La lettre juridique n°471 du 2 février 2012

La lettre juridique - Édition n°471

Éditorial

La fraude fiscale au théâtre de Guignol

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N9921BSA

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


J'ai un fils de 6 ans et demi (il y tient) et, comme tout bon père qui se respecte, je me devais de l'emmener à la rencontre d'une institution bicentenaire : le théâtre de Guignol. Ayant dégoté un castelet prompt à satisfaire l'appétence rieuse de ma chère tête blonde, nous nous retrouvâmes assis, prêts à l'écoute de la commedia del arte qu'allaient nous jouer les descendants de Mourguet et autres aficionados du père Thomas. Quelles ne furent pas ma surprise et ma joie, lorsque resurgit à mes oreilles toute la truculence du "parler lyonnais", toute la sagesse du théâtre de marionnettes.

Acte I - Scène 1

C'est jour de fête sur les bords du rio de la Plata ("l'argent" en espagnol) : les 43 membres de la famille Flageolet, tous gendarmes fiscaux, sont réunis, comme chaque année, pour discuter de la lutte contre la fraude fiscale extraterritoriale, en ce mois d'été sud-américain. On y devise, surtout, d'échange et de partage d'informations, au regard des difficultés budgétaires traversées par les pays dans lesquels ils habitent. On y souligne la difficulté de poursuivre les promoteurs et les intermédiaires, prompts à délocaliser leur activité dans un autre pays, dès que celui dans lequel ils sont implantés coopère avec la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. On y admet sa difficile compréhension des structures employées pour dissimuler des avoirs à l'étranger. Puis, on y promet collaboration et bonne entente avec les entreprises, afin de valider leurs schémas sans risque de poursuites. On y ressort les bonnes blagues et "tartes à la crème", comme la question des prix de transfert. Et, pour conclure, on souhaite maintenir la pression et rendre la tâche plus ardue pour les "Guignols" qui dissimulent illégalement de l'argent à l'étranger.

Acte I - Scène 2

Madelon s'agite en tout sens et crie aux orfraies : "Gare aux fraudeurs ! Gare aux fraudeurs !". "Je vais resserrer l'étau autour des gros fraudeurs et des paradis fiscaux, et sanctionner les contrevenants beaucoup plus lourdement", annonce-t-elle, à grand renfort de trompettes et tambours. L'objectif est de faire évoluer le comportement de contribuables aisés, qui fraudent, et pour qui les amendes sont parfois dérisoires. Un fraudeur, "c'est quelqu'un qui fraude l'impôt en France et qui va mettre le profit de sa fraude à l'étranger", a rappelé la "mère la Grogne". Et, les 25 % de citoyens Français dits "aisés" (selon les dernières études statistiques déterminant les planchers et plafonds de la "classe moyenne") apprécieront d'être tous logés à la même enseigne, "coffrés" par les gendarmes et autres Flageolet fiscaux ; car il en va de leur comportement fiscal uniforme, comme des jeunes de banlieue, tous oisifs et délinquants, des personnes âgées acariâtres et obsédées par la sécurité et des immigrés profiteurs sociaux : tous dans le même panier à salade !

Alors, hop ! Puisque, aujourd'hui, un fraudeur écope seulement de 1 500 euros d'amende, lorsqu'il dissimule des comptes bancaires à l'étranger, "ce sera 5 % du montant qui sera taxé, maintenant". En outre, cinq ans d'emprisonnement et 37 500 euros d'amende, ce n'est pas suffisant pour les fraudeurs : Madelon propose "sept ans d'emprisonnement et 1 million d'euros" ! Qui dit mieux ? Et les récidives ? Et, on leur en collera pour 500 000 euros d'amende, ça leur enlèvera le goût de resquiller.

Acte II - Scène 1

Guignol fait son entrée. Il converse avec son ami Gnafron des mesures et propos tenus depuis 2007, sur la fraude fiscale ; sur cet engouement des pouvoirs publics nationaux et internationaux à fustiger le comportement des contribuables qui, même s'ils ne sont pas fraudeurs, sont "habiles" et "s'évadent". Du haut de ses quinze centimètres, Guignol introduit son propos sur la rupture entre l'Etat et les citoyens quant au consentement à l'impôt, sur l'Etat Providence trop généreux pour les uns et pas assez protecteur pour les autres. Tout y passe : la progressivité confiscatoire et pourtant constitutionnelle, le concours Lépine de l'impôt taxateur le plus indolore, l'inquisition fiscale des pudiques visites et saisies domiciliaires... Gnafron, tout empreint de beaujolais qu'il soit, voudrait bien lui répondre. Mais, Guignol est malin, habile, se pense honnête de surcroît et s'empresse. Il se pense dans son bon droit face à cette valse des articles du Code général des impôts, tous plus répressifs les uns que les autres. Il compare mêmes ledit code, ses quatre annexes et leur Livre de poche à un échiquier : à force d'articles 57, 209 B, 167 bis et autre L. 16 B, tous présumant du comportement frauduleux des contribuables. Et, dans cette partie que l'on prend tous en cours de route, puisque l'impôt est aussi vieux que le monde civilisé, on a bien du mal à saisir qui sont les blancs, qui sont les noirs ; qui a ouvert le trait le premier.

Acte II - Scène 2

La tirade de son ami terminée, Gnafron se ressaisit et lui évoque ces 42 à 51 milliards d'euros par an disparus des caisses de l'Etat français. Il lui explique que chaque membre de la famille Flageolet est un aventurier à la recherche de l'Arche perdue ; car le trésor que constitue le montant de cette fraude organisée colossale est le ciment de l'alliance entre le peuple et l'Etat. Il rappelle à son burattino de comparse combien, des Gracques à aujourd'hui, la "soustraction" à l'impôt est l'apanage des civilisations en mal de devenir ou en perdition. Il lui rappelle la manière dont les "paradis fiscaux" retrouvent, peu à peu, le concert des Nations en acceptant de se prêter, bon gré mal gré, au jeu de l'échange d'informations, de la levée du secret bancaire et autres mesures d'assistance administrative. Il lui fait remarquer que, si l'édifice de la lutte anti-fraude se fait à la manière d'un Seurat, par touche impressionniste à travers chaque loi de finances et convention fiscale internationale, c'est que cette lutte, toute légitime qu'elle soit, n'obère pas la réalité de la mondialisation patrimoniale et économique et nécessite analyse et compromis ; que contrairement à ce qu'il laisse entendre, si Flageolet est coupable d'avoir percé les mailles de son propre filet, à coup de niches et autres crédits d'impôts clientélistes, les Français ont tout de même une âme de "sportif" et se plaisent à relever le gant de l'optimisation fiscale. Le tout c'est de respecter les règles du jeu : et, il ne faut pas s'étonner que le gendarme lève le bâton, lorsque Guignol enfreint la règle, même si elle est changeante, au mépris de la sécurité juridique.

Alors, Guignol rend les armes, juge la pertinence des propos de son ami de comptoir, si sage malgré son caractère "bon vivant". Il l'enserre et pleure à grosses larmes le rêve d'une victoire perdue sur l'autel de l'impôt social, redistributif et fédérateur.

Mais la pièce n'est pas terminée... Vous qui êtes habitués aux castelets lyonnais, vous savez, d'une part, que c'est toujours Guignol qui finit par rosser Flageolet et, d'autre part... que Madelon est la femme de Guignol...

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Aide juridictionnelle

[Jurisprudence] Les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle

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N9950BSC

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par Samantha Gruosso, Avocat au barreau de Paris

Le 02 Février 2012

L'aide juridique trouve son origine dans la loi du 22 janvier 1851, l'idée étant alors l'esprit de charité. Une réforme intervient dans de nombreux pays après la Seconde guerre mondiale et la terminologie change pour l'expression "assistance judiciaire", puis "aide judiciaire", la solidarité remplaçant la charité. Puis, avec la loi de 1991 (loi n° 91-647 N° Lexbase : L8607BBE), l'expression "aide juridictionnelle" naît et participe pleinement à rendre effectif l'accès à la justice. Ainsi, l'AJ a 22 ans ; elle couvre les besoins d'une population qui avoisine le million de justiciables et sa réforme est souhaitée depuis dix ans maintenant comme l'a rappelé le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille, René Despieghelaere, à l'occasion de l'introduction de la journée des Etats généraux de l'aide juridictionnelle, organisée le 25 juin 2010. Et, les griefs contre le système actuel sont nombreux : un avocat sur deux fait une mission d'AJ par mois avec un tarif qui ne couvre ni les charges, ni la rémunération de l'avocat ; les moyens pour l'AJ sont insuffisants et entraînent des retards conséquents ; la pratique de l'AJ devient dévalorisante pour un avocat et la crainte d'un barreau à deux vitesses émerge progressivement. Pour autant, les conditions d'accès et le régime de l'aide juridictionnelle viennent de faire l'objet d'une nouvelle réforme par l'intermédiaire de six lois, rien qu'en 2011 ! Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de revenir sur les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle. Aux termes de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle est une aide financière accordée aux personnes disposant de ressources modestes souhaitant l'assistance d'un avocat. Elle leur permet de faire valoir leurs droits en justice pour faire un procès ou se défendre, trouver un accord, ou encore faire exécuter une décision de justice. En fonction des revenus, l'Etat prend en charge, en partie ou en totalité les frais du procès, notamment les honoraires de l'avocat, les frais de l'expertise et la rémunération d'huissier de justice. L'aide peut, exceptionnellement, être accordée aux personnes morales (associations, syndicats) à but non lucratif dont le siège social est situé en France.

Aux mêmes conditions, elle peut être accordée aux syndicats des copropriétaires d'immeubles soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L5336AG7), fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, lorsque l'immeuble fait l'objet d'un plan de sauvegarde en application de l'article L. 615-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7675ABU) ou lorsqu'un administrateur provisoire est désigné en application de l'article 29-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précitée, pour l'exercice des actions de recouvrement des créances tant en demande qu'en défense.

Enfin, l'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection.

  • Les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle

Pour bénéficier de l'aide juridictionnelle, il faut répondre à des conditions de nationalité et de résidence (loi du 10 juillet 1991, art. 3).

Toute personne peut bénéficier de l'aide juridictionnelle si elle est :

- de nationalité française ;

- ou citoyen d'un Etat de l'Union européenne ;

- ou d'une autre nationalité à condition de résider régulièrement et habituellement en France.

La condition de résidence n'est pas exigée si le demandeur est : mineur, témoin assisté, inculpé, prévenu, mis en examen, accusé, condamné, partie civile, faisant l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, maintenu en zone d'attente, faisant l'objet d'un refus de séjour soumis à la commission du titre de séjour ou d'une mesure d'éloignement, ou placé en rétention.

Devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), il suffit de résider habituellement en France.

L'article 4, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1991 prévoit une revalorisation automatique au 1er janvier de chaque année des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle sur la base de l'évolution de la tranche la plus basse du barème de l'impôt sur le revenu.

Le décret du 21 décembre 1994 (décret n° 94-1124 N° Lexbase : L7705IRS) a étendu ce mécanisme de revalorisation automatique aux tranches de ressources pour l'aide partielle et aux correctifs pour charges de famille.

Le décret du 2 avril 2003 (décret n° 2003-300 N° Lexbase : L7945BBU), modifiant l'article 4 du décret du 19 décembre 1991, différencie le taux du correctif pour charges de famille selon le nombre de personnes à charge.

La part d'aide juridictionnelle octroyée aux personnes est fonction de leurs ressources ainsi que des charges qui leur incombent.

La circulaire SG-10-020/SADJAV/BAJ du 30 décembre 2010 (N° Lexbase : L9197IPC) fixe le montant des plafonds de ressources, des correctifs pour charges familiales et des tranches de ressources pour l'admission à l'aide juridictionnelle.

Pour 2011 et 2012, la moyenne des revenus est calculée sur l'année précédente. Les ressources mensuelles doivent être inférieures à un certain plafond :

- 929 euros pour l'aide juridictionnelle totale,

- 1 393 euros pour l'aide juridictionnelle partielle.

Ce montant est majoré en fonction du nombre de personnes à charge (conjoint, concubin, descendants ou ascendants) de :

- 167 euros pour les deux premières personnes à charge,

- 106 euros pour les personnes suivantes.

Conformément à l'article 9-2 de la loi du 10 juillet 1991, la condition de ressources n'est pas exigée pour les victimes de crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne prévus et réprimés par les articles 221-1 (N° Lexbase : L2260AMN) à 221-5, 222-1 (N° Lexbase : L2177AML) à 222-6, 222-8 (N° Lexbase : L9343IMY), 222-10 (N° Lexbase : L9342IMX), 222-14 (1° et 2°) (N° Lexbase : L7205IMS), 222-23 (N° Lexbase : L2379AM3) à 222-26, 421-1 (1°) (N° Lexbase : L7514IPY) et 421-3 (1° à 4°) (N° Lexbase : L1961AML) du Code pénal, ainsi que de leurs ayants droit pour bénéficier de l'aide juridictionnelle en vue d'exercer l'action civile en réparation des dommages résultant des atteintes à la personne.

  • Le domaine de l'aide juridictionnelle

Conformément à l'article 10 de la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense devant toute juridiction ainsi qu'à l'occasion de la procédure d'audition du mineur prévue par l'article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8350HW8) et de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue par les articles 495-7 (N° Lexbase : L0876DY4) et suivants du Code de procédure pénale.

Elle peut être accordée pour tout ou partie de l'instance ainsi qu'en vue de parvenir, avant l'introduction de l'instance, à une transaction ou à un accord conclu dans le cadre d'une procédure participative prévue par le Code civil.

Elle peut également être accordée à l'occasion de l'exécution sur le territoire français, d'une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire, y compris s'ils émanent d'un autre Etat membre de l'Union européenne à l'exception du Danemark.

Et, selon l'article 11 de la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle s'applique de plein droit aux procédures, actes ou mesures d'exécution des décisions de justice obtenues avec son bénéfice, à moins que l'exécution ne soit suspendue plus d'une année pour une cause autre que l'exercice d'une voie de recours ou d'une décision de sursis à exécution.

Ces procédures, actes ou mesures s'entendent de ceux qui sont la conséquence de la décision de justice, ou qui ont été déterminés par le bureau ayant prononcé l'admission.

  • Les bureaux d'aide juridictionnelle

Conformément à l'article 12 de la loi du 10 juillet 1991, l'admission à l'aide juridictionnelle est prononcée par un bureau d'aide juridictionnelle.

L'article 13 de la même loi institue, donc, un bureau d'aide juridictionnelle chargé de se prononcer sur les demandes d'admission à l'aide juridictionnelle relatives aux instances portées devant les juridictions du premier et second degré, à l'exécution de leurs décisions et aux transactions avant l'introduction de l'instance.

Ce bureau est établi au siège de chaque tribunal de grande instance.

S'il y a lieu, le bureau comporte, outre la section statuant sur les demandes portées devant les juridictions de première instance de l'ordre judiciaire ou la cour d'assises :

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant le tribunal administratif et les autres juridictions administratives statuant en premier ressort ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour d'appel ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour administrative d'appel et les autres juridictions administratives statuant à charge de recours devant le Conseil d'Etat.

L'organisation et la compétence des bureaux sont également régies par les articles 6 à 32 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L0627ATE).

  • La procédure d'admission à l'aide juridictionnelle

La procédure d'admission de l'aide juridictionnelle est régie par les articles 18 à 23 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi que par les articles 33 à 41 du décret du 19 décembre 1991.

Toute personne souhaitant pouvoir bénéficier de l'aide juridictionnelle doit se procurer le formulaire Cerfa n° 12467*01. La liste des pièces justificatives à fournir est indiquée dans la notice du formulaire en fonction de la situation de la personne sollicitant la demande d'admission.

L'article 33 du décret du 19 décembre 1991 précise, également, les mentions devant être indiquées aux termes du formulaire. L'article 34 du décret du 19 décembre 1991 indique, aussi, les documents devant être joints à la demande d'admission à l'aide juridictionnelle.

Conformément à l'article 18 de la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l'instance (Cass. civ. 2, 12 juin 2007, n° 06-13.791, F-D N° Lexbase : A7917DW7).

L'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 précise que, dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente.

L'article 26 du décret du 19 décembre 1991 ajoute que la demande doit être déposée au bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance du domicile du demandeur sauf si l'affaire doit être portée devant l'une des juridictions suivantes :

- tribunal civil, pénal, ou administratif ;

- cour d'appel ou cour administrative d'appel.

Dans ce cas le tribunal de grande instance compétent est celui où siège la juridiction.

  • Les effets de l'aide juridictionnelle

Conformément à l'article 24 de la loi du 10 juillet 1991, les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle sont à la charge de l'Etat.

