La lettre juridique n°485 du 17 mai 2012 : Urbanisme

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'urbanisme - Mai 2012

Lecture: 24 min

N1861BT4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'urbanisme - Mai 2012. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6254178-jurisprudence-chronique-de-droit-de-lurbanisme-mai-2012
Copier

par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 17 Mai 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de droit de l'urbanisme d'Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen. Le premier arrêt commenté précise les règles de constructibilité limitée applicables en zone de montagne (CE 9° et 10° s-s-r., 16 avril 2012, n° 323555, mentionné aux tables du recueil Lebon). La deuxième décision étudiée précise, notamment, les obligations des documents d'urbanisme au regard de la protection des zones de montagne (CE 1° et 6° s-s-r., 24 avril 2012, n° 346439, mentionné aux tables du recueil Lebon). Les juges du Palais-Royal nous rappellent, en dernier lieu, la distinction entre les équipements publics et les équipements propres à un aménagement (CE 3° et 8° s-s-r., 24 avril 2012, n° 340954, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Précisions relatives aux règles de constructibilité limitée applicables en zone de montagne (CE 9° et 10° s-s-r., 16 avril 2012, n° 323555, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1308IKN)

L'arrêt n° 323555 du 16 avril 2012 est venu rappeler la hiérarchie des normes en matière de constructibilité limitée en zone de montagne. Le préfet de Corse du sud avait opposé un certificat d'urbanisme négatif à une demande visant à la réalisation d'un lotissement de seize habitations sur le territoire d'une commune dépourvue de PLU et située en zone de montagne. Le certificat était fondé sur les règles de constructibilité limitée prévues aux articles L. 111-1-2 (N° Lexbase : L9149IMS) et L. 145-3-III (N° Lexbase : L5826HD7) du Code de l'urbanisme. L'annulation de ce premier certificat avait conduit le préfet, destinataire d'une injonction, à prendre un second certificat, tout aussi négatif que le premier, fondé sur les mêmes textes et qui avait été également annulé par le tribunal administratif. L'appel formé contre le jugement annulant le premier certificat avait amené la cour administrative d'appel (1) à censurer le jugement. En revanche, elle avait rejeté l'appel formé dans le cadre du second contentieux. Le Conseil d'Etat s'est donc trouvé saisi d'un pourvoi présenté par le pétitionnaire dans le cadre du contentieux du premier certificat et d'un pourvoi présenté par le ministre de l'Ecologie dans le cadre du second certificat.

1 - Quelques rappels de procédure

Le Conseil d'Etat apporte quelques précisions procédurales. D'une part, une fois n'est pas coutume, il censure les deux arrêts d'appel sur le fondement de la dénaturation. Souvent invoqué, le moyen est rarement admis. En l'occurrence, le premier arrêt relevait les écritures du requérant pour affirmer que la parcelle, assiette du projet, se situait à plus de cent mètres des quelques bâtiments existants à proximité. Le requérant avait pourtant soutenu que cette distance était nettement inférieure à cent mètres. La censure est un peu surprenante. Le Conseil d'Etat est, le plus souvent, fort peu sensible à ce type de moyen particulièrement factuel et qui repose sur une appréciation littérale des écrits produits en appel.

La seconde dénaturation est plus classique. La cour administrative d'appel avait commis l'erreur d'affirmer que le ministre fondait exclusivement son recours sur la violation des dispositions de l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme, alors qu'il avait, également, invoqué la violation de l'article L. 145-3-III. La dénaturation était plus évidente. Toutefois, il est fort probable qu'elle n'a été censurée par le juge de cassation uniquement parce que celui-ci avait décidé d'expliciter les rapports existants entre ces deux articles du Code de l'urbanisme.

D'autre part, l'arrêt rappelle la portée des dispositions de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7749HZZ), qui impose à l'auteur d'un recours en matière d'urbanisme, de notifier celui-ci à l'auteur de l'acte et au bénéficiaire de l'autorisation. Cette notification est destinée à réduire le volume du contentieux, mais cet objectif est purement théorique. Outre la mansuétude dont font preuve certains tribunaux qui interprètent très libéralement les conditions d'application de ce texte, les greffes demandent systématiquement, dans le délai de quinze jours dans lequel il faut procéder à cette notification, d'en apporter la preuve. Autant dire que peu de recours sont rejetés comme irrecevables sur ce fondement.

