Jurisprudence : TA Melun, du 21-06-2025, n° 2508546

TA Melun, du 21-06-2025, n° 2508546

B0901AMC

Référence

TA Melun, du 21-06-2025, n° 2508546. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/120734976-ta-melun-du-21062025-n-2508546
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Références

Tribunal Administratif de MELUN

N° 2508546


lecture du 21 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 juin 2025, le préfet de Seine-et-Marne demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales🏛, de suspendre la décision révélée par l'apposition du drapeau palestinien sur la façade de la mairie de Mitry-Mory et la décision de la maire de cette commune de ne pas procéder au retrait de ce drapeau.

Il soutient que :

-sa demande est recevable, dès lors que : en premier lieu, la mise en place effective du drapeau palestinien sur la façade de la mairie de Mitry-Mory révèle la décision de la maire de cette commune d'apposer ce drapeau et qu'en l'absence de retrait de celui-ci malgré sa demande expresse en ce sens du 18 juin 2025, la réponse apportée à cette demande le même jour par la maire de Mitry-Mory s'analyse en une décision implicite de refus de retrait ; en deuxième lieu, un préfet peut déférer tous les actes qu'il estime contraires à la légalité, y compris les actes non soumis à l'obligation de transmission au titre du contrôle de légalité ; en dernier lieu, il a par ailleurs déféré les actes en litige au tribunal ;

-les actes en litige sont de nature à porter une atteinte grave au principe de neutralité des services publics ;

-l'urgence à faire cesser l'apposition du drapeau palestinien sur la façade de l'hôtel de ville de Mitry-Mory est constituée, eu égard à l'atteinte portée au principe de neutralité des services publics et au risque de troubles à l'ordre public en cas de réactions d'hostilité à cette apposition dans un climat tendu, lié au conflit au Proche-Orient.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2025, la commune de Mitry-Mory, représentée par la SELARL Gaia, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

-il n'y a aucune urgence à statuer ;

-la requête est " irrecevable ", dès lors que : d'une part, le pavoisement en litige n'est pas au nombre des décisions susceptibles de compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ce que le préfet de Seine-et-Marne ne soutient d'ailleurs pas ; d'autre part, il n'est pas établi que ce pavoisement serait de nature à porter gravement atteinte à la neutralité des services publics, alors qu'une décision de pavoisement prise par une collectivité n'est pas au nombre des décisions susceptibles de justifier l'intervention en urgence du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛, que la pratique du pavoisement des édifices publics n'est pas interdite par principe, qu'eu égard aux liens étroits qu'elle a développés, en particulier, avec le camp de réfugiés palestiniens de Nahr El Bared, elle justifie pleinement de son engagement en faveur de la paix et de la fin immédiate des hostilités dans la bande de Gaza et, enfin, que la décision prise par sa maire n'a causé aucun trouble à l'ordre public justifiant d'en prononcer la suspension en urgence ;

-" sur le fond ", le pavoisement en litige ne méconnaît pas le principe de neutralité des services publics, dès lors que : le préfet de Seine-et-Marne ne précise pas quelle revendication politique ce pavoisement symboliserait ; sa maire a simplement entendu, comme elle l'avait fait en 2022 en faisant orner le parvis de l'hôtel de ville du drapeau ukrainien, exprimer sa solidarité envers une nation victime d'une opération militaire de grande envergure ayant pour conséquence des destructions massives d'infrastructures civiles et le déplacement d'une très large majorité des habitants de Gaza affamés et victimes de ce que les instances internationales qualifient de génocide ; l'initiative de sa maire s'inscrit ainsi directement dans le cadre de l'action internationale qu'elle mène en faveur de la paix et de la solidarité internationale avec le soutien du ministère des affaires étrangères ; elle n'a nullement entendu apporter son soutien au Hamas, qui dispose d'un logo distinct du drapeau national palestinien, ni prendre position contre Israël ; les décisions de pavoisement aux couleurs israéliennes prises par les communes de Nice, d'Antony et de Vanves pour apporter un soutien symbolique aux victimes de l'attaque menée en Israël par le Hamas le 7 octobre 2023 n'ont pas été déférées à un tribunal administratif ; la mesure contestée ne constitue pas une ingérence caractérisée et illégitime dans une affaire relevant de la politique internationale de la France qu'il appartient seul à l'État de conduire, puisqu'elle reste dans l'ordre du symbolique et s'inscrit dans le contexte national de soutien diplomatique à la reconnaissance de l'État palestinien, qui est défendue par le Président de la République et a d'ailleurs donné lieu à un vote de la France d'une résolution en sa faveur à l'Assemblée générale de l'Organisation des nations unies le 9 mai 2024.

Vu :

-la requête n° 2508549 tendant à l'annulation des décisions sont la suspension est demandée ;

-les autres pièces du dossier.

Vu :

-le Constitution, notamment son Préambule ;

-le code général des collectivités territoriales ;

-le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛, désigné M. Zanella, premier conseiller, pour statuer sur les référés présentés sur le fondement des dispositions du livre V du même code.

