La lettre juridique n°803 du 21 novembre 2019

La lettre juridique - Édition n°803

Actes administratifs

[Brèves] Obligation de motivation d’un refus de proroger un permis exclusif de recherches

Réf. : (CE 5° et 6° ch.-r., 13 novembre 2019, n° 419618, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9053ZXL)

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N1182BYG

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par Yann Le Foll

Le 20 Novembre 2019

La décision de refus de proroger un permis exclusif de recherches est soumise à l'obligation de motivation.

 

 

Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 13 novembre 2019 (CE 5° et 6° ch.-r., 13 novembre 2019, n° 419618, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9053ZXL).

 

 

Contexte. Il résulte de l'article L. 142-2 du Code minier (N° Lexbase : L4338IPD) que le titulaire d'un permis exclusif de recherches peut en obtenir la prolongation sans nouvelle mise en concurrence soit de droit, à deux reprises, pour une durée de cinq ans au plus, la superficie du permis étant alors réduite à l'occasion de chaque renouvellement, soit de manière dérogatoire, pour l'une des périodes de validité de ce permis, pour une durée de trois ans au plus et sans réduction de surface, en cas de circonstances exceptionnelles.

 

Eu égard à sa portée, la décision par laquelle l'autorité administrative refuse de faire droit, en cas de circonstances exceptionnelles, à une demande de prolongation de l'une des périodes de validité d'un permis exclusif de recherches, doit être regardée comme un refus d'autorisation, au sens de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7), et soumise à ce titre à l'obligation de motivation.

 

 

Solution. Les requérantes sont fondées à soutenir que la cour administrative d'appel (CAA Bordeaux, 6 février 2018, n° 16BX03192 N° Lexbase : A3314XH9) a commis une erreur de droit en jugeant que la décision de refuser une telle prolongation dérogatoire n'entrait dans aucune catégorie prévue par la loi du 11 juillet 1979 et n'était pas au nombre des décisions devant être motivées.

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Avocats

[Focus] L’avocat en entreprise : boîte de Pandore ou cheval de Troie ?

Lecture: 45 min

N1202BY8

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par Rodolphe Bigot, Maître de conférences en droit privé, Université de Picardie Jules Verne, UFR de Droit et Science politique, CEPRISCA - EA 391 et Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

Le 21 Novembre 2019


Mots-clefs : Rapport "Gauvain" • Avocats en entreprise • Réforme


 

D’aucuns aimeraient ouvrir une nouvelle boîte de Pandore, celle de l’avocat en entreprise, en lui interdisant, dans un premier temps du moins, de pouvoir plaider. Cette stratégie de réforme en plusieurs coups est bien connue, elle ne serait alors qu’un cheval de Troie. Du moins se rendrait-on compte trop tardivement que ces réformateurs jouaient aux apprentis sorciers. A n’en pas douter, d’importants lobbyings sont à l’œuvre. Parmi les grands spécialistes du procès, de grandes entreprises, des sociétés d’assurances et des établissements bancaires entendent de longue date pénétrer le marché du droit, le capter et se dispenser corrélativement du recours aux avocats pour la rédaction d’actes et la représentation de leurs intérêts en justice. Les dangers d’un tel projet sont enfouis dans le discours dominant. Les avantages sublimés. Et ces acteurs n’ont aucune difficulté à se trouver des serviteurs.

A la demande du Premier ministre, un rapport a été établi par Raphaël Gauvain, député de Saône-et-Loire, Claire d’Urso, inspectrice de la Justice et Alain Damais, inspecteur des Finances. Intitulé de manière prometteuse et ambitieuse «Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale», le rapport a été remis le 26 juin 2019. Pareil titre ne peut mettre que tout le monde d’accord.

On pourra observer que le sujet fait actuellement beaucoup de bruit. Les revues juridiques l’évoquent à l’envi, des colloques y sont consacrés au point que l’on se demande s’il n’est pas utile de rappeler cet aphorisme de Saint François de Sales, «le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit».

Les arguments parfois déployés vont jusqu’à laisser poindre, pour ceux qui ne seraient pas convaincus par l’avocat en entreprise, une perte de clientèle, c’est-à-dire à terme des difficultés financières pour les cabinets [1].

Au titre des offensives destinées à faire passer un projet de loi sur l’avocat en entreprise, d’aucuns déclarent, comme Madame Lavorel, directrice juridique internationale de Broadcom, présidente du Cercle Montesquieu, que «Les grandes directions juridiques internationales sont réticentes à venir s’installer en France puisque le directeur juridique ne peut pas donner des avis de manière confidentielle. Pour le marché du droit, il serait plus profitable que les juristes d’entreprise puissent se prévaloir du legal privilege. Dans le contexte du Brexit, cela favoriserait l’implantation d’entreprises. Le statut d’avocat en entreprise ne sert pas le combat des directeurs juridiques, c’est un combat de Place, un sujet d’intérêt général» [2]. Or, on ne voit pas en quoi le legal privilege implique nécessairement la création du statut d’avocat en entreprise.

D’autres n’hésitent pas à affirmer que «le droit est un outil, et non une fin. Il vient au service d’une stratégie de croissance» [3], avant de conclure, sous un titre digne d’une réclame pour lessive -«Demain, plus forts encore»- : «Faisons un pari sur l’avenir. Dans moins de 5 ans, les avocats exerceront librement en entreprise. D’ici 10 ans ils auront fusionné avec les notaires et cinq ans plus tard avec les experts-comptables. Une grande profession de conseil et de la défense sera née» [4]. Encore une fois, rien n’est dit ici du passage obligé du legal privilege au statut d’avocat en entreprise. Dans la foulée, pourquoi ne pas tout faire d’un seul coup ? L’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation en entreprise, le notaire en entreprise, l’huissier de justice en entreprise, l’expert-comptable en entreprise, le commissaire aux comptes en entreprise, l’administrateur judiciaire en entreprise, etc. ?

Les arguments contenus dans le rapport «Gauvain» sont également des raccourcis qui auraient mérité d’être approfondis. Il est exact que ces dernières années des banques françaises ont été lourdement condamnées aux Etats-Unis. La première qui ait dû payer une amende de plusieurs milliards de dollars s’est exécutée en 2014. Il lui était reproché de ne pas avoir respecté les exigences d’un embargo, notamment à l’égard de l’Iran. En 2018, cette même entreprise devait payer plusieurs dizaines de millions de dollars pour avoir tenté de manipuler un indice de référence sur le marché des taux d’intérêt. Toutefois, il n’est pas besoin d’aller Outre-Atlantique pour que cette même banque soit condamnée en 2017 à une lourde amende à la suite d’une entente sur le traitement des chèques. On notera du reste qu’elle n’était pas seule dans le prétoire [5]. Il s’agissait d’une entente entre banques sur le traitement des chèques. On aimerait savoir en quoi la création de l’avocat de l’entreprise en France aurait permis d’échapper à ces condamnations, effectivement pénalisantes dans le bilan.

Dès lors, il convient de s’immerger dans le contenu du projet pour en apprécier la portée, en trompe-l’œil (I). Par suite de son examen, on s’interroge quant au cheval de Troie qu’élaborent les recommandations d’un tel rapport (II).

I - Un projet en trompe-l’œil

Le projet de création du statut d’avocat en entreprise est en trompe-l’œil, il détourne le regard en se focalisant sur des craintes et en attisant la peur, par l’instrumentalisation de la vulnérabilité des avis juridiques des juristes d’entreprises (A) puis par celle du risque de délocalisation des directions juridiques (B). Mais il faut bien appréhender qu’en réalité, si un tel projet se déployait, c’est le statut de la profession d’avocat qui deviendrait vulnérable, au point de pouvoir être majoritairement capté, à moyen terme, par les grandes sociétés. Cela ressemble donc fortement aux maux libérés qui étaient enfermés dans la boîte de Pandore.

A - L’instrumentalisation de la vulnérabilité des avis juridiques des juristes d’entreprises

Pleins phares sur la mesure phare. La mesure phare du rapport «Gauvain» consiste à admettre l’avocat en entreprise et permettre la confidentialité des avis de ces juristes [6].

Dans une synthèse «introductive», signe précurseur d’une méthode tronquée, il est affirmé que «Les Etats-Unis d’Amérique ont entraîné le monde dans l’ère du protectionnisme judiciaire. Alors que la règle de droit a, de tout temps, servi d’instrument de régulation, elle est devenue aujourd’hui une arme de destruction dans la guerre économique que mènent les Etats-Unis contre le reste du monde, y compris contre leurs alliés traditionnels en Europe. Les six mois d’investigations et d’auditions réalisées par la mission ont permis de dresser un constat largement partagé par les interlocuteurs rencontrés : les entreprises françaises ne disposent pas aujourd’hui des outils juridiques efficaces pour se défendre contre les actions judiciaires extraterritoriales engagées à leur encontre, que ce soit par des concurrents ou par des autorités étrangères. Elles sont dans une situation de très grande vulnérabilité, les autorités françaises donnant depuis de longues années le sentiment de la passivité et l’impression d’avoir renoncé. Depuis la fin des années 90, on a assisté à une prolifération de lois à portée extraterritoriale, essentiellement d’origine américaine, permettant aux autorités de la première puissance mondiale d’enquêter, de poursuivre et de condamner, sur des fondements divers (corruption, blanchiment d’argent, sanctions internationales, etc.), les pratiques commerciales d’entreprises ou d’individus du monde entier. Ces lois se sont ajoutées à des procédures civiles et pénales internes très intrusives («discovery») ou exerçant une forte pression sur les personnes mises en cause (transactions pénales) qui permettaient déjà d’obtenir hors de tout mécanisme d’entraide, et donc hors de tout contrôle des autorités françaises, une quantité importante de données relatives à nos entreprises» [7].

A ce titre, selon le rapport, le bilan des vingt dernières années serait édifiant : «plusieurs dizaines de milliards de dollars d’amendes ont été réclamées à des entreprises françaises, européennes, sud-américaines et asiatiques, au motif que leurs pratiques commerciales, leurs clients ou certains de leurs paiements ne respectaient pas le droit américain, alors même qu’aucune de ces pratiques n’avait de lien direct avec le territoire des Etats-Unis et/ou que ces entreprises se conformaient au droit de leur pays (s’agissant des sanctions internationales). Les exemples sont légions et ont fait les titres de la presse internationale : «BNP Paribas», «HSBC», «Commerzbank, Crédit Agricole», «Standard Chartered», «ING», «Bank of Tokyo», «Royal Bank of Scotland», «Siemens», «Alstom», «Télia», «BAE», «Total», «Crédit Suisse» et demain, peut-être, «Airbus», «Areva», etc. […]. Les sanctions prononcées sont disproportionnées et menacent la pérennité des sociétés étrangères visées, et semblent avoir pour but premier de les fragiliser dans la compétition internationale» [8].

Il existerait une vulnérabilité en matière civile et pénale, «fortement aggravée, en France, par l’absence de protection de la confidentialité des avis juridiques des juristes d’entreprises. Les entreprises évoluent dans un monde économique globalisé, dans lequel elles ont un besoin croissant d’avis juridiques pour les opérations qu’elles réalisent quotidiennement […]. Ce besoin croissant d’avis juridiques pose la question de leur confidentialité et de leur protection vis-à-vis des tiers, des concurrents comme des autorités. A cet égard, la France connaît une situation singulière en Europe et au sein des pays membres de l’OCDE en général : elle est un des rares pays à ne pas protéger du tout la confidentialité des avis juridiques émis par des juristes en entreprise, que ces juristes soient d’anciens avocats devenus salariés et qui se sont omis du barreau, ou des juristes en entreprise, diplômés en droit n’ayant jamais accéder au barreau ni exercé la profession d’avocat. C’est ainsi que : les juristes d’entreprise français sont soumis au secret professionnel, mais leurs avis juridiques ne sont pas protégés ; au sein des grandes puissances économiques, la France est aujourd’hui un des seuls pays où les avis juridiques des juristes en entreprise ne sont pas protégés ; en outre, en France, le secret professionnel des avocats n’est plus général et absolu, ce qui y affaiblit d’autant plus la protection des avis juridiques ; au total, les entreprises françaises se retrouvent dans une situation de grande vulnérabilité à l’égard des procédures administratives et judiciaires extraterritoriales» [9].  

Selon le rapport, «actuellement, les juristes d’entreprise sont dans une situation de grande vulnérabilité face aux demandes d’informations ou de pièces provenant de parties étrangères (au civil) ou d’autorités étrangères (enquêtes administratives/pénales) qui mettraient en œuvre des lois à portée extraterritoriale. Les avis juridiques qu’ils produisent ne bénéficient d’aucune protection en France et ne se voient donc accorder aucune protection par les autorités étrangères dans les procédures américaines» [10].

En définitive, les juristes d’entreprise français se retrouveraient «dans une situation paradoxale, dans laquelle ils sont contraints de respecter le secret professionnel au même titre que les avocats alors même que les avis juridiques qu’ils rédigent ne bénéficient pas de la protection du secret professionnel, contrairement à ceux des avocats» [11]. Mais ne convient-il pas de comparer des choses comparables ?  

Comparaison n’est pas raison. Le rapprochement avec les autres six autres membres du G7 est fait, sans prise en compte, naturellement, de l’équilibre propre à chaque système juridique. De la sorte, il est avancé qu’ « au sein des grandes puissances économiques, la France est aujourd’hui un des seuls et rares pays où les avis juridiques des juristes en entreprise ne sont pas protégés. L’absence de protection de la confidentialité des avis juridiques contraste fortement avec le droit qui prévaut chez la quasi-totalité de nos principaux partenaires économiques. La mission s’est focalisée sur les principales puissances économiques, partenaires les plus importants de la France : les six autres pays membres du G7, auxquels on a ajouté l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et l’Afrique du Sud. Dans la plupart de ces pays, les avis juridiques en entreprise sont protégés par une forme de confidentialité opposable à l’ensemble des autorités administratives et judiciaires, à commencer par les Etats-Unis et le Royaume-Uni ainsi que tous les autres pays anglo-saxons de «Common Law» ou de culture juridique proche (notamment l’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada, Hong Kong, la Nouvelle-Zélande, Singapour et beaucoup d’autres encore dans les Caraïbes, dans l’Océan indien et dans le Pacifique). Dans les pays de «Common Law», il n’existe aucune distinction entre avocats en cabinet et avocats en entreprise, tous étant protégés de la même façon par le «legal privilege» dans ces deux dimensions («attorney-client privilege» et «work-product privilege») pour l’ensemble de leurs avis et consultations juridiques communiqués à leurs clients (clients externes pour un avocat en cabinet, clients internes à l’entreprise pour les «in-house lawyer») : les avis juridiques des «in-house lawyers» sont protégés de toute saisie et diffusion dans des procédures pénales, administratives et civiles, comme ceux des avocats externes» [12].

De même, au-delà des pays de «Common Law», de nombreux autres pays développés, de culture et traditions juridiques différentes, y compris des pays européens de culture juridique de droit civil, auraient «progressivement adapté ou modifié leur droit de façon à assurer à leurs juristes d’entreprise des conditions de travail leur permettant d’exercer leurs compétences dans un environnement sécurisé, en protégeant la confidentialité des avis juridiques en entreprise. Ce faisant, ils leur ont également permis de bénéficier de conditions équivalentes à celles de leurs concurrents dans le monde anglo-saxon, ou, à tout le moins s’en rapprochant» [13].