Le Conseil rappelle, sans surprise que les certificats d'urbanisme négatifs "n'entrent donc pas dans le champ d'application de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme". En effet, la mention relative aux certificats d'urbanisme "n'a pas entendu viser, conformément à l'objectif de sécurité juridique poursuivi par le décret, les certificats d'urbanisme négatifs qui ne confèrent aucun droit à leur titulaire". Ce faisant, le Conseil reprend donc la motivation de son avis du 1er avril 2010 (2) dans lequel il précisait la portée de l'article R. 600-1 à l'égard des certificats d'urbanisme. Cet avis énonce "qu'en mentionnant les certificats d'urbanisme, le décret, conformément à l'objectif de sécurité juridique qu'il poursuit, n'a pas entendu viser les certificats d'urbanisme négatifs qui ne confèrent aucun droit à leur titulaire et n'entrent donc pas dans le champ d'application de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme. En revanche, l'objectif de sécurité juridique doit bénéficier à l'auteur de la décision et au titulaire du certificat d'urbanisme et justifie que l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, le titulaire du certificat, soient informés dans tous les cas par la procédure prévue à l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme de l'existence d'un recours contentieux contre les autres certificats d'urbanisme". Le Conseil d'Etat écarte donc la fin de non-recevoir soulevée par le particulier du fait de l'absence de notification du pourvoi déposé par le ministre.

2 - Les dispositions applicables à la constructibilité limitée en zone de montagne

La règle de la constructibilité limitée pour les communes ne disposant pas d'un PLU est déclinée à plusieurs reprises dans le Code de l'urbanisme. Au titre des règles générales de l'urbanisme, l'article L. 111-1-2 énumère de manière limitative les hypothèses qui permettent de déroger à cette règle en dehors des parties actuellement urbanisées d'une commune. Le Conseil d'Etat en profite pour rappeler qu'il s'agit bien d'une énumération limitative. La jurisprudence considère, en effet, qu'en dehors de ces hypothèses, l'administration est en situation de compétence liée pour rejeter toutes les demandes d'autorisation d'occupation du sol (3).

Dans les zones de montagne, la constructibilité limitée est prévue par l'article L. 145-3-III. Cet article prévoit que l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants. Toutefois, plusieurs dérogations à cette règle sont prévues : peuvent, ainsi, être autorisées des constructions qui ne sont pas situées en continuité de l'existant "si la commune ne subit pas de pression foncière due au développement démographique ou à la construction de résidences secondaires et si la dérogation envisagée est compatible avec les objectifs de protection des terres agricoles, pastorales et forestières et avec la préservation des paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel". Cette dérogation est accordée dans les conditions prévues au 4° de l'article L. 111-1-2, lequel impose une délibération motivée du conseil municipal permettant d'établir que le projet répond à l'intérêt communal.

L'imbrication de ces dispositions ne simplifie pas la situation. Témoin de cette incertitude, le certificat négatif délivré au pétitionnaire était fondé simultanément sur les deux articles. L'administration n'avait manifestement pas été en mesure de déterminer avec précision quel texte devait être appliqué et avait préféré invoquer les deux fondements possibles de sa décision, laissant, ainsi, au juge le soin de dire si seul l'un d'entre eux pouvait légalement fonder le certificat, ou si ce dernier devait reposer sur le cumul de ces deux dispositions.

Le Conseil d'Etat a saisi l'occasion pour clarifier la situation. Il précise ici que les dispositions de l'article L. 145-3-III "régissent entièrement la situation des communes classées en zone de montagne pour l'application de la règle de constructibilité limitée, qu'elles soient ou non dotées de plan d'urbanisme, à l'exclusion des dispositions prévues à l'article L. 111-1-2 régissant la situation des communes non dotées d'un plan d'occupation des sols ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu". En zone de montagne, la règle de la constructibilité limitée, ainsi que les dérogations susceptibles d'y être apportées sont donc régies exclusivement par l'article L. 145-3-III. Les dispositions de l'article L. 111-1-2 ne peuvent donc être invoquées ou fonder légalement une décision. La précision ainsi apportée clarifie les champs d'application respectifs de deux articles : L. 145-3-III concerne de manière globale les zones de montagne, tandis que L. 111-1-2 ne concerne que les communes situées hors de ces zones et non dotées d'un PLU ou d'une carte communale.

