Le Quotidien du 10 septembre 2025

Le Quotidien

Actualité

[Dépêches] Le CNB lance une campagne de défense du périmètre du droit

Réf. : Communiqué du CNB, 27 août 2025

Lecture: 1 min

N2863B3G

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par La Rédaction

Le 08 Septembre 2025

Lancée par la commission « Communication » en lien étroit avec la commission Exercice du droit du Conseil national des barreaux, cette campagne de communication dénonce les pratiques des « braconniers du droit » et alerte les Français sur les risques encourus.

Ces derniers peuvent prendre de multiples formes : « experts en dommage corporel » s’interposant auprès de victimes pour négocier des indemnisations, plateformes en ligne proposant des consultations juridiques à bas prix ou encore freelances qui se présentent abusivement comme « juristes indépendants ». Tous ont en commun de franchir la frontière du monopole de l’avocat, au mépris de la loi et au détriment des justiciables.

Car le conseil et la défense en justice ne s’improvisent pas. L’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ réserve ces missions aux avocats et à certaines professions légalement autorisées. Ce monopole n’est pas un privilège, mais une protection pour les citoyens : il garantit que chaque conseil juridique repose sur la compétence, la responsabilité et l’indépendance.

Recourir à un avocat, c’est bénéficier d’un statut reconnu par la loi, d’une assurance professionnelle obligatoire et de règles déontologiques strictes. C’est aussi la garantie d’une indépendance absolue vis-à-vis des pouvoirs publics comme des intérêts privés, et d’une confidentialité protégée par le secret professionnel. Autant de garanties qu’aucuns « illégaux du droit » ne pourront jamais offrir.

 

 

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Associations

[Podcast] Transparence associative, l’alerte du Président des greffiers

Lecture: 1 min

N2862B3E

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Le 08 Septembre 2025

► Associations : un voile d’opacité ?

Avec Victor Geneste, Président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce Dans cet épisode, Victor Geneste alerte sur une faille persistante : l’opacité entourant le fonctionnement financier de certaines associations.

Pourquoi ces structures échappent-elles aux obligations de publicité applicables aux sociétés ? Quels risques cela fait-il peser sur l’économie, la transparence publique et la lutte contre les dérives ?

► Une intervention claire et engagée sur un sujet encore trop peu débattu, également disponible en podcast sur Youtube, Spotify, Deezer et Apple Podcasts.

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Droit international public

[Focus] Le désarroi des citoyens face aux scènes de guerre et de massacres

Lecture: 9 min

N2857B39

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par Robert Rézenthel, docteur en droit

Le 08 Septembre 2025

Mots clés : conflits armés • droit international • relations internationales • politique étrangère • ordre public


 

À une époque où certains dirigeants politiques contestent l'État de droit, les citoyens peuvent-ils assister impuissants aux scènes de guerre et de massacres diffusées par la presse ? Partant du principe que les relations internationales dépendent des plus hautes instances de l'État, la population s'exprime à travers des sondages d'opinion sans illusions sur l'usage des résultats. La périodicité des scrutins ne permet pas d'assurer une grande réactivité des électeurs face à des tragédies faisant quotidiennement de nombreuses victimes. De plus, le système électoral prohibant tout mandat impératif [1] aux élus, ceux-ci peuvent adopter un comportement éloigné de leurs promesses.

L'organisation des relations internationales ne constitue pas un obstacle infranchissable pour les citoyens qui disposent de moyens pour se faire entendre. Les tragédies en Ukraine et à Gaza qui sont montrées quotidiennement dans la presse suscitent des mouvements d'opinion en faveur des populations victimes et pour l'arrêt des exactions.

I. Les relations internationales et leur protection

L'article 5 de la Constitution dispose N° Lexbase : L0831AHA que le Président de la République est « le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ». L'article 52 de ce texte N° Lexbase : L0879AHZ précise que « Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification ».

Un arrêt récent [2] de l'assemblée plénière de la Cour de cassation vient d'affirmer qu'un chef d'État bénéficie d'une double immunité à la fois fonctionnelle et personnelle, en précisant que «  la coutume internationale ne reconnaît pas d'exception ou de limitation à la règle consacrant l'immunité de juridiction pénale d'un chef d'État en exercice, lorsqu'il est soupçonné d'avoir commis des crimes internationaux, tels des crimes contre l’Humanité ou des crimes de guerre ». Elle ajoute cependant, que «  L'immunité n'équivaut pas à l'impunité. Elle n'exonère pas la personne qui en bénéficie de sa responsabilité pénale », et que, «  les crimes reprochés à un chef d'État peuvent être jugés devant les tribunaux nationaux de son propre pays, voire, dans certains cas, une juridiction pénale internationale ou ad hoc ».

La Cour de cassation va jusqu'à considérer que «l'acte unilatéral par lequel un État décide de ne plus reconnaître un gouvernement ne saurait emporter des effets sur l'immunité personnelle d'un chef d'État en exercice en dérogeant à la coutume internationale ».  

Quelle que soit la gravité des faits reprochés à un chef d'État étranger, comme des crimes de tortures ou de barbarie, cette circonstance ne fait pas perdre à l'intéressé son immunité de juridiction [3]. L'interdiction d'ingérence dans la gestion d'un État, semble assurer à son dirigeant suprême, une protection très étendue, même si l'intéressé a accédé au pouvoir par des moyens illégitimes.

Outre d'hypothétiques poursuites pénales devant une juridiction de l'État concerné, la seule voie de recours possible est la saisine de la Cour pénale internationale, issue du statut de Rome signé le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002. Sa compétence est limitée au jugement des crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et les crimes d'agression. Il convient de noter que les principaux États de la planète comme la Chine, la Fédération de Russie et les États-Unis d'Amérique ont retiré leur signature ou n'ont jamais signé ni ratifié le Traité. La mise en cause de dirigeants actuellement en fonction montre que les difficultés d'obtenir rapidement la répression d'actes particulièrement graves comme les crimes de guerre ou de génocide.

Peut-on contraindre le Gouvernement français à porter plainte devant la Cour pénale internationale contre des dirigeants étrangers ?

