Lexbase Public n°283 du 4 avril 2013 : Urbanisme

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'urbanisme - Avril 2013

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N6318BT8

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 04 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de droit de l'urbanisme d'Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen. Le premier arrêt commenté indique les conséquences qui s'attachent à la notification des décisions d'opposition à travaux et rappelle l'importance de la régularité de cette notification (CE 9° et 10° s-s-r., 30 janvier 2013, n° 340652, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt précise que la pression foncière ne constitue pas un critère d'application du I de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5362IMK), lequel protège les zones de montagnes (CE 6° s-s., 7 février 2013, n° 354681, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le troisième arrêt crée une nouvelle catégorie d'aménagements légers susceptibles d'être autorisés dans les espaces boisés classés situés en bordure du littoral (CE 4° et 5° s-s-r., 6 février 2013, n° 348278, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Les conséquences relatives à la notification des décisions d'opposition à travaux (CE 9° et 10° s-s-r., 30 janvier 2013, n° 340652, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4380I4Y)

Les communes prennent parfois les déclarations de travaux un peu trop à la légère, surtout lorsqu'elles n'en gèrent pas l'instruction qui est alors assurée par les services de l'Etat. Les échanges écrits qui peuvent s'établir entre le pétitionnaire et les services de la collectivité constituent un facteur de complication supplémentaire, auquel viennent s'ajouter les divers courriers d'attente dont le sens réel est parfois assez éloigné de la volonté de leur auteur. En bref, les déclarations de travaux sont souvent mal gérées. Le Conseil d'Etat a saisi l'occasion pour clarifier certains points en la matière dans un arrêt du 30 janvier 2013. Une commune avait reçu, le 18 décembre 2007, une déclaration de travaux portant sur l'édification d'un "kiosque" de vente de sandwiches et boissons à emporter. Par un arrêté du 10 janvier 2008, le maire s'était opposé à ces travaux. Un recours gracieux avait été déposé le 25 janvier 2008. Le maire s'était, à nouveau, opposé aux travaux par un arrêté du 13 mai 2008. Par jugement en date du 25 mars 2010, le tribunal administratif de Grenoble avait rejeté les recours en annulation dirigés contre les deux décisions d'opposition à travaux. Le Conseil d'Etat va annuler le jugement de première instance.

I - L'obligation de notifier la décision d'opposition à travaux

On sait que le Code de l'urbanisme a prévu un mécanisme de non-opposition implicite à déclaration de travaux afin de simplifier la procédure d'autorisation et de faciliter la tâche de l'administration. Ce mécanisme n'interdit, néanmoins, jamais au maire, qui est le plus souvent compétent, de se prononcer explicitement sur la demande. L. 424-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3439HZE) prévoit, en effet, que "l'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis ou, en cas d'opposition ou de prescriptions, sur la déclaration préalable".

Il reste que la non-opposition implicite demeure la règle pour les déclarations de travaux. L'article R. 424-1 (N° Lexbase : L7557HZW) précise, en effet, qu'à "défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction [...] le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : a) décision de non-opposition à la déclaration préalable [...]". En l'occurrence, le délai d'instruction de droit commun est fixé à un mois pour les déclarations préalables par l'article R. 423-23 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7505HZY). Il faut, enfin, rappeler que la sanction de ce mécanisme pour l'administration est particulièrement rigoureuse. L'article L. 424-5 (N° Lexbase : L4088IRT) prévoit, ainsi, que "la décision de non-opposition à la déclaration préalable ne peut faire l'objet d'aucun retrait". Dès lors, l'expiration du délai d'instruction emporte édiction de la décision de non-opposition à travaux et le pétitionnaire peut donc se prévaloir d'une autorisation administrative valable que rien ne peut venir contrarier.

