La lettre juridique n°338 du 19 février 2009 : Rémunération

[Jurisprudence] Egalité salariale, prise en compte des contraintes budgétaires, des parcours professionnels et traitement des salariés issus d'un transfert d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 4 février 2009, 3 arrêts, n° 07-11.884, CNRSI, FS-P+B (N° Lexbase : A9448ECW), n° 07-42.024, M. Pascal Aubeut, FS-P+B (N° Lexbase : A9556ECW) et n° 07-41.406, CAF de Paris, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


La source semble décidément intarissable ! Quelques jours, seulement, après avoir, de nouveau, statué sur la justification des inégalités salariales tirées de l'ancienneté des salariés et de leur appartenance à des établissements distincts (1), la Cour de cassation, dans trois décisions en date du 4 février 2009, apporte de très utiles précisions sur la prise en compte des contraintes budgétaires et des "parcours professionnels" (I) et statue sur les effets d'un changement d'employeur (II).


Résumés

Pourvoi n° 07-11.884 : au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence.
La cour d'appel a constaté que le dispositif mis en place par le protocole d'accord de transposition dans la nouvelle grille de classification avait pour conséquence de rompre l'égalité entre salariés, dès lors que, à classification égale, les salariés recrutés après le 1er janvier 2002 percevaient un salaire supérieur à celui de ceux engagés avant cette date, qui voyaient limitée leur augmentation de salaire lorsque celle-ci atteignait un certain seuil. Elle a donc pu décider que les contraintes budgétaires imposées par l'autorité de tutelle ne constituaient pas une justification pertinente, ces impératifs financiers n'impliquant pas nécessairement une différence de traitement entre les salariés en fonction de la date de leur engagement, et que cet article, qui méconnaissait le principe "à travail égal, salaire égal", devait être annulé.

Pourvoi n° 07-41.406 : au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence.
La cour d'appel, qui a retenu qu'aucun élément tenant à la formation, à la nature des fonctions exercées ou à l'ancienneté dans l'emploi ne distinguait les salariées qui se trouvaient dans une situation identique et que l'avancement plus rapide de celles qui avaient été promues assistantes sociales après le 1er janvier 1993, date d'entrée en vigueur du protocole d'accord du 14 mai 1992, n'était que la conséquence des modalités d'application du reclassement des emplois, défavorables aux salariées nommées dans ces fonctions avant l'entrée en vigueur du protocole, en a exactement déduit qu'il n'existait aucune raison objective pertinente justifiant la disparité de traitement.

Pourvoi n° 07-42.024 : au regard de l'application du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de l'entrée en vigueur de l'accord collectif.
Lorsque l'article L. 122-12, alinéa 2 (N° Lexbase : L5562ACY), devenu L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) du Code du travail est applicable, le changement d'employeur s'opère au jour du transfert de l'entité économique dont relève le salarié ; il en résulte que le salarié, dont le contrat de travail est repris, ne peut prétendre avoir été présent dans l'entreprise exploitée par le cessionnaire avant la date d'effet du transfert.
La cour d'appel a relevé que l'indemnité compensatrice préjudicielle prévue par l'accord d'entreprise de réduction du temps de travail était destinée à compenser les effets d'un changement de statut à un instant précis, dont les salariés qui n'ont été présents au sein de la société TVO par l'effet du transfert de leurs contrats de travail que postérieurement à la signature de l'accord, n'avaient pas eu à souffrir, a exactement décidé que ces salariés ne remplissaient les conditions, ni pour bénéficier de l'indemnité différentielle, ni pour se voir attribuer la prime d'été.

Commentaire

I - Egalité salariale et prise en compte des parcours professionnels

  • Egalité salariale et négociation collective

Les partenaires sociaux sont amenés à intervenir périodiquement pour régler un certain nombre de difficultés liées à la modification des grilles de rémunération et à préciser, à cette occasion, les modalités d'application dans le temps de ces modifications.