Statuant au fond, le Conseil en profite pour fixer des critères d'appréciation des conditions posées par l'article L. 145-3-III. Il relève que la parcelle de 41 180 m² d'assiette du projet est située à une centaine de mètres des constructions existantes qui sont éparses et ne constituent pas un hameau ou un groupe de construction au sens du texte. Il note, également, que cette parcelle présente un caractère naturel marqué, du fait, notamment, de sa continuité avec de vastes étendues naturelles. L'objectif de protection du patrimoine naturel prévaut donc sur toute autre considération, notamment le fait que la parcelle soit partiellement viabilisée, qu'elle soit longée par un chemin vicinal, ou qu'elle supporte déjà une construction dont on peut, d'ailleurs, subodorer qu'elle est assez ancienne, étant donné qu'il s'agit d'une chapelle. Le requérant n'ayant pas demandé à bénéficier de l'exception à la règle de continuité avec le bâti existant, les critères de dérogation à la règle de constructibilité limitée prévus par l'article L. 145-3-III n'ont pas à être examinés. Après avoir relevé, sans surprise, que le fait que des autorisations de construire aient été délivrées ultérieurement est dépourvu d'influence sur la légalité des certificats négatifs, le Conseil annule l'ensemble des décisions rendues par les juges du fond dans cette affaire.

  • Les obligations afférentes aux documents d'urbanisme au regard de la protection des zones de montagne (CE 1° et 6° s-s-r., 24 avril 2012, n° 346439, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4188IKC)

Après avoir échoué, il y a plus de vingt ans, à faire obstacle à la création d'une station de pompage sur le site du lac de Sainte-Croix, l'association intercommunale et interdépartementale pour la protection du lac de Sainte-Croix vient de réussir à faire annuler la décision de création d'un camping et de caravanage susceptible d'accueillir trois cent personnes. Le maire de la commune voisine avait accordé cette autorisation afin de limiter le camping sauvage. Le tribunal administratif et la cour administrative d'appel (4) avaient rejeté le recours en annulation intenté par l'association. Le Conseil d'Etat y fait droit et apporte d'utiles précisions tant sur les dispositions de l'article L. 145-3-II du Code de l'urbanisme, que sur l'office du juge.

1 - Des précisions sur le régime de l'article L. 145-3-II du Code de l'urbanisme

Selon les termes de l'article L. 145-3-II du Code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige "les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard". Une jurisprudence assez fournie est venue apporter plusieurs précisions intéressantes au sujet de l'article L. 145-3, lequel a pour objet, dans ses diverses dispositions, de garantir la protection des zones de montagne.

Ces précisions concernent, d'une part, le contentieux administratif. Les décisions du préfet en matière de réfection des chalets d'alpage ou de bâtiments d'estive sont, ainsi, susceptibles d'un appel devant la cour administrative d'appel, même lorsque la décision préfectorale a été prise dans le cadre de l'instruction, par le maire, d'une déclaration de travaux exemptés de permis de construire (5). Par ailleurs, il faut noter que l'arrêté interministériel qui procède au classement d'une commune, ou d'une partie de commune, en zone de montagne n'a pas un caractère réglementaire. On ne peut donc utilement exciper de l'illégalité d'un tel arrêté pour soutenir que les dispositions de l'article L. 145-3 ne sont pas applicables (6).

La jurisprudence a, d'autre part, fixé le champ d'application de cet article. Le Conseil d'Etat a, tout d'abord, précisé que les dispositions de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme n'interdisent pas tout développement de l'urbanisation (7). Il a ensuite indiqué que ces dispositions ne sont applicables qu'aux opérations d'urbanisation. En conséquence, la réalisation d'une station de pompage n'est pas constitutive d'une telle opération (8). Il faut, enfin, relever qu'il n'est pas nécessaire qu'un secteur compris dans le champ d'application de l'article L. 145-3-II fasse partie d'un parc national ou d'une réserve naturelle pour être regardé comme un espace, paysage et milieu caractéristique du patrimoine naturel et culturel montagnard au sens de ces dispositions (9).

