28] Cons. 20.

[29] Cons. 23.

[30] L’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), donne notamment à la CNIL la mission d’informer de façon adaptée les petites et moyennes entreprises ou encore d’établir et publier des lignes directrices, recommandations ou référentiels.

[31] Loi n° 78-17, art. 16, al. 1er.

[32] V. déjà, pour une difficulté d’accès aux informations fournies par Google en raison de leur éparpillement, CNIL, délibération n° 2013-420, 3 janvier 2014 (N° Lexbase : X4401AMX).

[33] Les lignes directrices de la CNIL et du Comité européen de la protection des données, les recommandations et référentiels de la CNIL ou encore l’une des publications de son laboratoire d’innovation numérique relative à la forme des choix (La forme des choix. Données personnelles, design et frictions désirables, Cahiers IP n° 6, janvier 2019 [en ligne]).

[34] Cons. 23.

[35] Le 32ème considérant ne pallie pas le silence du dispositif du « RGPD » puisqu’il indique simplement que « lorsque le traitement a plusieurs finalités, le consentement devrait être donné pour l’ensemble d’entre elles ».

[36] Lignes directrices sur le consentement au sens du Règlement 2016/679, Groupe de travail « Article 29 » sur la protection des données, adoptées le 28 novembre 2017, version révisée et adoptée le 10 avril 2018, préc., p. 13-14 ; Guidelines 5/2020 on consent under Regulation 2016/679, Comité européen de la protection des données, adoptées le 4 mai 2020, n° 60 [en ligne] (en anglais).

[37] V. déjà, E Netter, loc. cit..

newsid:474205

Données personnelles

[Brèves] La CJUE invalide l'accord sur le transfert de données personnelles entre l’UE et les États-Unis

Réf. : CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18 (N° Lexbase : A26443RD)

Lecture: 9 min

N4163BYT

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

Le 22 Juillet 2020

► Par son arrêt du 16 juillet 2020, la CJUE invalide la décision 2016/1250, relative à l'adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis (N° Lexbase : L5534K9T) ;

En revanche, elle juge que la décision 2010/87 de la Commission relative aux clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des sous-traitants établis dans des pays tiers est valide.

Résumé des faits. Un ressortissant autrichien a déposé une plainte auprès de l’autorité irlandaise de contrôle, visant, en substance, à faire interdire les transferts de données à caractère personnel par Facebook Ireland vers des serveurs appartenant à Facebook Inc., situés sur le territoire des États-Unis, où elles font l’objet d’un traitement. Il a soutenu que le droit et les pratiques des États-Unis n’offrent pas de protection suffisante contre l’accès, par les autorités publiques, aux données transférées vers ce pays. Cette plainte a été rejetée, au motif notamment que, dans sa décision 2000/520, la Commission avait constaté que les États-Unis assuraient un niveau adéquat de protection. Par un arrêt rendu le 6 octobre 2015, la Cour, saisie d’une question préjudicielle posée par la High Court (Haute Cour, Irlande), a jugé cette décision invalide (CJUE, 6 octobre 2015, aff. C-362/14 N° Lexbase : A7248NSA). L’autorité de contrôle irlandaise a invité le requérant à reformuler sa plainte compte tenu de l’invalidation, par la Cour, de la décision 2000/520. Dans sa plainte reformulée, il maintient que les États-Unis n’offrent pas de protection suffisante des données transférées vers ce pays. Il demande de suspendre ou d’interdire, pour l’avenir, les transferts de ses données à caractère personnel depuis l’Union vers les États-Unis, que Facebook Ireland réalise désormais sur le fondement des clauses types de protection figurant à l’annexe de la décision 2010/87. Estimant que le traitement de cette plainte dépend, notamment, de la validité de la décision 2010/87, l’autorité de contrôle irlandaise a initié une procédure devant la High Court aux fins que celle-ci soumette à la Cour une demande de décision préjudicielle. Après l’ouverture de cette procédure, la Commission a adopté la décision (UE) 2016/1250, relative à l'adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis.

Renvoi préjudiciel. Par sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’applicabilité du « RGPD » (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I) à des transferts de données à caractère personnel fondés sur des clauses types de protection figurant dans la décision 2010/87, sur le niveau de protection requis par ce règlement dans le cadre d’un tel transfert et sur les obligations incombant aux autorités de contrôle dans ce contexte. En outre, la High Court soulève la question de la validité tant de la décision 2010/87 que de la décision 2016/1250.

Réponse. Par son arrêt du 16 juillet 2020, la Cour constate que l’examen de la décision 2010/87 au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne révèle aucun élément de nature à affecter sa validité. En revanche, elle déclare la décision 2016/1250 invalide.

L’applicabilité du « RGPD » à des transferts de données à caractère personnel fondés sur des clauses types de protection figurant dans la décision 2010/87. La Cour estime que le droit de l’Union, et notamment le « RGPD », s’applique à un transfert de données à caractère personnel effectué à des fins commerciales par un opérateur économique établi dans un État membre vers un autre opérateur économique établi dans un pays tiers, même si, au cours ou à la suite de ce transfert, ces données sont susceptibles d’être traitées à des fins de sécurité publique, de défense et de sûreté de l’État par les autorités du pays tiers concerné. Elle précise que ce type de traitement de données par les autorités d’un pays tiers ne saurait exclure un tel transfert du champ d’application du « RGPD ».

Le niveau de protection requis par le « RGPD » dans le cadre d’un tel transfert. La Cour juge que les exigences prévues à cet effet par les dispositions du « RGPD », qui ont trait à des garanties appropriées, des droits opposables et des voies de droit effectives, doivent être interprétées en ce sens que les personnes dont les données à caractère personnel sont transférées vers un pays tiers sur le fondement de clauses types de protection des données doivent bénéficier d’un niveau de protection substantiellement équivalent à celui garanti au sein de l’Union par ce Règlement, lu à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans ce contexte, elle précise que l’évaluation de ce niveau de protection doit prendre en compte tant les stipulations contractuelles convenues entre l’exportateur des données établi dans l’Union et le destinataire du transfert établi dans le pays tiers concerné que, en ce qui concerne un éventuel accès des autorités publiques de ce pays tiers aux données ainsi transférées, les éléments pertinents du système juridique de celui-ci.

Les obligations incombant aux autorités de contrôle dans le contexte d’un tel transfert. La Cour juge que, à moins qu’il existe une décision d’adéquation valablement adoptée par la Commission, ces autorités sont notamment obligées de suspendre ou d’interdire un transfert de données à caractère personnel vers un pays tiers lorsqu’elles estiment, au regard des circonstances propres à ce transfert, que les clauses types de protection des données ne sont pas ou ne peuvent pas être respectées dans ce pays et que la protection des données transférées, requise par le droit de l’Union, ne peut pas être assurée par d’autres moyens, à défaut pour l’exportateur établi dans l’Union d’avoir lui-même suspendu ou mis fin à un tel transfert.

Validité de la décision 2010/87 de la Commission relative aux clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des sous-traitants établis dans des pays tiers. Selon la Cour, la validité de cette décision n’est pas remise en cause par le seul fait que les clauses types de protection des données figurant dans celle-ci ne lient pas, en raison de leur caractère contractuel, les autorités du pays tiers vers lequel un transfert des données pourrait être opéré. En revanche, précise-t-elle, cette validité dépend du point de savoir si ladite décision comporte des mécanismes effectifs permettant, en pratique, d’assurer que le niveau de protection requis par le droit de l’Union soit respecté et que les transferts de données à caractère personnel, fondés sur de telles clauses, soient suspendus ou interdits en cas de violation de ces clauses ou d’impossibilité de les honorer. La Cour constate que la décision 2010/87 met en place de tels mécanismes. À cet égard, elle souligne, notamment, que cette décision instaure une obligation pour l’exportateur des donnés et le destinataire du transfert de vérifier, au préalable, que ce niveau de protection est respecté dans le pays tiers concerné et qu’elle oblige ce destinataire à informer l’exportateur des données de son éventuelle incapacité de se conformer aux clauses types de protection, à charge alors pour ce dernier de suspendre le transfert de données et/ou de résilier le contrat conclu avec le premier.

