La lettre juridique n°341 du 12 mars 2009

La lettre juridique - Édition n°341

Éditorial

Liberté de circulation des capitaux et fonds de pension étrangers : toute résistance est-elle bien utile ?

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N7760BIA

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Chacun sait que l'impôt force à la solidarité ! Et ce, d'autant plus volontiers, en matière internationale, lorsqu'il s'agit d'obliger les entreprises ou personnes physiques résidentes étrangères à contribuer au régime social singulier français. Les réticences s'estompent et l'arsenal fiscal a de quoi faire frémir les investisseurs étrangers du développement économique national : que l'on juge l'article 57 du Code général des impôts relatif aux transferts indirects de bénéfices ou l'article 119 bis du même code, instituant une retenue à la source sur les dividendes français distribués à l'étranger. Seulement voilà, avec la construction européenne, la liberté de circulation des capitaux est devenue, par l'effet du Traité de Maastricht, une "liberté fondamentale de la Communauté" (voir, notamment, Ph.-E. Partsch, in Commentaire article par article des traités UE et CE, H&B, Dalloz, Bruylant, 2000, p. 486 et s.). Et, les Etats ont bien du mal à combiner leur souveraineté fiscale et l'interdiction de toute entrave à la liberté de circulation des capitaux. Tour à tour, les barrières protectionnistes fiscales tombent les unes après les autres, sous les fourches caudines de la Cour de justice des Communautés européennes, comme du juge français de l'impôt ; théorie des dominos aidant à la cause européenne.

Un dernier exemple topique fut ainsi donné par un arrêt du Conseil d'Etat rendu le 13 février dernier, sur lequel revient, cette semaine, Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille. Pour aller à l'essentiel, les sages du Palais Royal ordonnent l'abrogation de deux instructions fiscales en tant qu'elles ont pour effet de soumettre les fonds de pension néerlandais à la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI. Les juges de la Haute assemblée retiennent que l'application de la retenue à la source au versement de dividendes de sociétés françaises à des fonds de pension néerlandais constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux, prévue par l'article 56 CE ; or, la suppression de l'avoir fiscal y afférent, qui permettait d'annihiler la taxation de l'article 119 bis, révèle une entrave à cette liberté fondamentale qui ne saurait être admise -pour la bonne construction de l'Espace économique européen s'entend-. Et l'on pourrait aisément s'arrêter au caractère technique de l'affaire en cause, si plus fondamentalement ne se superposait, en filigrane, la question de la taxation des fonds de pension étrangers sur leurs revenus de source française.

Ce qui résonne avec le refus de l'administration française de répondre à la demande initiale du fonds de pension, partie à l'instance, d'abroger les dispositions litigieuses des instructions en cause, c'est celui d'admettre fondamentalement que l'investissement des fonds de pension dans un pays étranger ne relève pas du néo-colonialisme financier. Entendons nous bien, il est sans doute dommage que l'étau fiscal sur les fonds de pension européens se desserre sous la contrainte de la législation européenne, alors qu'avec un taux d'épargne parmi les plus élevés de l'OCDE, la France, et plus précisément les Français, seraient les premiers bénéficiaires d'une libéralisation de la circulation des capitaux afférents à l'investissement des fonds de pension. Mais sans doute que le refus d'une véritable mixité, une retraite par répartition couplée à une retraite par capitalisation, hors Perco et Perp, témoigne de cette réticence nationale à créer de véritables fonds de pension français capables d'assurer, même partiellement, le versement de compléments de retraites non négligeables à l'heure du déséquilibre démographique. Bien sûr, croire que la retraite par capitalisation est dédouanée de la problématique démographique est une erreur ; car le système de retraite par capitalisation commande que les actifs investissent une partie de leur salaire dans des actions ou obligations, via les fonds de pensions, pour que les dividendes ou les plus-values mobilières permettent de servir les retraites de leurs aînés. Moins il y a d'actifs, plus la machine se grippe, sauf compensation du sous-investissement ainsi à prévoir. Et ce d'autant plus, en période de krach financier... Mais la complémentarité des deux systèmes semble des plus opportunes conjuguée à une "solidarisation" des retraites à l'échelle européenne, sur fond de bienveillance fiscale réciproque.

En 2003, selon le Conseil d'orientation des retraites, le système de retraite par répartition versait à un salarié non cadre une pension qui atteignait 83,6 % de son dernier salaire (64,1 % pour un cadre). En 2020, ce ne sera plus que 75,6 % (55,5 % pour un cadre). Où trouver le complément de pouvoir d'achat moteur de la croissance de demain ?

"Une bonne retraite est meilleure qu'une mauvaise résistance", nous enseigne un proverbe gaélique. Dont acte.

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Rémunération

[Jurisprudence] L'Assemblée plénière de la Cour de cassation et les justifications des atteintes au principe d'égalité salariale : épilogue de l'affaire du "Complément Poste"

Réf. : Ass. plén., 27 février 2009, n° 08-40.059, La Poste, établissement public national c/ M. Eric Paolinelli, P+B+R+I (N° Lexbase : A4050EDD)

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N7758BI8

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Il y a des conflits qui ressemblent à s'y méprendre à des campagnes militaires, menées par des acteurs acharnés sur tous les champs de bataille. C'est bien à l'une de ces grandes batailles que l'on assiste depuis quinze ans à propos de l'instauration du "Complément Poste", et il fallait bien toute l'autorité de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation pour régler définitivement l'épineuse question de la conformité de cette prime au principe "à travail égal, salaire égal". Revenant sur la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, et contre l'avis du Parquet dans cette affaire (I), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 27 février 2009, donne raison aux syndicats qui considéraient comme injustifiées les différences de traitement introduites entre agents publics et agents privés, en des termes qui emportent l'adhésion (II).
Résumé

Si celui qui emploie, à la fois, des fonctionnaires et agents de droit public et des agents de droit privé est fondé à justifier une différence de rémunération entre ces catégories de personnels dont la rémunération de base et certains éléments sont calculés en fonction, pour les premiers, de règles de droit public et, pour les seconds, de dispositions conventionnelles de droit privé, il en va autrement s'agissant d'un complément de rémunération fixé par décision de l'employeur, applicable à l'ensemble du personnel, sur le critère de la fonction ou du poste de travail occupé.

Commentaire

I - La bataille du "Complément Poste"

  • Les raisons de la colère

En 1993, la Poste a décidé de simplifier le système de paiement des primes pour ses agents en les rassemblant dans un "Complément Poste" unique, ne laissant subsister qu'une prime de "résultat d'exploitation" de 9 000 francs (environ 1 372 euros) annuels versée en deux fois. Le système mis en place avait été immédiatement dénoncé par les syndicats en raison de sa complexité et du maintien, sous couvert d'une unification des compléments, de différences évidentes de traitement. La première inégalité résultait dans le maintien de différents "secteurs" (haut, moyen, bas) aboutissant à moduler le montant du complément selon la fonction et le grade. La seconde frappait les contractuels de la Poste, extrêmement nombreux, qui bénéficiaient bien du "Complément Poste", depuis 1995, mais pas de la prime de résultat d'exploitation, versée en supplément aux seuls titulaires, en vertu de l'article 131 d'une instruction du 25 février 1994.

Immédiatement, cette discrimination statutaire allait susciter un très fort contentieux et des dizaines de procès allaient s'ouvrir sur l'ensemble du territoire, contraignant la Direction de la Poste à conclure un accord salarial reconnaissant aux agents contractuels, à partir de 2001, le bénéfice de la fameuse prime biannuelle, jusqu'à atteindre le même niveau que les titulaires fin 2003.

  • La validation de la différence de traitement par les tribunaux

Dans l'ensemble, les juridictions judiciaires du fond allaient donner raison à l'entreprise et considérer comme justifiées les différences de traitement découlant des différences de statut au sein de l'entreprise, suivant, en cela, d'ailleurs, la jurisprudence du Conseil d'Etat (1), singulièrement, dans ces affaires de "Complément Poste" (2).

Dans un premier temps, la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avait pas clairement pris position sur la conformité du régime du "Complément Poste" au principe "à travail égal, salaire égal". Dans deux arrêts rendus le 8 octobre 2003, cette dernière avait, en effet, cassé deux décisions de juridictions du fond ayant conclu dans des sens diamétralement opposés, même si le choix de ne publier que l'arrêt ayant cassé un jugement ayant débouté les salariés de leurs demandes suggérait que la Chambre était plutôt encline à considérer ce régime comme contraire au principe d'égalité salariale (3).

Dans un second temps, la même Chambre sociale de la Cour de cassation allait clairement prendre une autre position, dans trois décisions inédites rendues en 2005, 2006 et 2007, et considérer que "les agents contractuels dont la rémunération résultait de négociations salariales annuelles dans le cadre d'une convention collective ne se trouvaient pas dans une situation identique à celles des fonctionnaires avec lesquels ils revendiquaient une égalité de traitement", ce qui suffisait à justifier la différence de traitement (4).

C'est donc parce que la juridiction de renvoi avait refusé de suivre la position adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation et que l'affaire revenait devant la Haute juridiction que l'Assemblée plénière a été saisie pour trancher cette question de principe.

II - Le renversement de tendance opéré par l'Assemblée plénière

  • L'expression du renversement

Le moins que l'on puisse dire est que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation s'inscrit clairement en faux avec la solution adoptée dans ces mêmes affaires par la Chambre sociale depuis 2005. Tout en admettant le principe d'une différence de situation entre contractuels de droit privé et agents publics, contractuels ou statutaires ("si celui qui emploie, à la fois, des fonctionnaires et agents de droit public et des agents de droit privé est fondé à justifier une différence de rémunération entre ces catégories de personnels dont la rémunération de base et certains éléments sont calculés, en fonction pour les premiers, de règles de droit public et, pour les seconds, de dispositions conventionnelles de droit privé"), l'Assemblée plénière considère qu'"il en va autrement s'agissant d'un complément de rémunération fixé par décision de l'employeur, applicable à l'ensemble du personnel sur le critère de la fonction ou du poste de travail occupé".

Ce renversement de tendance n'est pas, à proprement parler, une surprise.

En premier lieu, il n'est pas anormal que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ait une sensibilité générale différente de celle de la Chambre sociale, compte tenu de la nature particulière de sa composition et ce, même si, rappelons-le, le Parquet avait, pour sa part, considéré la différence de traitement comme justifiée et était d'avis de casser l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble.

En second lieu, la Chambre sociale a manifesté elle-même, depuis quelques mois (5), le désir de procéder à un certain nombre d'ajustements dans sa propre jurisprudence et ce, afin d'entrer au coeur du débat portant sur les justifications et contraindre les juges du fond à tenir compte, notamment, de la nature des avantages en cause pour déterminer si les différences de traitement dénoncées sont, ou non, justifiées. C'est en mettant en avant cette méthode d'analyse que la Chambre sociale a dernièrement infléchi sa jurisprudence sur la prise en compte des parcours professionnels spécifiques dans les entreprises pour limiter cette justification aux seules hypothèses où les parcours valorisent effectivement la formation, la nature des fonctions exercées ou l'ancienneté dans l'emploi (6).

En considérant que l'argument tiré de la différence de statut ne permettait pas de justifier, a priori, toutes les différences de traitement, sans qu'un examen plus approfondi de la nature particulière des avantages en cause ne soit réalisé, l'Assemblée plénière reprend donc, à son compte, la méthode définie et mise en oeuvre par la Chambre sociale depuis l'arrêt "Chavance" (7), rendu quelques jours seulement après le dernier arrêt rendu par la Chambre, concernant les justifications aux différences de régime constatées dans l'attribution du "Complément Poste" (8).

Rappelons que, dans l'arrêt "Chavance", la Chambre sociale avait clairement affirmé "qu'une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une différence de situation au regard de l'égalité de traitement en matière de rémunération". L'Assemblée plénière ne dit donc pas autre chose, ici, lorsqu'elle affirme "que si celui qui emploie à la fois des fonctionnaires et agents de droit public et des agents de droit privé est fondé à justifier une différence de rémunération entre ces catégories de personnels dont la rémunération de base et certains éléments sont calculés, en fonction pour les premiers, de règles de droit public et, pour les seconds, de dispositions conventionnelles de droit privé, il en va autrement s'agissant d'un complément de rémunération fixé, par décision de l'employeur applicable à l'ensemble du personnel sur le critère de la fonction ou du poste de travail occupé".

  • Une condamnation du régime du complément poste justifiée

La solution nous semble justifiée et, par ailleurs, parfaitement motivée.

Certaines différences de traitement résultent, en effet, directement des différences statutaires, comme la possibilité d'améliorer, pour les salariés de droit privé, les dispositions légales par voie conventionnelle, ce qui est, bien entendu, impossible pour les fonctionnaires et contractuels de droit public. Or, on sait que la justification tiré de la variété des statuts collectifs applicables a été admise depuis 1999, même si, depuis l'arrêt "Sogara", la Cour de cassation tient compte des caractéristiques des établissements avant d'entériner définitivement l'argument (9).

En l'espèce, la différence de traitement ne résultait pas d'une contrainte juridique extérieure à l'entreprise qui se serait imposée à l'employeur, mais bien d'un choix de politique salariale, dont nous avons rappelé qu'il avait, d'ailleurs, été assez rapidement abandonné. L'employeur ne pouvait donc pas se "réfugier" derrière l'argument statutaire, compte tenu de la cause du versement du complément et n'avait pas été en mesure de fournir une autre justification objective et pertinente aux juridictions du fond.

Cette volonté affichée de ne pas renforcer les différences de régimes entre statutaires et contractuels nous semble bienvenue, non seulement parce qu'elle assure l'effectivité de l'égalité salariale comme principe-norme, mais, également, parce qu'elle contribue à renforcer la cohésion au sein de l'entreprise en incitant les employeurs à réduire les différences de traitement, au-delà des différences de statut.


