Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Autorité parentale

[Chronique] PMA par un couple de femmes et consentement forcé à l’adoption : première application de l’article 9, de la loi du 21 février 2022

Réf. : CA Lyon, 2e ch. B, 9 juin 2022, n° 21/09303 N° Lexbase : A427077B

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N6319BZ3

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[Chronique] PMA par un couple de femmes et consentement forcé à l’adoption : première application de l’article 9, de la loi du 21 février 2022. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/98308386-chronique-pma-par-un-couple-de-femmes-et-consentement-force-a-ladoption-premiere-application-de-lart
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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : intérêt de l’enfant • adoption • procréation médicalement assistée


 

L’adoption requiert en principe le consentement du parent à l’égard duquel la filiation est déjà établie, mais il est des situations qui justifient que ce consentement soit forcé et l’adoption prononcée. Par sa récente loi modifiant l’adoption, le législateur consacre expressément un tel pouvoir au profit du juge lorsque l’intérêt de l’enfant le justifie : l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, rendu le 9 juin 2022, en constitue l’une des premières applications.

En l’espèce, un enfant naît en 2018 par procréation médicalement assistée (PMA) réalisée en Belgique dans le cadre d’un projet parental entre la mère ayant accouché et son épouse. En 2019, la première – reconnue seule mère de l’enfant juridiquement – consentit dans un premier temps à l’adoption plénière de l’enfant par la seconde, pour finalement se rétracter un mois après à la suite de la séparation du couple. L’ex-conjointe de la mère saisit alors la justice afin que soit ordonnée cette adoption sur le fondement de l’article 348-6 du Code civil N° Lexbase : L5155MEN, mais elle se heurta à un rejet de ses prétentions, le tribunal considérant que le refus opéré par la mère n’était pas abusif au sens de la disposition précitée et ne pouvait dès lors justifier le prononcé de l’adoption. En effet, il se fonda sur le comportement de la requérante et en particulier de son incapacité à prendre soin de l’enfant au regard des soins particuliers que son état de santé nécessitait à sa naissance et de la poursuite de son seul intérêt.

L’ex-compagne de la mère biologique interjeta appel de la décision, estimant que le refus opposé par celle-ci n’était pas légitime, mais constituait « une mesure vindicative à la suite de leur séparation », et démontrant l’intérêt qu’elle portait à l’enfant ainsi que la nécessité de lui reconnaître un lien de filiation à son égard. Surtout, elle invoqua deux réformes récentes en droit de la famille : la loi bioéthique du 2 août 2021 N° Lexbase : L4001L7C dont les dispositions transitoires autorisent à l’égard d’un enfant né d’une PMA avant son entrée en vigueur la réalisation d’une reconnaissance conjointe après sa naissance afin d’établir la filiation à l’égard des deux femmes à l’origine du projet parental (art. 6, IV N° Lexbase : Z86083TH), et la loi portant réforme de l’adoption du 21 février 2022 N° Lexbase : L4154MBH permettant – temporairement jusqu’à trois ans après sa promulgation – au juge de passer outre le refus de consentement de la mère légale pour prononcer l’adoption à l’égard du tiers ayant participé au projet parental lorsque l’enfant est né d’une PMA réalisée à l’étranger (art. 9 N° Lexbase : Z99350TX)

La mère ayant accouché réfuta tout désintérêt de sa part au sens de l’article 348-6 du Code civil N° Lexbase : L5155MEN et rejeta la conformité du prononcé de l’adoption requise avec l’intérêt supérieur de l’enfant au regard notamment de l’instabilité psychologique de la requérante.

Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Lyon infirme dans son arrêt du 9 juin 2022 le jugement de première instance et prononce l’adoption plénière par la requérante à la lumière de l’intérêt de l’enfant. Bien qu’elle estime que le refus de la mère légale était abusif, elle rejette tout désintérêt de l’enfant « au risque d’en compromettre la santé ou la moralité » : ces conditions étant cumulatives, l’article 348-6 du Code civil ne saurait trouver à s’appliquer. En réalité, la cour se fonde sur l’article 9 de la loi de réforme de l’adoption, soulignant que chacune des conditions d’applicabilité prévues par le texte est remplie – la preuve d’un projet parental commun et la réalisation d’une AMP à l’étranger avant la publication de la loi – et que le critère de la contrariété avec l’intérêt de l’enfant du refus de reconnaissance conjointe opposée par la mère biologique est également caractérisé. Elle souligne à cet effet l’affection portée par la requérante à l’enfant et la nécessité de ce dernier de se voir reconnaître un lien de filiation avec les deux personnes ayant porté le projet parental. À ce titre, elle motive spécialement sa décision conformément aux exigences de la loi.

Cet arrêt constitue l’une des premières applications de cette disposition de la loi du 21 février 2022 et s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure qui a admis, par le biais d’une interprétation extensive de l’article 348-6 du Code civil, le prononcé de l’adoption plénière par la compagne de la mère biologique sur le seul fondement de l’intérêt de l’enfant, malgré l’opposition (TGI Lille, 14 octobre 2019, n° 19/1037, AJ Fam., 2020, p. 248, obs. F. Berdeaux) ou la rétractation du consentement par cette dernière (TGI Pontoise, 24 novembre 2020, N° 19/01979, AJ Fam., 2020, p. 182, obs. L. Brunet). Un tel raisonnement semble pourtant difficilement cohérent avec la lettre de l’article qui exige de prouver un désintérêt de la part du parent à l’égard de l’enfant. Fondées sur le « vide juridique qui a pour conséquence de laisser l’établissement de la filiation de cet enfant à l’égard de sa mère d’intention au bon vouloir unilatéral de sa mère » (TGI Pontoise, préc.), ces décisions ont pu être interprétées comme une application anticipée des nouveautés à venir (L. Brunet, préc.) et le prononcé d’une adoption plénière sur le seul fondement de l’intérêt de l’enfant a d’ailleurs été approuvé par la Cour de cassation elle-même (Cass. civ. 1, 3 novembre 2021, n° 20-16.745, F-D N° Lexbase : A06747BL) même si la mère légale avait en l’espèce effectivement donné son consentement pour ne s’opposer qu’ultérieurement à l’adoption.

Dès lors, il convient de souligner la rigueur juridique de l’arrêt en ce qu’il exclut spécifiquement l’application de l’article 348-6 du Code civil à défaut de caractériser un désintérêt pour l’enfant de la part du parent légal. Reste à déterminer si les autres juridictions du fond suivront, sous l’impulsion de la possibilité qui leur est désormais offerte de mobiliser la loi sur l’adoption.

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