Il est encore dit qu’ «En Europe, ce fut notamment le cas de l’Espagne, de l’Italie, des Pays-Bas, où un statut d’avocat en entreprise a été aménagé et où la confidentialité des avis juridiques des avocats en entreprise a été protégée. En Belgique, une profession spécifique de juriste d’entreprise a été créée : les juristes d’entreprise belges disposent d’une protection totale de la confidentialité de leurs avis juridiques, au civil, dans les procédures administratives et dans les enquêtes pénales. Seule l’Allemagne n’a pas conféré une protection complète à la confidentialité des avis juridiques des avocats en entreprise, en dépit d’une loi récente (2015) qui n’a pas traité le problème dans son entièreté. Dans l’Union européenne, seul le domaine du droit de la concurrence échappe à la protection des avis juridiques des juristes ou avocats en entreprise : par son arrêt du 14 septembre 2010, n° C- 550/07, ‘Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne[14], la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé que dans le domaine du droit européen de la concurrence les échanges au sein d’une entreprise avec un avocat interne ne bénéficient pas de la confidentialité des communications entre un avocat et son client. Hors d’Europe également, de nombreux pays se sont mis au niveau des Etats-Unis en conférant une protection à la confidentialité des avis juridiques des avocats en entreprise : c’est le cas, notamment, au Japon où les règles de confidentialité applicables aux avocats exerçant en cabinet sont également applicables aux avocats exerçant en entreprise» [15].

Les auteurs du rapport concluent qu’« Au total, les juristes d’entreprise français ne disposent pas des mêmes armes que leurs homologues dans d’autres pays. Ils se retrouvent dans une situation très défavorable dans laquelle leurs avis juridiques ne bénéficient d’aucune protection, alors que les avis émis par la quasi-totalité de leurs homologues à l’étranger (qu’ils soient avocats en entreprise ou juristes d’entreprise) sont protégés par des règles de confidentialité strictes, applicables tant dans les procédures civiles, qu’administratives et pénales »[16].

L’approche scientifique et objectivée. Cependant, la doctrine la plus autorisée, représentée par le professeur G’Sell, a pu remarquablement démontrer toute la relativité à apporter à ces comparaisons, qui s’avèrent décevantes en réalité. A ce titre, Madame G’Sell a achevé son étude portant sur les difficultés d’application de l’attorney client privilege américain aux juristes internes en France en affirmant que «la protection conférée aux communications avec l’avocat in-house est fréquemment relativisée au regard du privilège dont jouit l’avocat externe, pour qui la confidentialité est toujours présumée. De quoi faire réfléchir les juristes français à l’heure de s’interroger sur une nouvelle législation» [17].

Un haut dignitaire de la profession d’avocat temporise également le projet «Gauvain», affirmant que «l’avocat en entreprise n’est pas inéluctable» car «si on crée des avocats salariés d’un tiers, on va créer une sous-catégorie d’avocats et une sous-catégorie de secret professionnel dans la mesure où certains juges estiment que le secret professionnel est étendu dans le cadre de la défense des droits fondamentaux mais pas pour la défense des droits patrimoniaux et de droits privés comme ceux des entreprises» [18].

B - L’instrumentalisation du risque de délocalisation

Un chantage à demi-mot de délocalisation lié à la vulnérabilité des avis juridiques. Le rapport «Gauvain» affirme qu’«en France, le secret professionnel des avocats n’est plus ‘général et absolu’, ce qui y affaiblit d’autant plus la protection des avis juridiques Dernier aspect de la vulnérabilité des entreprises françaises sur ce sujet, la protection offerte par le secret professionnel, supposé à tort être «générale et absolue», est en réalité assez limitée en ce qui concerne les avis juridiques des avocats. Si les avis juridiques des avocats en cabinet demeurent protégés à ce jour dans le cadre des procédures civiles, cette protection, en revanche, a été à plusieurs reprises entamée par la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. […] Ces jurisprudences contra legem de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (en contradiction avec la jurisprudence de la chambre civile de la même Cour) ont de fait considérablement affaibli le secret professionnel des avocats en France. On peut d’ailleurs s’interroger sur la compatibilité de ces jurisprudences avec l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) (N° Lexbase : L4798AQR), et le dernier arrêt de Cour condamnant la France pour violation du secret professionnel de l’avocat: «le contenu des documents interceptés par le policier importe peu dès lors que, quelle qu’en soit la finalité, les correspondances entre un avocat et son client portent sur des sujets de nature confidentielle et privée» [19].

En définitive, les rédacteurs du rapport «Gauvain» concluent, dans un point 1.4.4, que «- l’absence de protection des avis juridiques émis par les juristes en entreprise en France a pour effet de dissuader les entreprises françaises de solliciter des avis écrits de leurs propres services juridiques ; - l’absence de protection des avis juridiques fait de la France une cible privilégiée des autorités administratives et judiciaires étrangères, qui y voient une facilité supplémentaire à poursuivre les entreprises françaises plutôt que leurs concurrentes étrangères : cette faiblesse importante peut expliquer en partie l’appétit des autorités judiciaires américaines à poursuivre des entreprises françaises pour différents motifs (sanctions internationales, corruption, etc.) et pourrait avoir des conséquences économiques importantes et négatives pour la France si l’arsenal de sanctions unilatérales américaines devait se développer plus avant à l’avenir ; - les directeurs juridiques français de grands groupes français sont fragilisés en interne par le fait que leurs propres écrits sont moins bien protégés que ceux de leurs subordonnés américains, Britanniques ou autres bénéficiant du «legal privilege» ou d’une forme similaire de protection, ce qui les amènent à être exclus de certaines chaines de discussion entre leurs subordonnés ; - les grandes entreprises françaises sont de ce fait fortement incitées à : soit recruter des directeurs juridiques non français au profit d’avocats américains ou britanniques, ou autres bénéficiant de la protection du «legal privilege» ; soit à délocaliser à l’étranger tout ou une partie de leurs directions juridiques «Groupe», afin de faire bénéficier leurs services juridiques de la protection des avis juridiques qui n’existe pas en France. A cet égard, la mission ne peut que mettre en garde devant les risques de délocalisation massive des directions juridiques des grands groupes français qui pourraient résulter de l’inaction : la mission a été informée qu’une grande entreprise française du secteur de l’énergie a déjà, récemment, délocalisé à Bruxelles sa direction juridique «Groupe», d’autres décisions similaires pourraient suivre mettant potentiellement en cause plusieurs dizaines de milliers d’emplois à haute valeur ajoutée en France dans les prochaines années» [20].

Le secret professionnel aujourd’hui. Affirmer que le secret professionnel, en France, n’est plus «général et absolu», paraît excessif tant les dispositions qui le réglementent sont récentes [21]. Le Règlement intérieur national ajoute qu’il est d’ordre public et illimité dans le temps [22]. A partir de la condamnation pénale d’un avocat, ancien Bâtonnier, qui avait produit en justice une lettre confidentielle, une chronique, non-démentie aujourd’hui, a pu souligner la force du secret professionnel [23].

Le secret professionnel peut être battu en brèche. Certes la jurisprudence a cherché de façon régulière à en rétrécir l’application. Toutefois, on ne doit pas perdre de vue que les juridictions nationales doivent s’effacer devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Cela peut contraindre, dans une même affaire, des juridictions nationales à réviser un arrêt rendu au plus haut niveau [24]. En tout cas, la Cour européenne des droits de l’Homme reste ferme sur les principes. Elle a décidé récemment en faveur de l’avocat que l’interception et la lecture par un officier de police d’un papier remis par son client à l’avocat constituait une atteinte au secret des correspondances [25].

Le problème est ailleurs en réalité, et le chantage ainsi réalisé à demi-mot paraît ainsi détourner le regard de l’objectif masqué -capter ce «marché du droit»- afin de servir le souverain bien de ces grandes firmes nommé croissance.

Dès lors, pourrait seulement suffire l’octroi d’un legal privilege pour le juriste d’entreprise car «sur ce point, le rapport «Gauvain» n’est pas sérieux parce qu’il se contredit constamment. Il cite le cas de 26 entreprises ayant signé une transaction avec le procureur américain ; or ces dernières ont des avocats en entreprise en leur sein. Si elles acceptent de coopérer et de négocier, c’est parce que si elles ne le font pas, la sanction est l’exclusion du marché américain. L’avocat en entreprise ne changerait rien donc rien pour les entreprises françaises : elles accepteraient quand même de payer car le vrai problème, c’est le rapport de force» [26].

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’arrêt «Akzo» en date du 14 septembre 2010, a livré une réponse claire en ne reconnaissant pas le secret des correspondances à l’avocat en entreprise [27]. La commission «Gauvain» entend-elle braver le droit de l’Union européenne ?

Enfin, le législateur ne s’est-il pas prononcé, dernièrement, sur la question du secret des affaires, avec la loi du 30 juillet 2018 [28], prise dans le cadre de la transposition de la Directive européenne n° 2016/943 du 8 juin 2016, qui définit pour la première fois le secret des affaires et affiche déjà l’ambition d’en assurer la protection [29].

Le risque de la délocalisation est donc agité exagérément, si ce n’est pour faire pression pour adopter le projet. Mais le risque réel est plus profond encore, et s’inscrit davantage dans les suites que les recommandations de la commission «Gauvain» permettront de réaliser à l’encontre de la profession d’avocat, avec une stratégie digne d’un cheval de Troie.

II - Le cheval de Troie des recommandations

Certaines solutions ont été explicitement écartées par la mission «Gauvain» (A). Les recommandations retenues sont les seules armes à même de déployer, dans une seconde étape, un cheval de Troie (B).

A - Les solutions écartées par la mission «Gauvain»

Loin d’une démarche scientifique d’exhaustivité, la mission indique avoir écarté «plusieurs types de réponses qui auraient été possibles, mais peu efficaces voire contre-productives. En termes d’organisation globale de la réforme, quatre solutions, inadaptées, excessives ou inappropriées, nous paraissent devoir être écartées :

- L’importation pure et simple du statut d’avocat libéral dans l’entreprise, avec toutes ses caractéristiques actuelles, soit en autorisant l’avocat libéral à exercer en entreprise, soit en créant un nouveau statut spécifique de salarié protégé, ce qui, dans les deux cas, provoquerait un rejet très fort de la réforme par les employeurs potentiels et donc à son échec.

- L’organisation d’une nouvelle profession réglementée de juriste d’entreprise, dotée d’une confidentialité spécifique, solution adoptée en Belgique il y a une dizaine d’années, dont le bilan est mitigé, qui déboucherait sur une nouvelle fragmentation des professions juridiques et qui risquerait en outre de ne pas conférer aux avis juridiques la protection recherchée. En effet, la valeur de la confidentialité accordée aux avis juridiques des juristes d’entreprise belges n’a encore jamais été testée, à la connaissance des auteurs de ce rapport, devant les autorités américaines : compte tenu du fait que les juristes d’entreprise ne sont pas des avocats inscrits au barreau (comme les ‘lawyer’), il existe un risque important que les autorités américaines ne les reconnaissent pas ‘dignes’ de bénéficier du ‘legal privilege’ qui existe aux Etats-Unis et est reconnu par les juridictions et autorités américaines lorsqu’il existe ailleurs.

- La couverture partielle des avis juridiques des avocats en entreprise par un droit à la protection qui ne serait opposable en France que dans une procédure civile. Une telle réforme serait totalement inefficace pour contrer les procédures extraterritoriales pénales américaines. Les autorités américaines n’appliquent en effet pas le droit du for dans l’appréciation de la confidentialité. Dès lors, elles considéreraient qu’aucune confidentialité ne leur est opposable. On peut même s’interroger sur le fait qu’un tel droit à la protection, limité dans son champ, serait pris en considération par le juge américain y compris au civil.

- L’institution d’un filtre, au niveau de la Chancellerie, qui sélectionnerait les documents et informations qui peuvent être communiqués aux autorités étrangères dans le cadre des demandes d’entraide, alors même que ces documents resteraient accessibles sans restriction aucune aux enquêteurs français. Une telle mesure serait sans aucun doute fort mal reçue, à juste titre, par nos principaux partenaires […] ; en outre, un tel filtre risquerait de placer l’entreprise française poursuivie aux Etats-Unis en risque juridique dans la mesure où elle s’exposerait à des sanctions pour ‘Contempt of Court’. Par ailleurs, en termes de mise en œuvre de la réforme, la mission écarte également la solution préconisée par l’Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE), de conférer automatiquement le statut d’avocat en entreprise à tous les juristes y exerçant depuis au moins deux ans qui reviendrait à priver l’entreprise de sa liberté de décision de recruter, ou non, des collaborateurs ayant un statut d’avocat» [30].

B - Les recommandations insérées dans un cheval de Troie

Généralités martelées. Il est martelé, dans le rapport «Gauvain», que «L’abus de lois et mesures à portée extraterritoriale est une menace pour l’ordre économique mondial et un élément de concurrence déloyale, dont il convient de protéger efficacement les entreprises françaises et européennes» [31]. A cet effet, l’immense forêt est cachée par l’arbre du projet, qui concentre le regard sur son unique feuillage de la prétendue exception française.

Il est ainsi répété qu’ «A ce jour, les entreprises françaises sont seules et isolées face aux autorités étrangères, notamment américaines. Idéalement, l’Union européenne constituerait le niveau le plus pertinent pour ériger des mesures de protection efficaces contre les manœuvres potentiellement abusives d’autorités étrangères. Néanmoins, par souci de réalisme et afin de répondre à l’urgence de protéger les entreprises françaises, la mission formule des propositions relevant de la compétence nationale, considérant qu’il revient à la France de prendre l’initiative et de porter ensuite le message au niveau de l’Union. A cette fin, la mission propose un ensemble cohérent de trois mesures systémiques indissociables, accompagné de six recommandations complémentaires, afin de : doter la France des instruments juridiques qui lui manquent ; assurer le bon fonctionnement des outils existants ; et, promouvoir l’adoption de mesures efficaces au niveau européen. La première recommandation, la plus importante sur le fond et la plus efficace d’un point de vue technique, car elle utilise le droit américain pour s’en protéger, est à prendre de toute urgence : la protection de la confidentialité des avis juridiques en entreprise, opposable en toutes matières (civil, pénal, administratif), par la création d’un statut d’avocat en entreprise doté de la déontologie de l’avocat et d’un droit à la protection de ses avis juridiques» [32].

Le fantasme de l’urgence. L’urgence est encore sollicitée. A ce titre, la mission «Gauvain» affirme qu’ «Il est devenu urgent d’agir et d’installer en France l’avocat en entreprise : il en va de la compétitivité de l’économie française comme de la défense des entreprises françaises face aux mesures à portée extraterritoriale […] la situation actuelle n’est plus tenable, ni pour les professionnels concernés, qui ne peuvent plus travailler sereinement, ni pour les entreprises françaises, dont la compétitivité est grandement affectée, ni pour la France, qui est devenue une cible de choix pour les actions et mesures à portée extraterritoriale de ses concurrents et/ou adversaires sur la scène internationale» [33].

Un projet insufflé par le MEDEF. En définitive, la mission préconise la solution de l’avocat salarié en entreprise, doté d’un statut et d’un secret professionnel «adaptés» -osons dire «dévoyés»- , au prétexte que ces règles existeraient d’ores et déjà «chez nos principaux partenaires économiques et qui n’ont jamais suscité de problème pour ces pays au regard de leurs engagements internationaux ni dans la conduite de leurs enquêtes pénales […]. Les consultations menées par la mission lui ont permis de rencontrer l’ensemble des instances représentatives de la profession, ainsi qu’un panel très large d’avocats en activité, exerçant tant à Paris qu’en province. Elles lui ont également permis de rencontrer les instances représentatives des juristes en entreprise, ainsi que des magistrats instructeurs et des enquêteurs. En outre, la mission a rencontré plusieurs associations professionnelles représentant les entreprises, à commencer par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Au terme de ses consultations, et dans le prolongement des précédents rapports et tentatives législatives, les contours de la réforme proposée par la mission sont les suivants : l’avocat en entreprise sera inscrit au barreau sur une liste ad hoc et soumis aux obligations déontologiques garantes de son indépendance et de son intégrité ; salarié de l’entreprise, il en sera un collaborateur normal, sans statut dérogatoire au droit du travail ; il réservera l’exclusivité de ses prestations à son entreprise ; il n’aura pas la capacité de plaider devant les tribunaux ; il bénéficiera d’un droit à la protection de ses avis juridiques, opposable aux tiers et aux autorités administratives et judiciaires, dans la production de ses avis juridiques et la préparation des procédures judiciaires» [34].

