Le Quotidien du 19 août 2025

Le Quotidien

Eoliennes

[Questions à...] Avis de tempête sur l’éolien ? - Questions à Roxane Sageloli, Huglo Lepage Avocats

Réf. : CAA Nancy, 1ère ch., 3 avril 2025, n° 20NC00801 N° Lexbase : A12740LR

Lecture: 6 min

N2155B39

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Le 28 Juillet 2025

Mots clés : éoliennes • environnement • saturation visuelle • énergies renouvelables • espèces protégées

Dans un arrêt rendu le 3 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy, saisie en appel d’une demande d’annulation de l’arrêté du 26 juin 2017 du préfet des Ardennes autorisant l’implantation du parc éolien du Mont des Quatre Faux et de l’arrêté de régularisation du 3 octobre 2023, a annulé les arrêtés du préfet des Ardennes autorisant l’exploitation de soixante-trois éoliennes. Les juges ont notamment argué du dépassement pour les habitants du secteur des seuils d’alerte admis pour apprécier le phénomène de saturation visuelle. Pour apprécier le sens de cette décision mettant un point d’arrêt à la construction du plus grand parc éolien terrestre de France, Lexbase a interrogé Roxane Sageloli, Huglo Lepage Avocats*.


 

Lexbase : Dans sa décision, la CAA a notamment invoqué le phénomène de saturation visuelle. Pouvez-vous nous rappeler ce qu'il recouvre ?

Roxane Sageloli : Selon la jurisprudence du Conseil d’État il convient, pour apprécier l’effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte de l’effet d’encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels, l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration, ce dernier s’entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.

Le juge s’appuie pour ce faire sur les différents indices pris en compte par les services de l’État : indice d’occupation de l’horizon (correspondant à la somme des angles de vision occupés par les éoliennes depuis un point fixe), indice de densité sur les horizons occupés (lié au nombre d'éoliennes rapporté à l'indice d'occupation de l'horizon) et indice d’espace de respiration ou angle de respiration (qui renvoie au plus grand angle de vision sans éolienne), ainsi que sur la topographie des lieux. Il prend également en compte le fait que ni le relief, ni la végétation ne peuvent masquer les éoliennes prévues par le projet. Le Conseil d’État a récemment étendu cette jurisprudence au cas d’instruction concomitante de plusieurs projets.

Le phénomène de saturation visuelle implique que l’on atteigne un degré au-delà duquel la présence des installations dans le paysage s’impose dans tous les champs de vision, entraînant une perte de lisibilité du paysage et une occupation continue de l’horizon.

Lexbase : Couplée à d'autres raisons déjà invoquées comme la préservation d’un paysage présentant une composante immatérielle , ne préfigure-t-elle pas une remise en cause des grands projets éoliens à venir ?

Roxane Sageloli : Cette décision de la CAA de Versailles [1] est précisément celle qui a permis au Conseil d’État, statuant en chambres réunies, de clarifier la manière d’appréhender les atteintes au paysage, en y intégrant une dimension immatérielle prenant en considération sa valeur historique, mémorielle, culturelle et artistique, y compris littéraire [2].

Elle portait toutefois sur un site remarquable classé au titre du code du patrimoine, pour partie au titre des monuments historiques, et dont le classement trouvait expressément son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l’œuvre de Marcel Proust. Les éoliennes projetées auraient été visibles depuis ce site, risquant ainsi d’y porter une atteinte significative, ainsi qu’à l’intérêt paysager et patrimonial du village.

La décision est inédite, en ce qu’elle confère une dimension immatérielle à la protection du paysage. Mais elle est aussi topique. Le degré d’exigence sera sans doute très élevé afin de la voir transposée à d’autres implantations, dont il conviendra d’établir au préalable l’existence d’un paysage emblématique d’un patrimoine historique, mémoriel, culturel et artistique notoire à préserver, auquel le projet risquerait de porter une atteinte significative.

Lexbase : La préservation d'espèces protégées  est-elle une menace supplémentaire pour ces mêmes projets ?

Roxane Sageloli : La préservation des espèces protégées [3] constitue en effet un écueil contentieux majeur pour les projets éoliens. Le cadre juridique issu de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7924K9D, interprété à la lumière de la jurisprudence nationale et européenne impose une obligation de résultat : toute atteinte à une espèce protégée ou à ses habitats est en principe interdite, sauf à bénéficier d’une dérogation.