Invalidité de la décision 2016/1250 relative à l'adéquation de la protection assurée par le bouclier de protection des données UE-États-Unis. La Cour procède à l’examen de la validité de la décision 2016/1250 au regard des exigences découlant du « RGPD », lu à la lumière des dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant le respect de la vie privée et familiale, la protection des données à caractère personnel et le droit à une protection juridictionnelle effective. À cet égard, la Cour relève que cette décision consacre, à l’instar de la décision 2000/520, la primauté des exigences relatives à la sécurité nationale, à l’intérêt public et au respect de la législation américaine, rendant ainsi possibles des ingérences dans les droits fondamentaux des personnes dont les données sont transférées vers ce pays tiers. Selon la Cour, les limitations de la protection des données à caractère personnel qui découlent de la réglementation interne des États-Unis portant sur l’accès et l’utilisation, par les autorités publiques américaines, de telles données transférées depuis l’Union vers ce pays tiers, et que la Commission a évaluées dans la décision 2016/1250, ne sont pas encadrées d’une manière à répondre à des exigences substantiellement équivalentes à celles requises, en droit de l’Union, par le principe de proportionnalité, en ce que les programmes de surveillance fondés sur cette réglementation ne sont pas limités au strict nécessaire. En se fondant sur les constatations figurant dans cette décision, la Cour relève que, pour certains programmes de surveillance, ladite réglementation ne fait ressortir d’aucune manière l’existence de limitations à l’habilitation qu’elle comporte pour la mise en œuvre de ces programmes, pas plus que l’existence de garanties pour des personnes non américaines potentiellement visées. La Cour ajoute que, si la même réglementation prévoit des exigences que les autorités américaines doivent respecter, lors de la mise en œuvre des programmes de surveillance concernés, elle ne confère pas aux personnes concernées des droits opposables aux autorités américaines devant les tribunaux.

Quant à l’exigence de protection juridictionnelle, la Cour juge que, contrairement à ce que la Commission a considéré dans la décision 2016/1250, le mécanisme de médiation visé par cette décision ne fournit pas à ces personnes une voie de recours devant un organe offrant des garanties substantiellement équivalentes à celles requises en droit de l’Union, de nature à assurer tant l’indépendance du médiateur prévu par ce mécanisme que l’existence de normes habilitant ledit médiateur à adopter des décisions contraignantes à l’égard des services de renseignement américains.

Pour toutes ces raisons, la Cour déclare la décision 2016/1250 invalide.

newsid:474163

Filiation

[Brèves] Refus de transcription de l’acte de naissance d’un enfant né de GPA à l’étranger : quid lorsque la mère d'intention est aussi la mère génétique ?

Réf. : CEDH, 16 juillet 2020, Req. 11288/18, D c/ France (N° Lexbase : A35543R3)

Lecture: 6 min

N4170BY4

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 28 Juillet 2020

► Le refus, par les juridictions françaises, de transcrire l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui en tant qu’il désigne la mère d’intention comme étant sa mère, celle-ci étant sa mère génétique, et pour autant que la procédure d’adoption permet de reconnaître un lien de filiation, n’emporte ni violation de l’article 8 (N° Lexbase : L4798AQR, droit au respect de la vie familiale), ni violation de l’article 14 (N° Lexbase : L4747AQU, interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8.

La question de la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né de GPA à l’étranger a fait l’objet d’un contentieux très important depuis quelques années, qui a permis progressivement à la Cour européenne des droits de l’Homme de poser des principes jurisprudentiels désormais bien définis ; c’est dans le cadre de ces principes qu’elle continue d’apporter des réponses qui s’inscrivent dans la lignée de sa jurisprudence, comme en témoigne l’arrêt rendu le 16 juillet 2020.

L’affaire. Les parents requérants s’étaient mariés en France en 2008, et l’enfant (troisième requérant) était né en Ukraine en septembre 2012, d’une gestation pour autrui. L’acte de naissance établi à Kiev indiquait que la première requérante était la mère, que le deuxième requérant était le père et ne mentionnait pas la femme qui avait accouché de l’enfant.

Face au rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de l’enfant pour autant qu’il désignait la première requérante comme étant sa mère, les requérants invoquaient, devant la CEDH, l’article 8 (droit au respect de la vie familiale), pris isolément et combiné avec l’article 14 (interdiction de la discrimination), dénonçant une violation du droit au respect de la vie privée de l’enfant ainsi qu’une discrimination fondée sur « la naissance » dans sa jouissance de ce droit.

♦ Sur la violation alléguée du droit au respect de la vie privée de l’enfant (article 8)

Rappel de la jurisprudence CEDH. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la question du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique, dans les arrêts « Mennesson c/ France » et « Labassee c/ France » (CEDH, 26 juin 2014, deux arrêts, Req. 65192/11, Mennesson c/ France N° Lexbase : A8551MR7, et Req. 65941/11, Labassée c/ France N° Lexbase : A8552MR8, et le comm. d’Adeline Gouttenoire, Lexbase, Droit privé, n° 577, 2014 N° Lexbase : N2924BUT). Elle précise qu’il ressort de sa jurisprudence que l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requière que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de son acte de naissance étranger. La Cour ne voit pas de raison dans les circonstances de l’espèce d’en décider autrement s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, mère génétique.

Il ne saurait donc être retenu que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée du seul fait que la première requérante est sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation entre l’une et l’autre peut être effectivement établi par une autre voie.

Reconnaissance du lien de filiation par un autre moyen, tel que l’adoption. Comme le soulignait le Gouvernement, les deux premiers requérants étant mariés et l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante ne mentionnant pas la femme qui avait accouché, la première requérante avait la possibilité de saisir le juge d’une demande tendant à son adoption plénière au titre de l’adoption de l’enfant du conjoint.

Ainsi que l’avait relevé la Cour dans son avis consultatif rendu le 10 avril 2019, l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention (CEDH, 10 avril 2019, avis n° P16-2018-001 N° Lexbase : A7859Y8L, cf. les obs. d'Adeline Gouttenoire, Le régime français de la GPA à l’étranger validée par la Cour européenne des droits de l’Homme, sous certaines réserves…, Lexbase, Droit privé, n° 784, mai 2019 N° Lexbase : N9099BXB).

La Cour observe notamment qu’il résulte des indications données par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière.

En refusant de procéder à la transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désignait la première requérante comme étant sa mère, l’État défendeur n’a pas, dans les circonstances de la cause, excédé sa marge d’appréciation. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

♦ Sur la discrimination alléguée fondée sur « la naissance » dans la jouissance du droit au respect de la vie privée de l’enfant

Pour la Cour, la différence de traitement entre les enfants français nés d’une gestation pour autrui à l’étranger et les autres enfants français nés à l’étranger, ne tient pas à ce que les premiers ne pourraient - comme les seconds - obtenir la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte de naissance étranger. Elle consiste en ce que, à l’époque des faits, les premiers, contrairement aux seconds, ne pouvaient obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et devaient passer par la voie de l’adoption pour leur filiation maternelle.

Or, comme l’a déjà souligné la Cour, l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif permettant la reconnaissance du lien de filiation entre la première et la troisième requérante cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation visait à s’assurer, au regard des circonstances particulières de chaque cas, qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention.

La Cour admet donc que la différence de traitement dénoncée par les requérants quant aux modalités de la reconnaissance du lien de filiation avec leur mère génétique, reposait sur une justification objective et raisonnable. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8.

Sur l’ensemble de la question :

V. ETUDE : La gestation ou maternité pour autrui, in La filiation, Lexbase (N° Lexbase : E4415EY8).

newsid:474170

Fiscalité internationale

[Brèves] Prélèvements de CSG pour les non-résidents : la CAA de Paris confirme la jurisprudence « Jahin »

Réf. : CAA Paris, 9 juillet 2020, n° 18PA04003 (N° Lexbase : A28983RR)

Lecture: 4 min

N4195BYZ

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par Marie-Claire Sgarra

Le 22 Juillet 2020

La circonstance qu'une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d'un État tiers à l'Union européenne, autre que les États membres de l'Espace économique européen ou la Suisse soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française entrant dans le champ du Règlement du 29 avril 2004, alors qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un État membre autre que la France ne peut, compte tenu des dispositions de ce règlement, y être soumise, ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers.

Résumé des faits : en l’espèce, des ressortissants américains domiciliés aux États-Unis, ont cédé au cours de l'année 2013 un bien immobilier situé à Paris. Le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la restitution des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis.

Les requérants soutiennent que la soumission aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d'un État autre que la Suisse ou que ceux qui font partie de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen qui, contrairement aux personnes relevant du régime de sécurité sociale français, ne peuvent prétendre au bénéfice du régime de protection sociale français, est constitutive d'une restriction à la libre circulation des capitaux, prohibée par l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en ce qu'elle est susceptible de les dissuader d'effectuer des investissements immobiliers en France. Toutefois, les résidents d'un État tiers étant assujettis aux mêmes prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine que les résidents français, ils ne peuvent être regardés comme relevant d'un régime fiscal moins favorable susceptible de les dissuader de réaliser des opérations immobilières en France. Cette dissuasion ne saurait résulter de la circonstance que l'assujettissement aux prélèvements sociaux en litige ne leur ouvre pas droit aux prestations sociales en France.