La création d’un dualisme d’avocats (en contrariété avec le mouvement d’unification depuis 1971 [35]). «L’avocat en entreprise devra être inscrit au barreau, sur une liste ad hoc du lieu du siège social de l’entreprise ou de l’exécution du contrat du travail. Son inscription au barreau sera le gage de son intégrité et de son indépendance. L’avocat en entreprise sera tenu de respecter les principes déontologiques et éthiques de la profession d’avocat, dont la mission fondamentale est de servir la justice et son client, c’est-à-dire l’entreprise/personne morale (et non pas ses dirigeants). Il sera tenu au respect d’un secret professionnel adapté, appelé «droit à la protection». Le fait que l’avocat en entreprise soit inscrit au barreau et soit donc pleinement considéré comme un avocat permettra de garantir la reconnaissance de la réforme et notamment du droit à la protection des avis juridiques par les cours étrangères, notamment américaines» [36].

Mais un avocat salarié de l’entreprise, sans statut dérogatoire au droit du travail. Il est annoncé que «L’avocat en entreprise sera un salarié de droit commun de l’entreprise, un collaborateur sans autre spécificité que son appartenance au barreau. Son contrat de travail sera soumis aux dispositions du droit du travail comme tout autre salarié. Il n’aura pas de statut particulier ni ne pourra être considéré en aucune manière comme un salarié protégé : il sera soumis aux mêmes modalités de recrutement, de discipline et de licenciement que les autres salariés de droit commun de l’entreprise. Ce statut de droit commun permettra une bonne appropriation de la réforme par les entreprises. Pour les questions relatives aux règles déontologiques, l’avocat en entreprise relèvera de la compétence du Bâtonnier auquel il est rattaché dans le respect des principes essentiels de la profession, et notamment du principe d’indépendance» [37].

Un service exclusif à son entreprise.  Tout en devant rester indépendant, il est voulu, en même temps, qu’«Afin d’assurer le service loyal et efficace de son entreprise, l’avocat en entreprise devra réserver l’exclusivité de ses prestations d’avocat à son entreprise» [38]. C’est méconnaître grandement -ou taire- les relations de hiérarchie forte existant dans les grandes entreprises, spécialement de grande distribution, les banques et les compagnies assurance, pour présumer que son indépendance ne sera aucunement entachée.

L’avocat salarié en entreprise n’aurait pas, selon le projet «Gauvain», de statut dérogatoire au droit du travail. Ne serait-il donc pas soumis aux dispositions spécifiques, et contrôlées dans leur application, du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, notamment salarié, dans sa version consolidée au 12 septembre 2019 ?

Les deux barreaux ; un second barreau sans déontologie effective. La création d’un nouveau statut pour l’avocat fera d’un barreau parfaitement homogène aujourd’hui un barreau à deux «tableaux», le tableau n’étant que la concrétisation juridique et matérielle de deux barreaux.

Il devrait être soumis à une déontologie identique dont les sources, peu nombreuses, sont connues [39]. Comment les nouveaux avocats vont-ils, dans la pratique, acquérir une connaissance suffisante de la déontologie ?

Citant Madame Frison-Roche [40] un auteur écrit : «Lorsque la morale se transforme en déontologie, le sentiment d’appartenance culturelle s’en mêle. L’apprentissage de cette morale commune se fait en même temps que l’insertion dans le groupe professionnel…». Et, s’exprimant cette fois en son nom, le chroniqueur [41], avocat, de poursuivre. «C’est pourquoi, les juristes d’entreprises, en rejoignant le "groupe professionnel" des avocats soumis à une déontologie forte, n’auront aucune difficulté à adapter leur pratique à l’égard de leurs clients internes». Ainsi, la seule fréquentation de confrères donnerait connaissance et culture déontologiques, la formation déontologique par contagion, en quelque sorte.

Le praticien, pour préparer nombre de candidats au barreau, à un examen de déontologie, aimerait ici inciter à se montrer plus sérieux. Les juristes d’entreprise peuvent accéder au barreau, en utilisant une voie dérogatoire [42]. La jurisprudence sur les conditions d’accès, nombreuse, est à la mesure du nombre de candidatures dont on doit se réjouir. Cela permet en passant de tordre le coup au procès d’intention qui consiste à taxer de corporatiste tout avocat qui se montre réservé sur l’intégration au barreau de l’avocat en entreprise. Pour être admis les candidats doivent passer avec succès [43] un examen de déontologie portant sur des matières couvrant l’ensemble des connaissances en déontologie [44].

Il faut alors dire tout net que le rapport, par ses raccourcis et ses silences, a un parfum d’aventure. Si l’aventure a un tour exaltant, il existe d’autres contrées pour la vivre et d’autres plumes pour l’encourager. Dans les raccourcis on placera l’absence de distinction entre confidentialité et secret professionnel, distinction pourtant essentielle aux yeux de la doctrine la plus autorisée [45]. Dans les raccourcis ou les approximations on relèvera également l’expression d’un secret professionnel adapté [46] appelé «droit à la protection». Il y aurait une distinction entre le secret professionnel «in personam» et le secret professionnel «in rem» [47]. A l’heure où le latin a quitté le prétoire, les «Attendu » et les «Considérant» la motivation de la Cour de cassation, l’usage de la langue de Virgile ne remplace pas une explication.

Dans le silence du rapport on situera l’absence de toute articulation avec la responsabilité disciplinaire. Plus évidente encore dans un système d’autorégulation, applicable à une profession organisée, la responsabilité disciplinaire permet à la déontologie de ne pas rester lettre morte. Sans la sanction de la discipline, la déontologie n’exprime que des vœux pieux dont certains partisans de l’avocat en entreprise ne voient que des «règles pléthoriques qui ont entravé et entravent encore le développement des avocats et de leurs cabinets» [48].

Certes la loi renverrait, pour la discipline, au décret puisque l’on doit admettre que la matière relève du pouvoir règlementaire [49]. Or, le gouvernement montre parfois une indifférence étonnante à ce qui touche à la discipline de l’avocat. On en veut pour preuve l’absence d’un nouveau «décret discipline» appelé de ses vœux par la profession, qui, invitée à faire connaître ses propositions, les a formulées il y a plus de sept ans [50].

Enfin si le rapport s’étend, quoiqu’avec modération, sur l’indépendance et le secret professionnel, il ne dit pas un mot sur le conflit d’intérêts.

Largement évoqué en déontologie pour la profession d’avocat, la prévention des conflits d’intérêts a gagné plus récemment la profession de médecin, celle d’homme politique, de cadre ou dirigeant d’entreprise. Dans les institutions politiques on voit apparaître des codes de déontologie et même, en ce qui concerne l’Assemblée Nationale, un déontologue [51].

Mais «il n’aura pas la capacité de plaider devant les tribunaux», du moins dans un premier temps. Si cette première barrière cède, à l’évidence la seconde relative à la plaidoirie sautera à moyen terme. Pour endormir le lecteur, le rapport assure du contraire, ce dont on peut éminemment douter : «Afin de limiter les craintes d’une partie de la profession d’avocat et de parer les risques de concurrence dont pourraient, en théorie, souffrir certains cabinets d’avocats, notamment dans les villes moyennes de province, et afin de privilégier une solution d’équilibre permettant de faciliter l’acceptation de la réforme, la mission propose d’interdire explicitement à l’avocat en entreprise de plaider devant les tribunaux. Cette interdiction vaut devant toutes les juridictions de France sans aucune exception»  [52].

La plaidoirie (laissée à l’avocat). Le rapport cherche à séduire les avocats. Reste à savoir si le procédé va être apprécié. Il est indiqué que face à la paupérisation «croissante» des avocats, à l’absence des débouchés des plus jeunes, aux difficultés de mobilité professionnelle, une réforme permettrait «notamment d’élever la place du droit dans l’entreprise et par voie de conséquence d’irriguer l’ensemble des professions juridiques, au premier rang desquelles la profession d’avocat» qui serait soutenue par «une demande renouvelée et amplifiée» [53].

Dans un même esprit, amadouer les avocats, l’avocat en entreprise se verrait interdire de plaider. Le mot lui-même n’a pas de définition procédurale. Le Code procédure civile [54] connait les missions de représentation et d’assistance, qui ne se confondent pas nécessairement. En revanche la mission de «plaider» ne connait que l’acte matériel qui est lié à l’oralité des débats. Comme l’indiquent des auteurs de référence «la plaidoirie est l’expression orale et le développement verbal des prétentions des justiciables» [55]. Si la règle est destinée à préserver le pré-carré des avocats, il serait sage de ne pas se fonder sur un choix dont la finalité corporatiste figure au rapport [56].

Conduire à un éclatement des tâches du Barreau contrarie le mouvement des cinquante dernières années, dont on admettra qu’il a été bénéfique pour le justiciable : suppression des avoués d’instance, puis des avoués d’appel, intégration des conseils juridiques. Et que dire de l’effacement progressif de la plaidoirie ?

Enfin, l’avocat salarié bénéficiera d’un «droit à la protection de ses avis juridiques», opposable aux tiers et aux autorités administratives et judiciaires, dans la production de ses avis juridiques et la préparation des procédures judiciaires. A cet effet, «La mission propose de créer un « droit à la protection des avis juridiques de l’avocat en entreprise» qui bénéficiera à tous les avis juridiques des avocats salariés en entreprise. Il sera ainsi distinct de l’actuel secret professionnel des avocats libéraux» [57].

L’impact de la réforme serait même anticipé : «Le droit à la protection de l’avocat en entreprise protègera donc la confidentialité des avis juridiques qu’il produira, à l’instar du «legal privilege» des pays de «Common Law». Comme dans ces pays, la confidentialité sera opposable dans toute procédure civile, mais aussi aux autorités administratives ou judiciaires dans le cadre de leurs enquêtes, y compris pénales» [58]. Le clou est encore enfoncé à ce stade des recommandations et de leur impact : «La réforme de l’avocat en entreprise permettra de rétablir en totalité l’équilibre des forces dans un litige civil entre une entreprise française et une entreprise étrangère bénéficiant du «legal privilege» ou d’une autre forme de protection de la confidentialité de ses avis juridiques. A ce jour en effet, on l’a vu, les entreprises françaises se retrouvent dans une situation particulièrement désavantageuse dans laquelle elles sont contraintes de dévoiler l’ensemble de leurs pièces constitutives de preuve, y compris la totalité des avis juridiques écrits par leurs juristes d’entreprise, alors que leurs concurrentes, anglo-saxonnes notamment, peuvent se prévaloir de la confidentialité de ces avis juridiques pour ne pas les communiquer. La réforme rétablira donc l’équilibre des forces en présence, dans tous les litiges civils» [59].

La mission «Gauvain» prétend aussi connaître l’impact de son projet sur l’indépendance des avocats. Selon la mission «Gauvain», l’opposition de principe à l’introduction de l’avocat en entreprise au titre de l’atteinte à son indépendance «semble néanmoins relever de l’ordre du symbolique et devrait pouvoir être aisément surmontée. Il est en effet communément admis que la notion d’indépendance est divisible. Ce qui caractérise l’exercice de la profession, c’est l’indépendance intellectuelle ou technique. Il en découle que l’exercice de la profession d’avocat n’est pas incompatible avec le salariat, et la subordination juridique qui s’en suit, qui impacte uniquement les conditions de travail et non l’exercice de son art. Il y a lieu de ne pas confondre ces deux notions. D’ailleurs, le salariat de l’avocat, autrefois jugé impossible par la profession, est désormais bien installé depuis 1991, sans que la question de l’indépendance n’y fasse obstacle. Dans le cadre de la réforme proposée, la préservation de l’indépendance technique et de l’éthique professionnelle sera garantie par un encadrement contractuel d’ordre public, avec notamment un contrôle effectif du Bâtonnier sur les questions déontologiques. Enfin, l’application du principe de l’indépendance de l’avocat est d’ores et déjà toute relative. Il faut ainsi souligner qu’en pratique il existe déjà chez les avocats libéraux une vraie dépendance économique envers certains de leurs clients, notamment lorsqu’un client représente une part significative de l’activité ou lorsque la clientèle est principalement institutionnelle et que le montant des honoraires leur est imposé. Il en est de même pour les avocats collaborateurs libéraux, qui sont de fait dans une situation de subordination envers leurs «patrons» (l’avocat associé) et perçoivent une rémunération sous forme de rétrocessions d’honoraires, qui s’apparentent fortement à du salariat déguisé. Il en résulte que la réforme proposée n’est pas incompatible avec le respect du principe d’indépendance de l’avocat. Cette réforme, loin d’affaiblir une profession confrontée à de nombreux défis, offrira de nouvelles perspectives de mobilité professionnelle aux 70 000 avocats en exercice. En outre, le nouveau droit à la protection ne bénéficiera évidemment pas exclusivement aux entreprises, mais à l’ensemble des clients des avocats exerçant en cabinet. La réforme proposée conduira ainsi incontestablement à l’affermissement du rôle et de la place de l’avocat, et au renforcement de notre Etat de droit» [60].

C’est une fiction poussée à son paroxysme que de continuer à considérer que l’indépendance intellectuelle, et morale, soit divisible. Lorsqu’il y a salariat, actuellement, d’un avocat, elle est réalisée dans un environnement de commettants-avocats ayant également prêté serment. Il convient déjà d’améliorer les critiques évoquées au sein de la profession d’avocat (sur le statut salarié et celui en particulier du collaborateur libéral [61]) avant de dupliquer/transposer une partie de ces statuts critiqués dans un système totalement capitalistique/marchand, qui n’en aggravera que les effets. En outre, prendre le risque de généraliser le salariat compte tenu des missions de l’avocat peut conduire à une importante déresponsabilisation, du moins juridique, avec le déclin de la responsabilité personnelle de l’avocat.

Monsieur Molfessis a d’ailleurs relevé la position de la Cour de justice de l’Union européenne : «Ce n’est d’ailleurs pas au seul droit français que l’on doit cette situation : la Cour de justice de l’Union européenne, dans le désormais fameux arrêt "Akzo Nobel" du 14 septembre 2010 (CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P), a jugé que l’avocat salarié ne jouit pas du même degré d’indépendance à l’égard de son employeur qu’un avocat exerçant ses activités en cabinet. Dès lors, seuls les avocats non liés au client par un lien de subordination peuvent se prévaloir de la confidentialité» [62].

L’indépendance. Le rapport se fait critique à l’égard de l’indépendance de l’avocat. Il s’agit pourtant d’un des premiers principes essentiels de la profession. Il figure dans le premier article d’une loi fondatrice [63] ainsi que dans les cinq valeurs qui fondent la formule du serment [64]. Le rapport indique que la profession d’avocat connaît depuis 1991 le salariat, ce qui est exact. Toutefois, les chiffres publiés chaque année par le ministère de la Justice montrent un effacement constant de la collaboration salariée au profit de la collaboration libérale. Le rapport se croit autorisé à écrire «les avocats collaborateurs libéraux sont de fait dans une situation de subordination envers leur «patron» et perçoivent une rémunération sous forme de rétrocessions d’honoraires qui s’apparentent fortement à un salariat déguisé». Cette affirmation mérite d’être tempérée car la jurisprudence est là, qui veille, soit pour requalifier en contrat de travail [65], soit pour vérifier l’existence de possibilités de développement de clientèle personnelle [66].

S’il existe des contrats de travail déguisés, il existe aussi des collaborateurs libéraux qui peuvent développer une clientèle personnelle et créer un cabinet comme il est souvent possible de les voir s’intégrer comme associés. Ils accèdent donc à une totale indépendance. La critique, faute d’être quantifiée, doit faire long feu.

Enfin le rapport ne s’étend pas sur des règles qui favorisent une indépendance réelle de l’avocat : l’impossibilité de faire figurer dans les contrats de collaboration salariés ou libéraux des clauses de non-rétablissement. Toute tentative, masquée par exemple dans un règlement intérieur, entraînerait une censure de la Cour de cassation [67].

