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par Axel Valard
Le 08 Septembre 2025
Avant l’heure, c’est pas l’heure. Après l’heure, c’est plus l’heure… La célèbre maxime pourrait parfaitement s’appliquer au Rassemblement national et surtout à la cour d’appel de Paris. En dépit des récriminations des avocats de la défense, la juridiction a fixé au 13 janvier 2026 le début du procès en appel dans l’affaire dite « des assistants des eurodéputés du Front national ». Au cours d’une audience de fixation axée sur les détails organisationnels lundi 8 septembre, la cour a estimé qu’il lui faudrait cinq semaines de procès jusqu’au 12 février 2026 pour y voir clair dans ce dossier. À raison d’audiences qui se tiendront les lundis après-midi, ainsi que les mardis et mercredis toute la journée.
Les avocats de Marine Le Pen et de ses coprévenus ont pourtant bien bataillé pour éviter cela. Sans succès. On s’en souvient : sitôt le jugement de première instance connu le 31 mars dernier, la cheffe de file des députés RN avait demandé à la justice d’accélérer le pas pour que le procès en appel se tienne rapidement, afin de maintenir ses chances de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2027, malgré la menace d’une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. Il fallait que les choses aillent vite !
Mais pas trop vite non plus… Lundi, ce sont ses avocats qui ont demandé que ce procès en appel ne vienne pas caramboler la période de campagne politique pour les élections municipales qui doivent se tenir les 15 et 22 mars 2026. « Nous avons 5 000 candidats qui sont, pour la plupart déjà investis, a plaidé David Dassa Le Deist, devant la cour d’appel. Comment ne pas imaginer que l’affaire plaidée ici (dans le prétoire) sera instrumentalisée là-bas (dans les villes et villages) ! Tout cela créera une forte pression sur la cour. Tout cela n’est pas propice à la sérénité des débats. C’est délétère pour la qualité des débats démocratiques… Nous demandons à ce que le procès ne démarre pas avant le 23 mars. »
Michèle Agi, la présidente de la cour, a bien fait mine de l’écouter. Tout comme les autres avocats du dossier et, évidemment, les représentants du parquet général. Mais au bout d’une petite heure, elle n’a même pas pris la peine de se retirer pour délibérer avec ses deux assesseures et elle a confirmé que le procès se tiendrait bien du 13 janvier au 12 février. « Cela n’a vraiment servi à rien qu’on plaide… », soufflait une robe noire de la défense à la sortie de l’audience.
« Si elle est innocente, le plus tôt sera le mieux », ironise l’avocat du Parlement européen.
Il faut toutefois reconnaître qu’il est difficile pour la justice de prévoir des audiences de ce type sans venir empiéter sur un quelconque agenda politique, tant la situation du pays est instable en ce moment. C’est, peu ou prou, ce que Stéphane Madoz-Blanchet, l’un des deux avocats généraux, avait résumé avant les avocats de la défense.
Pour bien faire, il faut que ce procès débouche sur une décision avant l’été 2026, comme la juridiction s’y est engagée dans un communiqué ; il faut prévoir un délai de délibéré d’environ quatre mois sur le modèle de celui auquel a eu droit le tribunal judiciaire de Paris en première instance et tabler sur vingt-six demi-journées d’audience. Tout cela en se tenant éloigné de tout scrutin. Sans oublier de penser aussi aux autres dossiers qui encombrent la cour d’appel. Autant essayer de faire rentrer des ronds dans des carrés ou de trouver une majorité solide à l’Assemblée nationale…
Tranquille dans son coin, Patrick Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen dans cette affaire, n’a pas manqué de sortir un trait d’esprit qu’il avait naturellement préparé lorsqu’il a eu la parole à ce sujet. « J’ai cru comprendre que les conseils de Madame Le Pen allaient (encore) plaider la relaxe. Si elle est innocente, le plus tôt sera le mieux finalement, a-t-il ironisé. Pour moi, peu importe la date ! »
Pas de changement de stratégie en vue du côté du Rassemblement national.
Car l’avocat qui a passé neuf semaines sur cette affaire en première instance connaît le dossier sur le bout des doigts. Et il sait bien que les charges qui pèsent sur la cheffe de file des députés RN sont très lourdes. Selon l’accusation, elle est considérée comme étant au « cœur » du système qui a permis à son parti de détourner plus de quatre millions et demi d’euros du Parlement européen afin de rémunérer des assistants qui travaillaient, en réalité, pour son parti.
Combative en première instance et très impliquée, Marine Le Pen n’avait pas empêché un jugement sévère à l’encontre de tous les prévenus, au premier rang desquels elle figure évidemment. En dépit de la façon dont les choses se sont déroulées une première fois, on aurait pu imaginer qu’elle change de stratégie en appel. A priori, pas. Ses avocats ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas faire citer de témoins et qu’ils ne prévoyaient pas, non plus, de déposer des questions prioritaires de constitutionnalité à l’ouverture des débats.
Reste donc le volumineux dossier qui ne concerne désormais plus que douze prévenus, les douze autres ayant renoncé à former un appel, reconnaissant ainsi, en creux, la matérialité des faits reprochés. Un dossier qui sera donc rouvert le 13 janvier prochain à 13h30 sur l’île de la Cité et dont on ne devrait pas manquer de parler. Au moins jusqu’en 2027.
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Réf. : CE référé, 4 juillet 2025, n° 505445 N° Lexbase : B8088ARY
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N2789B3P
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Le 04 Septembre 2025
Mots clés : drapeau palestinien • ordre public • libertés publiques • pouvoirs du maire • opinions politiques
Le 4 juillet 2025, le Conseil d’État a confirmé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Dijon ayant suspendu un arrêté municipal ayant interdit, pour une durée de deux mois et sur l'ensemble du territoire de la commune, l'utilisation ostentatoire du drapeau palestinien dans l'espace public, l'affichage de ce drapeau en façade des immeubles et de manière visible de l'espace public et sa vente sur les marchés ambulants. Il a estimé, contrairement à l’argumentation de la commune, que l’utilisation de ce drapeau ne pouvait être considérée comme un signe de ralliement en vue de défier les forces de l'ordre et inciter à la violence. Lexbase a interrogé sur cette décision Marion Ogier, Andotte Avocats*.
Lexbase : Quel est l'encadrement juridique du pavoisement des façades des mairies ?
Marion Ogier : L’article 2 de la Constitution N° Lexbase : L0828AH7 prévoit que l’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc rouge, mais pour sa part, le pavoisement des façades des mairies ne fait l’objet d’aucune réglementation par la loi ou le règlement.
La jurisprudence administrative a néanmoins dégagé un principe : le pavoisement des façades des mairies doit respecter le principe de neutralité qui, on le sait, est le corollaire du principe constitutionnel d’égalité.
Le pavoisement est rendu possible à condition toutefois que ne soient pas apposés sur les édifices publics des signes (qu’il s’agisse de banderoles ou de drapeaux) symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques.
Lexbase : Comment le juge administratif s'est-il positionné jusqu'ici ?
Marion Ogier : Saisi d’un tel litige, le juge administratif recherche si le signe ou le symbole apposé sur l’édifice public a pour objet de manifester l’expression d’une prise de positionnement politique, religieux ou philosophique.
Le Conseil d’État a ainsi estimé que méconnaissait le principe de neutralité le drapeau rouge, vert, noir martiniquais, parce que celui-ci était le symbole de la revendication d’une opinion politique exprimée par certains mouvements indépendantistes en Martinique [1].
Il en va de même de l’apposition du drapeau palestinien ou israélien et qui est systématiquement regardé comme la revendication d’une opinion politique, en raison notamment de ce qu’il suppose une prise de position de nature politique au sujet d’un conflit en cours [2].
Cette jurisprudence ne s’arrête pas aux drapeaux mais concerne également les signes revendicatifs, qu’il s’agisse de banderoles revendicatives contre la réforme des retraites [3], demandant la libération des prisonniers politiques palestiniens [4] ou une fresque sur l’accueil des étrangers [5].
Inversement, les signes qui traduisent exclusivement un marqueur de l’identité culturelle ne seront pas regardés comme caractérisant la méconnaissance du principe de neutralité. On pense par exemple ici à la croix occitane ou au drapeau breton.
En outre, le juge administratif a pu distinguer le signe manifestant une forme de solidarité envers une nation victime d’une agression militaire de la prise de position dans un conflit. C’est par exemple le cas du drapeau ukrainien pour lequel le tribunal administratif de Versailles a considéré que le pavoisement s’inscrivait dans le contexte national de soutien diplomatique humanitaire et matériel offert par la France à l’Ukraine et qu’en conséquence il ne caractérisait pas de revendication politique [6].