Celle-ci n’est accordée que lorsque sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur.

La jurisprudence récente montre une exigence accrue, dans l’examen notamment des deux premières conditions (raison impérative d’intérêt public majeur et absence de solution alternative satisfaisante). Pour autant, une dérogation au régime de protection des espèces ne s’impose que si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé, en tenant compte des mesures d’évitement et de réduction proposées.

C’est donc sur cette notion de risque suffisamment caractérisé, appréciée in concreto, et qui n’existe pas dans la jurisprudence européenne que se cristallise dans bien des cas l’enjeu de la préservation des espèces protégées, ainsi que le sort de nombreux projets, subordonnés de fait à une exigence accrue de qualité de l’étude d’impact.

Lexbase : Plus généralement, n'est-ce pas le développement des politiques environnementales qui pourrait se voir sérieusement compromis ?

Roxane Sageloli : Le projet de loi de simplification de la vie économique, déjà en cours d’examen par l’Assemblée nationale puisqu’adopté après engagement de la procédure accélérée, soulève en effet de vives inquiétudes quant à ses effets potentiellement dévastateurs sur les politiques environnementales, et sur les quelques acquis du droit de l’environnement en général.

Sous couvert de simplification normative, plusieurs dispositions visent à alléger les procédures applicables aux projets d’aménagement, sinon à en supprimer les obstacles contentieux, notamment en matière d’autorisation environnementale et d’urbanisme.

Si l’objectif affiché de fluidifier les procédures n’est pas contestable en soi, le fait restreindre le temps d’analyse des projets, d’entraver le rôle des contre-pouvoirs (associations, autorités environnementales, juges), d’amoindrir la qualité des évaluations, voire de les supprimer va dans le sens d'un affaiblissement significatif des garanties environnementales.

La difficulté tient sans doute au fait d’opposer, par principe, le développement des politiques environnementales à l’exigence de sécurité juridique ou à l’objectif de simplification du droit. Alors qu’en réalité, ce sont moins les normes environnementales elles-mêmes que leur articulation, leur lisibilité et la qualité de leur mise en œuvre qui posent difficulté.

Partant, ce n’est tant le développement des politiques environnementales qui se voit compromis que leur crédibilité et leur effectivité. La transition écologique et énergétique ne peut se construire sur l’effacement progressif du droit de l’environnement, qui, on le rappelle, est gouverné par un principe de non-régression. Elle exige au contraire des outils clairs, exigeants et bien articulés, garants d’un juste équilibre entre la protection des milieux et des espèces et le développement des projets.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

[1] CAA Versailles, 2e ch., 11 avril 2022, n° 20VE03265 N° Lexbase : A98217TW.

[2] CE, 5°-6° ch. réunies, 4 octobre 2023, n° 464855, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A20901KM.

[3] Espèces protégées : la justice ordonne l’arrêt du parc éolien d’Aumelas pour quatre mois, Ouest France, 7 avril 2025.

newsid:492155

Fonction publique

[Dépêches] Pas de « transfert » du fonctionnaire vers le privé en cas de risque de prise illégale d’intérêts

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 6 juin 2025, n° 488100, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B3194AGE

Lecture: 2 min

N2561B3A

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par Yann Le Foll

Le 28 Juillet 2025

Le risque de commission du délit de prise illégale d’intérêts empêche qu’un fonctionnaire des renseignements territoriaux chargé de prévenir les risques de troubles à l'ordre public suscités par les matches d'un club de football puisse devenir directeur de la sûreté et de la sécurité de ce club.

Un fonctionnaire de police exerçant au sein d’un service du renseignement territorial ayant demandé sa disponibilité pour convenances personnelles aux fins d’occuper l’emploi de directeur de la sûreté et de la sécurité au sein d’un club de football.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu un avis d’incompatibilité au motif qu’il existait un risque substantiel que l’intéressé commette le délit de prise illégale d’intérêts mentionné à l’article 432-13 du Code pénal N° Lexbase : L6030LCC s’il prenait une participation par travail au sein de cette société.