(1) CE, 11 janvier 1980, n° 11112, M. Delaunay et autres (N° Lexbase : A6781AIY), Rec. p. 772 ; CE, AG, sect. Finances, avis n° 359-964 du 30 janvier 1997, Rapp. Public CE, 1998, p. 185.
(2) CE, 2° s.-s., 30 décembre 2003, n° 227725, M. Perini (N° Lexbase : A6353DAK) : "Considérant que La Poste a prévu, par la décision contestée en date du 16 novembre 1995, que les fonctionnaires de l'Etat en service à France Télécom faisant l'objet d'une mutation à La Poste toucheraient une prime dite complément Poste dans des conditions différentes selon qu'ils appartiennent à un corps de reclassement, comme M., ou à un corps de reclassification ; que cette différence de traitement n'est pas contraire au principe d'égalité, dès lors que les agents appartenant à des corps différents sont dans des situations différentes" ; CE, 2° et 7° s.-s.-r., 7 février 2005, n° 257288, Mme Bobronski (N° Lexbase : A6729DGC), JCP éd. A, 11 avril 2005, p. 1166 : "Considérant que le principe d'égalité de traitement ne s'impose pas pour déterminer les conditions dans lesquelles un nouveau corps doit être constitué par voie d'intégration d'agents appartenant à des corps différents ; qu'il ne fait pas, en outre, obstacle à ce que le pouvoir réglementaire tienne compte des différences de rémunération des agents avant leur intégration dans un nouveau corps afin de fixer des règles communes et équitables de rémunération après leur intégration dans ce corps ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'institution du 'Complément Poste' fait partie du processus d'intégration dans les corps de reclassification de La Poste d'agents appartenant auparavant à des corps et à des grades différents et percevant, de ce fait, des primes et des indemnités différentes ; qu'en décidant, dans un premier temps, de maintenir le montant des primes et indemnités versées à ces agents avant leur intégration dans ces nouveaux corps puis, dans un deuxième temps, de faire évoluer le montant de ces primes et indemnités de manière à ce que 80 % des fonctionnaires d'un même corps de reclassification bénéficient de primes et indemnités d'un montant équivalent, abstraction faite des évolutions dues aux mérites individuels de chaque agent, le conseil d'administration de La Poste et son président n'ont pas méconnu le principe d'égalité de traitement entre les fonctionnaires appartenant à un même corps ; qu'ainsi, en retenant que les délibérations du 27 avril 1993 et du 25 janvier 1995 ainsi que la décision du 4 mai 1995 n'étaient pas contraires à ce principe, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit".
(3) Cass. soc., 8 octobre 2003, n° 01-45.242, M. Stéphane Mirilli (N° Lexbase : A7193C9B), F-P, Dr. soc., 2003, p. 1128, obs. Ch. Radé.
(4) Cass. soc., 11 octobre 2005, n° 04-43.024, Mme Louisa Duboc, F-D (N° Lexbase : A8451DK9) ; Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-41.919, Etablissement public national La Poste, F-D (N° Lexbase : A1096DTR) ; Cass. soc., 20 mars 2007, n° 05-44.626, M. Max Giraudeau, F-D (N° Lexbase : A7470DU9), Cahiers Sociaux du Barreau de Paris, 1er juillet 2007 n° 192, p. 298, obs. F.-J. Pansier. Dans le même sens, CAA Marseille, 2ème ch., 4 avril 2006, n° 02MA01205, M. Gilbert Eymard (N° Lexbase : A1522DP3) : "Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le Complément Poste a le caractère d'un complément indemnitaire, qui intègre, à la fois, des incidences de la reclassification des agents à la suite de la création du nouvel exploitant public La Poste et des éléments de mérite individuel appréciés à travers la notation de l'agent et les absences du service ; qu'ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la circonstance que d'autres agents ayant le même grade et exerçant les mêmes fonctions que l'intéressé percevraient une indemnité d'un montant supérieur n'est pas de nature à établir une violation du principe d'égalité de traitement entre agents publics dès lors qu'il n'est aucunement établi que les intéressés se seraient trouvés exactement dans la même situation au regard de l'ensemble des critères pris en compte, dont, notamment, l'appréciation professionnelle" ; CA Metz, 2 mars 2004, n° 02/01546, Monsieur Brahim Chachou c/ La Poste (N° Lexbase : A6461EDN) : "Si l'employeur est tenu d'assurer une égalité de rémunération entre tous ses salariés en application du principe 'à travail égal, salaire égal', il n'en est, ainsi, que pour autant que les salariés sont placés dans une situation identique. Tel n'est pas le cas en l'espèce, alors que l'intéressé est salarié de droit privé et qu'il ne se trouve pas dans une situation identique à celle des agents de la fonction publique employés par La Poste dont il revendique un avantage. Ces derniers, même s'ils remplissent des fonctions de même nature que lui, ont été recrutés sur concours, perçoivent une rémunération ayant le caractère juridique d'un traitement avec son régime propre et sont soumis au statut de la fonction publique qui comporte des droits et obligations spécifiques. La différence de traitement de ces fonctionnaires avec les salariés de droit privé repose sur une justification objective et proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi par La Poste, qui est de respecter le statut de droit public des personnes qui y sont soumis. En l'espèce, le salarié exerçant les fonctions de facteur réclamait le bénéfice du versement biannuel d'une indemnité dite 'complément Poste', lequel lui est donc refusé".
(5) On peut dater cette troisième phase dans le développement de la jurisprudence à 2006 et l'arrêt "Sogara" (Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, F-P N° Lexbase : A3972DM3) et nos obs., Une différence de traitement fondée sur la pluralité des accords d'établissement n'est pas illicite, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3620AKB), mais, plus encore, à l'arrêt "Chavance" rendu en mai 2007 (Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894, FP-P+B N° Lexbase : A2480DWR, lire nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal" et différence de statut juridique dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 261 du 24 mai 2007 - édition sociale [LXB=1641BBE]).
(6) Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-41.406, CAF de Paris, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP) et nos obs., Egalité salariale, prise en compte des contraintes budgétaires, des parcours professionnels et traitement des salariés issus d'un transfert d'entreprise, Lexbase Hebdo n° 338 du 19 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5632BIG).
(7) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894, préc..
(8) Cass. soc., 20 mars 2007, n° 05-44.626, préc..
(9) Dernièrement Cass. soc., 21 janvier 2009, 2 arrêts, n° 07-40.609, Société Bazar de l'Hôtel de Ville, F-D (N° Lexbase : A6445ECP) et n° 07-43.452, Société nationale de radiodiffusion Radio France, F-P+B (N° Lexbase : A6479ECX) et nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 336 du 4 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4803BIQ).


Décision

Ass. plén., 27 février 2009, n° 08-40.059, La Poste, établissement public national c/ M. Eric Paolinelli, P+B+R+I (N° Lexbase : A4050EDD)

Rejet CA Grenoble, 21 novembre 2007

Texte concerné : principe "à travail égal, salaire égal"

Mots clef : rémunération ; principe "à travail égal, salaire égal" ; différences de traitement ; justification ; différence de statut

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Rel. individuelles de travail

[Questions à...] Harcèlement moral ? Prouvez-le ! - Questions à Isabelle Boukhris, avocate associé du cabinet LEKS

Lecture: 8 min

N7743BIM

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Les juges fondent leur décision sur les preuves qui leur sont présentées par les parties à l'instance. Ceci est d'autant plus vrai en matière de harcèlement, qu'il soit d'ordre sexuel, moral ou les deux. Or, si la production de preuves n'est pas, ici, une mince affaire, encore faut-il que les magistrats s'accordent sur leur signification. Le harcèlement est, en effet, depuis toujours, propice aux interprétations.
Bien qu'il n'ait été introduit que tardivement en France par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), le harcèlement moral était réprimé par les juges bien avant cette consécration légale. Ils évoquaient, en l'absence de texte, différents fondements juridiques (comme la mauvaise exécution du contrat de travail en raison de la mauvaise foi de l'employeur). Ces pratiques existent, en effet, depuis toujours et se sont intensifiées dans un contexte professionnel de plus en plus stressant et compétitif. Le harcèlement moral, s'il n'était pas toujours qualifié par les juges en tant que tel, "transpirait", parfois, tellement des pièces apportées au dossier, que la jurisprudence a dû élaborer un régime juridique distinct. Mais, si, désormais, les juges disposent de textes (qui confirment, en grande partie, la jurisprudence rendue jusqu'alors) pour asseoir leur décision, les difficultés qui surgissaient, déjà, à l'époque, n'ont pas toutes été résolues par le législateur. Pour cette raison et parce que les faits priment en la matière, les magistrats conservent un rôle fondamental quant à l'effectivité de la protection du salarié. Pour démontrer le harcèlement moral, l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) impose qu'il soit fait état d'"agissements répétés de harcèlement moral" -élément objectif- "qui ont pour objet ou pour effet une dégradation (des) conditions de travail (du salarié) susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel"-élément subjectif. Pour établir ces agissements répétés, le magistrat aura, notamment, à distinguer le pouvoir normal de direction de l'usage de prérogatives déviantes à l'encontre du salarié. Pour apprécier la dégradation des conditions de travail, il devra, également, faire le tri entre les situations de réel harcèlement (compris en tant qu'acharnement) de situations de stress ou de pression. La preuve de l'élément objectif sera, souvent, apportée par des échanges d'écrits, notamment, à l'heure de l'explosion d'internet, par des mails entre le harceleur et le harcelé et par des attestations établies par des (ex) salariés de l'entreprise, tandis que celle de l'élément subjectif sera constituée, en majorité, de certificats médicaux. Les juges du fond se fondent, donc, sur cette documentation pour qualifier le harcèlement moral. Et c'est toujours au vu de ces documents que la Cour de cassation opère, depuis peu, le contrôle de cette qualification. La solution, opportune au regard des contradictions des juges quant à cette qualification, a été donnée dans une série de quatre arrêts du 24 septembre 2008 (1). Elle vient d'être, à nouveau, confirmée par la Chambre sociale (Cass. soc., 10 février 2009, n° 07-44.953, F-D N° Lexbase : A1300EDI), dans une espèce un peu particulière, puisqu'il ne s'agissait pas de l'action du salarié concerné par ces pratiques, mais de celle du "harceleur" (2).

Pour comprendre les enjeux de la preuve en matière de harcèlement moral et faire un point sur le régime juridique général mis en place pour prévenir et, à défaut, sanctionner ces agissements, Lexbase Hebdo - édition sociale s'est entretenue avec Maître Isabelle Boukhris, Avocate Associée du cabinet LEKS.

Lexbase : Quel est le régime juridique de la preuve en matière de harcèlement moral ?

Maître Isabelle Boukhris : La loi de modernisation sociale avait organisé un régime probatoire particulier en matière de harcèlement moral, relativement favorable au salarié (3). Elle lui imposait, en effet, de présenter les éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. La loi du 3 janvier 2003 (4) a, quelque peu, compliqué la tâche, en rééquilibrant la charge de la preuve entre les parties. Désormais, le salarié concerné doit établir -et non plus seulement présenter- des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. La solution est en droite ligne avec la règle de droit commun fixée à l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), aux termes duquel -celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver-, et respecte le principe de présomption d'innocence. Elle confirme, également, les solutions déjà rendues et les "habitudes" prises par les avocats dans ce type de dossiers. Ainsi, avant l'institution de ce régime légal et compte tenu du principe de liberté de la preuve en droit social, les défenseurs des salariés concernés par de telles pratiques, qui agissaient, notamment, sur le fondement de la mauvaise exécution du contrat de travail et du manquement à l'obligation de bonne foi de l'employeur, ont toujours eu le réflexe d'apporter au dossier le plus grand nombre de preuves, quelles que soient leur nature (contrat de travail, évaluations annuelles, attestations des tiers, courriers du salarié à sa hiérarchie, certificats médicaux, et parfois même, post-it...) permettant d'établir les agissements déviants des harceleurs à l'encontre de leur victime. Les juges fondant leur décision sur un faisceau d'indices, plus un dossier comporte de preuves, plus il leur permet de prendre conscience de la violence subie quotidiennement par le salarié.

Une fois ces faits établis, le défenseur pourra, toutefois, prouver que les agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. C'est seulement à partir de là, que le juge fondera sa conviction sur l'existence ou non d'un harcèlement moral. La solution est donnée par la Chambre sociale, qui a dû interpréter les dispositions de l'article 4 de la loi de relance de la négociation collective en matière de licenciement économique, dans une série de quatre arrêts du 24 septembre 2004 (5).

La Cour de cassation (et c'est ce que vient confirmer l'arrêt du 10 février 2009) s'octroie le contrôle de cette qualification de harcèlement moral retenue par les juges du fond, quand, auparavant, elle laissait cette qualification à leur libre appréciation (6). Ce faisant, elle franchit une nouvelle étape et affiche clairement sa volonté, devant la multiplication d'un contentieux sensible, "de renforcer la nature de son contrôle, d'harmoniser les pratiques des différentes cours d'appel et de préciser les règles qui conduisent la recherche de la preuve". Ce contrôle implique que les magistrats de la Haute cour analysent les preuves apportées au dossier par les victimes du harcèlement, la Chambre sociale imposant aux juges d'appréhender les faits dans leur globalité. Toutefois, en pratique, les preuves n'ont pas, aux yeux de ces derniers, toutes la même force. Sont, notamment, plus susceptibles d'emporter la conviction de la Cour, les écrits des employeurs (qui se prémunissent de plus en plus contre tout éventuel litige) ou, encore, les certificats médicaux, qu'ils émanent de spécialistes ou de généralistes (la compétence de ces derniers étant souvent, en vain, contestée par les défenseurs, la Cour de cassation leur reconnaissant pleine valeur probatoire).

Lexbase : Les juges du fond, dans l'espèce soumise à la Cour de cassation le 10 février 2009, avaient retenu un contexte de très grande exigence dans les rapports entre le DRH et son assistante, qualification rejetée par la Chambre sociale. Existe-t-il des liens entre le stress au travail et le harcèlement moral ?

Maître Isabelle Boukhris : Le stress au travail et le harcèlement moral sont deux choses qu'il convient de bien dissocier. Faire cet amalgame est dangereux, puisqu'en aucun cas, le seul stress connu dans le milieu professionnel ne peut être constitutif d'un harcèlement. Sur le nombre considérable de personnes qui se disaient victimes de harcèlement moral au travail en 1998 (7), il est fort à parier qu'une grande partie connaissaient, en réalité, non pas des agissements déviants de leur employeur, de leur supérieur hiérarchique ou même d'autres salariés, mais les impératifs de gestion et, plus généralement, la pression contemporaine connue dans le monde du travail. Quand bien même celle-ci peut être vécue comme une véritable souffrance, elle n'est pas répréhensible en tant que telle (8). Elle est naturelle et constitue, même, la plupart du temps, un moteur. Il faut bien comprendre que la principale caractéristique du harcèlement est la déviance du comportement du harceleur, qui poursuit par ses agissements, un objectif sous-jacent qu'il s'est fixé. Il a une volonté délibérée de nuire au salarié, en dégradant ses conditions de travail. Cette volonté de nuire ne se retrouve pas chez le manager, qui aura pour unique souci la productivité de l'entreprise et sa rentabilité.

(NDLR : Selon certains praticiens (9), il serait, cependant, possible au salarié d'obtenir une réparation au titre de cette pression qu'il subit, sur le fondement de l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur (C. trav., art. L. 4121-1 N° Lexbase : L1448H9I).

Il s'agira, pour chaque espèce, d'une analyse au cas par cas, le rôle de l'avocat étant précisément de se mettre dans la peau du juge et d'objectiver les sentiments du salarié, pour déterminer si le harcèlement existe et quelles sont les chances d'obtenir une indemnisation (la réintégration étant, compte tenu des circonstances, exclue de fait).

Lexbase : Dans quelle mesure l'employeur engage-t-il sa responsabilité ? Le licenciement du harceleur, comme dans l'espèce du 10 février 2009, l'exonère-t-il ?

Maître Isabelle Boukhris : En pratique, dès lors qu'un harcèlement est avéré, l'employeur sera toujours responsable. Ceci même s'il n'est pas à l'origine des pratiques et qu'il a pris des mesures pour les faire cesser.

La jurisprudence reconnaît, en effet, non seulement le harcèlement vertical, entre un dirigeant et un salarié, que le harcèlement horizontal, entre employés, en l'absence de lien de subordination. La nature de sa responsabilité variera, toutefois, selon le cas de figure. S'il est l'auteur des agissements, la sanction sera pénale. En application de l'article 222-33-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1594AZ3), introduit par la loi de modernisation sociale, le harcèlement moral est puni d'un emprisonnement d'un an et de 15 000 euros d'amende. La question de sa responsabilité civile se pose, toutefois, car le législateur est resté muet sur ce point. En l'absence de texte, la Chambre sociale de la Cour de cassation s'est attelée à cette problématique.

Les juges ont, ainsi, dressé le régime de la responsabilité civile de l'employeur, dans un arrêt du 21 juin 2006 (10). Ils ont décidé d'inclure le harcèlement moral dans le périmètre de l'obligation posée à l'article L. 4121-1 du Code du travail. Le texte impose au dirigeant de "prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés". Tout comme l'OMS (11) et la CJCE (12), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait, bien avant l'introduction de cette disposition législative, défini la santé comme "un état complet de bien-être physique, mental et social". Or la santé mentale exclut, forcément, toute forme de harcèlement. Dès lors, s'il est à l'origine du harcèlement ou s'il n'a pas réussi à le prévenir, l'employeur manque à son obligation. Celle-ci est, ici, de résultat, ce qui signifie que l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité. La jurisprudence opte, donc, pour une responsabilité de plein droit, dès lors que le harcèlement est constitué. L'obligation étant préventive, le licenciement du harceleur n'est pas susceptible d'exonérer le dirigeant de sa responsabilité. Dans l'espèce soumise à la Chambre sociale, le 10 février 2009, l'employeur peut, donc, voir sa responsabilité engagée par l'assistante du DRH, quand bien même ce dernier a été licencié. La solution a été confirmée depuis, notamment, dans un arrêt du 21 février 2007, selon lequel "l'employeur est tenu, en matière de harcèlement moral, à une obligation de sécurité de résultat et les juges n'ont pas à rechercher la preuve d'un manquement fautif (13). Elle s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence rendue, antérieurement, en matière de tabagisme (14)".