La cour administrative d’appel rejette la demande des requérants.

Pour rappel, par un arrêt du 18 janvier 2018, la CJUE a précisé l’interprétation à donner aux articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatifs à la libre circulation des capitaux (CJUE, 18 janvier 2018, aff. C-45/17, Frédéric Jahin N° Lexbase : A4171XAQ). La Cour a ainsi jugé que les revenus du patrimoine des ressortissants français qui travaillent dans un État autre qu’un État membre de l’UE ou la Suisse peuvent être soumis aux contributions sociales françaises.

À lire, E. d'Onorio di Méo, CSG des non-résidents : l'affaire "Jahin" portée devant la Cour de justice de l'Union européenne, Lexbase Fiscal, février 2017, n° 686 (N° Lexbase : N6565BW3) ;

À lire, F. Laffaille, De la (non) application de la jurisprudence « de Ruyter » aux résidents d'États tiers, Lexbase Fiscal, février 2018, n° 731 (N° Lexbase : N2737BXN).

La CJCE avait déjà jugé dans un arrêt du 15 février 2000 que la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale ne pouvaient pas être prélevées sur les revenus d’activités de travailleurs qui, bien que résidant en France, étaient soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre dans la mesure où ces prélèvements étaient affectés spécifiquement et directement au financement de la sécurité sociale en France et présentaient un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de Sécurité sociale (CJCE , 15 février 2000, aff. C-34/98, Commission des communautés européennes/République française N° Lexbase : A2802ATX).

Plus tard dans le célèbre arrêt « de Ruyter », elle élargit l’application de cette jurisprudence aux revenus du patrimoine (CJUE, 26 février 2015, aff. C-623/13, Ministère de l'Economie et des Finances/Gérard de Ruyter N° Lexbase : A2333NCE).

Par un arrêt du 29 janvier 2019, la cour administrative d’appel de Versailles avait déjà confirmé la jurisprudence de la CJUE (CAA Versailles, 29 janvier 2019, n° 17VE01426 N° Lexbase : A8148YWP) en jugeant que doivent être imposés les non-résidents affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État tiers à l’EEE et à la Suisse.

Idem dans un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille le 18 février 2020 (CAA de Marseille, 18 février 2020, n° 19MA00336 N° Lexbase : A75883HI).

À lire, F. Laffaille, Plus-value immobilière, prélèvements sociaux et ressortissant d’un État tiers, Lexbase Fiscal, mars 2020, n° 818 (N° Lexbase : N2696BYI).

 

 

 

newsid:474195

Harcèlement

[Brèves] Comportement inapproprié lors d'un entretien préalable susceptible de caractériser un harcèlement sexuel

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.410, FS-P+B (N° Lexbase : A10413RY)

Lecture: 2 min

N4198BY7

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par Charlotte Moronval

Le 22 Juillet 2020

► Le juge ne peut, pour dire que la salariée n’a pas subi de harcèlement sexuel, retenir que les éléments présentés par l’intéressée, considérés dans leur ensemble, s'ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer l’existence d'un harcèlement sexuel, alors que la salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l’employeur avait sanctionné ce dernier par un avertissement pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée.

Dans les faits. Deux salariés sont licenciés pour faute grave. Soutenant, s’agissant de la première salariée, qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et, pour le second salarié, qu’il avait été licencié pour avoir relaté le harcèlement subi par sa collègue, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.

La position de la cour d’appel. Pour dire que la salariée n’a pas subi de harcèlement sexuel et la débouter de ses demandes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes, la cour d’appel (CA Caen, 2 août 2018, n° 16/03100 N° Lexbase : A6522XZL) retient que les éléments présentés par l’intéressée, considérés dans leur ensemble, s'ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer l’existence d'un harcèlement sexuel.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.

→ En se déterminant comme elle l’a fait, alors que la salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l’employeur avait sanctionné ce dernier par un avertissement pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée, la cour d’appel, qui n’a pas pris en considération tous les éléments présentés par la salariée, n’a pas donné de base légale à sa décision.

Pour en savoir plus, v. ETUDE : Le harcèlement sexuel, Les actions judiciaires contre l’auteur du harcèlement sexuel, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E9997YYW).

 

newsid:474198

Responsabilité

[Brèves] Responsabilité spéciale du fait des animaux : insuffisance du pouvoir d’instruction d’un manadier supervisant une manifestation taurine pour emporter transfert de la garde d’un cheval monté par son propriétaire ayant causé un dommage à un spectateur

Réf. : Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 19-14.678, F-P+B+I (N° Lexbase : A35553R4)

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N4171BY7

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par Manon Rouanne

Le 22 Juillet 2020

► N’engage pas sa responsabilité sur le fondement de la responsabilité spéciale du fait des animaux, le manadier, en charge de superviser une manifestation taurine impliquant des chevaux dont l’un, monté par son propriétaire, à causé des blessures à un spectateur, qui n’avait pas la qualité de commettant à l’égard du cavalier et dont le seul pouvoir d’instruction qui lui avait été conféré était insuffisant à caractériser un transfert de la garde ;

Il en résulte que seul le propriétaire du cheval qui avait conservé les pouvoirs d’usage et de contrôle de l’animal en était le gardien.

Résumé des faits. Dans cette affaire, lors du déroulé d’une manifestation taurine, organisée par une association et supervisée par un manadier, consistant en un lâcher de deux taureaux entourés par deux chevaux, l’un d’eux, monté par son propriétaire, s’est emballé et a blessé un des spectateurs venus assister au défilé. Pour obtenir réparation des dommages causés du fait de cet accident, ce dernier a, alors, engagé une action en responsabilité à l’encontre du cavalier, du manadier et de l’association organisatrice de l’évènement.

En cause d’appel. La cour d’appel a retenu la responsabilité délictuelle du manadier sur le fondement de l’article 1385 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1491ABT ; nouvel article 1243 du Code civil N° Lexbase : L0947KZ4) consacrant le régime de responsabilité du fait des animaux et l’a condamné, in solidum avec l’association, à indemniser la victime des préjudices subis. Pour trancher ainsi le litige, bien que retenant que le directeur de la manade n’était pas le propriétaire du cheval ayant blessé la victime, lequel n’était pas son préposé et, en vertu du régime spécial, était présumé être le gardien de l’animal, les juges du fond ont décidé que, dans la mesure où le manadier était en charge d’établir le parcours à suivre, de sélectionner les chevaux et les cavaliers et de leur assigner la place qui convient dans l’escorte, le cavalier propriétaire du cheval agissait sous ses ordres et directives impliquant un transfert de la garde de l’animal et, ainsi, un transfert de la responsabilité pour les dommages causés par celui-ci.

A hauteur de cassation. S’opposant à l’engagement de sa responsabilité, le manadier, soutenant l’absence de transfert, à son égard, de la garde du cheval emportant transfert de responsabilité du fait de l’animal, a allégué que le cavalier propriétaire de son cheval n’en transfère la garde à un tiers que si ce dernier a reçu les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur l’animal et que tel n’est pas le cas du tiers qui dispose de prérogatives limitées consistant à donner des directives au cavalier, lequel conserve seul la maîtrise de sa monture. Aussi, le demandeur en a déduit que le propriétaire et cavalier du cheval qui a causé l’accident, en gardait l’usage, la direction et le contrôle, même s’il recevait des ordres de sa part ; le pouvoir d’instruction étant, à lui seul, insuffisant pour opérer un transfert de la garde.

Décision. Rejoignant l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en rejetant l’engagement de la responsabilité du manadier sur le fondement de la responsabilité spéciale du fait des animaux fondée sur l’obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent. La Haute juridiction affirme, en effet, que le seul pouvoir d’instruction dévolu au manadier, qui n’avait pas la qualité de commettant, ne permettait pas de caractériser un transfert de la garde de l’animal, emportant transfert de responsabilité ; garde conservée, dès lors, par le propriétaire du cheval qui en était le cavalier au moment de l’accident et exerçait, ainsi, un pouvoir de d’usage et contrôle sur l’animal.

Pour aller plus loin : cf. l’Ouvrage « Responsabilité civile », La responsabilité spéciale du fait des animaux, La garde de l'animal (N° Lexbase : E5870ETL).