Le principe de neutralité doit être ainsi regardé comme faisant obstacle à ce que les communes s’ingèrent dans les affaires qui relèvent de la politique nationale et internationale de la France.
La problématique est donc celle de la qualification juridique des diverses formes d’engagement ou de revendication.
Lexbase : Les élus peuvent-ils être soumis à une sorte de pression de leurs administrés ?
Marion Ogier : C’est le rôle des élus de ne pas céder face aux pressions de leurs administrés. Les personnels des services publics ne doivent pas faire état de leurs préférences politiques ou religieuses et cette interdiction s’étend au fonctionnement du service public comme aux bâtiments qui abritent les services publics.
En dépit des demandes des administrés – lesquelles peuvent être parfaitement légitimes – le rôle des institutions de la République et de leurs élus est de ne pas donner l’impression que l’activité du service public s’exerce en tenant compte de convictions politiques ou religieuses et que les administrés qui partagent ces idées seront privilégiés.
Par conséquent, les élus ne peuvent pas faire droit aux demandes qui impliqueraient de prendre parti dans un conflit par le pavoisement des façades et doivent s’assurer que celui-ci respecte le principe de neutralité.
Lexbase : De quelle manière peut-on concilier neutralité et soutien à une cause humanitaire ?
Marion Ogier : Le principe de neutralité ne fait pas systématiquement obstacle à un pavoisement en soutien à une cause humanitaire.
Ce soutien sera admis à une double condition : d’une part, s’il ne traduit pas une prise de position politique dans un conflit et, d’autre part, s’il s’inscrit en conformité avec la politique internationale de la France qu’il appartient uniquement à l’État français de conduire.
En d’autres termes, le soutien humanitaire semble possible à condition toutefois qu’il ne traduise pas une revendication politique ou un soutien qui ne serait pas en stricte conformité avec la politique diplomatique et humanitaire menée à l’échelle nationale.
[1] CE, 27 juillet 2005, n° 259806, publié au Lebon N° Lexbase : A1320DK4.
[2] CE, 21 juillet 2025, n° 506299 N° Lexbase : B0785AZ4 ; TA Besançon, 26 juin 2025, n° 2501261 N° Lexbase : B7699ANH ; TA Nice, 25 juin 2025, n° 2503174 N° Lexbase : B1887BMT ; TA Melun, 21 juin 2025, n° 2508546 N° Lexbase : B0901AMC ; TA Cergy-Pontoise, 20 juin 2025, n° 2510707 N° Lexbase : B7223AL4 ; v. également : TA Lyon, 6 juillet 2011.
[3] TA Nantes, 13 avril 2023, n° 2304196 N° Lexbase : A81829PQ ; TA Grenoble, 29 mars 2025, n° 2301656 N° Lexbase : A29169MX ; TA Paris, 3 mai 2023, n° 2308852 N° Lexbase : A73719SS.
[4] TA Montreuil, 9 mars 2018, n° 1801538 N° Lexbase : A2300XHN.
[5] CAA Bordeaux, 26 octobre 2010, n° 10BX00170 N° Lexbase : B1886BMS.
[6] TA Versailles, 20 décembre 2024, n° 2208477 N° Lexbase : A59306PC.
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Réf. : Cass. civ. 1, 12 juin 2025, n° 22-23.646, FS-B+R N° Lexbase : B5228AIH
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N2831B3A
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par Blandine Mallevaey, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Titulaire de la Chaire Enfance et familles du Centre de recherche sur les relations entre les risques et le droit, Faculté de Droit de l’Université catholique de Lille
Le 08 Septembre 2025
Mots-clés : assistance éducative • audition de l’enfant mineur • cour d’appel • entretien individuel • discernement
En matière d’assistance éducative, lorsque le mineur n’a pas été entendu par le juge des enfants en première instance, la cour d’appel est tenue de procéder à son audition, sauf à constater que l’intéressé n’est pas capable de discernement ; cette audition prend la forme d’un entretien individuel avec l’enfant. Si le mineur a déjà été auditionné en première instance, la cour d’appel a la possibilité de l’entendre de nouveau si elle l’estime nécessaire et est tenue de le faire s’il en a fait la demande, après avoir été informé de son droit.
La Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989, a reconnu au bénéfice de l’enfant capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, ce qui implique notamment qu’il puisse être entendu dans toutes les procédures judiciaires le concernant [1]. Si l’affirmation au plan international de ce principe a nécessité une réforme du droit interne de sorte qu’il aménage un régime général d’audition du mineur dans toutes les procédures judiciaires civiles [2], le droit français n’avait pas attendu 1989 pour envisager l’expression de l’enfant dans le cadre spécifique de la procédure d’assistance éducative. Il imposait en effet au juge des enfants, dans la phase d’instruction de cette procédure, d’entendre le mineur, à moins que l’âge ou l’état de celui-ci ne le permette pas [3]. La Cour de cassation avait alors affirmé que l’audition du mineur par le juge des enfants saisi d’une procédure d’assistance éducative, pendant l’instruction de l’affaire, est une règle d’ordre public [4]. Aux fins d’harmoniser les conditions de l’expression en justice du mineur et dans le respect des dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant, son audition a ensuite été subordonnée à sa seule capacité de discernement [5]. Depuis lors, l’article 1182 alinéa 2 du Code de procédure civile dispose que le juge des enfants « entend […] le mineur capable de discernement ». La formulation employée par ce texte, qui se distingue de celle adoptée dans le cadre du régime général d’audition de l’enfant en justice [6], confirme que l’audition du mineur doué de discernement est une obligation imposée au juge des enfants [7] lors de l’instruction du dossier d’assistance éducative [8]. Ce caractère obligatoire a été renforcé par la loi dite « Taquet » du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance [9], qui a ajouté à l’article 375-1 du Code civil N° Lexbase : L2220MBT un alinéa 3 en vertu duquel le juge des enfants « doit systématiquement effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition ». Ce texte nouveau a eu le double mérite de faire de l’audition du mineur par le juge des enfants une obligation légale et non plus seulement une exigence réglementaire, mais aussi de proscrire à l’avenir l’audition de l’enfant en présence de ses parents, ce qui ne garantissait pas sa pleine liberté de parole [10]. Les obligations incombant au juge des enfants saisi en assistance éducative ayant été clairement posées par les textes et précisées par la jurisprudence, il restait à déterminer quelles sont les obligations à la charge des juridictions du second degré lorsqu’un appel est interjeté contre une décision du juge des enfants. Après plusieurs décisions qui avaient répondu à certaines questions tout en faisant naître d’autres incertitudes, l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin 2025 vient clarifier les règles applicables à l’audition des enfants dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, en particulier devant les cours d’appel.
En l’espèce, la Haute juridiction était saisie par une mère qui reprochait à la cour d’appel d’Orléans d’avoir statué sur le placement de sa fille à l’aide sociale à l’enfance et sur ses relations personnelles avec l’enfant sans avoir ni procédé à l’audition de celle-ci, ni constaté son absence de discernement. Son pourvoi en cassation est favorablement accueilli par la première chambre civile dans l’arrêt rendu le 12 juin 2025 au visa des alinéas 1 à 3 de l’article 375-1 du Code civil et des articles 1189 alinéa 1er N° Lexbase : L8889IW7 et 1193 alinéa 1er N° Lexbase : L1940H4M du Code de procédure civile. En premier lieu, la Cour de cassation rappelle que, aux termes de l’article 375-1 du Code civil, le juge des enfants, qui est compétent, à charge d’appel, pour ce qui concerne l’assistance éducative, doit, d’une part, s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure d’assistance éducative envisagée et se prononcer en stricte considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et doit, d’autre part, effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition. Elle considère qu’il résulte de ces dispositions que, dans la procédure d’assistance éducative, à laquelle le mineur est partie, le juge des enfants a l’obligation, tant pour les nécessités de l’instruction que pour la recherche de l’adhésion de l’enfant à la mesure envisagée, de procéder à son audition, s’il est capable de discernement, sous la forme d’un entretien individuel. En deuxième lieu, la Cour de cassation rappelle que, en vertu de l’article 1189 alinéa 1er du Code de procédure civile, le juge des enfants est tenu d’entendre le mineur à l’audience mais peut le dispenser de se présenter ou ordonner qu’il se retire pendant tout ou partie de la suite des débats. Elle affirme que, si ce texte permet au juge des enfants de dispenser l’enfant de se présenter à l’audience, il n’en demeure pas moins tenu d’effectuer un entretien individuel avec cet enfant dès lors qu’il est capable de discernement. En troisième lieu, la Cour de cassation rappelle que, selon l’article 1193 alinéa 1er du Code de procédure civile, l’appel est instruit et jugé par priorité en chambre du conseil par la chambre de la cour d’appel chargée des affaires des mineurs suivant la procédure applicable devant le juge des enfants. Elle en déduit que, si la cour d’appel, juridiction de jugement, n’est pas tenue de procéder à une nouvelle instruction de l’affaire, elle doit cependant effectuer les actes auxquels le juge des enfants n’a pas procédé. De l’ensemble de ces dispositions, la Haute juridiction conclut que « la cour d’appel, qui a toujours la faculté d’entendre l’enfant si elle l’estime nécessaire et qui, en application de l’article 388-1 du Code civil, en a l’obligation si celui-ci, capable de discernement et dûment informé de son droit d’être entendu, en a fait la demande, est tenue de s’entretenir individuellement avec le mineur dont elle n’a pas constaté l’absence de discernement, si celui-ci n’a pas été précédemment entendu sous la même forme, relativement à la mesure envisagée, par le juge des enfants ». Dès lors que, en l’espèce, la cour d’appel d’Orléans avait statué sur le placement de la fillette et sur le droit de visite maternel sans entendre individuellement l’intéressée ni constaté son absence de discernement et alors qu’il ne résultait ni de l’arrêt, ni des pièces de la procédure, qu’elle avait été auditionnée par le juge des enfants, la première chambre civile estime que la juridiction orléanaise a violé les textes visés et prononce en conséquence la cassation de sa décision.
