La lettre juridique n°485 du 17 mai 2012 : Baux d'habitation

[Jurisprudence] La responsabilité d'un bailleur de locaux à usage d'habitation à l'occasion d'une régularisation de charges

Réf. : Cass. civ. 3, 21 mars 2012, n° 11-14.174, FS-P+B (N° Lexbase : A4075IGZ)

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par Jean-Philippe Confino, Avocat associé au barreau de Paris, Cabinet Confino

le 17 Mai 2012

Le fait, pour un bailleur de locaux à usage d'habitation, d'effectuer un rappel de charges sur cinq ans peut être considéré comme fautif, et l'exposer à d'importants dommages et intérêts au profit de son locataire, lorsque le montant des provisions payées par ce dernier se révèle très inférieur à celui des charges réellement dues. Tel est le sens de la solution consacrée par un arrêt rendu le 21 mars 2012 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Si la solution n'est pas totalement nouvelle, elle n'en demeure pas moins intéressante.

D'une part, elle constitue une pierre de plus dans l'édifice jurisprudentiel destiné à encadrer le droit pour un bailleur de facturer des provisions sur charges et de procéder à leur régularisation dans la limite de cinq années ; elle entérine à ce titre au plus haut degré juridictionnel une solution déjà appliquée par les juridictions du fond, mais dont la portée pourrait cependant prochainement être remise en cause par le législateur (I).

D'autre part, elle est particulièrement remarquable au regard du montant de la condamnation qui a été prononcée par la cour d'appel à l'encontre du bailleur, et qui se trouve approuvée par la Cour de cassation, puisque le bailleur a dû payer à titre de dommages et intérêts... une somme supérieure à celle dont il était lui-même créancier ! La portée d'une telle solution doit tout de même être relativisée au regard des circonstances tout à fait particulières de l'espèce (II).

I - Le droit de facturer des provisions sur charges et de procéder à des rappels après régularisation

"En l'état de l'obligation légale d'une régularisation annuelle de charges pesant sur le bailleur", une cour d'appel "a pu retenir [...] que la réclamation présentée sur une période écoulée de cinq ans, de plus du triple de la somme provisionnée, si elle était juridiquement recevable et exacte dans son calcul était, dans ce cas, déloyale et brutale et constitutive d'une faute dans l'exécution du contrat, et en déduire que [le bailleur] avait, par son comportement, engagé sa responsabilité envers la locataire".

C'est en ces termes que la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel (CA Rouen, ch. de proximité, 6 janvier 2011, n° 10/01274 N° Lexbase : A0161GRE) d'avoir condamné un bailleur à payer au profit de son locataire, des dommages et intérêts pour avoir appelé des provisions sur charges trois fois moins élevées que leur montant réel, et d'avoir procédé à leur régularisation sur une période écoulée de cinq ans.

  • Le droit d'appeler des provisions sur charges

Le droit d'appeler des provisions sur charges locatives n'est pas absolu : il est strictement encadré par l'article 23 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L4399AHE), qui oblige notamment le bailleur à accomplir en contrepartie un certain nombre de formalités et d'actes de nature à justifier les sommes appelées par provisions.

Sans aborder exhaustivement la question des conditions de facturation de provisions sur charges locatives, il convient néanmoins de rappeler que tout bailleur de locaux à usage d'habitation a l'obligation de :

- procéder à des régularisations sur charges au moins une fois par an ;
- justifier les demandes de provisions par "la communication des résultats antérieurs arrêtés lors de la précédente régularisation et, lorsque l'immeuble est soumis au statut de la copropriété ou lorsque le bailleur est une personne morale, par le budget prévisionnel" (cf. loi du 6 juillet 1989, art. 23).

Dès lors, il incombe à tout bailleur de locaux à usage d'habitation l'obligation particulière de n'appeler des provisions que strictement et régulièrement justifiées par les dépenses réelles.

A ce titre, il a maintes fois été jugé qu'un bailleur n'est pas fondé à conserver les provisions sur charges qu'il a perçues, s'il ne peut justifier de la réalité de sa propre dépense (Cass. civ. 3, 18 juin 2002, n° 01-01.856, F-D N° Lexbase : A9410AY8 ; Cass. civ. 3, 13 juillet 2005, n° 04.10-152, FS-D N° Lexbase : A9294DI3). Il doit donc être condamné à rembourser l'intégralité des charges perçues sans justification ; et son éventuel administrateur de biens, professionnel de l'immobilier, engage en outre sa responsabilité pour la faute délictuelle qu'il commet à l'égard du locataire en appelant des provisions non justifiées (CA Paris, 1ère ch., sect. 2, 27 octobre 2000, n° 99/00268).