Mais, l'article 54 de la loi du 29 juillet 2011 (loi n° 2011-900 N° Lexbase : L0278IRQ) a introduit à l'article 1635 bis Q du CGI (N° Lexbase : L9043IQY), une contribution pour l'aide juridique de 35 euros qui sera perçue par instance introduite en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou par instance introduite devant une juridiction administrative. La contribution, due par la partie qui introduit une instance, est exigible lors de l'introduction de l'instance depuis le 1er octobre 2011. Toutefois cette contribution n'est pas due par les personnes bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. Le décret du 28 septembre 2011, relatif au droit affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoué près les cours d'appel et à la contribution pour l'aide juridique (décret n° 2011-1202 N° Lexbase : L1504IR7), fixe les modalités de mise en oeuvre de cette contribution et prévoit que l'acquittement de cette contribution, lorsqu'elle est due, est une condition de recevabilité de la demande. En outre, le décret du 23 novembre 2011, relatif aux droits de plaidoirie des avocats (décret n° 2011-1634 N° Lexbase : L2661IRY), exonère du versement des droits de plaidoirie les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle totale pour certaines procédures pénales, civiles et administratives dans lesquelles le bénéficiaire de l'aide totale dispose d'un bref délai pour solliciter la désignation d'office d'un avocat. A cette fin, il modifie l'article 1er du décret n° 95-161 du 15 février 1995, relatif aux droits de plaidoirie et à la contribution équivalente (N° Lexbase : L2666IR8), qui, auparavant, excluait toute dispense de ces droits. Il revalorise le droit de plaidoirie en portant son montant de 8,84 euros à 13 euros.

L'arrêté du 23 novembre 2011, fixant la liste des procédures visées à l'alinéa 3 de l'article 1er du décret du 15 février 1995, relatif aux droits de plaidoirie et à la contribution équivalente (N° Lexbase : L2659IRW), publié au Journal officiel du 25 novembre 2011, établit une courte liste des procédures exonérées en matière pénale, civile et administrative. Ainsi, en matière administrative, sont exonérées des droits de plaidoirie les missions d'assistance et de représentation accomplies par les avocats au titre de l'aide juridictionnelle totale dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 512-1 (III) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers (N° Lexbase : L7203IQT) et du droit d'asile et R. 776-14 (N° Lexbase : L7283IQS) à R. 776-28 du Code de justice administrative. Le recours contre certaines mesures d'éloignement lorsque l'étranger est placé en rétention administrative ou assigné à résidence.

Dans sa décision du 25 novembre 2011 (décision n° 2011-198 QPC N° Lexbase : A9850HZT), le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de l'exclusion des droits de plaidoirie du champ de l'aide juridictionnelle.

En outre, l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE) dispose que "le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours.
Les avocats et les officiers publics ou ministériels sont choisis par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Ils peuvent l'être également par l'auxiliaire de justice premier choisi ou désigné.
A défaut de choix ou en cas de refus de l'auxiliaire de justice choisi, un avocat ou un officier public ou ministériel est désigné, sans préjudice de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, par le bâtonnier ou par le président de l'organisme professionnel dont il dépend".

Dans un arrêt rendu le 17 novembre 2005, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que, conformément à l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat, c'est donc à tort que, dans le cadre d'un dossier de surendettement, la débitrice ayant demandé et obtenu le bénéfice de l'aide juridique avant le prononcé du jugement, le juge de l'exécution statue alors que cette dernière n'a pas bénéficié du concours d'un avocat (Cass. civ. 2, 17 novembre 2005, n° 03-04.186, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5449DLE).

De même, dans un arrêt du 17 juillet 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme le droit pour le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à l'assistance d'un avocat. En l'espèce, un salarié, bénéficiaire de cette aide, n'ayant pas bénéficié du concours d'un avocat devant la juridiction prud'homale, la Cour de cassation annule le jugement rendu par le conseil de prud'hommes (Cass. soc., 17 juillet 2007, n° 06-40.390, F-D N° Lexbase : A4607DXW).

La Cour européenne des droits de l'Homme s'est, également, prononcée sur ce droit, sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR). Il s'agissait, en l'espèce, d'un recours en violation, le requérant se plaignant du fait qu'aucun avocat n'ait été désigné pour le défendre, alors qu'il avait obtenu l'aide juridictionnelle dans la procédure pénale ouverte sur la plainte de ses voisins. Le Bâtonnier avait refusé de désigner un avocat au motif que la date de l'audience devant le tribunal n'était pas connue. Or, le bénéficiaire était lui-même partie civile, procédure qui nécessite immédiatement l'assistance d'un avocat. C'est dans ces conditions que la Cour a estimé qu'un avocat aurait dû être désigné, dès l'octroi de l'aide juridictionnelle (CEDH, 10 mai 2007, Req. 38208/03, Seris c/ France N° Lexbase : A8533DWX).

Enfin, un arrêt, rendu le 14 novembre 2006 par la première chambre civile de la Cour de cassation, rappelle le principe selon lequel le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle doit être informé de l'identité de l'avocat commis d'office (Cass. civ. 1, 14 novembre 2006, n° 05-05.016, F-D N° Lexbase : A3346DSQ).

  • Recours contre les décisions d'aide juridictionnelle

L'alinéa 2 de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, offre à toute personne un recours contre les décisions rendues par le bureau d'aide juridictionnelle.

L'article 56 du décret du 19 décembre 1991 prévoyait un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à l'intéressé. Mais, le décret du 15 mars 2011 (décret n° 2011-272 N° Lexbase : L7533IPP) est venu réduire, en son article 7, ce délai à quinze jours.

Ce recours doit être formé par simple déclaration remise ou adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au bureau d'aide juridictionnelle qui a rendu la décision contestée.

L'alinéa 3 de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 offre, également, à certaines autorités la faculté d'exercer cette même voie de recours. Dans tous les cas, ces recours peuvent être exercés par les autorités suivantes :

- le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour ceux qui sont intentés contre les décisions du bureau institué près le Conseil d'Etat ;

- le ministère public pour ceux qui sont intentés contre les décisions des autres bureaux ;

- le président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour ceux qui sont intentés contre les décisions des bureaux institués près ces juridictions et le Bâtonnier pour ceux qui sont intentés contre les décisions des autres bureaux.

Cet article a été modifié par l'article 8 de la loi du 19 février 2007, portant réforme de l'assurance de protection juridique (loi n° 2007-210 N° Lexbase : L4510HUL), en ajoutant aux autorités pouvant connaître selon les cas des recours formées contre les décisions rendues par le bureau d'aide juridictionnelle, notamment le président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation, le président de la cour administrative d'appel, au président de la section contentieux du Conseil d'Etat, au vice président du Tribunal des conflits, au président de la commission des recours des réfugies ou au membre de la juridiction qu'ils ont délégué.

Le principe selon lequel la décision du bureau d'aide juridictionnelle statuant sur une demande d'aide juridictionnelle est insusceptible de recours a été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 25 mars 2010 (Cass. civ. 2, 25 mars 2010, n° 09-16.902, F-P+B N° Lexbase : A1657EUW). En l'espèce, le premier président de la Cour de cassation avait rejeté le recours d'une personne physique contre la décision du bureau de l'aide juridictionnelle. Celle-ci avait formé un pourvoi, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, contre la décision rejetant son recours, en soutenant qu'elle était entachée d'erreur manifeste, en ce que le juge aurait omis de procéder à une recherche. La Haute juridiction, au visa de l'article 23, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, déclare le pourvoi irrecevable, au motif que la décision statuant sur le recours formé contre le rejet d'une demande d'aide juridictionnelle est insusceptible de recours.

Le décret du 15 mars 2011 n'a pas modifié l'alinéa 2 de l'article 56 du décret du 19 décembre 1991 qui offre auxdites autorités un délai de deux mois à compter du jour de la décision.

  • Les causes de retrait de l'aide juridictionnelle

L'article 50 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit quatre situations de retrait obligatoire :

- les déclarations inexactes ou production de pièces fausses ;

- les actions jugée dilatoire ou abusive ;

- le retour à meilleure fortune ;

- et les ressources provenant du jugement.

Le retrait est total dans les deux premiers cas, total ou partiel dans les deux derniers.

En cas d'action jugée dilatoire ou abusive, le retrait total est prononcé par la juridiction saisie du litige conformément à l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991. Il s'agit d'une compétence exclusive et liée. Dès lors qu'elle déclare abusive ou dilatoire la procédure, la juridiction doit prononcer le retrait de l'aide.

Les bureaux d'aide juridictionnelle demeurent compétents pour statuer sur les cas de retrait suivants : fraude à l'obtention du droit à l'aide juridictionnelle, retour à meilleure fortune en cours d'instance ou par l'effet de la décision de justice.  Pour ces trois cas, le retrait est prononcé par le bureau, la section ou la division qui a accordé l'aide juridictionnelle (Cass. soc., 18 mai 2005, n° 03-40.230, F-D N° Lexbase : A3725DIS).

Le retrait de l'aide juridictionnelle peut, également, être demandé par tout intéressé. L'article 71 du décret du 19 décembre 1991 précise que le bureau d'aide juridictionnelle peut se saisir d'office ou l'être à la demande de la juridiction qui a eu à connaître de l'affaire, de tout intéressé ou du ministère public. Tout intéressé s'entend de la partie adverse ou de l'un des avocats.

Par application des principes généraux des droits de la défense, le bénéficiaire doit avoir été entendu, ou tout au moins avoir été invité à se présenter devant le bureau pour y fournir ses explications (décret du 19 décembre 1991, art. 72).

Les conséquences du retrait sont régies par l'article 52 de la loi du 10 juillet 1991 et l'article 74 du décret du 19 décembre 1991.

Le retrait rend immédiatement exigibles, dans les limites fixées par la décision de retrait, les droit, redevances, honoraires, émoluments, consignations et avances de tout nature dont le bénéficiaire avait été dispensé. Il emporte obligation de restituer les sommes versées par l'Etat. En cas de retrait partiel, la décision doit mentionner la proportion du retrait, voire le moment de l'instance à partir duquel le retrait s'applique.

  • Le principe de subsidiarité de l'aide juridictionnelle

La loi 19 février 2007 (loi n° 2007-210 N° Lexbase : L4510HUL) a consacré le principe de subsidiarité de l'aide juridictionnelle.

L'un des objectifs de la loi était de faire de l'assurance de protection juridique un dispositif d'accès au droit alternatif à l'aide juridictionnelle. En effet, conformément à l'article 2 de la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection.

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Divorce

[Chronique] Chronique de droit patrimonial du divorce - Février 2012

Lecture: 11 min

N9976BSB

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

Le 03 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en droit patrimonial du divorce réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. Dans cette nouvelle chronique, l'auteur a choisi de se concentrer sur un arrêt rendu le 5 janvier 2012, par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à répondre à la question de savoir si l'article 266 du Code civil était applicable en cas de séparation de corps (Cass. civ. 1, 5 janvier 2012, n° 10-21.838, F-D N° Lexbase : A0259H9H). Même s'il en est prononcé moins de 8 000 par an, la séparation de corps, alternative ou préalable au divorce, suscite parfois des difficultés, notamment quant à l'application des dispositions expressément prévues pour le divorce, tel l'article 266 du Code civil (N° Lexbase : L2833DZX).

Dans une affaire où un homme a demandé un divorce aux torts exclusifs de son épouse, et où cette dernière a formé une demande reconventionnelle en séparation de corps, un tribunal a, en 2008, prononcé une séparation de corps aux torts exclusifs du mari et condamné ce dernier à verser 1 200 euros par mois à son épouse, au titre du devoir de secours. En 2010, la cour d'appel de Basse-Terre a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par l'épouse, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, au motif que celle-ci "vis[ait] à réparer l'importance du préjudice né de la rupture totale des relations conjugales, ce qui n'est pas réellement le cas en matière de séparation de corps puisque le devoir de secours subsiste".

Le 5 janvier 2012, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel, mais seulement en ce qu'il avait débouté l'épouse de sa demande de dommages-intérêts présentée sur le fondement de l'article 266 du code civil. Cette décision donne l'occasion de rappeler quelles sont les règles en cas de demandes en divorce et en séparation de corps concurrentes, que la séparation de corps laisse subsister le devoir de secours entre époux et de préciser que l'article 266 du Code civil est applicable.

I - Les demandes en divorce et en séparation de corps concurrentes

La séparation de corps est une décision de justice qui maintient le mariage mais dispense les époux du devoir de cohabitation, en organisant la séparation de leurs biens. Elle est souvent classée parmi les hypothèses de dissolution des liens du mariage, alors qu'en réalité ceux-ci sont simplement relâchés, parce qu'elle aboutit, généralement, à la dissolution du mariage. En effet, la séparation de corps doit, en principe, être provisoire. Au-delà d'un certain délai, de réflexion, d'organisation..., les époux doivent reprendre la vie commune ou divorcer et, généralement, ils divorcent.

La séparation de corps peut être prononcée pour les mêmes causes que le divorce : sur demande conjointe, pour acceptation du principe de la rupture, pour altération du lien conjugal et pour faute (C. civ., art. 296 N° Lexbase : L2704ABR). Aucune autre cause n'est admise. La procédure aussi est identique à celle du divorce. Cela signifie, par exemple, que l'époux qui demande une séparation de corps pour faute ou pour altération du lien conjugal doit prouver que son conjoint a commis une faute ou que le couple est séparé depuis au moins deux ans.

En cas de demandes en séparation de corps et en divorce concurrentes, comme dans l'affaire commentée, plusieurs hypothèses doivent être distinguées. Il est admis que l'époux qui a formé une demande en séparation de corps ne peut plus former une demande en divorce (1). En revanche, l'époux contre lequel est présentée une demande en séparation de corps peut former une demande reconventionnelle en divorce. De même, l'époux contre lequel est présentée une demande en divorce peut former une demande reconventionnelle en séparation de corps (C. civ., art. 297 N° Lexbase : L2854DZQ). Cependant, lorsque la demande principale en divorce est fondée sur l'altération définitive du lien conjugal, la demande reconventionnelle ne peut tendre qu'au divorce. Lorsqu'une demande en divorce et une demande en séparation de corps sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande en divorce. Il prononce celui-ci dès lors que les conditions en sont réunies. A défaut, il statue sur la demande en séparation de corps. Toutefois, lorsque ces demandes sont fondées sur la faute, le juge les examine simultanément et, s'il les accueille, prononce à l'égard des deux conjoints le divorce aux torts partagés (C. civ., art. 297-1 N° Lexbase : L2855DZR).

Dans l'affaire commentée, l'époux avait demandé un divorce aux torts exclusifs de son épouse et l'épouse une séparation de corps. Or, les juges du fond ont retenu des fautes à l'égard de l'époux et aucune à l'encontre de l'épouse. Ce fut donc une séparation de corps aux torts exclusifs du l'époux qui fut prononcée.

II - Le maintien du devoir de secours

La séparation de corps constitue une situation intermédiaire entre le mariage (et tous ses effets) et le divorce (et tous ses effets). Le mariage n'est pas dissous et le divorce n'est pas prononcé. Comme les époux, les "séparés de corps" sont tenus à l'obligation de fidélité, de secours... peuvent user du nom de l'autre, sauf disposition contraire (C. civ., art. 300 N° Lexbase : L2857DZT). Comme les divorcés, les "séparés de corps" ne sont plus tenus au devoir de cohabitation. De manière générale, le Code civil prévoit que, sous réserve des dispositions spécifiques, les conséquences de la séparation de corps obéissent aux mêmes règles que les conséquences du divorce (C. civ., art. 304 N° Lexbase : L2712AB3).

S'agissant des rapports patrimoniaux entre époux, la séparation de corps entraîne la séparation de biens (C. civ., art. 302 N° Lexbase : L2710ABY). Cela signifie que les biens communs sont partagés et la communauté liquidée. Etant donné la suppression du devoir de cohabitation, le devoir de secours subsiste, mais prend la forme d'une pension alimentaire. Cette pension est attribuée sans considération des torts. L'époux débiteur peut néanmoins invoquer, s'il y a lieu, l'alinéa 2 de l'article 207 du Code civil (N° Lexbase : L2273ABS) selon lequel "néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire". En principe, cette pension est soumise aux règles des obligations alimentaires. Toutefois, lorsque la consistance des biens de l'époux débiteur s'y prête, la pension alimentaire est remplacée, en tout ou partie, par la constitution d'un capital, selon les règles relative à la prestation compensatoire en matière de divorce. Si ce capital devient insuffisant pour couvrir les besoins du créancier, celui-ci peut demander un complément sous forme de pension alimentaire (C. civ., art. 303 N° Lexbase : L2859DZW). Contrairement à la prestation compensatoire, l'objectif n'est pas de mettre un terme à tout rapport entre les époux, puisque le mariage subsiste.