Dans la plupart des hypothèses déjà rencontrées, les nouveaux accords modifient à la baisse les dispositions précédentes et comportent des mesures transitoires destinées à sauvegarder le niveau de rémunération des salariés qui avaient bénéficié des anciennes dispositions conventionnelles (2) ; des dispositions comparables sont mises en place lorsqu'un accord nouveau se substitue à un usage d'entreprise (3).

Dans ces hypothèses, la Cour de cassation a, logiquement, considéré que les salariés embauchés antérieurement à l'entrée en vigueur du nouvel accord ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui sont embauchés postérieurement, dans la mesure où le nouvel accord diminue leur niveau de rémunération et que la volonté de compenser ce préjudice constitue un motif justifiant la différence de traitement introduite entre des salariés qui exerceraient un travail égal ou de valeur égale.

  • Egalité salariale et différences de traitement au détriment des anciens salariés

C'est dans ce cadre, qui semble, aujourd'hui, bien en place, qu'interviennent deux nouveaux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 février 2009 (pourvois n° 07-11.884 et n° 07-41.406), dans une configuration diamétralement opposées aux affaires habituellement traitées, puisque les accords litigieux traitaient moins bien les anciens salariés que les nouveaux.

La première espèce (pourvoi n° 07-11.884) concernait la Convention collective nationale de travail du personnel des caisses d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés non agricoles du 27 décembre 1972. La Caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (la CANAM) et plusieurs organisations syndicales représentatives ont, en effet, convenu de refondre totalement la grille de classification et de revaloriser le niveau des rémunérations versées aux salariés relevant de ces caisses. L'avenant conclu s'accompagnait d'un protocole d'accord de transposition dans la nouvelle grille de classification, dont l'article 3-3 prévoyait que, "si la progression de la rémunération individuelle au titre de la transposition excède 6 % en 2002, sans préjudice de l'optimisation prévue à l'article 3.1, le salarié se verra appliquer, pour l'excédent, un plan de rattrapage sur les années ultérieures dans les conditions suivantes, par rapport à sa rémunération au 31 décembre 2001 : 6 % en 2002 ; 2 % en 2003 ; et 2 % en 2004. Les taux de progression fixés pour 2003 et 2004 pourront être révisés par avenant au vu du bilan prévu à la fin de l'année 2004 mentionné à l'article 3.5".

Estimant que ces dispositions, prenant effet le 1er janvier 2002, créaient une inégalité salariale entre les salariés en place et ceux nouvellement recrutés, la Fédération nationale des personnels des organismes sociaux CGT (FNPOS CGT), non signataire de l'avenant et de ses protocoles annexes, a saisi le tribunal de grande instance pour demander, notamment, l'annulation de cet article 3-3.

Le tribunal de grande instance de Paris, puis la cour d'appel de Paris, ont fait droit à ces demandes, après avoir considéré que ces dispositions introduisaient une différence de traitement injustifiée entre les salariés, selon leur date d'embauche, ce que contestait la CANAM. Cette solution est confirmée, ici, par le rejet du pourvoi.

La seconde espèce (pourvoi n° 07-41.406) concernait l'application de la Convention collective nationale du 8 février 1957 et du protocole d'accord du 14 mai 1992, portant classification des emplois des organismes de Sécurité sociale et de leurs établissements. Cinq assistantes sociales avaient saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappels de salaires en faisant valoir que l'application combinée de ces dispositions conventionnelles avait créé une disparité de rémunération entre des salariés de même qualification exerçant le même emploi, puisque, en tant qu'agents en fonction au sein de la caisse d'allocations familiales de Paris au moment de la réforme, ayant été reclassées le 1er janvier 1993, elles percevaient une rémunération moindre que les agents nommés ultérieurement dans les mêmes fonctions à la suite de promotions.

Dans cette affaire, les juges du fond avaient, également, fait droit à ces demandes, ce que confirme la Haute juridiction par le rejet du pourvoi.

  • Le rappel des critères nécessaire à la justification des différences de traitement

Dans les deux arrêts, les principes permettant de régler le différend sont les mêmes et sont conformes aux solutions rendues dernièrement par la Chambre sociale de la Cour de cassation : "au regard du respect du principe 'à travail égal, salaire égal', la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence" (4).

