Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Affaires

[Chronique] Vérification de la régularité d’un chèque : une obligation, plusieurs débiteurs

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par Jordi Mvitu Muaka, Doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Responsabilité civile • obligation de vigilance • banque • chèque falsifié


 

Un acte, plusieurs parties. Le chèque est un instrument de paiement courant dont la réalisation fait intervenir plusieurs personnes entre le client émetteur du chèque, sa banque tirée et la banque du bénéficiaire, raison pour laquelle on l’a parfois assimilé à un effet de commerce tel que la lettre de change [1]. Étant par nature destiné à circuler entre plusieurs mains – de son émission à son encaissement –, la régularité du titre peut être invalidée du fait des éventuelles altérations sur l’écriture du chèque et ses mentions obligatoires après son émission. Face à cet écueil, la loi impose un contrôle de la régularité formelle du chèque à chacune des parties impliquées dans l’opération de paiement. La cour d’appel de Lyon dans l’arrêt commenté reconnaît également cette obligation de contrôle pour le sous-traitant d’un établissement bancaire à qui l’on a confié la vérification de la validité des chèques et le renvoi des chèques non conformes le cas échéant. Les juges d’appel ont privé d’effet une clause limitative de responsabilité prévue dans le contrat cadre conclu entre la banque accipiens du chèque et son sous-traitant, pour les condamner in solidum au versement des dommages et intérêts au profit du client victime.

Faits. En l’espèce, une société commerciale avait émis un chèque en règlement d’une facture de son fournisseur qui a été falsifié au moment de sa remise, le nom de l’émetteur et du bénéficiaire ayant été remplacés par celui d’un tiers. Ce dernier était titulaire d’un compte auprès d’une banque qui avait sous-traité les vérifications et les contrôles des chèques soumis à l’encaissement par ses clients auprès d’une société spécialisée. Le contrat cadre conclu entre ces derniers prévoyait une clause limitative de responsabilité en cas de fraude sur les chèques traités. Bien que falsifié, le chèque sera encaissé au bénéfice d’un tiers, et la société émettrice assignera au remboursement des sommes versées sa banque tirée, la banque accipiens et son prestataire, reprochant à chacun d’entre eux un défaut de vigilance sur la régularité d’un chèque qui présentait, d’après le tireur, des anomalies apparentes. À la banque tirée, il était précisément reproché de ne pas avoir procédé aux vérifications d’usage sur le chèque au moment de sa réception, à la banque accipiens est reproché le fait d’avoir encaissé le chèque sans déceler une quelconque irrégularité et, enfin, au prestataire, il est reproché d’avoir manqué de vigilance face à des irrégularités grossières telles que l’absence de similarité entre la signature sur l’endos du chèque et celle sur son recto, ou encore l’absence d’identité entre le numéro de compte figurant au recto du chèque et le nom du titulaire du compte qui y était inscrit.

Motifs de la cour d’appel. Saisie en appel de ce litige, la juridiction lyonnaise a fait droit à l’action en réparation de la société émettrice du chèque falsifié en décidant que l’obligation de contrôle de la régularité des chèques incombe tant à la banque tirée qu’à la banque réceptrice, la responsabilité de chacune d’elles étant engagée si une irrégularité apparente sur le titre n’a pas été décelée. Ensuite, s’agissant du sous-traitant, la nature de la mission lui ayant été confiée justifie l’engagement de sa responsabilité à l’égard des tiers dès lors qu’il ne décèle pas l’irrégularité apparente d’un chèque soumis à son contrôle. Le cas échéant, l’action du tiers peut être exercée en dépit de l’existence d’une clause limitative de responsabilité convenue entre le sous-traitant et la banque accipiens. La cour d’appel de Lyon procède dans cet arrêt à une assimilation de la faute contractuelle à une faute délictuelle, pour juger que la société émettrice était fondée à rechercher la responsabilité délictuelle du sous-traitant sans avoir à démontrer une faute délictuelle distincte du manquement contractuel de ce dernier dans l’exécution de ses prestations de vérification des chèques de la banque réceptrice du chèque falsifié.

Portée de l’arrêt. La décision des juges lyonnais est riche de deux enseignements. Le premier, qui s’apparente à un rappel, indique que la vérification des chèques incombe tant à la banque du tireur qu’à celle auprès de laquelle le titre a été déposé. Cette règle émane directement des dispositions applicables en matière de traitement des chèques (C. mon. fin., art. L. 131-38 et s. N° Lexbase : L9348HDL). De plus, la présente décision contribue à éclairer le régime du chèque car elle souligne que l’exécution de cette obligation de vigilance n’est pas soumise aux conventions interbancaires sur la gestion des chèques ainsi qu’aux usages entre établissements bancaires sur le traitement informatisé de ces titres (I.). Ces conventions visent en pratique à simplifier et à accélérer la gestion de cet instrument de paiement. Le second enseignement apporté par l’arrêt de la cour d’appel de Lyon concerne l’extension de cette obligation de vigilance, qui est un trait particulier du statut des établissements bancaires [2], au professionnel sous-traitant chargé contractuellement de la vérification des chèques remis par les clients de son cocontractant (II.).