Pour lutter contre le harcèlement, l'employeur dispose de plusieurs moyens, énumérés, notamment, à l'article L. 4121-1 du Code du travail, qui dispose que "ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2 ° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés". Le texte, pour plus d'efficacité, précise que "l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes". La mise en place de cellules, voire d'un médiateur, au sein de la structure sera, également, très souvent, opportune.

Lexbase : Le harcèlement moral est, donc, pénalement et civilement réprimé. Pour quelles raisons choisit-on d'agir au civil ou au pénal ?

Maître Isabelle Boukhris : Tout dépend, a priori, de ce que veut obtenir le salarié. Agir au civil permet d'obtenir une indemnisation financière plus intéressante que celle qui sera octroyée, si l'action avait été introduite au pénal. Pour autant, la sanction présente moins de "force morale" qu'une sanction pénale, qui permet une meilleure prise de conscience de sa responsabilité par l'employeur. En outre, une action au pénal permet de faciliter la charge de la preuve, en ce que le parquet est doté de moyens dont ne disposent pas les conseils des salariés victimes de tels agissements (comme l'inspection du travail, par exemple).


(1) Cass. soc., 24 septembre 2008, 4 arrêts, FS-P+B+R+I, n° 06-43.504, Mme X c/ CMBM (N° Lexbase : A4538EAC) ; n° 06-45.579, Mme X c/ SCU (N° Lexbase : A4539EAD) ; n° 06-45.747, Mme X c/ RATP (N° Lexbase : A4540EAE) ; n° 06-46.517, M. X c/ TADY (N° Lexbase : A4541EAG) et lire Ch. Radé, Principe "à travail égal, salaire égal", égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 9 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(2) Un directeur de ressources humaines (le DRH) contestait son licenciement, prononcé par son employeur pour faute grave, en raison du harcèlement sexuel et moral qu'il aurait exercé sur son assistante. La cour d'appel, pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et octroyer, de ce fait, diverses sommes au DRH, avait relevé que les attestations produites par la salariée, intervenante volontaire à l'instance, traduisaient un contexte de très grande exigence professionnelle existant dans les rapports des deux protagonistes, plutôt qu'un harcèlement moral exercé par le premier à l'encontre de la seconde. La Haute juridiction a, toutefois, cassé cet arrêt, requalifiant en harcèlement moral, le comportement du DRH, eu égard à ces mêmes attestations qui "relatent qu'il traitait "rudement" ses collaborateurs, a eu un comportement déplacé à l'égard de Mme [P.] qui a été vue sortant en larmes de son bureau, qu'il s'emportait et devenait violent à son égard et qu'elle a manifesté auprès d'une collègue la peur qu'elle ressentait".
(3) Il est à noter que la charge de la preuve en matière de harcèlement moral est calquée sur le même modèle que celui mis en place par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE).
(4) Loi n° 2003-6, du 3 janvier 2003, de relance de la négociation collective en matière de licenciement économique (N° Lexbase : L9374A8P).
(5) Cass. soc., 24 septembre 2008, quatre arrêts, n° 06-43.504, n° 06-45.579, n° 06-45.747 et n° 06-46.517, préc..
(6) Cf. Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 04-41.008, Société Mât de misaine, F-P+B (N° Lexbase : A7443DDZ), dans lequel la Chambre sociale soutenait qu'elle n'avait pas à contrôler l'appréciation faite par les juges des éléments produits par les parties pour établir l'existence d'un harcèlement, une telle appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond.
(7) Cf. l'enquête "Conditions de travail 1991 et 1998" (MES / DARES - Ministère de l'Emploi et de la Solidarité/ Direction de l'animation, de la recherche, des études statistiques).
(8) Une jurisprudence intervenue récemment après la promulgation de la loi relative au harcèlement moral a souligné qu'"il appartient au tribunal de déterminer si, dans le cadre d'une activité professionnelle, les faits soumis à son appréciation sont répréhensibles ou s'ils ne s'analysent pas en des conséquences, à tort ou à raison, mal ressenties par le salarié, de contraintes imposées par les impératifs de gestion inhérents à la vie de toute entreprise développant son activité dans un contexte par essence concurrentiel" (Cf. TGI Paris, 31ème ch. corr., 25 octobre 2002).
(9) Cf. Me Dan Griguer, avocat, Harcèlement moral ou stress au travail ?, publié sur le site du Village de la Justice, le 29 avril 2008.
(10) Cf. Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, M. Jacques X c/ Mme Martine Y et autres (N° Lexbase : A9600DPA).
(11) Cf. la Charte OMS d'Ottawa pour la promotion de la santé, 1986 : "la santé est un état de complet bien être physique, mental de maladie ou d'infirmité".
(12) Cf. CJCE 12 novembre 1996, aff. C-201/94, The Queen c/ The Medicines Control Agency, ex parte Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd et Primecrown Ltd contre The Medicine Control Agency (N° Lexbase : A1713AWD).
(13) Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-41.741, Société Auvergne Denrées, F-D (N° Lexbase : A2962DUA).
(14) Cf. Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société ACME Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC).

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Droit financier

[Textes] Présentation de l'ordonnance portant réforme de l'appel public à l'épargne

Réf. : Ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009, relative à l'appel public à l'épargne et portant diverses dispositions en matière financière (N° Lexbase : L5928ICK)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

Maintes fois remanié, depuis son apparition dans l'article 72 de la loi 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales (1), le régime de l'appel public à l'épargne (APE) vient de connaître une nouvelle évolution avec l'édiction de l'ordonnance du 22 janvier 2009. Le Gouvernement, habilité par l'article 152 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), a, en effet, été chargé de prendre les mesures nécessaires à la "modernisation du cadre juridique de la place financière française", ce qui consistait, en pratique, à réformer un certain nombre de dispositions relatives à l'offre au public de titres des sociétés et au statut de leurs émetteurs.
En ce sens, les professionnels de la place, à la suite de la consultation réalisée par le ministère de l'Economie et des Finances (2), au cours de l'année 2008, avaient pu souligner l'inadaptation des dispositions actuelles du régime de l'APE face à l'internationalisation croissante du financement des sociétés. Les résultats de la consultation ont, ainsi, fait apparaître la nécessité d'aligner le régime français sur celui du droit européen, autant pour des motifs de technique juridique que pour favoriser l'attractivité de la place de Paris. L'ordonnance transpose, de la sorte, le droit communautaire issu de la Directive 2004/109 (3), abrogeant la notion d'appel public à l'épargne pour la remplacer par celle d'offre au public de titres financiers. A cette occasion, ce sont de nombreux volets du Code monétaire et financier (I) qui ont été modifiés, ces modifications ayant contraint le législateur à faire évoluer d'autres dispositions qui encadrent plus spécifiquement la vie des sociétés (II).

I - La nouvelle notion d'offre au public dans le Code monétaire et financier

L'introduction de la notion communautaire "d'offre au public de titres financiers" consacre la mise en oeuvre d'une notion récemment introduite en droit interne de "titre financier" par l'ordonnance du 8 janvier 2009 (4). Elle fait, ainsi, disparaître les anciens concepts (A), et il en découle un changement du régime applicable aux émetteurs (B).

A - L'abrogation de la notion d'appel public à l'épargne et du régime applicable aux sociétés faisant appel public à l'épargne

La notion de titre financier, à peine introduite en droit interne, a servi de support à la réforme : cette dernière, fondée sur les prescriptions de la Directive 2003/71, dite "Prospectus" (Directive du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation N° Lexbase : L4456DMY), transforme "l'appel public" en "offre au public de titres financiers", en respect de la nouvelle typologie en vigueur. Les instruments financiers désignent, en effet, désormais, les contrats financiers qui ne font pas l'objet d'émission et les titres financiers, seuls susceptibles d'être proposés au public. L'enjeu de cette innovation était, apparemment, d'offrir aux investisseurs internationaux un cadre juridique régi par des termes qu'ils sont accoutumés à utiliser et présentant, au surplus, des caractéristiques unifiées au plan communautaire.

C'est ainsi que l'article L. 411-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6070ICS) prévoit, dans sa nouvelle rédaction que, "L'offre au public de titres financiers est constituée par l'une des opérations suivantes :
- 1. Une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d'acheter ou de souscrire ces titres financiers ;
- 2. Un placement de titres financiers par des intermédiaires financiers
".

On retrouve, dans cette définition, une présentation plus claire, l'ancien encadrement de l'APE étant, pour mémoire, applicable à raison de l'admission d'un instrument financier aux négociations sur un marché réglementé, à l'émission ou à la cession d'instruments financiers dans le public par voie de publicité, de démarchage, ou en raison de l'intervention d'intermédiaires de marché. On remarquera, ainsi, que le nouveau texte fait surtout reposer le régime sur des critères relevant de l'information du public, à la différence de son devancier qui était, davantage, articulé autour de l'intermédiation.

La transposition de la Directive, dans le nouvel article L. 411-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6109ICA) permet, en revanche, aux sociétés, comme auparavant, de s'affranchir des contraintes liées à l'offre de titres au public. Elle les en exonère, en effet, lorsque le montant de l'offre est inférieur à un montant fixé par le règlement général de l'autorité des marchés financiers (RG) ou, au contraire, lorsque les acquéreurs achètent pour un montant supérieur a celui qui est fixé par le RG ou, enfin lorsque la valeur nominale de chacun des titres est supérieure à un dernier montant, également, fixé par le RG. Les similitudes avec l'ancienne réglementation ne s'arrêtent pas là puisque le régime, bien qu'étant réformé, n'est toujours pas applicable lorsque l'offre s'adresse à certains professionnels, à des investisseurs avisés, à un cercle restreint d'investisseurs ou lorsque les titres en question sont émis par d'autres entités que des sociétés. Les différents mécanismes, ainsi référencés à l'article, L. 411-2 renvoient, en réalité, à la transposition, de la Directive "Prospectus", qui exonérait les opérations de "moindre envergure" (5) ou, a contrario, d'un volume important.

Le concept d'offre au public, en revanche, modifie, par maints aspects, les règles relatives à la protection de l'investisseur. L'enjeu réglementaire de l'encadrement des sociétés émettrices repose, en effet, sur la protection du petit porteur, investisseur non avisé, susceptible, à l'instar du consommateur, de ne pas prendre en considération toutes les conséquences de l'opération qu'il entreprend. A ce titre, si l'ancien régime d'APE, articulé autour d'une logique reposant sur la protection par le marché réglementé, avait privilégié la protection institutionnelle, les nouveaux mécanismes mis en place par l'ordonnance subordonnent sa mise en oeuvre à l'appréciation de l'information reçue par le public. On peut, alors, s'interroger sur les conséquences de cette modification quant au champ d'application du nouveau régime.

Bien que les rédacteurs de l'ordonnance, comme en atteste le rapport remis au Président de la République, souhaitaient alléger certaines contraintes susceptibles de grever la compétitivité des entreprises -et, notamment, des contraintes liées à la traduction des prospectus-, l'adoption de critères informatifs en remplacement de critères d'infrastructure les a contraint à déplacer le périmètre des opérations concernées. On se souvient, par exemple, que la jurisprudence, sous l'empire du droit antérieur, avait exclu du champ d'application de l'APE des opérations publicitaires consistant en une offre d'adhésion radiophonique à un réseau de franchise qui entraînait l'achat d'actions de la société en cas d'entrée dans le réseau (6). La défunte Commission des opérations de bourse, elle-même, avait précisé, en 1991, que la publicité institutionnelle n'entraînait pas application du régime de l'APE, dès lors que cette dernière ne contenait aucune mention ou indication concernant la souscription ou le placement de titres, ni "d'allusion propre à suggérer l'éventualité d'une prochaine opération de placement de titres".

Ces solutions risquent-elles d'évoluer sous l'influence de la nouvelle rédaction de l'article L. 411-1 du Code monétaire et financier ? Ce dernier, en effet, subordonne le régime de protection à "une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre [...] de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d'acheter ou de souscrire ces titres financiers". Il nous semble que le juge va disposer, sur ce fondement, d'un pouvoir considérable d'appréciation, notamment quant à la mesure du caractère "suffisant" de l'information. L'appréciation subjective de ce critère risque ainsi, très paradoxalement, d'accroître l'insécurité juridique des émetteurs, alors qu'il n'était question, dans l'ordonnance que d'alléger leurs contraintes.

B - Les conséquences du nouveau régime pour les émetteurs

S'agissant de l'allègement des anciennes sujétions concernant l'APE, on observera, au surplus, (et d'éminents auteurs y voient la part la plus importante de la réforme (7)) que la nouvelle rédaction de l'article L. 412-1 (N° Lexbase : L6142ICH) aboutit à la suppression du statut de société faisant appel public à l'épargne. Cette suppression, motivée, une fois encore, par le souci de rapprocher droits interne et communautaire, entraîne un certain nombre de modifications de forme, qui conduisent à la redéfinition textuelle des compétences institutionnelles et de leur mise en oeuvre.

Ainsi, l'article 6 de l'ordonnance modifie de nombreuses dispositions du livre VI du Code monétaire et financier qui fixent pour l'AMF un nouveau champ de compétences. La suppression de la notion de société faisant appel public à l'épargne, en effet, n'est pas neutre car elle n'entraîne pas seulement des modifications de forme.

On peut rappeler que la logique ancienne qui voulait que tout "appel public" confère un statut spécifique à son émetteur emportait deux effets : d'abord, contraindre ledit émetteur à adopter des mesures internes et/ou structurelles conforme au statut défini par le législateur ; dissuader, ensuite, par voie de conséquence, certaines sociétés d'envisager des opérations susceptibles d'être qualifiées d'appel public à l'épargne, par crainte de se voir imposer un statut entraînant, au mieux, des sujétions importantes en termes d'information du public et, au pire, des réorganisations structurelles allant jusqu'à la modification de leur capital.

L'idée de raisonner, non plus par "statut", comme auparavant, mais, au seul regard de l'information fournie par l'émetteur ne dispensait pas, toutefois, d'ériger de nouvelles protections au profit des investisseurs. L'ordonnance s'attache, donc, à sécuriser l'opération par l'information. L'article L. 621-7 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6319ICZ) est donc modifié, pour adapter les attributions réglementaires de l'AMF, afin que l'autorité puisse régir les règles de pratique professionnelle qui s'imposent aux émetteurs, à l'occasion d'une offre au public (règles relatives au prospectus), ou de l'admission de leurs titres sur un marché réglementé. C'est le cas, également, des dispositions des articles L. 621-9 (N° Lexbase : L6381ICC) et L. 621-15 (N° Lexbase : L6187IC7), au titre de la prévention et de la sanction des abus de marché par l'AMF, comme de celles de l'article L. 621-22 (N° Lexbase : L6270IC9) qui adaptent les rapports entre l'AMF et les commissaires aux comptes des émetteurs.

