Jurisprudence : TA Besançon, du 26-06-2025, n° 2501261

TA Besançon, du 26-06-2025, n° 2501261

B7699ANH

Référence

TA Besançon, du 26-06-2025, n° 2501261. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/120858358-ta-besancon-du-26062025-n-2501261
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Références

Tribunal Administratif de Besançon

N° 2501261


lecture du 26 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 juin 2025 à 19 heures 24, le préfet du Doubs demande au juge des référés d'ordonner la suspension de la décision de la maire de la commune de Besançon d'installer un drapeau palestinien devant la mairie aux côtés des drapeaux français, européen et ukrainien.

Il soutient que :

- en réponse à sa demande du 23 juin 2025 de retirer le drapeau palestinien, la maire de Besançon a maintenu ledit drapeau et lui a demandé de reconsidérer sa position par courrier du 24 juin 2025 ;

- en tout état de cause, la décision dont il s'agit est révélée par la présence du drapeau en litige sur la façade de l'Hôtel de Ville, depuis le 23 juin 2025 ;

- d'une part, la décision est entachée d'incompétence de son auteur, dès lors qu'en application combinée des dispositions des articles L. 2121-18 et L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales🏛🏛, la décision relève de la compétence du conseil municipal ;

- d'autre part, la décision porte une atteinte grave au principe de neutralité des services publics, en ce que l'affichage d'un drapeau palestinien symbolise un soutien politique à la cause palestinienne, étant précisé que la maire de Besançon ne saurait se prévaloir de la volonté par l'Etat français d'une reconnaissance d'un état palestinien aucune décision en ce sens n'ayant été prise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2025, la commune de Besançon conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que le déféré préfectoral n'est pas fondé dès lors que, d'une part, la décision n'est pas entachée d'incompétence par application de l'article L. 2221-29 du code général des collectivités territoriales🏛 et que, d'autre part, compte tenu notamment du contexte et de la situation en Palestine, du positionnement du Président de la République Française, des valeurs de solidarité et d'humanité que la ville entend porter et du jumelage avec le camp de réfugiés d'Aqabat Jaber en Palestine et avec la ville d'Hadera en Israël, la décision ne porte pas atteinte au principe de neutralité des services publics ; elle précise que le retrait du drapeau litigieux serait un signal qui pourrait mettre en émoi la population bisontine.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête enregistrée le 25 juin 2025 sous le n° 2501262 par laquelle le préfet du Doubs demande l'annulation de la décision attaquée.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 26 juin 2025 à 14 heures en présence de Mme Matusinski, greffière d'audience, Mme C, après avoir remis au représentant du préfet du Doubs le mémoire en défense, a lu son rapport et ont été entendues :

- les observations de M. B, représentant le préfet du Doubs, qui a repris ses écritures ; il a assuré avoir pris connaissance du mémoire en défense de la commune de Besançon, dans le respect du principe du contradictoire ;

- et les observations de Mme A, maire de Besançon, qui a également repris ses écritures, précisant que la recevabilité du déféré préfectoral n'était pas contestée, puis a exposé les motifs de la décision en litige.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. En application du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales🏛, le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Aux termes du troisième alinéa de cet article, reproduit à l'article L. 554-1 du code de justice administrative🏛 : " Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois ". Son cinquième alinéa, repris à l'article L. 554-3 du code de justice administrative🏛, ajoute que " Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. () ".

2. L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales est seulement subordonné à la condition que l'acte dont la suspension est demandée par le préfet soit de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, cette condition constituant une condition de fond.

3. D'une part, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, le représentant de l'Etat n'a pas à justifier de l'urgence qu'il y aurait à suspendre les décisions en litige. D'autre part, le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques.

4. La maire de la commune de Besançon a décidé, le 23 juin 2025 au plus tard, de faire installer sur l'Esplanade des Droits de l'Homme, sur le parvis de la mairie, un drapeau palestinien aux côtés des drapeaux français, européen et ukrainien. Par la présente requête, le préfet du Doubs demande au juge des référés de suspendre l'exécution de cette décision en faisant état, notamment, de l'atteinte grave portée au principe de neutralité des services publics.

5. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales citées au point 1 que le représentant de l'Etat dans le département a la faculté, sur le fondement du troisième alinéa de cet article, d'assortir son recours contre un acte d'une commune qu'il estime contraire à la légalité d'une demande de suspension qui n'est alors subordonnée à aucune condition d'urgence et sur laquelle le juge des référés dispose d'un mois pour statuer. En revanche, il ne peut saisir le juge des référés d'une demande visant à ce qu'il statue, sur le fondement du cinquième alinéa, dans le très bref délai de quarante-huit heures, que pour autant que l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle ou, depuis l'ajout issu de l'article 5 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, invoqué en l'espèce, " à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ".

6. D'autre part, aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905🏛 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ". Pour l'application de ces dispositions, la neutralité de l'administration s'entend non seulement d'un point de vue religieux, mais encore philosophique ou politique.

7. Pour justifier de l'absence de toute atteinte au principe de neutralité, la commune de Besançon fait valoir que la jurisprudence invoquée par le préfet du Doubs n'est pas transposable à la situation d'espèce, le drapeau palestinien n'ayant pas été érigé à la place du drapeau français. Elle fait également valoir que l'absence de reconnaissance d'un Etat palestinien est sans incidence sur l'expression de la solidarité de la commune à l'égard du peuple palestinien. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du courrier adressé par la maire de Besançon au préfet du Doubs le 24 juin 2025, et des observations formulées à l'audience, que la commune se prévaut des propos et déclarations du Président de la République pour estimer que les différentes actions et déclarations prises depuis le début du mandat municipal sont conformes au positionnement du Président de la République et à la position officielle de la France en faveur de la reconnaissance d'un Etat palestinien. Dans le courrier précité du 24 juin 2025, il est notamment rappelé au préfet du Doubs que " 148 membres de l'organisation des Nations-Unies ont reconnu l'Etat de Palestine ". Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, dans les circonstances de l'espèce, l'installation du drapeau palestinien sur l'Esplanade des Droits de l'Homme devant la mairie de Besançon aux côtés des drapeaux français, européen et ukrainien doit être regardée comme symbolisant la revendication d'une opinion politique. Il s'ensuit qu'en prenant les décisions en litige en méconnaissance de la règle rappelée au point 5, la maire de Besançon, qui ne peut utilement se prévaloir des conséquences alléguées d'un retrait dudit drapeau pas plus que de l'absence de difficultés s'agissant de la présence du drapeau ukrainien, a porté gravement atteinte au principe de neutralité des services publics.

8. Il y a, dès lors, lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit au déféré du préfet du Doubs et d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision attaquée.

ORDONNE :

Article 1er : L'exécution de la décision de la maire de la commune de Besançon, prise au plus tard le 23 juin 2025 et confirmée par courrier du lendemain, d'installer un drapeau palestinien sur le fronton de l'Hôtel de Ville de cette commune, est suspendue.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet du Doubs et à la commune de Besançon.

Fait à Besançon le 26 juin 2025.

La présidente,

Juge des référés,

C. C

La République mande et ordonne au préfet du Doubs en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier

No2501261

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