Le Conseil d'Etat, après avoir rappelé les dispositions applicables, va préciser leur portée. Il se réfère à l'objectif général des textes qui vise à assurer une meilleure sécurité juridique des pétitionnaires. Il relève "que l'auteur d'une déclaration préalable doit être mis en mesure de savoir de façon certaine, au terme du délai d'instruction prévu par le Code de l'urbanisme, s'il peut ou non entreprendre les travaux objet de cette déclaration". Or, cet objectif peut être contrarié si l'administration décide de s'opposer explicitement à la demande, sans porter attention à la notification de sa décision d'opposition. En effet, si la notification de l'opposition intervient avant l'expiration du délai d'instruction, aucune difficulté n'apparaît. En revanche, la notification de la décision après l'expiration du délai d'instruction se heurte à l'interdiction de retrait de l'autorisation implicite née de l'expiration du délai d'un mois. Le Conseil en conclut que "la notification de la décision d'opposition avant l'expiration du délai d'instruction, constitue, dès lors, une condition de la légalité de cette décision".

Il censure donc le jugement pour erreur de droit. Le tribunal avait, en effet, opéré la distinction traditionnelle entre la décision et les conditions de sa notification, les deux éléments étant considérés comme indépendants : "le tribunal administratif de Grenoble a commis une erreur de droit en jugeant que l'absence de notification régulière de la décision d'opposition à travaux ne pouvait emporter de conséquences que sur les délais de recours contentieux et non sur la légalité de la décision attaquée elle-même". Le Conseil d'Etat reconnaît donc une exception à la règle classique selon laquelle l'illégalité qui entache la notification d'une décision ne déborde pas sur la décision elle-même. La jurisprudence considère, en effet, que l'absence, ou l'illégalité, de la notification d'une décision individuelle est sans influence sur la légalité de ladite décision (1). Tel n'est pas le cas ici : pour être légale, une décision d'opposition à déclaration doit donc impérativement être notifiée au pétitionnaire avant l'expiration du délai d'instruction et le non-respect de ce délai emporte automatiquement l'illégalité de l'opposition.

II - L'importance d'une notification régulière

Le Conseil d'Etat ayant décidé de régler l'affaire au fond va pouvoir constater les approximations de la procédure. Il constate, tout d'abord, que la décision prise sur la demande initiale n'a pas fait l'objet d'une notification régulière. En effet, l'arrêté du 10 janvier 2008, s'il a bien été notifié à l'adresse indiquée par le pétitionnaire lors du dépôt de sa déclaration préalable, a été remis au nouvel exploitant du restaurant précédemment exploité par le pétitionnaire. La notification régulière ne se heurtait pourtant à aucun obstacle particulier puisque le domicile du pétitionnaire était situé dans le même immeuble. Le Conseil d'Etat en conclut "que cette notification ne peut, par suite, avoir fait courir le délai de recours contentieux contre l'arrêté du 10 janvier 2008", appliquant, ainsi, une jurisprudence traditionnelle selon laquelle le défaut de notification interdit de faire courir les délais de recours.

Le juge relève, ensuite, que le recours gracieux du pétitionnaire, daté du 25 février 2008, n'a pas fait l'objet de l'accusé de réception prévu par l'article 19 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE). En outre, la formulation de la réponse de la mairie du 18 mars 2008 interdit de la considérer comme un rejet du recours gracieux. En effet, ce courrier constituait en réalité une réponse d'attente, indiquant que le dossier serait à nouveau présenté à la commission d'urbanisme lors de sa prochaine séance.

Le Conseil peut donc en conclure "que, par suite, le délai du recours contentieux contre l'arrêté du 10 janvier 2008 n'a recommencé à courir qu'à compter du 13 mai 2008, date à laquelle [M. X] a reçu notification de l'arrêté du même jour confirmant l'opposition de la commune aux travaux objet de la déclaration préalable, avec l'indication des voies et délais de recours, et n'était pas expiré le 15 juillet 2008, lendemain d'un jour férié, date à laquelle la demande de [M. X] a été enregistrée au greffe du tribunal administratif". Le Conseil d'Etat écarte donc la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours.

La question de la légalité des deux décisions d'opposition n'appelle pas de commentaires particuliers. En effet, ayant constaté que la décision du 10 janvier 2008 n'avait pas été régulièrement notifiée dans le délai d'instruction d'un mois, le Conseil d'Etat ne peut que conclure à son illégalité et prononcer l'annulation des deux décisions d'opposition.