Pour retenir l’existence d’un tel risque, la HATVP s’est notamment fondée sur la circonstance que, dans le cadre de ses fonctions publiques, l’intéressé était en particulier chargé, en tant que « référent hooliganisme », d’évaluer les risques de troubles à l’ordre public avant les matches organisés par ce club et de proposer des orientations sur les mesures d’encadrement et de périmètres autour des rencontres sportives. 

Or, ces dernières étaient susceptibles d’être utilisées pour l’élaboration des conventions conclues par l’État avec le club en vue du remboursement par ce dernier de certaines dépenses engagées pour les forces de sécurité publique pour le maintien de l’ordre lors de ces rencontres.

La Haute juridiction estime qu’eu égard aux activités exercées par le fonctionnaire, le collège de la HATVP a pu, sans faire une inexacte application de l’article L. 124-12 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L6368MBH, estimer que les fonctions projetées par l’intéressé au sein du club de football en cause l’exposaient au risque de commettre le délit mentionné à l’article 432-13 du Code pénal. Elle a donc pu formuler, par suite, un avis d’incompatibilité avec ses fonctions publiques.

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE, Le contenu des obligations des fonctionnaires dans la fonction publique d'État, La réglementation des allers-retours des fonctionnaires entre le secteur public et le secteur privé, in Droit de la fonction publique (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E99113KB.
  • Lire La reconversion des membres du Gouvernement au risque du « pantouflage » - Questions à Jean-François Kerléo, Professeur de droit public, Université Aix-Marseille, Lexbase Public n° 955, 2023 N° Lexbase : N6390BZP.

 

newsid:492561

Rupture du contrat de travail

[Observations] Nullité de la rupture de la période d’essai discriminatoire à raison de l’état de santé : l’indemnisation n’est pas soumise à un plancher de six mois de salaire

Réf. : Cass. soc., 25 juin 2025, n° 23-17.999, FS-B N° Lexbase : B6274AMC

Lecture: 10 min

N2771B3Z

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par Florian Clouzeau, Avocat, Beside Avocats

Le 29 Juillet 2025

► Par un arrêt du 25 juin 2025, publié au bulletin, la Cour de cassation rappelle que le régime de la rupture de la période d’essai est distinct de celui du licenciement. Ainsi, la nullité d’une rupture d’une période d’essai fondée sur une discrimination à raison de l’état de santé n’entraîne pas l’application de l’article L. 1235-3-1 du Code du travail prévoyant, en cas de nullité du licenciement discriminatoire, l’attribution d’une indemnisation qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Les dommages et intérêts sont donc fixés, en fonction du préjudice démontré par le salarié, lequel est apprécié souverainement par les juges du fond.

Par cet arrêt du 25 juin 2025, la Cour de cassation est saisie d’une situation de nullité d’une rupture de période d’essai notifiée après plusieurs mois d'arrêt maladie laissant supposer l'existence d'une discrimination.

En l’occurrence, une salariée a été embauchée à compter du 16 décembre 2013, en qualité de gestionnaire de sinistre au sein d’un organisme d’assurance. Son contrat de travail prévoyait une période d’essai. La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 13 janvier 2014 au 17 août 2014. Le 22 juillet 2014, alors que son contrat de travail était toujours suspendu, son employeur lui notifiait la rupture de sa période d’essai, qu’elle a ensuite contestée en s’estimant victime d’une discrimination à raison de l’état de santé.

La cour d’appel de Paris [1], saisie de l'affaire, a d’abord rappelé que si la rupture du contrat de travail au cours de la période d’essai est libre, son objectif doit rester, pour l’employeur, « d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience » [2].

Puis, la juridiction d’appel a appliqué le régime probatoire aménagé en matière de discrimination, lequel est rappelé dans l’arrêt commenté. En l’occurrence, elle a notamment retenu que le fait que la rupture de la période d’essai ait été notifiée plus de six mois après le placement en arrêt maladie de la salariée laissait supposer l’existence d’une discrimination. Par conséquent, conformément à l’article L. 1134-1 du Code du travail N° Lexbase : L2681LBW, il appartenait à l’employeur de démontrer que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Or, en l’occurrence, la Société a échoué à apporter une telle preuve. Par conséquent, la Cour a, logiquement, prononcé la nullité de la rupture de la période d’essai.