Bien que l’arrêt commenté éclaire opportunément le droit applicable en matière d’audition et de participation de l’enfant aux procédures d’assistance éducative, la cassation prononcée par la Haute juridiction dans le cas d’espèce est sans effet pratique. En effet, l’arrêt du 12 juin 2025 a été rendu près de trois ans après qu’a été rendue la décision attaquée par le pourvoi, si bien que les mesures d’assistance éducative initialement prononcées avaient épuisé leurs effets (la cassation est donc prononcée sans renvoi). De surcroît, en l’espèce, la fillette était âgée, au moment où la cour d’appel d’Orléans a statué sur son placement et sur le droit de visite de sa mère, de trois ans. Logiquement, elle n’apparaissait pas capable du discernement requis pour être auditionnée en justice. Cependant, l’arrêt rendu par la première chambre civile le 12 juin dernier rappelle que cette absence de discernement ne peut être simplement présumée mais doit être expressément constatée. En outre, la Haute juridiction apporte précisions et clarifications sur les obligations à la charge des cours d’appel en matière d’audition des enfants dans le cadre des procédures d’assistance éducative. Ces éclaircissements, qui sont le fruit de réflexions et de consultations organisées par la Cour de cassation avec différents praticiens [11] et ont vocation à être largement pris en considération et mis en œuvre (ce qui justifie la publication de l’arrêt du 12 juin 2025 au Bulletin et au rapport de la Haute juridiction), méritent toute l’attention de la doctrine et des professionnels. S’ils fixent les exigences que doivent remplir les cours d’appel saisies en assistance éducative lorsque le mineur concerné n’a pas été entendu par le juge des enfants (I), ils permettent également de déterminer les règles qu’elles doivent respecter lorsque l’intéressé a déjà été auditionné en première instance (II).
I. Les obligations de la cour d’appel en l’absence d’audition du mineur en première instance
Quoique l’audition du mineur soit de principe dans le cadre de la procédure d’assistance éducative devant le juge des enfants, il se peut que ce dernier n’ait pas procédé à cette audition. Il peut par exemple arriver que, bien que régulièrement convoqué en vue de son audition, l’enfant ne se soit pas présenté aux fins d’être entendu [12]. Il est possible également que l’enfant n’ait pas été considéré comme disposant du discernement requis en première instance mais qu’il ait acquis un discernement suffisant pour s’exprimer en justice au moment d’une éventuelle procédure en appel. En de telles circonstances, la juridiction du second degré saisie de l’appel interjeté contre la décision du juge des enfants est-elle tenue de procéder à l’audition du mineur ? La lecture des articles du Code de procédure civile relatifs à l’assistance éducative semblait apporter une réponse affirmative à cette question : aux termes de son article 1193 alinéa 1er, l’appel est instruit et jugé selon la procédure applicable devant le juge des enfants, ce dont il paraissait résulter que les dispositions imposant au juge des enfants d’ordonner l’audition du mineur devaient être mises en œuvre par les seconds juges, à tout le moins en l’absence d’audition réalisée en première instance [13]. Cette intuition était confirmée par une lecture a contrario de deux arrêts rendus par la Cour de cassation en 1987. En effet, en se fondant sur les dispositions de l’article 1193 du Code de procédure civile, la première chambre civile avait considéré que la juridiction d’appel, qui n’est pas tenue de procéder à une nouvelle instruction de l’affaire, n’est dès lors pas dans l’obligation de réaliser une nouvelle audition de l’enfant s’il a déjà entendu en première instance par le juge de l’assistance éducative. Ainsi avait-elle écarté l’argumentation de demandeurs aux pourvois qui reprochaient aux juridictions d’appel d’avoir statué en assistance éducative sans mentionner que les mineurs concernés avaient été entendus au cours des procédures d’appel [14]. Il pouvait être déduit de ces décisions que, si les juridictions d’appel n’étaient pas tenues de procéder à l’audition des mineurs déjà entendus par le juge des enfants, à l’inverse, lorsqu’un mineur n’avait pas été auditionné en première instance, la cour d’appel se trouvait dans l’obligation de procéder à son audition. La Haute juridiction a confirmé cette interprétation dans plusieurs décisions : après avoir indiqué que la cour d’appel, bien que non tenue de réaliser une nouvelle instruction de l’affaire, doit cependant faire les actes auxquels le juge des enfants n’a pas procédé, la première chambre civile a cassé les arrêts de cours d’appel qui avaient statué en assistance éducative sans que les mineurs aient été entendus par les juges du fond [15]. Plusieurs années après que l’audition de l’enfant en assistance éducative a été conditionnée à sa capacité de discernement, la Cour de cassation a confirmé sa solution tout en donnant aux juridictions du second degré deux options : soit elles auditionnent l’enfant capable de discernement qui n’a pas été entendu en première instance, soit elles constatent expressément son défaut de discernement. En effet, dans un arrêt rendu le 2 décembre 2020, la première chambre civile a affirmé que la cour d’appel ne peut se dispenser d’entendre le mineur, dont elle n’a pas constaté l’absence de discernement, que si celui-ci a été précédemment entendu par le juge des enfants. Par conséquent, elle a cassé l’arrêt rendu en assistance éducative par une cour d’appel qui n’avait pas entendu l’enfant et n’avait pas davantage constaté son absence de discernement [16].
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin dernier s’inscrit donc dans la continuité de cette jurisprudence. En effet, au visa notamment de l’article 1193 alinéa 1er du Code de procédure civile, qui impose à la juridiction du second degré statuant en assistance éducative de suivre la même procédure que celle applicable devant le juge des enfants, la Haute cour affirme que « si la cour d’appel, juridiction de jugement, n’est pas tenue de procéder à une nouvelle instruction de l’affaire, elle doit cependant effectuer les actes auxquels le premier juge n’a pas procédé », ce qui doit s’entendre notamment de l’audition du mineur. En l’espèce, la cour d’appel n’avait pas procédé à l’audition de la fillette, ce qu’elle justifiait sans doute par le jeune âge de cette dernière (trois ans), mais elle n’avait pas non plus motivé ce défaut d’audition en constatant son absence de discernement. La censure de sa décision par la Haute juridiction était donc parfaitement prévisible au vu de sa jurisprudence antérieure. Cela étant, dans cet arrêt rendu le 12 juin 2025, la Cour de cassation ne se contente pas de réitérer sa jurisprudence passée : elle apporte également des précisions utiles quant aux finalités et quant aux modalités de l’audition du mineur.