 

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Soins psychiatriques sans consentement

[Jurisprudence] L’inconstitutionnalité de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique relatif à l’isolement et à la contention psychiatriques

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-844 QPC, du 19 juin 2020 (N° Lexbase : A85293N9)

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N4203BYC

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par Gloria Delgado-Hernandez et Letizia Monnet-Placidi, Avocates au Barreau de Paris

Le 22 Juillet 2020


Mots clés : soins psychiatriques sans consentement • isolement • contention • privation de liberté • juge des libertés et de la détention (JLD) • QPC

Aux termes d’une importante décision rendue le 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a jugé que les mesures d’isolement et de contention en milieu psychiatrique constituent une privation de liberté et que, dès lors que le législateur n’a pas fixé de limite à la durée de ces mesures, ni prévu les conditions dans lesquelles leur maintien est soumis au contrôle judiciaire, l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9473KX7) est contraire à la Constitution.

Les effets de l’abrogation de cet article sont reportés au 31 décembre 2020.


Le Conseil avait été saisi d’une question prioritaire de constitutionalité renvoyée par la Cour de cassation, après que celle-ci a jugé que « l’atteinte portée à la liberté individuelle par les mesures d’isolement et de contention pourrait être de nature à caractériser une privation de liberté imposant, au regard de l’article 66 de la constitution, le contrôle systématique du juge judiciaire » [1].

Initialement c'est devant le juge des libertés et de la détention de Versailles que le requérant, qui avait subi deux jours d’isolement, avait, dans le cadre du contrôle systématique de l’hospitalisation sans consentement dont il faisait l’objet [2], soulevé une question prioritaire de constitutionalité relative aux dispositions de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique [3].

Devant le Conseil constitutionnel, trois associations sont intervenues au soutien du requérant : la Ligue des droits de l’Homme, le Cercle de réflexion et de propositions d’actions sur la psychiatrie (C.R.P.A) et l’association Avocats, Droits et Psychiatrie, cette dernière regroupant au niveau national les avocats souhaitant promouvoir l’exercice effectif et efficace des droits des personnes hospitalisées sans leur consentement.

Préliminaire 1. Que sont l’isolement et la contention en l’absence de définition légale ?

L’isolement et la contention sont des pratiques hospitalières. Seule la Haute autorité de santé (HAS) les a définies dans les Recommandations de bonne pratique qu’elle a publiée, en février 2017, document toutefois sans valeur normative [4].

Selon la HAS, l’isolement est le « placement du patient à visée de protection, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique, dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients. Tout isolement ne peut se faire que dans un lieu dédié et adapté. »

S’agissant de la contention, la HAS précise qu’il existe plusieurs types de contention, dont les contentions physique et mécanique. La première consiste à maintenir ou immobiliser la personne en ayant recours à la force physique, la seconde à utiliser « tous les moyens, méthodes, matériels ou vêtements empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’autrui. Il peut s’agir ainsi de liens, attaches, camisoles pouvant conduire à immobiliser les quatre membres ainsi que le buste. »

Depuis plus de trente ans, plusieurs organisations internationales (ONU [5], OMS [6], CPT [7]) ont alerté sur l’usage croissant de l’isolement et de la contention en l’absence de tout encadrement légal.

En France, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) leur a consacré un rapport, insistant sur leur caractère gravement attentatoire aux droits fondamentaux, l’absence d’étude scientifique affirmant leur efficacité thérapeutique et la manière dont elles sont mises en œuvre souvent humiliante, indigne, parfois dangereuse [8]. Il préconisait parmi ses recommandations, une meilleure traçabilité de ces mesures [9].

L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique encadrant les conditions du recours à l’isolement et à la contention et leur traçabilité n’a été introduit dans le Code de la santé publique qu’en janvier 2016 [10].

Il précise qu’il doit s’agir de pratiques de dernier recours, qui ne peuvent être employées que « pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée ». La traçabilité des mesures résulte de la tenue d’un registre et leur contrôle de la seule présentation de celui-ci, à leur demande à la Commission départementale des soins psychiatriques, au CGLPL et aux parlementaires. Pour autant il ne donne pas de définition légale de la contention et de l’isolement.

Le Conseil constitutionnel apporte une définition juridictionnelle dans ces termes : « l’isolement consiste à placer la personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à l’immobiliser » [11].

Préliminaire 2. Modalités de soins et/ou privation de liberté

Considérant que ces mesures portent atteinte à la liberté individuelle dont le juge judiciaire est constitutionnellement le gardien, certaines juridictions ont jugé qu’il entrait dans leur mission d’apprécier la régularité des mesures d’isolement et de contention dans le cadre du contrôle des mesures d’hospitalisation sans consentement prévu par les articles L. 3211-12 (N° Lexbase : L6085LRS) et L. 3211-12-1 (N° Lexbase : L9754KXK)du Code de la santé publique.

La cour d’appel de Versailles a ainsi jugé que : « […] c’est à l’établissement hospitalier de justifier du respect des dispositions de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, et de fournir au juge les éléments lui permettant d’opérer le contrôle qui lui incombe sur les atteintes à la liberté du patient. Force est de constater qu’en l’espèce, aucun élément n’est produit permettant de déterminer si la mise à l’isolement de Monsieur X résulte bien d’une décision d’un psychiatre, et qu’il était nécessaire pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui. Il en résulte une atteinte aux droits de Monsieur X qui justifie la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète » [12].

La Cour de cassation a mis un terme à cette jurisprudence par l’arrêt rendu le 21 novembre 2019. Elle a, en effet, jugé que : « […] aucun texte n’impose la production devant le JLD du registre prévu à l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique consignant les mesures d’isolement et de contention, lesquelles constituent des modalités de soins. Celles-ci ne relevant pas de l’office du JLD, qui s’attache à la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé, le Premier président en a justement déduit que le grief tenant au défaut de production de copies du registre était inopérant » [13]. Cette position a été reprise dans un avis rendu le 3 février suivant [14].

Ainsi donc la Cour de cassation juge qu’en considérant ces mesures comme des modalités de soins, celles-ci échapperaient en tant que telles au contrôle du juge. C’est cette interprétation de l’article L. 3222-5-2 du Code de la santé publique qui a fait l’objet de la question prioritaire de constitutionalité soumise au Conseil.

Les mesures de soins sans consentement que sont les soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou du représentant de l’État sont aussi considérées comme des modalités de soins et classées comme telles dans le Titre Ier relatif aux « Modalités de soins psychiatriques ». Pour autant, elles sont bien soumises au contrôle du juge judiciaire dès lors qu’elles portent atteinte à la liberté individuelle.

Devant le Conseil constitutionnel, le Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint Germain-en-Laye et le Premier ministre ont soutenu, dans leurs observations, qu’il s’agissait exclusivement de modalités de prise en charge du patient hospitalisé insistant sur la nature médicale des décisions qu’en conséquence il n’appartenait pas au juge de connaître.

Le Conseil constitutionnel revient à l’essentiel et écarte cette argumentation : il juge que l’isolement et la contention constituent une privation de liberté.

Avant d’envisager les modalités d’un contrôle des mesures d’isolement et de contention, il convient de procéder à une analyse de la décision du 19 juin 2020.

I. Analyse de la décision du Conseil constitutionnel

Il est à noter que la décision du Conseil constitutionnel porte sur les mesures d’isolement et de contention prises dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement. Or, comme il a été précisé par la circulaire du 29 mars 2017 [15], « en dehors des soins sans consentement » il existe également le recours à l’isolement ou à la contention pour des personnes en soins libres, mais celui-ci doit être limité aux cas prévus par la circulaire n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993 (Circulaire Veil).

Cette dernière précise que les personnes dites en soins psychiatriques libres ont le droit, « sous les réserves liées au bon fonctionnement du service, de circuler librement dans l’établissement et ne peuvent en aucun cas être installées dans des services fermés à clef ni a fortiori dans des chambres verrouillées. Toutefois, en cas d’urgence, il peut être possible d’isoler pour des raisons tenant à sa sécurité un malade quelques heures en attendant, soit la résolution de la situation d’urgence, soit la transformation de son régime d’hospitalisation en un régime d’hospitalisation en soins sans consentement ».

Dès 2016, dans son rapport thématique sur l’isolement et la contention dans les établissements de santé mentale, le CGLPL, éclaireur dans ce domaine, déplorait l’absence de tout contrôle judiciaire pour ces mesures [16].

Dans son Rapport annuel 2019 [17], le CGLPL a rappelé que « l’isolement et la contention devraient faire l’objet d’un contrôle du juge. Les articles L. 3211-12-1 ou L. 3222-5-1 du Code de la santé publique ne le prévoient pas, mais cela est exigé par l’article 66 de la Constitution qui dispose que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Selon le CGLPL, et en application de la hiérarchie des normes, les exigences de l’article 66 de la Constitution suffiraient à fonder le contrôle juridictionnel des mesures d’isolement et de contention.