Cette décision, confirmée par la Cour de cassation, permet donc, en premier lieu, de rappeler que si chaque partie peut rompre le contrat de travail sans justifier d’un motif pendant la période d’essai, cette faculté n’est pas sans limite. En particulier, cette décision ne peut jamais reposer sur un facteur de discrimination, visé à l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY.

Pour autant, il ne faut pas en déduire que la notification d’une rupture de période d’essai au cours d’un arrêt maladie emporte nécessairement son caractère discriminatoire et, par conséquent, la nullité de la mesure. Au contraire, il n’existe aucune interdiction légale spécifique pour un employeur de notifier une telle rupture au cours d’un arrêt maladie, sauf s’il résulte d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle [3]. Les juridictions ont ainsi pu régulièrement valider des ruptures de période d’essai notifiées pendant un arrêt de travail pour maladie [4].

Il reste toutefois cohérent de retenir, comme en l’espèce, que la rupture de période d’essai notifiée alors que le salarié est absent depuis plusieurs mois laisse supposer que la décision de l’employeur ne repose pas sur la stricte appréciation des qualités professionnelles du salarié. Pour autant, l'employeur pourra toujours, même dans cette hypothèse, démontrer que sa décision repose bien sur des carences professionnelles identifiées antérieurement à l’arrêt de travail [5], sans prise en compte de ce dernier.

Sur ce point, la position de la Cour est donc parfaitement classique. L’apport principal de l’arrêt tient donc à la sanction de cette nullité.

La Cour de cassation retient que la nullité, dans ce cas, n’entraîne pas l’attribution d’une indemnisation correspondant, au minimum, au salaire des six derniers mois.

En effet, la demanderesse sollicitait l’application du plancher d’indemnisation prévue dans les cas de licenciements nuls, visés à l’article L. 1235-3-1 du Code du travail, dont le licenciement discriminatoire. Cet article, dans sa version tant actuelle que celle applicable au litige, prévoit une indemnisation « qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ».

Sur ce point, la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a rappelé que l’article L. 1231-1 du Code du travail exclut, pendant la période d’essai, l’application des dispositions du titre III du livre II du Code du travail, notamment celles relatives à la sanction des licenciements irréguliers, abusifs ou nuls.

Il en résulte que la salariée, dont la rupture de la période d’essai est nulle en raison d’une discrimination liée à l’état de santé, ne peut pas revendiquer une indemnisation minimale de six mois de salaire. Les dommages et intérêts sont donc fixés en fonction du préjudice résultant de la rupture, lequel est apprécié souverainement par les juges du fond sur la base des éléments de preuve produits par le demandeur. C’est donc, selon la Cour de cassation, à bon droit que la cour d’appel de Paris a fixé l’indemnisation en dessous de six mois de salaire.

Cette solution est parfaitement logique à la lecture des dispositions de l’article L. 1231-1 du Code du travail. C’est d’ailleurs pour cette même raison que la sanction d’une rupture d’essai abusive n’est pas soumise au barème « Macron » de l’article L. 1235-3 du Code du travail N° Lexbase : L1442LKM [6] ou, règle plus méconnu, qu’il n’est pas possible de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié en période d’essai [7] ou encore de mettre en œuvre le dispositif de présomption de démission.

Il s’agit d’ailleurs d’une confirmation de la position de la Cour de cassation [8] sur le sujet, qui était suivie par les juridictions d’appel [9]. Par conséquent, si l’arrêt commenté a mérité une publication au bulletin, ce n’est pas en raison du principe retenu de l’exclusion du plancher d’indemnisation, mais pour le raisonnement adopté par la Cour.

En effet, la Cour de cassation était invitée à analyser sa position et le droit français en la matière à la lumière du droit européen.

Plus précisément, le plaideur proposait de manière ingénieuse de soumettre cette exclusion de toute indemnisation minimale, à la lumière des dispositions de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 N° Lexbase : L3822AU4.

En effet, cette directive « a pour objet d'établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, l'handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité de traitement » [10].

Si cette directive ne fixe pas précisément une indemnisation minimale (puisque tel n’est pas son objet), elle prévoit néanmoins que « les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues qui peuvent comprendre le versement d'indemnité à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».