Dans l'affaire examinée, l'épouse avait demandé une pension alimentaire, au titre du devoir de secours. D'après les moyens annexes, il ressortait qu'au regard de son avis d'imposition 2007, l'époux était redevable d'un impôt total avant imputation de 17 158 euros pour un total des salaires déclarés de 123 169 euros et que son avis d'imposition 2009 -sur les revenus de l'année 2008- mentionnait un montant d'impôt sur le revenu de 15 580 euros. L'épouse, en revanche, avait la qualité de femme au foyer et ne disposait d'aucun revenu. Les juges du fond, qui pouvaient parfaitement décider d'accorder une pension alimentaire à l'épouse, sur le fondement de l'article 303 du Code civil, étaient souverains dans la fixation du montant. La Cour de cassation n'aurait rien pu leur reprocher.

III - L'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil

La solution était moins évidente à propos de la seconde demande de l'épouse : l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil.

Selon ce texte : "sans préjudice de l'application de l'article 270 [relatif à la prestation compensatoire], des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu'il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu'il n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint. Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce". Ainsi, bien que les conséquences financières du divorce soient désormais dissociées de l'attribution des torts, il existe une action en dommages et intérêts spécifique en faveur du conjoint "victime". Les juges exigent, pour accorder réparation sur le fondement de l'article 266 du Code civil, un préjudice, matériel ou moral, issu de la dissolution du lien matrimonial, distinct des fautes à l'origine du divorce. Dans une affaire où une épouse avait quitté le domicile conjugal et laissé à son conjoint l'essentiel de la charge éducative et matérielle des enfants communs, la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel qui avait condamné celle-ci à verser des dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, au motif "qu'en statuant [...] sans rechercher en quoi le préjudice indemnisé résultait de la dissolution du mariage", la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision (2).

La question de l'application de ce texte à la séparation de corps était pertinente. Certes, d'un côté, l'article 304 du Code civil (N° Lexbase : L2712AB3) prévoit que les conséquences de la séparation de corps obéissent aux mêmes règles que les conséquences du divorce. Cependant, d'un autre côté, la dissolution du mariage est une conséquence du divorce mais pas de la séparation de corps. L'article 266 du Code civil, qui vise les conséquences de la dissolution du mariage, ne doit pas être applicable à la séparation de corps. Et telle était justement la position de la cour d'appel de Basse-Terre qui a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par l'épouse, sur le fondement de l'article 266 du Code civil, au motif que celle-ci "vis[ait] à réparer l'importance du préjudice né de la rupture totale des relations conjugales, ce qui n'est pas réellement le cas en matière de séparation de corps puisque le devoir de secours subsiste".

Pourtant, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, en énonçant que, ayant relevé que les pièces produites par l'épouse démontraient une violence ancienne et habituelle de son conjoint envers elle, la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et avait violé l'article 266 du Code civil. Même si la séparation de corps aboutit à un relâchement, et non à une dissolution du mariage, l'article 266 du Code civil trouve application. L'époux aux torts exclusifs duquel la séparation de corps a été prononcée peut être condamné à verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel ou moral résultant du relâchement du mariage, malgré l'absence de rupture totale des relations conjugales.

D'un point de vue humain et pratique, la solution peut se comprendre. Elle permet à l'épouse d'obtenir réparation pour un dommage qui ne fait aucun doute -les violences- et lui évite d'avoir à engager une nouvelle procédure, en invoquant un autre fondement, pour obtenir probablement le même résultat.

D'un point de vue juridique, en revanche, la solution est critiquable. D'une part, comme l'a énoncé la cour d'appel, l'article 266 vise la dissolution du mariage. Or la séparation de corps, si elle aboutit très souvent à un divorce, permet aussi aux époux de décider de reprendre la vie commune. L'époux qui obtient des dommages et intérêts pour la dissolution -même partielle- d'une union doit-il les rendre si, finalement, l'union est officiellement et pleinement rétablie. D'autre part et surtout, et cela n'était bizarrement pas soulevé en l'espèce, le préjudice invoqué, les violences, ne résultait en rien de la dissolution ou même du relâchement des liens du mariage. La Cour de cassation, très vigilante lorsqu'il s'agit de divorce (3), a fait en l'occurrence preuve d'une surprenante souplesse.

Il aurait été plus adéquat d'agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), droit commun de la responsabilité civile délictuelle. En effet, selon ce texte, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer" est également applicable au divorce. Ainsi, dès lors qu'il parvient à démontrer que son conjoint a commis une faute avant la dissolution du mariage, que lui-même a subi dommage, et qu'il existe un lien de causalité entre ce dommage et cette faute, un époux peut demander des dommages et intérêts à l'autre. Alors que l'article 266 du Code civil vise à réparer les conséquences résultant de la dissolution, dans deux hypothèses particulières, l'article 1382 du même code permet de réparer les fautes distinctes de la dissolution, quelle que soit la situation de l'époux dans le divorce ou la séparation de corps. Même si en l'espèce les violences sont signalées comme anciennes, il peut probable que le délai pour agir (dix ans puisqu'il s'agit de dommages corporels) ait expiré.

A présent, il va revenir à la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée, de s'incliner devant la décision des Hauts magistrats, et de fixer le montant des dommages et intérêts, ou de résister à la Cour de cassation et de refuser d'appliquer l'article 266 du Code civil, ce qui nécessitera, alors, la réunion de l'Assemblée plénière.

Dans tous les cas, il n'est très pas cohérent qu'un couple soit à la fois marié et dispensé du devoir de cohabitation, devoir fondamental du mariage. La séparation de corps est tolérée à condition d'être provisoire. En principe, elle ne constitue qu'une étape entre un retour au mariage "normal" ou un divorce. Elle peut prendre fin dans deux hypothèses : si les époux reprennent la vie commune ou s'ils demandent sa conversion en divorce. Lorsque la séparation de corps est convertie en divorce, deux situations doivent être distinguées. D'une part, lorsqu'elle a duré deux ans, la séparation de corps est de plein droit converti en divorce (C. civ., art. 306 N° Lexbase : L2860DZX). L'expression "de plein droit" ne signifie pas automatiquement. Il faut que l'un des époux (celui qui avait demandé la séparation de corps ou l'autre ; ou les deux en cas de séparation de corps sur demande conjointe) le demande. Dans une telle hypothèse, le juge n'examine pas de nouveau les faits qui ont conduit à la séparation. L'attribution des torts n'est pas modifiée. D'autre part, lorsque des faits nouveaux surviennent depuis le prononcé de la séparation de corps (violation d'un devoir du mariage, à l'exception du devoir de cohabitation), un divorce peut être demandé, quelle que soit la durée de la séparation de corps.

En l'espèce, il est possible que l'époux, qui avait sollicité un divorce mais avait dû "se contenter" d'une séparation de corps demandée par l'épouse, souhaite cette conversion, même si cela aboutit à ce que le divorce soit prononcé à ses torts exclusifs. Le devoir de secours sera alors supprimé et vraisemblablement remplacé par une prestation compensatoire. Il en effet fort probable que les éléments qui ont permis aux magistrats d'accorder à l'épouse une pension alimentaire, sur le fondement de l'article 303 du Code civil, soient également retenus pour l'obtention d'une prestation compensatoire, en application de l'article 271 du même code (N° Lexbase : L3212INB). La dissolution du mariage sera alors complète, certes, mais les dommages et intérêts, demandés et -peut-être d'ici là obtenus- sur le fondement de l'article 266 du Code civil resteront tout autant critiquables.

Si l'on peut admettre que la séparation de corps est une dissolution suffisante du mariage, les violences ne peuvent en aucun cas être considérées comme une conséquence "d'une particulière gravité subie du fait de la dissolution du mariage". La Cour de cassation pouvait admettre que l'article 266 du Code civil est applicable à la séparation de corps, en général, mais pas dans cette affaire, en particulier.


(1) Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-14.891, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9365D7Y), Bull. civ. I, n° 110.
(2) Cass. civ. 2, 31 mai 1995, n° 93-17.127 (N° Lexbase : A7901ABA), Bull. civ. II, n° 164.
(3) Voir note précédente.

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Fiscalité des entreprises

[Evénement] Synthèse et mise en perspective des cinq dernières lois de finances (dispositions concernant les entreprises)

Lecture: 15 min

N0017BTS

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 02 Février 2012

En 2011, quatre lois de finances rectificatives pour 2011 et une loi de finances pour 2012 ont été adoptées. Ainsi, la première loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L0278IRQ) a été centrée sur la réforme de la fiscalité du patrimoine ; la deuxième loi de finances rectificative du 19 septembre 2011 (loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L1269IRG) a adopté des mesures du plan de réduction du déficit public français et les nouvelles modalités d'intervention du Fonds européen de stabilité financière ; la troisième loi de finances rectificative du 2 novembre 2011 (loi n° 2011-1416 du 2 novembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L2210IRB) est relative à l'accord de restructuration de la banque Dexia signé par les Gouvernements français, belge et luxembourgeois (elle ne fera l'objet d'aucun commentaire ici) ; la quatrième et dernière loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011 (loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011 N° Lexbase : L4994IRE) met en oeuvre plusieurs mesures du plan d'équilibre des finances publiques ; enfin, la loi de finances pour 2012 du 28 décembre 2011 (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD) vise à réduire le déficit de l'Etat en 2012 de près de 14 milliards d'euros par rapport à 2011. Cette année fiscale a donc été motivée par le plan de réduction des déficits, très marqués depuis la crise financière de 2008, qui fait encore ressentir ses effets en France et dans les autres pays d'Europe (lire N° Lexbase : N7573BSB). Le déficit de l'Etat pour 2012 est évalué à 81,8 milliards d'euros. Le cabinet d'avocats Altexis a consacré aux lois de finances initiale et rectificatives de cette année un Café fiscal, qui revient sur les nombreuses modifications des multiples régimes fiscaux français. Le manque de cohérence fiscale s'explique par les objectifs généraux de comblement des déficits publics. Retour sur les mesures les plus significatives concernant les entreprises. I - Les mesures "phare"

A - Report des déficits des sociétés soumises à l'IS (deuxième et quatrième lois de finances rectificatives pour 2011)

Avant la deuxième loi de finances rectificative pour 2011, les déficits étaient reportables en avant et en arrière (méthode du carry-back), pour un montant qui ne connaissait pas de limite. Le report en avant était aussi illimité dans le temps, le carry-back étant limité aux trois exercices précédant celui au cours duquel le déficit était né.

La deuxième loi de finances rectificative pour 2011 a institué des limites de montant, et a raccourci la limitation dans le temps du carry-back, qui passe de trois exercices à un seulement (CGI, art. 220 quinquies N° Lexbase : L5701IRL). Le carry-back est limité à un montant égal à un million d'euros. L'imputation en avant est elle aussi limitée, mais moins strictement, puisque son montant ne peut dépasser un million d'euros, augmenté de 60 % du bénéfice imposable de la société qui dépasse un million d'euros (CGI, art. 209 N° Lexbase : L5710IRW). La formule est donc la suivante : 1 000 000 + 60 % (bénéfice de l'exercice -1 000 000) .

Voici deux comparatifs de la situation telle qu'elle est aujourd'hui et telle qu'elle aurait été si cette mesure de limitation n'avait pas été prise.

Report en avant

Selon l'hypothèse retenue, une société dispose, année N, d'un déficit de six millions d'euros. L'année N+1, elle produit un bénéfice égal à 1,5 million d'euros, et l'année N+2 un bénéfice de deux millions d'euros.

     Nouvelles règles Anciennes règles
N+1 Déficit imputable 1,3 million d'euros

[1 000 000 + 60 % x (1 500 000-1 000 000)]

6 millions d'euros
Résultat imposable à l'IS 200 000 euros

[1 500 000-1 300 000]

0
Déficit reportable 4,7 millions d'euros

[6 000 000-1 300 000]

4,5 millions d'euros
N+2 Déficit imputable 1,6 million d'euros

[1 000 000 + 60 % x (2 000 000-1 000 000)]

4,5 millions d'euros
Résultat imposable à l'IS 400 000 euros

[1 500 000-1 300 000]

0
Déficit reportable 3,1 millions d'euros 2,5 millions d'euros

Report en arrière

Selon l'hypothèse retenue, une société a disposé, année N-1, d'un bénéfice de 1 020 620 d'euros, dont 38 120 euros sont soumis au taux réduit de 15 %. L'année N, elle dégage un déficit de 1,5 million d'euros.

       Nouvelles règles Anciennes règles
N-1 Résultat fiscal

Montant soumis au taux réduit

Montant soumis au taux normal

1 020 620 euros

38 120 euros

982 500 euros

Montant d'impôt

Montant acquitté au taux réduit

Montant acquitté au taux normal

333 218 euros

5 718 euros

327 500 euros

N Déficit imputable 1 000 000 d'euros 1 020 620 euros
Montant de la créance

Montant à taux normal

Montant à taux réduit

330 125 euros

327 500 euros

2 625 euros

333 218 euros

327 500 euros

5 718 euros

Déficit reportable en avant 500 000 euros 479 380 euros

A noter, seul le déficit constaté au titre de l'exercice peut être reporté en arrière (i.e. le report en arrière ne concerne donc désormais plus les déficits reportables des exercices antérieurs).

Articulation avec le régime de l'intégration fiscale

Les déficits subis par une société au titre d'exercices antérieurs à son entrée dans le groupe ne sont imputables que sur son propre bénéfice (CGI, art. 223 G N° Lexbase : L5700IRK). Les déficits subis par une société depuis son entrée dans le groupe qui ont été retenus pour la détermination du résultat d'ensemble ne peuvent plus être reportés sur ses propres résultats. Les sociétés intégrées fiscalement et qui ont subi des déficits avant leur entrée dans un groupe fiscal pourront contribuer à la formation d'un résultat d'ensemble bénéficiaire alors même qu'elles disposent d'un "stock" de déficits supérieur au montant du bénéfice d'imputation rectifié des opérations intragroupe.

La franchise de un million d'euros est appliquée au niveau de la société mère et ne varie pas en fonction du nombre de sociétés dont les déficits ont concouru à la détermination du déficit d'ensemble .

Entrée en vigueur du dispositif

La quatrième loi de finances rectificative pour 2011 précise l'entrée en vigueur de la réforme des déficits. Ainsi :
- les déficits soumis à la mesure de plafonnement sont, non seulement les déficits subis au titre des exercices clos à compter du 21 septembre 2011, mais également le stock de déficits encore en report à la clôture de l'exercice précédent. Exemple : pour une entreprise dont l'exercice coïncide avec l'année civile, les nouvelles règles de report des déficits concernent les déficits subis au titre de l'exercice 2011 ainsi que les déficits restant à reporter à la clôture de l'exercice 2010 ;
- dans un projet d'instruction opposable à l'administration, mis en consultation publique le 8 décembre 2011, l'administration a admis que les sociétés qui ont clôturé leur exercice entre le 20 juin et le 20 septembre 2011 peuvent opter pour le report en arrière du déficit constaté au titre de cet exercice dans les conditions applicables antérieurement à la réforme des déficits (lire N° Lexbase : N9217BS8).

B - Contribution exceptionnelle de l'IS (quatrième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, il y avait deux taux d'impôt sur les sociétés :
- un taux normal de 33 1/3 % ;
- un taux réduit de 15 % pour les PME, dans la limite des 38 120 premiers euros de bénéfice.
En outre, une contribution sociale de 3,3 % sur l'IS des entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 7 630 000 d'euros est applicable.

Avec la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, une majoration de l'IS est opérée. En effet, le nouvel article 235 ter ZAA du CGI (N° Lexbase : L5462IRQ ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9344ETA) prévoit que, au titre des exercices clos entre le 31 décembre 2011 et le 30 décembre 2013, les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujetties à une majoration exceptionnelle égale à 5 % du montant de l'IS. Dans un groupe intégré, la société mère sera redevable de la majoration exceptionnelle dès lors que la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres du groupe est supérieure à 250 millions d'euros. La majoration exceptionnelle est assise sur le montant brut de l'impôt sur les sociétés, soit avant imputation des réductions, crédits d'impôt ou créances fiscales de toute nature (par exemple, créance née du report en arrière des déficits, crédit d'impôt recherche, etc.). Cette majoration doit être calculée par le redevable lui-même et versée spontanément au comptable public. Elle ne donne pas lieu au versement d'acomptes et doit être liquidée à la date prévue pour le solde de l'IS.

II - Les titres de participation

A - Cession de titres de participation ; quote-part de frais et charges (deuxième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la deuxième loi de finances rectificative, les plus-values sur titres de participation étaient exonérées d'impôt sur les sociétés à la double condition que :
- les titres de participations représentent au moins 5 % du capital de la participation ;
- la durée de détention soit au moins égale à deux ans.

Les entreprises qui réalisaient des plus-values sur titres de participation exonérées devaient, toutefois, réintégrer dans leur résultat imposable à l'IS une quote-part pour frais et charges égale à 5 % du montant de la plus-value.