Le régime des actes de gouvernement est d'origine prétorienne. Est qualifié d'acte de Gouvernement un acte regardé comme échappant à la compétence d'une juridiction pour en contrôler la légalité ou en apprécier le caractère fautif [4]. Ainsi, le refus d'engager des négociations avec un État étranger ou, à défaut, de saisir la Cour internationale de justice constitue une décision qui n'est pas détachable de l'exercice du pouvoir du gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques, c'est un acte de Gouvernement [5]. Constitue également un tel acte, le refus du Premier ministre de « suspendre des licences d'exportation de matériels de guerre » [6]. Le Conseil d'État rejette la requête en précisant  que ne pouvaient être invoqués … le Traité sur le commerce des armes, la charte des Nations-Unies et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

En cas de carence des pouvoirs publics à prendre une position claire, les citoyens pourraient se sentir impuissants pour protester contre des actes de guerre et des massacres se déroulant en dehors de notre territoire national. Cependant, la politique étrangère d'un État n'est pas totalement verrouillée pour la population, des moyens de pression existent.

II. Les citoyens confrontés à la politique étrangère 

Si l'État détient le droit de mener la politique étrangère du pays, la loi contient parfois des encouragements de la population à soutenir, voire à stimuler la solidarité internationale. C'est le cas de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014, d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale N° Lexbase : L6469MSE. L'article 1er de ce texte dispose que : « La France met en œuvre une politique de développement et de solidarité internationale... », cette politique « respecte et défend les libertés fondamentales. Elle contribue à promouvoir les valeurs de la démocratie et de l'Etat de droit, l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la responsabilité sociétale, les socles de protection sociale et le travail décent. Elle contribue à lutter contre les discriminations... ».

La communauté internationale a adressé un message fort au monde, en adoptant à l'unanimité la déclaration du Millénaire lors de l'assemblée générale des Nations-Unies le 8 septembre 2000. Les chefs d'État et de gouvernement ont affirmé « nous sommes collectivement tenus de défendre, au niveau mondial, les principes de la dignité humaine, de l'égalité et de l'équité… Nous sommes résolus à instaurer une paix juste et durable dans le monde entier conformément aux buts et aux principes inscrits dans la Charte (des Nations-Unies)… Nous réaffirmons notre volonté de tout faire pour assurer l’égalité souveraine de tous les États, le respect de leur intégrité territoriale et de leur indépendance politique, le règlement des différends par des voies pacifiques et conformément aux principes de la justice et du droit international... ».

Plutôt que de diffuser certaines fausses informations sans mettre en garde le public non nécessairement averti de leur caractère fallacieux, comme l'affirmation par le Gouvernement russe relayée par le Président américain, que c'est l'Ukraine qui a déclaré la guerre, la presse devrait se consacrer à rappeler les engagements des dirigeants en faveur de la paix et le contenu des traités et conventions internationales poursuivant cet objectif. 

La charte de déontologie des journalistes impose le respect de la vérité, la rectification d'information erronée publiée, le refus de pressions et de directives rédactionnelles. Elle affirme clairement que « le journaliste consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte une information de qualité ; respect et dignité de la personne... ». Il y a toutefois de nos jours, dans le domaine audiovisuel des chroniqueurs qui n'ont pas le statut de journaliste et qui ne sont pas tenus par les termes de la Charte. C'est une circonstance qui permet certaines déviances.

L'éloignement relatif des zones de conflit ne devrait pas réduire la lutte pour le respect de la dignité humaine. Il y a un écart entre l'obligation imposée par le Code pénal [7] de porter assistance à personne en danger, et la passivité dont la plupart des citoyens font preuve devant des situations tragiques qui se déroulent en Ukraine ou en Palestine. On ne peut pas en vouloir à ceux qui adoptent ce comportement, car ils sont de bonne foi, convaincus qu'ils n'ont pas la possibilité d'agir.

Pourtant, des responsables politiques, syndicaux ou associatifs devraient prendre l'initiative d'éveiller les consciences. La Cour européenne des droits de l'Homme rappelle que « l'interdiction de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants est une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine » [8].  Si celle-ci n'est pas consacrée expressément par la Constitution, en revanche, le Conseil constitutionnel comble ce silence [9]. La Charte des droits fondamentaux dispose fermement que « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée » [10].

Sous réserve du respect de l'ordre public, les citoyens peuvent manifester [11] leur indignation de diverses manières face aux situations tragiques diffusées en boucle par les stations de télévision. Il peut s'agir de participer à des défilés sur la voie publique, de signer des pétitions, de publier des articles dans la presse, de diffuser une opinion sur les réseaux sociaux, d'adhérer à des associations ou de soutenir des organisations humanitaires… La principale limite est le respect de la liberté d'autrui comme le prescrit l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1368A9K.

Parmi les principes constitutionnels dégagés par la jurisprudence, le principe de fraternité est associé à « la liberté d'aider autrui dans un but humanitaire » [12], mais en l'espèce, la décision limite ses effets au territoire national. Peut-on sérieusement admettre que ces principes soient cantonnés dans les frontières nationales ? La Cour européenne des droits de l'Homme affirme sans ambages « La répression du crime de génocide est une affaire d'intérêt international » [13].

Conclusion.

Il ne faut pas sous-estimer sa capacité à agir, les résistants durant la Seconde Guerre mondiale ont montré l'exemple, alors que rien ne les prédestinait à mener des actions héroïques. L'idéal humaniste  transcende les catégories sociales, religieuses, politiques, ethniques…, il ne s'agit pas d'enfermer les grands principes dans des textes, il convient à présent de les appliquer !


[1] Article 27 de la Constitution du 27 octobre 1958 N° Lexbase : L0853AH3. La nullité de tout mandat impératif impose le respect de la liberté des membres du Parlement dans l'exercice de leur mandat (Cons. const. décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 N° Lexbase : A32573L9, point 3).

[2] Ass. plén., 25 juillet 2025, n° 24-84.393 N° Lexbase : B8856AZZ.

[3] Cass. crim., 2 septembre 2020, n° 18-84.682 N° Lexbase : A70373SG.

[4] CEDH, 4 avril 2024, Req. 17131/19, Tamazount e.a c/ France N° Lexbase : A459523L, point 84.

[5] CE, 25 mars 1988, n° 65022 N° Lexbase : A7614APP.

[6] CE, 27 janvier 2023, n° 436098, 436099 N° Lexbase : A31739AR.

[7] C. pén., art. 223-6 N° Lexbase : L6224LL4.