  • L'absence de pression foncière ne peut être le seul critère pris en compte pour permettre une dérogation au principe d'urbanisation en continuité avec les groupes d'habitation existants (CE 6° s-s., 7 février 2013, n° 354681, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6640I73)

Le recours anarchique aux énergies renouvelables ne cesse de provoquer des ravages économiques et écologiques dont on prendra conscience lorsque leurs conséquences auront dépassé le niveau de visibilité médiatique. En attendant, n'importe qui peut décider de faire installer des unités de production à la rentabilité électrique insuffisante dans le seul objectif de bénéficier de tarifs de rachat encore attrayants. Dans l'espèce commentée, le pétitionnaire n'a imaginé rien de moins que couvrir 8500 m2 de panneaux photovoltaïques en zone de montagne. Fort heureusement, le préfet s'est opposé à cette demande sur le fondement de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme qui organise la protection des zones de montagnes. La décision a été annulée par le tribunal administratif. Le Conseil d'Etat fait droit au pouvoir du ministre et censure le juge de première instance pour erreur de droit.

I - La protection des zones de montagne

Selon le I de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme, "les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières sont préservées. La nécessité de préserver ces terres s'apprécie au regard de leur rôle et de leur place dans les systèmes d'exploitation locaux. Sont également pris en compte leur situation par rapport au siège de l'exploitation, leur relief, leur pente et leur exposition [...]". Malgré le caractère apparemment général de ces dispositions, la jurisprudence a déjà considéré qu'il s'agit de dispositions effectives. Il résulte, en effet, de la combinaison des articles L. 145-2 (N° Lexbase : L7329ACG) et L. 145-3 du Code de l'urbanisme que les dispositions de ce dernier s'imposent aux décisions individuelles d'urbanisme (2). Les prescriptions de l'article L. 145-3 s'imposent également aux demandes de permis de construire. Le permis de construire délivré pour une construction autre que celles qui sont autorisées par le I de cet article, dans une zone dédiée aux activités agricoles et pastorales est, par conséquent, illégal (3). Ces prescriptions s'imposent aussi aux autorisations de lotir (4) et déterminent le contenu des certificats d'urbanisme (5).

L'arrêt du 7 février 2013 confirme la portée opérationnelle du I de l'article L. 145-3. Le Conseil d'Etat énonce, en effet, que "ces dispositions, qui ont pour objet la préservation des terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles en zone de montagne, énumèrent les critères permettant d'apprécier la nécessité de préserver ces terres". Faisant une interprétation stricte de ces critères ainsi mentionnés, il relève "que l'absence de pression foncière dans la commune ne figure pas parmi ces critères". En effet, la question de la pression foncière "n'est mentionnée, dans le point c) du III du même article, que comme une des conditions permettant d'autoriser, lorsque la commune n'est pas dotée d'un plan local d'urbanisme ou d'une carte communale, une dérogation au principe d'urbanisation en continuité avec les groupes d'habitation existants, l'autre condition étant que la dérogation envisagée soit compatible avec les objectifs de protection des terres agricoles, pastorales et forestières et avec la préservation des paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel prévus aux I et II de l'article L. 145-3 de ce code".

Cette interprétation rigoureuse participe de l'objectif de protection institué par le Code de l'urbanisme. De manière générale, il faut rappeler que le législateur a entendu interdire toute construction isolée en zone de montagne et a limitativement énuméré les dérogations à cette règle (6). En dehors du cas spécifique des constructions isolées, traitées par le III de l'article L. 145-3, le seul critère général qui doit être mis en oeuvre dans le cadre d'une utilisation des sols réside exclusivement dans l'appréciation des systèmes d'exploitation locaux. Si un terrain est nécessaire à un tel système, il doit bénéficier de la protection prévue par le code.