La décision du 24 avril 2012 vient apporter une précision nouvelle d'ordre général qui est susceptible d'emporter des conséquences immédiates sur les documents d'urbanisme des communes classées en zone de montagne. En effet, les dispositions de l'article L. 145-3-I imposent déjà aux auteurs des documents de planification locale de prendre les mesures nécessaires. Le Conseil d'Etat a délimité les conditions de compatibilité des projets d'urbanisme avec les dispositions de cet article. Plusieurs décisions traduisent l'existence d'un contrôle de compatibilité entre les procédures de révision ou de modification des plans locaux d'urbanisme ou des postes et les exigences du I de l'article L. 145-3. Il a, ainsi, été jugé qu'une prairie de fauche d'une superficie de 4 300 m² située à proximité immédiate d'un village peut être classée en emplacement réservé en vue de la création d'un parking, compte tenu de l'existence, dans la commune, d'un millier d'hectares de prairies de fauche destinées à l'élevage ovin (10). De même, le Conseil a considéré que la Charte du parc naturel régional des volcans d'Auvergne n'a pas méconnu l'article L. 145-3, en ce que ce document prévoit que l'urbanisation doit se faire en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants et que des zones d'urbanisation nouvelles ne peuvent être créées que par exception et doivent, alors, être intégrées à l'environnement (11).

En revanche, la portée exacte du II de l'article L. 145-3 demeurait incertaine. La cour administrative d'appel n'avait, d'ailleurs, pas statué directement sur cette question, se limitant à apprécier sommairement la compatibilité du projet avec l'objectif de protection des zones de montagne. Le Conseil d'Etat donne une portée bien supérieure à ces dispositions en affirmant que, "pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, les documents et décisions [en question] doivent comporter des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol projetée et les aménagements s'y rapportant avec l'exigence de préservation de l'environnement montagnard prévue par la loi".

L'exigence imposée par le texte concerne donc les décisions individuelles mais, également, les documents d'urbanisme. La conséquence en est très concrète : un tel acte qui ne contiendrait pas expressément des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol avec la préservation de l'environnement montagnard serait illégal. Il appartient donc aux collectivités d'analyser soigneusement leurs documents d'urbanisme afin d'en vérifier la conformité aux exigences de l'article L. 145-3.

Mais l'exigence posée par l'arrêt du 24 avril 2010 ne s'arrête pas là. En effet, alors que la cour administrative d'appel s'était limitée à vérifier l'absence d'incompatibilité entre le projet et le respect de ces exigences, et que le texte impose une exigence de compatibilité qui pourrait être appréciée de manière négative, comme traduisant l'absence d'atteinte à la préservation des espaces montagnards, le Conseil d'Etat impose, désormais, un rapport de compatibilité positif. Pour être légal, la décision ou l'acte d'urbanisme ne doivent pas se limiter à ne pas porter atteinte à la protection du patrimoine naturel et culturel. Ils doivent comporter les dispositions nécessaires qui permettent de concilier cette protection avec le projet ou avec l'occupation prévue. Cette exigence n'est pas surprenante pour les documents d'urbanisme. Etant donnée leur nature de documents de planification, il n'est pas étonnant qu'on leur impose de prévoir des considérations précises relatives au parti de développement ou, par exemple, au zonage.

En revanche, l'exigence est plus sérieuse pour les actes individuels. Il est courant que les autorisations d'urbanisme soient dans l'obligation de prévoir des prescriptions spéciales en application de dispositions législatives particulières. Toutefois, ces prescriptions ne sont pas nécessairement automatiques. L'architecte des bâtiments de France, par exemple, n'est pas tenu d'imposer des prescriptions, dès lors qu'il estime que le projet respecte les exigences afférentes à sa localisation dans le périmètre de protection des monuments historiques. L'arrêt du 24 avril 2012 oblige, désormais, dans les zones de montagne, une conciliation explicite et normative entre les autorisations individuelles et la préservation de l'environnement montagnard.