Les parties ont été régulièrement informées de la date et de l'heure de l'audience publique.

Au cours de cette audience, tenue le 20 juin 2025 à 15h00 en présence de Mme Sistac, greffière d'audience, ont été entendus :

-le rapport de M. Zanella ;

-les observations de Me Regis, représentant la commune de Mitry-Mory, qui a conclu aux mêmes fins que le mémoire en défense, par les mêmes motifs ;

-les observations de la maire de Mitry-Mory, qui, outre le rappel d'éléments figurant dans le mémoire en défense, a déclaré que : le drapeau palestinien est apposé sur la façade de la mairie avec le drapeau français ; sa décision d'apposer ce drapeau sur la façade de la mairie est intervenue dans le contexte particulier du report, annoncé le 13 juin 2025 par le Président de la République, de la conférence pour la reconnaissance d'un État palestinien qui, coprésidée par la France et l'Arabie saoudite, aurait dû commencer le 17 juin 2025 au siège de l'Organisation des nations unies ; elle constitue un signe de soutien à des populations en souffrance ; l'apposition du drapeau palestinien sur la façade de la mairie prendra fin lundi 23 juin 2025 ; l'une de ses fonctions est de cultiver la paix et de lutter contre la haine et le rejet de l'autre ; la commune est jumelée avec quatre villes.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. En vertu du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le représentant de l'État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 du même code qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Aux termes du troisième alinéa du même article, reproduit à l'article L. 554-1 du code de justice administrative🏛 : " Le représentant de l'État peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. " L'avant-dernier alinéa du même article, auquel renvoie l'article L. 554-3 du code de justice administrative🏛, ajoute que : " Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures []. "

2. Il résulte de l'instruction que la maire de Mitry-Mory a publié le 17 juin 2025, sur le site internet de la commune, un communiqué intitulé " L'urgence est à la reconnaissance de l'État de Palestine " qu'elle a conclu par la phrase suivante : " Ainsi, nous pavoiserons la mairie de Mitry-Mory des drapeaux unis de la France et de la Palestine, afin de faire valoir nos valeurs de solidarité et d'humanité ". La requête du préfet de Seine-et-Marne tend à la suspension, sur le fondement des dispositions précitées de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, de la décision de la maire de Mitry-Mory, révélée par la réalisation du pavoisement ainsi annoncé, d'apposer le drapeau palestinien sur la façade de la mairie et de la décision du 18 juin 2025 par laquelle la même autorité doit être regardée comme ayant refusé de retirer le drapeau en cause en répondant sans y faire droit à la demande de retrait dont elle avait été saisie le même jour.

3. L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales est seulement subordonné à la condition que l'acte dont la suspension est demandée par le préfet soit de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, cette condition constituant une condition de fond.

4. D'une part, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, il ne peut être utilement soutenu en défense qu'il n'est pas justifié, en l'espèce, de l'urgence qu'il y aurait à suspendre les décisions en litige.

5. D'autre part, le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'intitulé et du contenu du communiqué du 17 juin 2025 mentionné au point 2, dans lequel il est notamment indiqué que le report, annoncé par le Président de la République le 13 juin 2025, en raison de la survenance du conflit entre Israël et l'Iran, de la conférence pour la reconnaissance d'un État palestinien qui aurait dû avoir lieu le 17 juin 2025 au siège de l'Organisation des nations unies sous la coprésidence de la France et l'Arabie saoudite constitue le symbole de la " négation de l'urgence à prendre des mesures strictes, franches et assumées afin de construire une paix durable au Proche-Orient ", que " l'ouverture d'un nouveau front par Israël ne doit pas empêcher la reconnaissance de l'État de Palestine " et que le nouveau conflit entre Israël et l'Iran ne doit pas détourner de la " lutte contre la politique génocidaire menée par le gouvernement d'extrême droite de Benyamin Netanyahou dans la bande de Gaza depuis octobre 2023 ", que, dans les circonstances de l'espèce, l'apposition du drapeau palestinien sur la façade de la mairie de Mitry-Mory au côté du drapeau français doit être regardée comme symbolisant la revendication d'une opinion politique. Il s'ensuit qu'en prenant les décisions en litige en méconnaissance de la règle rappelée au point 5, la maire de Mitry-Mory a porté gravement atteinte au principe de neutralité des services publics.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre la décision de la maire de Mitry-Mory d'apposer le drapeau palestinien sur la façade de la mairie de cette commune et la décision du 18 juin 2025 par laquelle la même autorité a refusé de retirer ce drapeau.

O R D O N N E :

Article 1er :La décision de la maire de Mitry-Mory d'apposer le drapeau palestinien sur la façade de la mairie de cette commune et la décision du 18 juin 2025 par laquelle la même autorité a refusé de retirer ce drapeau sont suspendues.

Article 2 :La présente ordonnance sera notifiée au préfet de Seine-et-Marne et à la commune de Mitry-Mory.

Fait à Melun, le 21 juin 2025.

Le juge des référés,

P. ZANELLA

La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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