Le preneur doit cependant dans cette hypothèse continuer à s'acquitter des provisions sur charges ultérieures, nonobstant l'incapacité du bailleur de justifier des charges du passé (Cass. civ. 3, 29 avril 2009, n° 08-11.332, FS-D N° Lexbase : A6486EGC), contrairement à ce que certaines juridictions du fond avaient estimé (CA Paris, 6ème ch., sect. C, 20 mars 2007, n° 05/09544 N° Lexbase : A1812DWZ).

Le juge conserve toutefois le pouvoir réduire le montant de la provision sur charges, s'il se révèle excessif (Cass. civ. 3, 18 juin 2002, n° 01-01.856 N° Lexbase : A9410AY8, Administrer, avril 2003, p. 46), solution qui peut paraître surprenante puisque force est de constater, à la lecture de l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989, qu'il n'existe aucune obligation expresse pour le bailleur de "calibrer" ses appels de charges au plus près de la dépense réelle ; pèse seulement sur lui l'obligation de :

- justifier les charges réelles, de telle sorte que le locataire soit en mesure de vérifier que le bailleur ne lui a pas facturé davantage que ce qu'il a lui-même payé ;
- et procéder à une "régularisation au moins annuelle", afin de permettre au locataire d'effectuer cette vérification régulièrement.

Il paraît cependant logique, à la lumière des deux obligations précitées, de permettre à un juge de réduire pour l'avenir le montant des provisions sur charges, afin d'empêcher un bailleur de facturer des provisions excessives (quand bien même ce denier restituerait au bout du compte l'excédent perçu) : les preneurs ne sont en effet pas là pour permettre à leur bailleur de "faire de la trésorerie".

- L'intérêt de l'arrêt commenté est de traiter l'hypothèse exactement inverse de celle qui précède, c'est-à-dire celle dans laquelle le bailleur se trouve, après avoir facturé des provisions inférieures à celles qu'il aurait pu exiger, au regard de la dépense réelle qu'il a lui-même supportée.

A ce titre, le sens de l'arrêt est très clair : le fait de facturer des provisions insuffisantes à couvrir la dépense réelle peut constituer une faute de la part du bailleur de nature à engager sa responsabilité à l'égard de son locataire. La Cour de cassation va jusqu'à approuver la cour d'appel d'avoir au cas d'espèce qualifié "d'abusive et brutale" la demande de régularisation à laquelle le bailleur avait procédé...

Cette solution peut être discutée puisqu'il est constant que, pendant toute la période où le preneur a "bénéficié" de provisions réduites, sa trésorerie en a été améliorée au détriment direct de celle du bailleur.

Mais il ne fait pas de doute non plus que, sauf à ce que la distorsion entre le montant des provisions sur charges et celui des charges réellement dues soit parfaitement connue du preneur, ce dernier pourra se trouver en sérieuse difficulté le jour où le bailleur effectuera son rappel de charges. Surtout si ce rappel s'effectue sur une période de plusieurs années.

En outre, le fait de pouvoir estimer avec précision le montant total des loyers, charges et autres accessoires dus en vertu bail, est essentiel pour tout locataire. Non seulement parce que la "dépense locative" constitue bien souvent la première dépense d'un ménage, mais encore parce que, juridiquement, le paiement des loyers constitue l'une des deux obligations principales de tout preneur (C. civ., art. 1728 N° Lexbase : L1850AB7).

C'est la raison pour laquelle le fait pour le bailleur de déterminer les provisions sur charges au plus près de la dépense finale, peut et doit être regardé comme une obligation.

C'est en tout cas le sens de cet arrêt, par lequel pour la première fois, à notre connaissance, la Cour de cassation consacre une solution jurisprudentielle adoptée par la cour d'appel de Paris (v. par exemple : CA Paris, 6ème ch., sect. C, 29 octobre 2003, n° 2002/20651 N° Lexbase : A5967DAA ; CA Paris, 6ème ch., sect. B, 26 juin 2008, n° 2006/06352 N° Lexbase : A4781D9X).

Bien que ni la Cour de cassation, ni aucune des juridictions du fond qui avaient précédemment adopté cette solution (y compris la cour d'appel de Rouen dont l'arrêt se trouve désormais approuvé) n'aient rendu leur décision au visa d'un quelconque article, c'est, à notre avis, sur le fondement des règles générales de la responsabilité contractuelle, et particulièrement de l'obligation générale de bonne foi contractuelle (C. civ., art. 1134 N° Lexbase : L1234ABC), que la condamnation a pu être prononcée, pour au moins deux raisons.