2 - Des précisions concernant le contrôle du juge

Après avoir explicité la portée exacte de l'obligation faite aux documents d'urbanisme par l'article L. 145-3 II, le Conseil d'Etat censure l'arrêt d'appel. La cour administrative d'appel avait jugé que, "par elle-même, l'autorisation d'aménager un camping sur le site [...] était de nature à diminuer les atteintes portées à ce site par la pratique préexistante du camping sauvage' et à assurer ainsi la compatibilité entre l'occupation du sol projetée et l'exigence de préservation de l'environnement montagnard". Cette appréciation était, au premier abord, assez logique. La Cour a considéré l'objet de la décision contestée, à savoir la création du camping, était motivé par le souci d'offrir une solution au camping sauvage. En vertu du principe selon lequel il est préférable d'encadrer ce qu'on ne peut empêcher, le maire avait décidé de créer le terrain afin de limiter les effets du camping sauvage. La solution était séduisante dans son principe.

Toutefois, elle ne constitue pas, en elle-même une réponse au problème qu'elle prétend résoudre. En effet, rien ne permet d'affirmer que l'ouverture d'un camping officiel réduira les effets du camping sauvage. Ce qui relève du bon sens est, en réalité, une réflexion primaire dont les effets peuvent être résolument opposés à ceux recherchés. Il est courant de constater que la réalisation d'aménagements publics divers provoque, non seulement, des effets d'aubaine imprévus, mais ne résout que partiellement, voire très peu, les problèmes auxquels leur construction était censée répondre. En l'occurrence, il est bien évident que la sociologie du campeur sauvage n'est évidemment pas identique à celle du campeur adepte des terrains présentant tous les avantages d'un établissement officiel. Aussi bien, la création du camping aura inéluctablement pour effet d'accroître sensiblement la fréquentation du site, sans pour autant diminuer de manière sensible le stationnement illégal. La présence du terrain attirera les campeurs respectueux des règlements et n'incitera pas les habitués du camping sauvage à s'y rendre. Au total, le site continuera de subir les dégradations causées par ces deux catégories, auxquelles il faudra ajouter les destructions et aménagements modernes causés par la création de l'installation municipale.

La cour administrative d'appel en est pourtant restée à ce niveau de réflexion quasi-tautologique en affirmant que le projet présentait un intérêt général qui répondait parfaitement, du fait de la nature même de l'aménagement prévu, à l'intérêt général poursuivi par l'article L. 145-3-II et résidant dans la préservation des espaces montagnards. Ce faisant, elle a porté une analyse absolument théorique sur l'affaire qui lui était soumise. Il faut noter que ce type de raisonnement est assez surprenant de la part du juge administratif. Il est, en effet, courant de relever dans les dossiers préalables aux enquêtes publiques élaborés par les bureaux d'étude une confusion permanente entre l'intérêt général intrinsèque d'un projet et son utilité publique, telle que l'entend la jurisprudence administrative. Un projet d'aménagement poursuivi par une personne publique répond (presque) toujours à un but d'intérêt général, ce qui ne signifie pas pour autant que le bilan coût/avantages de l'opération soit positif. Il est plus rare que le juge adopte ce genre de raisonnement.

Le Conseil d'Etat censure donc cette analyse en rappelant aux juges du fond la nature exacte du contrôle qu'ils doivent exercer sur ce type de décision. Ce contrôle ne se limite pas au seul intérêt général du projet. Ayant rappelé qu'une décision d'occupation des sols doit impérativement comporter des dispositions conciliant le projet avec la préservation de l'environnement montagnard, le Conseil d'Etat traduit donc cette exigence en termes de contrôle juridictionnel. Il énonce que le juge aurait dû "rechercher si l'insertion du projet dans le site était, en elle-même, de nature à préserver l'environnement montagnard protégé par la loi". Ce faisant, le Conseil d'Etat impose au juge du fond de procéder à une appréciation très concrète du projet. Il convient de prendre en compte la nature même du projet, mais le juge doit, également, apprécier l'ensemble des mesures de compensation prévues afin de vérifier si elles sont, en elles-mêmes et dans leurs effets, suffisantes pour préserver l'environnement montagnard.

