Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Droit des biens

[Chronique] De la juridiction compétente pour réglementer l’indivision

Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. B, 6 septembre 2022, n° 20/03708 N° Lexbase : A35458I7

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par Xavier Baki-Mignot

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : indivision • jouissance • règlement • président • compétence • procédure accélérée


 

Dans la vie paisible du droit des biens, l’indivision pourvoit encore à quelques commotions stimulantes, tant il est vrai qu’on n’a pas fini de tirer toutes les conséquences de sa supposée inflexion ontologique, dont elle serait sortie réhabilitée depuis 1976 comme mode de jouissance à part entière des choses.

Divers ouvrages empiétaient ici sur une cour indivise pour la seule jouissance d’un communiste. La cour d’appel de Lyon ordonne la démolition et indemnise les quelques années d’accaparement privatif. Sur cette trame de fond des plus classique, les plaignants, pour prévenir toute nouvelle difficulté, avaient cependant imaginé de greffer une autre demande, tendant à ce que l’usage de la cour fût judiciairement réglementé. Le tribunal de Bourg-en-Bresse s’estime incompétent de ce chef. Mais la cour d’appel de Lyon en juge autrement et, infirmant la décision entreprise, accepte de réglementer l’indivision.

La loi, il faut en convenir, est ambiguë. Après avoir énoncé que le droit de chaque indivisaire doit se concilier avec celui des autres, l’article 815-9 du Code civil N° Lexbase : L9938HNE dispose qu’« à défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal. » La cour de Lyon, qui ne méconnaît pas ce texte, estime qu’il « ne réserve toutefois pas au président du tribunal une compétence exclusive. »

On peut considérer en effet que le « président du tribunal » visé par le Code civil n’est autre que le juge des référés. Aussi bien c’est ce que la doctrine avait parfois enseigné [1], et c’est ce que peut suggérer à première vue le caractère « provisoire » de ce règlement. Dans cette hypothèse, le tribunal statuant en formation collégiale serait indiscutablement compétent à un tout autre niveau, comme juge du fond. Mais la Cour de cassation a repoussé ce système dans un arrêt important du 20 mai 2009, qui veut que le président de l’article 815-9 statue, non en référé, mais au fond, en la forme des référés [2]. Et la réforme de 2019, créant pour succéder à la « forme des référés » la nouvelle « procédure accélérée au fond », a expressément confirmé cette jurisprudence [3].

Mais alors, si le président du tribunal est juge du fond, la compétence du tribunal lui-même ne peut s’expliquer, dans l’esprit des magistrats lyonnais, que par une option de compétence au fond, à l’intérieur d’une même juridiction. Cette solution, disons-le, peine à convaincre.

Elle ne peut guère d’abord s’autoriser de la jurisprudence. Le quai de l’Horloge, à propos d’une autre procédure présidentielle en la forme des référés, a eu l’occasion de réserver très clairement la compétence « au seul président du tribunal » [4]. En doctrine, on professe plus généralement que « la juridiction qui statue selon la procédure accélérée au fond est exclusivement compétente pour connaître du contentieux qui lui est attribué » [5].

Il est facile de voir en effet à quelles conséquences indésirables conduirait cette étrange concurrence des compétences, que la cour d’appel de Lyon a cru devoir consacrer ici dans l’intention bien sensible et louable de liquider définitivement le litige.

Si les deux organes, président et tribunal, sont saisis en même temps, la même affaire sera en effet instruite deux fois, en double. Et ceci en pure perte pour la justice, car l’un des deux, le plus lent, se verra à la fin empêché de statuer par l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de l’autre, à moins que, pis, on n’ait pas eu le temps de soulever la fin de non-recevoir [6] : alors on risque, purement et simplement, la contrariété de jugements.

On pourrait bien imaginer, pour éviter de faire travailler les tribunaux à vide, de faire jouer l’exception de litispendance qui n’a d’ailleurs pas d’autre raison d’être [7]. Mais dans ce cas le président risque d’être sacrifié. En effet, si le tribunal a été saisi en premier par quelque indivisaire (peut-être animé d’intentions dilatoires), le président, saisi en second, n’aura d’autre choix, conformément aux règles de la litispendance, que de se dessaisir de l’affaire. Et alors on aura entièrement manqué l’objectif du législateur, qui a voulu que l’indivision fût réglementée par une procédure rapide, sans les conditions propres au référé [8]. Procédure rapide, au risque sans doute qu’on ne juge à l’emporte-pièce : mais la loi n’en a cure, car l’indivision demeure conçue, aujourd’hui comme en 1804, comme l’antichambre du partage. Celui-ci effacera bientôt s’il le faut les défauts du règlement qui ne mérite certes pas qu’on secoue pour lui ciel et terre. Telle est la raison simple pour laquelle ce règlement présidentiel est dit « provisoire » [9]. Ses jours sont comptés, et rien ne sert de pouponner un condamné à mort.

On voit que la solution des juges lyonnais, apparemment inoffensive et même opportune à l’échelle de l’affaire, se montre pernicieuse quand on en révèle toutes les conséquences possibles à l’état latent. Le juge, les yeux rivés sur l’espèce, n’est guère en position de s’élever à l’abstraction, et c’est l’une des raisons décisives pour lesquelles la jurisprudence ne saurait être une source de droit.

 

[1] V. les références citées par N. Cayrol, Rép. pr. civ., Dalloz, vo Référé civil, 2021, n° 31.

[2] Cass. civ. 1, 20 mai 2009, n° 07-21.679, n° 08-10.413, FS-P+B N° Lexbase : A1859EHC.

[4] Cass. com., 30 novembre 2004, n° 03-15.278, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1324DER, sur C. civ., art. 1843-4 N° Lexbase : L1737LRR prévoyant que l’action en évaluation de droits sociaux est portée devant le président du tribunal ; adde P. Pisoni, Rev. sociétés, 2018.249, estimant que cela exclut le tribunal en formation collégiale, le président « étant un organe distinct du tribunal lui-même ».

[5] Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP G, 2019, doctr. 928, n° 7.

[9] En ce sens, P. Chauvin, N. Auroy, C. Creton, D., 2009.2058.

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