Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Sociétés

[Chronique] Le gérant associé unique d’une EURL n’engage sa responsabilité qu’en cas de faute séparable de ses fonctions

Réf. : CA Lyon, 23 février 2023, n° 22/00880 N° Lexbase : A99419EW

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par Brune-Laure Dugourd, Doctorante, ATER, Université Jean Moulin Lyon 3

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Responsabilité personnelle du dirigeant • personnalité morale • faute séparable des fonctions • EURL • assurance décennale


 

L’engagement de la responsabilité civile personnelle des dirigeants de société est une source intarissable de contentieux. À cet égard, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date 9 mai 2023 fait figure de cas d’école.

En l’espèce, un incendie était survenu dans une pizzeria après la réalisation de travaux d’évacuation du four. Le rapport d’expertise révélait que cet incendie était imputable à l’EURL auteur des travaux. Le locataire des locaux assigna en justice son assureur, qui appela en cause l’EURL et son gérant à titre personnel. Confirmant le jugement de première instance, la cour d’appel retient la responsabilité de l’EURL mais rejette la responsabilité civile personnelle de son gérant.

Elle commence par affirmer que la mauvaise exécution des travaux n’est imputable qu’à la société qui les a réalisés. La responsabilité personnelle du gérant ne peut donc pas être engagée sur ce point. Ce faisant, la cour d’appel rappelle l’écran constitué par la personnalité morale de l’EURL. En effet, la circonstance qu’il s’agisse d’une société unipersonnelle dont le gérant est l’associé unique et qu’elle n’emploie pas de salarié est indifférente. Elle n’est pas de nature à percer l’écran de la personne morale et à confondre le gérant avec la société.

La cour d’appel explique ensuite que la responsabilité personnelle du gérant ne peut être engagée que s’il commet une faute séparable de ses fonctions, conformément à l’article L. 223-22 du Code de commerce N° Lexbase : L5847AIE. Cette dernière se définit comme une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales [1]. En l’espèce, il était reproché au gérant de ne pas avoir vérifié si la société était assurée pour la fourniture et la pose d'un conduit de cheminée et par conséquent, de ne pas avoir souscrit la garantie adaptée. Il lui était également reproché d’avoir accepté d’exécuter la prestation sans avoir les qualifications professionnelles requises. La cour d’appel considère alors que ces deux fautes ne peuvent être qualifiées de fautes détachables des fonctions. La solution pourrait surprendre concernant la première faute. En effet, la jurisprudence engage classiquement la responsabilité personnelle du dirigeant de société de construction qui exécute un chantier sans avoir souscrit d’assurance décennale, ce dernier commettant une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle et séparable comme telle de ses fonctions sociales [2]. En réalité, les faits soumis à l’appréciation des juges du fond sont légèrement différents dans la mesure où l’EURL était assurée au titre de la responsabilité décennale pour les travaux de serrurerie métallerie et pensait être garantie pour l'intégralité des travaux réalisés à cette dominante. La faute du gérant n’était donc pas intentionnelle, excluant l’engagement de sa responsabilité personnelle. À cet égard, il n’est pas certain qu’invoquer la faute pénale du dirigeant aurait facilité la caractérisation de la faute détachable des fonctions. L’élément matériel de l’infraction est bien constitué puisque l’absence d’assurance de responsabilité décennale au moment de l’ouverture du chantier peut être due à un défaut total de souscription de l’assurance ou à la réalisation de travaux n’entrant pas dans le secteur d’activité professionnelle déclarée par l’assuré [3]. En l’espèce, la cour d’appel relève que les travaux d’installation d’un conduit d’évacuation des fumées du four à pizza constituent une activité de fumisterie et non de serrurerie métallerie. En revanche, la constitution de l’élément intentionnel de l’infraction est plus difficile à établir [4]. En qualité de professionnel, le gérant ne peut ignorer devoir souscrire une nouvelle assurance pour les travaux n’entrant pas directement dans le champ de son activité. Cependant, la fabrication du conduit en tôle inox pouvait laisser penser qu’elle entrait dans le champ d’activité couvert, et partant empêcher la constitution de l’infraction.

Bien que classique, la solution illustre parfaitement l’intérêt patrimonial des sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée. Sauf faute séparable des fonctions du gérant ou faute séparable de la qualité d’associé, la société est la seule responsable des fautes commises. Le patrimoine personnel du gérant et de l’associé sont donc protégés. Dès lors, en cas d’insolvabilité de la société, le seul espoir pour la victime est alors de voir le gérant condamné, au titre d’une faute de gestion, à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif, sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce N° Lexbase : L3704MBS ou d’espérer une harmonisation de la jurisprudence en faveur de la position de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui ne soumet pas la responsabilité civile personnelle du dirigeant à l’existence d’une faute séparable de ses fonctions, et ce même en l’absence d’infraction pénale [5].

 

[1] Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, publié au bulletin N° Lexbase : A1619B9T : Bull., 2003, IV, n° 84, p. 94.

[2] Cass. com. 28 septembre 2010, n° 09-66.255, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5417GAU : Bull., 2010, IV, n° 146 ; Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-15.326, FS-P+B N° Lexbase : A1663Q7Q : Bull., 2016, n° 846, III, n° 1076 ; Cass. civ. 3, 7 juin 2018, n° 16-27.680, FS-P+B+I N° Lexbase : A4487XQA : Bull., 2018, III, n° 60.

[3] Sur la limitation de l’assurance au secteur d’activité déclaré, v. not. : Cass. civ. 3, 22 novembre 2018, n° 17-23.334, F-D N° Lexbase : A0005YNI.

[4] Sur sa nécessité, v. not. : Cass. crim., 18 novembre 2008, n° 08-83542, inédit au bulletin [en ligne].

[5] Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-83.961, FP-D N° Lexbase : A4619XKB, n° 16-83.984, FP-P+B N° Lexbase : A4581XKU, n° 16-87.669, FP-P+B N° Lexbase : A4477XKZ : Bull. crim., 2018, n° 67.

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