Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Covid-19

[Doctrine] Le « quoi qu’il en coûte » à la française. Mobiliser la protection sociale pour faire face au Sars-Cov-2

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par Morane Keim-Bagot, Professeur de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Strasbourg, UM Dres 7354

le 26 Juillet 2023

Le 12 mars 2020, le Président Macron prononçait une allocution [1] dans laquelle il affirmait : « le Gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte. Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu’il en coûte. L’ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l’activité, puis de relance. Quoi qu’il en coûte [2]. »

Dès le départ, cela transparaît dans les termes de l’adresse aux Français, les finalités affichées sont plurielles et font immédiatement pressentir une volonté d’action globale de lutte contre les conséquences sociales économiques et sanitaires de la crise [3]. Ce « quoi qu’il en coûte », annoncé de manière relativement vague, il faut l’admettre, au début de la crise, s’est par la suite développé en plusieurs volets disparates, qui ont pour point commun une hausse considérable des dépenses publiques.

Au premier rang de ces dépenses, l’on retrouve logiquement celle de l’assurance maladie. Par « effet ciseau » [4], malgré l’ampleur des dépenses, les recettes ont été contractées pour ne pas en faire peser le coût sur les individus et les entreprises. Aux côtés des organismes de Sécurité sociale appelés à une réactivité sans précédent, l’État a également engagé de nombreuses et conséquentes sommes à travers d’autres mécanismes, notamment le financement de l’activité partielle dispensée par l’Unédic (assurance chômage).

Aussi, force est de constater que, dans la tempête, les mécanismes de protection sociale ont fait office de remparts [5]. Ainsi, la crise sanitaire a montré le rôle central d’un modèle de protection sociale qui se donne l’ambition et les moyens d’offrir à tous les résidents sur son territoire un accès au système de soins, qui entend maintenir les revenus de la plus large part de la population et maintenir l’activité économique [6]. La protection sociale apparaît ainsi comme l’institution centrale de « l’interdépendance collective ». En conséquence, mais c’était hautement prévisible, nous assistons aujourd’hui à une explosion de la dette sociale [7] soumise à de nombreuses critiques quant aux aides versées aux entreprises dont seules les plus grandes d’entre elles semblent en sortir indemnes [8].

Il ne s’agira pas dans cette présentation, à grands traits [9], d’étudier des mécanismes des finances publiques, mais bien de tenter de présenter succinctement comment la protection sociale a pris une place centrale dans la lutte contre la crise. Il s’agira encore de montrer comment cet épisode est représentatif des mouvements idéologiques, le plus souvent caricaturés à l’envi, qui secouent les équilibres mêmes de notre système de Sécurité sociale, entre solidarité et universalité et comment il met en lumière la place de plus en plus importante prise par l’État dans les assurances sociales.

En somme, la crise sanitaire et ses réponses par la protection sociale révèlent à la fois l’extraordinaire réactivité des mécanismes de protection sociale pour faire face à une crise dans une situation d’urgence, mais également les importantes tensions qui secouent la Sécurité sociale et l’assurance chômage dans leur avancée à tâtons vers une universalité à ce jour non atteinte.

Après un bref retour sur les différents instruments mobilisés au sein de la protection sociale française pendant la crise, au-delà de la seule Sécurité sociale (I), il sera utile de revenir sur une autre question : qui paye le quoi qu’il en coûte ? Cette question révèle le phénomène de fiscalisation voire de financiarisation des ressources du système qui le font basculer en son économie de la solidarité socioprofessionnelle vers la solidarité nationale et l’universalité. Ce mouvement financier et idéologique transfère l’imputation des coûts et donc des risques sur l’ensemble des citoyens de la nation et n’est pas neutre de conséquences (II).

I. La protection sociale, rempart contre la crise

Comment la protection sociale a-t-elle été mobilisée pour la mise en œuvre du « quoi qu’il en coûte » [10] ? C’est d’abord l’assurance maladie qui a été lourdement sollicitée puis rapidement l’assurance chômage [11].

Au sein de la Sécurité sociale, il est à noter néanmoins, de manière plus marginale, que la branche famille a été mobilisée pour couvrir de nouvelles situations de précarité et que la branche recouvrement s’est consacrée à la gestion des reports de paiement des cotisations ou d’aides aux entreprises [12] (gel des cotisations sociales, indemnités journalières Covid) [13]. Ces différentes solutions ont été soutenues par des financements très importants de l’État qui s’est imposé pour l’occasion comme un véritable acteur de la protection sociale ce qui pourrait être analysé comme rompant considérablement avec la tradition française.