On constate que le Conseil d'Etat n'exige pas seulement l'appréciation des mesures de compensation des effets négatifs du projet. Il convient d'analyser chacune de ces mesures prises individuellement mais aussi de les apprécier dans leur ensemble pour vérifier que l'objectif de préservation est bien respecté. Le projet ne doit donc pas seulement être compatible avec cet objectif mais les mesures d'insertion doivent avoir pour objet même de poursuivre cet objectif de préservation, et pas uniquement de compenser les aspects négatifs du projet. Les conséquences de cet arrêt sont importantes. L'autorisation administrative ne peut être justifiée par la seule poursuite d'un intérêt général qui est toujours présent. Le juge, pour sa part, doit exercer un contrôle très poussé sur le projet et ses mesures d'insertion, contrôle qui dépasse celui du bilan appliqué à l'utilité publique.

Il reste à l'association requérante à démontrer en quoi les mesures d'insertion ne répondent pas aux exigences ainsi définies par le Conseil d'Etat. On pourra aussi lui suggérer d'approfondir, en amont, la question même de l'intérêt général du projet. Le contentieux est, en effet, renvoyé devant la cour administrative d'appel de Marseille, le Conseil n'ayant pas jugé utile de statuer au fond malgré les dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ).

  • Rappel de la distinction entre les équipements publics et les équipements propres à un aménagement (CE 3° et 8° s-s-r., 24 avril 2012, n° 340954, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4171IKP)

Avant que le législateur ne vienne y mettre un peu d'ordre, le domaine des participations d'urbanisme était particulièrement riche et varié. L'invention à peu près inépuisable des intervenants privés, jointe à celle des élus locaux, permettait de découvrir de nombreuses solutions assez originales, subies par les aménageurs ou suggérées par eux dans le cadre de transactions parfois assez douteuses. Ces habitudes n'ont, certes, pas entièrement disparu. Toutefois, le Code de l'urbanisme a rationalisé ces participations. Le législateur a progressivement réformé la fiscalité de l'urbanisme vers plus de simplicité. Dernière réforme en date, la taxe d'aménagement, entrée en vigueur au 1er mars 2012, destinée à se substituer intégralement à la plupart des autres participations qui devraient disparaître définitivement en 2015.

1 - Equipements publics et équipements propres aux lotissements : deux notions distinctes

A l'occasion de la censure d'une contradiction de motifs commise par l'arrêt d'appel (12), le Conseil d'Etat a rappelé la distinction entre ces deux notions. Il convient de souligner, qu'une fois n'est pas coutume, le juge de cassation a fait droit au moyen tiré de la contradiction de motifs. Le moyen est fréquemment invoqué mais rarement admis. Il est, en effet, très souvent invoqué à l'appui d'une insuffisance de motivation ou d'une erreur de droit et c'est le plus souvent l'un de ces deux motifs que le Conseil d'Etat retient pour fonder sa décision de cassation, ce qui explique que la contradiction de motifs soit rarement retenue en tant que telle. Il faut, également, rappeler qu'il s'agit d'un moyen de légalité interne : il est relatif, non à pas un défaut de motivation, mais au bien-fondé de l'arrêt.

En l'espèce, une commune avait délivré une autorisation de lotir à une SARL et mis à sa charge la réalisation de travaux destinés à éviter les inondations sur le terrain faisant l'objet de l'autorisation. Celui-ci, situé en aval d'un bassin versant, était traversé par un fossé destiné à permettre l'écoulement des eaux. Toutefois, ce fossé avait manifestement une fâcheuse tendance à déborder en cas de fortes pluies, inondant ainsi le terrain d'assiette du projet. Les travaux imposés par la commune à l'aménageur, d'un montant de plus de 42 000 euros, consistaient dans le comblement du fossé et la réalisation d'une canalisation souterraine.