En exergue, l'ordonnance met en oeuvre d'autres dispositions, qui paraissent moins importantes, eu égard à l'ampleur de la réforme mais qui traduisent l'adaptation du nouveau régime d'offre au public. Ainsi, si la nouvelle rédaction de l'article L. 621-18-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6180ICU) reprend fidèlement les prescriptions de la Directive 2003/6 sur les abus de marché -qui impose certaines obligations déclaratives sur les marchés réglementés-, elle ajoute, également, que ces obligations peuvent être étendues à tout autre marché si la personne qui gère ce dernier en fait la demande (cette disposition entraîne, corrélativement, la modification de l'article L. 621-18-3 N° Lexbase : L6228ICN).

II - Les modifications textuelles mettant en oeuvre les nouveaux concepts

La mise en place de mécanismes protecteurs spécifiques à l'offre de titres financiers au public, en contrepartie de la disparition du statut de société faisant appel public à l'épargne, a conduit les rédacteurs de l'ordonnance à opérer des modifications sensibles du droit des sociétés (A) et, accessoirement, a imposé quelques modifications d'autres codes (B) et en particulier du Code civil.

A - Les modifications du droit des sociétés

Un des points de la réforme qui apparaîtra le plus distinctement aux observateurs du droit des sociétés sera, sans doute, celui qui concerne le capital social minimum des sociétés émettrices (C. com., art. L. 224-2 N° Lexbase : L6127ICW). En effet, si le Code de commerce imposait, auparavant, une majoration du capital minimum sur la seule considération que l'émetteur se trouvait soumis au statut de l'APE (i.e. "Le capital social doit être de 225 000 euros au moins si la société fait publiquement appel à l'épargne"), il se contente, désormais, d'une rédaction beaucoup plus laconique, disposant exclusivement que : "le capital social doit être de 37 000 euros au moins". L'ordonnance prend, donc, acte des pratiques de marché et de la réglementation relative à l'admission qui, en définitive, conduisait à imposer des conditions beaucoup plus drastiques aux sociétés que celles qui ressortaient des dispositions du Code de commerce. Latitude sera, donc, laissée aux "opérateurs" de marché (pour reprendre les termes du rapport au Président de la République), de fixer les conditions de capital minimum -entre autres contraintes- qui permettront à l'émetteur de solliciter son admission sur les marchés concernés.

Autre modification d'importance, puisqu'elle touche à la mise en oeuvre de mécanismes de gouvernance, le texte modifie les articles L. 225-37 (N° Lexbase : L6108IC9) et L. 225-68 (N° Lexbase : L6246ICC) du Code de commerce, qui imposaient la production d'un rapport interne spécifique aux sociétés faisant APE, cette contrainte n'étant maintenue que pour celles dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Est-ce à dire que le contrôle par la gouvernance est susceptible de diminuer ? Il ne le semble pas, car, comme pour d'autres dispositions de l'ordonnance, l'opérateur de n'importe quel marché non réglementé aura la faculté de demander aux autorités de régulation que cette sujétion s'impose également aux sociétés qu'il encadre.

D'autres assouplissements sont, par ailleurs, édictés qui, là encore, préservent la sécurité des petits investisseurs car, tout en ouvrant de nouvelles possibilités de financement aux sociétés, ils limitent corrélativement les possibilités de placement dans le public. Tel est le cas, notamment, pour l'ouverture des marchés financiers aux sociétés par actions simplifiées (SAS). La nouvelle rédaction de l'article L. 227-2 (N° Lexbase : L6247ICD), tout en maintenant le principe de l'interdiction pour les SAS "de procéder à une offre au public de titres financiers ou à l'admission aux négociations sur un marché réglementé" leur donne, en effet, la faculté de procéder aux offres définies aux 2 et 3 du I et au II de l'article L. 411-2 du Code monétaire et financier. En l'espèce, l'article précité renvoie à la possibilité de procéder à une offre au public de titres financiers à la condition que le montant par investisseur ou que la valeur nominale du titre dépassent certains seuils (cf. supra, nouvel article L. 411-2 commenté).

S'agissant, ensuite, des augmentations de capital, l'article 11 de l'ordonnance modifie l'article L. 225-136 du Code de commerce (N° Lexbase : L6220ICD) en autorisant les augmentations de capital, sans droit préférentiel de souscription, par placement privé, à l'intention d'investisseurs qualifiés ou d'un cercle restreint d'investisseurs, dans la limite de 20 % du capital social par an. Enfin, l'article 10 de l'ordonnance adapte certaines dispositions relatives au contrôle des comptes, en en modifiant la surveillance dans les sociétés admises à négociation sur un marché réglementé ou organisé (C. com., art. L. 821-8 N° Lexbase : L6086ICE et L. 821-9 N° Lexbase : L6204ICR). Quant à l'article 29, il supprime l'obligation de publication d'un rapport semestriel, ainsi que l'élaboration d'un inventaire des valeurs mobilières en abrogeant, en particulier, les articles L. 228-43 (N° Lexbase : L6218AI7) et L. 232-8 (N° Lexbase : L6288AIQ) du Code de commerce (8).

B - La modification de différentes dispositions figurant dans d'autres codes concernés

L'offre de titres financiers au public, entraîne d'autres bouleversements, indépendamment des mesures de l'ordonnance qui tirent toutes les conséquences formelles de la suppression des notions d'appel public et de sociétés faisant appel public à l'épargne (ces modifications de forme se traduisent par le remplacement de tous les termes relatifs à l'APE dans le Code général des impôts, le Code pénal, le Code rural et dans les Codes du sport et des assurances, sans oublier le Code de commerce).

La transposition de la Directive "marchés d'instruments financiers" (Directive 2004/39 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS) emporte, ainsi, transformation du Code civil et de son article 1841 (N° Lexbase : L6094ICP). La modification, en apparence anodine consiste simplement à remplacer les termes "faire publiquement appel à l'épargne" par "procéder à une offre au public des titres financiers". La nouvelle rédaction de l'article précité est donc la suivante : "il est interdit aux sociétés n'y ayant pas été autorisées par la loi de procéder à une offre au public de titres financiers ou d'émettre des titres négociables, à peine de nullité des contrats conclus ou des titres émis". Or, l'interprétation de cette disposition et de sa modification est plus complexe qu'il n'y paraît.

MM. Bréhier et Boucheta, d'une part (9), ont souligné récemment l'ambiguïté du renvoi, dans l'ordonnance, aux "titres que l'émetteur est autorisé à offrir au public" alors que, selon ces auteurs, "le droit français ne prévoit pas le cas d'entités expressément autorisées à offrir leurs titres au public. Le droit positif ne fait en effet que poser une interdiction générale, qui figure dans le Code civil (C. civ., art. 1841), et des interdictions spéciales figurant dans le Code de commerce (V. not. les art. L. 227-2 et L. 223-11 C. com.)".

Le rapport au Président de la République, d'autre part, place la nouvelle rédaction de l'article 1841, sous l'égide de la mise en conformité du droit interne aux prescriptions de la Directive "MIF", qui impose aux Etats membres de laisser au seul opérateur de marché le pouvoir de fixer des règles d'admission aux négociations sur un marché réglementé. Ainsi, selon ce rapport, l'article 1841 "est modifié en ce qu'il n'interdit plus désormais par principe l'admission à la négociation des titres émis par les sociétés sur un marché réglementé".

Que penser de cette contradiction apparente ? La rédaction du Code civil, à l'évidence, maintient la prohibition de principe, faisant toujours interdiction "aux sociétés n'y ayant pas été autorisées par la loi" de procéder à une offre au public. Ce qui change, en revanche, c'est l'évolution de la logique qui gouverne la rédaction de l'article L. 411-1 du Code monétaire et financier : le nouveau texte prévoit, expressément, que ne constituent pas d'offres au public, celles dont le montant est inférieur à un seuil fixé par le RG ou supérieur a un autre seuil, (toujours fixé par le RG) ou, encore lorsque la valeur nominale de chacun des titres est supérieure à un troisième seuil (cf. supra). Cette solution est, également, retenue lorsque l'offre s'adresse à certains professionnels, à des investisseurs avisés, ou a un cercle restreint d'investisseurs.

Il faudrait, en conséquence, en conclure à l'autorisation implicite, pour toutes les sociétés commerciales, de recourir aux marchés financiers dans ces hypothèses exceptionnelles, sous réserve du respect des conditions d'admission établies par l'opérateur de marché. En ce sens, puisqu'il faut, semble-t-il, retenir cette interprétation, la rédaction de l'article 1841 demeure bien obscure en raison du renvoi, non signalé, à des dérogations que l'on eut souhaité être exprimées plus distinctement dans les codes concernés. En pratique, en revanche, l'ouverture du financement boursier à toutes les sociétés semble illusoire en raison de la politique constante des régulateurs de marché peu enclins, en la matière, à encourager l'admission d'entités dont la forme sociale risque de présenter un risque pour les investisseurs.


(1) Th. Granier, La notion d'appel public à l'épargne, Revue des sociétés, 1992, 687.
(2) Source : DGTPE/Finent1/17 juillet 2008
(3) Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004, sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé (N° Lexbase : L5206GUD).
(4) Ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009, relative aux instruments financiers (N° Lexbase : L4604ICI) et lire nos obs., Réforme des instruments financiers par l'ordonnance du 8 janvier 2009, Lexbase Hebdo n° 339 du 26 février 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N5818BIC).
(5) A. Couret, H. Le Nabasque et alii, Droit financier, Dalloz, 2008, n° 286.
(6) CA Paris, 15 févier 1995, Bull. Joly bourse, note P. Le Cannu, p. 187.
(7) Th. Bonneau, Commentaire de l'ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009 relative à l'appel public à l'épargne et portant diverses dispositions en matière financière, JCP éd. E, 2009, 1165.
(8) Abrogation de l'article L. 228-43 du Code de commerce : "S'il est fait publiquement appel à l'épargne, la société accomplit, avant l'ouverture de la souscription, des formalités de publicité sur les conditions d'émission selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat".
Abrogation de l'article L. 232-8 du Code de commerce : "Lorsque la moitié de leur capital appartient à une ou plusieurs sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, les sociétés dont les actions n'y sont pas admises et celles qui ne revêtent pas la forme de sociétés par actions sont tenues, si leur bilan dépasse 3 000 000 euros ou si la valeur d'inventaire ou la valeur boursière de leur portefeuille excède 300 000 euros, d'annexer à leurs comptes annuels un inventaire des valeurs mobilières détenues en portefeuille à la clôture de l'exercice".
(9) B. Bréhier, H. Boucheta, La réforme de l'appel public à l'épargne, JCP éd. E, 2009, 1191.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Report des congés payés non pris du fait de la maladie : la Cour de cassation confirme et étend sa jurisprudence

Réf. : Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488, Caisse primaire d'assurance maladie de Creil c/ Mme Evelyne Kopacz et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3973EDI)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Se fondant sur la finalité que le droit communautaire assigne aux congés annuels, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en 2007, en affirmant que, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par la loi ou une convention collective en raison d'absence liées à une maladie professionnelle ou un accident du travail, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail. Par un arrêt rendu le 24 févier 2009, la Chambre sociale étend, sans grande surprise, cette solution à la maladie ordinaire.


Résumé

Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM), lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par le Code du travail ou une convention collective en raison d'absence liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail.

Commentaire

I - Incidence de la maladie sur les congés

  • La règle de l'annualité du congé

En vertu de l'article L. 3141-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0552H9C), "tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur". Il résulte de cette disposition que le droit à congés doit s'exercer chaque année. Par suite, sauf exceptions légales, ni l'employeur, ni le salarié ne peuvent exiger un report de tout ou partie des congés sur l'année suivante.

Envisagée du seul point de vue du salarié, cette règle de l'annualité du congé conduit à interdire au salarié de prétendre à une indemnité de congés s'il a travaillé au service de son employeur pendant la période prévue des congés ou s'il n'a pas personnellement réclamé le bénéfice de ses congés et n'apporte pas la preuve qu'il a été mis dans l'impossibilité par l'employeur de les prendre (1).

S'agissant de la période de prise des congés payés, on se bornera à rappeler qu'elle est fixée par les conventions et accords collectifs de travail ou, à défaut, par l'employeur, conformément aux usages et après consultation des délégués du personnel ou du comité d'entreprise. En tout état de cause, elle doit comprendre la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année (C. trav., art. L. 3141-13 N° Lexbase : L0563H9Q).

  • Les exceptions à la règle de l'annualité

On peut admettre que le salarié qui, de sa propre volonté ou, à tout le moins, sans y être contraint par l'employeur, ne prend pas ses congés pendant la période de référence, ne puisse exiger le report de ces derniers sur l'année suivante. En revanche, il n'est pas illégitime de considérer qu'une telle règle doit être écartée lorsque le salarié est mis dans l'impossibilité de prendre ses congés du fait de sa maladie.

Pendant de nombreuses années, la Cour de cassation n'a pas jugé nécessaire, dans une telle situation, de se départir de la règle de l'annualité du congé. Plus précisément, elle considérait, en application de cette règle, que, lorsqu'un salarié se trouve en arrêt de travail pour maladie lors de la survenance de la période des congés, il peut bénéficier ultérieurement des congés s'il se rétablit avant la fin de la période impartie pour ses congés (2). En revanche, dans le cas contraire, il ne lui est pas possible d'exiger un report au-delà de l'échéance de cette période, sauf si un accord collectif l'autorise expressément (3).

Sans doute conforme à la règle de l'annualité du congé, cette jurisprudence particulièrement stricte n'était guère conciliable avec le droit fondamental au repos. Il aura, néanmoins, fallu attendre 2007 pour que la Cour de cassation l'abandonne, au moins en partie. En effet, dans un important arrêt rendu le 27 septembre 2007, la Chambre sociale a affirmé "qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 93/104/CE du Conseil de l'Union européenne, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par le Code du travail ou une convention collective, en raison d'absences liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de la reprise du travail ; qu'il s'ensuit que le jugement a, à bon droit, alloué au salarié des dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui a causé le refus de l'employeur de le faire bénéficier du report des congés payés non pris en raison de l'accident du travail dont il avait été victime ; que le moyen doit être rejeté" (4).

II - L'absence d'incidences de la maladie sur la prise des congés payés

  • Confirmation et extension de jurisprudence

La Cour de cassation ayant autorisé le report des congés en cas d'absences liées à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, on ne pouvait manquer de se demander si la faculté de report était, désormais, ouverte dans tous les cas où le salarié s'était trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés et, notamment, en cas de maladie ordinaire.

A s'en tenir à la seule lettre de l'arrêt du 27 septembre 2007, cette solution était exclue (5). Une telle distinction entre maladie ordinaire et maladie professionnelle ou accident du travail aurait, toutefois, été critiquable. En effet, la décision en cause est fondée sur la finalité qu'assigne aux congés annuels le droit communautaire : "garantir la prise effective du congé par le salarié dans le but de protéger effectivement sa santé" (6). Or, cette finalité ne disparaît pas lorsque le salarié est atteint d'une maladie ordinaire (7). On pouvait, dès lors, considérer que la Cour de cassation étendrait la solution retenue en 2007 à la maladie ordinaire du salarié. C'est, désormais, chose faite avec l'arrêt rapporté dont le motif de principe est identique à celui de l'arrêt du 27 septembre 2007, à cette seule différence près que la "maladie" se trouve, désormais, visée au même titre que l'accident du travail et la maladie professionnelle.

  • Portée de la solution

Il est, aujourd'hui, acquis que, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par la loi ou la norme conventionnelle en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail, y compris si celle-ci se situe après la période de prise des congés.

Cela étant, à pratiquer ainsi la politique des "petits pas" (8), la Cour de cassation laisse, encore, en suspens certaines interrogations. Ainsi, on peut se demander si la solution précitée doit trouver à s'appliquer lorsque, antérieurement à son départ en congés, le salarié demande à bénéficier d'un congé parental d'éducation (9). Ne peut-on considérer que, dans cette hypothèse aussi, le salarié est "dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels". A notre sens, la situation est fondamentalement différente car, dans ce dernier cas, si impossibilité de prendre les congés il y a, c'est d'abord dû au fait, ou plus exactement à la volonté, du salarié. Partant, celui-ci ne pourrait ici exiger un report de ses congés (10).