[8] CEDH, 25 septembre 2015, Req. 23380/09, Bouyid c/ Belgique N° Lexbase : A8512NPX, § 81.

[9] Cons. const., décision n° 2002-446 DC du 27 juin 2001 N° Lexbase : A6446ATW, JO, 7 juillet 2001, n° 10828 ; Cons. const., décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 N° Lexbase : A8323ACA, JO, 21 janvier 1995, p. 1166.

[10] Article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée lors du Conseil européen de Nice du 7 décembre 2000, JOUE n° C 326/391 du 26 octobre 2012.

[11]  Le droit de manifester est garanti par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH 9 juin 2015, Req. 56395/08 et 58242/08, Özbent e.a c/ Turquie N° Lexbase : A4563NK9, définitif le 9 septembre 2015 § 48). Pour le Conseil d'État, « la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie » (CE, référé, 24 mai 2023, n° 474297 N° Lexbase : A70479WW).

[12] Cons. const., décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, loi pour une immigration maîtrisée) N° Lexbase : A4476X38.

[13] CEDH, 20 octobre 2015, Req. 35343/05, Vasiliauskas c/ Lituanie N° Lexbase : B5554APE, § 78.

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Marchés publics

[Jurisprudence] La production de fausses factures à l'appui d’une offre entache celle-ci d’irrégularité

Réf. : TA Paris, 13 août 2025, n° 2521335 N° Lexbase : B8141BCI

Lecture: 5 min

N2828B37

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par Marie Lhéritier, Avocate au Barreau de Paris

Le 04 Septembre 2025

Mots clés : marchés publics • fausses factures • référé précontractuel • irrégularité • rejet de l'offre


 

Le tribunal administratif de Paris vient de rejeter une requête en référé précontractuel introduite contre la procédure de passation d’un marché portant sur des prestations d’enlèvement des véhicules illicitement stationnés à Paris et leur transfert de préfourrières ou fourrières, au motif que l’offre du requérant méconnaissait la législation en matière pénale, ce qui entachait son offre d’irrégularité [1] rendant ainsi inopérants les moyens soulevés à l’appui de sa requête, à l’exception de celui tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire, lequel n’était en l’espèce pas fondé.

La requérante avait en effet produit à l’appui de son mémoire technique, remis en réponse à la consultation litigieuse, de fausses factures qu’elle produisait à nouveau dans le cadre de l’instance, ce qui a permis à l’attributaire d’en prendre connaissance et de les analyser.

Or, le fournisseur, auteur identifié de ces factures, attestait ne les avoir jamais établies, n’avoir aucune commande en cours pour cette entreprise et déclarait que ces factures avaient été falsifiées sur la base d’un devis établi pour le compte d’une autre entité.

Le juge des référés a justement retenu que la production de ces factures, de façon intentionnelle, à l’appui de son mémoire technique en réponse à la consultation attaquée, caractérisait un faux au sens de l’article 441-4 du Code pénal N° Lexbase : L1812AM3 [2]. Son offre était donc irrégulière et les moyens soulevés par la requérante étaient donc inopérants et rejetés comme tels, à l’exception du moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire en l’occurrence tirée du prétendu caractère anormalement bas de son offre, lequel était en l’espèce infondé [3].

Au vu des très courts délais impartis aux parties pour conclure en référé précontractuel, il est bien rare de réussir à démontrer l’existence d’une fraude commise par la partie adverse. Heureux concours de circonstances, l’attributaire du marché dont la procédure était attaquée rendait justement visite à son fournisseur – qui est le même que celui de la requérante - dans les jours qui ont précédé l’audience et l’a interrogé sur lesdites factures produites par la requérante. Le fournisseur indiquait qu’il n’avait jamais établi les factures produites par la requérante et n’avait même, pour ce client, aucune commande en attente.

Il établissait une attestation en ce sens qui a donc pu être versée au débat et emporter la conviction du juge.

La ville pour sa part, n’avait aucun moyen de détecter, lors de l’analyse des offres, que les factures d’achats de véhicules étaient des fausses. Seul le fournisseur, émetteur des factures était en mesure d’établir leur caractère frauduleux.

Le juge des référés avait toute latitude pour apprécier le caractère probant de cette attestation et déterminer si les factures produites à l’appui de son offre constituaient ou non un faux au sens de l’article au sens de l’article 441-4 du Code pénal. En effet, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, il appartient au juge administratif de se prononcer sur l'exactitude des mentions portées sur un marché public, sans être tenu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de poursuites pénales éventuelles [4]

Il lui était d’autant plus loisible de rejeter la quasi-intégralité des moyens soulevés par la requérante, en raison de leur caractère inopérant que la ville avait démontré leur caractère infondé d’une part, et que la requérante avait déjà sciemment communiqué des informations erronées à l’appui de son offre dans le cadre d’un précédent marché qu’elle avait cette fois remporté, d’autre part.

Elle n’en était donc pas à son coup d’essai.

Dans le cadre du recours en contestation de la validité de ce précédent marché, la cour administrative d’appel de Paris avait ainsi jugé que l'attributaire qui a transmis des renseignements erronés de manière intentionnelle commet une fraude constitutive d'un vice d'une particulière gravité qui entache la validité du contrat [5].

Le Rapporteur public, Monsieur Olivier Rousset, concluant sur cette affaire relevait clairement que la fraude « qu'elle soit révélée en cours de procédure de passation ou après la signature du marché, doit, en effet, permettre à la personne publique, sans qu'elle ait à s'interroger sur les conséquences in concreto d'une pratique qui est condamnable in abstracto, de rejeter l'offre » 

En référé précontractuel cette fois, le même sort est réservé au requérant qui a produit des faux à l’appui de son offre, sur le fondement de la lettre de l’article L. 2152-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L2620LRH qui impose au pouvoir adjudicateur de rejeter une offre qui méconnaît la législation pénale. L’irrégularité de son offre pour ce motif le prive alors de toute possibilité d’invoquer des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence en référé précontractuel à l’exception de du moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire.


[1] Aux termes des articles L. 2152-1 N° Lexbase : L4444LRZ et L. 2152-2 du Code de la commande publique  : « L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».

[2] « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ». 

[3] CE, 1er juin 2023, n° 468930 N° Lexbase : A78509XZ, AJDA, 2023, p. 1034 ; en référé contractuel, voir CE, 27 mai 2020, n° 435982 N° Lexbase : A56523MB.