Par ailleurs, d’autres mesures sont là pour donner à l’indépendance un caractère effectif. On peut citer l’obligation pour tout contrat de collaboration d’être passé par écrit et d’être soumis «pour contrôle au Conseil de l’Ordre» [68]. On peut aussi évoquer les mesures garantissant l’indépendance dans le choix de l’argumentation outre l’existence d’une clause de conscience [69].

Si l’on ajoute que l’avocat en entreprise devra consacrer tout son travail à son employeur [70], la question se pose de savoir si les nouveaux avocats ne seront pas des «sous-avocats»[71].

Sous le prisme de l’indépendance, la Cour de justice de l’Union européenne avait condamné le statut d’avocat en entreprise. La Cour du Luxembourg avait en effet retenu, dans un arrêt «Puke» rendu le 6 septembre 2012, que l’avocat salarié, puisque subordonné à l’entreprise et à ses intérêts, n’est pas indépendant de celle-ci. A cet effet, elle a affirmé que «la notion d’indépendance de l’avocat est définie non seulement de manière positive, à savoir par une référence à la discipline professionnelle, mais également de manière négative, c’est-à-dire par l’absence d’un rapport d’emploi» [72]. En l’espèce, il s’agissait de juger de la compétence d’un avocat polonais, ayant aussi la qualité d’employé de son client, à le représenter devant le tribunal. Pour la juridiction suprême de l’Union, «l’existence d’un lien de subordination […] implique un degré d’indépendance moindre que celui d’un conseil juridique ou d’un avocat exerçant ses activités dans un cabinet externe à l’égard de son client» [73]

En définitive, et après examen, il ne s’agit plus de s’interroger sur l’alternative boîte de Pandore ou cheval de Troie, mais sur la conjonction boîte de Pandore dans un cheval de Troie ou cheval de Troie dans une boîte de Pandore, l’union faisant la force des maux…

 

[1] LJA, n° 1375, du 3 décembre 2018, obs. E. Gardner de Bréville.

[2] F. Creux-Thomas (propos recueillis par), Le statut d’avocat en entreprise ne sert pas le combat des directeurs juridiques, c’est un combat de Place, un combat d’intérêt général, Trois questions à Laure Lavorel, directrice juridique internationale de Broadcom, présidente du Cercle Montesquieu, JCP éd. G,  n° 42, 14 octobre 2019, n° 1071.

[3] W. Feugère, président d’honneur des avocats conseils d’entreprise (ACE), Avocats : développer notre activité, aujourd’hui et demain, JCP, éd. G, n° 41, 7 octobre 2019, Etude 1034, p. 1820 et s., spéc. p. 1823, n° 21.

[4] W. Feugère, op. cit., JCP, éd. G n° 41, 7 octobre 2019, Etude 1034, p. 1822, n° 12, in fine.

[5] Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 7, 21 décembre 2017, n° 2015/176.38 (N° Lexbase : A7279W84).

[6] R. Gauvain, C. d’Urso, A. Damais, Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, Rapport à la demande du Premier Ministre, Assemblé nationale, 26 juin 2019.

[7] R. Gauvain, C. d’Urso, A. Damais, op. cit., p. 3.

[8] Rapport préc., p. 3-4.

[9] Rapport préc., p. 45.

[10] Ibid.

[11] Rapport préc., p. 46.

[12] Ibid.

[13] Rapport préc., p. 47.

[14] CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne (N° Lexbase : A1978E97).

[15] Rapport préc., p. 48. – Dans le détail, cf. Rapport «Gauvain», p. 56 et s., n° 2.1., Proposition n° 1 : protéger les avis juridiques internes des entreprises.

[16] Rapport préc., p. 48.

[17] F. G’Sell, Remarques sur les difficultés d’application de l’attorney client privilege aux juristes internes en France, in La confidentialité des juristes d’entreprises, Juriste d’Entreprise Magazine, Numéro spécial, 19 sept. 2013, ([LXB=N145BUE]), p. 132-133, spéc. p. 133, in fine.

[18] M. Lartigue (propos recueillis par), Entretien avec Michel Bénichou, ancien président du Conseil national des barreaux (CNB), président d’honneur de la Conférence des Bâtonniers, L’avocat en entreprise n’est pas inéluctable, Gaz. Pal., 8 octobre 2019, n° 34,  p. 12.

[19] Rapport préc., p. 49.

[20] Rapport préc., p. 50-51.

[21] Loi du 31 décembre 1971 provenant de la loi n° 97-308 du 7 avril 1997, art. 66-5 (N° Lexbase : L4398IT3), de l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 et de la loi n° 2011-331 du 25 mars 2011 ; décret n° 2005/790 du 12 juillet 2005, art. 4.

[22] RIN., art. 2.

[23] Y. Avril, Lettres entre avocats, la fin d’une querelle, D., 2010, 1502.

[24] Ass. plén., 16 décembre 2016, n° 08-86.295 (N° Lexbase : A2362SXR).

[25] CEDH, 24 mai 2018, Req. 28798/13 (N° Lexbase : A7768XNZ).

[26] M. Lartigue (propos recueillis par), Entretien avec Michel Bénichou, ancien président du Conseil national des barreaux (CNB), président d’honneur de la Conférence des Bâtonniers, L’avocat en entreprise n’est pas inéluctable, Gaz. Pal., 8 octobre 2019, n° 34,  p. 12.

[27] CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne.

[28] Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires (N° Lexbase : L5631LL7).

[29] G. Zaidi, E. Manca, Secret des affaires : et si on se disait tout (ou presque) ?, Les Cahiers Lamy du DRH, n° 266, juill. 2019, p. 32 et s., spéc. p. 32 : «Pour entrer dans le champ d’application de la loi, l’information en question doit présenter les caractéristiques suivantes : elle ne doit pas être généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations ; elle doit revêtir une valeur commerciale effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; elle doit faire l’objet, de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. Consacré par le Code de commerce, le secret des affaires est bousculé, voire maltraité, par l’exigence accrue de transparence à l’égard des salariés, lesquels ont, via leurs représentants du personnel, un droit de regard sur les projets économiques et stratégiques de leurs entreprises. Droit de regard qui, pour être efficient, s’accompagne d’un accès aux informations sensibles qui justifient et expliquent cette prise de décision. La loi du 30 juillet 2018 intègre d’ailleurs cette particularité liée à cet univers souvent parallèle qu’est celui du droit du travail, où les intérêts qui s’y trouvent promus, aussi vertueux soient-ils, ne prennent pas toujours pleinement en compte celui, légitime, de l’entreprise. L’association du salarié à la vie de l’entreprise, lorsqu’elle est voulue «jusqu’au boutiste», n’est pas chose facile. Ainsi, la loi pose immédiatement une réserve au secret : il ne peut pas faire obstacle au droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants. D’emblée donc, la loi sacrifie son objet. Comment en effet assurer la protection du secret des affaires tout en introduisant l’idée que celui-ci ne résiste pas au droit sans cesse élargi des salariés à l’information préalable à toute portée notamment par les membres du comité social et économique (CSE) ?».

[30] Rapport préc., p. 58-59.

[31] Rapport préc., p. 55.

[32] Rapport préc., p. 55-56, cf. également les autres recommandations. 

[33] Rapport préc., n° 2.1.1, p. 57 et s.

[34] Rapport préc., n° 2.1.3. p. 59-60.

[35] R. Bigot, Les avoués et les professions ayant des charges dans la cuisine indemnitaire du droit de présentation : le beurre, l’argent du beurre, mais pas le sourire de la crémière tout de même !, Les Petites Affiches, 2016, n° 231, pp. 3-13, spéc. p. 6.

[36] Rapport préc., n° 2.1.3.1., p. 60.

[37] Rapport préc., n° 2.1.3.2.

[38] Rapport préc., n° 2.1.3.2., p. 60, in fine.

[39] Loi n° 97-308 du 31 décembre 1971 ; Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ; Règlement intérieur national (RIN.) ; Décision du Conseil national des Barreaux à caractère normatif n° 2005-003 ; Règlement intérieur du Barreau de Paris (R.I.B.P., disponible dans F. G’Sell (dir.), Code de l’avocat, Dalloz, 8e éd., 2019, p. 736 et s.) ou le Règlement intérieur des barreaux dans la mesure où ils existent.

[40] M.-A. Frison-Roche, Secrets professionnels, 1999, Autrement, p. 61.

[41] L. Dusseau, De la nécessaire protection du secret professionnel du juriste d’entreprise grâce au statut d’avocat en entreprise, Gaz. Pal., 31 juillet 2018, p. 11.

[42] Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 58, 3° (N° Lexbase : L8168AID).

[43] Le succès impliquant une note supérieure ou égale à 12/20 à l’examen.

[44] Arrêté du 30 avril 2012 fixant le programme et les modalités de l’examen de contrôle des connaissances en déontologie et règlementation professionnelle prévu à l’article 98.1 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.

[45] S. Bortoluzzi, D. Piau, T. Wickers, Règles de la profession d’avocat, Dalloz, 2018, § 422.21.

[46] Rapport «Gauvain», p. 60.

[47] Rapport «Gauvain», p. 61.

[48] W. Feugère, op. cit., JCP G n° 41, 7 octobre 2019, Etude 1034, p. 1822, § 14.

[49] CE, 1° et 6° s-s-r, 15 novembre 2006, n° 283475, 284964, 285065  mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3585DSL), JCP éd. G, 2007, II 10001, note R. Martin.

[50] CNB, Assemblée générale des 6 et 7 juillet 2012.

[51] Pour l’Assemblée Nationale une décision de son bureau a créé le 6 avril 2011 un statut de déontologue.

[52] Rapport préc., n° 2.1.3.4., p. 61.

[53] Rapport «Gauvain», p. 58.

[54] Art. 411 et s.

[55] S. Bortoluzzi, D. Piau et Th. Wickers, Règles de la profession d’avocat, Dalloz, 2018, n° 622-21.

[56] Rapport «Gauvain», p. 61.

[57] Rapport préc., n° 2.1.3.5., p. 61-62 : «En effet, la mission considère qu’il ne serait pas concevable d’appliquer aux avocats salariés en entreprise l’actuel secret professionnel, car la nature de ce qui est protégé est différente : - s’agissant des avocats libéraux en cabinet, c’est l’avocat dans tout ce qu’il accomplit et dans ses échanges avec son client qui est protégé (protection in personam) ; - s’agissant des avocats en entreprise, c’est uniquement l’avis juridique et/ou les communications juridiques de l’avocat avec son client interne qui sont protégés (protection in rem). Le droit à la protection des avis juridiques de l’avocat en entreprise devra ainsi faire l’objet d’une définition strictement limitée à la réflexion juridique, afin d’éviter tout abus […]. En tout état de cause, la Loi devra s’assurer de la prééminence du droit spécial des avis juridiques, comme c’est d’ailleurs le cas dans tous les pays européens qui ont transposé la Directive «secret des affaires» et qui connaissent également le droit spécial du «legal privilege» sous diverses formes».

[58] Rapport préc., n° 2.1.4., p. 62.

[59] Ibid.

[60] Rapport préc., n° 2.1.4.5., p. 66-67.

[61] Par exemple, cf. Anaïs de la Pallière (entretien avec), Le modèle actuel de la collaboration libérale n’est pas adapté au jeune avocat, Dalloz actualité, 2 juillet 2019.

[62] N. Molfessis, Synthèse des travaux, in La confidentialité des juristes d’entreprises, Juriste d’Entreprise Magazine, Numéro spécial, 19 septembre 2013 ([LXB=N145BUE]), p. 151-152, spéc. p. 151.

[63] Loi du 31 décembre 1971, art. 1.

[64] Loi du 31 décembre 1971, art. 3 : «Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité».

[65] Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS), Bull. civ. I, n° 90.

[66] Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-23.718, FS-P+B (N° Lexbase : A6830KMW), Bull. civ. V, n° 232.

[67] Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-13.532 (N° Lexbase : A0422ACM), Bull. civ. I, n° 274.

[68] RIN, art. 14-1.

[69] RIN, art. 14-3.

[70] Rapport «Gauvain», p. 60.

[71] Dalloz actualité, 11 octobre 2019.

[72] CJUE, 6 septembre 2012, aff. C-422/11 P (N° Lexbase : A3089IS9)

[73] Ibid.

newsid:471202

Discrimination

[Brèves] Contrôle des juges du fond face à une discrimination liée à l’état de grossesse dans le cadre d’un retour de congé parental

Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-15.682, FS-P+B (N° Lexbase : A6550ZYA)

Lecture: 2 min

N1280BY3

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par Charlotte Moronval

Le 20 Novembre 2019

► Le juge ne peut débouter une salariée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse et fondées sur le fait qu’à son retour de congé parental d’éducation son poste étant occupé par un salarié recruté pour la remplacer et elle ne s’est vu proposer que des tâches subalternes emportant une modification de son contrat de travail, au motif qu'elle n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui seraient de nature à supposer l'existence d'une discrimination à raison de l'état de grossesse, sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes qui choisissent de bénéficier d'un congé parental, la décision de l'employeur de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d'administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l'existence d'une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 novembre 2019 (Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-15.682, FS-P+B N° Lexbase : A6550ZYA).

Dans les faits. Une salariée bénéficie d'un congé parental du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001, date à laquelle elle reprend son travail.

La position de la cour d’appel. Elle est déboutée de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse par la cour d’appel (CA Lyon, 24 février 2017, n° 15/08491 N° Lexbase : A1614TPH) et forme donc un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel au via de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) alors applicable, ensemble l'accord-cadre sur le congé parental figurant à l'annexe de la Directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 (N° Lexbase : L7828AUH), alors applicable (sur La prohibition des discriminations liées à l'état de grossesse, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E2584ETU).

newsid:471280

Droit pénal des affaires

[Jurisprudence] Transmission d’une amende civile à la société absorbante : la fusion n’est qu’un changement d’état

Réf. : CEDH, 1er octobre 2019, Req. 37858/14, Carrefour France c/ la France (N° Lexbase : A8015ZSN)

Lecture: 9 min

N1180BYD

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par Frédéric Stasiak, Professeur à l’Université de Lorraine

Le 20 Novembre 2019

 


Mots-clés : pratiques restrictives • amende civile • société absorbante • continuité de l’entreprise • concurrence

Résumé : la Cour européenne des droits de l’Homme décide que l’amende civile sanctionnant des pratiques restrictives de concurrence peut être prononcée contre la société absorbante sur le fondement du principe de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise.


 

A la suite d’un contrôle de la société Carrefour Hypermarchés France (CHF), la DGCCRF du Cher décidait, en 2005, de saisir le tribunal de commerce de Bourges de comportements susceptibles de caractériser des pratiques restrictives de concurrence. Cependant, quelques semaines avant la saisine de la juridiction commerciale, la SAS Carrefour France décidait, en sa qualité d’associé unique de la société CHF, de prononcer, à son profit, la dissolution sans liquidation de cette dernière avec transmission universelle de son patrimoine. En droit pénal, la Chambre criminelle affirme constamment que « l’article 121-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2225AMD) ne peut s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique » [1]. Le Conseil d’État retient une toute autre solution en matière financière et décide que « ni l’article 121-1 du Code pénal, ni le principe de la personnalité des peines ne faisaient obstacle à ce que le CMF prononçât une sanction pécuniaire à l’encontre de la société absorbante » [2].

A l’issue d’une procédure ponctuée de deux arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation [3], la SAS Carrefour était condamnée au paiement d’une amende civile de 60 000 euros sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L7575LB8) [4]. Dans son arrêt du 21 janvier 2014, la Chambre commerciale décidait, pour rejeter le pourvoi, que les dispositions de l'article L. 442-6 « qui visent tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, auteur des pratiques restrictives énoncées par ce texte, s'appliquent à toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l'exploite ; le principe de la personnalité des peines, résultant des articles 8 (N° Lexbase : L1372A9P) et 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle au prononcé d'une amende civile à l'encontre de la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise ». Au sein de l’oxymore « amende civile », elle faisait donc prévaloir l’adjectif sur le substantif, reprenant ainsi une solution antérieurement dégagée à propos des pratiques anticoncurrentielles [5].