II - La pression foncière n'est pas un critère d'application générale du I de l'article L. 145-3

C'est donc la question du rapport du terrain avec le mécanisme selon lequel il est exploité qui permet de faire application de l'article L. 145-3. On relèvera que les notions de "rôles" et de "place" ne sont pas très explicites et sont finalement assez généraux : il s'agit de déterminer comment les terrains sont intégrés dans l'exploitation. Les critères de situation de relief, de pente et d'exposition viennent préciser cette situation des terrains par rapport à la nécessité de les préserver. On rappellera que, dans le cadre de la protection de la montagne, objectif poursuivi par le Code de l'urbanisme, il a été jugé que, pour satisfaire à la compatibilité prévue au II de l'article L. 145-3 entre les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols et les exigences de préservation, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol projetée et les aménagements s'y rapportant avec l'exigence de préservation de l'environnement montagnard prévue par la loi (7).

En revanche, la pression foncière n'a pas à être prise en compte. Une telle solution n'est guère surprenante. D'une part, comme le relève le Conseil d'Etat, elle ne figure pas dans le texte applicable. Le seul fait que le III de l'article L. 145-3 mentionne ce critère n'est, en effet, nullement un argument pour soutenir son applicabilité. En effet, les trois parties de cet article concernent des domaines différents et si le législateur a regroupé ces éléments dans un seul article, il aurait pu tout aussi bien les séparer dans des articles différents. On relèvera, également, que le moyen tiré de la méconnaissance par un permis de construire des dispositions du III de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme relatives à la règle de constructibilité limitée en zone de montagne ne constitue pas un moyen d'ordre public qu'il appartiendrait au juge de soulever d'office (8). D'autre part, au vu de la nature même de la demande, le critère de la pression foncière, bien que n'étant pas nécessairement inapproprié en lui-même, n'était évidemment pas déterminant puisqu'il ne s'agissait pas de construire un immeuble à usage d'habitation.

En l'occurrence, le tribunal administratif avait pris en compte l'absence de pression foncière pour en déduire que les terres faisant l'objet du projet du pétitionnaire n'étaient pas nécessaires au maintien des activités agricoles, pastorales, et forestières. Ce faisant, il a donc fondé sa décision sur un critère qui n'était pas prévu par les dispositions applicables. Très logiquement, le Conseil d'Etat rappelle que seuls les critères figurant au I de l'article L. 145-3 doivent être pris en compte pour apprécier la nécessité de préserver, ou non, les terrains concernés par le projet. Il ne peut que censurer la décision pour erreur de droit.

  • Création d'une nouvelle catégorie d'aménagements légers susceptibles d'être autorisés dans les espaces boisés classés situés en bordure du littoral (CE 4° et 5° s-s-r., 6 février 2013, n° 348278, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4646I79)

Le classement d'un secteur en espace boisé classé par un document d'urbanisme a pour objectif de protéger ledit secteur en réduisant le droit des propriétaires à aménager leur terrain à leur guise et en soumettant les abattages d'arbres à une autorisation de défrichement. Dans l'espèce commentée, une SCI avait acquis, en 2003, une propriété située dans un espace boisé classé en application des dispositions de l'article L. 130-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1581IWH) par le plan d'occupation des sols d'une commune littorale de la presqu'île de Saint-Tropez. Elle a fait procéder, en 2004, à des abattages d'arbres en vue, d'une part, d'élargir un chemin d'accès aux bâtiments sis sur cette propriété et, d'autre part, d'aménager un chemin autour de ces bâtiments. Elle a, toutefois, réalisé ces travaux sans demander, au préalable, l'autorisation de défrichement. Elle a régularisé sa situation en sollicitant ultérieurement deux autorisations qui lui ont été refusées. Le maire a rejeté les deux demandes, rejets dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif. Il est vrai que le concept même de régularisation dans le cadre d'un abatage d'arbres laisse toujours un peu perplexe au regard du caractère définitif, à vue humaine, de l'opération. Toutefois, la cour administrative d'appel de Marseille (9) a annulé le jugement de première instance et les arrêtés litigieux. Le Conseil d'Etat annule l'arrêt d'appel et donne partiellement raison à la commune sur l'un des deux arrêtés.