Invoquant les dispositions de l'article L. 332-30 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2426IEL), qui limite expressément les participations exigibles à celle prévues par le code, la société réclamait le remboursement du coût des travaux. La réponse de la cour administrative d'appel était effectivement entachée d'une contradiction de motifs tellement évidente qu'elle en était surprenante. Le juge d'appel avait simultanément répondu, dans deux considérants quasi successifs, d'un côté, que le fossé relevait de la catégorie des équipements publics prévus à l'article L. 311-4 (N° Lexbase : L1514IPR) et que la participation exigée ne pouvait donc suivre le régime de répétition des versements indus de l'article L. 332-30 et, d'un autre côté, que le busage et le déplacement de ce fossé devaient être regardés comme ayant le caractère d'un équipement propre au lotissement au sens des dispositions de l'article L. 332-6 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1513IPQ). Le Conseil d'Etat ne pouvait que censurer une telle contradiction, la qualification d'équipement public adoptée par la cour administrative d'appel n'étant pas un motif surabondant puisque le juge d'appel s'était fondé sur cette première qualification juridique pour écarter le régime juridique applicable aux participations sans cause. Le Conseil d'Etat rappelle donc que "les deux notions n'ont ni le même objet, ni la même portée" et censure l'arrêt.

2 - La distinction entre équipements publics et équipements propres

La distinction entre équipements publics et équipements propres s'appuyant sur des éléments factuels, il est difficile d'en donner un critère fiable. La répartition entre les deux catégories est si délicate que le Conseil d'Etat s'est réservé le soin d'en contrôler la qualification juridique en cassation, au lieu d'en laisser le soin à l'appréciation souveraine des juges du fond. Les travaux se rattachant aux équipements propres doivent avoir un objet essentiellement tourné vers la réalisation de l'aménagement. En revanche, les équipements publics sont susceptibles de répondre à un besoin plus général. S'ils sont réalisés à l'occasion de l'aménagement, ils n'en conservent pas moins une finalité au moins partiellement distincte. Dans un arrêt du 29 octobre 1997, le Conseil d'Etat avait ainsi jugé qu'il ressortait "des constatations effectuées par les juges du fond que les voies sont affectées à la circulation générale et ne sont pas principalement destinées à la desserte du lotissement [...] ainsi, en en déduisant qu'elles constituaient, non un équipement propre au lotissement, mais un équipement public, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'une qualification juridiquement erronée" (13).

L'objet des équipements propres est centré sur la réalisation de l'aménagement. C'est le cas d'une station de relèvement construite par la commune pour répondre aux besoins d'assainissement d'un lotissement. Le fait qu'elle desserve, également, un autre lotissement, construit par un tiers, ne lui retire pas cette qualification (14). C'est également le cas de travaux de raccordement des habitations du lotissement aux réseaux de gaz d'électricité et de télécommunication (15). Dans une espèce assez similaire à l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat a aussi retenu la qualification d'équipements propres pour des travaux d'évacuation des eaux réalisés dans le seul but d'assurer la constructibilité des parcelles (16). Il en va de même pour des travaux de raccordement à l'égout effectués, non dans l'intérêt général des habitants de la commune ou du quartier, mais exclusivement dans l'intérêt et pour la desserte directe des habitants de la construction envisagée (17).

En revanche, le juge reconnaît la qualification d'équipements publics dès que l'objet des travaux dépasse le seul intérêt de l'aménagement. C'est le cas de travaux d'élargissement et d'assainissement d'un chemin rural desservant un lotissement mais reliant, également, entre elles deux voies publiques de la commune et étant, de ce fait, utilisé dans l'intérêt général des habitants de la commune (18). Sont également partie intégrante des réseaux publics les collecteurs implantés sous la voie publique et destinés à acheminer les eaux usées jusqu'aux collecteurs publics existants (19). De même, une conduite longue de cinquante mètres environ placée dans l'emprise d'une rue, jusqu'au réseau gravitaire, située après un branchement particulier et implantée dans l'emprise d'une voie communale classée et dont il est constant qu'elle peut recevoir d'autres branchements particuliers, revêt le caractère d'un ouvrage public (20).

En l'espèce, la solution adoptée par le Conseil d'Etat se situe dans la lignée de la jurisprudence antérieure. A l'issue d'une appréciation on ne peut plus concrète, le Conseil opte pour la qualification d'équipements propres. Il relève, en effet, "qu'avant la réalisation des travaux prescrits par la commune, un fossé d'écoulement des eaux pluviales traversait les parcelles situées dans le périmètre du futur lotissement et permettait l'évacuation de ces eaux du bassin versant situé en amont [...] la situation géographique du terrain l'exposait en cas de forte pluie à des inondations provoquées par le débordement du fossé [...] la mise en place d'une canalisation sous le terrain et la suppression du fossé ont eu pour objet de permettre la constructibilité des parcelles comprises dans le terrain d'assiette du lotissement".