Reste une dernière question que nous souhaiterions aborder, même si elle nous éloigne quelque peu de la solution retenue dans l'arrêt sous examen. On sait que le salarié, qui tombe malade au cours de ses congés, ne peut, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, exiger de prendre ultérieurement les congés payés dont il n'a pu bénéficier du fait de son arrêt de travail. Ce salarié ne peut même pas exiger un nouveau congé non rémunéré (11). La Cour de cassation justifie cette solution en affirmant que l'employeur qui a accordé au salarié le congé s'est acquitté de ses obligations légales pour l'année de référence (12). Peu importe, par conséquent, que le salarié n'ait pas effectivement pu prendre tout ou partie de son congé, seul compte le fait que l'employeur l'a normalement accordé. On doit relever que cette solution rejoint, a priori, la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, en cas de concours de causes de suspension, la cause de suspension survenue en premier l'emporte sur la cause qui n'est apparue qu'ultérieurement.

On peut, cependant, convenir que cette solution n'est pas très satisfaisante, le salarié subissant les conséquences de sa maladie pendant son congé. Eu égard, précisément, à la finalité qu'assigne aux congés annuels le droit communautaire, ne peut-on soutenir que le salarié est en droit, là aussi, de demander un report de ses congés ? Sans doute pourra-t-il être rétorqué que c'est aller trop loin et que, à la différence du salarié qui tombe malade avant d'avoir pu prendre ses congés, celui-ci les a effectivement pris. Pour autant, le congé a pour finalité de permettre au salarié de se reposer, afin de préserver sa santé. Or, un salarié en congé, mais, néanmoins, malade, se repose-t-il vraiment ?


(1) Cass. soc., 6 mai 2002, n° 00-41.401, Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) du Centre c/ Mme Annig Remondeau, F-D (N° Lexbase : A6088AY7).
(2) Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-44.907, M. Col c/ M. Deudon (N° Lexbase : A3117AB3) ; Cass. soc., 16 février 1999, n° 96-45.364, Mme Muller c/ Société Istra BL (N° Lexbase : A0184AUD).
(3) Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-40.226, Mme Eiden c/ Association La Chrysalide (N° Lexbase : A2501ACM).
(4) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 05-42.293, Société Arcadie Sud-Ouest, anciennement dénommée société Arcadie distribution Sud-Ouest, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5775DYK), RDT, 2007, p. 732, note M. Véricel.
(5) Il est, d'ailleurs, à remarquer que l'argumentation du pourvoi reposait, en l'espèce, sur cette exclusion.
(6) M. Véricel, obs. préc. et la jurisprudence citée.
(7) Pour une évocation des évolutions nécessaires au regard de la jurisprudence de la CJCE, v. S. Laulom, Droit aux congés annuels : une évolution nécessaire de la Cour de cassation, SSL, n° 1388, p. 12.
(8) Ce qu'il paraît difficile de lui reprocher compte tenu des pourvois qu'elle a à examiner.
(9) Pour les salariés de retour d'un congé de maternité ou d'un congé d'adoption, la question est réglée par la loi (C. trav., art. L. 3141-2 N° Lexbase : L0554H9E).
(10) Soulignons que la Cour de cassation a décidé que, dans ce cas, le salarié n'est pas en droit de prétendre à une indemnité compensatrice, "la décision du salarié de bénéficier d'un congé parental d'éducation [s'imposant] à l'employeur, ce dont il résulte que l'intéressé a lui-même rendu impossible l'exercice de son droit à congé payé" (Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.314, Association pour la formation professionnelle dans les industries de l'ameublement (AFPIA) c/ M. Benoît Bertier, F-P+B N° Lexbase : A0416DBZ). Lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Des limites au droit à congés payés, Lexbase Hebdo n° 107 du 11 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0482ABH).
(11) Cass. soc., 18 mars 1975, n° 73-40.824, Baujard c/ SA Vapeuro (N° Lexbase : A7090AGP) ; Cass. soc., 8 novembre 1984, n° 82-42.372, Urssaf de la Côte-d'Or c/ Beuchot (N° Lexbase : A2332AAM).
(12) V., déjà, en ce sens, Cass. soc., 4 juin 1962, n° 61-40.617, SA des Etablissements Malicet et Blin c/ Sieur Jacques Bercot, publié (N° Lexbase : A6460EDM) ; Bull. civ. IV, n° 525.

Décision

Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488, Caisse primaire d'assurance maladie de Creil c/ Mme Evelyne Kopacz et a., FS-P+B (N° Lexbase : A3973EDI)

Rejet, CPH Creil, 7 août 2007

Textes concernés : C. trav., art. L. 3141-1 (N° Lexbase : L0552H9C) et L. 3141-13 (N° Lexbase : L0563H9Q) ; Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM)

Mots-clefs : congés payés ; maladie antérieure au départ en congé ; report des congés

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Nouvelle victoire pour les fonds de pension néerlandais : la retenue à la source prévue par l'article 119 bis CGI ne leur est pas applicable

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 13 février 2009, n° 298108, Société Stichting Unilever Pensioenfonds progress et a. (N° Lexbase : A1154ED4)

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N7796BIL

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

Le 07 Octobre 2010

Par une décision du 13 février 2009, le Conseil d'Etat a jugé non conforme au droit communautaire la suppression de dispositifs fiscaux de neutralisation de retenue à la source à la suite de la suppression de l'avoir fiscal. En vertu d'une instruction du 31 janvier 1996 (BOI 4 J-1-96, § 19 à 26 : Dr. fisc., 1996, n° 7, instr. 11538), les fonds de pension des Pays-Bas pouvaient bénéficier du taux de retenue à la source de 15 % et de la restitution partielle de l'avoir fiscal à concurrence du montant de la retenue à la source prévus par elle, ce qui aboutissait à une exemption de cette retenue. Toutefois, la suppression de l'avoir fiscal, dont les instructions du 28 février 2005 (BOI 4 J-1-05 N° Lexbase : X9108ACC) et du 28 avril 2005 (BOI 4 J-2-05 N° Lexbase : X0611ADY) avaient tiré les conséquences tout en confirmant le bénéfice du taux réduit de retenue à la source pour les fonds de pension néerlandais, avait eu pour effet de faire, désormais, supporter à ces organismes la charge effective, dans cette mesure, de la taxation des dividendes de source française qu'ils percevaient. Les fonds de pension néerlandais ont donc demandé au ministre de l'Economie l'abrogation des dispositions contenues dans les instructions précitées et ayant pour effet de soumettre les fonds à la retenue à la source du 2 de l'article 119 bis du CGI (N° Lexbase : L3843IAL). Le Conseil d'Etat a fait droit à leur demande. Après avoir relevé que le régime d'exonération prévu par le CGI était applicable aux organismes à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur les seuls organismes résidents de France et qu'en conséquence la restriction à la liberté de circulation des capitaux ne pouvait être justifiée par l'existence d'une différence de situation objective entre organismes français et néerlandais, il a considéré que l'existence d'une raison impérieuse d'intérêt général, telle que la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal ou l'efficacité des contrôles fiscaux, n'était pas démontrée en l'absence d'un lien direct entre l'exonération d'impôt dont bénéficient les organismes français et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ou d'impossibilité d'exercer un contrôle fiscal efficace sur les organismes néerlandais. Le Conseil a ainsi jugé que la discrimination en cause méconnaissait le principe de liberté de circulation des capitaux posé à l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne .

La décision du Conseil d'Etat intervient dans un contexte de multiplications de recours formés avec succès devant la juridiction administrative par les fonds de pension néerlandais, et tendant à se voir accorder le bénéfice des mêmes règles d'imposition que celles applicables aux organismes français à caractère non lucratif (voir, à propos du prélèvement prévu par les dispositions de l'article 244 bis A du CGI N° Lexbase : L3589IA8), jugé non conforme à la clause de non-discrimination contenue dans la Convention franco-néerlandaise et au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux (CAA Paris, 6 décembre 2007, n° 06PA03370, Fondation Stichting Unilever N° Lexbase : A9469D34, RJF, 4/2008, n° 409, chronique S. Austry ; le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par le Conseil d'Etat : CE, 27 octobre 2008, n° 313135, Ministre c/ Fondation Stichting Unilever, RJF, 2/2009, n° 113).

1. Le dispositif instauré par les instructions fiscales attaquées, défavorable aux fonds de pension néerlandais, n'est pas contraire au principe communautaire de liberté d'établissement

1.1. Un dispositif interne qui avait pour objet de soumettre les fonds de pension à une retenue à la source à taux minoré

Le 2 de l'article 119 bis du CGI prévoit que les produits des actions et parts sociales distribués par des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés ayant leur siège en France, et les revenus assimilés, donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Le taux normal de la retenue à la source est fixé à 25 % par le 1 de l'article 187 du même code. Cette retenue à la source peut toutefois faire l'objet d'exonérations, et la plupart des conventions fiscales conclues par la France avec d'autres Etats réduisent le taux de la retenue, voire la suppriment totalement. C'est ainsi que la Convention franco-néerlandaise du 16 mars 1973 (N° Lexbase : L6735BHW) prévoit, dans son article 10, l'application d'un taux maximum de retenue à la source de 15 % aux dividendes versés par une société française à un résident néerlandais. Cette même convention prévoit, cependant, le transfert, dans certaines conditions et limites, de l'avoir fiscal éventuellement attaché aux distributions. Le transfert de l'avoir fiscal a, ainsi, pour effet de neutraliser intégralement la retenue à la source.

Ces stipulations ne sont pas directement applicables aux fonds de pension néerlandais. Le paragraphe III-b)-4-i) de l'article 10 prévoit, toutefois, que les sociétés et fonds d'investissement qui ne rempliraient pas les conditions fixées d'un commun accord entre les deux Etats peuvent obtenir le bénéfice du transfert de l'avoir fiscal s'ils remplissent les conditions trouvées d'un commun accord entre les deux Etats parties. Ces dispositions ont été étendues aux fonds de pension néerlandais dans le cadre d'un accord entre autorités françaises et néerlandaises en 1977 (BODGI 14 B-5-77 n° 1).

C'est dans ce contexte que l'instruction 4 J-1-96 du 19 janvier 1996, qui reprenait les termes d'une instruction du 27 mai 1977, avait étendu le mécanisme de retenue à taux minoré et de neutralisation de la retenue par transfert de l'avoir fiscal aux fonds de pension néerlandais. Ce dispositif satisfaisait évidemment les fonds de pension en question. Toutefois, à la suite de la suppression de l'avoir fiscal, deux nouvelles instructions du 25 février et du 28 avril 2005 ont été publiées. L'instruction 4 J-1-05 du 25 février 2005 définissait les modalités selon lesquelles les actionnaires non-résidents qui recevaient des dividendes de source française pourraient obtenir le taux réduit de retenue à la source dès la mise en paiement des dividendes. Elle était applicable aux sociétés et fonds d'investissement non assujettis à l'impôt sur les revenus (§ 7) et aux caisses de retraite des Pays-Bas (§ 8). L'instruction 4 J-2-05 du 28 avril 2005 prévoyait, pour sa part, que la faculté pour les caisses de retraite et fonds de pension de plusieurs pays limitativement énumérés, parmi lesquels les Pays-Bas, d'obtenir le transfert d'une fraction ou de la totalité de l'avoir fiscal attaché aux dividendes de source française était "supprimée pour les dividendes de source française mis en paiement au cours de l'année 2004".

Concrètement, les fonds de pensions néerlandais percevant des dividendes de source française continuaient, donc, de bénéficier du taux réduit de la retenue à la source mais ils devaient désormais en supporter effectivement la charge. La charge fiscale définitive pesant sur eux était donc passée de 0 à 15 %, sans autre forme de neutralisation. C'est pourquoi plusieurs d'entre eux ont demandé au ministre des Finances d'abroger les instructions fiscales 4 J-1-96 du 31 janvier 1996, 4 J-1-05 du 25 février 2005 et 4 J-2-05 du 28 avril 2005, lesquelles avaient pour effet de les soumettre à la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI sans neutralisation. Le ministre ayant gardé le silence, les requérants ont demandé l'annulation de la décision implicite de refus opposée par le ministre, et à ce qu'il fût enjoint à l'Etat d'abroger les instructions en cause.

1.2. L'absence de violation du principe de liberté d'établissement

L'argumentation des requérants était fondée sur un seul moyen tiré de ce que le nouveau dispositif résultant des instructions attaquées introduisait une discrimination contraire aux principes de libre circulation des capitaux et de liberté d'établissement , au détriment des fonds de pension néerlandais, qui constituent des caisses de retraite, dès lors qu'il mettait à leur charge une imposition dont sont exonérés les organismes français à but non lucratif similaires en vertu des dispositions du c du 5 de l'article 206. En d'autres termes, les fonds de pension néerlandais estimaient qu'ils étaient soumis à une imposition dont étaient exonérés leurs homologues français, tels que les caisses de Sécurité sociale du régime général, les caisses de régime complémentaire ou encore les sociétés mutualistes.

La jurisprudence communautaire, a régulièrement sanctionné des législations nationales au motif qu'elles faisaient supporter à une personne non résidente une charge d'impôt, notamment par voie de retenue à la source à raison de la perception de dividendes, qui n'eût pas pesé sur elle si elle avait été résidente de l'Etat en cause (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Verkooijen, N° Lexbase : A1828AWM, Rec. p. I-4071 ; CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen N° Lexbase : A2692DD3 ; CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-315/02, Anneliese Lenz N° Lexbase : A0926DDN ; CJCE, 19 janvier 2006, aff. C-265/04, Margaretha Bouanich c/ Skatteverket N° Lexbase : A3727DMY). Une telle discrimination méconnaît, en effet, selon les hypothèses, les stipulations des articles 56 TCE, relatif à la libre circulation des capitaux, voire 43 TCE, relatif à la liberté d'établissement. Si cette discrimination est impliquée par une instruction fiscale, alors même que celle-ci ne ferait qu'appliquer ou expliciter la loi, l'instruction est illégale et encourt, selon la voie contentieuse empruntée, l'annulation ou l'abrogation (cf., s'agissant des recours dirigés précisément contre les instructions fiscales qui méconnaîtraient le sens ou la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elles entendaient expliciter, ou qui réitéreraient une règle contraire à une norme juridique supérieure : CE, 19 février 2003, n° 235697, Auberge Ferme des Genêts N° Lexbase : A2732A7C ; CE, 6 mars 2006, n° 262982, Syndicat national des enseignants et des artistes N° Lexbase : A4849DNW : RJF, 2006, n° 573).

En ce qui concerne plus précisément la liberté d'établissement, le Conseil d'Etat avait saisi la CJCE d'une question préjudicielle relative à la compatibilité avec le droit communautaire du dispositif national prévoyant une retenue à la source sur les dividendes versés par des filiales françaises à une société mère étrangère, alors même que, si la société mère avait été résidente en France, les dividendes ainsi versés n'auraient pas été soumis à une telle retenue à la source (CE, 15 décembre 2004, n° 235069, Denkavit N° Lexbase : A4486DEU, RJF, 3/05, n° 233). La Cour de justice a jugé que la retenue à la source sur des distributions à une société mère néerlandaise, alors qu'une société mère française est presque intégralement dispensée d'imposition sur de tels revenus, est contraire à la liberté d'établissement, malgré l'existence d'une convention fiscale qui permet d'imputer aux Pays-Bas la retenue sur l'impôt dû, dès lors que la société mère, qui se trouve être exonérée dans son pays, ne peut user de cette faculté d'imputer (CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05, Denkavit International BV et Denkavit France N° Lexbase : A8816DSC : RJF, 3/07, n° 374).