A. Mobiliser l’assurance maladie

Les interventions de l’Assurance maladie ont été considérablement renforcées. Elles ont pris des formes multiples et il ne convient pas de revenir sur chacune d’entre elles, ce qui ne présenterait d’autre intérêt que de réaliser un catalogue. À nouveau, nombreux sont les articles parus sur la question qui pourraient utilement être consultés.

L’on peut néanmoins citer certains des instruments les plus significatifs des politiques mises en œuvre parmi lesquels la mesure la plus emblématique constituée sans nul doute par la prise en charge à 100 % pour les actes et prestations dispensés aux assurés dans les centres ambulatoires dédiés à la Covid-19 pour les tests virologiques et sérologiques, pour les consultations initiales d’information du patient et la mise en place d’une stratégie thérapeutique réalisée à la suite d’un dépistage de la Covid-19. En France, pendant toute la période de crise sanitaire, les Français n’ont subi aucun ticket modérateur, ni pour les tests [14], ni pour les soins, ni pour les vaccinations. Il est à noter, sans qu’il soit lieu de s’en étonner néanmoins que les masques n’ont jamais fait l’objet d’une prise en charge.

Ont été également facilités à la fois les téléconsultations et les télésoins. Ainsi, en lieu et place du taux de remboursement normal de la consultation médicale, les téléconsultations étaient remboursées à 100 % pour tous. Depuis le 30 septembre 2022, le taux a été ramené à celui de 70 %. On notera par ailleurs que la pratique s’est tellement généralisée que si elle était encouragée dans un premier temps, la PLFSS pour 2023 prévoyait de ne plus prendre en charge les arrêts maladie prescrits par téléconsultation par un praticien qui n’est pas le médecin traitant [15] et d’imposer une consultation physique pour tout renouvellement. Très discutée, cette règle devait faire l’objet de modifications substantielles, conduisant finalement le législateur à voter en l’article 101 que l’arrêt de travail prescrit par téléconsultation ne pouvait donner lieu à IJSS, si son incapacité physique n’a pas été constatée par un médecin traitant ou un autre médecin ayant reçu l’assuré en consultation depuis moins d’un an. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2022 [16].

L’on a également vu émerger des mesures qui s’apparentaient à des dispositifs de soutien à l’activité pour les professionnels de santé libéraux en leur versant des aides destinées à couvrir leurs charges fixes lorsque leur activité avait considérablement diminué

Il faut citer encore la très forte mobilisation de la technique des arrêts maladie. Elle a débuté très tôt et s’est considérablement étendue très rapidement, évidemment pour permettre d’offrir un revenu de remplacement aux malades, mais également pour gérer la situation des salariés privés de travail par la fermeture ou le ralentissement de l’activité de leur entreprise. Le décret n° 2020-73, du 31 janvier 2020, portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus N° Lexbase : L7381LUW a déterminé des conditions dérogatoires des indemnités journalières délivrées pour les personnes faisant l’objet d’une mesure d’isolement. Puis, a été admise la possibilité d’ouvrir le droit aux indemnités journalières sans que soient remplies les conditions d’ouverture de droit relatives aux durées minimales d’activité ou à une contributivité minimale et, ce, en l’absence de délais de carence [17].

En cela l’on a consciemment détourné les arrêts maladie de leur objet principal objectif : il ne s’agissait pas tant d’offrir un revenu de remplacement aux seuls malades, mais de mobiliser cette technique afin de prévenir la propagation de la pandémie.

Ainsi, les différents textes successifs en ont étendu le bénéfice [18] sous la forme d’arrêts de travail dérogatoires. D’abord l’extension a bénéficié aux assurés contraints de rester chez eux pour s’occuper de leurs enfants de moins de seize ans. Ils ont ainsi pu bénéficier d’un arrêt de travail pendant toute la durée de la fermeture de l’établissement accueillant l’enfant, et ce sans délai de carence [19]. Cette finalité préventive a également conduit à en faire bénéficier les personnes partageant le domicile de personnes considérées à risque.