D’une part, il résulte de la motivation développée par la Haute juridiction que l’obligation d’entendre le mineur capable de discernement, dont elle rappelle qu’il a la qualité de partie à la procédure d’assistance éducative, nourrit une double ambition : l’audition de l’enfant s’impose, selon la première chambre civile, « tant pour les nécessités de l’instruction que pour la recherche de son adhésion à la mesure envisagée ». Ainsi, l’écoute et la prise en considération de la parole de l’enfant participent à ce que le juge de l’assistance éducative acquière une connaissance précise de sa situation et de ses difficultés et soit dès lors en capacité de prendre la meilleure décision afin d’assurer la protection de l’enfant et de son intérêt supérieur. En outre, l’échange entre l’enfant et le magistrat vise à permettre à celui-ci de recueillir l’adhésion du mineur à la mesure d’assistance éducative projetée, ce qui accroîtra ses chances de succès. L’audition du mineur, en plus de contribuer au respect du droit substantiel de l’enfant de prendre part aux décisions qui le concernent et de son droit à ce que ses opinions soient dûment prises en considération [17], est donc aussi une règle procédurale au service des obligations que l’article 375-1 alinéa 2 impose au juge de l’assistance éducative et au visa duquel la Cour de cassation a statué dans la présente décision : selon ce texte, le juge des enfants doit s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille – ce compris du mineur – à la mesure envisagée et se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant. Posés dans le cadre des procédures d’assistance éducative devant les juges des enfants, ces objectifs s’appliquent naturellement de façon tout à fait identique aux auditions de mineurs par les cours d’appel, comme le confirme cet arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juin.
D’autre part, les modalités de l’audition de l’enfant en assistance éducative ont été précisées au sein du Code civil par la loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance : celle-ci a indiqué à l’alinéa 3 de l’article 375-1 que le juge des enfants doit systématiquement effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement. La Haute juridiction, qui dans l’arrêt commenté statue pour la première fois sur ces dispositions nouvelles, estime qu’elles sont pareillement applicables devant la cour d’appel : sous le visa de cet article et de l’article 1193 alinéa 1er du Code de procédure civile, la première chambre civile indique logiquement qu’en l’absence d’audition de l’enfant réalisée en première instance, la cour d’appel « est tenue de s’entretenir individuellement avec le mineur ». La Cour de cassation va même plus loin puisqu’elle considère que cette obligation s’applique « si [le mineur] n’a pas été entendu sous la même forme, relativement à la mesure envisagée, par le juge des enfants ». Il est loisible d’en déduire que si le juge des enfants a recueilli la parole de l’enfant en première instance sans respecter l’obligation que lui a fait la loi du 7 février 2022 de s’entretenir individuellement avec l’enfant, alors la cour d’appel est tenue de procéder à une nouvelle audition qui, elle, respectera les formes prescrites par l’article 375-1 alinéa 3 du Code civil, c’est-à-dire que l’enfant sera entendu hors la présence des autres parties à la procédure. Également, si l’audition organisée en première instance ne concernait pas la mesure d’assistance éducative envisagée à hauteur de cour, alors la juridiction d’appel est dans l’obligation d’entendre de nouveau l’enfant, cette fois au sujet de la mesure qu’elle envisage de prononcer.
L’arrêt rendu le 12 juin dernier témoigne ainsi de l’attachement de la Haute juridiction à une expression de l’enfant libérée de toutes pressions ou influences parentales, qui permettra aux magistrats de prendre la décision la plus adéquate au regard de ce qu’exige son intérêt. Cet attachement se manifeste derechef dans la précision que la première chambre civile apporte propicement dans cet arrêt, au visa de l’article 1189 alinéa 1er du Code de procédure civile, selon laquelle, si le juge de l’assistance éducative « peut dispenser le mineur de se présenter à l’audience, il doit néanmoins effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement ». Ainsi la Cour de cassation met-elle en exergue la nécessité pour les juridictions du fond de mieux distinguer l’audition du mineur au stade de l’instruction de la procédure d’assistance éducative, qui s’impose au juge dès lors que l’intéressé est capable de discernement, du temps de l’audience, à laquelle le magistrat peut décider que l’enfant ne participera pas si son intérêt le justifie [18].
Si l’arrêt commenté confirme l’obligation pour la cour d’appel saisie en assistance éducative de procéder à l’audition du mineur dont la parole n’a pas déjà été recueillie par le juge des enfants, sauf à constater que l’intéressé n’est pas capable du discernement requis, il laisse intacte la question ô combien complexe de l’évaluation de ce discernement. Dans le cadre du régime général d’audition du mineur capable de discernement dans le procès civil [19], applicable notamment aux procédures devant le juge aux affaires familiales, la Cour de cassation exige des juridictions du fond, lorsqu’elles refusent d’auditionner un mineur en ayant fait la demande en raison de son défaut de discernement, qu’elles expliquent en quoi l’intéressé ne dispose pas du discernement requis [20], ce qu’elles ne peuvent faire en se référant uniquement à son âge [21]. Puisqu’elle considère qu’en assistance éducative, seul le constat de son défaut de discernement est de nature à justifier qu’il ne soit pas procédé à l’audition du mineur, il était loisible d’imaginer que la Haute juridiction se montrerait tout aussi exigeante s’agissant de la motivation des juridictions du fond qui n’auraient pas auditionné un enfant dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative en raison de son absence de discernement. Pourtant, un autre rendu par la première chambre civile le 12 juin 2025 fait naître un doute quant à la réalité d’une telle exigence de motivation. En l’espèce, la mère d’une fratrie de cinq enfants avait formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt qui avait ordonné leur placement à l’aide sociale à l’enfance, en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir entendu ses enfants. Or il apparaissait que les quatre aînés avaient été entendus par le juge des enfants. Fidèle à sa jurisprudence passée, la première chambre civile estime que la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à une nouvelle audition des enfants déjà entendus en première instance. En revanche, la cadette de la fratrie n’avait été auditionnée ni par le juge des enfants, ni par la cour d’appel, cette dernière ayant « fait ressortir [qu’elle] n’était pas capable de discernement », sans autre précision quant à cette absence de discernement. Pourtant, la Haute cour rejette le pourvoi qui lui était soumis [22]. Mise en parallèle avec l’arrêt commenté, qui plus est rendu à la même date, la solution adoptée par la première chambre civile dans cette autre décision a, en première analyse, de quoi surprendre [23]. Plus encore, elle met en lumière la difficulté pour les magistrats d’apprécier le discernement d’un enfant qu’ils n’ont, par définition, pas encore rencontré. Cette difficulté, qui suscite des pratiques disparates quant à l’évaluation du discernement des enfants aussi bien en assistance éducative [24] qu’aux affaires familiales [25] , devrait peut-être conduire le législateur à réfléchir à la nécessité de compléter ce critère du discernement par un seuil d’âge, ce qui faciliterait la tâche des juridictions et favoriserait l’expression en justice des enfants de manière plus harmonieuse [26].
Bien que le second arrêt rendu par la première chambre civile le 12 juin 2025 puisse laisser perplexe, une autre décision rendue par la même chambre quelques jours plus tard, le 2 juillet 2025, rassure quant à l’attention que la Cour de cassation porte à l’audition obligatoire de l’enfant en assistance éducative. En effet, reprenant son raisonnement développé notamment dans le premier arrêt du 12 juin (arrêt commenté), la Haute juridiction a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait confié un mineur à l’aide sociale à l’enfance sans l’avoir entendu, alors qu’il n’avait pas été préalablement auditionné par le juge des enfants, et sans avoir fait état de son absence de discernement [27]. Cette décision confirme que toute juridiction du second degré statuant en assistance éducative est dans l’obligation d’entendre individuellement le mineur lorsque ce dernier n’a pas été entendu en première instance, sauf à constater son absence de discernement. Qu’en est-il lorsque l’intéressé a déjà été auditionné par le juge des enfants ?
II. Les obligations de la cour d’appel en présence d’une audition du mineur en première instance
Lorsqu’un enfant a été entendu en première instance par le juge des enfants, la juridiction du second degré doit-elle de nouveau procéder à son audition dans le cadre de la procédure en appel ? La réponse apportée à cette question par la Cour de cassation a sensiblement évolué. Jusqu’à récemment, cette réponse n’était ni claire ni satisfaisante. Depuis plusieurs décisions, dont le présent arrêt du 12 juin 2025, la réponse est plus claire mais elle n’est pas totalement satisfaisante.
Dans un premier temps, la Cour de cassation avait considéré, notamment dans les deux arrêts de 1987 précédemment mentionnés, que, si en application de l’article 1193 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, l’appel d’une décision statuant en matière d’assistance éducative est instruit et jugé par la juridiction du second degré suivant la procédure applicable devant le juge des enfants, il ne résulte pas pour autant de ce texte que la cour d’appel soit tenue de procéder à l’audition du mineur s’il a déjà été entendu par le juge des enfants en première instance. Elle avait par la suite confirmé sa position en affirmant que, si le mineur avait été entendu par le juge des enfants, alors la cour d’appel n’était pas tenue ne l’entendre ni même de le convoquer [28]. Ainsi considérait-elle que, en assistance éducative, l’audition du mineur réalisée en première instance était suffisante et que rien ne contraignait la juridiction du second degré à entendre de nouveau l’enfant.