  • Justification des inégalités salariales et contraintes budgétaires

Le débat portait, dans la première affaire (pourvoi n° 07-11.884), sur la justification de la différence de traitement constatée. La CANAM avait mis en évidence, dans son pourvoi, la particularité du statut des caisses de Sécurité sociale et, singulièrement, leurs contraintes statutaires et budgétaires (5).

L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation ; celle-ci relève, en effet, à la suite de la cour d'appel, "que les contraintes budgétaires imposées par l'autorité de tutelle ne constituaient pas une justification pertinente, ces impératifs financiers n'impliquant pas nécessairement une différence de traitement entre les salariés en fonction de la date de leur engagement".

La solution ne peut qu'être approuvée.

Des contraintes financières peuvent parfaitement justifier une politique plus restrictive en matière de rémunération, qu'il s'agisse des salaires d'embauche, des rémunérations, des augmentations de salaire ou de la progression dans les carrières. Mais, ces difficultés doivent, logiquement, être supportées de manière égalitaire par l'ensemble du personnel, sans que l'employeur ne puisse traiter différemment les salariés en fonction de leur date d'embauche. On pourrait, à la rigueur, admettre qu'une différence de traitement favorise les anciens salariés, au nom de la nécessité de compenser le préjudice résultant du changement de conjoncture et de grille conventionnelle, ou de sacrifices passés qu'il conviendrait de compenser (6), mais certainement pas les défavoriser au profit des nouveaux engagés.

  • Justification des inégalités salariales et prise en compte des "parcours professionnels"

Dans la seconde affaire (pourvoi n° 07-41.406), la CAF tentait de justifier la différence de traitement par la différence des "parcours professionnels" et contestait, ainsi, que les salariés puissent se trouver dans une même situation.

En visant les "parcours professionnels", le demandeur tentait de se rattacher à la jurisprudence "CRAMIF", qui avait, pourtant, admis cet argument comme pertinent, ce qui pouvait augurer une cassation, puisque la cour d'appel de Paris avait écarté cette justification (7).

L'arrêt est, pourtant, rejeté et la justification considérée comme non pertinente, la Cour de cassation relevant, à la suite de la cour d'appel, "qu'aucun élément tenant à la formation, à la nature des fonctions exercées ou à l'ancienneté dans l'emploi ne distinguait les salariées qui se trouvaient dans une situation identique et que l'avancement plus rapide de celles qui avaient été promues assistantes sociales après le 1er janvier 1993, date d'entrée en vigueur du protocole d'accord du 14 mai 1992, n'était que la conséquence des modalités d'application du reclassement des emplois, défavorables aux salariées nommées dans ces fonctions avant l'entrée en vigueur du protocole", avant de conclure que la cour d'appel "a exactement déduit qu'il n'existait aucune raison objective pertinente justifiant la disparité de traitement".

  • Précisions sur le caractère pertinent du critère tiré de la prise en compte des "parcours professionnels"

L'arrêt est doublement intéressant.

En premier lieu, la Cour de cassation explicite la justification tirée des "parcours professionnels". Alors que, dans ces décisions précédentes, la Haute juridiction avait pu donner le sentiment que ce critère serait, en soi, suffisant pour justifier des différences de traitement (8), elle vient utilement préciser que ces "parcours professionnels" ne sont pertinents que s'ils valorisent "la nature des fonctions exercées ou [...] l'ancienneté dans l'emploi".

Ce faisant, la Cour semble s'écarter de la consécration d'un critère justificatif autonome, celui des "parcours professionnels spécifiques", reconnus depuis les premiers arrêts "CRAMIF", rendus en 2006, pour le rattacher à trois "valeurs sûres", la "formation" (9), la "nature des fonctions" (10) et l'"ancienneté dans l'emploi" (11).

Ce recadrage de la jurisprudence n'est pas véritablement surprenant, compte tenu de l'orientation prise ces derniers mois. On sait, en effet, que la Cour de cassation exige des juges du fond qu'ils recherchent concrètement l'existence d'indices objectifs et pertinents, écartant, ainsi, toute approche abstraite et dogmatique (12).