B. Mobiliser l’assurance chômage

Très rapidement toutefois, il est apparu que la prévention de la destruction des emplois ne devait pas revenir à l’assurance maladie. Aussi, à compter du 1er mai 2020, a été décidé un basculement vers le dispositif d’activité partielle avec transfert d’indemnisation vers l’État et l’Unédic. Il ne s’agissait pas seulement de rétablir la cohérence du système. Il s’agissait également d’admettre que le régime de l’indemnité journalière de Sécurité sociale du ressort de l’assurance maladie n’est pas favorable à l’ensemble des salariés privés de travail en raison de la baisse d’activité ou de la fermeture de tout ou partie de l’entreprise.

En effet, en maladie, si l’on cumule indemnité de base et maintien de salaire à la charge de l’employeur [20], l’indemnité telle qu’elle est légalement déterminée, protection sociale de base [21] et protection sociale complémentaire obligatoire [22], l’indemnité passe rapidement de 90 % à deux tiers du salaire brut au bout de trente jours et à 50 % au bout de soixante jours, alors que l’indemnité au titre de l’activité partielle représente 70 % du salaire brut (84 % du salaire net et même 100 % de celui-ci au niveau du Smic).

En conséquence, l’on va basculer de la prise en charge par l’assurance maladie d’arrêts maladie dérogatoires vers un système d’activité partielle longue durée [23] supporté par l’assurance chômage [24]. Dans un premier temps, il appartenait à l’entreprise de verser l’indemnité. Elle était alors intégralement remboursée par l’État, via l’Agence de services et de paiement pour les salaires jusqu’à 4,5 fois le Smic [25]. Pour étendre encore la protection, elle a été généralisée aux particuliers employeurs, mais également aux intermittents du spectacle, aux journalistes pigistes, aux bénéficiaires de contrats d’apprentissage ou de professionnalisation, ou encore à certains travailleurs saisonniers. Le financement de ce dispositif est réparti pour deux tiers à la charge de l’Unédic et pour un tiers à l’État [26]. Au 6 juillet 2020, ce ne sont pas moins de 1 444 000 demandes d’autorisation préalable d’activité partielle qui avaient été déposées. 1 068 000 entreprises et 14 000 000 de salariés étaient concernés. 6,3 milliards d’heures chômées avaient été demandées, soit 446 heures chômées demandées en moyenne par salarié. Une étude publiée le 3 septembre 2020, la Dares tire un premier bilan statistique du recours à l’activité partielle entre mars et juillet 2020. Au mois d’avril 2020, au plus fort de la crise sanitaire, ce sont 8,8 millions de salariés provenant de près d’un million d’entreprises qui avaient cessé en toute ou partie de travailler [27]. Toutefois, au-delà de l’activité partielle, il aurait été impensable que les allocataires de l’assurance chômage ne puissent bénéficier de l’indemnisation alors que la recherche et la reprise du travail étaient rendues impossibles en raison de la crise. Aussi, un ensemble de dispositions est venu conforter leur situation, soit en prolongeant les droits de ceux arrivant en fin de droit, soit en permettant l’indemnisation des travailleurs indépendants et des commerçants [28].

Cette solution a pu être particulièrement critiquée comme accordant un droit de tirage aux entreprises sans aucun contrôle administratif, l’absence de réponse dans les 48 heures valant autorisation. Comment les anciennes Direccte auraient-elles pu procéder au contrôle effectif des demandes [29]. Cela paraît absolument impossible matériellement.

La protection sociale française a mis en œuvre des mesures nombreuses, coûteuses et particulièrement protectrices des citoyens et des entreprises. Mais on le voit, l’État est intervenu massivement dans le financement de ces mesures. Aussi, la mise en œuvre du « quoi qu’il en coûte » pose une question sous-jacente cruciale : qui paye ? Comment sont financés les dispositifs ? Le débat est récurrent et trop bien connu depuis les années 1980 : si c’est l’État, alors, on s’éloigne peu à peu de la protection sociale à la française, soit des assurances sociales financées par la solidarité socioprofessionnelle et se pose en filigrane la question de la démocratie sociale, à travers leur gouvernance paritaire [30]. Il confine toutefois à la caricature à vouloir tout résoudre en termes de tension entre solidarité et universalité.