Le raisonnement ainsi retenu par la CJCE n'était cependant pas transposable aux fonds de pension néerlandais, dès lors que ceux-ci n'exercent aucun contrôle sur les sociétés françaises qui leur versent des dividendes et qu'ils n'ont aucune présence en France (cf., sur l'importance de ce dernier critère, CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Centro di musicologia Walter Stauffer N° Lexbase : A9708DQM : RJF, 12/06, n° 1645, § 19). Recourant au principe de l'économie de moyens, le Conseil d'Etat n'a cependant pas eu à se prononcer sur ce point puisqu'il a pu se borner à considérer que le dispositif instauré par les instructions fiscales attaquées était contraire au principe de liberté de circulation des capitaux.

2. Ce dispositif est cependant contraire au principe de liberté de circulation des capitaux sans que la restriction apportée à cette liberté soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général

2.1. Un dispositif proche de celui sanctionné par la CJCE et de ce fait contraire au principe de liberté de circulation des capitaux

Le dispositif introduit par les instructions contestées visait à instaurer une différence de traitement de principe entre les fonds de pension et caisses de retraite résidents des Pays-Bas et leurs homologues résidents en France. En effet, si les fonds de pension en cause avaient eu leur siège en France, les dividendes qu'ils auraient reçus en tant qu'organismes à but non lucratif auraient été exonérés d'impôt sur les sociétés en application de l'article 206, 5° c) du CGI (N° Lexbase : L2389IB4) ainsi que de la retenue à la source prévue par l'article 119 bis de ce même code.

La CJCE s'était d'ailleurs prononcée sur un dispositif assez proche qui avait conduit à l'imposition en Allemagne, à raison de revenus tirés de la location d'un immeuble situé dans ce pays, d'une fondation culturelle sans but lucratif, résidente d'Italie et qui aurait été exonérée d'impôt si elle avait été résidente d'Allemagne (CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Centro di musicologia Walter Stauffer, précité). Tout l'intérêt de l'arrêt rendu par la Cour de justice, arrêt qui est expressément visé par la décision du Conseil d'Etat du 13 février 2009, consiste à déterminer à quelles conditions une fondation étrangère peut être considérée comme comparable à une fondation résidente. Devant la cour, l'Etat allemand avait, en effet, fait valoir qu'une fondation reconnue d'intérêt général en Allemagne n'était pas forcément comparable à une fondation d'intérêt général italienne, dès lors que la première serait intégrée dans la vie sociale allemande et se chargerait de missions qui devraient autrement être assurées par la collectivité ou par les autorités nationales, ce qui grèverait le budget de l'Etat, tandis que les activités d'intérêt général de la seconde, à la fois statutaires et effectives, ne concerneraient pas l'Allemagne. L'Etat allemand soumettait en quelque sorte à la Cour de justice l'argument que l'on trouve exprimé dans les commentaires précités de l'article 24 du modèle OCDE pour justifier que les Etats parties à une convention bilatérale traitent différemment des organismes sans but lucratif résidents et de tels organismes non résidents. La réponse de la Cour de justice des Communautés européennes est toute en nuance. Loin de poser, comme on pourrait hâtivement le penser, un principe d'assimilation systématique entre fondations italiennes et allemandes, la cour énonce que "le droit communautaire n'impose pas aux Etats membres de faire en sorte que les fondations étrangères reconnues d'intérêt général dans leur Etat membre d'origine bénéficient automatiquement de la même reconnaissance sur leur territoire". En effet, les Etats membres disposent, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation qu'ils doivent exercer conformément au droit communautaire (voir, en ce sens, CJCE, 9 février 2006, aff. C-415/04, Kinderopvang Enschede, point 23 N° Lexbase : A7249DMG : RJF, 6/06, n° 807). Ils sont libres, dans ces conditions, de décider quels sont les intérêts de la collectivité qu'ils veulent promouvoir, en octroyant des avantages à des associations et à des fondations qui poursuivent de manière désintéressée des objectifs liés auxdits intérêts (point 39). Cependant, la Cour estime qu'"il n'en demeure pas moins que, lorsque une fondation reconnue d'intérêt général dans un Etat membre remplit également les conditions imposées à cette fin par la législation d'un autre Etat membre et a comme objectif la promotion d'intérêts de la collectivité identiques, ce qu'il appartient aux autorités nationales de ce dernier Etat, y compris les juridictions, d'apprécier, les autorités de cet Etat membre ne sauraient refuser à cette fondation le droit à l'égalité de traitement pour la seule raison qu'elle n'est pas établie sur leur territoire" (point 40). Elle en déduit, au cas d'espèce, que l'Allemagne ne pouvait réserver un traitement défavorable à une fondation étrangère dont les objectifs étaient conformes à ceux prévus par la législation allemande pour bénéficier d'une exonération d'impôt.

Au vu de l'arrêt rendu par la Cour de justice dans l'affaire "Centro di Musicologia Walter Stauffer", le principe d'identité de traitement entre organismes à but non lucratif résidents et non résidents est teinté de relativisme. L'obligation de traitement identique suppose, en effet, l'identification préalable du lien établi par le législateur fiscal national entre les activités exercées par l'organisme à but lucratif et l'exonération. C'est lorsque l'organisme étranger présente les mêmes caractéristiques que celles exigées des entités nationales exonérées (concernant tant les conditions que les fins de l'exonération) qu'il peut demander un régime fiscal aligné sur celui de ces dernières.

Or, les fonds de pension néerlandais se trouvent bien dans une situation objectivement identique à celle des organismes de retraite français. En effet, les organismes de retraite en France sont exemptés de l'impôt sur les sociétés pour les dividendes qu'ils perçoivent de sociétés établies en France, conformément au c) du 5° de l'article 206 du CGI, alors qu'ils sont assujettis à l'impôt sur les sociétés à raison des autres revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent. Contrairement à ce que soutenait le ministre, cette exonération d'impôt sur les sociétés n'est pas justifiée par une quelconque activité d'intérêt général pour l'Etat français, mais par le fait qu'elles n'exercent pas d'activités lucratives. A cet égard, rappelons que le régime d'exonération prévu par les dispositions des articles 206 et 207 (N° Lexbase : L3753IAA) du CGI s'applique, également, aux associations, fondations et autres organismes à raison du caractère non lucratif de leur activité et non d'une charge d'intérêt général qui pèserait sur eux. Au regard de ces dispositions, seul le caractère lucratif ou non des organismes peut donc être discuté. Or, cette question de la comparabilité des organismes français et néerlandais est délicate et a, d'ailleurs, été au coeur des litiges de plein contentieux devant les juges du fond, qui ont retenu le caractère non lucratif des organismes en cause (voir CAA Paris, 6 décembre 2007, n° 06PA03370, précité).

En l'espèce, à supposer même que les fonds néerlandais ne remplissaient pas les critères des organismes à but non lucratif tels qu'entendus en droit français, c'est-à-dire dans les conditions fixées par la jurisprudence "Association Jeune France" (CE, 1er octobre 1999 n° 170289, Association Jeune France N° Lexbase : A4697AXA : RJF, 11/99, n° 1354), cette objection ne pouvait en elle-même justifier par principe une discrimination à l'égard de l'ensemble des caisses de retraite et fonds de pension de plusieurs pays étrangers, en raison de leur seule nationalité. D'ailleurs, dans l'instruction de 1996, l'administration avait expressément constaté, s'agissant des fonds de pension requérants, qu'"il s'agit des fonds de pension ("Stichting pensioenfonds") dont le siège est aux Pays-Bas, qui ne poursuivent pas un but lucratif et qui de ce fait sont exonérés d'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas" (point n° 20), et elle n'était jamais expressément revenue sur cette qualification. Si l'administration veut exclure tel ou tel fonds du bénéfice de l'exonération, il lui appartiendra donc de le faire sur le fondement d'un examen au cas par cas, et non d'une disposition de principe prise en méconnaissance du droit communautaire et en contradiction avec ses appréciations antérieures.

2.2. Un dispositif non justifié par l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général

L'arrêt précité "Centro di Musicologia Walter Stauffer" a rappelé qu'une différence de traitement entre organismes nationaux et étrangers pouvait être justifiée, exceptionnellement, si elle portait sur des situations qui n'étaient pas objectivement comparables ou s'il existait un motif impérieux d'intérêt général, tel que la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal (cf. déjà CJCE, 28 janvier 1992, C-204/90, Bachmann N° Lexbase : A9890AUT ; CJCE, 6 juin 2000, Verkooijen, précité, point 43 ; CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen, précité, point 29) et l'efficacité des contrôles fiscaux (CJCE, 20 février 1979, C-120/78, Rewe-Zentral, dit "cassis de Dijon", § 8 N° Lexbase : A5743AUA, Rec. p. 649). En cas de justification, la légalité de la discrimination doit alors être appréciée au regard du principe de proportionnalité.

En l'espèce, le Conseil d'Etat n'a pu qu'écarter le moyen tiré de l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général tiré de la cohérence du système fiscal et de l'efficacité des contrôles fiscaux. Là encore, son raisonnement trouve une inspiration dans l'affaire "Centro di musicologia" : la Cour de justice y avait comparé les situations au regard de l'intérêt qu'il y aurait pour un Etat confiant des missions d'intérêt général à un organisme sans but lucratif de l'exonérer d'impôt alors qu'il n'y aurait pas le même intérêt à exonérer un organisme semblable étranger. La Cour avait toutefois écarté cette argumentation, au motif que pour "qu'un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé" (cf. point 53). L'argumentation relative à l'efficacité des contrôles fiscaux avait également été écartée, la Cour admettant toutefois qu'un Etat membre était autorisé, avant d'accorder une exonération à un organisme étranger, à appliquer des mesures lui permettant de vérifier, de façon claire et précise, si l'organisme en cause remplissait les conditions pour bénéficier de l'exonération (cf. points 48 et 49).

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat, aucun lien n'était établi entre l'avantage fiscal accordé aux caisses de retraite françaises et la compensation de cet avantage par un prélèvement déterminé. Il est vrai que les dividendes perçus par les caisses françaises sont directement versés aux bénéficiaires des prestations de ces caisses et imposés entre les mains de ceux-ci, alors que ce n'est pas le cas pour les fonds néerlandais. Toutefois, si l'avantage fiscal accordé aux caisses est ainsi compensé par l'imposition des pensions de retraite des affiliés, la jurisprudence communautaire de justice exige que l'avantage fiscal et sa compensation relèvent du chef du même contribuable, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, la restriction en cause ne pouvait être regardée comme étant justifiée par l'efficacité des contrôles fiscaux puisque les critères de la non-lucrativité d'un organisme peuvent être contrôlés relativement facilement, a fortiori dans le cadre de la coopération administrative entre Etats de l'Union, étant précisé que de simples inconvénients administratifs ne sont pas suffisants pour justifier une restriction (voir, en ce sens, CJCE, 4 mars 2004, C-334/02, Commission c/ France N° Lexbase : A4317DBI, Rec. p. I-2229, point 29).

Les instructions de 2005, en tirant les conséquences de la suppression de l'avoir fiscal et en supprimant la neutralisation de la retenue à la source, ont donc bien méconnu les dispositions de l'article 56 du Traité instituant les Communautés européennes.

En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé le refus d'abroger les circulaires des 28 février et 28 avril 2005 en tant qu'elles ne prévoient pas de neutraliser l'application de la retenue à la source au paiement de dividendes de sociétés françaises à des organismes tels que les fonds de pension néerlandais qui seraient en mesure d'apporter la preuve qu'ils pourraient bénéficier, s'ils étaient établis en France, de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévues au c) du 5 de l'article 206 à raison de la perception de dividendes de sociétés françaises.

Soulignons que cette solution est tout à fait compatible avec le récent arrêt par lequel la Cour de justice des Communautés européennes a admis la possibilité d'assujettir à la retenue à la source les intérêts versés à un non-résident, alors qu'aucune retenue n'était exigible pour un résident (CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-282/07, Truck center SA N° Lexbase : A9974EBZ). En effet, les dividendes de source française en cause dans l'affaire jugée par la Cour étaient exonérés d'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas, comme en France, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 13 février 2009.

Eu égard à l'injonction prononcée en outre par celui-ci, l'administration française devra donc mettre fin à l'application de la retenue à la source sans neutralisation au paiement de dividendes de sociétés françaises à des organismes tels que les fonds de pension néerlandais.

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Pénal

[Jurisprudence] Rétroactivité des revirements de jurisprudence en matière pénale : l'Assemblée plénière "botte en touche"

Réf. : Ass. plén., 13 février 2009, n° 01-85.826, M. Dominique Pessino, P+B+R+I (N° Lexbase : A1394EDY)

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par Romain Ollard, Docteur en droit, ATER à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

S'insérant dans le débat relatif à l'application de la jurisprudence dans le temps, l'arrêt d'Assemblée plénière du 13 février 2009 mérite l'attention, non pas tant par ce qu'il dit, que par le silence qu'il contient. En refusant de prendre position sur la question de la rétroactivité des revirements jurisprudentiels, qui agite actuellement jurisprudence et doctrine, la solution rendue par la Haute juridiction pourrait être interprétée comme exprimant, sinon une défiance, du moins une réticence à consacrer le principe du revirement de jurisprudence pour l'avenir. En vue de l'édification d'un immeuble, une société civile immobilière avait obtenu un permis de construire dont une juridiction administrative prononça, par la suite, le sursis à exécution. Ayant poursuivi les travaux, le gérant de la société fut poursuivi, puis condamné en appel sur le fondement de l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3514HZ8) qui réprime le délit de construction sans permis de construire. Le 6 mai 2002, la Cour de cassation rejetait le pourvoi (2) formé contre l'arrêt d'appel qui arguait de ce que la poursuite des travaux entrepris malgré le prononcé d'un sursis à exécution du permis de construire ne pouvait constituer le délit de construction sans permis : la loi pénale étant d'interprétation stricte, la suspension du permis de construire ne pouvait, selon le pourvoi, être tenue comme équivalente à son absence. Rejetant cet argument au motif que le constructeur ne peut "se prévaloir d'aucun permis de construire lorsque l'exécution de celui-ci a été suspendue par une décision du juge administratif", la Haute juridiction opérait un revirement de sa jurisprudence (3).

Or, considérant que "les faits qui lui ont été reprochés ne constituaient pas une infraction au moment où ils ont été commis", "seul le renversement de jurisprudence opéré [étant] venu rétroactivement donner à ces faits une qualification délictuelle" (4), le gérant de la société constructrice décida de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme sur le fondement de la violation de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4797AQQ), édictant le principe de légalité des délits et des peines. Par l'arrêt "Pessino" du 10 octobre 2006 (5), la Cour de Strasbourg lui donnait raison. D'une part, "le gouvernement n'a pas été en mesure de produire des décisions des juridictions internes établissant qu'avant l'arrêt rendu dans la présente affaire, il a été jugé explicitement que le fait de poursuivre des travaux malgré un sursis à exécution du permis de construire constituait une infraction pénale". Ajoutant, d'autre part, que "le principe de la légalité des délits et des peines interdit que le droit pénal soit interprété extensivement au détriment de l'accusé, par exemple par analogie", la Cour en conclut que, "faute au minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 ne sauraient être regardées comme respectées à l'égard de l'accusé" (6).

A la suite de cette condamnation de l'Etat français, le gérant condamné devant les juridictions françaises présenta, conformément à la procédure instituée par la loi du 15 juin 2000 (6), une requête devant la commission de réexamen d'une décision pénale, laquelle a renvoyé l'examen du pourvoi devant l'Assemblée plénière, qui rend l'arrêt présentement étudié. Eu égard à la solution énoncée par la Cour européenne, on aurait a priori pu attendre une prise de position de l'Assemblée plénière sur la délicate question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence en matière pénale.