C'est, précisément, cette méthode qui avait conduit la cour d'appel de Paris, dans cette affaire, à contester le caractère pertinent de la justification avancée. Les magistrats parisiens avaient, en effet, considéré que le protocole d'accord du 14 mai 1992, portant classification des emplois des organismes de Sécurité sociale et de leurs établissements, en cause dans toutes ces affaires, introduisait des éléments justifiant les différences de traitement entre les salariés au détriment des anciens.

  • L'infléchissement de la jurisprudence relative à la pertinence du critère tiré des "parcours professionnels spécifiques"

Les faits soumis aux magistrats parisiens étaient assez sensiblement différents des affaires antérieures, puisque ces derniers, qui ne contestaient pas que, pour un certain nombre de salariés, la prise en compte des "parcours professionnels spécifiques" puisse justifier les différences de traitement, avaient relevé que, pour d'autres salariés, cette justification ne pouvait être retenue, compte tenu du fait que ces "parcours" ne prenaient en compte ni l'ancienneté dans l'entreprise, ni la nature des fonctions.

En d'autres termes, la prise en compte du critère des "parcours professionnels" était purement rhétorique et ne reflétait aucune différence réelle et pertinente de situation.

C'est donc dans l'analyse de la situation concrète des salariés demandeurs qu'il convient de trouver la justification du rejet du pourvoi, et non dans la volonté de la Cour de ne plus considérer l'argument des "parcours professionnels spécifiques" comme pertinent. Tout est donc affaire de circonstances.

Ce nouvel arrêt montre qu'il est nécessaire, plus que jamais, de ne pas raisonner de manière abstraite, mais bien de manière très concrète, en tenant compte des particularités de chaque salarié au regard des justifications avancées. Les juges du fond doivent donc faire du "sur mesure" et ne pas se contenter d'un "prêt-à-porter".

C'est, d'ailleurs, certainement parce que les juges du fond ont pris la mesure des exigences méthodologiques de la Haute juridiction que leur décision avait été plus finement motivée et que celle-ci n'est pas cassée.

II - Egalité salariale et transfert d'entreprise

  • Le principe d'égalité salariale et les transferts d'entreprise

Le transfert de l'entreprise emporte, on le sait, transfert des contrats de travail (13), des usages et engagements unilatéraux de l'employeur (14), mais remet en cause les accords collectifs applicables dans l'entreprise, dès lors que le cessionnaire n'y est pas personnellement soumis, ce qui sera, bien entendu, toujours le cas des accords d'entreprise ou d'établissement (15).

On sait, désormais, que ce transfert, lorsqu'il menace le niveau des avantages jusque là garantis aux salariés de l'entreprise cédée, peut s'accompagner d'un maintien, total ou partiel, des avantages acquis sur le fondement des accords mis en cause, que ce maintien résulte de l'application de la règle légale du maintien des avantages individuels acquis (16), du maintien volontaire de ces avantages (17) ou des dispositions de l'accord de remplacement conclu avec le cessionnaire (18).

Si les salariés de l'entreprise cédée peuvent donc valablement bénéficier d'avantages qui seront refusés aux salariés de l'entreprise cessionnaire (19), ils peuvent, également, bénéficier des dispositions conventionnelles applicables dans l'entreprise cédante, à condition, toutefois, que les accords applicables dans celle-ci ne comportent pas des conditions qui les en excluent pour des raisons licites.

Or, on sait que les accords collectifs peuvent restreindre leur application à certains salariés, selon leur date d'embauche, à condition, toutefois, que cette restriction soit justifiée par la volonté de compenser un préjudice consécutif à des changements intervenus dans leur statut collectif (20).

Les salariés cédés peuvent donc se retrouver dans une situation assez paradoxale, puisque, en tant que salariés cédés, ils pourront revendiquer le bénéfice d'avantage dont sont valablement exclus les salariés de l'entreprise cessionnaire, mais ils pourront, également, se voir privés d'autres avantages réservés à certains salariés de l'entreprise cessionnaires.