Il était permis de se demander si la Haute juridiction allait infléchir sa jurisprudence après que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance [29] avait posé comme principe à l’article 388-1 alinéa 2 du Code civil que l’audition du mineur capable de discernement est de droit s’il en fait la demande. Dans le cadre des procédures relevant de la matière familiale, la Cour de cassation a déduit de ce principe que l’enfant déjà entendu en première instance a droit au renouvellement de son audition à hauteur de cour. Ainsi, en 2012, elle a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait rejeté la demande d’audition présentée par une adolescente au motif que le mineur ne peut exiger d’être entendu à tous les stades d’une même procédure [30]. Cette solution, qui manifestait la faveur de la Haute cour pour la mise en œuvre du droit fondamental de l’enfant de participer aux décisions le concernant, pouvait laisser présager un revirement de jurisprudence en matière d’assistance éducative. Plus précisément, l’on pouvait imaginer que la Cour de cassation considérerait que l’audition du mineur capable de discernement, qui s’impose au juge des enfants, s’impose pareillement à la cour d’appel même si l’intéressé a déjà exprimé sa voix en première instance, si bien que la juridiction d’appel serait désormais tenue de convoquer l’enfant en vue de procéder à son audition. Ce n’est pourtant pas la position que la Haute juridiction allait adopter. Ainsi, en 2015, elle était saisie d’un pourvoi en cassation par la mère d’une fillette, que le juge des enfants avait confiée à l’aide sociale à l’enfance après l’avoir auditionnée, qui reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si sa fille avait été informée de son droit d’être entendue. En réponse, la première chambre civile ne s’était pas positionnée explicitement sur le droit de l’enfant au renouvellement de son audition en assistance éducative, mais uniquement sur le défaut d’obligation pour la cour d’appel d’informer le mineur de son droit d’être entendu s’il a déjà été auditionné en première instance. Ainsi s’était-elle contentée d’affirmer que la demanderesse au pourvoi n’était pas recevable à reprocher à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si sa fille avait été informée de son droit d’être entendue dans la mesure où elle ne s’était pas prévalue de ce défaut d’information devant elle [31]. Bien que particulièrement sibylline, la formulation avait été reprise en 2018 par la première chambre civile pour rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt d’une cour d’appel qui avait également statué en assistance éducative sans auditionner les enfants préalablement entendus par le juge des enfants en première instance [32]. Il subsistait dès lors une ambiguïté s’agissant du positionnement de la Cour de cassation quant au droit de l’enfant au renouvellement de son audition en assistance éducative [33].
Une position moins équivoque allait être adoptée par la Haute juridiction dans l’arrêt du 2 décembre 2020 précédemment mentionné, au sein duquel la première chambre civile affirmait que la cour d’appel ne peut se dispenser d’entendre le mineur capable de discernement que si celui-ci n’a pas été auparavant entendu par le juge des enfants. Cela signifiait a contrario que si le mineur a préalablement été entendu en première instance, la cour d’appel n’est pas tenue de procéder d’office à une nouvelle audition. Ainsi confirmait-elle sa jurisprudence antérieure à la loi du 5 mars 2007, selon laquelle, en assistance éducative, le caractère obligatoire ou facultatif de l’audition de l’enfant par la cour d’appel dépend du fait que l’intéressé a ou non été déjà auditionné par le juge des enfants. Une question restait en suspens : qu’en serait-il si le mineur au préalable entendu par le juge des enfants demandait à l’être de nouveau par la juridiction d’appel ? À l’occasion de l’arrêt commenté en date du 12 juin 2025, la Haute juridiction répond pour la première fois à cette question dans le cadre de la procédure d’assistance éducative.
Si la Cour de cassation ne change pas de position quant au défaut d’obligation pour la cour d’appel d’ordonner d’office une seconde audition de l’enfant, elle apporte toutefois dans cet arrêt du 12 juin quelques nuances et des précisions importantes, qui mettent en exergue que les pouvoirs de la cour d’appel s’agissant d’une nouvelle audition du mineur en assistance éducative ne sont pas totalement discrétionnaires. En effet, envisageant pour la première fois l’hypothèse où le mineur concerné par la procédure d’assistance éducative solliciterait lui-même une nouvelle audition à hauteur de cour, la première chambre civile considère qu’ « en application de l’article 388-1 du Code civil », la cour d’appel a alors « l’obligation » d’entendre l’enfant « si celui-ci, capable de discernement et dûment informé de son droit d’être entendu, en a fait la demande ». Ainsi applique-t-elle à la procédure d’assistance éducative le droit commun de l’audition du mineur dans le procès civil, ce qui présente deux apports particulièrement favorables à l’écoute de l’enfant en protection de l’enfance, qu’il y a lieu de saluer.
D’une part, la Cour de cassation applique à la procédure d’assistance éducative les dispositions de l’article 388-1 alinéa 2 du Code civil, en vertu desquelles l’audition du mineur est de droit s’il en fait la demande, et dont elle avait déduit en 2012 qu’en matière familiale, la cour d’appel doit répondre favorablement à la demande d’audition d’un enfant bien qu’il ait déjà été entendu en première instance. Il peut être déduit de l’arrêt du 12 juin 2025 que la Haute juridiction, même si elle n’impose toujours pas aux juges du second degré statuant en assistance éducative de prendre l’initiative d’ordonner une nouvelle audition de l’enfant, les oblige en revanche à procéder à une nouvelle audition lorsque le mineur leur aura demandé à être de nouveau entendu dans la procédure en appel. Cette solution mérite d’être pleinement approuvée. D’abord, rien ne justifierait que le droit au renouvellement de l’audition, reconnu par la Cour de cassation à l’enfant en matière familiale, ne lui bénéficie pas également en assistance éducative. Ensuite, le droit fondamental de l’enfant d’être entendu en justice, tel qu’il résulte notamment de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ne saurait être limité à une unique mise en œuvre en première instance. Enfin, si l’enfant souhaite de nouveau être auditionné par la cour d’appel, c’est certainement qu’il a, sur l’application de la décision prise par le juge des enfants, quelque chose à exprimer qui devrait être entendu par la cour d’appel. C’est donc à très juste titre que la Cour de cassation a posé le principe que les cours d’appel sont dans l’obligation d’entendre de nouveau le mineur qui en ferait la demande. Or, pour que l’intéressé puisse adresser une telle demande à la juridiction d’appel, encore faut-il qu’il soit informé de son droit d’être de nouveau entendu, ce que la première chambre civile a opportunément pris en compte dans sa décision du 12 juin 2025.
En effet, d’autre part, la Cour de cassation a, pour la première fois, imposé aux cours d’appel statuant en assistance éducative d’informer le mineur de son droit d’être entendu. L’information de l’enfant quant à son droit d’expression en justice a été prévue par la loi du 5 mars 2007 à l’alinéa 4 de l’article 388-1 du Code civil, qui exhorte la juridiction à s’assurer que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat [34]. Dans le cadre de l’assistance éducative, cette information n’a pas lieu d’être en première instance, dans la mesure où le juge des enfants a l’obligation de convoquer le mineur en vue de son audition s’il est capable de discernement [35]. La question pouvait donc se poser au stade de la procédure en appel : existe-t-il une obligation pour la cour d’appel d’informer l’enfant de son droit d’expression en justice ? Jusqu’à l’arrêt du 12 juin 2025, il résultait de la jurisprudence de la Cour de cassation que cette question recevait une réponse négative, quelle que soit l’hypothèse envisagée. Si le mineur capable de discernement n’avait pas été entendu en première instance par le juge des enfants, alors là encore l’information considérée n’avait pas lieu d’être puisque la cour d’appel était nécessairement tenue de le convoquer en vue de procéder à son audition. Et si le mineur avait déjà été entendu par le juge des enfants en première instance, alors il résultait des arrêts rendus en 2015 et en 2018 par la Cour de cassation que la juridiction d’appel n’était pas tenue d’aviser l’enfant d’un éventuel droit d’être de nouveau auditionné (elle avait indiqué dans ces arrêts que les demandeurs aux pourvois ne pouvaient pas reprocher aux juridictions d’appel de ne pas avoir recherché si l’enfant avait été informé de son droit d’être entendu dès lors qu’ils n’avaient pas argué de ce défaut d’information devant elles). L’arrêt rendu le 12 juin 2025 par la première chambre civile marque par conséquent une évolution bienvenue : en faisant référence au mineur « dûment informé de son droit d’être entendu » et qui en ferait la demande, la Haute juridiction manifeste implicitement qu’elle exigera à l’avenir des cours d’appel qu’elles veillent à ce que le mineur, même déjà entendu par le juge de l’assistance éducative en première instance, soit effectivement informé de son droit d’être auditionné à hauteur de cour, ce qui lui permettra partant de solliciter une nouvelle audition s’il le souhaite. Ces clarifications apportées par la Haute juridiction quant aux obligations qu’a la cour d’appel, même lorsque l’enfant s’est préalablement exprimé devant le juge des enfants, étaient particulièrement souhaitables et contribuent au respect du droit de l’enfant de prendre part à toutes les décisions qui le concernent.