Le Conseil constitutionnel a également estimé, dans une décision 2016-542 QPC du 18 mai 2016 (Cons. const., décision n° 2016-542 QPC, du 18 mai 2016 N° Lexbase : A3876RPA), que l’article L. 442-6 se référait à des activités économiques, quelles que soient les formes juridiques sous lesquelles elles s’exerçaient [6]. Le Conseil ajoutait que, s’agissant de la préservation de l’ordre public économique, l’absorption de la société auteur de ces pratiques par une autre société ne mettait pas fin à ces activités qui se poursuivaient au sein de la société absorbante. Dès lors, « les dispositions contestées permettent qu’une sanction pécuniaire non pénale soit prononcée à l’encontre de la personne morale à laquelle l’exploitation d’une entreprise a été transmise […] il [en] résulte que les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, ne méconnaissent pas, compte tenu de la mutabilité des formes juridiques sous lesquelles s’exercent les activités économiques concernées, le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait » [7]. Pourtant, si cette « amende civile » n’est pas formellement pénale, elle n’en est pas moins de nature punitive puisqu’elle vient compléter la sanction principale d’une pratique restrictive qui, selon l’article L. 442-6, « engage la responsabilité civile de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé ».

Au niveau européen, la Cour de Justice de l’Union européenne a décidé qu’une fusion-absorption entraînait « la transmission, à la société absorbante, de l’obligation de payer une amende infligée par décision définitive après cette fusion pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant ladite fusion » [8].

C’est dans ce contexte jurisprudentiel, peu favorable à ses prétentions, que la SAS Carrefour soutenait devant la Cour européenne des droits de l‘Homme que sa condamnation à une amende civile contrevenait au principe de la personnalité des peines et violait, en conséquence, l’article 6 §§1 et 2 de la Convention (N° Lexbase : L1370A9M). La Cour considère, au regard des critères classiques d’une « accusation en matière pénale », que l’article 6 de la Convention était applicable, dans son volet pénal, à l’amende civile infligée à la société requérante [9] : elle n’est donc pas dupe du maquillage civil couvrant une sanction à finalité punitive. La Cour rappelle que les règles, fondamentales en droit pénal, de responsabilité pénale personnelle et de personnalité des peines valent « pour les personnes morales comme pour les personnes physiques » [10]. Elle constate cependant que, à l’instar de la CJUE, la Chambre commerciale de la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel retiennent, à l’égard des personnes morales, une approche fondée sur la continuité économique de l’entreprise et admettent qu’une personne morale, bénéficiaire de la transmission du patrimoine d’une société dissoute sans liquidation, pouvait encourir l’amende prévue par l’article L. 442-6. Ce texte a pour objectif, pour préserver l’ordre public économique, de sanctionner les pratiques restrictives de concurrence commises dans l’exercice d’activités économiques. Or, l’absorption de la société auteur de ces pratiques par une autre société ne met pas fin à ces activités qui se poursuivent au sein de la société absorbante [11]. Ce raisonnement n’emporte pas pleinement la conviction. D’une part, ce n’est pas parce que les activités économiques se poursuivent au sein de la société absorbante que celle-ci poursuit nécessairement les pratiques illicites de la société absorbée : elle peut y avoir mis un terme. A défaut, la société absorbante devrait être sanctionnée pour son propre -ou plutôt impropre- comportement. D’autre part, admettre que la préservation de l’ordre public économique puisse justifier une dérogation à un principe fondamental du droit pénal ne revient-il pas à faire prévaloir cet ordre public économique sur l’ordre public tout court ?

La Cour semble estimer, néanmoins, que l’approche fondée sur la continuité économique « ne contrevient pas au principe de personnalité des peines » [12], ou ne contrevient « qu’en apparence » audit principe, puisqu’en raison de cette continuité d’une société à l’autre, la société absorbée n’est pas véritablement « autrui » à l’égard de la société absorbante [13]. Pourtant, la société poursuivie était bien « autrui » au moment des faits, commis avant son absorption.

Elle ajoute que, « dans ce contexte », une mise en oeuvre sans nuance du principe de personnalité des peines pourrait rendre vaine la responsabilité économique des personnes morales qui pourraient échapper à toute condamnation pécuniaire en matière économique par le biais d’opérations telles que la fusion-absorption. Elle estime que le choix opéré en droit positif français, comme en droit de l’Union européenne, dicté par un impératif d’efficacité de la sanction pécuniaire, serait mis à mal par une application mécanique du principe de la personnalité des peines à des personnes morales [14]. La Cour décide, in fine, « qu’en prononçant contre la société requérante l’amende civile prévue par l’article L. 442-6 du Code de commerce, sur le fondement de la continuité et fonctionnelle de l’entreprise, les juridictions internes n’ont pas porté atteinte au principe de la personnalité des peines » [15]

Cette solution peut se comprendre dans la mesure où, en l’espèce, la société absorbante était l’associé unique de la société absorbée. De surcroît, en droit pénal, l’article 133-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2149AMK) prévoit « le recouvrement de l’amende […] après la dissolution de la personne morale jusqu’à la clôture des opérations de liquidation » [16], cette « patrimonalisation des amendes » [17] ayant été entérinée par le Conseil constitutionnel [18], mais le texte suppose qu'une condamnation soit intervenue. La Cour de Strasbourg estime malgré tout que le principe de personnalité des peines serait « frontalement heurté lorsqu’il y a condamnation d’une personne physique à raison d’un acte commis par une autre personne physique » [19] : l’article 133-1 du Code pénal serait-il pleinement constitutionnel mais partiellement inconventionnel ?

La solution retenue par la Cour de Strasbourg interroge cependant en ce qu’elle néglige un autre principe fondamental du droit pénal, et que le droit de la concurrence n’ignore pas [20], celui de la personnalisation de la peine [21] mais dont l’application soulèverait d’autres difficultés, notamment d’appréciation de la situation de la société absorbante [22]. Sauf à considérer que cette dernière serait seulement poursuivie en tant que redevable, ou garante, du paiement de l’amende [23]qui se trouvait potentiellement au passif de la société poursuivie avant que celle-ci ne soit absorbée. Il reste à savoir si le droit pénal, stricto sensu, peut intégrer cette apparente dérogation au principe de personnalité des peines admise par la Cour européenne des droits de l’Homme. Une alternative possible résiderait dans une plus grande attention portée aux hypothèses de fraude à la loi, voire dans une possible caractérisation d’un recel par bénéfice du produit de l’infraction (C. pén., art. 321-1, al. 2 N° Lexbase : L1940AMS) imputable à la société absorbante. A défaut, toute évolution de la jurisprudence de la Chambre criminelle en la matière supposerait un net départ entre personnes physiques et personnes morales dans l’application du principe de personnalité des peines en tenant compte, par exemple, de la « mutabilité des formes juridiques sous lesquelles s’exercent les activités » [24] des personnes morales.

 

[1] Par ex. Cass. crim., 25 octobre 2016, n° 16-80.366, FS-P+B (N° Lexbase : A3252SCG).

[2] CE Contentieux, 22 novembre 2000, n° 207697 (N° Lexbase : A1832AIP).

[3] Cass. com., 27avril 2011, n° 10-13.690, F-P+B (N° Lexbase : A5267HPR) et Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-29.166, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0032MDK).

[4] Actuellement : C. com., art. L. 442-1 (N° Lexbase : L0501LQM).

[5] Voir notamment : Cass. com., 23 juin 2004, n° 01-17.896, FS-P (N° Lexbase : A7959DCR) ; Cass. com., 28 février 2006, n° 05-12.138, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3268DND).

[6] Consid. 8. L’argument tient-il toujours avec l’actuel article L. 442-1 disposant qu’engage sa responsabilité « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services » ?

[7] Consid. 10.

[8] CJUE, 5 mars 2015, aff. C-343/13 (N° Lexbase : A6841NCD).

[9] § 42.

[10] § 43, in fine.

[11]§ 46.

[12] § 47.

[13] § 48.

[14] §§ 49 et 50.

[15] § 53.

[16] C. pén., art. 133-1 (N° Lexbase : L2149AMK).

[17] B. de Lamy, La transmission d’une amende par voie successorale, RSC, 2013, p. 430.

[18] Cons. const., décision n° 2012-239 QPC, du 4 mai 2012 (N° Lexbase : A5657IKQ).

[19] § 48, in fine.

[20] Cf. C. com., art. L. 464-2, al. 3 (N° Lexbase : L2313LDZ) pour les pratiques anticoncurrentielles.

[21] C. pén., art. 132-20 (N° Lexbase : L5004K8T).

[22] Cf. notamment, B. de Lamy, préc.

[23] Comp. Cons. const., décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 (N° Lexbase : A8780AC8), concernant l’ancien art. L. 21-2 du Code de la route (actuel art. L. 121-3 N° Lexbase : L2610LCN) pour le titulaire du certificat d’immatriculation ; voir également article L. 4741-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3366IQQ) pour l’employeur.

[24] Cons. const., décision n° 2016-542 QPC, du 18 mai 2016 (N° Lexbase : A3876RPA).

newsid:471180

Entreprises en difficulté

[Brèves] Plan de sauvegarde : sanction attachée à l’omission d’un document devant être joint à la lettre de consultation sur les propositions de règlement des dettes

Réf. : Cass. com., 14 novembre 2019, n° 18-20.408, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2139ZYU)

Lecture: 3 min

N1186BYL

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par Vincent Téchené

Le 20 Novembre 2019

► La notification au créancier d’une lettre de consultation sur les propositions pour le règlement des dettes à laquelle n’est pas joint l’un des documents exigés par l’article R. 626-7, II du Code de commerce (N° Lexbase : L4932IPD) ne fait pas courir le délai de réponse de 30 jours imparti au créancier prévu par l’article L. 626-5, alinéa 2, du même code (N° Lexbase : L2325ING) ;

Tel est le cas de la lettre qui n’est pas accompagnée de l’état de la situation passive et active de la société débitrice.

Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 14 novembre 2019 (Cass. com., 14 novembre 2019, n° 18-20.408, FS-P+B+I N° Lexbase : A2139ZYU).

L’affaire. Une société mise en sauvegarde, a proposé un plan de sauvegarde prévoyant l’apurement de son passif par un paiement de 35 % des créances en principal le 1er septembre 2017 (option A) ou un paiement de 100 % des créances en 10 annuités (option B). Une banque, consultée sur ces propositions de règlement par une lettre reçue le 20 décembre 2016, a répondu au mandataire judiciaire le 23 janvier 2017, en précisant opter pour l’option B. Considérant que cette réponse était tardive, de sorte qu’était acquis l’accord de la banque pour un paiement de sa créance selon l’option A, le mandataire judiciaire a présenté le plan de sauvegarde au tribunal en précisant que la créance serait remboursée suivant cette option. Cette modalité d’apurement a été reprise par le plan de sauvegarde adopté par un jugement du 1er mars 2017, auquel la banque a formé tierce-opposition en invoquant l’irrégularité de la lettre de consultation, au motif qu’elle n’était pas accompagnée d’un état de la situation passive et active de la société débitrice, comme l’exige l’article R. 626-7 du Code de commerce.

L’arrêt d’appel. La cour d’appel rejette cette tierce-opposition. Elle retient que si une notification irrégulière ou incomplète peut avoir pour effet de ne pas faire courir le délai de 30 jours, c’est à la condition que l’irrégularité ou l’incomplétude portent sur des éléments déterminants qui auraient empêché le créancier de pouvoir valablement opter dans le délai requis, et que tel n’est pas le cas en l’espèce.

La décision. Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 626-5, alinéa 2, et R. 626-7, II du Code de commerce (cf. l’Encyclopédie «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E1513EUL).

Précisions. L’article R. 626-7, II liste les documents qui doivent accompagner la lettre de consultation. En outre, l’article L. 626-5 du Code de commerce prévoit que le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut acceptation. La Cour de cassation a pu préciser que ce délai de 30 jours commence à courir à compter de la réception de cette lettre par le créancier (Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-17.472, F-P+B (N° Lexbase : A0614EBD). Notons que la solution issue de l’arrêt du 14 novembre 2019 s’applique au plan de redressement, puisque les dispositions de l'article L. 626-5 lui sont applicables par renvoi de l'article L. 631-19 (N° Lexbase : L8856I3E).

newsid:471186

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] La suppression de l'abattement pour durée de détention sur les gains nets retirés des cessions d'actions et de parts sociales conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-812 QPC, du 15 novembre 2019(N° Lexbase : A2401ZYL)

Lecture: 2 min

N1187BYM

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par Marie-Claire Sgarra

Le 20 Novembre 2019

Les dispositions de l’article 150-0 D bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L5278IRW), dans leur rédaction issue de l'article 80 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 (N° Lexbase : L4993IRD) et modifiée par l'article 7 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L4518IS7), en tant qu'elles suppriment l'abattement sur les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de parts de société prévu par les dispositions du même article dans leur rédaction antérieure sont conformes à la Constitution.

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 15 novembre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-812 QPC, du 15 novembre 2019 N° Lexbase : A2401ZYL).

Pour rappel, la question de la constitutionnalité de la suppression de cet abattement avait été renvoyée devant le Conseil constitutionnel en ce qu’elle porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la garantie des droits résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (CE 8° et 3° ch.-r., 11 septembre 2019, n° 431686, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3274ZNL).

La loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2015, de finances rectificative pour 2005 (N° Lexbase : L6430HEU), avait modifié les modalités d’imposition des gains nets de cession de titres réalisés par les particuliers à compter du 1er janvier 2006. Il était ainsi prévu que les gains nets soient réduits d’un abattement pour durée de détention, égal à un tiers par année de détention des titres cédés et applicable dès la fin de la sixième année, ce qui conduisait à une exonération totale de la plus-value réalisée lors de la cession de titres détenus depuis plus de huit ans. Or ce dispositif a été supprimé avant même d’avoir été appliqué par la loi de finances pour 2012 qui lui a substitué un mécanisme de report d’imposition optionnel applicable, sous conditions, aux cessions réalisées dès 2011.

Pour le Conseil constitutionnel, le législateur a entendu faciliter la transmission des entreprises françaises au moment du départ à la retraite de leurs dirigeants, lesquels ne sont pas dans la même situation que les autres cédants de titres. Dès lors, le législateur a institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi. Dès lors, les dispositions contestées sont déclarées conformes à la Constitution.

 

 

newsid:471187

Fonction publique

[Brèves] Possibilité pour le SPV victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle d'obtenir une indemnisation complémentaire à l’indemnisation forfaitaire légale

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 7 novembre 2019, n° 409330, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2823ZU4)

Lecture: 2 min

N1204BYA

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par Yann Le Foll

Le 20 Novembre 2019

► Le sapeur-pompier volontaire (SPV) victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peut obtenir une indemnisation complémentaire à l’indemnisation forfaitaire légale.

Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 7 novembre 2019 (CE 3° et 8° ch.-r., 7 novembre 2019, n° 409330, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2823ZU4).

Contexte. L'article 1-5 de la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 (N° Lexbase : L7980AIE) et les articles 1er et 20 de la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 (N° Lexbase : L0262G89), déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les sapeurs-pompiers volontaires victimes d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peuvent prétendre, au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident ou cette maladie.

Le c de l'article 20 de la loi du 31 décembre 1991, se borne à exclure l'attribution d'avantages supplémentaires par les collectivités locales et leurs établissements publics au titre de cette réparation forfaitaire.

Solution. Le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, peut obtenir de la personne publique auprès de laquelle il est engagé, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.