Reste à déterminer si les clauses des accords collectifs conclus au sein de l'entreprise cessionnaire fixant comme condition d'attribution de certains avantages une date d'embauche sont opposables aux salariés de l'entreprise cédante qui avait été embauchés dans celle-ci avant la date butoir stipulée par les accords conclus dans l'entreprise cessionnaire.

  • La détermination de la date d'effet de l'entrée au service du cessionnaire

C'est tout l'intérêt du troisième arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 février 2009 (pourvoi n° 07-42.024).

Dans cette affaire, deux salariés avaient été engagés par la société Ile-de-France tourisme (IFT) en qualité de conducteurs d'autocars, respectivement, les 2 mai 1994 et 13 janvier 1992. Leurs contrats de travail avaient été transférés à la société Transports Val d'Oise (TVO) les 12 et 6 septembre 2002. Ils avaient saisi le juge pour réclamer le bénéfice de dispositions de l'accord de réduction du temps de travail du 30 juin 1999 conclu au sein de la société TVO et n'avaient, finalement, pas obtenu gain de cause.

La question posée à la Cour de cassation était particulièrement intéressante. On sait, en effet, que le principe posé par l'ancien article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, devenu L. 1224-1, impose le maintien des contrats de travail et, avec lui, de l'ancienneté acquise par le salarié au sein de l'entreprise cédée (21). Dès lors, doit-on considérer que cette ancienneté doit produire pleinement effet au sein de l'entreprise cessionnaire et que le salarié doit être traité comme s'il avait été embauché par celle-ci à la date où il l'avait été dans l'entreprise cédée ou, au contraire, être traité comme un salarié intégrant cette entreprise à la date du transfert ?

A cette question, la Chambre sociale de la Cour de cassation répond, logiquement, que, "lorsque l'article L. 122-12, alinéa 2, devenu L. 1224-1 du Code du travail est applicable, le changement d'employeur s'opère au jour du transfert de l'entité économique dont relève le salarié ; [...] il en résulte que le salarié dont le contrat de travail est repris ne peut prétendre avoir été présent dans l'entreprise exploitée par le cessionnaire avant la date d'effet du transfert".

  • La distinction de l'entrée dans l'effectif de l'entreprise cessionnaire et du maintien de l'ancienneté acquise au sein de l'entreprise cédée

L'affirmation nous paraît parfaitement exacte. En effet, ce n'est pas parce que le salarié conserve le bénéfice de l'ancienneté acquise au service de l'entreprise cédée qu'il est, pour autant, censé avoir fait parti du personnel du cessionnaire antérieurement au transfert. Celui-ci ne produit aucun effet rétroactif, ce qui est heureux, car on imagine les conséquences que pourrait avoir une affirmation contraire : les salariés transférés réclameraient, en effet, dans le cadre des différentes prescriptions applicables, des rappels de salaires, primes et autres avantages, sur le fondement de l'accord applicable au sein de l'entreprise cessionnaire et pour la période antérieure au transfert, ce qui n'aurait pas de sens. La reprise d'ancienneté n'implique donc pas la rétroactivité de l'effet du transfert, mais, simplement, le prolongement du transfert des contrats avec tous les avantages qui y sont attachés.

  • L'entrée dans l'effectif de l'entreprise cessionnaire et le principe d'égalité salariale

L'arrêt est, également, intéressant en ce qu'il démontre, une nouvelle fois, que la justification des différences de traitement est à rechercher, notamment, dans la nature des avantages en cause (22). Ainsi, s'il est logique de considérer que, après le transfert, le salarié, qui relève du statut collectif applicable dans l'entreprise cessionnaire, doit, comme les autres salariés de l'entreprise cessionnaire, bénéficier des avantages dont l'application est subordonnée à une condition d'ancienneté, et ce, même si cette ancienneté a été acquise au service de l'entreprise cédée et conservée à l'occasion du transfert, il semble, également, logique qu'il ne bénéficie pas des dispositions conventionnelles qui ont réservé à certains salariés, en fonction de leur date d'embauche, le bénéfice de mesures destinées à compenser les pertes consécutives à un changement intervenu dans le statut collectif. Dans cette dernière hypothèse, en effet, ce n'est pas parce que les salariés sont issus du transfert qu'ils en seront privés, mais, simplement, parce qu'ils ont intégré l'effectif de l'entreprise postérieurement à la date butoir fixée par l'accord, et que cette différence de date d'embauche traduit une différence de situation. Les salariés de l'entreprise cédée seront, alors, traités comme les salariés embauchés dans cette même entreprise après le transfert, mais pas comme ceux qui avaient été embauchés antérieurement aux modifications conventionnelles intervenues dans le passé et qui se trouvent dans une situation distincte de la leur.