[4] CE, 2 février 1990, n° 75541 N° Lexbase : A5858AQZ, Lebon, p. 875 ; CE, 29 décembre 2006, n° 264720 N° Lexbase : A3631DTN.

[5] CAA Paris, 29 juillet 2016, n° 15PA02427 N° Lexbase : A7621SBU, AJDA, 2016. 2281.

newsid:492828

Procédure administrative

[Jurisprudence] Harmonisation des règles applicables aux recours administratifs par la prise en compte de la date d’envoi des recours administratifs dits « facultatifs »

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 30 juin 2025, n° 494573, publié au recueil Lebon N° Lexbase : B5628AP7

Lecture: 21 min

N2859B3B

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine

Le 08 Septembre 2025

Mots clés : procédure • délai • interruption du délai • recours administratif préalable obligatoire • voie postale

Dans une décision rendue le 30 juin 2025, la Haute juridiction administrative a dit pour droit que le recours gracieux expédié dans le délai contentieux interrompt celui-ci dès l’envoi, et non dès la réception.


 

Tout requérant dispose, en principe, d’un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication d’une décision administrative pour en contester la légalité par la voie contentieuse [1]. Avant de saisir le juge administratif, il peut, toutefois, exercer un recours administratif dit « facultatif », gracieux ou hiérarchique, qui consiste à demander à l’administration de revenir sur sa propre décision. À la différence du recours administratif préalable obligatoire (RAPO), qui conditionne la recevabilité du recours contentieux dans certains contentieux spécifiques [2], le recours dit « facultatif », gracieux ou hiérarchique, n’est, comme son nom l’indique, pas obligatoire mais il suspend le délai de recours contentieux lorsqu’il est formé dans les délais. Le délai de recours contentieux est alors prorogé par l'exercice de ce recours administratif et ne recommence à courir, à l'égard de la décision initiale, que lorsque ce même recours administratif a été rejeté [3].

Les recours administratifs doivent clairement avoir été formés avant l'expiration du délai de recours contentieux [4] et ils doivent, au surplus, être formés avant la formation du recours contentieux. Un recours administratif formé dans le délai mais après l’introduction du recours contentieux n’augmente pas le délai imparti pour régulariser le recours contentieux irrecevable [5].  Il y avait, au-delà de ces règles et jusqu’à aujourd’hui, une différence majeure entre les régimes juridiques des différents recours administratifs quant à la détermination du moment où un recours était considéré comme formé dans les délais. C’est le principe de la « date d’expédition » ou « date d'envoi » qui s'applique aux RAPO [6] alors que les recours administratifs de droit commun étaient jusqu’alors soumis à la règle de la « date de réception » du recours [7]. C’est cette distinction qui est désormais remise en cause par la décision d’espèce commentée.

Il ressort des faits de l’espèce qu’un bail, concernant une ferme pédagogique accueillant des animaux antérieurement saisis par la justice, a fait l’objet, dans la commune de Rieumes, d’un refus de renouvellement de la part du propriétaire du terrain. La commune a, en conséquence, proposé au titulaire de l’ancien bail, de transférer l’établissement sur une parcelle forestière. Ce dernier a accepté amenant la commune à adopter deux délibérations pour faciliter le nouveau projet. La première, en date du 11 septembre 2018, révise le plan local d’urbanisme (PLU) de la commune pour réduire un espace boisé classé et y créer un secteur de taille et de capacités limitées au sein de la zone naturelle, afin de permettre la réalisation de la ferme pédagogique. La seconde, en date du 8 avril 2019, conclut un bail emphytéotique sur les deux parcelles accueillant la ferme pédagogique. Ce sont ces deux délibérations qui ont fait l’objet de recours contentieux formés devant le tribunal administratif par des membres de l’opposition siégeant au conseil municipal. Les juges du fond ont rejeté les recours [8]. Seul un des requérants se pourvoit en cassation sur les deux délibérations mentionnées.

Sur les trois moyens développés par la requérante, seul l’un d’entre eux amènera à notre commentaire. Ce moyen, c’est celui dirigé contre l’arrêt en ce qu’il a rejeté les conclusions dirigées contre la délibération du 11 septembre 2018 comme étant tardives. Pour les juges d’appel, c’est la participation au vote de la délibération attaquée qui a fait démarrer le délai du recours contentieux. C’est la théorie de la connaissance acquise qui peut se manifester de deux manières. Il peut y avoir connaissance acquise lorsque l’intéressé exerce un recours juridictionnel ou lorsqu’il a, justement, participé à l’adoption de la décision ce qui est le cas en l’espèce. Les membres des assemblées délibérantes sont réputés, selon une jurisprudence très ancienne qui reste inchangée à ce jour, avoir connaissance des décisions adoptées par celles-ci [9]. Il faut que le requérant ait été régulièrement convoqué [10] sans qu’il soit même besoin qu’il ait été présent à la séance [11] ni qu’il ait eu une connaissance suffisante du contenu de l’acte [12]. Les juges d’appel ont, ensuite, constaté que le recours gracieux formé par la requérante contre la délibération avait été formé le 10 novembre 2018 mais reçu en mairie le 13 novembre 2018, soit un jour après l’expiration du délai permettant de proroger les délais de recours contentieux contre la délibération. Son recours contentieux, formé le 27 janvier 2019 devant le tribunal administratif de Toulouse, a donc été jugé tardif par ces mêmes juges d’appel.

En jugeant de la sorte, les juges d’appel ont appliqué la jurisprudence traditionnelle voulant à ce que, d’une part, seuls les recours administratifs formés avant l'expiration du délai de recours contentieux entraînent la prorogation du délai contentieux et voulant, d’autre part, à ce qu’il convient de tenir compte de la date de réception du recours par l’administration pour fixer le point de départ de la prorogation du délai de recours. Le Conseil d’État va pourtant remettre en cause les juges d’appel en opérant ainsi un revirement de jurisprudence et en jugeant que, pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, interrompt valablement le délai de recours contentieux, c’est désormais la date d’expédition ou d’envoi du recours qui doit être prise en compte. Par ce fait, le juge du Palais-Royal poursuit le mouvement de standardisation du calcul des délais de recours autour de la règle nouvelle de la « date d’expédition » ou « date d’envoi » entrepris depuis quelques années maintenant (I) mais il consolide aussi la sécurité juridique et la prévisibilité du droit face aux incertitudes qui pouvaient exister sur l’état du droit antérieur (II).