Il n'en est pourtant rien. Au double visa des articles 111-4 du Code pénal (N° Lexbase : L2255AMH) -principe de l'interprétation stricte de la loi pénale- et L. 480-4 du Code de l'urbanisme, l'Assemblée plénière décide que "la poursuite des travaux malgré la décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n'est pas constitutive de l'infraction de construction sans permis". Or, en fondant sa solution sur le principe de l'interprétation stricte de la loi criminelle et en se prononçant exclusivement sur les éléments constitutifs du délit de construction sans permis de construire, la Haute juridiction limite la portée de sa solution à une pure question de droit pénal (très) spécial.

Certes, le fondement retenu par l'Assemblée plénière peut se justifier techniquement. D'une part, conformément aux dispositions de l'article 626-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4001AZ9), la Cour de cassation était saisie aux seules fins de réexamen du pourvoi, lequel était précisément fondé sur le principe de l'interprétation stricte de la loi criminelle. D'autre part et surtout, l'Assemblée plénière peut se prévaloir de la solution des magistrats européens puisque eux-mêmes avaient fondé la violation de l'article 7 de la Convention non seulement sur le caractère imprévisible du revirement de jurisprudence, mais encore, à titre subsidiaire, sur la prohibition de l'interprétation extensive de la loi pénale. Ainsi, la Haute juridiction s'est-elle, en quelque sorte, engouffrée dans la brèche créée par la pluralité de fondements retenus par la Cour de Strasbourg, en faisant le choix du fondement le plus classique. Il n'en demeure pas moins qu'en retenant un tel fondement, l'Assemblée plénière élude purement et simplement la question controversée de l'effet rétroactif attaché aux revirements jurisprudentiels plus sévères alors qu'il lui était possible de saisir l'occasion ainsi offerte pour trancher la question, notamment en ayant recours à la technique de l'obiter dictum.

La question de la rétroactivité des revirements jurisprudentiels devient, en effet, aujourd'hui récurrente, tant en droit pénal qu'en droit civil. Pendant longtemps, a prévalu l'idée selon laquelle "la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante" (8). Cette idée s'expliquait par une conception classique de l'office du juge héritée du siècle des Lumières, suivant laquelle la jurisprudence, simple "bouche de la loi", ne peut être considérée comme source de droit. Or, une décision de justice ne créant pas de norme au sens formel, elle ne saurait modifier l'état du droit positif ni, partant, porter atteinte au principe de la sécurité juridique. La tendance contemporaine semble, toutefois, atténuer la rigidité de ce dogme classique. Outre le fait que l'activité créatrice de la jurisprudence n'est plus à démontrer, l'effet rétroactif inhérent aux revirements apparaît aujourd'hui intenable, en ce qu'ils peuvent se révéler dommageables pour un individu qui a pourtant agi en se conformant au droit en vigueur -le droit étant ici conçu, au sens où l'entend la Cour européenne, comme englobant le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle- (9). Aussi bien, la rétroactivité des revirements apparaît-elle contraire aux principes, importés du droit communautaire, de sécurité juridique, de prévisibilité des solutions et de confiance légitime dans le droit en vigueur (10). Sensible à ces idées (11), un courant prétorien récent a ainsi pu admettre de restreindre dans le temps la portée des revirements de jurisprudence (12), certaines solutions étant même allées jusqu'à admettre le principe du revirement pour l'avenir (13) qui consiste à dégager un principe nouveau tout en en restreignant la portée aux seules actions futures.

Bien que transcendant les disciplines juridiques, la question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence se pose avec une particulière acuité en droit pénal au sein duquel les libertés individuelles sont en cause (14). Les enjeux propres à la matière rendent en effet plus intenable encore l'effet rétroactif des revirements plus sévères en ce qu'il conduit à sanctionner d'une peine un comportement qui ne l'était pas au moment de sa commission. Si les juges donnent une nouvelle lecture de la loi, une personne, ayant pourtant agi dans le respect du droit en vigueur, bascule subitement de l'état d'innocence à celui de coupable : l'acte commis devient délictueux, à rebours. Plus impérieux en droit pénal qu'ailleurs, le principe de l'interdiction de la rétroactivité in pejus devrait pouvoir être étendu aux interprétations jurisprudentielles.

On peut d'autant plus regretter la frilosité de l'Assemblée plénière, en l'espèce, que, dans son dernier état, la jurisprudence répressive avait sèchement jugé que "le principe de non rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle" (15). Or, la prohibition de la rétroactivité des revirements plus sévères apparaît comme une évolution inéluctable au regard des principes européens. Dès lors, d'une part, que la Cour européenne retient une conception large de la loi, incluant tant la loi stricto sensu que le droit jurisprudentiel, et, d'autre part, que le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère est posé par l'article 7 § 1 de la Convention, l'effet rétroactif attaché aux revirements de jurisprudence paraît irrémédiablement condamné, au moins lorsque ces revirements sont imprévisibles (16). Comment admettre en effet, au regard de l'article 7 § 1 de la Convention, la rétroactivité de la jurisprudence pénale plus sévère si elle est assimilée à la loi elle-même ?

Fort de ce constat, deux voies principales pourraient s'ouvrir aux juridictions répressives françaises pour se conformer aux préceptes de la cour de Strasbourg.

Tout d'abord, elles pourraient recourir à l'erreur de droit, cause d'irresponsabilité pénale (17) : tout en posant un principe nouveau opérant renversement de jurisprudence, les juges pourraient réserver la responsabilité pénale de la personne poursuivie au motif que l'erreur de droit était, en raison de l'imprévisibilité du revirement, inévitable. Il est, toutefois, peu probable que les juridictions répressives s'engagent dans cette voie. D'une part, l'existence de l'erreur doit être appréciée au moment de la commission de l'acte incriminé. Or, à cet instant, le prévenu ne commet aucune erreur puisque, par hypothèse, il pense agir conformément au droit en vigueur : l'erreur n'apparaît que rétrospectivement (18). D'autre part et surtout, l'erreur de droit, spécialement son caractère inévitable, a toujours été interprétée restrictivement. Ainsi la Chambre criminelle a-t-elle récemment jugé qu'une divergence de jurisprudence entre deux chambres de la Cour de cassation ne peut être à l'origine d'une erreur de droit (19). Il est vrai, cependant, que, dans cette hypothèse, la cause de l'erreur alléguée résidait dans une simple divergence de jurisprudence de sorte que l'agent ne pouvait se prévaloir d'aucune certitude quant à la licéité de son comportement. Mais, même s'agissant d'un revirement de jurisprudence, cette condition de certitude de la licéité du comportement pourrait également faire défaut dans un domaine, celui des solutions jurisprudentielles, qui est, plus que tout autre, sujet à interprétation (20).

Aussi la Cour de cassation pourrait-elle privilégier une seconde option, inspirée de la technique américaine du prospective overruling. Tout en posant un principe nouveau plus sévère, la Cour réserverait expressément la responsabilité pénale pour les faits de la cause. De deux choses l'une alors : ou bien les juridictions du fond ont prononcé la relaxe, auquel cas la Cour de cassation se contenterait de rejeter le pourvoi ; ou bien, en cas de condamnation par les juges du fond, la Haute juridiction casserait sans renvoi la décision attaquée (21). Une forme moins solennelle de revirement pour l'avenir pourrait consister en un avertissement préalable -le rumbling firom olympus du droit anglais-, annonçant par un obiter dictum un changement imminent de jurisprudence, ce qui permettrait de conférer au revirement une prévisibilité suffisante (22). Dans tous les cas, la date de prise d'effet du revirement pour l'avenir pourrait être fixée au jour de la publication de la décision au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, cette publication assurant ainsi le même rôle de publicité que le Journal officiel s'agissant des lois.

Mais nous n'en sommes pas là, l'Assemblée plénière ayant refusé, par le présent arrêt, de trancher la question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence en matière pénale. Bien plus, son silence pourrait être interprété comme traduisant sinon une hostilité, du moins une certaine gêne devant l'admission du revirement de jurisprudence pour l'avenir qui, il est vrai, serait en rupture avec notre tradition juridique de droit écrit, particulièrement vivace en droit pénal. On aurait, toutefois, pu attendre davantage de l'Assemblée plénière, Cour unificatrice du droit, laquelle n'a pas saisi l'occasion qui lui était donnée d'offrir une grille de lecture claire aux juridictions inférieures. Gageons, toutefois, que l'arrêt "Pessino" du 10 octobre 2006 va encourager les plaideurs à multiplier les recours, tant en droit interne qu'en droit européen, dans toutes les hypothèses d'application rétroactive de revirements jurisprudentiels plus sévères, obligeant ainsi, à terme, la Haute juridiction à se prononcer.


(1) Pour un commentaire de l'arrêt d'Assemblée plénière, lire F. Dieu,La dépénalisation des travaux entrepris postérieurement à la suspension du permis de construire, Lexbase Hebdo n° 101 du 5 mars 2009 - édition publique (N° Lexbase : N7704BI8).
(2) Cass. crim., 6 mai 2002, n° 01-85.826, publié (N° Lexbase : A8423AYM), Bull. crim. n° 101 ; DP, 2002, comm. 100, obs. J.-H. Robert.
(3) Cass. crim., 9 novembre 1993, n° 93-80.025, inédit (N° Lexbase : A4894CQC) : par cet arrêt, la Cour de cassation rejetait, en effet, un pourvoi formé contre un arrêt de non-lieu ayant jugé que le délit de construction sans permis de construire ne pouvait être considéré comme constitué à défaut d'annulation dudit permis. Pour une analyse plus détaillée de ce revirement, v. J.-H. Robert, obs. précitées.
(4) § 15.
(5) CEDH, 10 octobre 2006, Req. 40403/02, Pessino c/ France (N° Lexbase : A6913DRH), D., 2006, J. 124, note D. Roets.
(6) § 34 et s.
(7) Cette procédure prévoit la possibilité du réexamen d'une décision pénale définitive lorsque la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme ( C. pr. pén., art. 626-1 N° Lexbase : L4001AZ9).
(8) V. par exemple, Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564, M. Franck Abel Coindoz c/ M. Louis Christophe, publié (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249, D., 2001, J. 3470, Rapp. P. Sargos, note D. Thouvenin ; Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 00-21.648, Mme Colette Deroze c/ Société Pharaon, F-P+B (N° Lexbase : A9011AZR), Bull. civ. III, n° 200, D., 2003, J. 513, note C. Atias.
(9) CEDH, 24 avril 1990, Req. 7/1989/167/223, Kruslin c/ France, (N° Lexbase : A6323AW4) ; CEDH 22 novembre 1995, deux arrêts, Req. 48/1994/495/577, CR c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A8357AWG et Req. 47/1994/494/576, SW c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A8378AW9).
(10) Sur ces principes, C. Mouly, Le revirement pour l'avenir, JCP éd. G, 1994, I, 3776, spéc. n° 19 et s..
(11) V., à cet égard, Les revirements de jurisprudence, groupe de travail présidé par N. Molfessis, Litec, 2005.
(12) V., particulièrement, CE, 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres (N° Lexbase : A1829DCQ), RFDA, 2004, p. 454, concl. C. Devys ; Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 01-10.426, Société nationale de radiodiffusion Radio France c/ Mme Agnès Casero, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0975DDH) D., 2004, J. 2956, note C. Bigot. Adde, implicitement, Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 03-40.008, Société SAMSE c/ M. Christian Breschi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4376DES), Ch. Radé, A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : une évolution en trompe l'oeil !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N4064AB7), JCP éd. G, 2005, I, 166, n° 11, obs. P. Morvan ; RTDCiv., 2005, p. 159, obs. P.-Y. Gauthier. Sur l'ensemble de la question, v. P. Morvan, Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon, D., 2005, Chr. 247 ; Ch. Radé, De la rétroactivité des revirements de jurisprudence, D., 2005, Chr. 988.
(13) Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, préc..
(14) En ce sens, v. également G.-X. Bourin, Echec aux conséquences funestes des revirements en droit pénal, Gaz. Pal., 1995, Doct. 599 ; P. Morvan, op. cit., n° 24 ; D. Roets, op. cit., p. 127.
(15) Cass. crim., 30 janvier 2002, n° 01-82.593, F-P+F (N° Lexbase : A8729AXL), Bull. crim. n° 16 ; DP, 2002, comm. 43.
(16) Il semble, en effet, résulter de la jurisprudence de la Cour européenne qu'une distinction doive être opérée entre les revirements imprévisibles et ceux qui ne le sont pas, le principe de non rétroactivité n'opérant qu'à l'égard des premiers. Lorsque, en effet, le revirement aboutissant à ériger un acte en infraction "constitue une étape raisonnablement prévisible" de l'évolution du droit, l'application de ce revirement aux faits de la cause n'est pas jugé contraire à l'article 7 de la Convention (CEDH, 22 novembre 1995, S. W. c/ Royaume-Uni, préc., série A, n° 335 : répression du viol entre époux). Il en est, notamment, ainsi lorsque l'acte constitue, au moment des faits, "une infraction définie avec suffisamment d'accessibilité et de prévisibilité par les règles de droit international relatives à la protection des droits de l'homme" (CEDH, gr. ch., 22 mars 2001, Req. n° 34044/96, 35532/97 et 44801/98, Streletz, Kessler, et Krenz c/ Allemagne N° Lexbase : A7317AWW, § 105). Ces solutions impliqueraient ainsi de distinguer les revirements prenant leur source dans l'"état des moeurs et de la conscience morale", pour lesquels un jugement de prévisibilité serait toujours concevable, et ceux qui concernent le droit pénal technique, par essence incompatibles avec une telle prévisibilité.
(17) C. pén., art. 122-3 (N° Lexbase : L2316AMQ).
(18) En ce sens, v. également D. Roets, op. cit., p. 128.
(19) Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-80.254, FS-P+F+I (N° Lexbase : A5245DCA), D., 2004, J. 2326, note H. K. Gaba (vol de documents par un salarié aux fins de production de preuve dans une instance judiciaire l'opposant à son employeur).
(20) En ce sens, D. Rebut, Les revirements de jurisprudence en matière pénale, in Les revirements de jurisprudence, groupe de travail présidé par N. Molfessis, Litec, 2005, p. 95, spéc. p. 101.
(21) COJ, art. L. 411-3(N° Lexbase : L7928HNX).
(22) Pour une analyse complète des différentes techniques de revirements pour l'avenir, v. P. Morvan, op. cit., n° 15 et s. ; Ch. Radé, op. cit., n° 18 et s..

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Environnement

[Jurisprudence] Vers un contrôle accru de l'utilisation des OGM par les autorités communautaires et nationales

Réf. : CJCE, 17 février 2009, aff. C-552/07, Commune de Sausheim c/ Pierre Azelvandre (N° Lexbase : A2330EDN)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt du 17 février 2009, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) vient de reconnaître un droit d'accès du public aux informations relatives aux disséminations d'organismes génétiquement modifiés (OGM). Rappelons que l'article L. 533-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8039IAY) définit la dissémination volontaire comme "toute introduction intentionnelle dans l'environnement d'un organisme génétiquement modifié ou d'une combinaison d'organismes génétiquement modifiés pour laquelle aucune mesure de confinement particulière n'est prise pour en limiter le contact avec les personnes et l'environnement et pour assurer à ces derniers un niveau élevé de sécurité". En l'espèce, un administré contestait le refus implicite opposé par le maire à la communication d'un ensemble de documents (avis au public, fiche d'implantation et courrier préfectoral d'accompagnement) permettant de connaître la localisation des essais d'OGM en plein champ effectués sur le territoire de sa commune. A la suite de ce refus, il avait saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) d'une demande tendant à obtenir la communication des documents précités. Cette commission avait rendu un avis favorable relatif à la communication de l'avis au public et de la première page du courrier préfectoral d'accompagnement. En revanche, elle s'était prononcée contre la communication de la fiche d'implantation parcellaire et de la carte de localisation des disséminations, au motif que cette communication porterait atteinte au secret de la vie privée et à la sécurité des exploitants concernés. Elle avait, en outre, déclaré irrecevable la demande tendant à la communication des fiches d'information relatives à toute nouvelle dissémination.