I - La protection du littoral par les dispositions de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme

Il faut rappeler que l'article L. 130-1 du Code de l'urbanisme prévoit que "les plans locaux d'urbanisme peuvent classer comme espaces boisés, les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu'ils relèvent ou non du régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut s'appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies, des plantations d'alignements. Le classement interdit tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements [...]".

Cette protection se combine avec les dispositions de l'article L. 146-6 (N° Lexbase : L8034IMI) qui disposait, dans sa rédaction alors applicable, que "les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières [...] toutefois, des aménagements légers peuvent y être implantés lorsqu'ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public. Un décret définit la nature et les modalités de réalisation de ces aménagements [...] le plan local d'urbanisme doit classer en espaces boisés, au titre de l'article L. 130-1 du présent code, les parcs et ensembles boisés existants les plus significatifs de la commune ou du groupement de communes, après consultation de la commission départementale des sites". On rappellera utilement que, s'agissant des seuls espaces boisés situés sur le territoire d'une commune littorale, la protection résultant de l'article L. 146-6 ne s'applique qu'à ceux situés à proximité du rivage (10) et que la liste des espaces et milieux de cet article n'est pas limitative (11).

L'article R. 146-6 du même code (N° Lexbase : L1889IRE) fixe la liste des aménagements légers susceptibles d'être admis en dérogation à l'interdiction de principe formulée implicitement par l'article L. 146-6. Ce texte prévoit, en effet, qu'"en application du deuxième alinéa de l'article L. 146-6, peuvent être implantés dans les espaces et milieux mentionnés à cet article, après enquête publique dans les cas prévus par le décret n° 85-453 du 23 avril 1985 (N° Lexbase : L1450IEG), les aménagements légers suivants, à condition que leur localisation et leur aspect ne dénaturent pas le caractère des sites, ne compromettent pas leur qualité architecturale et paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux". Au titre de ces aménagements légers, l'article R. 146-6 prévoit, notamment, les cheminements piétonniers et cyclables et les sentes équestres ni cimentés, ni bitumés, lorsqu'ils sont nécessaires à la gestion ou à l'ouverture au public de ces espaces ou milieux.

Le juge d'appel, après avoir estimé que la propriété de la SCI était située dans un espace remarquable entrant dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme, avait annulé les deux arrêtés au motif, pour le premier, que l'élargissement du chemin d'accès aux bâtiments n'était pas susceptible d'entraîner une altération significative du site et, pour le second, qu'il n'était pas établi que l'abattage des arbres nécessité par l'aménagement d'un chemin autour des bâtiments porterait atteinte au caractère ou à l'intérêt de ce paysage remarquable, ou qu'il serait visible à partir du littoral.

Le Conseil d'Etat censure cette analyse au motif qu'en "statuant ainsi, sans rechercher si les deux chemins pour la réalisation desquels la SCI [...] avait présenté ses demandes pouvaient légalement être réalisés eu égard aux dispositions de l'article R. 146-2 du même code, la cour administrative n'a pas légalement justifié ses décisions".

Ce faisant, le Conseil éclaire les conditions d'application de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme. Les modalités du contrôle du juge de cassation sur la qualification d'espaces remarquables ont déjà été précisées par la jurisprudence. Les critères retenus par les juges du fond sont soumis à un contrôle d'erreur de droit, mais le juge de cassation contrôle, également, la qualification juridique des faits (12). En revanche, le juge d'appel apprécie souverainement si les aménagements litigieux sont, ou non, des aménagements légers au sens de l'article L. 146-6 (13). Il en va de même du juge des référés (14).

L'article L. 146-6 s'applique donc non seulement aux documents d'urbanisme, mais également aux décisions individuelles. Toutefois, il n'ouvre pas un pouvoir d'appréciation générale à l'autorité administrative et, par voie de conséquence, au juge. La Cour a apprécié la légalité de l'ouverture des chemins au seul regard des objectifs généraux de protection évoqués par l'article L. 146-6. Il lui appartenait, en réalité, d'apprécier les demandes au regard des exceptions prévues à l'article R. 146-6. En effet, l'article L. 146-6 pose une règle de protection qui n'ouvre pas de possibilité de dérogation susceptible d'être appréciée en fonction des critères évoqués par le juge. Ce dernier doit, ainsi, appliquer rigoureusement les règles du code et vérifier si la demande présentée par le pétitionnaire est susceptible de rentrer dans le champ d'application des exceptions prévues par décret. L'arrêt d'appel est donc censuré.