I. La poursuite d’un mouvement de standardisation du calcul des délais de recours autour de la règle de la « date d’expédition » ou « date d’envoi »

Le revirement de jurisprudence opéré par le Conseil d’État dans l’arrêt d’espèce, et donc l’application aux recours administratifs de la « date d’expédition » ou « date d’envoi », va remédier au même inconvénient pratique que celui qui a, notamment, justifié les revirements récents opérés, dans la même logique, par le juge administratif. Ainsi, si la décision d’espèce vise à mettre surtout fin, par une certaine uniformisation du calcul des délais, à un état de droit précédent source de confusion et d’incertitudes (A), elle s’inscrit, aussi, dans une évolution globale récemment initiée par le Conseil d’État (B).

A. Une décision qui met fin à un état du droit précédent source de confusion et d’incertitudes

La jurisprudence concernant l’appréciation du point de départ du délai de recours administratif a été assez constante concernant la question de la « date de réception » par l’administration. La rigueur de cette jurisprudence était, cependant, atténuée, le cas échéant, par l'appréciation des délais d'acheminement du courrier lorsqu'ils pouvaient être considérés comme anormaux. Lorsque le courrier était posté « en temps utile » pour parvenir à temps à la juridiction, l'irrecevabilité pouvait ne pas être retenue [13]. Mais l'appréciation de cette notion de « temps utile » pouvait donner lieu à certaines hésitations de la part du juge. Ainsi, quand le courrier contenant la requête était, « compte tenu du délai d'acheminement normal », remis « en temps utile » aux services postaux pour parvenir au greffe de la juridiction avant l'expiration du délai de deux mois, aucune forclusion ne pouvait être opposée, même si la requête était enregistrée postérieurement au terme du délai. Mais la jurisprudence variait sur ce point [14]. S'il était généralement admis qu'un envoi l'avant-veille du dernier jour du délai était recevable [15], tel n'était pas toujours le cas [16]. Des « difficultés prévisibles d'acheminement du courrier » [17] tout comme des « circonstances particulières » [18] pouvaient aussi être prises en compte et amener à la forclusion, provoquant là encore une jurisprudence assez disparate dans la mesure où le point de savoir si un retard de quelques jours devait conduire à l'irrecevabilité de la requête était laissé à l'appréciation du juge, au cas par cas, et pouvait conduire à une inégalité de traitement des requérants.

Puis les choses ont commencé à évoluer, progressivement, d’abord sur le plan législatif. Le législateur a, ainsi, par exemple, en matière de réclamations fiscales, rapidement, prévu le principe de la « date d'envoi », cachet de la poste faisant foi, pour apprécier la recevabilité des réclamations présentées par les contribuables [19]. Mais l’élément clé a été la mise en place de l’article 16 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations N° Lexbase : L0420AIE [20], qui a prévu que toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande auprès d'une autorité administrative « peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi postal, le cachet de la poste faisant foi ». Si cette évolution législative a été marquante, elle a, pourtant, été, strictement et rapidement, limitée aux recours administratifs obligatoires s’enserrant dans des délais, la règle ne s'appliquant pas, pour le Conseil d’État, aux recours administratifs préalables lorsqu'ils sont simplement facultatifs puisque ces derniers peuvent être présentés à tout moment [21]. Cette distinction alors affichée par le Conseil d’État étant purement prétorienne puisque la lettre des dispositions de l'article ne permettait nullement de limiter leur application aux demandes obligatoires. Des cours administratives d’appel n’ont d’ailleurs pas appliqué la distinction [22]. Il y avait donc quelques incertitudes et imprécisions dans la jurisprudence du Conseil d’État qui ont justifié le changement d’attitude de la juridiction suprême mais ce changement s’inscrit dans une évolution plus globale de la jurisprudence du Conseil d’État initiée ces dernières années.  

B. Une décision qui s’inscrit dans une évolution récemment initiée par le Conseil d’État

Au-delà de ce qui est fixé par le Conseil d’État, c’est, d’abord, la « date d’expédition » qui prime en procédure civile en matière de notification par lettre recommandée avec accusé de réception. La règle a été fixée par l’article 668 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6845H7N qui prévoit que la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition. L’article 669 du même code précise, quant à lui, que la « date de l’expédition » d’une notification faite par la voie postale est celle qui figure sur le cachet du bureau d’émission [23].  Le législateur a aussi, par exemple et parallèlement, poursuivi, de même, sa démarche entamée en l’an 2000 en retenant la « date d’expédition » ou « date d’envoi » dans le cadre de la demande d’aide juridictionnelle [24]. Le pouvoir réglementaire en a fait de même [25]. Mais l’évolution la plus marquante va venir du juge administratif, lui-même. D’abord par la confirmation très rapide de l’application du principe de la date d'envoi aux recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) [26] où le juge administratif applique justement l’évolution législative du 12 avril 2000 et l’article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1771KNW. Mais c’est aussi le cas dans les confirmations apportées par le juge en matière de réclamation fiscale [27] ou des demandes préalables à la liaison du contentieux indemnitaire [28].

Le Conseil d’État a, aussi, récemment, retenu, dans un arrêt du 13 mai 2024, que la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux, est bien la date d’expédition [29]. Le juge revient, là encore, sur une très ancienne jurisprudence, en application de laquelle était prise en compte la date de réception au greffe de la juridiction, sauf délai postal d’acheminement anormal [30]. Le principe de la « date de réception » ne découlait pas d'un texte et procédait déjà d'un choix prétorien. Pour revenir dessus, le rapporteur public a, notamment, fait valoir comme justification la réforme nouvelle du service postal universel et l'évolution des délais de la plupart des offres de distribution du courrier vers un délai d'acheminement standard de trois jours au lieu d’un jour auparavant [31]. L’extension à trois jours du délai normal réduit le délai effectif du recours d’où le fait de privilégier, aujourd’hui, la « date d’expédition » ou « date d’envoi » et non la « date de réception ». La distribution postale pour le surlendemain étant devenue l'exception, il devenait de plus en plus difficile de suivre les contingences postales. Dans le sillage de cette décision, la cour administrative d’appel de Douai [32], suivie de la cour administrative d’appel de Versailles [33], ont, de même, étendu, toujours de manière prétorienne, cette solution aux recours administratifs non obligatoires.

