TA Cergy-Pontoise, du 20-06-2025, n° 2510707
B7223AL4
Référence
Par un déféré, enregistré le 19 juin 2025, le préfet des Hauts-de-Seine demande au juge des référés, statuant en application des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales🏛, de suspendre la décision en date du 10 juin 2025 du maire de la commune de Gennevilliers de pavoiser le parvis de l'hôtel de Ville d'un drapeau palestinien.
Le préfet des Hauts-de-Seine soutient que :
- le pavoisement du drapeau palestinien constitue matériellement une décision administrative révélée ;
- la décision attaquée a été édictée par une autorité incompétente, en l'absence d'une délibération ou d'une délégation du conseil municipal autorisant le pavoisement du drapeau palestinien sur le parvis de l'hôtel de Ville ;
- la décision attaquée porte une atteinte grave au principe de neutralité des services publics.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2025, la commune de Gennevilliers, représentée par Me Peru, conclut au rejet de la requête et soutient que :
- La requête est irrecevable, dès lors que la seule incompétence du maire pour décider du pavoisement litigieux du parvis de l'hôtel de ville ne permettait pas au préfet des Hauts-de-Seine de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ;
- elle ne conteste pas l'incompétence du maire de la commune pour décider du pavoisement du parvis d'un drapeau palestinien et que le conseil municipal délibèrera prochainement sur cette question ;
- le préfet ne justifie nullement en quoi le pavoisement de la mairie de Gennevilliers aux couleurs de la Palestine porterait effectivement " gravement atteinte " à la neutralité des services publics et qu'au regard des liens étroits développés par la ville de Gennevilliers en particulier avec la ville de d'Al Bireh en Palestine, le pavoisement du parvis de l'hôtel de ville témoigne de l'engagement de la ville en faveur pour la paix et la fin immédiate des hostilités dans la bande de Gaza ;
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021🏛 ;
- le code de justice administrative ;
Le président du tribunal a désigné M. Lamy, vice-président, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛, pour statuer sur les requêtes en référé.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 20 juin 2025 à
14 heures 30.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique, tenue en présence de M. Grospierre, greffier d'audience :
- le rapport de M. Lamy, juge des référés ;
- les observations du préfet des Hauts-de-Seine, représenté par Mme B et M. A, respectivement Cheffe du bureau du contrôle de la légalité et de l'intercommunalité et adjoint à la cheffe de ce même bureau, qui, outre ses conclusions initiales, demande à ce que le juge des référés ordonne sans délai à la commune de Gennevilliers le retrait du drapeau palestinien installé sur le parvis de l'hôtel de ville ;
- les observations de Me Pasquio, substituant Me Peru, représentant la commune de Gennevilliers qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.
1. Le préfet des Hauts-de-Seine, ayant constaté les 10 et 11 juin 2025, le pavoisement du parvis de l'hôtel de Ville de la commune de Gennevilliers par un drapeau palestinien, et après s'être vu opposer, par un courrier en date du 17 juin 2025, un refus à sa demande de retrait en date du 13 juin 2025 de la décision de pavoisement ainsi révélée, le préfet des Hauts-de-Seine demande au juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, de suspendre l'exécution de cette décision.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune :
2. Aux termes de l'article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales🏛, auquel renvoie l'article L. 2131-6 dudit code pour l'énumération des actes concernés par cette procédure, " I.- Sont transmis au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement, dans les conditions prévues au II : / 1° Les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal en application de l'article L. 2122-22 () / 2° Les décisions réglementaires et individuelles prises par le maire dans l'exercice de son pouvoir de police () ". Aux termes de l'article L. 2121-29 du même code🏛, " Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune ", et aux termes de l'article L. 2122-18 de ce code🏛 : " Le maire est seul chargé de l'administration ".