II - Des chemins d'accès peuvent constituer des aménagements légers

C'est le second apport de cet arrêt. Après avoir prononcé la cassation de l'arrêt, le Conseil d'Etat décide de faire oeuvre pédagogique et statue au fond sur le fondement de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ). La démarche mérite d'être signalée car elle n'est plus la norme, du fait de la réduction des stocks d'affaires des cours administratives d'appel.

Le Conseil va faire un sort différent aux deux refus d'autorisations en cause. Au sujet du premier, qui concerne l'abattage des arbres destiné à la création du chemin d'accès aux bâtiments, il relève que l'arrêté de refus est "motivé par la circonstance que la réalisation du projet emporterait un changement d'affectation du sol de nature à compromettre la conservation et la protection de l'espace boisé classé, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 130-1 du Code de l'urbanisme, et qu'elle affecterait un espace remarquable au sens de l'article L. 146-6 du même code".

Il précise, d'une part, que "la légalité du refus opposé à la SCI [...] doit être appréciée au vu des mentions de la demande d'autorisation et non au vu des travaux illégalement exécutés sans autorisation dans l'espace boisé classé". L'affirmation peut surprendre au premier abord puisqu'elle donne le sentiment que l'affaire est réglée de manière purement théorique sans qu'on prenne en compte la réalité des travaux exécutés. Toutefois, bien que faisant partie d'un processus de régularisation, la demande ne pouvait être traitée de manière différente des demandes régulières.

Le Conseil énonce, d'autre part, qu'au vu de la nature des travaux demandés qui consistent en l'aménagement d'une voie d'accès aux bâtiments à usage d'habitation laissée à l'état naturel et d'une largeur limitée à quatre mètres, ceux-ci peuvent être considérés comme constituant des aménagements légers au sens de l'article R. 146-2. Il précise, tout d'abord, "qu'en raison de leur faible ampleur, les travaux mentionnés dans la demande d'autorisation [...] n'entraînent pas un changement d'affectation ou d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements de l'espace boisé classé, qui serait prohibé par les dispositions de l'article L. 130-1 du Code de l'urbanisme". Il constate, ensuite, que le secteur constitue un espace protégé au titre de l'article L. 146-6, s'agissant d'un espace boisé classé par le plan d'occupation des sols, appartenant à un ensemble boisé continu qui s'étend presque jusqu'au rivage de la presqu'île de Saint-Tropez. Enfin, usant largement de son pouvoir prétorien, il énonce que les dispositions applicables et, notamment, l'article R. 146-2, n'ont ni pour objet, ni pour effet d'interdire la réalisation des aménagements nécessaires à la lutte contre l'incendie "à la condition qu'il s'agisse d'aménagements légers strictement nécessaires à cette fin". Il faut bien reconnaître que l'extension est particulièrement contraire à la lettre même de l'article R. 146-2, qui ne supporte aucune exception autre que celles qu'il énonce. Néanmoins, on ne s'étonne plus de voir le Conseil d'Etat jouer avec les textes qu'il applique et, selon les cas, en faire une application conforme à ses objectifs, qu'elle soit littérale ou non.

En l'occurrence, le juge de cassation relève que le secteur comporte des bâtiments à usage d'habitation et que l'accès à ces bâtiments par les véhicules de lutte contre l'incendie depuis la route existante ne peut être correctement assuré par l'entrée ordinaire de la propriété, qui présente un tracé sinueux et ne se prête pas à des travaux d'aménagement. Il constate que les travaux de faible ampleur mentionnés dans la demande d'autorisation n'excèdent pas ceux que le service départemental d'incendie et de secours a estimé nécessaires pour permettre aux véhicules de lutte contre l'incendie d'accéder aux bâtiments, dans un secteur exposé à un risque majeur de feu de forêt. Il peut ainsi, se référant à l'objectif de protection de la législation, en conclure que "les travaux mentionnés dans la demande d'autorisation et décrits ci-dessus n'entraînent pas un changement d'affectation ou d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements de l'espace boisé classé, qui serait prohibé par les dispositions de l'article L. 130-1 du Code de l'urbanisme".