Confirmant ainsi le mouvement initié depuis quelques années par le Conseil d’État, la décision d’espèce témoigne aussi d’une logique elle aussi développée depuis quelque temps par ce même juge qui est celle d’un renforcement conséquent du principe de sécurité juridique.

II. La consolidation du renforcement, toujours conséquent, du principe de sécurité juridique

Si le principe de sécurité juridique n’est pas toujours en faveur des requérants, il est des hypothèses où c’est le cas. L’uniformisation de l’appréciation ou la standardisation de l’appréciation du point de départ des délais des recours administratifs préalables, dans l’arrêt d’espèce, procède de cet état de fait. Cette action, par sa nature même, est source de sécurisation contentieuse pour les requérants (A). Mais comme tout revirement de jurisprudence, il amène à se poser des questions dans l’articulation de la nouvelle règle avec celles déjà présentes dans le but d’assurer la nouvelle la cohabitation et la nouvelle cohérence d’ensemble (B).  

A. Une standardisation des délais de recours, par nature, outil de sécurisation contentieuse

Le développement du recours pour excès de pouvoir fin XIXème et début XXème siècle s’est accompagné d’une véritable politique jurisprudentielle en matière de délais de recours où la légalité de l’action de l’Administration semblait ainsi l’emporter sur l’exigence de pérennité des actes. Le temps et les mœurs sont, aujourd’hui, centrés sur le principe de sécurité juridique qui est devenu le leitmotiv de la politique jurisprudentielle du Conseil d’État lorsqu’il s’agit de modifier les règles de la procédure administrative contentieuse. Pouvant être définie « par la trilogie clarté, stabilité et prévisibilité du droit » [34], le principe de sécurité juridique est une exigence qui progresse dans l'ordre juridique français depuis plusieurs décennies en réaction à l'accélération et à la complexification des rapports juridiques. Il vise, plus spécifiquement et en premier lieu, à remédier au déficit grandissant de la qualité des normes juridiques, qu’il soit lié à la « malfaçon normative » [35] ou à l'accélération de la production des normes juridiques et à contrebalancer le perfectionnement. Mais il vise aussi et surtout, en second lieu, à pallier le développement continu et exponentiel du principe de légalité sous l’effet des exigences de l’État de droit, un rééquilibrage semblant, aujourd'hui, nécessaire pour protéger la sécurité juridique au sens de stabilité du droit et des situations juridiques. Si l’avènement du principe peut se situer vers la fin des années 1990 [36], de nombreux grands arrêts du Conseil d’État se sont fondés, explicitement [37] comme implicitement [38], sur cette exigence qui était devenue, au préalable, un principe général du droit [39]. Pour une partie de plus en plus nombreuse de la doctrine, cette recherche de sécurité juridique serait allée trop loin, au point de rompre l’équilibre [40] qu’elle entretient avec la base essentielle de tout le contentieux administratif que constitue le principe de légalité.

Les délais de recours, en ce qu’ils sont par nature un outil de sécurisation contentieuse permettant de limiter l’accès au juge, sont au cœur de ce mouvement. Ils font désormais l’objet d’une interprétation rigoureuse qui trouve son paroxysme dans la jurisprudence « Czabaj » [41] créant, de façon purement prétorienne, un délai raisonnable de forclusion d’un an permettant de rendre définitives des décisions qui ne mentionnaient pas ou qui mentionnaient de façon incomplète les voies et délais de recours. Si cette jurisprudence a fait l’objet de nombreuses aggravations successives et qu’elle ne semble pas, d’un prime abord favorable au requérant, le revirement opéré par la décision d’espèce commentée s’inscrit néanmoins dans cette ligne jurisprudentielle. Même si elle est plutôt favorable aux requérants à l’inverse de la jurisprudence « Czabaj », elle va leur permettre désormais de se prévaloir du cachet de la poste pour prouver la recevabilité de leur recours gracieux ou hiérarchique. Ce principe, auparavant réservé aux seuls recours contentieux, est ainsi étendu à tous les recours administratifs préalables. Il y a ainsi et tout simplement des pièges contentieux inutiles pour le requérant qui sont ainsi supprimés. Il aurait été difficilement concevable de maintenir une suite voulant que la demande préalable soit soumise à la règle d’envoi, le caractère prorogatif du recours gracieux ou hiérarchique s’appréciant en fonction de la date de réception et la recevabilité du recours contentieux dépendant de nouveau de sa date d’envoi. La décision d’espèce amène donc une sécurité renforcée, les requérants pouvant désormais prouver la recevabilité de leur recours par le simple cachet de la poste, sans dépendre des délais de réception par l’administration.

B. Une standardisation des délais de recours qui pose question dans l’articulation avec les autres délais de procédure

Le revirement de jurisprudence effectuée par la décision d’espèce, d'application immédiate, peut susciter des interrogations. Elles sont plus ou moins les mêmes que celles mises notamment en avant par les chroniqueurs de l’AJDA sous l’arrêt précédemment cité du 13 mai 2024 [42]. Sans reprendre l’intégralité des questions qu’ils se sont posées, le revirement opéré, tout comme celui du 13 mai 2024, amène à une question d’ordre général qui se pose vis-à-vis de la cohabitation avec les autres délais de procédure. C’est, par exemple, la date d’enregistrement du recours qui est retenu par le juge dans le calcul du délai « Czabaj » quand celui-ci trouve à s’appliquer quand la requête est envoyée par voie postale [43]. Mais comme l’ont montré les chroniqueurs de l’AJDA [44], la perception du délai « Czabaj » a changé. Le délai d’un an est devenu un véritable délai de recours, au même titre que le délai de deux mois de droit commun. Le délai est désormais traité, pour l'essentiel, comme un délai de forclusion classique, il est qualifié expressément comme tel [45] et bénéficie du caractère d’ordre public [46].  De même, alors que la logique initiale de la décision « Czabaj » était plutôt de considérer que le laps de temps d'un an englobait l'exercice de recours administratifs préalables [47], le Conseil d’État a jugé, récemment, que ce délai « Czabaj » pouvait être interrompu par l'exercice d'un recours administratif et que la réponse à celui-ci avait pour effet d'ouvrir un nouveau délai raisonnable de recours [48]. Si un recours administratif facultatif interrompt le délai raisonnable et que sa recevabilité est appréciée désormais à la date d’envoi, il serait logique que la recevabilité du délai raisonnable, lorsque le délai trouve à s’appliquer pour une requête expédiée par voie postale, soit aussi désormais appréciée à la date de l'envoi, par extension de la jurisprudence commentée [49].