3. La décision de pavoiser le parvis de l'hôtel de ville, qui n'est pas un acte d'administration, relève de la compétence du conseil municipal et aurait dû, par suite, faire l'objet d'une délibération, devant être transmise au représentant de l'Etat. Alors que, par ailleurs, la seule circonstance que le préfet des Hauts-de-Seine ne démontrerait pas l'existence d'une atteinte grave de nature à compromettre l'exercice d'une liberté collective et individuelle est sans influence sur la recevabilité de sa requête, il en résulte que la fin de non-recevoir tirée de ce que la décision contestée n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, repris à l'article L. 554-3 du code de justice administrative🏛, et ne serait ainsi pas susceptible de faire l'objet de la présente requête, doit être écartée.
Sur les conclusions aux fins de suspension et d'injonction :
4. En application du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Aux termes du troisième alinéa de cet article, reproduit à l'article L. 554-1 du code de justice administrative🏛 : " Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois ". Son cinquième alinéa, repris à l'article L. 554-3 du code de justice administrative, ajoute que " Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. () ".
5. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales citées au point 1 que le représentant de l'Etat dans le département a la faculté, sur le fondement du troisième alinéa de cet article, d'assortir son recours contre un acte d'une commune qu'il estime contraire à la légalité d'une demande de suspension qui n'est alors subordonnée à aucune condition d'urgence et sur laquelle le juge des référés dispose d'un mois pour statuer. En revanche, il ne peut saisir le juge des référés d'une demande visant à ce qu'il statue, sur le fondement du cinquième alinéa, dans le très bref délai de quarante-huit heures, que pour autant que l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle ou, depuis l'ajout issu de l'article 5 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, invoqué en l'espèce, " à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905🏛 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ". Pour l'application de ces dispositions, la neutralité de l'administration s'entend non seulement d'un point de vue religieux, mais encore philosophique ou politique.
7. Compte tenu du contexte international sensible dans lequel s'inscrit la démarche de la commune de Gennevilliers, le pavoisement d'un drapeau, symbole politique d'une autorité étrangère, sur le parvis de son hôtel de ville, témoigne, selon les écritures mêmes de la commune, de l'expression d'une solidarité envers " une nation victime d'une opération militaire " et s'inscrit dans un contexte de " soutien à la reconnaissance d'un Etat palestinien ". Ainsi, l'action menée par la commune ne peut être regardée comme se référant seulement à un soutien humanitaire à la seule population civile palestinienne de Gaza, et cela quand bien même la commune de Gennevilliers déclare inscrire son action dans le cadre de l'action internationale qu'elle mène avec le soutien du ministère des affaires étrangères notamment dans le cadre du Réseau de Coopération Décentralisée pour la Palestine ou des comités de jumelage. Dans ces conditions, la décision attaquée, laquelle caractérise un engagement politique ostensible de l'autorité communale, doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme portant en elle-même une atteinte grave, de nature à les compromettre, aux principes d'impartialité et de neutralité des services publics communaux.
8. Il suit de là qu'il y a lieu de suspendre la décision en date du 10 juin 2025 prise par le maire de la commune de Gennevilliers de pavoiser le parvis de l'hôtel de Ville d'un drapeau palestinien et d'enjoindre à la commune de Gennevilliers de retirer sans délai le drapeau palestinien installé sur le parvis de l'hôtel de ville.
Article 1er : L'exécution de la décision en date du 10 juin 2025 prise par le maire de la commune de Gennevilliers de pavoiser le parvis de l'hôtel de Ville d'un drapeau palestinien est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Gennevilliers de retirer le drapeau palestinien installé sur le parvis de son hôtel de ville sans délai.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet des Hauts-de-Seine et à la commune de Gennevilliers.
Fait à Cergy, le 20 juin 2025.
Le juge des référés,
signé
E. Lamy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Article, L554-1, CJA Article, L554-3, CJA Article, L511-2, CJA Loi, 2021-1109, 24-08-2021 Suspension d'une décision Décision réglementaire Acte d'administration Existence d'une atteinte Compromission de l'exercice des libertés publiques ou individuelles Actes des communes Principe de laïcité Ordre public Autorité étrangère Service public communal