Avec la deuxième loi de finances rectificative pour 2011, la quote-part pour frais et charges à réintégrer dans le résultat imposable à l'IS est portée au taux de 10 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011 (CGI, art. 219 N° Lexbase : L5712IRY ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E3434AEW). A noter, le relèvement de la quote-part pour frais et charges s'applique aux résultats des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, mais ne concerne que les cessions des exercices clos à compter du 21 septembre 2011 (BOI 4 B-1-11 du 29 novembre 2011 N° Lexbase : X0545AKE ; lire N° Lexbase : N9106BS3).

Régime applicable aux plus-values imposables antérieurement placées en report ou en sursis d'imposition

Lorsque la plus-value de cession des titres a bénéficié, au titre d'exercices ouverts avant le 1er janvier 2011, d'un régime fiscal de report ou de sursis d'imposition, et que ce report ou ce sursis prend fin au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 2011, la quote-part de frais et charges relative à la plus-value ainsi imposable doit être calculée au taux de 10 %.

Si une moins-value a été placée en report ou en sursis, le montant de cette moins-value viendra minorer l'assiette de calcul de la quote-part de 10 %, déterminée à partir des plus-values nettes de l'exercice.

Régime applicable aux plus ou moins-values neutralisées en application du régime de groupe, puis déneutralisées au cours d'un exercice postérieur

En cas de cession des titres hors du groupe, ou lors de la sortie du groupe de la société cédante ou cessionnaire, la quote-part de frais et charges doit être déneutralisée au titre de l'exercice de cession ou de sortie du groupe.

Lorsque la déneutralisation intervient au cours d'exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, la quote-part de frais et charges imposable doit être calculée au taux de 10 %.

B - Charges financières liées à l'acquisition de titres de participation (quatrième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, les charges financières liées à l'acquisition de titres de participation pouvaient être intégralement déduites.

Depuis la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, cette déduction est limitée. De plus, une quote-part forfaitaire de ces charges financières doit être rapportée au résultat imposable.

Champ d'application de la limitation

La limitation de la déduction concerne les sociétés soumises à l'IS qui réalisent, au cours de l'exercice, une ou plusieurs acquisitions de titres de participation, dès lors qu'elles n'apportent pas la preuve qu'elles disposent d'un pouvoir de décision sur ces titres et ainsi d'un contrôle ou d'une influence sur la société détenue. Les charges concernées sont les intérêts liés aux emprunts.

Toutefois, la limitation ne s'applique pas, lorsque :
- la valeur totale des titres de participation détenus inférieure à un million d'euros ;
- l'acquisition de titres n'est pas financée par un emprunt ;
- la société démontre que le ratio d'endettement du groupe auquel elle appartient est supérieur ou égal à son propre ratio d'endettement (CGI, art. 212 N° Lexbase : L5196IRU ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8803EPQ).

Modalités d'application de la réintégration

Pour calculer le montant à réintégrer, il faut appliquer la formule suivante : fraction des charges financières à réintégrer en N+1 = montant des charges financières constatées au cours de l'exercice N x montant des titres de participation acquis en N / montant moyen de la dette de la société en N (CGI, art. 209 N° Lexbase : L5710IRW ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9506ETA).

La période de réintégration est l'exercice au cours duquel la preuve du contrôle effectif doit être apportée jusqu'au terme des huit années suivant l'acquisition des titres. En cas de fusion ou d'apport intervenant au cours de la période de réintégration, il revient à la société absorbante ou bénéficiaire de l'apport de poursuivre la réintégration pour la fraction de cette période restant à courir.

Cette limitation s'applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012.

C - Cession de titres de participation entre sociétés liées (quatrième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, les plus-values ou moins-values de cession de titres de participation détenus depuis moins de deux ans, lorsqu'il existe des liens de dépendance entre entreprise cédante et entreprise cessionnaire, n'étaient pas imposées ou déduites immédiatement au titre de l'exercice de cession, mais sont mises en suspens (système de report d'imposition). Depuis la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, le dispositif est recentré sur les moins-values uniquement. En effet, les plus-values sont désormais exclues du report d'imposition. Elles sont imposées selon les règles de droit commun.

III - Les aménagements

A - Propriété industrielle (loi de finances initiale pour 2012)

Avant la loi de finances pour 2012, le régime des plus-values à long terme (PVLT) s'appliquait aux opérations portant sur des brevets, inventions brevetables, perfectionnements apportés, procédés de fabrication. Un taux réduit d'imposition s'appliquait aux plus-values de cession, ainsi qu'au résultat net de la concession de droits, y compris lorsqu'il existait des liens de dépendance entre les entreprises concédantes et concessionnaire.

Pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2011, le régime des plus-values à long terme s'appliquait également au résultat net des sous-concessions sous la double condition que, d'une part, l'entreprise concédante n'ait pas déjà bénéficié de ce régime pour les redevances de concession qu'elle a perçues et que, d'autre part, l'entreprise sous-concédante puisse prouver, à l'appui d'une documentation, la réalité et la rentabilité de l'opération de sous-concession (CGI, art. 39 N° Lexbase : L3894IAH ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E3431AES).

La loi de finances pour 2012 prévoit que, pour la détermination des résultats des exercices ouverts à compter du 13 octobre 2011, en cas de concession de droits de propriété industrielle entre entreprises liées, l'entreprise concessionnaire ne peut déduire l'intégralité des redevances versées que si elle apporte la preuve de la réalité et de la rentabilité de l'opération. En cas de sous-concession, l'entreprise concessionnaire est imposée au taux réduit de 15 % sur la différence entre les redevances perçues du sous-concessionnaire et les redevances versées au concédant.

B - Jeunes entreprises innovantes (quatrième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, les JEI, entreprises créées depuis moins de huit ans, étaient exonérées d'IR ou d'IS au titre de leurs trois premiers exercices bénéficiaires. Après cette période d'exonération totale, elles pouvaient bénéficier d'un abattement de 50 % sur leurs bénéfices pendant les 24 mois suivants (CGI, art. 44 sexies A N° Lexbase : L5707IRS).

Désormais, les périodes d'exonération totale et partielle sont fixées à 12 mois chacune (le taux de 50 % demeure inchangé). Cette diminution est applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012 .

C - Taxe sur les conventions d'assurance (deuxième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la deuxième loi de finances rectificative pour 2011, les cotisations et primes des contrats d'assurance maladie dits "solidaires" et "responsables" bénéficiaient d'un taux super réduit de 3,5 %. Les autres contrats d'assurance maladie étaient soumis au taux de 7 %.

La deuxième loi de finances rectificative pour 2011 supprime le taux super réduit de 3,5 %. Les contrats d'assurance maladie dits "solidaires" et "responsables" sont soumis au taux de 7 %. Quant aux autres contrats d'assurance maladie, ils sont imposés au taux de 9 % (CGI, art. 1001 N° Lexbase : L1296IRG ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E6081A8Q).

Ces augmentations de taux s'appliquent pour les primes ou cotisations échues à compter du 1er octobre 2011.

IV - Les dispositifs supprimés

A - Suppression du bénéfice mondial et du bénéfice consolidé (deuxième loi de finances rectificative pour 2011)

Les deux régimes dérogatoires du bénéfice mondial et du bénéfice consolidé sont supprimés pour les exercices clos à compter du 6 septembre 2011 (CGI, art. 209 quinquies N° Lexbase : L1294IRD ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E4091AEA).

Toutefois, pour une société agréée ayant constaté un déficit consolidé reportable à la clôture du dernier exercice d'application du régime, il est possible d'imputer une fraction de ce déficit. Cette fraction est déterminée en appliquant au déficit consolidé le rapport issu de la somme des déficits propres à la société agréée et des déficits des exploitations directes et indirectes étrangères. Cette fraction de déficits sera imputée sur les bénéfices ultérieurs de la société agréée dans les conditions de droit commun et sera donc, le cas échéant, soumise à la nouvelle règle de plafonnement (voir supra).

B - Suppression du dispositif d'abattement d'un tiers sur le résultat des exploitations situées dans les départements d'outre-mer (loi de finances initiale pour 2012)

Avant la loi de finances pour 2012, les entreprises exploitées dans les départements d'outre-mer (DOM) n'étaient imposables à l'impôt sur les sociétés que sur deux tiers de leurs bénéfices (CGI, art. 217 bis, plus en vigueur N° Lexbase : L4010HL4). Cet abattement d'un tiers, qui aurait dû s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2017, pouvait également se cumuler avec d'autres abattements (abattements en faveur des entreprises nouvelles, abattement en faveur des entreprises implantées dans des zones franches urbaines, abattement en faveur des entreprises implantées en zones franches d'activités d'outre-mer).

La loi de finances pour 2012 met fin, de manière anticipée, au régime d'abattement d'un tiers sur le résultat imposable des entreprises situées dans les DOM, afin de réduire le cumul d'avantages susceptibles de bénéficier aux entreprises rentables situées dans ces départements.

Cette suppression s'applique à l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2011.

A noter, cette suppression permettra à l'Etat français d'obtenir près de 100 millions d'euros supplémentaires par an.

C - Taxe sur les hôtels (quatrième loi de finances rectificative pour 2011)

La taxe de 2 % à la charge des établissements hôteliers, qui a été instituée par l'article 5 de la loi 2011-1117 du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011 (deuxième loi de finances rectificative), à compter du 1er novembre 2011, est supprimée de façon rétroactive, avant même d'avoir produit effet.

Cette suppression est motivée par la volonté de ne pas pénaliser le secteur hôtelier qui, comme la plupart des secteurs bénéficiant du taux réduit de TVA, sera concerné par le relèvement du taux de 5,5 % à 7 % prévu par l'article 11 de la quatrième loi de finances rectificative pour 2011 (voir infra).

V - TVA et autres taxes

A - TVA (quatrième loi de finances rectificative pour 2011)

Avant la quatrième loi de finances rectificative pour 2011, le taux réduit de TVA était, en France, fixé à 5,5 % et s'appliquait à des produits et services fixés par la loi (CGI, art. 278 bis N° Lexbase : L5676IRN à 279-0 bis et 298 octies N° Lexbase : L5681IRT).

A titre d'exemple, le taux réduit s'appliquait aux produits alimentaires, aux livres, aux produits à usage agricole, aux abonnements à des services de télévision, aux abonnements au gaz et à l'électricité, aux travaux dans les locaux d'habitation achevés depuis plus de deux ans, à la fourniture de logement dans les hôtels et dans les campings, aux services de restauration, aux titres de transport, etc..

La quatrième loi de finances rectificative pour 2011 a introduit un nouveau taux réduit de TVA, fixé à 7 %, remplaçant l'ancien taux de 5,5 %. Pourtant, celui-ci conserve un champ d'application résiduel. Ainsi, continuent, notamment, à bénéficier du taux de 5,5 % :
- l'eau et les boissons non alcoolisées ;
- les produits destinés à l'alimentation humaine (à l'exception des produits de confiserie, de certains chocolats et produits composés contenant du chocolat, des margarines et graisses végétales et du caviar, qui continuent à relever du taux normal) ;
- les appareillages et équipements spéciaux pour handicapés ;
- les abonnements relatifs aux livraisons d'électricité de petite puissance, d'énergie calorifique et de gaz combustible, distribués par réseaux, et la fourniture de chaleur provenant d'énergies renouvelables ;
- les prestations de logement et de nourriture fournies dans les maisons de retraite et établissements pour handicapés et les prestations liées à l'état de dépendance ou au besoin d'aide des personnes hébergées dans ces maisons et établissements ;
- les prestations de services à domicile exclusivement liées aux gestes essentiels de la vie quotidienne des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes, réalisées par des organismes déclarés ;
- la fourniture de repas par des prestataires dans des établissements publics ou privés d'enseignement du premier et du second degré.

Sont désormais soumis au taux réduit de 7 % les autres produits et services relevant actuellement du taux de 5,5 %, et notamment :
- les transports de voyageurs ;
- les produits d'origine agricole, de la pêche, de la pisciculture et de l'aviculture ;
- les produits à usage agricole ;
- les médicaments non remboursables ou qui ne sont pas agréés à l'usage des collectivités publiques (les médicaments remboursables ou agréés continuent de bénéficier du taux de 2,1 %) ;
- les livres, spectacles, jeux et divertissements (autres que les 140 premières représentations théâtrales ou de cirque, qui continuent de bénéficier du taux de 2,1 %) ;
- la collecte et tri sélectifs ainsi que traitement des déchets ménagers ;
- les travaux portant sur des locaux d'habitation achevés depuis plus de deux ans ;
- etc..

Le taux réduit de 7 % s'applique aux opérations pour lesquelles la TVA est exigible à compter du 1er janvier 2012. Par conséquent, il s'applique aux biens livrés à compter du 1er janvier 2012 et aux prestations de services dont l'encaissement du prix (ou des acomptes) ou le débit (en cas d'option pour le paiement de la TVA d'après les débits) intervient à compter de cette même date .

B - Instauration d'une contribution sur les boissons contenant des sucres ajoutés (loi de finances initiale pour 2012)

La loi de finances pour 2012 a institué deux nouvelles contributions, l'une portant sur les boissons contenant des sucres ajoutés (CGI, art. 1613 ter nouveau N° Lexbase : L5150IR8), l'autre sur les boissons contenant des édulcorants de synthèse (CGI, art. 1613 quater nouveau N° Lexbase : L5151IR9) . Si une boisson contient des édulcorants de synthèse et des sucres ajoutés, elle est soumise uniquement à la contribution au titre de l'article 1613 ter du CGI concernant les boissons contenant des sucres ajoutés. La contribution concerne toutes les boissons destinées à la consommation humaine contenant des sucres ajoutés et conditionnées dans des récipients destinés à la vente au détail comme les sodas, certains jus de fruits et les eaux aromatisées.

Le taux de la taxe est fixé à 7,16 euros par hectolitre.

La taxe est supportée par les fabricants, les importateurs de boissons sucrées, ainsi que les personnes qui fournissent à leurs clients de telles boissons.

A noter, sont expressément placés hors du périmètre de cette taxe les boissons à base de lait, notamment celles destinées aux nourrissons et aux enfants en bas âge, les soupes, potages, bouillons, ainsi que les boissons délivrées sur prescription médicale.

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Licenciement

[Jurisprudence] Boucles d'oreilles et appartenance du salarié au genre masculin : caractère discriminatoire du licenciement

Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-28.213, FS-P+B (N° Lexbase : A5287IA3)

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N0007BTG

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 21 Octobre 2014

Le droit international (Convention OIT n° 111) vise, au titre de la discrimination, toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession. L'apparence physique n'y figure pas, au contraire du droit interne (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L6053IAG) définissant les critères et motifs de discrimination prohibés, tenant à l'appartenance à un sexe, aux moeurs, à l'orientation sexuelle ou, encore, à l'apparence physique (ajouté par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 N° Lexbase : L9122AUE). C'est que le critère de l'apparence physique n'est pas le plus sensible, en droit international ou comparé, qui donne la priorité à d'autres critères (appartenance à un sexe, convictions politiques, syndicales, religieuses, ...), auxquels sont associés des mesures de "discrimination positive" ou, selon les termes canadiens, d'obligations d'"accommodements raisonnables" à la charge de l'employeur (1). Le dernier rapport de la Halde, datant de 2010 (2), a fait état de la situation de la discrimination en France. L'origine (27 % des réclamations) demeure le critère de discrimination le plus souvent invoqué ; viennent ensuite la santé et le handicap (19 %), l'âge (6 %), les activités syndicales (5 %), le sexe (4,5 %) et la grossesse (4,5 %). Parmi les 279 délibérations, 27 % portaient sur l'origine, et seulement 0,5 % sur l'apparence physique. Si la discrimination fondée sur l'apparence physique a suscité peu de réclamations devant la Halde, elle a suscité tout aussi peu de développements judiciaires. L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 11 janvier 2012, est très intéressant et tout aussi précieux (3), précisément en raison de la rareté du contentieux.
Résumé

Dès lors qu'un licenciement a été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", il en résulte qu'il a pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe.

Si l'employeur ne justifie pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il faut alors en déduire que le licenciement repose sur un motif discriminatoire.

Engagé le 1er août 2002 par la société B. (exploitant un restaurant), par contrat d'apprentissage puis par contrat à durée indéterminée en qualité de chef de rang, le salarié a été licencié le 29 mai 2007, pour avoir refusé d'ôter pendant le service les boucles d'oreilles qu'il portait depuis le 14 avril 2006. La cour d'appel a retenu le caractère discriminatoire d'un tel licenciement. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'employeur. Dès lors qu'un licenciement a été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", il en résulte qu'il a pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe. Si l'employeur ne justifie pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il faut alors en déduire que le licenciement repose sur un motif discriminatoire.