Par ailleurs, dans cet arrêt du 12 juin, la première chambre civile rappelle que la cour d’appel a toujours la faculté d’entendre de nouveau l’enfant déjà auditionné « si elle l’estime nécessaire ». Si cette précision n’a rien de révolutionnaire, elle reste pertinente et l’on ne peut qu’encourager les juridictions d’appel à convoquer tous les mineurs pour procéder à une nouvelle audition.
La décision rendue par la Cour de cassation le 12 juin 2025 constitue une indéniable avancée en faveur de la participation de l’enfant aux décisions judiciaires destinées à assurer sa protection. Elle n’est pourtant pas pleinement satisfaisante car il reste regrettable que la Haute juridiction se refuse encore à imposer aux juridictions d’appel de procéder d’office à une nouvelle audition de l’enfant en assistance éducative.
Si la Cour de cassation n’est pas prête à faire ce pas, malgré les encouragements de la doctrine et des praticiens, peut-être une intervention devrait-elle être envisagée de la part du législateur. En effet, il apparaît souhaitable que la loi impose aux cours d’appel statuant en assistance éducative de systématiquement procéder à l’audition de chaque enfant capable de discernement, sans considération ni pour le fait qu’il ait ou non déjà été auditionné en première instance, ni pour le fait qu’il ait ou non sollicité son audition par la juridiction d’appel. Cette solution serait parfaitement justifiée dans la mesure où l’appel a pour effet de remettre la chose jugée en question devant la juridiction du second degré, qui doit dès lors statuer à nouveau en fait et en droit [36]. De cet effet dévolutif, la Cour de cassation avait déduit que, dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, la cour d’appel doit se placer au moment où elle statue pour apprécier les faits, ce qui implique qu’elle prenne en considération les volontés qu’a pu exprimer l’enfant postérieurement à la décision du juge des enfants [37]. Dès lors, puisqu’elle doit rejuger en fait comme en droit, il serait cohérent d’imposer à la cour d’appel d’auditionner le mineur au sujet duquel elle va rendre une décision en assistance éducative, indépendamment de savoir s’il s’est déjà ou non exprimé en première instance et sans égard pour une éventuelle demande de sa part. Cela serait d’autant plus judicieux au regard des délais pouvant être observés en pratique entre les décisions des juges des enfants et celles des cours d’appel : les opinions de l’enfant ont pu évoluer plusieurs mois, voire plusieurs années après la décision rendue à son sujet en première instance, ce qui rend d’autant plus nécessaire de s’enquérir de nouveau de ses opinions au moment de la procédure en appel. De surcroît, il ne serait pas saugrenu que la juridiction d’appel recueille les sentiments de l’enfant sur les effets que l’application des mesures résultant de la décision de première instance ont eus sur son bien-être, afin qu’elle soit en capacité de déterminer s’il faut confirmer ces mesures ou emprunter une autre voie.
[1] Art. 12. Pour une étude détaillée, voir B. Mallevaey, Regards sur 30 ans d’application de l’article 12 de la Convention de New York sur la participation de l’enfant, RTD civ. 2020, p. 291.
[2] Ce régime général figure aux art. 388-1 C. civ. N° Lexbase : L8350HW8 et 338-1 suiv. C. pr. civ. N° Lexbase : L4827NAZ, sur lesquels voir B. Mallevaey, La parole de l’enfant en justice, Recherches familiales n° 9, 2012, p. 117.
[3] Ancien art. 1183 al. 1 nouv. C. pr. civ. L’audition du mineur était également – et est toujours – prévue à l’audience, sauf la faculté pour le juge de dispenser l’enfant de se présenter ou d’ordonner qu’il se retire pendant tout ou partie des débats (CPC, art. 1189 al. 1 N° Lexbase : L8889IW7 sur lequel voir infra).
[4] Cass. civ. 1, 30 juin 1981, n° 80-80.006 N° Lexbase : A7636MIN, Gaz. Pal., 1982, 1, p. 391, note J. Massip.
[5] Par le décret n° 2002-361, du 15 mars 2002, modifiant le nouveau Code de procédure civile et relatif à l’assistance éducative N° Lexbase : L6369HYK.
[6] Selon l’art. 388-1 al. 1er C. civ., le mineur capable de discernement « peut » être entendu par le juge dans toute procédure le concernant. L’audition de l’enfant présente dès lors un caractère facultatif pour le magistrat, qui n’est donc pas tenu de l’ordonner d’office. Il n’y a que si le mineur capable de discernement en fait la demande que son audition est alors de droit, selon l’art. 388-1 al. 2 C. civ., et qu’en conséquence le juge est tenu de le convoquer pour procéder à son audition.
[7] Cela étant, en dépit de ce caractère théoriquement obligatoire, la Défenseure des droits a constaté qu’en pratique l’audition des mineurs, même capables de discernement, n’est pas systématiquement réalisée en assistance éducative : C. Hédon, Prendre en compte la parole de l’enfant : un droit pour l’enfant, un devoir pour l’adulte, rapport 2020, p. 14.
[8] La Cour de cassation considère en revanche que l’audition du mineur à l’audience des débats est facultative : voir notamment Cass. civ. 1, 14 février 2006, n° 05-13.627, F-D N° Lexbase : A1913DN8, , Dr. fam. n° 9, 2006, comm. n° 162, note P. Murat.
[9] Loi n° 2022-140, du 7 février 2002, relative à la protection de l’enfance N° Lexbase : L6369MSP.
[10] Voir I. Maria, obs. Cass. civ. 1, 12 juin 2025, n° 22-23.646, Dr. fam. n° 9, 2025, comm. 131.
[11] Voir L. Gebler, obs. Cass. civ. 1re, 12 juin 2025, n° 22-23.646 et Cass. civ. 1, 12 juin 2025, n° 23-10.408, AJ fam. 2025, p. 394.
[12] Cela n’affecterait pas la régularité de la décision du juge des enfants. En effet, l’audition du mineur, qui est une obligation à la charge du juge des enfants dans le cade de la procédure d’assistance éducative, ne saurait être imposée au mineur concerné. Partant, la Cour de cassation considère que le refus de l’enfant de se présenter en vue de son audition, pour laquelle il avait été régulièrement convoqué, est sans effet sur la régularité de la procédure d’assistance éducative : Cass. civ. 1, 3 octobre 2000, n° 99-05.072 N° Lexbase : A7729AHQ, RDSS 2001, p. 147, obs. F. Monéger.
[13] Sur les obligations des cours d’appel lorsque le mineur a déjà été entendu par le juge des enfants, voir infra (2è partie).
[14] Cass. civ. 1, 3 février 1987, n° 86-80.016 N° Lexbase : A7316AA9, D. 1987, p. 513, note J. Massip ; Cass. civ. 1, 12 mai 1987, n° 85-80.059 N° Lexbase : A7640AA9.
[15] Cass. civ. 1, 25 juin 1991, n° 90-05.006 et 90-05.015 N° Lexbase : A5024AHK, RTD civ. 1991, p. 728, obs. J. Hauser ; Cass. civ. 1, 23 juin 1992, n° 91-05.036, inédit au bulletin N° Lexbase : A1964CZR ; Cass. civ. 1, 13 octobre 1993, n° 92-05.066, publié au bulletin N° Lexbase : A3851ACM, Gaz. Pal. 12 août 1994, obs. J. Massip ; Cass. civ. 1, 14 février 1995, n° 93-05.054, inédit au bulletin N° Lexbase : A9575CSG ; Cass. civ. 1, 8 juin 1999, n° 99-05.001, inédit au bulletin N° Lexbase : A7666CPM.
[16] Cass. civ. 1, 2 décembre 2020, n° 19-20.184, FS-P+I N° Lexbase : A948538S, AJ fam. 2021, p. 127, obs. B. Mallevaey.