Il apparaît donc très clairement que le fossé ne répondait pas à un besoin d'intérêt général dès lors qu'il avait pour objet de récupérer les eaux provenant d'un fonds voisin manifestement privé. Le Conseil d'Etat s'appuie, également, sur le fait que les travaux de comblement et de busage imposés à l'aménageur étaient indispensables pour garantir la viabilité du terrain. Ces deux éléments essentiels permettent de constater que le fossé, avant et après travaux, ne répond pas à un besoin public clairement identifié mais, qu'au contraire, son objet répond essentiellement aux besoins de l'opération prévue. En effet, tant l'évacuation des eaux du fonds servant que l'assainissement du terrain d'assiette sur projet sont indispensables à la réalisation de ce dernier. Le Conseil peut donc en conclure que, "dès lors, alors même que la canalisation traversait seulement le terrain sans le desservir et qu'elle contribuait à l'évacuation des eaux pluviales en provenance de terrains situés en amont du projet, c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a regardé ces travaux comme ne constituant pas un équipement propre au lotissement au sens des dispositions de l'article L. 332-6 du Code de l'urbanisme".

On relèvera que le Conseil d'Etat profite de la conclusion de son raisonnement pour apporter une précision d'ordre général supplémentaire afin d'aider à la distinction entre équipements publics et équipements propres. Cette dernière catégorie ne comprend pas uniquement les travaux intrinsèquement nécessaires à la réalisation de l'aménagement. Celui-ci est, en effet, intégré dans son environnement et les travaux qui, sans répondre à un besoin d'intérêt général évident, lui permettent de s'intégrer à cet environnement doivent être qualifiés d'équipements propres, alors même qu'ils n'ont pas pour objet de le desservir. C'est bien le cas des travaux portant sur le fossé en question. La notion d'équipement propre ne doit donc pas s'entendre exclusivement comme recouvrant les travaux physiquement indispensables à l'aménagement. Elle comprend aussi les travaux privés qui relient ce dernier à son environnement immédiat. La décision de première instance est donc annulée et la demande de restitution de la participation présentée par la société est rejetée.


(1) CAA Marseille, 1ère ch., 23 octobre 2008, n° 07MA02225, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4287EBE).
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 1er avril 2010, n° 334113, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4208EUE).
(3) CE 7° et 10° s-s-r., 19 novembre 1993, n° 125030, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1182AN4).
(4) CAA Marseille, 12 février 2010, n° 07MA04526, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4229IKT).
(5) CE 1° s-s., 7 mai 2010, n° 325729, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1165EXG).
(6) CE 6° s-s., 10 mai 2007, n° 272288, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1224DWA).
(7) CE 1° et 4° s-s-r., 7 décembre 1990, n° 110508, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8663AQW).
(8) CE 2° et 6° s-s-r., 14 octobre 1991, n° 109208, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2375ARE).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 9 juin 2004, n° 254691, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0971D3D).
(10) CE 8° et 9° s-s-r., 10 juin 1998, n° 168718, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7347ASW).
(11) CE 1° et 6° s-s-r., 29 avril 2009, n° 293896, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6396EGY).
(12) CAA Marseille, 1ère ch., 23 avril 2010, n° 08MA01173, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8826EWS).
(13) CE 3° et 5° s-s-r., 29 octobre 1997, n° 158494, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4581ASH).
(14) CE, S., 18 mars 1983, n° 34130, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7991ALK).
(15) CE 3° et 5° s-s-r., 25 mars 1977, n° 94963 et n° 95049, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7110B8T).
(16) CE, 24 mai 1991, n° 84023, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1728ARG).
(17) CE 1° et 10° s-s-r., 28 avril 1989, n° 43054, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1934AQP).
(18) CE 3° et 5° s-s-r., 25 mars 1977, n° 94963 et n° 95049, publié au recueil Lebon, préc..
(19) CE 3° et 10° s-s-r., 17 mai 1989, n° 83613, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3249AQE).
(20) CAA Bordeaux, 2ème ch., 29 juillet 1993, n° 92BX00964, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7616BES).

newsid:431861

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.