Le CGLPL a ajouté dans ce même Rapport que « Les conditions dans lesquelles sont exécutées les mesures de soins sans consentement ne peuvent pas être considérées comme indifférentes : l’enfermement, l’isolement, la contention, les restrictions aux droits de communication, à la liberté d’aller et venir ou à la liberté sexuelle doivent être regardées comme faisant grief. Elles doivent donc faire l’objet d’un contrôle juridictionnel que l’article 66 de la Constitution suffit à fonder. Toutefois, la timidité des avocats et des juges devant cette voie de droit impose que la loi prévoie des procédures de recours plus précises ».

Le CGLPL, dans son Rapport thématique « Soins sans consentement et droits fondamentaux », par sa recommandation 48, précise sa pensée en insistant : « Le législateur doit désigner le juge compétent pour statuer sur les recours relatifs aux décisions de placement en isolement et préciser la procédure du recours » [18].

A défaut de contrôle juridictionnel légalement prévu pour ces mesures, le Conseil constitutionnel ne pouvait que déclarer contraires à la Constitution les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique.

Très tôt et de façon constante, le Conseil constitutionnel a considéré que dès lors qu’une mesure affecte la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet au sens de l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM), quelles que soient les garanties entourant la mesure, la durée ne saurait excéder un délai raisonnable et le législateur doit prévoir la possibilité pour l’autorité judiciaire d’intervenir dans les meilleurs délais [19].

En application des articles 9 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 66 de la Constitution, la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice des libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’objectif de prévention poursuivi [20].

Cela dit, si l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, il n'impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté [21].

Cependant, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible [22].

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 juin 2020, a considéré que le législateur, en adoptant les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, « a fixé des conditions de fond et des garanties de procédure propres à assurer que le placement à l’isolement ou sous contention, dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, n’intervienne que dans les cas où ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état de la personne qui en fait l’objet ».

Toujours dans la même ligne de sa jurisprudence antérieure, il ajoute : « Si l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Dès lors, en ce qu’elles permettent le placement à l’isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution » [23].

Autrement dit, les mesures d’isolement et contention dans le cadre de soins sans consentement ne sont pas contraires en elles-mêmes à la Constitution. Elles le deviennent en l’absence de limitation de durée et de contrôle juridictionnel.

Le Conseil le rappelle en citant sa jurisprudence habituelle : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai. Or, si le législateur a prévu que le recours à l’isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. »

Le Conseil constitutionnel conclut alors en déclarant contraire à la Constitution l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique dans tous ses alinéas.

En somme, la décision du 19 juin 2020 du Conseil constitutionnel s’inscrit donc non seulement dans la lignée de sa jurisprudence habituelle, mais également dans le cadre des recommandations du CGLPL et d’autres organismes internationaux.

Sur la base des préconisations du Conseil constitutionnel, il est possible de formuler des propositions quant au contrôle qui pourrait intervenir.

II. Propositions pour un contrôle systématique

Le Conseil constitutionnel ayant reporté au 31 décembre 2020 la date à laquelle prendra effet l’abrogation de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, il appartient dès lors au législateur de voter un texte qui entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2021.

Ce texte devra répondre aux critères fixés par le Conseil constitutionnel mais aussi à ceux issus des règles nationales ou européennes, notamment, quant au choix et à l’étendue de la mission du juge qui sera chargé du contrôle des mesures d’isolement et de contention et aux conditions de son intervention.

A. Compétence et étendue de la mission du juge

L’article L. 3216-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0678LTB) dispose en son alinéa 1er :

« La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. »

Le 9 décembre 2019, le Tribunal des conflits a jugé, au visa de ce texte, que la compétence exclusive des juridictions judiciaires leur permet même d’annuler une décision administrative [24].

La compétence du juge administratif étant exclue, seule demeure la question de savoir quel juge judiciaire pourrait être chargé de ce contentieux [25].

Etant donné les critères de rapidité d’intervention et de nature de la décision à prendre, le choix doit s’opérer entre le juge des référés et le juge des libertés et de la détention [26].

Madame Darmstadter-Delmas, magistrat honoraire, soutient que le juge des référés est le seul apte à statuer, notamment, parce que les mesures d’isolement et de contention n’ont pas été intégrées dans la partie du Code de la santé publique qui entre dans le champ de compétence des JLD [27].

Cet article figure en effet dans le chapitre II (« Etablissements de santé chargés d’assurer les soins sans consentement ») du Titre II, relatif à l’organisation de la lutte contre les maladies mentales et n’a curieusement pas été rattaché au Titre Ier, relatif aux « Modalités de soins psychiatriques » qui définit les conditions dans lesquels une personne peut être hospitalisée sans son consentement.

Afin de contrecarrer cet argument, il suffit que le législateur étende la compétence du JLD à ce nouveau champ ou intègre la procédure à venir dans la partie du Code de la santé publique qui relève de la compétence du JLD.

Plus grave, confier au juge des référés la compétence dans ce domaine serait contraire au but recherché par le Conseil constitutionnel.

En effet, comme l’a relevé le conseil du requérant à l’audience devant le Conseil constitutionnel, la procédure de référé ne se prête pas à un contrôle systématique : essentiellement du fait de la nécessité de la représentation par un avocat, qu’une personne à l’isolement et sous contention ne pourra pas saisir.

Il n’y aurait donc pas de contrôle effectif de ces mesures.

En conséquence, le juge naturellement compétent reste le JLD. Son intervention s’impose d’autant plus que c’est ce même juge qui intervient déjà pour contrôler les hospitalisations sans consentement.

Le contrôle de la régularité des mesures d’isolement et de contention entre donc naturellement dans son champ de compétence.

Ainsi, non seulement le juge devra s’assurer que les mesures d’isolement et de contention sont bien formellement régulières mais aussi que les critères prévalant à la mise en œuvre de ces mesures ont bien été respectés : en dernier recours, pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour la personne ou pour autrui.

On retrouve là les notions d’adaptabilité, nécessité et proportionnalité.

Outre le contrôle autonome des mesures d’isolement et de contention, le législateur devra aussi prévoir que le JLD saisi pour un contrôle systématique ou facultatif [28] d’une mesure d’hospitalisation complète soit mis en mesure de contrôler les placements à l’isolement et sous contention qui auront précédé son intervention (et qui n’auraient pas fait l’objet d’un contrôle « autonome »).

Cela doit permettre d’éviter les placements « intermittents » par durées inférieures à celle qui sera fixée pour le contrôle autonome.

Compte tenu de la gravité de l’atteinte aux droits et à la personne que constitue un placement à l’isolement et pire encore s’il y a contention, en cas de violation des critères précités, le JLD ne pourra que prononcer la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète.

B. Garanties procédurales

Initialement, la loi du 5 juillet 2011 (loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge N° Lexbase : L6927IQM), fixait à quinze jours le délai dans lequel le juge devait statuer. La réforme du 27 septembre 2013 (loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013, modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge N° Lexbase : L2957IY8) a réduit ce délai à douze jours afin, notamment, qu’une hospitalisation irrégulière cesse le plus rapidement possible.

Comme dans toutes les hypothèses de privation de liberté, ce même critère de célérité doit être pris en compte pour le contrôle par le juge des mesures de placement à l’isolement et en contention.

A ce titre, il convient de rappeler la décision de la CEDH du 19 février 2015, M.S. c. Croatie qui s’est prononcée, au visa de l’article 3 de la Convention qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, dans les termes suivants : « la position d’infériorité et de faiblesse, caractéristique des patients enfermés en hôpitaux psychiatriques appelle une vigilance accrue dans l’appréciation du respect des dispositions de la Convention » (§ 98).

Un recours à la contention qui ne serait pas strictement nécessaire constituerait par principe une violation des dispositions de l’article 3 (§ 97).

Dans cette affaire, la personne avait subi une contention d’une durée de quinze heures et la Cour relève « qu’une telle mesure est habituellement perçue comme une expérience traumatisante, impossible à oublier, susceptible de causer des blessures physiques et humiliantes » (§ 102).

Dans son § 104, elle insiste sur le principe de l’utilisation en dernier recours de la contention « quand aucune autre mesure ne permet de calmer un individu agité, ou de prévenir des dommages à lui-même ou à autrui ».

Enfin, la Cour retient que « le recours à ces mesures doit être proportionné et assorti de garanties contre les abus, avec des garanties procédurales suffisantes » et qu’à défaut de telles garanties, il y aurait une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (§ 105).