[17] Lesquels résultent notamment de l’art. 12.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
[18] Sur la confusion qui demeurait en pratique entre l’audition du mineur et sa participation à l’audience, voir A. Gouttenoire, L’audience et l’audition de l’enfant dans la procédure d’assistance éducative, AJ fam. 2022, p. 251.
[19] L’art. 388-1 al. 1 C. civ. permet au mineur d’être entendu dans toute procédure le concernant s’il est capable de discernement.
[20] Voir Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 18-26.707, F-D N° Lexbase : A81094PZ, AJ fam. 2021, p. 365, obs. B. Mallevaey.
[21] Cass. civ. 1, 18 mars 2015, n° 14-11.392, F-P+B N° Lexbase : A1812NET, RJPF, n° 5, 2015, p. 28, note I. Corpart.
[22] Cass. civ. 1, 12 juin 2025, n° 23-10.408, F-D N° Lexbase : B1529AL9.
[23] Voir également en ce sens L. Gebler, préc. L’auteur tempère toutefois son propos après avoir pris connaissance de l’arrêt attaqué par le pourvoi dans la seconde affaire : il estime que cette décision de la cour d’appel rend compte de l’impossibilité pour la fillette, âgée de trois ans, de s’exprimer en présence des professionnels de la protection de l’enfance et, partant, implicitement, de son absence de discernement.
[24] Voir F. Capelier, Entre discernement et incapacité juridique : le droit de l’enfant d’être entendu en assistance éducative, AJ fam. 2020, p. 444.
[25] Voir B. Mallevaey (dir.), Audition et discernement de l’enfant devant le juge aux affaires familiales, Mission de recherche Droit et Justice, 2018, p. 42 et suiv.
[26] Voir B. Mallevaey, « L’articulation des critères de l’âge et du discernement en matière de participation de l’enfant aux décisions familiales », in : B. Mallevaey et L. Jardin, L’âge en droit de l’enfance, de la famille et des personnes, IFJD, 2024, p. 17.
[27] Cass. civ. 1, 2 juillet 2025, n° 23-22.491, F-D N° Lexbase : B2231ASG.
[28] Cass. civ. 1, 17 décembre 1998, n° 98-05.015, inédit N° Lexbase : A1696CWQ.
[29] Loi n° 2007-293, du 5 mars 2007, réformant la protection de l’enfance N° Lexbase : L5984MSG.
[30] Cass. civ. 1, 24 octobre 2012, n° 11-18.849, F-P+B+I N° Lexbase : A8870IU3, Dr. fam. n° 1, 2013, comm. 9, note C. Neirinck.
[31] Cass. civ. 1, 10 juin 2015, n° 14-15.354, F-D N° Lexbase : A8882NK8, RJPF n° 9, 2015, p. 43, note I. Corpart.
[32] Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-12.615, F-D N° Lexbase : A2185XHE.
[33] Voir B. Mallevaey, obs. Cass. civ. 1, 10 juin 2015, n° 14-15.354, F-D N° Lexbase : A8882NK8, Petites affiches, n° 160, 11 août 2016, p. 6.
[34] Pour de plus amples développements sur la mise en œuvre du devoir d’information de l’enfant quant à ses droits, voir B. Mallevaey, L’audition du mineur dans le procès civil, thèse Université d’Artois, dir. J. Vassaux, 2015, n° 515 et suiv.
[35] Comme l’exige l’art. 1182 al. 2 C. pr. civ.
[36] Selon l’art. 561 C. pr. civ. N° Lexbase : L7232LEL.
[37] Cass. civ. 1, 20 octobre 2010, n° 09-68.141, FS-P+B+I N° Lexbase : A2357GCB, Dr. fam. n° 12, 2010, comm. 184, note C. Neirinck.
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 septembre 2025, n° 22-17.437, FS-B N° Lexbase : B1277BNM
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par Alexandre Autrand, doctorant, ATER à l’Université Paris-Est Créteil
Le 10 Octobre 2025
La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence au sujet de la communication des pièces par le cotisant (V. Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-19.395, n° 19-20.035 N° Lexbase : A88374BW). Elle considère que ce dernier ne peut pas produire pour la première fois devant le juge, une pièce que l’URSSAF a expressément demandée lors du contrôle ou de la phase contradictoire.
Faits et procédure. L’URSSAF a procédé au contrôle de l’association [3], sur la période du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2010. À la suite de ce contrôle, l’organisme a adressé une lettre d’observation au cotisant, suivie d’une mise en demeure. Au sein de ces documents, l’URSSAF décide de redresser l’association [3], au titre du régime de retraite par raccordement pour la période 2008-2010, n’ayant pas versé de contributions patronales pour financer ce régime au cours de cette période. Par la suite, l’association [3] a formulé un recours gracieux devant la commission de recours amiable. Lors de ce recours, l’association [3] produit pour la première fois, une attestation par laquelle l’assureur certifie ne pas avoir perçu de contributions de la cotisante pour le financement de ce régime de retraite. La communication de cette pièce avait été sollicitée au cours du contrôle et de la phase contradictoire. Ensuite, le cotisant décide de formuler un recours devant le pôle social d’un tribunal judiciaire. Un jugement est rendu, puis un appel est interjeté devant la cour d’appel de Lyon, qui statue sur ce recours dans un arrêt du 12 avril 2022 (CA Lyon, 12 avril 2022, n° 19/04412 N° Lexbase : A36347TR). Par la suite, l’association [3] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.
Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de valider le chef de redressement, relatif aux cotisations et contributions dues sur la participation patronale aux régimes de retraite supplémentaire. Au soutien de son pourvoi, l’association [3] affirme notamment qu’en vertu de l’article 563 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6716H7U un cotisant est recevable à invoquer tout moyen, en produisant au besoin des pièces nouvelles à hauteur d’appel, qui n’ont pas été présentées au cours de la phase de contrôle. Or, pour rejeter l’attestation produite pour la première fois à hauteur d’appel, les juges du fond ont considéré que l’association [3], ne démontre pas qu’elle n’était pas matériellement en mesure de produire ce document dans la durée du contrôle. De ce fait, les juges lyonnais ont considéré que cette pièce n’a pas été communiquée en temps utile. En statuant ainsi, l’association [3] considère que les juges lyonnais ont violé les articles 563 du Code de procédure civile et R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4373MHG.
Solution. La Cour de cassation rejette l’argumentation de l’association [3]. Tout d’abord, la Cour rappelle notamment la lettre de l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR. Ensuite, la Cour affirme que le cotisant ne peut produire pour la première fois devant le juge, une pièce qui lui a été expressément demandée par l’organisme de recouvrement lors des opérations de contrôle ou de la phase contradictoire. Par conséquent, la Cour considère que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait de preuve débattus devant la cour d’appel, que cette dernière a considéré que l’attestation n’était pas de nature à remettre en cause le bien-fondé du redressement.
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Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 1er juillet 2025, n° 502802 N° Lexbase : B6858APP
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par Olivier Savignat, Avocat associé, Valians avocats et Gustave Barthélémy, juriste
Le 01 Septembre 2025
Mots clés : autorisations d'urbanisme • péremption • contradictoire • appréciation des faits • caducité
Saisi d’une question de droit transmise par le tribunal administratif de Grenoble, le Conseil d’État a rendu un avis dans lequel il considère que les décisions constatant la péremption des autorisations d’urbanisme doivent être motivées et précédées d’une procédure contradictoire préalable.
Il est constant que la délivrance d’une autorisation d’urbanisme n’oblige pas le pétitionnaire à réaliser les travaux : il peut librement y renoncer. Cependant, si celui-ci souhaite les réaliser, il ne saurait en retarder le commencement outre mesure. Autrement, au-delà d’un certain délai, son autorisation risque d’être frappée de péremption.
En effet, l’article R. 424-17 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5313KWP dispose que « Le permis de construire, d'aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 N° Lexbase : L3488L7C ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année ».
Ces dispositions sont également « applicables à la décision de non-opposition à une déclaration préalable lorsque cette déclaration porte sur une opération comportant des travaux ».
Si le code de l’urbanisme pose le principe de la péremption, il s’abstient en revanche de préciser les formes et conditions dans lesquelles l’autorité administrative constate cette péremption et acte la caducité de l’autorisation d’urbanisme.
En pratique, l’autorité compétente, généralement le maire [1], adresse au pétitionnaire un courrier constatant la caducité de son autorisation.
Ce courrier constitue une décision administrative faisant grief pouvant donc être contestée devant le juge administratif [2].
Subsiste la question de savoir si cette décision doit être motivée et précédée d’une procédure contradictoire, la Haute juridiction administrative ne s’étant pas prononcée sur ce point.