En outre, une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage peut être engagée contre la personne publique, dans le cas, notamment, où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne, ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait (cf. l'Ouvrage "Droit de la Fonction publique" N° Lexbase : E0039EQI).

newsid:471204

Licenciement

[Brèves] Compétence du juge judiciaire pour statuer sur les risques psychosociaux générés par une réorganisation assortie d’un PSE validé par l’administration

Réf. : Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-13.887, FS-P+B (N° Lexbase : A6642ZYN)

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N1275BYU

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par Charlotte Moronval

Le 20 Novembre 2019

► Le juge judiciaire est compétent pour connaître de demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en oeuvre d’un projet de restructuration, présentées par un CHSCT, et même en présence d’un plan de sauvegarde de l’emploi validé par l’administration.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 novembre 2019 (Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-13.887, FS-P+B N° Lexbase : A6642ZYN).

Dans les faits. Une société présente un projet de réorganisation de son activité, ce projet s'accompagnant d'un plan de sauvegarde de l'emploi compte tenu de la suppression prévue de 71 postes de travail. Le projet fait l'objet d'une mesure d'expertise, à la demande du CHSCT, ayant pour objet l'évaluation des impacts sur la santé, la sécurité et les conditions de travail, à la suite duquel est émis par ledit comité un avis défavorable. Un accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi est conclu et validé par la Direccte. Le CHSCT réseau vote alors le recours à une nouvelle expertise avec notamment pour mission l'identification des risques de facteurs psychosociaux en lien avec le projet. Le projet est finalement mis en place à titre expérimental avant d'être déployé sur l'agence de Marseille puis étendu à l'ensemble de la région Méditerranée. Plusieurs licenciements économiques sont intervenus et peu de temps après, l'expert a conclu à l'existence de risques psychosociaux. Le secrétaire du CHSCT réseau a alors déclenché une procédure d'alerte en raison de l'existence d'une cause de danger grave et imminent au sein de la région Méditerranée, puis a saisi l’inspection du travail. Le CHSCT fait assigner en référé la société afin notamment qu'il soit constaté que celle-ci n'avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de suspendre toute mise en œuvre du projet dans la région pilote Méditerranée et qu'il soit interdit tout déploiement de ce même projet dans d'autres régions.

La position de la cour d’appel. La cour d’appel (CA Versailles, 18 janvier 2018, n° 17/06280 N° Lexbase : A7331XAR) déclare le juge judiciaire compétent et, en conséquence, rejette l'exception d'incompétence au profit du juge administratif. La société forme un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi. La cour d'appel, qui a constaté que le juge judiciaire avait été saisi de demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en oeuvre du projet de restructuration, en a exactement déduit que celui-ci était compétent (sur La compétence des juridictions judiciaires après la loi du 14 juin 2013, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E1056E9Y).

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Procédure administrative

[Conclusions] Expulsion de personnes physiques occupant sans droit ni titre un immeuble appartenant à l’Etat : irrecevabilité du pourvoi formé à l'encontre de l'ordonnance d'expulsion par la commune concernée - conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 8 novembre 2019, n° 425177, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4278ZUY)

Lecture: 19 min

N1228BY7

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par Romain Victor, Maître des requêtes au Conseil d’Etat, Rapporteur public à la section du contentieux

Le 20 Novembre 2019

Dans un arrêt rendu le 8 novembre 2019, la Haute juridiction a dit pour droit que, lorsque le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU), ordonne l’expulsion de personnes physiques occupant sans droit ni titre un immeuble appartenant à l’Etat, la commune sur le territoire de laquelle l’immeuble est implanté n’est pas recevable à former un recours en cassation contre cette ordonnance, dès lors que l’expulsion ne préjudicie pas à ses droits, alors même qu’elle se serait vu reconnaître à tort la qualité de partie par le juge des référés. Lexbase Hebdo – édition publique vous propose de lire les conclusions sur cette affaire de Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’Etat.

1.- La commune de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) compte plusieurs foyers de travailleurs migrants sur son territoire, notamment le foyer «Bara» : il s’agit d’un immeuble de trois étages reconstruit en 1968, situé à l’angle des rues Bara et Robespierre, d’une capacité théorique de 68 chambres collectives pour 410 lits, accueillant des travailleurs d’Afrique subsaharienne, essentiellement d’origine malienne. Le bien est la propriété de la société anonyme d’HLM Antin Résidences, qui en a confié la gestion à l’association Coallia.

 

L’état de délabrement prononcé du foyer a contraint le propriétaire et le gestionnaire, en lien avec les pouvoirs publics, à envisager une opération de démolition et reconstruction, impliquant de trouver une solution de relogement temporaire des résidents du foyer. Un protocole d’accord a été conclu en février 2013 entre l’Etat, la commune de Montreuil, la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées, Action Logement, Antin Résidences et Coallia, pour arrêter une «stratégie de traitement» du foyer Bara, prévoyant une démolition au plus tard fin 2016 et le relogement des occupants dans cinq résidences sociales devant être construites sur le territoire de la commune de Montreuil.

Ces résidences n’ont toutefois pas été construites dans les délais et le foyer, bien qu’en partie muré, a continué à être habité. En considération de l’état sanitaire et de risques d’effondrement et d’incendie mis en évidence par des inspections réalisées par les services de la commune, le maire de Montreuil a interdit l’accès au foyer par un arrêté du 21 septembre 2018. Puis, par un arrêté du 26 septembre, faisant usage des pouvoirs de police qu’il tient de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0892I78), il a réquisitionné, en vue que les occupants du foyer Bara y soient hébergés, des locaux vacants situés 13, place du général de Gaulle, ayant constitué jusqu’en 2015 le campus de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (l’AFPA). Les lieux ont été investis dans la foulée, et occupés, à la suite de cet arrêté.

Il se trouve que cet ensemble immobilier, composé de six bâtiments totalisant une surface de plancher de 20 000 m², est la propriété de l’Etat qui, en vertu d’une décision du Premier ministre, l’a mis en septembre 2017 à la disposition du Conseil d’Etat, à raison de sa mission de gestion de la juridiction administrative, en vue qu’y soient relocalisés, à l’horizon 2024, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et le tribunal administratif de Montreuil, compte tenu de l’importance des loyers et des difficultés de gestion des bâtiments qu’ils occupent actuellement à Montreuil.

Dès avant l’occupation par les résidents du foyer Bara, les clés du site avaient été remises au Conseil d’Etat qui est désormais chargé d’en assurer le gardiennage et qui a conclu, en juillet 2018, une convention de mandat avec l’agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) par laquelle elle lui a délégué la maîtrise d’ouvrage des études opérationnelles et des travaux.

C’est dans ce contexte original -qui voit donc un processus de relogement de travailleurs migrants percuter un projet de relocalisation d’une juridiction de l’asile- que le préfet de la Seine-Saint-Denis a saisi le tribunal administratif de Montreuil, par une requête du 10 octobre 2018 opportunément dépaysée à Paris par ordonnance du président de la Section du contentieux, de conclusions tendant à ce que le juge des référés ordonne, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, l’expulsion des occupants sans droit ni titre des locaux situés 13, place du général de Gaulle.

Par une ordonnance du 19 octobre 2018, le juge des référés a fait droit à sa demande et enjoint à tous les occupants présents sur le site d’évacuer les locaux, d’enlever les matériels entreposés et de remettre les lieux en l’état dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision.

C’est contre cette ordonnance que la commune de Montreuil se pourvoit en cassation sous le numéro appelé.

Précisons que le préfet a parallèlement déféré à la juridiction administrative, en assortissant ses conclusions à fin d’annulation de demandes de suspension, les arrêtés du maire de Montreuil portant respectivement interdiction de l’accès au foyer Bara et réquisition des locaux de l’AFPA. L’exécution de l’arrêté de réquisition a été suspendue par ordonnance du 19 octobre 2018, confirmée en appel par le juge des référés de la cour de Paris [1], dont la décision est devenue définitive après refus d’admission du pourvoi en cassation [2], tandis que la demande de suspension de l’arrêté interdisant l’accès au foyer Bara a été rejetée.

2.- Dans le litige d’expulsion, dont il vous appartient de connaître aujourd’hui, quatre questions sont susceptibles de se poser à vous.

- la première consiste à rechercher s’il y a encore lieu de statuer sur le pourvoi de la commune de Montreuil ;

- la deuxième est celle de la recevabilité de ce pourvoi ;

- la troisième est relative à l’ordre d’examen des deux premières questions ;

- la quatrième enfin, dont l’examen est subordonné à l’absence d’irrecevabilité ou de non-lieu, consiste à déterminer si, eu égard au statut domanial des dépendances occupées, le juge administratif des référés pouvait estimer qu’il n’était pas manifestement incompétent pour connaître de la demande d’expulsion.

2.1.- Sur le non-lieu à statuer d’abord. Par un mémoire en défense produit le 3 janvier 2019, le ministre de l’intérieur soutient que le litige a perdu son objet en se prévalant de sa propre décision de renoncer au bénéfice de l’ordonnance d’expulsion rendue sur sa demande. Il explique que, par un avenant du 21 décembre 2018 au protocole d’accord du 18 février 2013, l’Etat s’est engagé les anciens locaux de l’AFPA à mettre à disposition des anciens résidents du foyer Bara, à titre gratuit et jusqu’à la fin de la trêve hivernale.

En excès de pouvoir, dans la logique de ce recours objectif et d’intérêt général, la renonciation au bénéfice de la chose jugée est sans influence sur la décision juridictionnelle d’annulation prononcée par le juge (CE Sect., 13 juil. 1967, n° 70777 N° Lexbase : A9455B7C, Rec. p. 339 ; CE, 2 février 1972, n° 82408 N° Lexbase : A1507B7X, Rec. p. 106 ; CE, 27 septembre 1989, n° 79502 N° Lexbase : A2114AQD, T. p. 857). En plein contentieux, en revanche, il est jugé qu’il n’y a plus lieu de statuer sur un appel quand l’intimé renonce au bénéfice du jugement : voyez, en matière de pensions de retraite, une décision «Min. c/ Hanriot-Colin» du 7 octobre 1970 (CE n° 78496 [LXB= A5226B7P]) (Rec. p. 556) [3]. Cette solution a été étendue à la cassation, puisque vous décidez que le pourvoi perd son objet lorsque la partie qui bénéficie de la décision contestée renonce au bénéfice de celle-ci : voyez, pour des arrêts rendus en plein contentieux fiscal : CE 3° et 8° s-s-r., 26 mars 2008, n° 293505 (N° Lexbase : A5951D7K), inédit, concl. L. Olléon et CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 323176 (N° Lexbase : A5423HTZ) (T. pp. 872-1087).

Il n’y a pas de précédent dans le cas d’un pourvoi contre une ordonnance de référé L. 521-3, mais la procédure de référé d’urgence conduit le juge, comme en plein contentieux, à s’intéresser à la réalité des choses à la date à laquelle il statue et le litige, qui tendait à obtenir un titre pour expulser, paraît perdre son objet lorsque la personne publique qui a sollicité cette «mesure utile» vous dit elle-même que l’expulsion n’est plus utile et qu’elle renonce à se prévaloir de la décision juridictionnelle. Enfin, il serait étrange que, dans une situation où l’Etat propriétaire vous explique que, dans le cadre d’un règlement d’ensemble et quasi-transactionnel d’une affaire sensible, il s’accommode pour quelques temps encore des occupants sans droit ni titre dont il souhaitait initialement (et a obtenu) l’expulsion, le juge de cassation fasse comme si de rien n’était et persiste à statuer sur le pourvoi.

Si nous hésitons cependant à dire que le litige a définitivement perdu son objet, c’est que rien ne s’oppose à ce que le ministre, dont nous avons vu que la position avait évolué dans cette affaire, se ravise et mette à exécution l’ordonnance d’expulsion avant la lecture de votre décision. Ce risque existe : si la renonciation à la chose ordonnée par le JRTA est exprimée en des termes clairs, le ministre de l’Intérieur écrivant que l’ordonnance «ne sera pas mise à exécution», compte tenu de la «transaction» conclue et que «le présent pourvoi en cassation a perdu tout son objet», le mémoire du 3 janvier 2019 fait état de ce que l’autorisation d’occupation a été donnée jusqu’à la fin de la trêve hivernale, laquelle s’est achevée le 31 mars 2019. En outre, si l’Etat a pu consentir au relogement des «résidents» du foyer Bara dans les locaux de l’AFPA (c’est-à-dire ceux qui y étaient régulièrement logés, par l’effet de décisions d’attribution de places en logement-foyer prises par Coallia), il n’est pas certain qu’il entende traiter sur le même plan ceux qui ne sont que des «occupants», faute de disposer d’un titre de même nature. Enfin, à la date à laquelle vous statuez, aucun élément au dossier ne permet d’établir que l’Etat aurait maintenu son accord pour une occupation temporaire des locaux de l’AFPA pour la totalité des occupants sans droit ni titre et il nous semble en définitive plus prudent de vous inviter à rejeter les conclusions aux fins de non-lieu, en considération du caractère équivoque de la renonciation par l’Etat au bénéfice de la chose ordonnée.

2.2.- Nous en venons à la question de la recevabilité du pourvoi que votre 8ème chambre a communiquée d’office aux parties.

Il ressort des pièces du dossier qui vous est soumis que la commune de Montreuil a été traitée comme une partie par le juge des référés qui lui a communiqué la requête du préfet pour production d’écritures en défense. Celle-ci a désigné, pour la représenter, un avocat à la Cour qui a produit un mémoire en défense reçu le 16 octobre 2018. Elle a eu accès aux pièces de la procédure et la fiche Sagace du tribunal administratif de Paris l’identifie en tant que «défendeur».

Sans conteste, la commune a joué un rôle de premier plan dans l’occupation du campus de l’AFPA. Elle en est à l’origine juridiquement, via l’arrêté de réquisition pris par son maire et politiquement, via le soutien apporté aux «Bara» relogés dans les murs de l’Etat. Mais la commune ne pouvait de toute évidence être regardée comme une partie à une procédure de référé tendant à l’expulsion de personnes physiques. Qu’elle le veuille ou non, la commune ne vient pas aux droits des personnes expulsables, par rapport auxquelles elle a la qualité de tiers (v. CE 8° s-s., 19 avril 2013, n° 357928 N° Lexbase : A4182KCU, inédit). Elle aurait pu, à la rigueur, avoir la qualité d’intervenant. Il n’est en effet pas impossible d’admettre qu’elle justifiait, au sens de votre décision «OFPRA c/ Edosa Felix» (CE Sect., 25 juillet 2013, n° 350661 N° Lexbase : A1209KKY, Rec. p. 224), d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige pour déposer un mémoire en intervention, car il n’est pas de son intérêt de voir 250 travailleurs migrants se retrouver sur les trottoirs de la ville sans solution de relogement et au risque qu’ils réintègrent le foyer Bara. Mais parce qu’elle est accessoire, l’intervention n’aurait pas été recevable, faute que les occupants du site AFPA aient produit un mémoire en défense (v. CE 2° et 6° s-s-r., 5 février 1988, n° 76595 N° Lexbase : A7999APX, T. p. 960 ; CE 2° et 6° s-s-r., 26 mars 1996, n° 157678 N° Lexbase : A8293ANH, T. p. 1096). Il s’agissait donc de simples observations.

Vous jugez classiquement qu’en vertu des règles générales de procédure (puisque l’article L. 821-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3297ALP est muet sur ce point), la voie du recours en cassation n’est ouverte qu’aux personnes ayant eu la qualité de «parties» dans l’instance ayant donné lieu à la décision attaquée (CE Sect., 6 février 1931, n° 99352 N° Lexbase : A9804AIX, Rec. p. 154 [4]), motif que vous complétez par deux précisions :

i) une personne qui n’a été ni appelée ni représentée à l'instance peut former tierce-opposition devant la juridiction qui a rendu la décision si celle-ci préjudicie à ses droits (CE Sect., 21 juin 1949, SA Entreprise Aichinger, Rec. p. 305 ; CE 5° et 7° s-s-r., 3 juillet 2000, n° 196259 N° Lexbase : A2365B7Q, T. p. 1194 ; CE 5° et 4° s-s-r., 16 mars 2016, n° 378675 N° Lexbase : A2183Q8D, Rec. p. 74) ;

ii) doit être regardée comme une partie à l’instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l’avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond (CE 9° et 10° ch.-r., 9 octobre 2019, n° 430538 N° Lexbase : A8990ZQZ).