I. Une obligation de vigilance partagée entre la banque tirée et la banque accipiens

Une double responsabilité. Le contrôle de la régularité des chèques est attribué à la fois à la banque tirée et à la banque présentatrice. La réalisation des vérifications par l’une n’exonère pas la seconde de cette même charge [3]. Cela revient à exiger le contrôle d’un chèque au moment de sa remise puis au moment de sa transmission à la banque tirée, ce qui peut représenter une charge journalière considérable, en raison du temps qu’il faut affecter à l’examen de ces pièces lorsqu’à la même date, de nombreux chèques sont présentés à l’encaissement. De plus, la réglementation bancaire impose que tout chèque de plus de cinq mille euros soit acheminé physiquement avant tout encaissement de la banque présentatrice vers la banque tirée. En pratique, les établissements bancaires ont recours à des conventions interbancaires qui vont faciliter le traitement des chèques en simplifiant notamment la présentation du titre pour faciliter le paiement en chambre de compensation. Mais la cour d’appel de Lyon, en se basant sur l’effet relatif des contrats, énonce clairement que ces conventions sont inopposables aux tiers, en dépit de la répartition de la charge du contrôle de la validité des chèques qu’elles peuvent prévoir.

Perte de l’original d’un chèque falsifié. La banque tirée avançait également que le chèque falsifié lui avait été transmis de manière informatisée, l’original ayant été détruit à l’issue de sa présentation, de sorte que seule la banque accipiens pouvait déceler les irrégularités formelles sur le titre. Sans surprise, les juges lyonnais rejettent cette analyse, comme l’a déjà fait la Cour de cassation saisie d’une question similaire [4], et considèrent que la disparition de l’original d’un chèque supposé falsifié, loin d’exonérer la banque tirée de son obligation de vigilance, emporte renversement de la charge de la preuve de la régularité du titre. À ce titre, les juges d’appel reprennent une position récente de la Cour de cassation attribuant à la banque tirée la charge de démontrer qu’un chèque émis par son client n’était pas affecté d’anomalies apparentes, à moins que ce chèque n’ait été restitué au client tireur [5]. Mais si la banque tirée et la banque présentatrice sont les débitrices souvent concernées par la vérification des chèques, dans la décision des juges lyonnais, l’obligation de vigilance s’agissant des chèques a été étendue au sous-traitant de la banque présentatrice.

II. Une obligation de vigilance étendue au sous-traitant de la banque présentatrice

Indifférence de la qualité de banquier. La société sous-traitante soutenait qu’elle n’était pas tenue à l’obligation de vigilance imputable aux établissements bancaires car elle n’était pas intervenue dans l’opération en qualité de banque. De même, n’étant liée contractuellement qu’à l’égard de la banque présentatrice, la société sous-traitante considérait également que seul son cocontractant pouvait engager sa responsabilité pour ne pas avoir décelé les irrégularités du chèque traité par ses services. Or, une clause limitative de responsabilité dans le contrat-cadre signé entre les parties l’exonérait dans ce cas précis.

Assimilation de la faute contractuelle à une faute délictuelle. La cour d’appel de Lyon reconnaît une faute contractuelle à l’encontre de la société sous-traitante qui n’a pas procédé à une vérification sérieuse de l’irrégularité du chèque validé. La juridiction lyonnaise réalise une assimilation de la faute contractuelle à une faute délictuelle, telle que l’a consacrée la Cour de cassation [6], en vertu de laquelle « le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l'égard d'un tiers au contrat lorsqu'il lui cause un dommage ». Cette jurisprudence, qui consacre la responsabilité délictuelle d’un contractant à l’égard des tiers pour un manquement contractuel, aboutit en l’espèce à condamner la société sous-traitante à réparer le préjudice subi par le tireur du chèque falsifié pour une faute dont son cocontractant n’aurait pas pu se prévaloir pour obtenir des dommages et intérêts en raison de la clause limitative de responsabilité convenue entre les parties. Dans cet arrêt, cette clause a été privée d’effet quant à l’action en responsabilité du tiers à l’encontre du sous-traitant.

Extension de l’obligation de vigilance. Il s’agit donc d’une extension de l’obligation de vigilance au bénéfice des tiers en raison de la nature des prestations exécutées par la société sous-traitante. Ce constat est également confirmé par la condamnation in solidum du sous-traitant et de la banque tirée en réparation du même préjudice matériel subi par le tireur victime du décaissement frauduleux de sommes d’argent opéré sur son compte bancaire. Cette condamnation in solidum intervient habituellement lorsque la victime agit simultanément contre la banque tirée et la banque présentatrice et, à l’inverse, c’est lorsque l’une n’est pas mise en cause que l’autre peut être tenue de réparer l’entier dommage [7]. Ainsi, le traitement des chèques, quelle que soit la qualité de celui qui en a la charge, ou le moment où il s’opère, impose de redoubler de vigilance sur la régularité formelle de ce titre.

 

[1] M. Jeantin, P. Le Cannu, T. Granier et R. Routier, Instruments de paiement et de crédit, Dalloz, 2010, 8e éd., n° 26.

[2] J.-F. Riffard, Le banquier, le compte et le contrôle : retour sur une notion fondamentale, mais négligée, RD bancaire et fin. nov-déc., 2018, dossier 40.

[3] Cass. com., 23 juin 1999 : RD bancaire et bourse, 1999, n° 73, p. 96, obs. Crédot et Gérard.

[4] Cass. com., 9 juillet 2002, n° 00-22.788, FS-P N° Lexbase : A1146AZH : D., 2002, p. 2676.

[5] Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-20.031, FS-B N° Lexbase : A12998SW : J. Lasserre Capdeville, Précision notable sur la preuve en matière de chèque falsifié, Lexbase affaire, novembre 2022, n° 736 N° Lexbase : N3340BZQ.

[6] V. dernièrement : Cass. ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963 N° Lexbase : A85133AK : JCP E, 2020, 1066, note D. Bakouche ; JCP G, 2020, 92, note M. Mekki.

[7] Cass. com., 3 décembre 2002, n° 00-20.566, publié au bulletin N° Lexbase : A2033A43 : D., 2003, p. 1756.

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