Saisi du litige en dernier ressort, le Conseil d'Etat, par une décision du 21 novembre 2007 (CE 9° et 10° s-s-r., 21 novembre 2007, n° 280969, Commune de Sausheim N° Lexbase : A7249DZI), avait décidé de surseoir à statuer aux fins d'interroger la CJCE, d'une part, sur la notion de "lieu de dissémination" et, d'autre part, sur la faculté des autorités nationales de s'opposer en particulier à la communication de la fiche d'implantation parcellaire et de la carte de localisation des disséminations au motif qu'elle porterait atteinte à l'ordre public ou à d'autres intérêts protégés par la loi. Les questions soumises visaient donc à clarifier la manière dont la Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement (N° Lexbase : L8079AUR) et abrogeant la Directive 90/220/CE du Conseil du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement (N° Lexbase : L7696AUL), interagit avec la Directive 90/313/CE du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement (N° Lexbase : L7691AUE).

A la première question, la Cour indique que le lieu de dissémination est déterminé par toute information relative à la localisation de la dissémination soumise par le notifiant aux autorités compétentes de l'Etat membre sur le territoire duquel cette dissémination doit avoir lieu et qu'il est fonction des caractéristiques de chaque opération et de ses incidences éventuelles sur l'environnement. Sur le second point, elle estime "qu'une demande d'informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations sollicitées serait susceptible de porter atteinte à certains intérêts, au nombre desquels figure la sécurité publique, ne sauraient être utilement opposées aux exigences de transparence". Elle en déduit "qu'une réserve tenant à la protection de l'ordre public ou à d'autres intérêts protégés par la loi ne saurait être opposée à la communication des informations".

Le domaine des organismes génétiquement modifiés fait l'objet d'une activité normative de plus en plus intense au niveau des Etats-membres, la France ayant adopté une loi en ce domaine en juin 2008 (loi n° 2008-595 du 25 juin 2008, relative aux organismes génétiquement modifiés N° Lexbase : L4998H7A), issue des propositions du "Grenelle de l'environnement", qui crée, notamment, un Haut Conseil des biotechnologies ayant pour mission d'éclairer le Gouvernement sur toutes questions intéressant les OGM. La décision du 17 février 2009 de la CJCE s'inscrit parfaitement dans le cadre juridique européen en cette matière, ici constitué par l'article 95 du Traité CE , selon lequel un Etat membre peut, après l'adoption par le Conseil d'une mesure d'harmonisation, maintenir des dispositions nationales en matière de sécurité publique, de protection de la santé ou de propriété industrielle et commerciale, mais surtout par les Directives 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement et 90/313/CE du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement, qui privilégient l'accès du public à des informations qui, sans cela, ne seraient pas divulguées (I). Cet arrêt traduit, également, un encadrement juridique des OGM de plus en plus poussé au niveau national (II).

I - Une décision qui s'inscrit parfaitement dans le cadre juridique européen en matière d'OGM

A - Les Etats membres doivent mettre dans le domaine public les informations concernant la localisation des disséminations d'OGM

La Directive 2001/18/CE vise, notamment, à rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres et à protéger la santé humaine et l'environnement, lorsqu'il est procédé à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement à toute autre fin que la mise sur le marché. Elle définit, ainsi, les critères permettant d'évaluer au cas par cas les risques potentiels qui peuvent se présenter. Elle oblige toute personne souhaitant procéder à une dissémination de fournir des informations aux autorités compétentes de l'Etat membre dans lequel la dissémination envisagée devrait avoir lieu. Ces informations, notamment le lieu de la dissémination, ont pour but de permettre à ces autorités de procéder à l'évaluation efficace des risques avant de décider si elles autorisent le notifiant à mettre ses OGM en contact avec l'environnement (1). Si le paragraphe 1 de l'article 25 de la Directive 2001/18/CE énumère un certain nombre de motifs que le notifiant peut invoquer pour demander aux autorités nationales de ne pas divulguer des informations qu'il a fournies au cours de la procédure d'autorisation, le paragraphe 4 de ce même article dispose que, en aucun cas, le "lieu de la dissémination" ne peut être dissimulé au public.

En conséquence, l'on peut estimer que le terme de "lieu de la dissémination" ne laisse aux Etats membres aucune marge d'appréciation leur permettant d'arbitrer entre les principes de sécurité publique et de droit du public d'accéder à l'information. En outre, l'examen des termes de l'article 31 de cette même Directive permet de se convaincre du bien-fondé de cette hypothèse. En effet, celui-ci exige que les Etats membres "établissent des registres publics où est enregistrée la localisation de la dissémination des OGM". L'on peut raisonnablement penser qu'il serait impossible de satisfaire à cette obligation, qui se retrouve, d'ailleurs, à l'article 10 de la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008, si les informations concernant la localisation de la dissémination pouvaient bénéficier de la confidentialité visée à l'article 25, paragraphe 1, précité. Un bémol réside, cependant, dans le fait que, si les autorités nationales compétentes reçoivent des informations qui ne sont pas nécessaires à l'évaluation du risque environnemental, ces informations n'auront pas à être communiquées à un éventuel demandeur.

B - Les motifs tirés de la sécurité publique ne peuvent s'opposer à la nécessaire communication d'informations concernant la localisation des disséminations d'OGM

La Directive 90/313/CE facilite l'accès à l'information du public en matière d'environnement détenue par les autorités nationales, tout en prévoyant un certain nombre de dérogations permettant, dans certaines circonstances, aux Etats membres de refuser la divulgation de cette information. L'article 2 de ce texte décrit comme telles la sécurité publique et "les données dont la divulgation aurait plutôt pour effet de porter atteinte à l'environnement auquel elles se réfèrent". Le conflit entre ces deux principes a déjà fait l'objet de décisions jurisprudentielles, tant au niveau communautaire que national. Dans un arrêt rendu le 12 juin 2003, la CJCE s'était prononcée sur une demande d'informations relatives aux mesures administratives de contrôle de produits alimentaires fabriqués à partir d'OGM, en relevant qu'en vertu de l'article 2 de la Directive 90/313/CE, ne constituent pas des informations relatives à l'environnement au sens de cette disposition, et donc communicables au public, le nom du fabricant et la dénomination des denrées alimentaires ayant fait l'objet de mesures administratives de contrôle, le nombre de sanctions administratives infligées à la suite de ces mesures, ainsi que les producteurs et les produits concernés par de telles sanctions (CJCE, 12 juin 2003, aff. C-316/01, Eva Glawischnig c/ Bundesminister für soziale Sicherheit und Generationen N° Lexbase : A7809C8Q). Plus récemment, dans une décision du 7 août 2007, le Conseil d'Etat avait indiqué que la possibilité d'opposer un refus à une demande de communication d'informations environnementales ne concerne que le seul cas où celle-ci porte sur des documents inachevés (CE 9° et 10° s-s-r., 7 août 2007, n° 266668, Association des habitants du littoral du Morbihan, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A8913DXE).

Dans le cas d'espèce, la commune et le Gouvernement français faisaient valoir que l'article 95 CE et la Directive 2003/4/CE du 28 janvier 2003, concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement (N° Lexbase : L4791A9C), permettent aux autorités nationales de décider que l'information se rapportant à la localisation des essais relatifs à une dissémination volontaire d'OGM peut rester confidentielle pour des motifs tirés de la protection de l'ordre public et de la sécurité publique. A cet argument, la Cour de Luxembourg réplique que l'article 25, paragraphes 1 à 3, de la Directive 2001/18/CE instaure un régime qui définit avec précision la confidentialité dont peuvent bénéficier les différentes données qui sont communiquées dans le cadre des procédures de notification et d'échange d'informations prévues par la même Directive. Or, selon la Cour, ne sont visées par ce texte que "les informations confidentielles notifiées à la Commission et à l'autorité compétente ou échangées au titre de ladite directive, ainsi que les informations susceptibles de nuire à une position concurrentielle, et que les droits de propriété intellectuels afférents auxdites données doivent être protégés".

La CJCE en conclut que des considérations tenant à la sauvegarde de l'ordre public ne sauraient constituer des motifs susceptibles de restreindre l'accès à certaines informations, parmi lesquelles figure le lieu de la dissémination. Le Gouvernement français ayant rappelé qu'une communication détaillée de la localisation peut conduire à la destruction des récoltes, notamment par les "faucheurs anti-OGM", la Cour a rappelé que la crainte de difficultés internes ne saurait justifier l'abstention par un Etat membre d'appliquer correctement le droit communautaire (CJCE, 9 décembre 1997, aff. C-265/95, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A1710AWA, Rec. p. I-6959, point 55). En particulier, s'agissant de la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement, la CJCE a jugé, dans un arrêt du 9 décembre 2008 (CJCE, 9 décembre 2008, aff. C-121/07, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A5514EBT), qu'"un Etat membre ne saurait exciper de difficultés d'application apparues au stade de l'exécution d'un acte communautaire, y compris celles liées à la résistance de particuliers, pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des normes du droit communautaire".

Si la réglementation sur la dissémination volontaire des OGM s'inscrit, comme on vient de le voir, dans un cadre communautaire, la mise en oeuvre de la réglementation visant à l'utilisation confinée d'OGM se situe essentiellement dans un cadre national, lequel se fait de plus en plus directif pour encadrer cette nouvelle technique de génie génétique.

II - Un encadrement juridique accru de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés

Une ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat, le 19 mars 2008, a confirmé l'interdiction temporaire de la mise en culture du maïs génétiquement modifié "MON 810" (CE référé, 19 mars 2008, n° 313547, Association générale des producteurs de maïs et autres N° Lexbase : A4313D7U). Il a rejeté la demande de suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), de l'arrêté du 7 février 2008 (N° Lexbase : L9898ICL), par lequel le ministre de l'Agriculture et de la Pêche a interdit sur le territoire national la mise en culture, en vue de la mise sur le marché, des variétés de semence de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié "MON 810". Le juge des référés indique que les décisions relatives à ce type de maïs ne pouvaient être prises que sur le fondement du Règlement communautaire du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (N° Lexbase : L5629DL3). Cependant, l'existence d'une clause de sauvegarde, à l'article 34 de ce Règlement, ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat membre prenne des mesures conservatoires, en cas de possibles atteintes à la santé humaine ou à l'environnement.

Dans un arrêt du 17 octobre 2008, la Haute juridiction administrative a annulé la décision du 19 mai 2006 par laquelle le ministre de l'Agriculture avait autorisé la dissémination volontaire de maïs génétiquement modifiés dans l'environnement en vue de leur "testage", à toute autre fin que la mise sur le marché, dans le cadre d'un programme expérimental de quatre ans sur le territoire de plusieurs communes (CE 3° et 8° s-s-r., 17 octobre 2008, n° 295388, Association France Nature Environnement N° Lexbase : A7911EAA). Le Conseil a, ici, rappelé qu'il résulte des dispositions des articles L. 531-4 (N° Lexbase : L8096IA4) et L. 533-3 (N° Lexbase : L8002IAM) du Code de l'environnement que l'administration est tenue, à l'occasion d'une décision d'autorisation d'expérimentation d'OGM, de vérifier les conditions précises dans lesquelles s'inscrit cette expérience et en particulier si, en raison de circonstances physiques ou climatiques, il peut exister un risque de diffusion des organismes autorisés dans l'environnement immédiat ou plus lointain du lieu d'expérimentation. En l'espèce, la commission du génie biomoléculaire, seulement informée de la liste des communes dans lesquelles "pourra être implanté le programme d'essai", n'ayant pas été mise à même de porter, sur les risques liés à l'expérimentation, l'appréciation qui lui incombait, la décision du 19 mai 2006 devait être annulée.

Le 5 décembre 2008, c'était le tribunal administratif de Nîmes qui reconnaissait au conseil municipal d'une commune le droit de s'opposer à toute culture d'OGM sur son territoire (TA Nîmes, 5 décembre 2008, n° 0802882, Préfet de Vaucluse c/ Commune de Le Thor N° Lexbase : A2188ECZ). Pour le tribunal, ce conseil s'est ainsi borné à rendre publique une position de principe sur la question de la culture des OGM, sans édicter d'interdiction de ce type de culture dans la commune. Ainsi, il n'a pas méconnu les dispositions de la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992 (N° Lexbase : L6941IC3), relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés et modifiant la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 (N° Lexbase : L6346AG7), relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, adoptée en vue de la transposition de la Directive(CE) 90/220 du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (N° Lexbase : L7696AUL), qui confient au seul ministre de l'Agriculture un pouvoir de police spécial en la matière.

Dans un cadre plus général, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rappelé la portée du principe du droit à l'information du public en matière d'environnement, et plus précisément en matière de déchets ménagers (CAA Bordeaux, 6ème ch., 15 avril 2008, n° 06BX01822, Préfet des Landes c/ M. Laurent Duval N° Lexbase : A2531EAY). Rappelant qu'en matière de déchets, une commission locale d'information et de surveillance doit donner son avis avant l'octroi de l'autorisation administrative d'exploitation, la cour, constatant qu'alors que les administrations publiques concernées, les collectivités territoriales et l'exploitant sont dotés chacun de trois représentants, les associations de protection de l'environnement ne disposent que de deux représentants au total au sein de cette commission. Est donc irrégulier l'avis émis par cette commission, dés lors que ces associations y étaient sous-représentées.

Cette volonté ne semble qu'imparfaitement suivie par les autorités nationales, la CJCE ayant infligé une amende forfaitaire de 10 millions d'euros à la France pour non-transposition partielle de la Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'OGM (CJCE, 9 décembre 2008, aff. C-121/07, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5514EBT) (2). L'on peut y voir une sorte de "schizophrénie" de la part de ces autorités, puisque la décision de la France d'utiliser la clause de sauvegarde sur le maïs génétiquement modifié de la firme américaine Monsanto, le "MON810", par l'arrêté du 7 février 2008 précité, a été jugée infondée par l'Autorité europénne de sécurité des aliments (EFSA) au mois de novembre 2008. Selon l'EFSA, "aucune preuve scientifique spécifique" n'a été présentée par la France "pour justifier l'invocation de la clause de sauvegarde" qui a permis l'interdiction provisoire de la culture ou de la vente du "MON810", autorisée dans l'UE, en invoquant un risque pour la santé ou l'environnement.

La position de la France s'est, toutefois, trouvée confortée par le Conseil des ministres de l'Environnement qui a rejeté à une large majorité, le 2 mars 2009, la levée de trois clauses de sauvegarde nationales relatives à des maïs génétiquement modifiés proposée par la Commission, permettant, ainsi, à l'Autriche et à la Hongrie d'interdire la culture de deux OGM sur leur territoire. Une preuve supplémentaire, s'il en était besoin, de la difficulté d'arbitrer entre progrès technologiques, enjeux financiers et protection de la santé publique.


(1) Conclusions de l'avocat général Madame Eléanor Sharpston, présentées le 22 décembre 2008 sur l'affaire C-552/07.
(2) Lire, à ce sujet, les observations de Christophe De Bernardinis, Condamnation de la France pour durée importante de persistance de manquement dans la transposition de la Directive OGM, Lexbase Hebdo n° 93 du 7 janvier 2009 - édition publique ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 3211388, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] Condamnation de la France pour dur\u00e9e importante de persistance de manquement dans la transposition de la Directive \"OGM\"", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N2178BII"}}).

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