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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Les rédacteurs du Code civil n'auraient, sans doute, pas nié la nécessité de rendre plus lisible le droit des contrats, 200 ans après la promulgation du troisième Livre du Code de 1804. Leur entreprise ne fut pas autre que de réaliser la symbiose entre le droit écrit et le droit coutumier aux fins de sécurité juridique et de stabilité sociale du peuple français. Certes, il n'est pas question, aujourd'hui, que les Français s'insurgent à la lecture du projet de réforme du droit des contrats, mais l'incorporation des solutions éprouvées de la jurisprudence et l'insertion de définitions des concepts régissant la matière permettent la sécurité juridique par le biais d'une meilleure lisibilité et intelligibilité de notre droit des obligations. Rien n'empêche, par la suite, la Doctrine d'améliorer les définitions législatives et le juge de revoir sa position à l'épreuve du temps et de la pratique contractuelle.
En revanche, si la "liberté contractuelle", héritage des Lumières que les rédacteurs, en leur temps, avaient dû traduire dans le nouveau lien social issu de la Révolution, demeure l'un des piliers de cette réforme, ainsi que "l'ordre public" cher à Napoléon lui-même, il est permis de s'interroger sur les concepts de "bonne foi" et de "cohérence" érigés comme nouveaux principes directeurs du droit des contrats, tant la force obligatoire du contrat demeure la clé de voute de l'architecture même du droit des obligations, sans lequel l'existence précéderait l'essence...
Convenons, encore, que la conversation entre nos éminents membres de la commission "Catala" et l'aréopage des fondateurs de la "Constitution civile des Français", comme se plaisait à dénommer le Code de 1804, le Doyen Carbonnier, aurait pu être houleuse, à l'énoncé d'un abandon programmé de la théorie de la cause du contrat au profit d'un concept dit plus éclairant : l'intérêt du contrat. Là encore, il ne s'agit pas tant de simplifier le droit des obligations en supprimant la cause comme élément de formation et de validité du contrat que d'aligner le droit des contrats français sur le droit germanique qui lui préfère le "fondement contractuel du contrat" (geschäftsgrundlage), ou encore, le "trouble du but contractuel" (zweckstörungen). Les notions, à y regarder de près, ne sont pas si éloignées que cela. Et les causalistes de rappeler que la théorie de la cause prévaut largement dans le monde, la common law l'évoquant même sous le concept de consideration. Par conséquent, le compromis obligeait sans doute à abandonner le vocable, mais pas sa fonction... "Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne / La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne" (dans Le Menteur de Corneille).
Enfin, avec la théorie de l'imprévision, c'est la force obligatoire du contrat, elle-même, qui s'avère menacée. Même si Hugo Grotius, fondateur du droit international, nous enseigne que "la loi nous oblige à faire ce qui est dit et non ce qui est juste", le droit civil ne méconnaît pas, aujourd'hui, cette faculté de revenir sur l'étendu des obligations au contrat. La lésion permet, déjà, d'évacuer un certain nombre de problèmes liés au déséquilibre manifeste du contrat ; les procédures collectives et de surendettement permettent, également, de prendre en considération les imprévisions économiques afin de réviser les obligations du débiteur, réglant par là même la majeure partie des problèmes pouvant survenir dans la vie du contrat. Alors, quid de l'introduction formelle de l'imprévision, permettant au juge d'obliger les parties à renégocier le contrat, voire lui permettant de l'enterrer ? Là, encore, faut-il y voir la marque de l'alignement du droit des contrats français sur le droit germanique et la common law, pour lesquels la révision du contrat est toujours possible au regard de la liberté contractuelle.
Et, au-delà des querelles relatives à ces questions fondamentales et à d'autres (celle de l'offre irrévocable, de l'acceptation-réception, de la non-rétroactivité de la condition suspensive, etc.), c'est bien celle de l'attractivité du droit des contrats français qui se pose cruellement devant nous. Au même titre que la philosophie des Lumières et son bras séculier, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, avaient une vocation universelle, le Code de 1804 est communément appelé "Code Napoléon", non pas parce que le Premier Consul a assisté à quelques séances de rédaction, mais plus fondamentalement parce que son universalisme, imposé par les conquêtes impériales, fut avéré par l'enracinement séculaire des principes dégagés pas nos cinq pères-rédacteurs à travers tous les continents. Et quoi de plus étrange, en effet, que de rechercher l'attractivité dans l'alignement juridique sur le système le moins communément choisi, le système germanique, ou sur celui le moins élaboré, fondé sur la pratique, la common law, lorsque la vocation universelle du droit civil français n'a jamais été, profondément, remise en cause ?
"Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir ? Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même ?" s'interrogeait Montesquieu, hostile, en son temps, à l'uniformisation du droit.
En trois ans, Locré aura recensé près d'une centaine de séances en Conseil d'Etat pour aboutir au texte du Code civil finalement promulgué le 30 ventôse de l'an XII, après trois tentatives avortées entre 1793 et 1797. Gageons que la Chancellerie ne connaîtra pas les mêmes affres aux fins de réformer le coeur même de notre droit civil. L'obligation est là, le compromis doit être bon.
Anne-Laure Blouet-Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse, a souhaité recueillir le sentiment et l'analyse sur ce projet de réforme de Xavier Henry, Professeur et Directeur du Centre de recherche en droit privé de l'Université de Nancy.
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