L'apparence physique comme critère de discrimination imputable à l'employeur met en jeu trois éléments : la personne du salarié (sa physionomie, ses vêtements et autres éléments de mise en valeur tels que bijoux, piercing, tatouage, ...) ; son emploi (c'est-à-dire, la compatibilité entre l'emploi occupé et l'apparence physique du salarié) et enfin l'entreprise (les termes du débat variant au demeurant assez considérablement, selon que l'entreprise soit "identitaire", notamment "de tendance", ou pas ; mais aussi, selon que l'apparence physique du salarié revête une dimension religieuse (4)). L'arrêt rapporté n'évoque pas cette troisième dimension, mais s'en tient à la personne et à son emploi, relativement à la dimension morphologique et corporelle de l'apparence physique ; à sa dimension vestimentaire, enfin.

I - Eléments morphologiques et corporels de l'apparence physique du salarié

Il paraît si loin le temps où l'on interdisait à l'avocat de se présenter à l'audience au motif qu'il portait des moustaches (5) ou à une personne d'accéder à l'opéra pour cause de port d'un pantalon de golf (6).

A - Un cadre législatif étriqué

Le droit interne de la discrimination ne contient qu'une référence générale à l'apparence physique, comme critère de discrimination. Mais le législateur n'a pas défini la notion.

De l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6053IAG), il ressort, en effet, qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement (ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise), pas plus qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de

- son origine,

- son sexe,

- ses moeurs,

- son orientation sexuelle,

- son âge,

- sa situation de famille ou sa grossesse,

- ses caractéristiques génétiques,

- son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race,

- ses opinions politiques,

- ses activités syndicales ou mutualistes,

- ses convictions religieuses,

- son apparence physique,

- son nom de famille,

- son état de santé ou son handicap.

Cette liste de motifs de discrimination a été complétée pour couvrir d'autres hypothèses : la grève (C. trav., art. L. 1132-2 N° Lexbase : L0676H9W), le témoignage (C. trav., art. L. 1132-3 N° Lexbase : L0678H9Y), les fonctions de juré ou citoyen assesseur (C. trav., art. L. 1132-3-1 N° Lexbase : L9536IQA).

B - Une casuistique judiciaire

Il n'existe pas de théorie générale de la discrimination fondée sur l'apparence physique, ni à l'initiative du législateur, ni, a fortiori, sous l'impulsion du juge, dont la directive très générale de l'article L. 1134-1 du code précité (N° Lexbase : L6054IAH) laisse une grande marge d'appréciation. La notion d'"apparence physique" du salarié, comme motif d'un comportement discriminatoire de l'employeur, reste particulièrement élastique, fuyante, et laisse donc aux parties (employeur, salarié lui-même victime d'une discrimination) et aux juges (du fond, la Cour de cassation) toute latitude pour l'interpréter, selon ses propres représentations, conceptions et images. Tout sera fonction de l'entreprise, de son secteur d'activité (attentes différentes selon qu'il s'agisse d'un restaurant à prétention gastronomique, recevant un certain type de public ou un restaurant pour routiers, d'une entreprise fonctionnant avec les intermittents du spectacle ou d'un cabinet d'avocats, etc), sa localisation (milieu urbain, rural, en France ou dans les dom-tom), de la période considérée (aujourd'hui, il y a 10 ans, dans 10 ans)... Les critères d'appréciation, on le voit, sont multiples : cette variabilité des critères se cumulant avec des facteurs de complexité, tenant aux personnes (salariés, employeurs) et aux institutions judiciaires, chacun, à son niveau, projetant une image propre de la notion d'apparence physique, selon une échelle de valeurs qui lui est propre.

Le contentieux donne à voir des appréciations contrastées et très variables des juges.

Les juges ont donné raison aux employeurs d'avoir prononcé un licenciement :

- a été justifié le licenciement d'un salarié coiffé à l'iroquoise qui refusait de changer de coiffure (7) ;

- l'employeur peut s'opposer à une tenue "fantaisiste" (sic) : cheveux longs et boucles d'oreille pour un chauffeur-livreur ou queue de cheval pour un serveur (8);

- un arrêt a été rendu par la cour d'appel de Paris le 3 avril 2008 (9), opposant la Société E. à une salariée (hôte d'accueil touristique), s'agissant de la rupture d'une période d'essai. La salariée invoquait une rupture abusive de la période d'essai, après que l'employeur lui eût demandé de retirer son piercing, l'intéressée n'ayant pas obtempéré à cette demande de retrait de ses bijoux (autre expression du piercing). Pour les juges du fond, la décision de l'employeur de rompre la période d'essai repose sur son appréciation de la capacité de la salariée à se conformer à ses directives, qu'il a pu estimer à bon droit défaillante, après que celle ci eut, par deux fois, dans la même journée, enfreint les consignes reçues. Ces consignes, loin d'avoir attentées à la liberté individuelle, se justifiaient par la nécessité pour la salariée, dans l'exercice de ses fonctions, de revêtir des costumes d'époque, dont le port est à l'évidence incompatible, car totalement anachronique, avec celui de bijoux suivant les modalités contemporaines du piercing ;

- les juges du fond versaillais (CA Versailles, 17ème ch., 22 septembre 2006, n° 05/03726) sont partis du principe selon lequel la liberté individuelle de déterminer ses choix vestimentaires et plus généralement son apparence personnelle peut subir des restrictions dans le cadre de l'exécution du contrat de travail à condition que celles ci soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. En l'espèce, le port par le salarié de boucles d'oreilles et d'un piercing sur le nez était de nature à choquer la clientèle du restaurant exploité par la société M., qui est une clientèle d'affaires et familiale. L'employeur pouvait légitimement demander à son salarié d'enlever ces accessoires et, compte tenu du refus de ce dernier, de lui retirer des tâches le mettant en contact avec la clientèle. Le salarié n'a donc pas été victime d'un traitement discriminatoire.

Mais dans d'autres situations, les juges ont, au contraire, soutenu les salariés dans leur quête de liberté de présentation et d'apparence :

- en 2000, un conseil de prud'hommes a reconnu abusif le licenciement d'une salariée vendeuse dans un magasin de meubles qui a refusé d'ôter son piercing nasal (10) ;

- l'apparence physique du salarié qui change d'identité sexuelle doit être mentionnée, même si elle est classiquement répertoriée dans une autre catégorie de discrimination, tenant à l'appartenance à un sexe (11).

II - Eléments non corporels (vêtements, bijoux, ...) de l'apparence physique du salarié

L'apparence physique du salarié ne se limite pas aux éléments morphologiques et physiologiques. Ils doivent intégrer les accessoires qui composent l'apparence physique du salarié. Cette grille d'analyse partagée par la doctrine (12) a été confortée par la jurisprudence. Dans un litige assez récent, un employeur soutenait que le législateur avait entendu ne faire référence qu'au corps du salarié : le conseil de prud'hommes de Paris (13) a, au contraire, considéré que l'apparence correspond à l'aspect extérieur de l'individu. Si le législateur avait entendu limiter l'apparence physique au corps, il pouvait évoquer simplement l'apparence corporelle ou de manière plus restrictive la physionomie. L'analyse des éléments non corporels (vêtements, bijoux,...) de l'apparence physique du salarié varie selon que l'on intègre ou pas la variable religieuse.

A - Eléments vestimentaires hors dimension religieuse

1 - Liberté vestimentaire

La liberté vestimentaire est-elle une liberté fondamentale du salarié ? On se souvient de l'affaire du "bermuda" (Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, publié N° Lexbase : A6668CK8) (14) : un salarié était venu travailler en bermuda et continué les jours suivants à porter la même tenue vestimentaire ce, en opposition ouverte avec ses supérieurs hiérarchiques qui lui demandaient oralement puis par écrit de porter un pantalon sous la blouse prescrite par le règlement intérieur de l'entreprise.

Pour la Cour de cassation, si, en vertu de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI ; recod. art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P), un employeur ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales. En l'espèce, la tenue vestimentaire de M. M. était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail.

Bref, la liberté de se vêtir n'est pas une liberté fondamentale, au même titre que la liberté d'expression (15), l'intimité de la vie privée (notamment en la liberté de la correspondance (16)) ; la liberté d'acheter (y compris un bien vendu par la concurrence (17)).

2 - Droit pour l'employeur d'encadrer/restreindre cette liberté vestimentaire

Pour autant, si la liberté de se vêtir n'est pas une liberté fondamentale du salarié, la gestion par l'employeur de cette liberté du salarié de se vêtir reste encadrée et contrôlée par le juge.

- première justification tirée de la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché : suivant la directive fixée par le législateur à l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P) ("nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché"), le juge décide que l'employeur peut apporter des restrictions à la liberté de se vêtir dans la mesure où celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

- seconde justification tirée de la sécurité en entreprise : outre la justification tirée de la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, la Cour de cassation admet le motif tiré de la sécurité. Les motifs de sécurité peuvent également conduire l'employeur à imposer le port d'une tenue de travail en raison de la nature de l'activité de l'entreprise (18).

3 - Contrôle judiciaire des restrictions de l'employeur à la liberté vestimentaire du salarié : l'hypothèse des tenues de travail et autres uniformes

Ont été considérées comme justifiée l'obligation pour les salariés de porter des vêtements déterminés :

- port d'un uniforme pour une hôtesse d'aéroport (19) ; pour un agent de sécurité d'une société de gardiennage (20).

- port d'une cravate pour un veilleur de nuit d'hôtel (21) ; pour un représentant (22).

- chaussures noires cirées pour un convoyeur de fonds en contact avec les personnels des établissements financiers (23).

Mais ont été qualifiées d'excessives :

- une entreprise d'ambulance prévoyait que le règlement intérieur imposant pour le personnel ambulancier le port obligatoire d'une cravate et précisant "pas de jeans ni de baskets". Les juges du fond ont décidé que la disposition du règlement intérieur était plus exigeante que celles de la Convention collective prévoyant pour le personnel ambulancier une tenue soignée et le port obligatoire d'une blouse blanche : le règlement intérieur comportait des restrictions aux libertés individuelles qui n'étaient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir (24) ;

- le refus du salarié de porter une blouse blanche pendant le travail ne pouvait être constitutif d'une faute qu'autant que l'obligation du port de ce vêtement était justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché : il appartient aux juges du fond de rechercher si la restriction apportée par l'employeur à la liberté individuelle du salarié de se vêtir était légitime (25).

- dans le même sens, il a été jugé, s'agissant de salariés engagés par le syndicat des copropriétaires de la résidence en qualité de surveillants, qu'ils sont exclus du champ d'application de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 (N° Lexbase : L2919AIX) et du décret n° 86-1099 du 10 octobre 1986 (et donc, ne sont pas tenus par l'obligation faite aux salariés de porter un uniforme) ; le contrat individuel de travail ne pouvait comporter de restrictions plus importantes aux libertés individuelles que celles prévues par la Convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d'immeuble du 11 décembre 1979 qui n'impose le port d'un uniforme qu'au personnel de la catégorie B, coefficient 166 (26).

- le refus de porter un uniforme a été consacré dans une autre affaire, s'agissant d'entreprises relevant du secteur de la sécurité. Pour la Cour de cassation, l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité (qui prévoit la possibilité d'une obligation formelle du port de l'uniforme pour les agents de maîtrise affectés à certains postes fixes ou itinérants) ne concernait que les salariés en contact avec la clientèle. Tel n'est pas le cas de salariés, en leur qualité d'agents vidéo, n'ayant donc pas pour mission de procéder à des interpellations. Leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle (27) ;

- l'interdiction de porter le pantalon sous la robe réglementaire de caissière (à moins qu'il ne soit invisible) (28).

4 - Contrôle judiciaire des restrictions de l'employeur à la liberté vestimentaire du salarié

Ont été sanctionnées par l'employeur, et confirmées par les juges, les tenues vestimentaires suivantes :

- une secrétaire qui s'était présentée sur son lieu de travail en survêtement, la décision de l'employeur de lui interdire une telle tenue est dans ce cas justifiée, au regard du type de fonctions qu'exerçait la salariée (29) ;

- la tenue vestimentaire négligée n'était pas compatible avec les obligations d'un employé en relation permanente avec la clientèle (30) ;

- la Cour de cassation a considéré comme fondé un licenciement d'une salariée venue travailler avec un chemisier dont la transparence était de nature à jeter un trouble dans l'entreprise ;

- A été justifié le licenciement d'un charcutier ayant une tenue malpropre ce qui avait entraîné des remarques de la part de la clientèle (31) ;

- le fait d'interdire le port du bermuda uniquement aux hommes ne constituait pas une "pratique discriminatoire sexuelle" (32) ;

- tenue négligée d'un employé de banque (33) ;

- vendeur de matériel de micro-informatique venant au travail en jeans, tee-shirts et baskets (34) ;

- blouse transparente sur une nudité complète du buste (35) ;

- ambulancière portant une jupe trop courte (36).

Ont été validées par le juge, les libertés vestimentaires suivantes :

- le fait pour une coiffeuse de porter des vêtements non conformes aux souhaits de l'employeur ne pouvait pas justifier un licenciement (37) ;

- est abusif le licenciement d'un salarié qui refusait de retirer pendant son service le diamant qu'il portait à l'oreille (38).

- le port d'un survêtement par la salariée d'une agence immobilière (39).

En l'espèce, l'employeur invoquait un argument connu et habituel en de telles circonstances. L'employeur faisait valoir que son restaurant gastronomique recevait une clientèle attirée par sa réputation de marque, laquelle impose une tenue sobre du personnel en salle. Le salarié, serveur dans ce restaurant, était au contact direct de cette clientèle. Aussi, selon l'employeur, le port de boucles d'oreilles pendant la durée du service était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail. La cour d'appel de Montpellier s'était prononcée en 2010 (40). Selon les juges du fond, la lettre de licenciement ne se limite pas à relever l'insubordination de nature à compromettre l'autorité de l'employeur mais fait référence au sexe et à l'apparence du salarié en incluant la phrase suivante "votre statut au service de la clientèle au quotidien ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes". Aussi, le motif du licenciement révèle une référence au sexe du salarié laissant supposer l'existence d'une discrimination directe par rapport aux autres membres du personnel de sexe féminin et laissant entendre qu'il ne serait pas un homme en portant des boucles d'oreilles.

B - Eléments vestimentaires à dimension religieuse (foulard, ...)

Pour la cour d'appel de Paris, le port d'un foulard par une salariée, pendant ses heures de travail et sur son lieu de travail, alors qu'elle participe à l'exécution d'un service public (soumis au respect du principe de laïcité et de neutralité) constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (41). Les juges du fond considèrent en effet qu'il résulte des textes constitutionnels et législatifs que les principes de laïcité de l'Etat et de neutralité des services publics s'appliquent à l'ensemble de ceux-ci. Si les agents des services publics bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. La cour d'appel juge ainsi le licenciement justifié pour une cause réelle et sérieuse. Les exigences relatives à la neutralité et à la laïcité du service public ont été rappelées dans le règlement intérieur de la Caisse, principes faisant obstacle à ce que les agents de la CPAM disposent du droit, pendant leur service et sur le lieu de leur travail, de manifester leur appartenance religieuse par un accessoire vestimentaire ostentatoire

En 2003, la cour d'appel de Paris a décidé que le refus d'une salariée de renoncer au port du foulard islamique ne constitue pas une cause légitime de licenciement (42). En effet, dès lors que la lettre de rupture fait expressément référence au refus de la salariée de renoncer à la manifestation de ses convictions religieuses, le licenciement présente toutes les apparences d'une mesure prohibée au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8 recod. art. L. 1132-1 N° Lexbase : L6053IAG), et il appartient à l'employeur de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Dans le sens contraire, la même cour d'appel de Paris a jugé, en 2001 (43), que le licenciement d'une vendeuse travaillant dans un centre commercial, en contact avec la clientèle, peut être fondé sur son refus de renoncer au port du voile islamique qu'elle avait adopté subitement, sept ans après son embauche. Le refus de la salariée de renoncer à une coiffe selon des modalités en réalité non nécessaires au respect de ses croyances, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. La restriction à la liberté individuelle de la salariée, limitée au seul foulard porté de façon ostentatoire et apportée sans délai après sa manifestation par l'employeur dans l'intérêt de l'entreprise, ne constituant pas une faute dans l'exercice du pouvoir de direction, est légitime.

Enfin, on relèvera le jugement (très médiatisé) rendu par le Conseil de Prud'homme de Mantes-la-Jolie du 13 décembre 2010. Le règlement intérieur de la crèche indique que le salarié doit respecter et garder la neutralité d'opinion politique et confessionnelle en regard du public accueilli tel que mentionné dans ses statuts. Pour valider la clause du règlement intérieur, les conseillers prud'homaux (44) font appel à la Constitution ; ils relèvent que la salariée, dans son contrat de travail, s'est engagée à respecter ce règlement intérieur. Il souligne, ensuite, que l'inspection du travail n'a fait aucune remarque particulière à l'association. Il considère donc que le règlement intérieur est parfaitement licite et que la salariée, tenue de le respecter, a commis une faute grave en le bafouant.