Selon le moyen soumis à la Cour de cassation, le droit français, appliqué à la lumière de cette disposition, devait retenir une indemnisation à hauteur, au minimum, de six mois de salaire, puisqu’à défaut, cela aurait « pour effet d’assimiler la rupture discriminatoire à une simple rupture abusive, en ne l’assortissant pas d’une sanction plus sévère ».

La Cour de cassation rejette le moyen, mais sans véritablement répondre à la question de fond soulevée. En effet, elle se limite à indiquer que la directive invoquée n’est « pas applicable en cas de discrimination en raison de l'état de santé ». Et pour cause, il ne s’agit pas d’un des facteurs de discrimination visés par le texte.

Le constat est étonnant puisque la discrimination à raison de l’état de santé est un des facteurs de discrimination les plus souvent débattus devant les juridictions. Néanmoins, il est indiscutable : si la directive vise le handicap, elle ne vise pas l’état de santé de manière générale. Par conséquent, la mobilisation de cette directive était inopérante dans le cadre du litige soumis à la Cour de cassation.

Le raisonnement de la Haute Cour n’est donc guère discutable. Cela étant, il soulève une nouvelle question : qu’en serait-il pour une nullité fondée sur un des cas de discrimination visés par la directive (religion, convictions, handicap, âge ou orientation sexuelle) ? La question reste en suspens. Néanmoins, la publication au bulletin de cet arrêt peut être comprise comme un avertissement sur la future position de la Cour sur le sujet.

En tout état de cause, si l’application du droit européen a été exclue sur ce fondement dans la présente espèce, il pourrait trouver application sur un autre terrain. En effet, ce dernier impose aux Etats d’assurer aux parties un délai raisonnable de jugement [11]. Or, il faut relever que, dans cette espèce, pour une rupture de période d’essai notifiée le 18 août 2014, la salariée aura dû attendre près de dix ans pour obtenir une décision d’appel (30 mars 2023), devenue définitive encore plus tardivement après l’arrêt commenté (25 juin 2025). Situation bien peu acceptable qui tend toutefois à devenir la norme devant certaines cours d’appel.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : La période d’essaiLa rupture fondée sur des motifs discriminatoiresin Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E8561YYQ.

[1] CA Paris, 6-8, 30 mars 2023, n° 18/00623 N° Lexbase : A48899MZ.

[2] C. trav., art. L. 1221-20 N° Lexbase : L9174IAZ.

[3] Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-44.325, publié N° Lexbase : A1687DCH.

[4] Pour des exemples récents : CA Paris, 6-8, 20 février 2025, n° 23/03165 N° Lexbase : A11590K7 ; CA Amiens, 13 février 2025, n° 24/00465 N° Lexbase : A83800LX ; CA Nîmes, 15 octobre 2024, n° 22/01974 N° Lexbase : A31796BD.

[5] En ce sens : CA Amiens, 20 avril 2016, n° 14/03089 N° Lexbase : A1576RKL ; Cass. soc., 4 avril 2012, n° 10-23.876, F-D N° Lexbase : A1263IIM.

[6] Pour des exemples récents : CA Douai, 31 janvier 2025, n° 23/00134 N° Lexbase : B7892AAK ; CA Orléans, 23 janvier 2024, n° 22/00463 N° Lexbase : A24192H3.

[7] En ce sens : CA Aix-en-Provence, 22 novembre 2024, n° 21/13922 N° Lexbase : A71966KQ.

[8] Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 16-26.333, FS-P+B N° Lexbase : A7877X4I ; Cass. soc., 9 janvier 2019, n° 17-31.754, F-D N° Lexbase : A9805YSX.

[9] Pour des exemples récents : CA Grenoble, 13 février 2025, n° 22/04503 N° Lexbase : A13390KS ; CA Douai, 31 janvier 2025, n° 23/00134 N° Lexbase : B7892AAK ; CA Aix-en-Provence, 7 décembre 2023, n° 21/07159 N° Lexbase : A378918T ; CA Angers, 14 décembre 2023, n° 21/00263 N° Lexbase : A08662AC.

[10] Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 N° Lexbase : L3822AU4, art. 1er.

[11] CEDH, 28 novembre 2000, Req. 38398/97, Leclercq c/ France N° Lexbase : A7246AWB

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