Il faut noter, pour terminer, que la date d’enregistrement ou de réception reste la règle en matière de respect des règles classiques de procédure (désistement d’office, régularisation, mise en demeure de produire ou clôture d’instruction). La question se pose du maintien ou pas de ce désormais « îlot de prise en compte du délai d'acheminement »[50]. Deux arguments sont mis en avant par les chroniqueurs : d’abord la « bonne administration de la justice » où « il est opportun que le juge, dans une procédure déjà engagée, dispose d'une référence à sa main pour la conduite de l'instruction, qui contribue à l'efficacité du service public de la justice et donc, indirectement, à la maîtrise des délais de jugement » [51] et le fait que certains délais impartis par le juge peuvent être formulés par référence à une heure précise. Si faire varier les délais entre la date d’envoi et la date de réception « ne serait ni très heureux … selon la formulation de l'acte de procédure ni très logique de traiter les délais expirant à une heure déterminée différemment lorsqu'il s'agit d'un délai de procédure et non d'un délai de recours » [52], plusieurs délais de procédure à la règle de la date d'enregistrement l’ont été sous réserve du délai anormal d'acheminement [53] ce qui pourrait amener à terme à retenir la date d’envoi également en la matière [54].

Au final, l’alignement de toute la procédure administrative non contentieuse sur la procédure contentieuse ou la procédure civile améliore forcément, en l’espèce, la « lisibilité pour le requérant » [55] et, même si le changement de référence retenue «  est assez modeste dans ses implications pratiques pour l'examen du dossier par le juge » [56] et que, ce n'est que, subsidiairement, que le rapporteur, pour apprécier la date de la recevabilité de la requête, se référera au cachet de la poste pour vérifier la date d'envoi, recours administratif compris [57], la solution de la décision d’espèce, tout comme celle du 13 mai 2024, « donnera en pratique quelques jours de plus aux requérants pour exercer leurs recours, et leur permettra de mieux maîtriser la recevabilité de leur requête, alors d'ailleurs que ceux qui exercent leur recours par voie postale devant les juridictions administratives de droit commun ne sont pas les mieux armés pour affronter la complexité procédurale » [58] et c’est peut-être là suffisant à retenir.


[1] CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L4139LUT.

[2] Le RAPO s'applique, notamment, dans les contentieux fiscaux, l’accès aux documents administratifs, l’accès aux professions réglementées, la fonction publique militaire et les recours devant la Commission de recours des militaires ou encore le contentieux des étrangers ou les contentieux sociaux.

[3] CRPA, art. L. 411-2 N° Lexbase : L1885KN7.

[4] CE, Sect., 23 mars 1945, Sieur Vincigerra, Rec. CE, p. 56 ; CE, Sect., 10 juillet 1964, n° 60408, Rec. CE, p. 399.

[5] CAA Lyon, 7 novembre 2006, n° 06LY01394 N° Lexbase : A4372DSQ.

[6] CE, 27 juillet 2005, n° 271916 N° Lexbase : A1498DKP, Rec. CE, p. 355.

[7] CE, 27 mars 1991, n° 114854 N° Lexbase : A9862AQC ; CE 21 mars 2003, n° 240511 N° Lexbase : A711774D, AJDA, 2003, p. 1345, concl. S. Austry ; CAA Marseille, 1er octobre 2009, n° 07MA02698 N° Lexbase : A2877ENU, AJDA, 2009, p. 2294, concl. F. Dieu.

[8] Il y avait, en réalité, trois recours dans la mesure où, en cours d’instance, les requérants ont également sollicité l’annulation d’une précédente délibération de la commune approuvant la révision d’un bail emphytéotique autrefois consenti à une société exploitant un parc d’attractions au sein de la forêt de Rieumes.

[9] CE, 4 août 1905, n° 14220 N° Lexbase : A2989B7T, Rec. CE, p. 749, concl. J. Romieu, RDP, 1906, p. 249, note G. Jèze, S. 1906, 3, p. 49, note M. Hauriou.

[10] CE, 27 septembre 2000, n° 189006, n° 190389 et n° 193119 N° Lexbase : A1822AIC, AJFP, 2001, p. 21, note C. Moniolle.

[11] CE, 24 mai 1995, n° 150360 et n° 153859 N° Lexbase : A4125AN4, Rec. CE, p. 208, BJDU, 1995, p. 291, concl. G. Bachelier.

[12] CE, 27 octobre 1989, n° 70549 N° Lexbase : A2136AQ8.

[13]  CE, 20 février 1970, n° 77021 N° Lexbase : A3559B8C, Rec. CE, p. 130 ; CE, 16 mai 2001, n° 222313, n° 222505 et n° 222506 N° Lexbase : A1201B8Y.

[14] Un appel n’a ainsi pas été jugé tardif alors que le courrier avait été posté le vendredi 1er février et que le dernier jour du délai était le 6 février (CE, 17 décembre 2003, n° 248093 N° Lexbase : A2928DCG) alors, qu’à l'inverse, la requête a été déclarée irrecevable dans le cas où le délai expirait le lundi 5 juillet et que le courrier était posté le samedi 3 juillet en vue d'être adressé à la CAA de Lyon (CE, 25 juin 1999, n° 159413 N° Lexbase : A4462AXK).

[15] CE, 3 juin 1991, n° 61896 N° Lexbase : A0758AIW ; CE, 30 décembre 1998, n° 181762 N° Lexbase : A8729AS4.

[16] CE, 23 mars 2007, n° 299534 N° Lexbase : A1814EEW.

[17] CE, 29 décembre 1993, n° 119626 N° Lexbase : A7795AMN, GP, 1994, n° 91, p. 23, concl. J. Arrighi de Casanova où la requête a été déclarée tardive parce que postée le samedi 23 décembre alors que le délai prenait fin le mardi 26 décembre.

[18] Les fêtes de fin d'année, supposées ralentir le service postal, constituent ainsi des « circonstances particulières » : CE, 29 décembre 1993, n° 119626, préc.