(1) D. Roux, Un milieu de travail diversifié : l'apport de l'obligation d'accommodement raisonnable selon le droit international et le droit canadien, JSL, n° 261, 1er septembre 2009.
(2) LSQ, n° 15848, 2 mai 2011.
(3) SSL, n° 1522, 23 janvier 2012 ; LSQ, n° 16025, 24 janvier 2012.
(4) Le législateur est intervenu à deux reprises en peu de temps : loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 (N° Lexbase : L1864DPQ), qui proscrit le port des signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse mais uniquement dans les écoles, collèges et lycées publics, les crèches n'étant pas visées ; loi n° 2010-1192 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public (N° Lexbase : L1365INU). Références bibliographiques : R. Schwart, Laïcité dans l'entreprise in Les paradoxes du droit du travail, SSL, 2011, suppl., n° 1508 ; F. Gaudu, Droit du travail et religion, Dr. soc., 2008, p. 958 ; La religion dans l'entreprise, Dr. soc., 2010, p. 65 ; C. Brice-Delajoux, La liberté religieuse sur les lieux de travail, Dr. ouvr., 2011, p. 58 ; C. Brisseau, La religion du salarié, Dr. soc., 2008, spéc., p. 975 ; A. Debet, Signes religieux et jurisprudence européenne, Arch. philo droit, t. 48, p. 221 , H. Boualili, Laïcité et port du foulard islamique au travail, Dr. soc., 2011, p. 779 ; J. Savatier, Conditions de licéité d'un licenciement pour port du voile islamique, Dr. soc., 2004, p. 354 et Liberté religieuse et relations de travail, in Mélanges Verdier, Dalloz, 2001, p. 455 ; René de Quenaudon, Expression religieuse et laïcité en entreprise, A propos de l'avis rendu par le Haut Conseil à l'intégration le 1er septembre 2011, RDT, 2011 p. 643 ; P. Adam, Le fait religieux et l'entreprise : un pacte, une délibération. Et la lumière fu(i)t ?, RDT, 2011, p. 314 ; L'entreprise, sans foi... ni voile ? CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, n° F 10/00587 (N° Lexbase : A1067GNT), D., 2011, p. 85, RDT, 2011, p. 182.
(5) Cass. req., 6 août 1844, D., 1844, 1, p. 354, cité par A. Pousson, La liberté de se vêtir n'est pas une liberté fondamentale, D., 2004, p. 176.
(6) T. civ. Seine, 20 février 1952, D., 1952, Jur. p. 353 A. Pousson, D., 2004 p. 176, préc.
(7) CA Paris, 7 janvier 1988, 22ème ch..
(8) CA Paris, 18ème ch., 6 mai 1982, et CA Paris, 22 avril 1987, 22ème ch., cité par M.-C. Haller, JSL, n° 88 du 18 octobre 2001, Note sous CA Paris, 16 mars 2001, 18ème ch, sect. E, n° 01-454.
(9) CA Paris, 3 avril 2008, 21ème ch., sect. B, S 06/10076 (N° Lexbase : A1421D87).
(10) CPH Tours, sect. commerce, 2 mai 2000, n° 99/0822, cité par M.-C. Haller, JSL, n° 88, 18 octobre 2001, note préc..
(11) CA Montpellier, 4ème ch., 3 juin 2009, n° 08/06324 (N° Lexbase : A4908EIM) ; v. les obs. de Ch. Radé, Du caractère discriminatoire du licenciement d'un salarié en raison de sa transidentité, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9269BLU) ; v. aussi Délibération de la HALDE relative à l'inadéquation entre l'apparence physique d'une personne transsexuelle et son numéro de Sécurité sociale, Lexbase Hebdo n° 325 du 6 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6902BH4).
(12) A. Boisgibault de Bryas, La tenue vestimentaire du salarié, JCP éd. E, 2003, p. 851 ; L. Gimalac, La tenue vestimentaire, l'identité et le lien social dans le cadre des rapports professionnels, LPA, 20 décembre 2002, p. 11.
(13) CPH Paris, 17 décembre 2002, RJS, mars 2003, n° 308 et 309.
(14) CPH Rouen, 30 août 2001, RJS, 2001, n° 1252, D., 2001, IR p. 2722 ; CA Rouen, 13 novembre 2001, RJS, 2002, n° 8 ; Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6668CK8); D., 2004 p. 176 ; D., 2003, Jur. p. 2718, note F. Guiomard ; RTD civ., 2003, p. 680, obs. J. Hauser ; JCP éd. E, 2003, II, n° 10128, note D. Corrignan-Carsin ; JCP éd.E, 2003, p. 1328, note D. Corrignan-Carsin ; Dr. ouvr., 2003, p. 224, note P. Moussy ; P. Waquet, Le bermuda ou l'emploi, Dr. soc., 2003, p. 808 ; RJS août - septembre 2003, n° 975 ; P. Lyon-Caen, L'atteinte portée à la liberté de se vêtir constitue-t-elle un trouble manifestement illicite ?, Dr. ouvr., 2003, p. 221 ; J.-F. Cesaro, Chronique droit du travail sous la direction de B. Teyssié, JCP éd. E, 2003, p. 1790 ; v. les obs. de Ch. Figerou, La liberté de se vêtir : une liberté certes, mais pas fondamentale, Lexbase Hebdo n° 74 du 4 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7609AA3). V. aussi Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.220, F-D (N° Lexbase : A2446EB9), B. Bossu, note JCP éd. S, 2009, 1200.
(15) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, publié (N° Lexbase : A4778AA9)
(16) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, publié (N° Lexbase : A1200AWD), D., 2001, p. 3148, note P.Y. Gautié ; RJS 2001, p. 940, chron. F. Favennec-Héry (N° Lexbase : A1200AWD)
(17) Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 90-42.517, publié (N° Lexbase : A3737AAN).
(18) CE, 16 décembre 1994, n° 112855 (N° Lexbase : A1278AAL), RJS, février 1995, n° 128.
(19) CA Paris, 13 mars 1984, D,. 1985, IR p. 297
(20) Cass. soc., 17 avril 1986, Jurisp. soc. UIMM, n° 87782, p. 8 ; CA Paris, 8 avril 1994, JCP éd. E 1994, Panorama p. 710
(21) CA Paris, 18 janvier 1991, RJS, mai 1991, n° 671.
(22)Cass. soc. 12 juillet 1989, n° 3059
(23) CA Dijon, 25 juin 1992, RJS, octobre 1992, n° 1202.
(24) Cass. soc., 19 mai 1998, n° , 96-41.123, inédit (N° Lexbase : A9743CWR) ; Cah. soc., Barreau Paris, 1998, n° 102, S p.115.
(25) Cass. soc., 18 février 1998, n° 95-43.491, publié (N° Lexbase : A2547ACC), Bull. civ., V, n° 90, p. 65.
(26) Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.252, publié (N° Lexbase : A4723AUH), RJS, avril 2001, n° 534.
(27) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.346, publié (N° Lexbase : A6405EHP), F-P+B ; v. les obs. de G. Auzero, L'obligation pour un salarié de porter un uniforme
(28) CA Paris, 7 juin 1990, JCP 1991, II, p. 190, obs. A. Chevillard.
(29) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.988, publié (N° Lexbase : A0702AXB).
(30) Cass. soc., 12 juillet 1989, n° 86-40.987, inédit (N° Lexbase : A8250AGN).
(31) Cass. soc., 29 février 1984, n° 81-42.321, RJS, 1984, n° 178.
(32) CPH de Rouen, référés, 30 août 2001.
(33) Cass. soc., 12 juillet 1989, n° 86-40.987 N° Lexbase : A8250AGN)
(34)CA Reims, 12 janvier 2000, RJS, avril 2000, n° 478.
(35) CA Nancy, 29 novembre 1982, D., 1985, Jur. p. 354, note C. Lapoyade-Deschamps ; R. Nerson et J. Rubelin-Devichi, RTD civ., 1983, p. 108, confirmé par Cass. soc., 22 juillet 1986, Liaisons sociales,. 1986, n° 5844, p. 7.
(36) Cass. soc. 18 mai 1999, n° 2296 N° Lexbase : A7297B7E)
(37)Cass. soc., 2 juillet 1997, n° 96-42.326, (N° Lexbase : A8860AGA).
(38) CA Toulouse, 27 novembre 1998, cité par M.-C. Haller, JSL, n° 88, 18 octobre 2001, note préc..
(39) Cass. soc. 6 novembre 2001, n° 99-43.988, publié, D., 2001, IR p. 3397 ; RTD civ., 2002, p. 72, obs. J. Hauser ; JCP E, 2002, p. 1732 note G. Lachaise ; Dr. soc., 2002, p. 110, obs. J. Savatier. S'il est exact que la restriction de la liberté individuelle de se vêtir doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, la cour d'appel, qui a constaté que la salariée était en contact avec la clientèle de l'agence immobilière, a pu décider que la décision de l'employeur de lui interdire de se présenter au travail en survêtement était justifiée.
(40) CA Montpellier, 27 octobre 2010, n° 10/ 01174, (N° Lexbase : A8724GNG).
(41) CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 9 novembre 2011, n° 10/01263 (N° Lexbase : A9004H3U).
(42) CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03/30212 (N° Lexbase : A8172C9K).
(43) CA Paris, 18ème ch., sect. E, 16 mars 2001, n° 99/31342 (N° Lexbase : A8577C9K) ; M.-C. Haller, JSL, n° 88 du 18 octobre 2001, Note sous CA Paris, 16 mars 2001, 18ème ch, sect. E, n° 01-454.
(44) M. Hautefort, Le droit à la laïcité crée-t-il une limite à la liberté d'exprimer ses opinions religieuses ? (CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, n° 10/0057), JSL, n° 293, 10 février 2011 ; C. Mathieu, Le respect de la liberté religieuse dans l'entreprise, RDT, 2012 p. 17.

Décision

Cass. soc., 11 janvier 2012, FS-P+B, n° 10-28.213 (N° Lexbase : A5287IA3)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) et art. L. 1332-1 (N° Lexbase : L1862H9T)

Mots-clés : licenciement, discrimination, apparence physique, boucles d'oreille, salarié homme, caractère discriminatoire du licenciement (oui), nullité du licenciement (oui).

Liens base : N° Lexbase : E9235EST

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QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - octobre à décembre 2011

Lecture: 19 min

N9910BST

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par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 02 Février 2012

La question prioritaire de constitutionnalité ("QPC") est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation que praticiens et théoriciens ne peuvent négliger. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la présente revue. I - Champ d'application

A - La notion de disposition législative

1 - Qu'est-ce qu'une "disposition législative" ?

Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), la question prioritaire de constitutionnalité ne peut porter que sur une "disposition législative" (1). Il est désormais acquis que cette notion s'entend en un sens matériel, une disposition législative au sens de l'article 61-1 étant une disposition ayant force de loi par son objet, quelle que soit sa forme. Elle peut, ainsi, figurer dans les ordonnances ratifiées ou ayant eu, d'emblée, une force législative comme celles adoptées à la Libération ou au cours de la période de transition d'octobre 1958 à février 1959, sur le fondement de l'ancien article 92 du texte suprême (2). De même, bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de dispositions ayant eu à l'origine valeur réglementaire avant d'avoir été ratifiées, des dispositions issues d'un décret peuvent revêtir valeur législative du fait de l'annexion de ce décret à une loi de finances. Elles peuvent alors faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 6° et 1° s-s-r., 17 octobre 2011, n° 351085, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7812HYY).

En revanche, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour apprécier la conformité à la Constitution d'une disposition réglementaire fixant une peine complémentaire en cas de contravention qui peut être contestée, en soulevant une exception d'illégalité devant le juge pénal (Cons. const., 26 novembre 2010, décision n° 2010-66 QPC N° Lexbase : A3868GLT). La question prioritaire de constitutionnalité ne peut pas, non plus, porter sur une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L0864AHH), dès lors que celle-ci n'a pas été ratifiée. Mais il faut noter que le régime de la ratification de ces ordonnances diffère selon que l'ordonnance est antérieure ou postérieure à la révision constitutionnelle de 2008 (loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK) : dans le premier cas, la ratification peut, en effet, être implicite alors que, dans le second, elle ne peut être qu'explicite. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l'article L. 551-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1581IEB), issu de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), qui n'a pas été ratifiée dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Conseil d'Etat constate, ainsi, que ces dispositions ont un caractère réglementaire et qu'elles ne sont donc pas susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 2° et 7° s-s-r., 27 octobre 2011, n° 350790, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0842HZ9).

De même, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre des articles du Code du patrimoine issus de l'ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004, relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs (N° Lexbase : L7988DN8), ayant, pour certains d'entre eux, été modifiés ensuite par d'autres ordonnances, le Conseil d'Etat vérifie quelles ordonnances ont été ratifiées. Ainsi, les dispositions posées par une ordonnance non ratifiée ont un caractère réglementaire et ne peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, tandis que celles qui n'ont pas été modifiées par l'ordonnance non ratifiée, ou qui "l'ont été de façon très limitée et dans une mesure qui n'est pas contestée dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité", peuvent faire l'objet du contrôle de constitutionnalité a posteriori (CE 1° et 6° s-s-r., 17 octobre 2011, n° 351010, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8368HYL).

On peut, enfin signaler, l'intervention de la première censure d'une disposition figurant dans une loi du pays de Nouvelle-Calédonie (Cons. const., décision n° 2011-205 QPC, du 9 décembre 2011 N° Lexbase : A1701H4R). Par elle-même, cette décision n'apporte guère, dès lors que la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS), a explicitement prévu qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée à l'encontre d'une loi du pays de Nouvelle-Calédonie. Mais, si ces lois du pays n'ont vocation à toucher qu'un nombre de personnes limité, on notera, tout de même, que la majeure partie d'entre elles est susceptible d'être touchée par la question prioritaire de constitutionnalité. En effet, si les lois du pays peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité a priori, exercé par voie d'action sur le fondement des dispositions des articles 104 et 105 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L6333G9G), le Conseil constitutionnel n'a été saisi que deux fois dans ce cadre. Or, plus d'une centaine de lois du pays ont, d'ores et déjà, été adoptées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie.

2 - Statut de l'application de la loi

On sait que l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité a le droit de "contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère" à la disposition législative faisant l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., déc. n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9923GAR, deuxième considérant). Il ne s'ensuit pas, pour autant, que le Conseil constitutionnel doive contrôler la "portée effective" conférée à la disposition législative par son application par le pouvoir réglementaire (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21 octobre 2011 N° Lexbase : A7832HYQ, huitième considérant).

Dans cette affaire, les requérants contestaient la constitutionnalité des articles 475-1 (N° Lexbase : L9925IQN) et 800-2 (N° Lexbase : L4263AZW) du Code de procédure pénale en tant qu'ils soumettent la possibilité, pour la personne poursuivie mais non condamnée, d'obtenir une condamnation de la partie civile à lui verser une indemnité au titre des frais irrépétibles à des conditions plus restrictives que celles qui permettent à la partie civile d'obtenir la condamnation de la personne à lui verser une telle indemnité. Selon eux, le principe d'égalité devant la justice exigeait que l'article 800-2 soit la réplique à l'identique de l'article 475-1. Mais leur critique était aussi partiellement dirigée contre le décret n° 2001-1321 du 27 décembre 2001, pris pour l'application de l'article 800-2 du Code de procédure pénale et relatif à l'indemnité pouvant être accordée à la suite d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement (N° Lexbase : L8843IRX), les requérants demandant au Conseil d'examiner la disposition législative contestée en prenant en compte l'application qui en a été faite par le pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel a, cependant, refusé "d'apprécier la constitutionnalité de l'article 800-2 du Code de procédure pénale au regard des modalités fixées dans le décret pris pour son application", car l'interprétation de la loi par les juridictions et son application par le pouvoir réglementaire n'ont pas le même statut.

En effet, l'interprétation n'est pas détachable de la norme interprétée. Elle s'y incorpore et se confond avec elle. L'interprétation de la loi ne peut donc être contestée que devant le juge de la loi. En revanche, son application s'en distingue et elle peut être censurée par le juge compétent, et le juge administratif, saisi par voie d'action ou par voie d'exception. En jugeant qu'il ne lui "appartient pas" d'examiner les mesures réglementaires prises pour l'application d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel s'est donc déclaré incompétent. La solution inverse l'aurait vu s'engager dans la voie d'un contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires qu'il se refuse à exercer -à juste titre au vu de la lettre de l'article 61-1 de la Constitution-.