Au regard de la violente réalité des mesures d’isolement et de contention, le délai devrait être le plus court possible [29].

Le JLD ayant déjà la charge du contrôle des mesures d’hospitalisations sans consentement, les mêmes principes procéduraux devraient s’appliquer au contrôle des mesures d’isolement et de contention afin d’offrir une bonne lisibilité de la situation aux personnes hospitalisées, qu’elles sachent qui est « leur juge », celui dont la mission est de garantir leurs droits.

Quant à la forme de la saisine, la requête demeure le mode de saisine le plus adapté par sa souplesse et sa simplicité garantissant le respect des délais. Elle devra être accompagnée par l’ensemble des documents relatifs à la situation de la personne placée à l’isolement ou sous contention.

Quant à l’auteur de la saisine, l’auteur de la décision administrative de placement en hospitalisation sans consentement permettrait un parallélisme des formes avec le contrôle de l’hospitalisation. Un contrôle facultatif doit aussi être garanti aux personnes visées à l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique.

Pour mémoire, il convient de rappeler que les personnes placées à l’isolement sous contention conservent les droits dont bénéficient toutes les personnes durant leur hospitalisation sans consentement.

On peut citer l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2993IYI) : « L'avis de cette personne sur les modalités des soins doit être recherché et pris en considération dans toute la mesure du possible. »

En application de ce texte, le médecin qui décide d’une mesure d’isolement ou de contention doit, avant de la mettre en œuvre, en discuter avec son patient et recueillir son avis sur cette mesure comme le préconise le CGLPL dans son rapport sur l’isolement et la contention [30].

En ce qui concerne les garanties, elles ne sauraient être moindres que celles dont bénéficient les personnes hospitalisées sans consentement lors du contrôle par le JLD de la régularité de leur situation.

Les deux principales garanties sont la rencontre avec le juge et l’intervention de l’avocat.

À ce jour, les personnes à l’isolement et sous contention au moment du contrôle à douze jours ou à six mois ne sont pas conduites à l’audience, ni présentées au juge, le médecin certificateur les ayant déclarées « non-auditionnables » [31].

Tout permet d’imaginer qu’il en ira de même pour le contrôle de la mesure de placement à l’isolement ou sous contention.

À défaut de rencontrer le JLD, il est donc essentiel que ces personnes soient représentées devant lui par un avocat.

Or, cette représentation ne permet une défense effective des droits d’une personne particulièrement privée de liberté que s’il y a eu un échange, ne serait-ce que téléphonique, entre le client et son avocat.

À défaut, il ne saurait y avoir de défense effective de la personne hospitalisée sans consentement placée à l’isolement et sous contention, ce qui reviendrait à fouler aux pieds la décision du Conseil constitutionnel.


[1] Cass. civ. 1, 5 mars 2020, n° 19-40.039, FS-P+B (N° Lexbase : A12603II).

[2] Prévu par l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9754KXK).

[3] Cass. civ. 1, 5 mars 2020, n° 19-40.039, FS-P+B, préc..

[4] Isolement et Contention en psychiatrie générale, Méthode recommandations pour la pratique clinique, Recommandations de bonne pratique, HAS, Février 2017, [en ligne], p. 9.

[5] Résolution 46/119 de l’ONU, [en ligne], principe 11.

[6] Rapport de la Conférence ministérielle européenne de l’OMS, 2006, [en ligne] p. 111.

[7] Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 8éme rapport général (CPT/Inf (98) 12), [en ligne], p. 18.

[8] Rapport CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, [en ligne], p. 7 et s..

[9] Rapport CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, p. 115 et s..

[10] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé (N° Lexbase : L2582KXW), art. 72.

[11] Cons. 4 de la décision.

[12] CA Versailles, 24 octobre 2016, n° 16/07393 (N° Lexbase : A7445R9M) ; CA Versailles, 16 juin 2017, n° 17/04374, 23 octobre 2018, RG n° 18/07091 (N° Lexbase : A6467YHY) ; CA Lyon, 30 septembre 2019, n° 19/06535 (N° Lexbase : A6467YHY) ; JLD Versailles, 20 aout 2018, RG n° 18/01260.

[15] Instruction n° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017, relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement (NOR : AFSH1710003J).

[16] Rapport CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, mai 2016, préc..

[17] CGLPL, Rapport annuel 2019, 3 juin 2020, [en ligne], p. 24.

[18] CGLPL, Rapport Soins sans consentement et droits fondamentaux, publié le 17 juin 2020, [en ligne], p. 112.

[19] Cons. const., décision n° 92-307 DC, du 25 février 1992, Loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : A8265AC4).

[20] Cons. const., décision n° 2008-562 DC, du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (N° Lexbase : A0152D7R).

[21] Cons. const., décision n° 2010-71 QPC, du 26 novembre 2010 (N° Lexbase : A3871GLX) ; Cons. const., décision n° 2011-135/140 QPC, du 9 juin 2011 (N° Lexbase : A4306HTN) ; Cons. const., décision n° 2011-174 QPC, du 6 octobre 2011 (N° Lexbase : A5942HYQ).

[22] Cons. const., décision n° 2020-800 DC, du 11 mai 2020, Loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions (N° Lexbase : A32573L9) (sur les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement).

[23] Décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2020, Cons. 6.

[24] T. confl., 9 décembre 2019, M. A. c/ Centre hospitalier universitaire de Toulouse, n° 4174 (N° Lexbase : A3118Z9D).

[25] Cf. Débats devant le Conseil constitutionnel, [en ligne].

[26] Avis de Mmes Caron Deglise et Marilly sur le renvoi au Conseil constitutionnel.

[27] Cf. site du CRPA.

[28] Prévu par les articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du Code de la santé publique.

[29] Recommandation de bonne pratique de la HAS, février 2017, p. 11.

[30] CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, mai 2016, préc..

[31] CSP, art. R. 3211-12 (N° Lexbase : L9937I3G) et L. 3211-12-2, I, al. 2 (N° Lexbase : L0676LT9).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Conclusions] TVA sur marge : saisine de la CJUE

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2020, n° 416727, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A34753PE)

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par Marie-Gabrielle Merloz, Rapporteur public au Conseil d’État

Le 18 Mai 2021


Par un arrêt du 25 juin 2020, le Conseil d’État a saisi la CJUE de deux questions préjudicielles portant sur l’application du régime de la TVA sur marge en cas de cession de terrain à bâtir. Lexbase Hebdo Édition Fiscale vous propose les conclusions du Rapporteur public, Marie-Gabrielle Merloz.


 

1. La société Icade Promotion Logement exerce une activité de promotion immobilière et de lotissement. À cette fin, elle acquiert auprès de particuliers des terrains non viabilisés qu’elle revend ensuite par lots à des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles à usage d’habitation, après avoir réalisé des travaux de voieries et réseaux divers. Elle a soumis ces opérations, au titre des années 2007 et 2008, au régime de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la marge alors prévu par les dispositions combinées du 6° de l’article 257 (N° Lexbase : L6267LUN) et de l’article 268 (N° Lexbase : L4910IQW) du Code général des impôts (CGI). Estimant que cette TVA avait été collectée en violation de la Directive 2006/112/CE, du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), elle s’est finalement ravisée. Elle en a sollicité la restitution auprès de l’administration fiscale par voie de réclamation sur le fondement de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3311LCM), puis devant le juge de l’impôt.

Elle n’a pas connu plus de succès devant les juges du fond que devant l’administration. Mais par une décision du 28 décembre 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n° 385232, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3671SYM, RJF, 3/17, n° 232, avec concl. E. Cortot-Boucher), vous avez annulé un premier arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu’il portait sur la restitution de la TVA correspondant aux opérations réalisées par cette société et vous avez renvoyé, dans cette mesure, l’affaire à la cour. Vous n’avez pas eu à connaître du bien-fondé du litige à cette occasion. L’erreur de droit censurée ne portait en effet que sur l’appréciation de la recevabilité de la demande de restitution de la société requérante qui se trouvait en situation de crédit intermittent. La société Icade Promotion Logement conteste aujourd’hui devant vous l’arrêt du 19 octobre 2017 par lequel cette même cour, statuant sur renvoi, a rejeté à nouveau son appel mais en se prononçant au fond, sans examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre.