C'est donc bien, ici, la nature particulière de l'avantage en cause qui doit aider le juge à répondre au problème posé (selon que la cause de l'avantage est à rechercher dans la valorisation de l'ancienneté ou la compensation des pertes liées à la date d'embauche), et non le fait que les demandeurs sont, ou non, issus du transfert, si ce n'est pour déterminer à quel moment ceux-ci sont entrés dans l'effectif de l'entreprise cessionnaire.


(1) Cass. soc., 21 janvier 2009, 2 arrêts, n° 07-40.609, Société Bazar de l'Hôtel de Ville, F-D (N° Lexbase : A6445ECP) et n° 07-43.452, Société nationale de radiodiffusion Radio France, F-P+B (N° Lexbase : A6479ECX) et nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 336 du 4 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4803BIQ).
(2) Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, Société Transports de tourisme de l'océan c/ M. Jean-Pierre Gandon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8452DLM) et nos obs., Le principe "A travail égal, salaire égal" impuissant à réduire les inégalités résultant du passage aux 35 heures, Lexbase Hebdo n° 193 du 7 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1672AK7) ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 03-42.641, Société Sodemp, FS-P+B (N° Lexbase : A1936DSI) et nos obs., La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 236 du 15 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5148ALA) ; Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, IRSAM Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT) et nos obs., Justifications des inégalités salariales et date d'embauche des salariés, Lexbase Hebdo n° 250 du 28 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1031BAG).
(3) Cass. soc., 22 février 2006, n° 04-43.542, Mme Fabienne Audrain, épouse Orain c/ Caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Picardie, F-D (N° Lexbase : A1851DNU).
(4) Sur l'analyse de cette formule, lire nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, préc..
(5) Selon la Cour, "l'application du principe 'à travail égal, salaire égal' ne saurait être étendue au jeu de mécanismes complexes, ayant pour objet de permettre la signature immédiate d'un accord de progrès au profit du personnel, tout en étalant dans le temps les conséquences financières de cette évolution, lorsqu'elle intervient dans un service social à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont supportées par les fonds publics et demeurent subordonnées à un agrément ministériel ; [...] la cour d'appel, qui constate que le nouvel accord de classification, ainsi que le protocole d'accord de transposition comportant une clause d'écrêtement temporaire des salaires des personnels déjà en place, ont fait l'objet d'un "agrément par l'Etat" [arrêt attaqué, p. 3] ne pouvait, sans violer l'article L. 314-6 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L3078ICY) et sans faire une fausse application du principe susvisé, amputer d'une disposition financière essentielle le dispositif négocié par les partenaires sociaux".
(6) Cass. soc., 17 juin 2003, n° 01-41.522, M. Jean-Pierre Mayen c/ Société Alitalia, FS-P (N° Lexbase : A8783C8S) : "la cour d'appel a constaté que l'attribution d'un droit d'option, sur les actions nouvellement créées aux seuls salariés dont les contrats relevaient du droit italien, constituait la contrepartie des sacrifices que ces derniers avaient acceptés dans le plan de restructuration de 1996 et qu'il n'était pas établi que ce plan ait concerné les salariés en poste en France, aucune restructuration accompagnée de licenciements n'ayant été prévue en France ; [...] elle a, ainsi, fait ressortir, dans son arrêt, que l'avantage conféré aux salariés dont les contrats relevaient de la loi italienne reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité".
(7) Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif) c/ Mme Catherine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2459DPR) ; lire nos obs., L'égalité salariale n'est pas l'identité salariale, Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8019AK9), Dr. soc., 2006, p. 1048, obs. M.-T. Lanquetin ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-41.774, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif), F-D (N° Lexbase : A0047DQS) ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 05-44.404, F-D (N° Lexbase : A4681DQG) ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.565, Caisse d'allocations familiales des Hauts-de-Seine (CAF), F-D (N° Lexbase : A3607DRZ) ; Cass. soc., 28 novembre 2006, n° 06-40.224, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) du Loiret, F-D (N° Lexbase : A7954DSE) ; Cass. soc., 14 mars 2007, n° 06-41.932, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne, F-D (N° Lexbase : A7563DUN) ; Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-43.418, Caisse d'allocations familiales (CAF) des Yvelines, F-D (N° Lexbase : A6632DYB).