II. Le « quoi qu’il en coûte » : vers un renforcement de la logique universelle ?

À nouveau, il serait illusoire de prétendre, en quelques lignes, à une analyse approfondie des termes du débat qui occupent juristes, sociologues et économistes depuis une trentaine d’années. Il s’agira seulement d’offrir quelques clés de lecture des questions qui se posent en termes d’imputation des coûts de telles politiques sociales qui s’appuient sur les organismes de Sécurité sociale, au sein de la Sécurité sociale ou de l’assurance chômage. Ce, parce que ces imputations révèlent les logiques que l’on entend mettre en œuvre et les politiques sociales qu’elles sous-tendent. En somme, la conception que l’on retient en France de notre protection sociale, en ces soubassements.

A. Fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale ?

Il sera question ici de l’imputation réelle des coûts du « quoi qu’il en coûte » et de ses implications sur les équilibres nationaux. En effet, la dette abyssale à la sortie de la crise a été conçue pour être patiemment compensée, notamment par l’impôt [31]. Or il ne s’agit pas seulement d’une mutation des techniques, mais bien d’une mutation des logiques au profit du mouvement dit d’universalisation de la protection sociale française [32], c’est-à-dire de bénéfice de la protection à tous les résidents sur le territoire français qu’ils contribuent ou non au financement du régime par leur travail. Une logique qui se détache de la solidarité socioprofessionnelle qui se matérialise par un financement essentiellement supporté par la cotisation.

Se demander qui paye les conséquences de la crise, ce n’est pas rechercher des responsabilités, pour autant qu’une telle responsabilité collective puisse être identifiée [33], c’est rechercher les mécanismes d’imputation et comment ils conditionnent le bénéfice des prestations.

Même si les « instruments juridiques et comptables ne permettent pas directement d’imputer les dépenses ou pertes de recettes à la pandémie de Covid-19 » [34], la Cour des comptes estime que la hausse des dépenses en lien avec la pandémie pour la seule année 2020 serait de l’ordre de 27,1 milliards d’euros dont 22 pour les seules dépenses de l’assurance maladie [35]. Le régime d’assurance chômage a enregistré des déficits historiques s’élevant à -17,4 milliards d’euros en 2020 et 9,3 milliards d’euros en 2021. Celui de l’Unédic qui s’élevait à 36,8 milliards en 2019 aurait atteint 63,4 milliards en 2021 avant de refluer [36].

Antérieurement à la crise sanitaire, la LFSS pour 2018 [37] avait considérablement modifié les équilibres de financement de la Sécurité sociale en prévoyant dans son article 8 la suppression des cotisations maladie et chômage des salariés et en contrepartie une augmentation de la contribution sociale généralisée de 1,7 point. Le législateur a présenté cette réforme comme un dispositif de gain de pouvoir d’achat au bénéfice des salariés.

Il y avait, en réalité derrière le phénomène une double volonté : assurer la pérennité des comptes de la Sécurité sociale lorsque le marché du travail est exsangue, mais également affirmer l’idée selon laquelle pour alléger le coût du travail, il faut que les ménages supportent une part plus importante du financement des prestations.

Elle accélérait surtout le phénomène de fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale que l’on connaît surtout depuis les années 1980. Pour exemple, dans le régime général, la part des impôts et des taxes affectées est passée de 2 à 41 % de 1987 à 2018, sachant que la contribution sociale généralisée (CSG) en représente les trois quarts. La part des cotisations a reculé de 90 à 54 % au cours de la même période.

Or contrairement aux cotisations de Sécurité sociale, la CSG est prélevée sur tous les revenus, salariés ou non-salariés [38]. C’est pourquoi cette fiscalisation est traditionnellement présentée comme une rupture avec l’esprit de la Sécurité sociale de 1945, fondée sur la solidarité socioprofessionnelle.

Au risque d’énoncer des lapalissades, lorsque c’est l’ensemble des citoyens et des résidents sur le territoire qui participe au financement par l’impôt, alors, ce n’est plus la solidarité entre les travailleurs qui est à l’œuvre, mais la solidarité nationale [39]. En revanche, l’universalité de la protection sociale s’impose, sans considération des revenus du travail, pour les prestations en nature. Et l’on voit poindre le risque d’une dissolution des assurances sociales dans un système de solidarité nationale [40].Or ce phénomène interne à la Sécurité sociale, particulièrement étudié, doit également être observé au sein de l’assurance chômage [41].