2. La société requérante conteste cet arrêt tant au regard du droit interne que du droit de l’Union européenne. Nous nous concentrerons sur la question de la conformité du régime de taxation sur la marge à l’article 392 de la Directive TVA qui est au cœur de ce litige et soulève, à nos yeux, une difficulté sérieuse d’interprétation qui justifie que vous en saisissiez la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le fondement des dispositions de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Avant d’entrer plus avant dans le détail de l’argumentation du pourvoi, nous dirons un mot rapide du cadre juridique dans lequel s’inscrit cette question.

Ainsi que l’a jugé la Cour de justice dans un arrêt du 17 janvier 2013, (CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-543/11, Woningstichting Maasriel N° Lexbase : A2947I3K, RJF, 4/13, n° 450 s’agissant d’un terrain non bâti livré après la démolition du bâtiment qui s’y trouvait et destiné à être bâti à la date de sa livraison), la livraison des terrains à bâtir est une opération qui doit, en principe, être soumise à la TVA. Cela résulte des dispositions combinées du b) du 1 de l’article 12 de la Directive TVA, qui inclut ces opérations dans le champ des opérations soumises à la TVA, et du k du 1 de son article 135, qui les exclut expressément de l’exonération prévue en faveur des « livraisons de biens immeubles non bâtis ».

Dans l’attente de l’introduction du régime définitif, les États membres ont toutefois été autorisés, à titre transitoire, à maintenir les exonérations prévues par leur législation, leur interdisant seulement d’en créer de nouvelles. Et vous savez que l’harmonisation complète des règles en la matière tardant à voir le jour, cette période transitoire n’a pas encore pris fin. En vertu de cette clause dite de gel, l’article 392 de la Directive TVA, qui reprend précisément les dispositions du f) du paragraphe 3 de l’article 28 de la sixième Directive [1], permet aux États membres de prévoir, par dérogation, « que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ». 

En droit interne, le régime applicable au litige résultait de la combinaison des articles 257 et 268 du Code général des impôts, dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la réforme opérée par la loi de finances rectificative pour 2010 [2]. Les opérations portant sur des immeubles étaient alors soumises à deux régimes distincts d’imposition à la TVA.

Les opérations « concourant à la production ou à la livraison d’immeubles » relevaient de la TVA dite immobilière dont le champ était défini au 7° de l’article 257. À l’époque du litige, ce régime de droit commun ne s’appliquait pas aux acquisitions de terrains réalisées par des particuliers en vue de la construction d'immeubles à un usage d'habitation. Ces dernières avaient en effet été exclues du champ d’application de la TVA immobilière par la loi de finances pour 1999 [3] afin de relancer le secteur de la construction.

Les opérations « dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux », autrement dit celles réalisées par des marchands de biens, visées au 6° de ce même article 257, relevaient pour leur part de la TVA dite sur la marge. Comme ce nom l’indique, la taxe était assise non sur l’intégralité du prix de cession de l’immeuble mais de la marge réalisée par le cédant conformément aux dispositions de l’article 268, dans sa rédaction alors applicable [4].

Ces dernières dispositions ne s’appliquaient que « sous réserve du 7° » et revêtaient donc un caractère subsidiaire, ainsi que vous l’avez jugé dans vos décisions du 16 décembre 1991, « Tricoire » (CE 7° et 8° ssr., 16 décembre 1991, n° 110623, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9764AQP, RJF, 2/92, n° 198, concl. O. Fouquet p. 109) et du 21 décembre 2006, « Vielmon » (CE 3° et 8° ssr., 21 décembre 2006, n° 290092, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1468DTK, RJF, 3/07, n° 268, concl. P. Collin, BDCF, 3/07, n° 26). Autrement dit, les ventes de terrains à bâtir étaient en principe soumises à la TVA dans les conditions fixées au 7° et ce n’est que si elles ne relevaient pas de ce régime que les dispositions du 6° pouvaient trouver à s’appliquer.

La position de la société requérante peut paraître de prime abord contre-intuitive. Elle conteste l’application du régime de la taxation sur la marge, pourtant plus favorable, pour revendiquer le bénéfice de la TVA immobilière. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent : la société requérante, qui cède ses terrains à des particuliers en vue de la construction d'immeubles à un usage d'habitation, estime de ce fait être exclue du champ d’application de la TVA immobilière et échapper entièrement à l’imposition.

3. Si nous lisons correctement les écritures, la société requérante soulève une double critique pour démontrer que le régime de taxation sur la marge est incompatible avec l’article 392 de la Directive TVA.

En premier lieu, et c’est sa principale ligne de défense, elle estime que cet article n’autorise les États membres à soumettre à ce régime que les reventes de terrains à bâtir dont l’acquisition a été effectivement grevée de TVA, sans que l’acquéreur n’ait eu le droit d’en opérer la déduction. En revanche, et à l’inverse de ce qu’a jugé la cour, ce régime ne trouverait pas à s’appliquer en l’absence de tout paiement de taxe lors de l’achat des terrains à bâtir, comme ce fut le cas en l’espèce. Ce dernier point n’est pas complètement évident mais la cour le tient pour acquis et le ministre ne le conteste pas plus devant vous que devant les juges du fond.  

La première question posée par le litige porte donc sur l’interprétation du membre de phrase de l’article 392 qui prévoit que l’assujetti « n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition ». Elle porte sur le point de savoir s’il ne vise que l’hypothèse stricte où l’assujetti a été privé d’un droit à déduction lors de l’acquisition de l’immeuble ou si elle englobe, plus largement, l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’opération n’a pas pu ouvrir droit à déduction, y compris celles d’une opération qui n’a pas supporté de TVA, soit qu’elle en ait été exonérée, soit qu’elle ait été placée hors de son champ d’application. 

Votre jurisprudence n’est pas totalement vierge sur ce point. Vous avez admis la conformité du régime dérogatoire de la TVA sur la marge prévu par le 6° de l’article 257 et l’article 268 du Code général des impôts avec la sixième Directive et la Directive TVA au moins à deux reprises, dans vos décisions du 30 septembre 1992, « Min. du budget c/ SARL Véfrance Foncier » (CE 8° et 9° ssr., 30 septembre 1992, n° 74640, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7657ARZ, sur un autre point, RJF, 11/92, n° 1491 s’agissant d’un litige portant sur la détermination de la base d’imposition alors prévue à l’article 268) et du 27 mars 2015, « Société Compagnie immobilière d’aménagement (CIA) et Sté S2J » (CE 8° et 3° ssr., 27 mars 2015 n°s 372382 N° Lexbase : A6848NED et 374159 N° Lexbase : A6853NEK, inédits au recueil Lebon, RJF, 6/15, n° 477, concl. N. Escaut, BDCF, 6/15, n° 67 s’agissant des régimes alors prévus au 6° et 7° de l’article 257 [5]). Ces précédents, spécifiquement ces deux dernières décisions dont la portée très générale paraît dépasser le cadre du litige dont vous étiez saisis, peuvent légitimement faire hésiter à rouvrir un débat qui semble clôt.

C’est toutefois la première fois que vous êtes spécifiquement saisis de la question posée par le pourvoi et l’argumentation défendue devant vous mérite qu’on s’y arrête.

La société requérante se prévaut principalement de la version anglaise de l’article 392 de la Directive TVA, semblable à celle adoptée par dix autres pays [6], qui prévoit que le régime de la TVA sur la marge s’applique non, comme dans la version française ou les versions allemande, italienne et espagnole, lorsque l’assujetti-revendeur « n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition », mais lorsque la TVA sur l’achat n’était pas déductible. Ces deux types de rédaction peuvent faire douter sur l’interprétation à donner de ces dispositions.

La société requérante n’ignore pas que ces divergences linguistiques ne justifient pas, à elles-seules, de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle. Selon une jurisprudence constante, il y a lieu, dans un tel cas, d’opter pour l’interprétation qui est la plus à même de sauvegarder l’effet utile de la disposition en cause et de se prononcer en fonction de l’économie générale et de la finalité de la règlementation dont elle constitue un élément. La nécessité d’une application et, dès lors, d’une interprétation uniformes d’un acte de l’Union exclut en effet que celui-ci soit considéré isolément dans l’une de ses versions, mais exige qu’il soit interprété en fonction tant de la volonté réelle de son auteur que du but poursuivi par ce dernier, à la lumière, notamment, des versions établies dans toutes les langues (voyez entre autres : CJCE, 9 mars 2000, aff. C-437/97, EKW et Wein & Co  N° Lexbase : A1940AWR, RJF, 7-8/00, n° 1038, points 41 et 42 ; CJCE, 14 septembre 2000, aff. C-384/98, D. et W. N° Lexbase : A2011AIC, RJF, 1/01, n° 124, point 16 ; CJCE, 1er avril 2004, aff. C-1/02, Borgmann N° Lexbase : A6535DBN, point 25 ; CJCE, 15 mai 2014, aff. C-359/12, Timmel N° Lexbase : A1104MLH, points 62 et 63). 