La question, qui n’est pas clairement tranchée par votre jurisprudence, bien qu’elle ne soit pas inédite (v. CE 2° et 7° ch.-r., 23 févier. 2017, n° 393282 N° Lexbase : A2364TPA, inédite, concl. B. Bourgeois-Machureau), est de savoir si vos mains sont liées par la qualification de «partie», ici de partie en défense, retenue par la juridiction ayant statué en dernier ressort ou s’il vous est loisible de restituer à l’auteur du pourvoi sa véritable qualité, qui était ici, nous vous l’avons dit, celle d’observateur.

Notre proposition est de ne pas s’en tenir à la qualification retenue par la juridiction dont la décision est frappée du pourvoi.

Soulignons d’emblée qu’étant en cassation directe d’une ordonnance d’un JRTA, vous n’avez pas en face de vous un appelant qui serait recevable à se pourvoir en cassation contre l’arrêt rejetant son appel quand bien même il n’aurait pas eu qualité pour interjeter appel (CE 10° et 9° s-s-r., 4 février 2013, n° 335589 N° Lexbase : A3259I7T, T. p. 804 [5]).

Nous observons ensuite que vous n’accordez pas d’importance aux termes dans lesquels les juges du fond ont appelé une personne à produire des observations. Dans un litige dans lequel était en cause un permis de construire délivré au nom de l’Etat, vous avez constaté l’irrecevabilité du pourvoi d’une commune en relevant que celle-ci, qui n’avait été présente en première instance qu’en qualité d’intervenante, n’avait pu être appelée devant la cour, «en dépit des termes de la lettre que lui a adressée le greffe […], que pour présenter de simples observations» (CE 4° et 5° s-s-r., 10 février 2010, n° 313870 N° Lexbase : A7557ERC, inédite).

Cette solution a été reprise dans une décision de vos chambres réunies pour déclarer irrecevable le pourvoi du ministre de l’agriculture contre un arrêt ayant statué dans un litige opposant un agent à l’établissement public local d’enseignement agricole qui l’emploie (3ème et 8ème ssr, 10 févr. 2014, Min. c/ Carnet, n° 350758 N° Lexbase : A7557ERC, T. pp. 694-828) ; dans ses conclusions, Vincent Daumas avait indiqué que le ministre n’était pas présent en première instance avant de relever que la communication de la requête d’appel au ministre ne lui avait pas conféré la qualité de partie à l’instance, «quels que soient les termes employés dans les correspondances qui ont pu lui être adressées par la cour».

Cette solution se justifie d’autant plus qu’en pratique, la qualification de « partie » peut résulter d’actes qui n’émanent pas du juge chargé de la mise en état de l’affaire mais du greffe.

Plus fondamentalement, nous observons que votre jurisprudence se refuse toujours à déduire la qualité de partie du seul constat qu’une personne a été mise en cause dans l’instance, ou qu’elle y était présente ou représentée (CE Sect., 3 octobre 2008, n° 291928 N° Lexbase : A5967EAA, Rec. p. 339 ; CE 4° et 6° s-s-r., 20 décembre 2000, n° 209329 N° Lexbase : A0623AQ7, T. p. 1194).

2.3.- Si vous nous suivez pour constater l’irrecevabilité du pourvoi, il vous appartiendra, puisque vous êtes saisis de conclusions aux fins de non-lieu, de vous déterminer quant à l’ordre d’examen de ces deux questions préalables par le juge de cassation.

Traditionnellement, on enseigne que le non-lieu précède l’irrecevabilité mais suit l’incompétence, qui elle-même suit le désistement. C’est le fameux DINI. Mais cette règle, qui vaut en premier ressort, s’applique-t-elle dans les mêmes termes en cassation ?

Votre compétence en tant que juge de cassation pour connaître d’une ordonnance de référé prise sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative ne fait pas de doute. L’article L. 523-1 de ce code (N° Lexbase : L3066AL7) énonce que les décisions prises sur le fondement de l’article L. 521-3 sont rendues en dernier ressort et l’article L. 331-1 (N° Lexbase : L2982ALZ) énonce que le Conseil d’Etat est seul compétent pour statuer sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions administratives.

La question de l’éventuelle incompétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande d’expulsion ne constitue pas, dans ce contexte, une «question préalable». Elle n’a vocation à être abordée par le juge de cassation, le cas échéant, qu’après que celui-ci aura constaté qu’aucune cause tenant au désistement de l’auteur du pourvoi, à la perte d’objet du litige ou à l’irrecevabilité du pourvoi n’y fait obstacle.

A première vue, on pourrait soutenir que la question de l’éventuel non-lieu à statuer ne se pose qu’à la condition que le pourvoi émane d’une personne recevable à saisir le juge de cassation. Mais faut-il que celui-ci examine la recevabilité du pourvoi, lorsqu’il est évident que le litige a perdu son objet ?

Dans ce paradoxe de l’œuf et de la poule, nous sommes tentés de dire que le non-lieu prime l’irrecevabilité du pourvoi.

Si l’on s’intéresse au dispositif de l’arrêt, lorsque le juge de cassation constate l’irrecevabilité du pourvoi, il le «rejette» (ce qui est une manière d’y statuer), alors que, lorsqu’il «constate» le non-lieu, il ne statue pas sur le pourvoi mais se place en amont, comme lorsqu’il donne acte d’un désistement.

Ce n’est guère étonnant, si l’on considère que le non-lieu et le désistement «traduisent en réalité les limites de l’office du juge qui ne saurait statuer au-delà de l’objet du litige dont il est saisi (non ultra petita[6].

A cela s’ajoute une circonstance, qui est propre à l’espèce, tenant à la cause du non-lieu, qui s’apparente à un désistement du demandeur de première instance intervenant après la décision lui ayant donné gain de cause : il s’agit moins de constater la disparition objective de l’objet du litige ayant donné naissance au pourvoi que de tirer les conséquences de l’expression par le requérant initial de sa volonté d’abandonner ses prétentions ; or le désistement est tout en haut, le cas échéant avant même la compétence, dans l’ordre d’examen des questions (CE, 19 juin 1957, Mielle, n° 38300, Rec. p. 404).

Nous pensons donc qu’il vous faut :

1°) écarter les conclusions à fins de non-lieu, et

2°) constater l’irrecevabilité du pourvoi.

Si vous nous suivez, vous n’aurez donc pas à vous prononcer sur le statut domanial et l’éventuelle erreur de droit commise par le JRTA à s’être reconnu compétent pour statuer sur la demande d’expulsion.

Et par ces motifs nous concluons au rejet du pourvoi.

 

[1] CAA Paris, 5 mars 2019, n° 18PA03480.

[2] Décision de non-admission de la 10ème chambre du 24 avril 2019, n° 428996.

[3] V également, en matière de PMI : CSPC, 5 juillet 1996, n° 37357 (Rec. p. 531) ou, dans des litiges indemnitaires : CE, 22 juin 1963, n° 59048, Rec. p. 394 ; CE, 3 décembre 1980, n° 14530 (N° Lexbase : A6062AID), inédit.

[4] Ce qui explique que les membres de la juridiction dont la décision est frappée du pourvoi en cassation ne sont pas recevables à former un pourvoi : CE, 4 mai 1917, Mauguin, n° 55778, Rec. p. 349.

[5] A propos d’une commune ayant formé un appel contre un jugement rendu dans un litige relatif à la contestation d’un permis de construire délivré au nom de l’Etat. Décision qui nous parait revenir sur CE 3° et 8° s-s-r., 10 octobre 2003, n° 238035 (N° Lexbase : A8432C98), T. p. 959, affaire dans laquelle, bien que la commune était appelante, il avait été jugé que son pourvoi était irrecevable. V. aussi CE, 29 mars 1993, n° 115987 (N° Lexbase : A8992AMY), T. p. 984.

[6] M. Guyomar et B. Seiller, Contentieux administratif, Dalloz, Hypercours, 5ème éd., p. 260 n° 533.

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Procédure civile

[Brèves] Erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale : une irrégularité pour vice de forme

Réf. : Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18.20.303, F-P+B+I (N° Lexbase : A2138ZYT)

Lecture: 2 min

N1209BYG

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par Aziber Didot-Seïd Algadi

Le 20 Novembre 2019

► L’erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale ne constitue qu’une irrégularité pour vice de forme n’entraînant la nullité de l’acte qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.

Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 14 novembre 2019 (Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18.20.303, F-P+B+I N° Lexbase : A2138ZYT ; aussi la Cour de cassation a précisé que l'erreur matérielle relative à la forme de la personne morale, qui ne met pas en cause l'existence de celle-ci, et l'omission de l'organe habilité à la représenter en justice, relevées dans la déclaration d'appel, constituent des vices de forme dont la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui les invoque de prouver l'existence de griefs ; en ce sens, Cass. civ. 2, 17 octobre 2019, n° 18-12.574, F-D N° Lexbase : A9403ZRP).

Dans cette affaire, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (l’AP-HP) a fait assigner le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l’hôpital René Muret (le CHSCT) aux fins de voir annuler une délibération désignant un cabinet d’expertise chargé d’évaluer la charge de travail et les risques psychosociaux encourus par les personnels de l’établissement.

Pour déclarer irrecevables les demandes de l’AP-HP, le tribunal de grande instance a relevé que, par délibération du 5 avril 2018, il a été expressément donné mandat à une membre du CHSCT, pour représenter celui-ci en justice à l’occasion des procédures judiciaires pouvant être exercées dans le cadre du recours à l’expertise pour risque grave. L’ordonnance a retenu, également, que l’absence de pouvoir de la secrétaire du CHSCT pour le représenter en justice dans la présente instance, constituait une irrégularité de fond affectant l’assignation sans que le CHSCT ait à justifier d’un grief.

A tort. En statuant ainsi, relève la Haute juridiction, la cour d’appel a violé les articles 114 (N° Lexbase : L1395H4G), 117 (N° Lexbase : L1403H4Q) et 648 (N° Lexbase : L6811H7E) du Code de procédure civile (cf. l’Ouvrage «Procédure civile», La nullité pour vice de forme N° Lexbase : E1151EU8).

newsid:471209

Procédure pénale

[Brèves] Extension d’une garde à vue à des faits nouveaux et étendue des nullités

Réf. : Cass. crim., 14 novembre 2019, n° 19-83.285, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6678ZYY)

Lecture: 4 min

N1226BY3

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par June Perot

Le 20 Novembre 2019

► Il se déduit de l’article 65 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3161I3H) que la notification à la personne gardée à vue d’une extension de la poursuite initiale, d’un autre chef, effectuée par application de cet article, n’a pas pour effet de générer une garde à vue distincte de celle en cours au moment de cette notification ;

en conséquence, la chambre de l’instruction qui prononce l’annulation d’une mesure de garde à vue et de mise en examen pour refus d’une personne de se soumettre à des relevés signalétiques et au prélèvement biologique, doit également annuler tous les actes de la procédure subséquente qui découlent des actes viciés, tels que les procès-verbaux de notification supplétive de garde à vue et de saisie des objets découverts sur l’intéressé.

C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 novembre 2019 portant sur les conséquences de l’annulation d’une garde à vue (Cass. crim., 14 novembre 2019, n° 19-83.285, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6678ZYY).

Résumé des faits. A l’occasion d’un rassemblement, un groupe de personnes a fait l’objet d’un contrôle d’identité, dont l’une d’entre elles a remis, lors de son interpellation, un trousseau de clefs portant des pastilles de couleurs, un jeu de clefs Allen et une clef en croix habituellement utilisée par les pompiers et permettant l’ouverture de certaines parties communes des immeubles. Placé en rétention pour vérification d’identité, l’intéressé a refusé de se laisser signaliser. Il en est résulté un placement en garde à vue pour refus de se soumettre à des relevés signalétiques et au prélèvement biologique. Les autorités suisses ayant signalé que sa photographie correspondait en réalité à une autre identité, il s’est vu notifier l’extension des poursuites au chef d’usurpation d’identité. Déféré, il a été mis en examen et a été placé en détention provisoire. Son avocat a déposé une requête en nullité du contrôle d’identité et de la mise en examen.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a prononcé l’annulation du placement en garde à vue et de la mise en examen pour les seules infractions de refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales et de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques. Elle a ordonné l’annulation ou la cancellation des pièces ou actes de procédure dont ces procès-verbaux étaient les supports nécessaires.

Un pourvoi a été formé en raison du fait que la chambre de l’instruction a refusé de prononcer l’annulation des actes relatifs aux faits d’usurpation d’identité, motif pris de ce qu’ils avaient donné lieu à une notification supplétive des droits au cours de la garde à vue ordonnée initialement pour refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales et de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques ; mais également du fait que les faits seraient susceptibles de donner lieu à une garde à vue distincte de celle annulée.

Etendue de l’annulation prononcée par le juge. Reprenant la solution susvisée, la Haute juridiction considère qu’en se prononçant ainsi, la chambre de l’instruction n’a pas tiré toutes les conséquences de la nullité qu’elle constatait. Par cet arrêt, la Haute cour rejette la conception dualiste de la garde à vue étendue à des nouveaux faits et adhère à une conception plutôt unitaire. En effet, selon elle, et c’est la précision qu’elle apporte en visant l’article 65, la notification de l’extension de la poursuite initiale pour de nouveaux faits (ici, l’usurpation d’identité), ne pouvait avoir pour effet de générer une garde à vue distincte de celle en cours au moment de la notification (cf. l’Ouvrage «La procédure pénale», F. Dupuis, Le contrôle et la contestation des actes d’investigations, Les conséquences de la nullité, à paraître).

newsid:471226

Propriété intellectuelle

[Brèves] Publication de l’ordonnance de transposition du «Paquet marques»

Réf. : Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, relative aux marques de produits ou de services (N° Lexbase : L5296LTC)

Lecture: 3 min

N1179BYC

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par Vincent Téchené

Le 20 Novembre 2019

► Une ordonnance, publiée au Journal officiel du 14 novembre 2019, procède à la transposition en droit français du «Paquet marques» (ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, relative aux marques de produits ou de services N° Lexbase : L5296LTC).

Plus précisément, ce texte  transpose la Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (N° Lexbase : L6109KW8), et assure la compatibilité de la législation, notamment du Code de la propriété intellectuelle, avec le Règlement n° 2017/1001 du 14 juin 2017, sur la marque de l'Union européenne (N° Lexbase : L0640LGS).

L’ordonnance prévoit, notamment :

- le dépôt de nouveaux types de marques répondant aux évolutions techniques et économiques (marques sonores ou animées dans des formats électroniques) ;

- la réduction du coût du dépôt pour les marques visant une seule classe de produits ou de services, incitant ainsi les déposants à ne viser que les classes réellement pertinentes pour leur activité ;

- des précisions relatives au régime juridique des marques exploitées par une pluralité d'acteurs (marques collectives) ou présentant des garanties quant à certaines caractéristiques des produits ou services visés (marques de garantie) ;

- l’élargissement de la procédure d'opposition à d'autres droits antérieurs que la marque comme la dénomination sociale, le nom commercial, l'enseigne, le nom de domaine et le nom d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'une entité publique ;

- la création d’une procédure administrative de nullité et de déchéance des marques permettant de faciliter ces actions, aujourd'hui ouvertes dans le seul cadre d'un contentieux judiciaire ;

- le rétablissement des contrôles douaniers sur les marchandises en transit externe et par la sanction des actes préparatoires à la contrefaçon ;

- la mise en place d'une procédure administrative de nullité et de déchéance des marques au sein de l’INPI ;

- qu'une action en nullité ou en contrefaçon ne peut pas prospérer si, au moment du dépôt de la marque postérieure, la marque antérieure n'était pas opposable (par exemple, parce qu'elle n'était pas exploitée ou qu'elle était elle-même susceptible d'être annulée) ;

- un partage de compétences clair entre l’INPI et les juridictions s'agissant des demandes en nullité ou en déchéance des marques ;

- l’adaptation de la procédure de recours contre les décisions administratives rendues par le directeur général de l’INPI en matière de délivrance, rejet ou maintien des titres, d'une part, et en matière de nullité ou de déchéance des marques, d'autre part.