Au-delà de la fiscalisation des ressources de la protection sociale, d’aucuns évoquent dorénavant leur financiarisation, même, dans la mesure où l’amortissement de la dette notamment par la caisse d’amortissement de la dette sociale se fait au moyen d’emprunts sur les marchés financiers. Avec tous les risques que cela comporte…

B. Conflits de logiques : solidarité/universalité

Le mouvement vers l’universalité [42] devrait en toute logique s’appréhender différemment selon que l’on se concentre sur les prestations en nature ou en espèces.

En espèces, elles ne devraient bénéficier qu’aux travailleurs salariés et indépendants sous la forme de revenus de remplacement ou d’aides économiques. D’ailleurs, en matière de Covid-19, dans le cadre de l’assurance maladie, point de droits nouveaux pour ceux qui ne contribuent pas au système par les revenus de leur travail. La redistribution ne s’est faite qu’à destination de ceux qui contribuent effectivement.

Mais ce serait occulter le rôle fondamental qui a été donné à l’assurance chômage. Or en matière de chômage, les questions se posent avec la même acuité. Dans son programme de campagne en 2017, le candidat Macron avait ainsi insisté sur ce que « parce qu’il assume en dernier ressort la responsabilité du chômage et de la précarité, l’État prendra en charge le système d’assurance chômage en y associant l’ensemble des parties prenantes, et en particulier les partenaires sociaux ». Il s’agissait de viser une assurance chômage « plus universelle et plus juste » [43]. Or là encore c’est la fiscalisation des ressources du chômage qui doit conduire à son étatisation. Et de cette fiscalisation naît le déclin de sa logique assurantielle [44].

Quant aux prestations en nature, pour lesquelles l’universalité doit jouer à plein, elles ont, en effet, pendant un temps, bénéficié à tous. Elles sont toutefois porteuses de leurs lots de questionnements. L’universalisation fondée sur la solidarité nationale laisse une plus grande place à l’État dans les décisions au détriment du paritarisme. Faut-il alors lier sources du financement de la Sécurité sociale et décisions de prise en charge des soins ? Universalisation et étatisation ? Faut-il y voir alors le fondement de certaines décisions de déremboursement prises pendant la crise ? Lorsque le 12 juillet 2021, le Président de la République annonce la fin du remboursement des tests Covid non prescrits médicalement pour ceux dans la population qui ne bénéficiaient pas d’un schéma vaccinal complet, de quelle universalité est-il question ?

Alors que 160 millions de tests avaient été effectués depuis mars 2020, et qu’au printemps, il y en avait encore près de 2 millions par semaine, la fin de la gratuité systématique des tests de dépistage de la Covid-19 entre en vigueur le 15 octobre 2021. Les tests RT-PCR, antigéniques et les autotests sous supervision n’ont plus été automatiquement pris en charge sans ticket modérateur par l’assurance maladie. Seul, le dépistage pour raison médicale est demeuré gratuit, c’est-à-dire lorsqu’il a été prescrit par un médecin. Pour les personnes majeures non vaccinées, les tests PCR, antigéniques ou les autotests dits de « confort », c’est-à-dire pour obtenir un passe sanitaire valide ou pour voyager sont devenus « payants » à partir du 15 octobre 2021. Sans qu’il s’agisse de la pertinence discutable de la mesure en matière de santé publique, elle interroge toutefois quant au mécanisme de solidarité ici mobilisé. Et il ne s’agit que d’un exemple peut-être un peu plus signifiant pour tous.

Nous n’avons malheureusement fait qu’effleurer des questions, toutes techniques qu’elles puissent paraître, qui portent cependant en elles celles cardinales de notre modèle social.

 

[2] La formule est empruntée à Mario Draghi, gouverneur de la BCE qui, le 26 juillet 2012, évoquait la préservation de l’euro « whatever it takes ».

[3] Th. Lambert, Quoi qu’il en coûte ! Et maintenant ?, Lavoisier, Gestion & Finances publiques, 2021/3, n° 3, p. 6

[4] B. Ramdjee, Les finances sociales à l’épreuve de la crise de la Covid-19, Dr. soc., 2022, p. 911.

[5] R. Lafore, Le système de protection sociale à l’épreuve du Covid-19 : des constats et quelques enseignements, RDSS, 2020, p. 981.

[6] N. Guilhembet, D. Hoyrup, Le temps de sortie de la crise, Regards, septembre 2020, p. 21.