3 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

La loi organique du 10 décembre 2009 impose aux juridictions de vérifier que la disposition législative contestée est applicable au litige. L'abrogation, par le Conseil constitutionnel saisi dans le cadre d'une autre question prioritaire de constitutionnalité, d'une disposition après l'introduction du recours a pour effet rendre celui-ci sans objet (CE 7° s-s., 4 novembre 2011, n° 349705, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5164HZB).

B - L'atteinte aux droits et libertés

1 - Droits et libertés invocables

1. La Charte de l'environnement consacre de nombreux principes invocables au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel lui a, d'ailleurs, consacré une étude en novembre 2011 (3). Mais il est, également, à noter que la Charte peut être la source de principes dont la portée dépasse le champ de la protection de l'environnement. Le Conseil a, ainsi, considéré que la Charte "réaffirme" "la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation" au nombre desquels figurent son indépendance et l'intégrité du territoire (Cons. const., décision n° 2011-192 QPC, du 10 novembre 2011 N° Lexbase : A9093HZS).

2. Il n'existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription (Cons. const., décision n° 2011-199 QPC, du 25 novembre 2011 N° Lexbase : A9851HZU). Le Conseil constitutionnel n'avait jamais tranché cette question, mais il a simplement constaté dans sa décision "qu'aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n'a fixé le principe selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription". En effet, aucun texte antérieur à 1946 n'a fixé un principe général de prescription dans le champ disciplinaire, que ce soit pour les professions réglementées ou pour les fonctionnaires, ce qui fait obstacle à la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (sur les critères présidant à leur reconnaissance, voir Cons. const., décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 N° Lexbase : A8180ACX).

2 - Cas de l'incompétence négative

On sait que l'incompétence négative du législateur est invocable dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité dans les conditions énoncées par la décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI, troisième considérant) : "La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Ce moyen n'est, cependant, guère accueilli.

On peut donc signaler que le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article L. 321-5-1 du Code forestier (N° Lexbase : L8028IMB) (Cons. const., décision n° 2011-182 QPC, du 14 octobre 2011 N° Lexbase : A7386HY9) en relevant que, si ces dispositions instituent des servitudes, le législateur n'a prévu ni le principe d'une procédure destinée à permettre aux propriétaires intéressés de faire connaître leurs observations, ni aucun autre moyen destiné à écarter le risque d'arbitraire dans la détermination des propriétés qui devront supporter la servitude. Le législateur est donc censuré pour être resté en deçà de sa compétence, en négligeant de prévoir les modalités de protection de l'exercice du droit de propriété.

II - Le fonctionnement de la nouvelle procédure

A - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation

1 - Les éléments constitutifs de l'instance

La Cour de cassation considère qu'il résulte du désistement de son pourvoi en cassation par l'auteur d'une question prioritaire de constitutionnalité que l'instance à l'occasion de laquelle la question a été soulevée n'est plus en cours, de sorte que cette question est devenue sans objet (Cass civ. 1, 9 novembre 2011, n° 11-17.604, F-D N° Lexbase : A6570IBX). A première vue, cette solution éloigne la Cour de cassation du Conseil constitutionnel, lequel juge que "le constituant, en adoptant l'article 61-1 de la Constitution, a reconnu à tout justiciable le droit de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit [...] la modification ou l'abrogation ultérieure de la disposition contestée ne fait pas disparaître l'atteinte éventuelle à ces droits et libertés [...] elle n'ôte pas son effet utile à la procédure voulue par le constituant [...] par suite, elle ne saurait faire obstacle, par elle-même, à la transmission de la question au Conseil constitutionnel au motif de l'absence de caractère sérieux de cette dernière" (Cons. const., décision n° 2010-16 QPC, du 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9194E4B).

Il s'agit pourtant de deux hypothèses différentes. Dans celle réglée par le Conseil constitutionnel, en effet, la question avait été transmise au juge des lois et la question de constitutionnalité était parvenue à son stade ultime. Dans celle réglée par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation pouvait difficilement faire abstraction du désistement du requérant, eu égard aux conditions de transmission de la question. Celle-ci, en effet, ne peut être transmise que si elle porte sur une disposition législative applicable au litige. Or, il n'y avait plus de litige devant la Cour de cassation ! Il n'était donc pas possible de transmettre la question puisque c'eût nécessairement été considérer que la disposition législative contestée était applicable à un litige éteint.

2 - La notion de question sérieuse

La transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel est conditionnée à son caractère nouveau ou sérieux. La vérification de cette dernière branche de l'alternative fait nécessairement des juridictions suprêmes (et, le cas échéant, avant elles, des juridictions ordinaires vérifiant que "la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux") des juges "négatifs" de la constitutionnalité, ne pouvant décider que de l'absence d'inconstitutionnalité. Ce contrôle prend parfois appui sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On verra, ainsi, le Conseil d'Etat prendre appui sur un célèbre principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel, selon lequel "à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation, ou la réformation des décisions prises par les autorités exerçant le pouvoir exécutif dans l'exercice des prérogatives de puissance publique", pour juger qu'il n'y a pas lieu de renvoyer une question au Conseil constitutionnel, après avoir considéré que le recours ouvert contre les déclarations d'utilité publique mentionnées aux articles L. 11-1 (N° Lexbase : L8041IMR) et L. 11-2 (N° Lexbase : L2891HLN) du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ainsi que les arrêtés de cessibilité mentionnés à l'article L. 11-8 du même code (N° Lexbase : L2900HLY)) devant le juge administratif "revêt, bien qu'il n'ait pas d'effet suspensif de plein droit, un caractère effectif et ne méconnaît ni l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D), ni l'importance des attributions conférées à l'autorité judiciaire en matière de protection de la propriété immobilière par les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 351890, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9090HZP).

Mais, comme on a déjà pu l'indiquer, ce contrôle voit parfois la juridiction suprême se substituer à la juridiction constitutionnelle. Il en va, notamment, ainsi lorsqu'elle exerce un véritable contrôle de proportionnalité. Il en va encore ainsi lorsque le Conseil d'Etat décide qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité après avoir considéré "que -à supposer, d'ailleurs, que les dispositions contestées soient applicables au litige dont le tribunal administratif d'Orléans est saisi- la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux" (CE 3° et 8° s-s-r., 13 décembre 2011, n° 353307, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5004H8T). Or, dans cette affaire, le Conseil d'Etat a pris le soin d'écarter, en quatre considérants successifs, quatre griefs tirés de la violation du droit de propriété énoncé à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1364A9E), des principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales garantis par les articles 72 (N° Lexbase : L0904AHX) et 72-2 (N° Lexbase : L8824HBG) de la Constitution, du principe d'égalité devant la loi protégé par l'article 6 de cette Déclaration (N° Lexbase : L1370A9M), et du principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public.

Sans doute une telle décision pourrait-elle s'apparenter aux décisions rejetant au fond "sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité". De fait, elle a le mérite de trancher définitivement la question de la constitutionnalité des dispositions contestées et d'éviter aux requérants de saisir à nouveau, mais en vain, le juge administratif suprême. Il n'en demeure pas moins que l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), fait, au moins formellement, de l'applicabilité au litige de la disposition contestée la première condition de la transmission de la question. Mais on peut, alors, relever que ce contrôle de constitutionnalité négatif exercé, en l'espèce, indépendamment de l'applicabilité au litige, est cohérent avec le caractère abstrait du contrôle exercé dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité qui conduit le Conseil constitutionnel à juger que la méconnaissance éventuelle d'une exigence constitutionnelle dans l'application d'une disposition législative n'a pas, en elle-même, pour effet d'entacher cette disposition d'inconstitutionnalité (Cons. const., décision n° 2010-80 QPC, du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1872GNN).

3 - La décision de la juridiction suprême

Les dispositions du premier alinéa de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, aux termes desquelles "si le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel" ont reçu leur première application. La Cour de cassation avait, en effet, été saisie d'une question soulevée devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Tarbes, et son examen avait été fixé à l'audience du 21 septembre 2011. Mais si la question avait été enregistrée le 22 juin 2011, elle avait été reçue à la Cour de cassation le 20 juin 2011. Or, le délai fixé par l'ordonnance du 7 novembre 1958 court à compter de la réception de la question, et non à compter de son enregistrement. Ne s'étant pas prononcée dans le délai prévu (vraisemblablement par erreur (4)), la Cour de cassation a donc dû constater son dessaisissement (Cass. QPC, 21 septembre 2011, n° 11-40.046, F-D N° Lexbase : A9600HXT), avant que le dossier ne soit transmis au Conseil constitutionnel de greffe à greffe.

Le Conseil constitutionnel s'est alors interrogé, apprend-on par le commentaire à paraître aux Cahiers, sur le point de savoir si le fait que la question prioritaire de constitutionnalité n'avait pas donné lieu à une décision de renvoi après le filtre devait modifier son office ou l'étendue de son contrôle. En effet, celui-ci juge avec constance qu'il ne lui appartient pas "de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites" (Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 N° Lexbase : A6283EXY, sixième considérant). Devait-on en déduire, a contrario, qu'en l'absence de décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, il incomberait au Conseil constitutionnel de vérifier que ce critère est satisfait ?

Le Conseil constitutionnel n'a pas souhaité s'engager dans cette voie en considérant que rien, dans les textes, ne lui confère le pouvoir de s'intéresser au litige à l'origine de la question prioritaire de constitutionnalité et de statuer différemment selon qu'il est saisi par une décision de renvoi, ou par l'effet de l'expiration des délais. Le Conseil constitutionnel s'est donc prononcé comme si la question lui avait été renvoyée par un arrêt de la Cour de cassation, et il n'a donc pas contrôlé l'applicabilité au litige des dispositions contestées (Cons. const., décision n° 2011-206 QPC, du 16 décembre 2011 N° Lexbase : A2902H8Y). On peut penser qu'un tel contrôle aurait été superfétatoire : l'applicabilité au litige de la disposition contestée n'avait-elle pas déjà été contrôlée par le juge de Tarbes lorsqu'il avait transmis la question à la Cour de cassation ? A cet égard, si l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 impose aux juridictions suprêmes de vérifier que la disposition contestée est applicable au litige, la vérification de cette condition est surtout utile lorsque la question est soulevée directement devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. La transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par l'effet du dessaisissement de la Cour de cassation ne devait donc pas conduire le Conseil constitutionnel à vérifier l'applicabilité au litige de la disposition contestée. Peut-être aurait-il dû en aller autrement si la question avait été soulevée directement devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation.

B - La procédure devant le Conseil constitutionnel

1 - L'accès au Conseil constitutionnel

Deux décisions rendues à quelques semaines d'écart illustrent la manière dont le Conseil constitutionnel peut apprécier la recevabilité des interventions présentées devant lui dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. Dans la première décision, étaient en cause plusieurs dispositions législatives du Code pénal, du Code de la défense et du Code de procédure pénale organisant le secret défense. On apprend, à la lecture du commentaire à paraître aux Cahiers, qu'un syndicat de magistrats avait demandé à intervenir mais que le Conseil, estimant qu'il ne justifiait pas d'un "intérêt spécial" au sens du deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, n'a pas accédé à cette demande. Mais la décision est muette sur cette demande d'intervention qu'elle ne vise même pas (Cons. const., décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011 N° Lexbase : A9093HZS). Dans la seconde, en revanche, le Conseil constitutionnel a admis les observations en intervention présentées par le Syndicat des avocats de France qui a pu justifier d'un "intérêt spécial" au soutien de la question dirigée contre le 1° du paragraphe I de l'article 74 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 (Cons. const., décision n° 2011-198 QPC du 25 novembre 2011 N° Lexbase : A9850HZT). A la différence de la précédente, cette décision vise les observations en intervention d'un syndicat d'avocats et indique dans ses motifs "que, selon le requérant et l'intervenant [la disposition législative attaquée] méconnaît le droit au recours juridictionnel effectif et, en conséquence, le principe d'égalité devant la justice et le principe de prévisibilité de la loi" (deuxième considérant). Rien n'est donc dit des raisons ayant conduit le Conseil constitutionnel à admettre l'intervention dans un cas, et à la rejeter dans l'autre. On peut le regretter dans la mesure où la modification du 21 juin 2011 du règlement intérieur de procédure applicable en matière de question prioritaire de constitutionnalité a fait de la capacité à justifier d'un "intérêt spécial" la condition de recevabilité des interventions ; il serait donc souhaitable que le Conseil constitutionnel indique quel sens il entend donner à ce standard.

2 - Suites de l'audience

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution plusieurs dispositions du Code monétaire et financier, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance (N° Lexbase : L4185IG4) (Cons. const., décision n° 2011-200 QPC, du 2 décembre 2011 N° Lexbase : A0514H3G). Cette affaire a donné lieu, pour la première fois, apprend-on à la lecture du commentaire à paraître aux Cahiers, au dépôt d'une note en délibérée. Celle-ci est mentionnée dans les visas de la décision, ainsi que dans la réponse qui lui a été apportée par une autre partie. Il s'en déduit, d'abord, que la note en délibéré est recevable dans le cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Une telle solution n'allait pas de soi et il y a lieu de s'en féliciter, car la jurisprudence administrative a, d'ores et déjà, montré que la note en délibéré peut être utile, par exemple en permettant d'attirer l'attention de la juridiction sur un mémoire n'ayant pas été soumis à la contradiction (CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 263115, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1340DKT) -notons, cependant, qu'une telle fonction peut être remplie par les plaidoiries des avocats-.

On notera encore que la note a été soumise à la contradiction. Là encore, une telle solution n'allait pas de soi, car le juge administratif est seulement obligé de "prendre connaissance" de la note avant de rendre sa décision et, s'il peut décider de rouvrir l'instruction si "l'intérêt d'une bonne justice" lui paraît commander de soumettre la note à un débat contradictoire, il n'est tenu de le faire que si la note invoque une circonstance de fait dont la partie ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction, et que le juge ne saurait ignorer sans "fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts" ou "une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devait relever d'office" (CE 5° et 7° s-s-r., 12 juillet 2002, n° 236125, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1581AZL, Rec. CE, p. 278). Malheureusement, la décision commentée ne dit rien des raisons pour lesquelles la note a été soumise à la contradiction. On ignore, en particulier, si c'est pour de seules considérations d'opportunité que le Conseil constitutionnel l'a soumise à la contradiction, ou s'il a considéré que la note apportait des éléments nouveaux, quels qu'ils soient, devant être discutés par l'ensemble des parties. La jurisprudence administrative, à cet égard, ne permet pas de déterminer avec précision quel sort a été réservé à la note. En effet, un arrêt du 27 février 2004 indique que, lorsqu'il est saisi d'un mémoire postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge doit, "dans tous les cas", en "prendre connaissance" avant de rendre sa décision et "le viser sans l'analyser" (CE, S., 27 février 2004, n° 252988, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3647DBP). Mais le même arrêt précise que le juge administratif, dans tous les cas où il est amené à tenir compte d'une note en délibéré, doit la soumettre au débat contradictoire après l'avoir visée et analysée. Or, dans la présente affaire, la note n'a pas été analysée dans les visas mais elle a tout de même été soumise à la contradiction. C'est dire que le régime défini par les deux arrêts précités n'a pas été repris par le Conseil constitutionnel. Malheureusement, celui-ci s'étant gardé de préciser quelles règles il entendait appliquer, les observateurs en seront réduits aux conjectures dans l'attente d'une clarification qui ne pourra venir que de la jurisprudence ou d'une modification du règlement de procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, bref, du seul Conseil constitutionnel.


(1) Voir notre chronique précédente, QPC : évolutions procédurales récentes - juillet à septembre 2011, Lexbase Hebdo n° 223 du 16 novembre 2011 - édition publique (N° Lexbase : N8621BS4).
(2) Voir notre chronique précédente, QPC : évolutions procédurales récentes - avril à juin 2011, Lexbase Hebdo n°212 du 31 août 2011 - édition publique (N° Lexbase : N7348BSX).
(3) Lire Le Conseil constitutionnel et la Charte de l'environnement.
(4) Voir en ce sens l'analyse de F. Poulet, Cour de cassation et QPC : un déssaisissement saisissant..., le Blog de droit administratif, 5 décembre 2011.