[19] C’est le cas depuis la loi n° 94-126 du 11 février 1994, relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle N° Lexbase : L3026AIW.

[20] L’article 16 de la loi est aujourd’hui codifié à l’article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1771KNW.

[21] CE, 21 mars 2003, n° 240511, préc. ; CE, 27 juillet 2005, n° 271916, préc.

[22] Par ex., CAA Paris, 25 avril 2007, n° 05PA01511 N° Lexbase : A8247DWD.

[23] La règle est admise depuis 1983 en procédure civile : Cass. civ. 2, 5 octobre 1983, n° 82-13.436 N° Lexbase : A2295CG4, Bull. civ. II.

[24] Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles N° Lexbase : L9590MXH, art. 37.

[25] Cf. C. urb., art. R. 600-1 N° Lexbase : L9492LPA en cas de notification d’un recours contre une autorisation d’occupation du sol selon lequel : « La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception ».

[26] CE, 27 juillet 2005, n° 271916, préc..

[27] CE, 30 décembre 2011, n° 336602 N° Lexbase : A8326H8U.

[28] CE, 5 octobre 2015, n° 384884 N° Lexbase : A8962NSQ.

[29] CE, Sect., 13 mai 2024, n° 466541 N° Lexbase : A35805B9, AJDA, 2024, p. 1381, chron. A. Goin et L. Cadin, JCP éd. A, 2024, n° 2305, comm. Q. Ricordel.

[30] S'agissant des requêtes adressées par voie postale, la jurisprudence retenait traditionnellement que le respect des délais de recours était apprécié à la date à laquelle la requête est enregistrée devant la juridiction : CE, 27 février 1885, Elections de Prétin, Rec. CE, p. 252 ; CE, 14 janvier 1910, n° 32699 N° Lexbase : A9861B7D, Rec. CE, p. 24 ; CE, 20 février 1970, n° 77021 N° Lexbase : A3559B8C, Rec. CE, p. 130.

[31] Voir, à ce sujet, les conclusions du rapporteur public Jean-François de Montgolfier et la chronique rédigée sous la décision (A. Gouin et L. Cadin, Double date, AJDA, 2024, p. 1381 et suiv.) auxquelles fait référence le commissaire du Gouvernement Thomas Janicot sous la décision d’espèce.

[32] CAA Douai, 7 juin 2024, n° 23DA00232 N° Lexbase : A93875H7.

[33] CAA Versailles, 1er juillet 2024, n° 21VE03465 N° Lexbase : A43765MZ.

[34] A.-L. Cassard-Valembois, L'exigence de sécurité juridique et l'ordre juridique français : "je t'aime, moi non plus...", Titre VII, n° 5, La sécurité juridique, octobre 2020.

[35] Ibid.

[36] Voir, à ce sujet, D. Labetoulle, Principe de légalité et principe de sécurité, Mélanges Guy Braibant, 1996, Dalloz, p. 403 et suiv.

[37] CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994 N° Lexbase : A6449MIP, Rec. CE, p. 70, AJDA, 2014, p. 425, concl. B. Dacosta, AJDA, 2014, p. 438, note P. Delvolvé.

[38] CE, Ass., 18 mai 2018, n° 414583 N° Lexbase : A4722XN9, Rec. CE, p. 188, RFDA, 2018, p. 649, concl. A. Bretonneau, AJDA, 2018, p. 1206, chron. S. Roussel S. et C. Nicolas.

[39] CE, Ass., 24 mars 2006, n° 288460 N° Lexbase : A7837DNL, Rec. CE, p. 154, RFDA, 2006, p. 463, concl. Y. Aguila Y., AJDA, 2006, p. 1028, chron. C. Landais C. et F. Lenica.

[40] Voir, à ce sujet le dossier Légalité et sécurité juridique : un équilibre rompu ?, AJDA ,2019, p. 108 et suiv.

[41] CE, Ass., 13 juillet 2016, n° 387763 N° Lexbase : A2114RXL, Rec. CE, p. 340, RFDA, 2016, p. 927, concl. O. Henrard O., AJDA, 2016, p. 1629, chron. L. Dutheillet de Lamothe L. et G. Odiner.

[42] A. Goin et L. Cadin, Double date, AJDA 2024, p. 1381 et suiv.

[43] Ibid. Les auteurs citant comme référence à ce titre l’arrêt de section CE, Sect., 31 mars 2017, n° 389842 N° Lexbase : A0457UT4, Rec. CE, p. 105, concl. B. Bohnert.

[44] A. Goin et L. Cadin, Double date, précité.

[45] CE, 10 juillet 2020, n° 430769 N° Lexbase : A29243RQ.

[46] CE, 28 mars 2018, n° 410552 N° Lexbase : A9020XIW.

[47] CE, Sect., 31 mars 2017, n° 389842, préc., où l’exercice du RAPO, en l’espèce et en matière fiscale, a été inclus dans le calcul du délai raisonnable d’un an.

[48] CE, avis, 12 juillet 2023, n° 474865 N° Lexbase : A78321AC, AJDA, 2023, p. 1723, concl. K. Ciavaldini, DA, 2023, comm. n°45, note G. Éveillard.

[49] En ce sens, A. Goin et L. Cadin, Double date, préc.

[50] Ibid.

[51] Ibid.

[52] Ibid.

[53] Il en va ainsi de la production du mémoire complémentaire annoncé par le requérant (CE, 11 décembre 2009, n° 319162 N° Lexbase : A4318EPM) et de la clôture d'instruction (CE, 10 mars 2006, n° 274641 N° Lexbase : A4894DNL).

[54] En ce sens, A. Goin et L. Cadin, Double date, préc.

[55] Ibid.

[56] Ibid.

[57] Comme le soulignent les chroniqueurs de l’AJDA, « la date d'enregistrement ne va pas disparaître […] [la] date d'enregistrement demeurera sans doute la première vérifiée par les rapporteurs pour établir la recevabilité d'une requête ; lorsque qu'elle sera située dans le délai de recours, il ne sera pas nécessaire de se référer à la date d'envoi, nécessairement antérieure. Ce n'est que lorsque la date d'enregistrement est postérieure au dernier jour du délai de recours que le rapporteur devra se référer alors au cachet de la poste pour vérifier la date d'envoi », A. Goin et L. Cadin, Double date, préc.

[58] A. Goin et L. Cadin, Double date, préc.

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