Elle transpose l'intégralité de la Directive, y compris l'article 45 pour lequel les Etats membres disposent d'un délai de transposition de sept ans après son entrée en vigueur, soit jusqu'au 14 janvier 2023.

L'ordonnance entre en vigueur à la date d'entrée en vigueur du décret pris pour son application et au plus tard le 15 décembre 2019, dans le but de permettre une date d'entrée en vigueur commune pour l'ensemble des dispositions.

newsid:471179

Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] Séparation de biens, logement & CCM : exclusion des apports en capital

Réf. : Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-20.828, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4983ZQM)

Lecture: 9 min

N1246BYS

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux, Directeur scientifique de l’Ouvrage «Droit des régimes matrimoniaux»

Le 21 Novembre 2019

«Attendu que, sauf convention matrimoniale contraire, l'apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l'acquisition d'un bien indivis affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage».

 

Observations. Hé bien voilà qui est fait ! Dans la saga du financement du logement et de la contribution aux charges du mariage (CCM) en régime séparatiste (remboursement ou pas ?), et après une année 2018/2019 riche en arrêts non publiés sur le sujet (mais très cohérents entre eux ; sur l’ensemble, v. nos obs. in Pan., note 12, Lexbase, éd. priv., n° 797, 2019 N° Lexbase : N0600BYU et l’Ouvrage «Droit des régimes matrimoniaux», Le logement de la famille et la contribution aux charges du mariage N° Lexbase : E5969EYQ ; cf. également nos obs. in Code du divorce, 3ème éd., Dalloz 2020, commentaire et annotations sous l’article 214 du Code civil), voici que la Cour de cassation se décide à publier au Bulletin civil une décision tranchant (enfin) la question des apports lors de l’acquisition indivise d’un bien à parts égales (Cass.  civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-20.828, FS-P+B+I).

Le mari avait réglé l’achat au comptant, y compris la part de son épouse, et ceci au moyen de deniers personnels provenant de la vente d’un immeuble et de parts de SCI qui lui étaient personnels. Assez légitimement, il en demandait le remboursement lors de la liquidation de son régime matrimonial, après son divorce, mais les juges du fond ne l’entendirent pas ainsi, estimant qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre revenu et capital, et que la contribution aux charges du mariage suffisait à contrer la demande de remboursement, le bien ayant constitué la résidence secondaire de la famille. Cet arrêt est censuré, les apports ne sont pas bloqués par la CCM, sauf convention contraire. Plusieurs observations peuvent être faites.

1°) La nature du logement. En l’espèce, la lecture du moyen de cassation nous apprend qu’il s’agissait d’une résidence secondaire qui était parfois donnée en location saisonnière. Le fait qu’il s’agisse d’une résidence secondaire n’entrave en rien l’application de la CCM pour refuser le remboursement, ainsi qu’il a déjà été jugé à plusieurs reprises (v. Cass. civ. 1, 20 mai 1981, n° 79-17.171 N° Lexbase : A2706CI3, Bull. civ. I, n° 176 ; JCP, 1981, II, 19665, note R. Jambu-Merlin ; Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 12-17.420, F-P+B N° Lexbase : A7599KSA ; D., 2014, 527, note P. Viney ; AJ fam. 2014. 129, obs. P. Hilt ; Dr. fam. 2014, comm. 61, obs. B. Beignier ; RTDCiv. 2014, 704, obs. B. Vareille ; Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 00-11.238, FS-P+B N° Lexbase : A3156AYK, Bull. civ. I, n° 99, sol. impl. ; Cass. civ. 1, 20 mars 2019, n° 18-14.571, F-D N° Lexbase : A8800Y4P). Voilà un aspect qui n’était pas discuté par le pourvoi, et sur lequel la Cour de cassation n’avait pas à se prononcer. Il n’en demeure pas moins qu’il est manifeste que la qualification de «résidence secondaire» entre désormais dans celle, plus vaste d’immeuble à «usage familial» (Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-20.828, FS-P+B+I N° Lexbase : A4983ZQM) ou «affecté à l’usage de la famille» (Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 17-25.858 N° Lexbase : A5433YEX), ou encore «à destination familiale» (Cass. civ. 1, 20 mars 2019, n° 18-14.571, F-D N° Lexbase : A8800Y4P).

2°) L’affectation à la location saisonnière. La lecture du moyen de cassation nous apprend que cette résidence secondaire était régulièrement louée en tant que location saisonnière. Là encore, le pourvoi n’a rien fait de cette discussion, alors pourtant que l’on sait que les investissements locatifs sont exclus du champ de la jurisprudence «CCM & logement», et donc donnent lieu à remboursement (Cass. civ. 1, 5 octobre 2016, n° 15-25.944, F-P+B N° Lexbase : A4408R7E ; AJ fam., 2016, 544, nos obs.). Sans doute, la proportion «location» était-elle assez réduite pour ne pas entacher l’usage familial, et donc l’application de la jurisprudence sous examen. Il n’en demeure pas moins que cela souligne les doutes que nous avons exprimés sous l’arrêt du 5 octobre 2016. En dehors des investissements locatifs purs et durs, ceux qui sont généralement «défiscalisants» (type «Perissol», «Robien», etc.), il nous semble bien arbitraire d’exclure les «investissements locatifs» dès lors que l’usage familial n’est pas exclu, comme en l’espèce.

3°) L’exclusion des apports en capital personnel. Là est l’enseignement principal de l’arrêt. Les apports de deniers personnels en capital ne sont pas affectés par la notion de contribution aux charges du mariage. A la vérité, nous le soutenions dès 2013, c’est-à-dire dès l’origine de ce courant jurisprudentiel (v., J. Casey, Le financement du logement de la famille en séparation de biens, Gaz. Pal. 23 août 2013, n° 236), et ceci afin de ne pas rendre cette jurisprudence excessive, au point de refuser des remboursements qui seraient toujours accordés en régime de communauté (via la notion de récompense). Pourtant, des arrêts postérieurs aux arrêts fondateurs du 15 mai 2013 (Cass. civ. 1, 15 mai 2013, 3 arrêts, n° 11-26.933, FS-P+B+I N° Lexbase : A3195KDP, n° 11-24.322, FS-D N° Lexbase : A5155KDB et n° 11-22.986, FS-D N° Lexbase : A5176KD3) ont pu inquiéter à ce sujet, la Cour de cassation ne semblant pas faire de distinction à propos des apports en capital personnel (v., Cass. civ. 1, 5 octobre 2016, n° 15-25.944 N° Lexbase : A4408R7E, AJ fam. 2016. 544, obs. J. Casey ; D. 2016. 2063 ; ibid. 2017. 470, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1082, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2119, obs. V. Brémond ; RTDCiv. 2017. 105, obs. J. Hauser ; ibid. 469, obs. B. Vareille ; Gaz. Pal., 18 avril 2017, n° 15, obs. S. Deville). Pire encore, un arrêt récent a balayé d’un simple revers de main le pourvoi qui s’était aventuré à soutenir que les apports devaient recevoir un traitement différent (Cass. civ. 1, 7 février 2018, n° 17-13.276, F-D N° Lexbase : A6892XCA ; AJ fam. 2018, 303, obs. crit. J. Casey), la Cour de cassation répondant que, ayant constaté que l'immeuble avait constitué le domicile conjugal, la cour d'appel «n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes» et que celle-ci «en a exactement déduit» que le mari ne pouvait rien réclamer au titre du financement par lui seul des travaux de construction de ce bien, un tel financement relevant de la contribution aux charges du mariage. Commentant l’arrêt, il nous avait semblé que l’incertitude entourant cette question des apports ne pouvait pas durer, compte tenu du caractère très pratique et récurrent de la question dans le quotidien des juridictions, et qu’il faudrait que la Cour de cassation se saisisse de la première occasion pour clarifier, par un arrêt publié, sa jurisprudence sur ce point. C’est donc, désormais, chose faite, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. La séparation de biens ne deviendra, donc, pas une communauté universelle en matière de «logement à usage familial», et c’est une sage décision. Déjà que toute cette jurisprudence est parfois critiquée comme dénaturant les régimes séparatistes, il eût été impossible de la défendre si les apports ne donnaient pas lieu à remboursement, alors que la même situation engendre mécaniquement une récompense (et donc un remboursement) en régime de communauté. On notera la réserve faite par l’arrêt de la possibilité d’une «convention contraire», et donc d’époux qui accepteraient, conventionnellement, de bloquer le remboursement des apports. Cette réserve est logique en droit (rien n’est d’ordre public ici), mais on imagine mal un professionnel du droit recommander l’adoption d’une telle clause, ou alors avec une belle décharge de responsabilité…

4°) Une contribution en revenus, et non en capital. Enfin, le présent revient à affirmer, de façon indirecte, mais bien réelle, que la contribution aux charges du mariage se fait en revenus, pas en capital, ce que les juge du fond n’ont pas voulu entendre en l’espèce. C’est pourtant la logique même. Nul n’a jamais été contraint d’aliéner ses biens propres ou personnels pour contribuer aux charges du mariage (sauf le cas très particulier de l’époux sans revenus qui refuse d’en tirer d’un immeuble propre ou personnel). La contribution aux charges du mariage est une notion quotidienne et répétitive. Elle peut se faire en industrie bien sûr, mais aussi en revenus. Ce dernier cas est d’ailleurs expressément visé à l’article 223 du Code civil, à propos des obligations impératives du mariage : chacun des époux peut disposer comme il l’entend de ses gains et salaires après avoir contribué aux charges du mariage. On ne pourrait, donc, dire plus nettement que ne le fait le texte que le «mode type» de contribution, ce sont les gains et salaires (et donc les revenus au sens large : salaires stricto sensu, mais aussi revenus locatifs, du capital, jetons de présence, et même dividendes, qui sont des «gains» à défaut d’être des «revenus»). L’arrêt commenté consacre, donc, une conception classique de la notion de charges du mariage, non pas quant au type de dépense faite (investissement ou non), mais quant à la nature des deniers ayant financé l’acquisition (un revenu, ou un capital personnel). C’est incontestablement un recadrage bienvenu de cet ensemble jurisprudentiel, de nature à en assurer la pérennité.

5°) Tous les apports ? On comprend de la décision que toute somme provenant de la vente d’un bien personnel ouvrira, donc, droit à remboursement dans la nouvelle acquisition en tant «qu’apport». En ira-t-il de même pour la vente d’un bien indivis entre Romeo et Juliette, que Romeo aurait financé seul via ses revenus pendant le mariage ? Il nous semble que oui. Romeo n’aura pas droit à remboursement au titre du premier bien (c’est la CCM qui bloque son remboursement, sauf surcontribution, bien sûr), ce qui veut donc dire que la part du prix indivis revenant à Juliette sera pour elle un apport personnel, exactement comme la part du prix indivis revenant à Romeo. Voilà qui constituera une utile simplification dans les acquisitions successives.

Enfin, on relèvera, à titre presque anecdotique, la deuxième erreur des juges du fond, qui ont estimé que Michel avait une créance contre Anne, alors que la dette était due à l’indivision, non directement à Michel. C’était inexact : la dette est due à l’indivision puisque l’acquisition est indivise, ce que la Cour de cassation corrige, conformément à sa jurisprudence usuelle sur le sujet (v., par ex., Cass. civ. 1, 23 novembre 2011, n° 10-18.315, F-D N° Lexbase : A0087H3M).

👉 Portée de la décision

L’arrêt commenté sera fort utile pour asseoir l’autorité de ce courant jurisprudentiel que nous nommons «logement & CCM», et qui reste critiqué en doctrine comme étant contraire à l’esprit même de la séparation de biens. Il nous semble que ces critiques ne sont pas déterminantes à côté des tableaux Excel des maris qui réclament un remboursement, alors que l’industrie de leur épouse (ou les plus faibles revenus de celle-ci, engloutis dans le remplissage du frigo, ou des menues dépenses quotidiennes), ne pourront jamais donner lieu à remboursement. Sous cet angle, que la contribution aux charges du mariage serve de correcteur aux excès de rigueur de la séparation de biens est une excellente chose. Le mariage impose de ne pas raisonner en abominable comptable. Tout n’est pas réductible à un tableur Excel, heureusement. On ne peut, donc, qu’approuver cet arrêt, qui est de nature à conforter cette jurisprudence en régime séparatiste, en corrigeant ce que des arrêts antérieurs pouvaient avoir d’excessif.

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Vente d'immeubles

[Brèves] Obligation de l’agent immobilier de consulter l’acte de vente antérieur révélant la réalisation de travaux ayant éradiqué la présence de mérules et d’en informer les acquéreurs

Réf. : Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, n° 18-21.971, F-P+B+I (N° Lexbase : A2144ZY3)

Lecture: 3 min

N1206BYC

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par Manon Rouanne

Le 15 Janvier 2020

► Dans le cadre de la vente d’un bien immobilier, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile à l’égard de l’acquéreur, l’agent immobilier qui, tenu de s’assurer de la réunion de toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la vente, s’est abstenu de se faire communiquer, par les vendeurs, leur titre de propriété avant la signature de la promesse synallagmatique de vente ; titre qui lui aurait permis d’informer les acquéreurs de l’existence de travaux précédents aux fins d’éradiquer la présence de mérules et, ainsi, d’éviter de contraindre ces derniers, informés de la réalisation de tels travaux postérieurement au délai de rétraction suivant la conclusion de la promesse, à refuser de réitérer la vente par acte authentique et à demander la résolution de l’avant-contrat.

Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 14 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, n° 18-21.971, F-P+B+I N° Lexbase : A2144ZY3).

En l’espèce, par la conclusion d’une promesse synallagmatique de vente, les propriétaires d’une maison d’habitation ont promis de vendre ce bien immobilier à des acquéreurs sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt. Lors de la signature de cette promesse, les acquéreurs ont versé un acompte de 10 000 euros entre les mains de l’agent immobilier. Trois mois après la conclusion de l’avant-contrat, les acquéreurs ont refusé de réitérer la vente par la conclusion de l’acte authentique au motif qu’une information substantielle, en l’occurrence, la réalisation de travaux liés à la présence de mérules, n’avait été portée à leur connaissance qu’à une date postérieure à l’expiration du délai de rétractation. Ils ont, ensuite, engagé une action à l’encontre du vendeur et de l’agent immobilier aux fins d’obtenir l’annulation ou la résolution de la promesse et la restitution de l’acompte versé ainsi qu’une action en responsabilité contre l’agent immobilier pour obtenir réparation du préjudice subi.

Contestant l’arrêt rendu par la cour d’appel ayant retenu sa responsabilité pour faute, l’agent immobilier a, alors, formé un pourvoi en cassation arguant, d’une part, l’absence d’obligation, à sa charge, de procéder à des investigations supplémentaires relatives à la présence de mérules dès lors qu’il est en possession d’un diagnostic établi par un professionnel excluant la présence de mérules infectant l’immeuble et, d’autre part, l’absence d’indication, par les vendeurs, que l’acquisition d’un bien immobilier n’ayant jamais fait l’objet d’une attaque de mérules avait été érigée, par ces derniers, en condition de leur consentement à la vente.

Ne faisant pas droit aux moyens développés par le demandeur au pourvoi, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Confortant la position adoptée par les juges du fond, la Haute juridiction affirme, en effet, que, dans la mesure où l’agent immobilier était tenu de s’assurer que toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la vente étaient réunies en l’espèce, celui-ci a commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile à l’égard de l’acquéreur pour s’être abstenu de se faire communiquer, par les vendeurs, leur titre de propriété avant la conclusion de la promesse de vente, lequel lui aurait permis d’informer les acquéreurs de l’existence de travaux ayant traité la présence de mérules.

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