C’est la question qui se posait en l’espèce.
Dans les faits, le tribunal administratif (TA) de Grenoble était saisi d’une demande d’annulation d’un courrier constatant la caducité d’un permis de construire. Ce courrier exposait les motifs de droit et de fait fondant cette décision et invitait le pétitionnaire à solliciter un nouveau permis.
Dans sa requête, ce dernier soutenait que la décision était insuffisamment motivée et aurait dû être précédée d’une procédure contradictoire, sur le fondement des dispositions du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
En défense, la commune soutenait que la décision de constatation de la péremption n’avait pas à être motivée, et qu’en tout état de cause, elle était suffisamment motivée. De même, elle affirmait qu’aucune procédure contradictoire n’avait à être conduite et que ce vice était neutralisable.
Considérant que ce débat présentait les conditions requises par l’article L.113-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2626ALT (c’est-à-dire, soulevant une « (…) question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges »), le TA a transmis au Conseil d’État (CE) la question de droit suivante :
« La décision constatant la péremption d'un permis de construire doit-elle être motivée en application du 5° de L. 211-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1815KNK ?
En cas de réponse positive à cette question, est-elle alors soumise à une procédure contradictoire en application de l'article L.121-1 du même code N° Lexbase : L1798KNW ? »
En y répondant, le Conseil d’État a considéré que la décision par laquelle l’autorité administrative constate la caducité d’une autorisation d'urbanisme constituait une décision administrative individuelle défavorable opposant une déchéance au sens du CRPA. Par conséquent, une telle décision doit en tout état de cause être motivée et précédée d’une procédure contradictoire (I).
Toutefois, le Conseil d’État précise que le moyen tiré du manquement à ces obligations ne sera inopérant que lorsque l’autorité compétente ne se trouve pas en situation de compétence liée (II).
I. La décision par laquelle l’autorité administrative constate la caducité de l’autorisation urbanisme est une décision opposant une déchéance au sens de l’article L. 211-2 du CRPA
L’article L. 211-2 du CRPA liste les décisions administratives individuelles défavorables dont les destinataires, personnes physiques ou morales, doivent être informés des motifs.
On y trouve notamment les décisions retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits, les décisions prononçant une sanction ainsi que celles opposant une prescription, une forclusion ou une déchéance.
D’autre part, l’article L.121-1 de ce même code dispose que les décisions devant être motivées en application de l’article L. 211-2 précité sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable (pour un contentieux fourni sur cette question, voir celui du retrait des autorisations tacites d’urbanisme).
Saisie de la question de savoir si le courrier par lequel l’autorité compétente constate la caducité d’une autorisation d’urbanisme était soumis aux obligations énumérées ci-dessus, la plupart des juridictions ont répondu par la négative.
La cour administrative d’appel (CAA) de Versailles a ainsi pu considérer « qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’autorité administrative compétente pour constater la caducité d’une autorisation de lotir de dresser de façon contradictoire un procès-verbal constatant l’état d’avancement des travaux » [3].
De manière générale, la jurisprudence considérait que, la péremption étant acquise sans que l’intervention d’une décision soit nécessaire, le courrier la constatant étant seulement recognitif d’un fait (à la différence des décisions subséquentes - arrêté interruptif de travaux, de refus de prorogation, de refus de transfert de permis ou de délivrance du permis modificatif - dont la péremption de l’autorisation est alors le motif).
Partant, le courrier ne constituait pas une décision défavorable opposant une prescription, une forclusion ou une déchéance.
Récemment, le tribunal administratif de Montreuil a cependant pris le contrepied de cette jurisprudence et a considéré qu’une telle décision devait « être regardée comme une décision individuelle opposant une déchéance, au sens du 5° de l’article L. 211-2 précité » [4].
En effet, comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, la solution retenue par les décisions précitées « n’analyse que le cas où l'administration fait une exacte application de la loi ». Or, si un « constat correct peut être superfétatoire, un constat incorrect n'en peut pas moins créer un désordre dans l'ordonnancement juridique ».
D’autre part, et comme exposé ci-dessus, il est constant que la décision par laquelle l’administration constate formellement la péremption de l’autorisation d’urbanisme est une décision administrative faisant grief.
Considérant donc que « la décision de constater la caducité d'une autorisation d'urbanisme manifeste l'opposition de l'autorité administrative à la réalisation du projet du pétitionnaire, motif pris de ce qu'elle considère qu'il est déchu du droit de construire attaché à l'autorisation d'urbanisme qui lui a été accordée », le Conseil d’État a estimé, dans son avis ici commenté, qu’une telle décision devait être assimilée à une déchéance, au sens du 5° de l’article L. 211-2 du CRPA.
Par conséquent, la décision constatant la péremption d’une autorisation d’urbanisme devra désormais être motivée et précédée d’un procès-verbal contradictoire.
II. Le moyen tiré d’un manquement aux obligations prévues par le CRPA sera cependant inopérant lorsque l’autorité compétente se trouve en situation de compétence liée
Si une telle décision doit donc être motivée et être précédée d’une procédure contradictoire en tout état de cause, le Conseil d’État a cependant précisé que le moyen tiré du manquement à ces obligations ne serait pas opérant en toutes circonstances :
« Lorsque, pour constater la caducité de l'autorisation d'urbanisme, l'autorité administrative est conduite à porter une appréciation sur les faits, notamment sur la nature et l'importance de travaux entrepris, les moyens tirés du défaut de motivation de sa décision et de ce qu'elle n'a pas été précédée du recueil des observations du pétitionnaire sont opérants.
En revanche, lorsque cette décision procède du seul constat de l'expiration d'un délai, l'autorité administrative se trouve en situation de compétence liée et les moyens tirés de ce que sa décision serait insuffisamment motivée ou procéderait d'une procédure irrégulière sont, dès lors, inopérants. »
Autrement dit, lorsque le courrier ne fait que constater l’expiration incontestable du délai de péremption, les moyens tirés du défaut de motivation et de l’absence de procédure contradictoire préalable seront écartés par le juge administratif.
Cette solution est cohérente avec la jurisprudence antérieure. En effet, en principe, lorsque la péremption est acquise, l’administration constatant la caducité se trouve en situation de compétence liée [5].
Or, en principe, lorsque l’administration se trouve en situation de compétence liée, les moyens tirés du défaut de motivation et de l’absence de procédure contradictoire préalable [6].
En revanche, l’administration ne se trouve pas en situation de compétence liée lorsque, pour prendre sa décision, elle doit porter une appréciation sur les faits de l’espèce, notamment sur l’existence, la consistance, la temporalité des travaux éventuellement réalisés.
On pense ici aux hypothèses dans lesquelles l’autorité compétente devra apprécier si les travaux autorisés ont effectivement été matériellement entrepris dans le délai [7] ou n’ont pas été interrompus plus d’une année [8].
Et comme le relève la rapporteure publique dans ses conclusions sur l’avis commenté, « (…) les cas de compétence liée ne requérant aucune appréciation des faits sont très rares ». En effet, en pratique, il y a « presque toujours matière à contestation sur le fait que la décision « se borne à constater » une péremption sans porter d’appréciation factuelle ».
Au final, sauf à ce que le courrier se borne à constater l’absence pure et simple de travaux entrepris durant les délais prévus par le Code de l’urbanisme, il nous semble que le moyen tiré du manquement aux obligations précitées sera le plus souvent opérant.
[1] V. pour le principe : CE, 16 avril 1975, n° 94329 N° Lexbase : A1141B8R.
[2] V. pour le principe : CE, 5 décembre 1984, n° 41573 N° Lexbase : A4699ALM.
[3] CAA Versailles, 14 janvier 2021, n° 19VE00554 N° Lexbase : A48774CM ; v. dans le même sens : CAA Marseille, 2 novembre 2015, n° 13MA00532 N° Lexbase : A8572NUZ ; CAA Marseille, 29 septembre 2020, n° 18MA01759 N° Lexbase : A70953WP.
[4] TA Montreuil, 6 avril 2023, n° 2204353 N° Lexbase : A17989NW, AJDA, 2023, p. 1301.
[5] V. p. ex. : CAA Marseille, 15 février 2000, n° 97MA00848 N° Lexbase : A3115BMC.
[6] V. pour le principe : CE, 3 février 1999, n° 149722, 152848 N° Lexbase : A4357AXN.
[7] CE, 2 novembre 1994, n° 136757 N° Lexbase : A3658ASB.
[8] CAA Marseille, 24 novembre 2005, n° 03MA00698 N° Lexbase : A0776DMP.
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