(8) Décisions citées, note préc., qui se traduisaient par des cassations pour violation de la loi d'arrêts ayant écarté la justification avancée par les CAF et autres CRAMA.
(9) Dernièrement Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 05-45.324, Institut européen des sciences humaines, FS-D (N° Lexbase : A2953DXN) ; Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-40.999, M. Frédéric Chazal, F-D (N° Lexbase : A3976D7E) ; Cass. soc., 14 janvier 2009, n° 06-46.055, Mme Christine Lesage, FS-D (N° Lexbase : A3376ECZ). Lire nos obs., Les salariés qui exercent des fonctions différentes n'effectuent pas un travail de valeur égale, Lexbase Hebdo n° 313 du 17 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5377BGA).
(10) Dernièrement Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-40.999, préc..
(11) Lire nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, préc., et les décisions citées et analysées.
(12) Sur cette méthode, nos obs. préc..
(13) C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y).
(14) Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 89-45.656, Assedic de l'Isère et autre c/ M. Ait Byalla Mohamed et autres (N° Lexbase : A1100AAY).
(15) C. trav., art. L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C).
(16) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA) et nos obs., La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 12 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2737BCD) ; Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M) et nos obs., Justification des inégalités salariales et cession de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 285 du 12 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3933BDZ).
(17) Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, Compagnie IBM France c/ M. René Dalbegue, FS-P (N° Lexbase : A0168DGC), Dr. soc., 2005, p. 323.
(18) Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M), Dr. soc., 2008, p. 244.
(19) On sait, d'ailleurs, que le transfert des usages et engagements unilatéraux ne s'opère qu'au bénéfice des salariés de l'entreprise cédée et que les salariés de l'entreprise cessionnaire ne pourront les revendiquer : Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD) et nos obs., L'effet relatif des usages et engagements unilatéraux transférés au nouvel employeur, Lexbase Hebdo n° 194 du 14 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1904AKQ).
(20) Voir notre étude préc., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts.
(21) Cass. soc., 12 mars 1987, n° 83-44.612, Société à responsabilité limitée Epel c/ M. Ibrahimy (N° Lexbase : A7338AAZ). La règle est d'ordre public et il ne peut y être dérogé : Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-60.529, Syndicat CFDT Adour Pyrénées fédération chimie énergie c/ Société Elf Atochem (N° Lexbase : A8763AHZ).
(22) Ainsi, Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B (N° Lexbase : A0480D7W) et nos obs., Chaud et froid sur la protection du principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3474BEE) : "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence".

Décisions

1° Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-11.884, Caisse nationale du régime social des indépendants (CNRSI), venant aux droits de la Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes (CANAM), FS-P+B (N° Lexbase : A9448ECW)

Rejet CA Paris, 18ème ch., sect. C, 11 janvier 2007

Textes concernés : principe "à travail égal, salaire égal"

Mots clef : différence de traitement ; justification ; contraintes budgétaires

Lien base :

2° Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-42.024, M. Pascal Aubeut, FS-P+B (N° Lexbase : A9556ECW)

Rejet CA Versailles, 15ème ch., 18 janvier 2007

Mots clef : principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; formation ; nature des fonctions exercées ; ancienneté ; parcours professionnel

Lien base :

3° Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-41.406, Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP)

Rejet CA Paris, 21ème ch., sect. C, 18 janvier 2007

Mots clef : transfert d'entreprise ; principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; date d'embauche

Lien base :

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