[7] V. par exemple S. Laye, Le « quoi qu’il en coûte » aura été une aubaine scandaleuse pour le CAC 40, Marianne, 23 mars 2023, qui évoque un « corporate welfare » entre État Providence classique et économie libérale [en ligne].

[8] Dossier spécial « La dette sociale », paru à Droit social en septembre 2022, v. en particulier  F. Guiomard, La « dette Covid » symptôme de la financiarisation de la gestion de la protection sociale, Dr. soc., 2022. 598 ; B. Ramjdee, Les finances sociales à l’épreuve de la Covid-19, Dr. soc. 2022, p. 911 ; N. Guilhembet, D. Hoyrup, Le temps de sortir de la crise, Regards EN3S, septembre 2020, n° 57, p. 21.

[9] G. François (dir), Crise sanitaire et droit social, BJT, mai 2020, p. 57-90.

[10] A. Derue, Le droit de la protection sociale et l’urgence sanitaire Covid-19, BJT, mai 2020, p. 82.

[11] Lorsqu’est créée la Sécurité sociale en 1945, elle n’intègre pas d’assurance chômage en vertu du précepte bien connu selon lequel assurer le chômage, c’est l’encourager. Lorsque l’assurance chômage émerge, elle le fera en dehors de la Sécurité sociale et il en est encore ainsi aujourd’hui, v. B. Oudin, La convention du 31 décembre 1958 relative à la création de l’allocation chômage, Dr. soc., 1959, 370 ; L. Camaji, Chômage [en ligne].

[12] A. Turc, Dispositif d’aide, de réduction, déduction et exonération des cotisations et contributions sociales, JCP S. 2020.3098 ; Exonération et aide au paiement des cotisations et contributions sociales liés au Covid-19, JCP S. 2022.1199

[13] Les mesures de soutien financier ont été neutres pour les organismes de sécurité dans la mesure ou les ressources non recouvrées à ce titre sont intégralement compensées par l’État qui reverse à l’ACOSS et à la CCMSA la totalité des cotisations dues.

[14] Le rétablissement d’un ticket modérateur pour les tests PCR a pris effet au 1er mars 2023.

[15] D’après la CNAM, en 2021, ce ne sont pas moins de 190 000 arrêts maladie qui ont été prescrits par téléconsultation par un médecin n’étant pas le médecin traitant de l’assuré.

[16] Cons. const., décision n° 2022-845 DC,  du 20 décembre 2022 N° Lexbase : A070783L , selon laquelle  « les dispositions contestées peuvent avoir pour effet de priver l'assuré social ayant eu recours à la téléconsultation du versement des indemnités journalières alors même qu'un médecin a constaté son incapacité physique de continuer ou de reprendre le travail. La seule circonstance qu’un autre médecin ait pu prescrire un arrêt de travail ne permet pas déduire que ledit arrêt ait été indûment prescrit ».

[17] En vertu de l’article, le point de départ pour le versement des IJSS en cas d’arrêt maladie est normalement le quatrième jour, v. CSS, art. R. 323-1, 1° N° Lexbase : L5192KW9.

[18] Loi n° 2020-290, du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 N° Lexbase : L5506LWT.

[19] Décret n° 2020-227, du 9 mars 2020, adaptant les conditions du bénéfice des prestations en espèces d'assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au Covid-19 N° Lexbase : L3714LWH.

[20] C. trav.,, art. L. 1226-1 N° Lexbase : L8858KUM.

[21] CSS, art. R. 323-1 et s. N° Lexbase : L8821KUA.

[22] Qui ne s’applique que si le salarié justifie d’un an d’ancienneté, ou si l’entreprise a intégré des dispositions plus favorables dans l’acte fondateur de sa prévoyance.

[23] Décrets n° 2020-325 N° Lexbase : L5679LWA et n° 2020-314 N° Lexbase : L5675LW4, du 25 mars 2020 et ordonnance n° 2020-346, du 27 mars 2020 N° Lexbase : L5883LWS.

[24] R. Dalmasso, Les trois âges de l’activité partielle, Dr. soc., 2020, p. 612.