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Sociétés

[Jurisprudence] Cession du bail commercial consécutif à une scission : essai sur la rédaction sibylline de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce

Réf. : CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 22 septembre 2011 n° 10/04401(N° Lexbase : A5836HYS)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 02 Février 2012

Natura abhorret a vacuo ("La nature a horreur du vide"), nous rappelle l'adage. Mais, le vide du texte, pour le juriste, ne se comble pas si facilement. L'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 22 septembre 2011 vient, ainsi, face au problème posé par l'absence de mention des scission dans l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L5744AIL), donner une amorce de solution au problème, particulièrement complexe, du transfert de bail commercial consécutif à une telle opération. L'article précité, vide de toute mention expresse aux opérations de scission, ne traite en effet que des fusions et des apports partiels d'actifs, ne permettant pas, jusqu'à présent, d'encadrer les scissions comportant un transfert de bail commercial avec une sécurité juridique satisfaisante. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 22 septembre 2011, une SCI avait consenti par acte du 22 décembre 2005, un bail commercial portant sur un local commercial à une SARL, qui exploitait, par ailleurs, un autre fonds de commerce. Par traité de scission définitif du 20 août 2007, la société preneuse avait été dissoute et son patrimoine transmis à deux sociétés nouvelles, le fonds de commerce locataire de la SCI étant transféré à l'une d'elles, les deux entités étant des SARL. La SCI, estimant que l'opération de scission était constitutive d'une "cession pure et simple du fonds de commerce" et soumise, en tant que telle, aux dispositions applicables à la cession du bail commercial, assigne, alors, la société locataire et les deux sociétés nouvelles issues de la scission devant le TGI de Nanterre. Elle demande, à ce titre, la résiliation judiciaire du bail, l'expulsion des sociétés des locaux, et forme opposition à la scission, soutenant qu'elle aurait dû être appelée à l'acte 15 jours à l'avance, ainsi qu'il était mentionné dans le bail. Le TGI de Nanterre, décidera, toutefois, par un jugement rendu le 18 mais 2008, que la scission était régulière et que la SCI devait être déboutée de ses demandes, l'opération contestée ayant permis la transmission universelle de patrimoine aux sociétés nouvelles issues de la scission et, partant, la substitution légale des preneurs prévus à l'article L. 145-16 (pour un commentaire de cette décision : P.-H. Brault, Loyers et Copropriété, n° 5, mai 2011, comm. 149). La SCI interjette, alors, appel, l'affaire étant portée devant la cour d'appel de Versailles qui confirme les solutions des premiers juges. Elle tranche, ainsi, un problème juridique ancien, né de la rédaction ambiguë de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce qui dispose que : "en cas de fusion de sociétés ou d'apport d'une partie de l'actif d'une société [...] la société issue de la fusion ou la société bénéficiaire de l'apport est [...] substituée à celle au profit de laquelle le bail était consenti [...]". Cette disposition, en effet, n'évoquant que l'hypothèse d'une fusion ou d'un apport partiel d'actif, la doctrine s'était divisée quant à la reconnaissance du principe de la transmission automatique du bail commercial à l'une des sociétés issues ou bénéficiaire de la scission (I). L'arrêt de la cour d'appel, à l'appui d'une motivation particulièrement claire, englobe la scission dans le champ d'application de l'article L. 145-16, alinéa 2 (II), solution qui paraît restituer la cohérence du régime général des fusions, mais qui n'est pas exempte de certaines incertitudes.

I - Les hypothèses quant à l'interprétation de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce

En l'absence de jurisprudence explicite sur la question, les dispositions de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce apparaissaient, jusqu'ici, suffisamment obscures (I), pour que la doctrine en propose trois interprétations (II), l'écart entre ces analyses rendant toutefois difficile le choix quant aux solutions à appliquer à la transmission d'un bail commercial encas de scission.

A - L'ambiguïté de la rédaction de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce

La question de la transmission du bail commercial en cas de scission, ne saurait être appréhendée sans rappeler l'articulation des textes qui encadrent le régime des fusions, scissions et apports partiels d'actifs, cette dernière opération y étant optionnellement assimilable.

Le Code civil, d'abord, en son article 1844-4 (N° Lexbase : L2024ABL), dispose, dans une rédaction assez vague, "qu'une société [...] peut être absorbée par une autre société ou participer à la constitution d'une société nouvelle, par voie de fusion. Elle peut aussi transmettre son patrimoine par voie de scission à des sociétés existantes ou à des sociétés nouvelles". Le Code de commerce, dans son article L. 236-3, I (N° Lexbase : L6353AI7), complète, quant à lui, le principe ainsi posé en renforçant l'idée d'un régime de base commun aux deux opérations, celui de la transmission universelle de patrimoine lié à la dissolution des anciennes sociétés existantes, et ce, sans liquidation : "la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération" (adde, en ce sens, Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, publié N° Lexbase : A5695ABK, Bull. civ. IV, 1993, n° 214 ; D., 1993, inf. rap. p. 153 ; JCP éd N., 1994, II, p. 30, note H. Le Nabasque ; D., 1995, somm. p. 153, obs. L. Rozès).

Intimement liées, les fusions et scissions sont ainsi soumises, sauf exceptions mineures, au même encadrement juridique, ce qui pourrait inciter à considérer que le législateur, assimilant implicitement les deux opérations, aurait fait l'économie de la mention de ce mécanisme dans la rédaction de l'article L. 145-16, alinéa 2. A l'appui de cette analyse, on relèvera que le régime des scissions par apport à des sociétés existantes, tel qu'encadré par les dispositions de l'article L. 236-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L3112IQC), est étroitement comparable à l'opération de fusion-absorption des articles L. 236-9 (N° Lexbase : L3114IQE) et L. 236-10 (N° Lexbase : L2498IB7) du Code de commerce.

C'est, toutefois, prêter au législateur des intentions qu'il semble difficile d'étayer lorsqu'on constate que parallèlement, ce dernier opère une séparation constante des deux notions dans le Code de commerce. Ainsi, l'article L. 236-1, par exemple, établit-il, sous une forme quelque peu différente de l'article 1844-4 du Code de civil, une distinction entre les deux types de fusion (absorption ou combinaison) et les deux types de scissions (à des sociétés existantes ou des sociétés nouvelles). A l'évidence les opérations sont, certes, traitées sur le même plan quant à leur régime juridique, mais leur nature, aussi bien que leurs conséquences pratiques ne sont, en revanche, pas comparables et les textes ne font, en définitive, que matérialiser cette opposition.

Enfin, un autre argument milite en défaveur d'un renvoi implicite à la scission dans l'article L. 145-6 : ce dernier, exceptio est strictissimae interpretationis, doit faire l'objet d'une interprétation restrictive, en tant qu'il introduit une exception au principe de cession des baux commerciaux. Confrontée à la complexité du décodage de la disposition précitée, on comprend que la doctrine soit restée indécise au point d'en proposer trois interprétations.

B - Les trois interprétations doctrinales de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce

La première, somme toute plus intuitive que les autres, a consisté à combler le vide du texte en considérant que, le législateur, en évoquant la fusion, avait fait implicitement rentrer la scission dans le champ d'application de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce, assimilant, de la sorte, les deux opérations sous l'égide du régime unique de transmission universelle de patrimoine (J. Viatte, Revue des loyers, 1967, p. 86 ; plus récemment, J. Monnet, Juris-classeur, Entreprise individuelle, fasc. 4510, n° 14 ). On imagine mal, en effet, que le texte puisse exclure la scission pour une raison logique assez simple : en faisant rentrer expressément l'apport partiel d'actif dans son champ d'application alors même que ce dernier n'est qu'optionnellement soumis au régime des fusions, il aurait nécessairement englobé les scissions qui y sont, de droit, assimilées (pour l'application de ce régime à une SARL, comme en l'espèce, J. Monnet, JCP éd. E, 2003, 1206)

Cette analyse n'est toutefois pas exempte de critiques car, et ce point a été souligné, le principe d'interprétation restrictive des exceptions ne permet pas de tirer de telles conséquences du texte. Au surplus, lorsque les sociétés issues de la scission ne sont constituées que des seuls apports constitués par la division de l'ancienne société dissoute, on peut difficilement soutenir que l'opération est une fusion. On y voit plus souvent que la création de sociétés nouvelles. Elle y est assimilée, il est vrai, en droit fiscal, mais les dispositions de ce dernier étant placées, théoriquement, sous un régime d'autonomie, tout raisonnement analogique risque de devenir spécieux. En pratique, ce n'est pas parce que les opérations de fusions et scissions donnent toutes deux lieu à transmission universelle de patrimoine, et que leur traitement fiscal est identique, qu'elles peuvent être considérées comme étant de même nature. Dans un cas, en effet, des sociétés n'en forment plus qu'une seule ; dans l'autre, une société dissoute donne naissance à plusieurs personnes morales. Des auteurs estiment, ainsi, qu'un bail transmis dans le cadre d'une scission ne saurait être soumis au régime de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce (J Archevêque, J-M Legrand, P de Belot, Le statut des baux commerciaux, Sirey, 1954, cf. in Lamy Droit commercial, 2011 n° 1197).

L'interprétation restrictive ainsi proposée, n'est, toutefois, en dépit de sa rigueur, guère satisfaisante en tant qu'elle ignore l'hypothèse d'une scission donnant lieu à une transmission universelle de patrimoine à des sociétés "préexistantes" (sur l'incertitude de la notion, voir infra). Dans ce cas, le régime applicable est bien celui des fusions et, à ce titre la Cour de cassation a confirmé que, sous cette égide, le bail commercial dont l'absorbée est titulaire est transmis à l'absorbante sans qu'il soit besoin de respecter les formalités protectrices de la cession de bail (Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, préc. ; Defrénois 1993, 1210, obs., P Le Cannu).

Il s'ensuit que la plupart des auteurs estiment que lorsque les sociétés bénéficiant de l'apport consécutif à une scission étaient préexistantes, on pourrait admettre que le bail soit transmis dans les conditions prévues à l'article L. 145-16 alinéa 2. (cf. C. Quément, Jurisclasseur Cession du bail commercial, fasc. 1450, n° 131, adde, dans le même sens, auparavant F Givord, ibid., n° 149). Pour autant, en l'absence de jurisprudence, la doctrine demeurait indécise quant à l'insécurité juridique susceptible de naître de cette ultime interprétation, au point de prodiguer des conseils particulièrement mesurés aux praticiens : "il paraît prudent de se référer aux formalités contractuelles et légales de la cession de bail, en cas de scission. Surtout s'il s'agit d'une scission où la société transmet son patrimoine à des sociétés nouvelles qui ne comprennent pas d'autre actif que celui transmis" (C. Quément, op.cit., ibid.).

II - La scission dans le champ d'application de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce

Il est remarquable de constater que la cour d'appel de Versailles, aussi bien que le tribunal de grande instance de Nanterre, aient pu adopter, la plus extensive des interprétations de la doctrine (A), ouvrant, de la sorte, la voie à une éventuelle évolution de la jurisprudence (B) qui, toutefois, demeure encore hypothétique en raison de l'obstacle que constitue la condition de la préexistence des sociétés bénéficiaires.

A - L'interprétation extensive de la cour d'appel

La cour d'appel, dans sa motivation, va confirmer la solution dégagée par le tribunal de grande instance de Nanterre à l'appui d'un raisonnement exemplaire. Elle prend le soin, au préalable, de rappeler le silence de la loi quant à l'application du principe de la transmission du bail en cas de scission. Ceci étant posé, elle va, en soulignant sa double démarche d'analyse, opérer une interprétation "par analogie et a fortiori".

S'appuyant, en premier lieu, sur l'analogie elle souligne que "la scission comme la fusion emporte de plein droit la transmission universelle de patrimoine", reprenant, en cela, l'argument de la similitude de régime suggéré par la doctrine. Utilisant, ensuite, le raisonnement a fortiori, elle rappelle que l'article examiné s'applique à l'apport partiel d'actif "lorsque les parties l'on volontairement soumis à la scission", ce qui, sans aucun doute, permet d'englober les scissions stricto sensu dans le champ d'application du texte. Elle peut, ainsi, en conclure que : "les sociétés bénéficiaires d'une scission, sont, nonobstant toute stipulation contraire, substituées à la société scindée au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations de ce bail".

Les magistrats ajouteront, par ailleurs, pour souligner l'analogie ainsi démontrée, que les dispositions de l'article R. 236-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5741ICM) n'opèrent aucune distinction entre le sort réservé au bailleur en cas de fusion ou de scission instaurant, de la sorte, "le transfert de plein droit du bail". On relèvera que cette remarque emporte moins la conviction, sans doute, que le raisonnement précédent. En effet, le texte invoqué étant de nature réglementaire, il ne saurait contredire les dispositions légales d'ordre public de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce, et la logique adoptée nous semble quelque peu décalée face aux mécanismes les plus rigoureux d'interprétation.

Relevant, par ailleurs, que la société bailleresse n'avait pas usé du droit reconnu au bailleur de s'opposer à la scission ni n'allègue que cette scission soit intervenue en fraude du droit de ses droits de créanciers, l'arrêt confirme le jugement, au motif que, "par le seul effet de la scission, nonobstant les clauses du bail, la société [bénéficiaire de la scission] est donc substitué dans tous les droits et obligations nés du bail consenti a la société [scindée], en cours au jour de la scission ".

B - une interprétation extensive limitée par la notion de préexistence

Si l'interprétation adoptée séduit, tant au plan des principes par la clarté du raisonnement qui la fonde ainsi, qu'au plan pratique par l'accroissement de la sécurité juridique qui pourrait en résulter, on ne saurait, toutefois, y adhérer sans réserve. Les appelants, en effet, s'appuyaient, dans leurs conclusions, sur l'interprétation de l'article L. 236-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L6374AIW), pour exclure l'opération réalisée, soutenant que la scission d'une société à responsabilité limitée, selon les conclusions rapportées, serait "soumise à la condition que les sociétés bénéficiaires de la scission pré-existent".

Le fondement invoqué, toutefois, n'évoque pas expressément cette hypothèse puisqu'il dispose que : "la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions applicables en cas de scission par apports à des sociétés à responsabilité limitée existantes". Ainsi, le texte n'étant pas destiné à encadrer les opérations de scission, le juge du fait avait pu écarter la prétention au motif explicite que "cet article ne concerne que l'apport partiel d'actif soumis volontairement au régime de la scission".

La réponse donnée, cependant, nous semble contourner la question soulevée. En effet, à partir d'un argument déjà dégagé par la doctrine -à savoir la difficulté à concevoir que, lorsque les sociétés nouvelles ont eu pour seul apport, les actifs issus de la société scindée, l'opération puisse être qualifiée de fusion-, les appelants contestaient la solution des premiers juges, en raison de l'absence de "préexistence" des sociétés bénéficiaires de la scission. Or, cette position pourrait, éventuellement, trouver appui dans l'interprétation jurisprudentielle de l'article L. 236-24 du Code de commerce. En effet, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 14 septembre 2001 (CA Paris, 16ème ch., sect. B, 14 septembre 2001, n° 2000/02273 N° Lexbase : A1114DBU, obs. A. Viandier et J.-J. Caussin, JCP. éd. E, 2002, p. 900), avait pu décider qu'un apport partiel d'actif entre des sociétés à responsabilité limitée ne pouvait être soumis au régime des scissions qu'à la condition que la société bénéficiaire de l'accord préexiste à l'opération.

En d'autres termes, si l'omission de la mention de la scission dans l'article L. 145-16 était la conséquence d'une erreur de plume et qu'il faudrait, en conséquence, considérer que les régimes de la scission et de l'apport partiel d'actif sont similaires, alors, la condition de la préexistence des sociétés bénéficiaires de la transmission universelle de patrimoine s'imposerait aux scissions pour que le bail soit transmis de plein droit. Cette notion de préexistence, cependant, est particulièrement complexe. Que faut-il entendre par ce terme ? La société préexistante doit-elle être en activité ou peut-elle être simplement créée, les apports n'étant constitués que par les actifs issus de la fusion ? La doctrine, on l'a vu, pencherait plutôt, pour la première hypothèse, mais sans guère de conviction.

Indirectement, la Cour de cassation devait, en 2003, traiter de solution (Cass. civ 3, 30 avril 2003, n° 01-16.697, FS-P+B N° Lexbase : A7555BSM, Bull. Joly, 2003, § 190, p. 913, n. M.-L. Coquelet ; D., 2003, p. 1367, obs. A. Lienhard). Une cour d'appel avait, en effet, décidé que les dispositions de l'article L. 263-24 étaient inapplicables à une transmission universelle de patrimoine à une société "créée spécialement en vue de l'apport partiel d'actif", la condition de la préexistence de la société bénéficiaire n'étant pas remplie. Le juge du droit cassera l'arrêt au motif que la société, "régulièrement immatriculée avant la convention d'apport partiel d'actif, préexistait à cet apport". Ainsi, en pratique, les sociétés bénéficiaires pourraient, à la simple condition d'avoir été immatriculées préalablement à la convention d'apport partiel d'actif, recevoir lesdits apports sous le régime de la scission.

On pourrait, de la sorte, imaginer que ce régime, dégagé à propos des apports partiels d'actif, pourrait également s'appliquer aux scissions stricto sensu, en application de l'article L. 145-16, et se trouveraient soumises à un régime hybride, entre celui de la fusion et de l'apport partiel d'actif.

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