Si l’on suit cette démarche, le doute quant au bien-fondé de l’interprétation retenue par la cour paraît renforcé. Tout d’abord, il est à peine besoin de rappeler que l’article 392 présente un caractère tout à fait dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et que les dérogations sont en principe d’interprétation stricte.

Ensuite et plus fondamentalement, il est permis de s’interroger sur l’objectif poursuivi par ces dispositions. Le pourvoi prend appui sur la jurisprudence de la Cour de justice relative au régime des biens d’occasion prévu aux articles 311 et suivants de la directive TVA (CJCE, 8 décembre 2005, aff. C-280/04, Jyske Finans A/S N° Lexbase : A8946DLW, RJF, 4/07, n° 523 ; CJUE, 3 mars 2011, aff. C-203/10, Direktsia « Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto » - Varna c/ Auto Nikolovi ODD N° Lexbase : A8046G3E, RJF, 5/11, n° 667). Il en déduit que la logique des cas de taxation à la TVA sur la marge est d’éviter une seconde imposition sur le prix total de vente lorsque la TVA n’a pas pu être déduite lors de l’acquisition et ainsi de limiter l’impact des rémanences de TVA. Ce régime serait ainsi justifié par la volonté de préserver la neutralité de la TVA. Cette interprétation est envisageable. Mais en l’absence de jurisprudence topique de la Cour de justice sur l’objectif poursuivi par l’article 392 ici en litige, il serait sans doute préférable de lui laisser le soin d’éclairer elle-même la portée de ces dispositions.

4. La société requérante soutient, en second lieu, que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’article 392 de la Directive TVA n’a ni pour objet ni pour effet d’exclure du régime de la TVA sur la marge les achats de terrains nus suivis d’une revente en tant que terrains à bâtir. Elle soutenait à l’inverse devant les juges d’appel que cet article ne s’appliquait qu’à des reventes en l’état de terrains à bâtir et que tel n’était pas le cas en l’espèce puisqu’elle avait procédé à d’importants travaux de viabilisation entre leur acquisition et leur revente.

Cette critique nous semble sérieuse au vu de la lettre de l’article 392 qui ne vise que « les livraisons […] de terrains à bâtir achetés en vue de la revente », formulation qui semble réserver le régime dérogatoire de la taxation sur la marge aux reventes d’immeubles en l’état. Bien que vous n’ayez jamais interprété la portée de ces dispositions, votre jurisprudence peut paraître hésitante sur cette question.

Par votre décision du 13 mars 1996, « Min. c/ SCI « Le Mallory » (CE 8° et 9° ssr., 13 mars 1996, n° 112391, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7974ANN, RJF, 5/96, n° 571, concl. J. Arrighi de Casanova, BDCF, 3/96, p. 20), vous avez opéré, contre la lettre du texte mais conformément à l’intention du législateur de 1966, un recentrage du champ d’application de la TVA sur la marge sur les marchands de biens stricto sensu. Si votre décision justifie cette solution au regard du seul droit interne, il n’est toutefois pas complètement exclu, à la lumière des conclusions du président Arrighi de Casanova sur cette affaire, que cette solution ait également été guidée par la préoccupation de faire une lecture du 6° de l’article 257 du Code général des impôts conforme aux anciennes dispositions du f du 3 de l’article 28 de la sixième Directive, aujourd’hui reprises à l’article 392, entendues dans une acception stricte.

Vous vous êtes toutefois éloignés de cette interprétation. Par vos décisions déjà mentionnées du 27 mars 2015, vous avez jugé que le 6° de l’article 257 s’applique non seulement aux marchands de biens mais également aux opérations réalisées par des lotisseurs. Et vous avez repris cette solution dans une décision de chambre jugeant seule du 10 mars 2017, « Sociétés Les terres à maisons Normandie et Les terres à maisons Ile-de-France » (CE 8° ch., 10 mars 2017, n° 392946, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4836T3I, RJF, 7/17, n° 672, avec concl. B. Bohnert) dans une hypothèse qui paraît proche du cas d’espèce, s’agissant d’une activité d’aménageur-lotisseur. Mais la question de la conformité de ce régime à l’article 392 ne se posait pas en des termes aussi précis que dans le présent litige.

Si vous nous suivez dans la première partie de notre raisonnement, vous pourriez également interroger utilement la Cour de justice sur ce point.

5. Ajoutons avant de conclure que ces questions restent intéressantes dans le cadre juridique actuel.

Certes, la loi de finances rectificative pour 2010 a modifié le régime de la TVA applicable aux opérations immobilières afin de le simplifier et d’en assurer la conformité avec le droit de l'Union européenne. Le législateur a notamment objectivé la définition du « terrain à bâtir ». Cette qualification dépend, non plus de la manifestation par l’acquéreur de son engagement de construire sur la parcelle, mais de la situation du terrain au regard des règles d’urbanisme, c’est-à-dire de sa constructibilité au regard du plan local d’urbanisme [7]. Le régime applicable aux marchands de biens a par ailleurs été refondu afin de leur offrir la possibilité d’opter pour être soumis à la TVA [8]. L’application de la taxation sur la marge, régime désormais défini par le seul article 268 du Code général des impôts, a par conséquent été limitée à certaines opérations. Le législateur a en outre supprimé l'exonération de taxe dont bénéficiaient les opérations de cessions de terrains acquis par des particuliers en vue de la construction d'immeubles affectés à un usage d'habitation qui était dans le collimateur de la Commission européenne.

Toutefois, d’une part, l’article 268 prévoit toujours l’application du régime de TVA sur la marge pour les livraisons d’un terrain à bâtir « si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée », formulation directement empruntée à la version française l’article 392 de la Directive TVA et dont ces dispositions ont pour objet d’assurer la transposition, ainsi que vous l’avez relevé dans votre décision du 27 mars dernier, « Min c/ Société Promialp » (CE 8° et 3° ch.-r., 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A42573KU, RJF, 6/20, n° 524, avec concl. K. Ciavaldini). Soulignons encore que l’administration interprète ces dispositions comme comprenant l’hypothèse d’une acquisition non soumise à la TVA [9].

D’autre part, la notion de terrain à bâtir conserve, sous l’empire de ces nouvelles dispositions, une part d’ombre, comme en atteste votre décision « Min. c/ Société Promialp », par laquelle vous avez jugé que le régime de la TVA sur la marge ne s’appliquait pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti et dont le bâtiment qui y était édifié a ensuite fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur.

La difficulté d’interprétation de l’article 392 de la Directive TVA nous paraissant sérieuse, nous vous proposons donc de saisir la Cour de justice d’une double question préjudicielle qui pourrait être formulée comme suit :

1) l’article 392 de la Directive TVA, qui est d’application stricte en tant que dérogation, doit-il être interprété en ce sens qu’il réserve l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ou permet-il au contraire, comme sa version en langue française le suggère, d’appliquer ce régime à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ?

2) ce même article doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles qualifiés, en droit interne, de terrains à bâtir lorsque ces immeubles ont, entre leur acquisition et leur revente, acquis cette qualification ou ont, à tout le moins, fait l’objet de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) ?

Par ces moyens nous concluons au renvoi de ces deux questions à titre préjudiciel à la CJUE et à ce que, dans l’attente de sa décision, il soit sursis à statuer sur le pourvoi de la société Icade Promotion logement.


[1] Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires.

[2] Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010, art. 16 (N° Lexbase : L6232IGW).

[3] Loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998, de finances pour 1999, art. 40 I 1 (N° Lexbase : L1137ATB).

[4] « […] la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre : / a. D'une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s'y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D'autre part, […] les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du bien ; […] ».

[5] Solution reprise par : CE 8ème ch. 10 mars 2017, n°s 392946, 392947, inédite au Recueil (N° Lexbase : A4836T3I), Société Les terres à maisons Normandie et Société Les terres à maisons Ile-de-France RJF, 7/17, n° 672, avec concl. B. Bohnert.

[6] Cf les versions bulgare, estonienne, croate, lettone, maltaise, polonaise, roumaine, slovène, finnoise, suédoise. 

[7] Cf. art. 257 : « I. Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. […] 2. Sont considérés : / 1° Comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 [aujourd’hui L. 111-3] du Code de l'urbanisme » (1° du 2 du I de l’art. 257).

[8] Cf. 5° bis de l’art. 260.

[9] BOI-TVA-IMM-10-20-10, notamment n° 30 (N° Lexbase : X5340ALD).

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