[25] À l'échéance habituelle de la paie, l'employeur doit rémunérer ses salariés à hauteur de 70 % de leur rémunération brute, et effectuer une demande d'indemnisation en ligne (25). La note d'information éditée par le ministère du Travail précise que l'allocation est versée à l'entreprise par l'Agence de services et de paiement dans un délai moyen de douze jours (26). Cette note précise que « le reste à charge pour l'entreprise est donc nul pour les salariés dont la rémunération n'excède pas 4,5 Smic ». Si, pour cette crise, les salariés ne sont donc pas mieux indemnisés de leurs heures chômées que par le passé, le changement, pour les employeurs, est fondamental. Ils ne participent plus du tout au financement (27) du dispositif pour leurs salariés dont la rémunération se situe en deçà de 4,5 Smic, soit dans l'immense majorité des cas.

[26] V. C. trav., art. L. 5122-1, II N° Lexbase : L4382MGE : « Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'État. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'État et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. Une convention conclue entre l'État et cet organisme détermine les modalités de financement de cette allocation ».

[28] M. Badel, L’indemnisation du chômage total à l’heure du Covid-19, Dr. soc., 2020, 687.

[29] R. Dalmasso, précité.

[30] V. not. Y. Ferkane, Le paritarisme à l’épreuve de l’universalisation de la protection sociale, RFAS, 2018, n° 4, p. 103 ; J. Damon, Nouveau Regard sur « le paritarisme : définitions et délimitations », Regards, 2022, n° 60, p. 161.

[31] R. Pellet, État, privatisation et fiscalisation de la protection sociale. Bilan pour contribuer à une refondation radicale, Dr. soc., 2020, 2 parties, p. 658 et 750. Plus largement, sur la diversification et la fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale, v. A. Dort, Fiscalité et Sécurité sociale (Étude de la fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale), préf. E. Oliva, L’Harmattan, 2019 ; M. Navarro, G. Zucman, Quel avenir pour le financement de la protection sociale ?, RCE, 2007/1, n° 1, p. 157.

[32] M. Elbaum, L’universalité dans les réformes de la protection sociale : un terme « à tout faire » qui nuit à la clarté des enjeux et des choix sociaux (première partie et deuxième partie), RDSS, 2020, p. 737 et s.

[33] G. Huteau, La responsabilité collective vis-à-vis de la dette sociale : l’échec et le défi, Dr. soc., 2022, p. 628.

[34] F. Guiomard, « La dette covid », symptôme de la financiarisation de la gestion de la protection sociale, Dr. soc., 2022, p. 598.

[35] Cour des comptes, Les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, juillet 2021.

[36] Unédic, Situation financière de l’assurance chômage pour 2022-2024 [en ligne]. Et v. L. Joly, Le financement de l’assurance chômage : un facteur d’insécurité sociale, Dr. soc., 2022, 1033

[37] Loi n° 2017-1836, du 30 décembre 2017, de financement de la sécurité sociale pour 2018 N° Lexbase : L7951LHX ; Ch. Willmann, LFSS 2018 : une fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale « en marche », Lexbase Social, janvier 2018, n° 725 N° Lexbase : N2082BXE.

[38] Pour autant, le pas vers la TVA sociale n’a pas été franchi.

[39] Sur la solidarité, v. A. Supiot (dir.), La Solidarité. Enquête sur un principe juridique, Odile Jacob, 2015 ; A. Stergiou, La solidarité, fondement des droits sociaux, in I. Daugareilh, M. Badel, La Sécurité sociale. Universalité et modernité. Approche de droit comparé, Pédone, 2019, p. 463.

[40] R. Pellet, 2018, précité.

[41] L. Joly, Le financement de l’assurance chômage : un facteur d’insécurité sociale, précité ; C. Cadoret, L. Caussat, E. Robert, L’assurance chômage est-elle en voie d’universalisation ?, RFAS, 2018, n° 4, p. 223 ; B. Coquet, Vers l’assurance chômage universelle, Dr. soc. ; 2018, p. 592 ; A. Bouilloux, Assurance ou couverture universelle ? Retour sur les mots du chômage, Dr. soc., 2018. 583.

[42] M. Borgetto, La Sécurité sociale à l’épreuve du principe d’universalité, RDSS, 2016, p. 11 ; L. Isidro, L’universalité en droit de la protection sociale, des usages aux visages, Dr. soc., 2018. 378 ; N. Kerschen, Universalité et citoyenneté sociale, in I. Daugareilh,M. Badel, précité, p. 451.

[43] A. Bouilloux, Assurance ou couverture universelle ? Retour sur les mots du chômage, Dr. soc., 2018. 518.

[44] S. Tournaux, La profonde déstabilisation du droit du chômage, RDSS, 2022.147.

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