On ne manquera pas de relever le caractère un peu paradoxal du caractère général de la démarche. Même si le motif de censure de l'arrêt d'appel apparaît, pris isolément, comme étant justifié au regard de la méthode de raisonnement, il est tout de même surprenant de censurer les juges du fond en ce qu'ils ont apprécié le refus d'autorisation sur la base de l'objectif général de protection des lieux, tout en créant une nouvelle exception au sein de l'article R. 146-2 sur la base de ce même objectif de protection.

Appliquant le même raisonnement, le Conseil confirme, en revanche, la légalité du second arrêté de refus qui concernait l'aménagement d'un chemin autour des bâtiments situés sur la propriété du pétitionnaire. Cette opération, qui impliquait la réalisation d'un chemin, laissé à l'état naturel et d'une largeur de quatre mètres, nécessitait, également, l'abattage d'une soixantaine d'arbres, en majorité des chênes lièges et, pour le reste, des pins maritimes sur une surface de 800 m2. Constatant que, "si le service départemental d'incendie et de secours du Var estimait que la réalisation de ce chemin pouvait présenter une utilité, il ne le jugeait pas indispensable à la protection des bâtiments contre l'incendie, se bornant à préconiser, outre l'aménagement du chemin d'accès aux bâtiments d'une largeur de quatre mètres, de simples travaux d'élagage et de débroussaillage", le Conseil d'Etat en déduit que la réalisation de ce chemin ne peut constituer un aménagement léger au sens de l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme. Après avoir relevé que le maire aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce seul motif, le Conseil confirme la légalité du second arrêté de refus et enjoint au maire de statuer à nouveau sur la demande de création du chemin d'accès dans un délai de quatre mois à compter de la notification de son arrêt.


(1) CE Sect., 7 juillet 1967, n° 63219, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5113B7I), p. 306.
(2) CAA Lyon, 1ère ch., 23 mars 2004, n° 00LY00071, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3303KBX).
(3) CE 3° et 5° s-s-r., 9 juillet 1997, n° 123341, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0631AE4), T. 1114.
(4) CE 2° et 6° s-s-r., 22 septembre 1997, n° 137416, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7671ADH), T. 1114.
(5) CAA Lyon, 1ère ch., 23 mars 2004, n° 00LY00071, inédit au recueil Lebon, préc. ; sur ce sujet, lire nos obs., Chronique de droit de l'urbanisme - Mai 2012 (N° Lexbase : N1861BT4), Lexbase Hebdo - édition publique n° 246 du 16 mai 2012.
(6) CE 6° s-s., 16 juillet 2010, n° 324515, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6426E4R).
(7) CE 1° et 6° s-s-r., 24 avril 2012, n° 346439, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4188IKC).
(8) CE 1° et 6° s-s-r., 13 juillet 2012, n° 349747, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8417IQS).
(9) CAA Marseille, 1ère ch., 10 février 2011, n° 09MA01528, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3825GXX).
(10) CE 1° et 6° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 307893, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0328EQ9), p. 545.
(11) CE 1° et 4° s-s-r., 30 décembre 1996, n° 102023, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2063AP4).
(12) CE 4° et 5° s-s-r., 3 septembre 2009, n° 306298 et n° 306468, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7466EKQ), T. 983 ; CE 4° et 5° s-s-r., 14 novembre 2011, n° 333675, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9253HZQ).
(13) CE 5° et 7° s-s-r., 13 novembre 2002, n° 219034, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0757A4S).
(14) CE 4° et 6° s-s-r., 30 décembre 2002, n° 245621, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7100A4Q).

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