D'une part, l'obligation de calibrer au plus juste le montant des provisions sur charges ne résulte pas expressément de l'article 23 de la loi de 1989, comme cela a déjà été indiqué.

D'autre part, comme l'a rappelé le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement à l'occasion d'une question qui lui était précisément posée dans un cas comme celui de l'espèce, les obligations pesant sur le bailleur en vertu dudit article ne sont assorties d'aucune sanction particulière (QE n° 108788, réponse publiée au JOAN du 17 avril 2007, page 3779 N° Lexbase : L1625ITD).

C'est la raison pour laquelle, pour toute solution à ce type de situation, le ministre s'est contenté de rappeler celle dégagée par la cour d'appel de Paris dans son arrêt précité du 29 octobre 2003, solution aujourd'hui consacrée au plus haut degré de l'ordre juridictionnel judiciaire.

  • Le droit de procéder à des rappels de charges sur cinq ans

Le fait de condamner un bailleur à payer des dommages et intérêts pour avoir procédé à un rappel de charges sur cinq ans, ne le prive-t-il de facto du droit, qui lui est par ailleurs reconnu, de procéder à ce rappel ?

Autrement dit, n'est-ce pas une façon de ruiner la substance des droits contractuels du bailleur, en violation de l'article 1134 du Code civil ?

Et n'est-ce pas une contradiction flagrante que d'affirmer, d'une part, qu'un bailleur dispose du droit procéder à un rappel de charges, et de le condamner d'autre part à des dommages et intérêts dès lors qu'il exerce ce droit ?

C'est ce que soutenait le demandeur au pourvoi, à qui une réponse négative a finalement été apportée.

Et cela n'est pas surprenant.

Comme tout droit, celui de procéder à la régularisation de ses charges est susceptible de dégénérer en abus, lui-même susceptible d'ouvrir droit à réparation, et même si le montant de la réparation allouée est tel que le droit du créancier s'en trouve, en pratique, annihilé.

Mais il faudra encore que le locataire prouve non seulement le principe, mais également le quantum de son préjudice ; à défaut de quoi, il ne suffit pas, en l'état de la jurisprudence et de la législation actuelles, de constater que la régularisation est tardive, voire qu'elle s'effectue sur cinq ans, pour priver le bailleur de son droit à paiement de son rappel de charges, comme l'avait précédemment rappelé à la Cour de cassation au visa des articles 23 de la loi de 1989 et 2277 du Code civil (N° Lexbase : L7196IAR) (Cass. civ. 3, 27 mai 2003, n° 02-12.253, F-P+B N° Lexbase : A6883CK7).

Sur un plan juridique, le fait que le bailleur soit dans ce cas recevable et fondé à exiger le paiement du solde de ses charges nonobstant l'inaccomplissement des formalités précitées, renseigne sur la nature de celles-ci : elles ne constituent pas une condition du droit d'appeler des provisions sur charges locatives, mais une contrepartie à caractère obligatoire.

Leur non-respect explique, donc, que le bailleur soit tout à la fois fondé à réclamer le paiement de sa créance, et reconnu responsable d'une faute de nature contractuelle, engageant sa responsabilité sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).

Signalons qu'un projet de loi de "protection des consommateurs", adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 11 octobre 2011, pourrait cependant bien mettre un terme à cette solution, puisqu'il y est prévu de modifier l'article 23 de la loi de 1989, de manière à interdire au bailleur, en cas de défaut de régularisation avant le terme de la deuxième année civile suivant l'année de conclusion du contrat ou suivant la dernière régularisation, d'exiger le paiement des arriérés de charges pour l'année écoulée (Dalloz Actualité, 14 octobre 2011, obs. Fleuriot).

Si le projet était adopté par le Sénat, c'est alors la portée même de cet arrêt qui en serait réduite, puisqu'alors, contrairement à ce qui a été statué au cas d'espèce, le bailleur ne serait tout simplement plus en droit de réclamer le solde de ses charges locatives, faute d'avoir respecté les formalités prévues à l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 en sa nouvelle rédaction.

En l'état, il faut en tout cas admettre qu'il y est autorisé, mais qu'il risque de devoir indemniser son locataire en fonction du préjudice qu'il lui aura fait subir.

Et l'un des apports de cet arrêt est d'admettre que ce préjudice puisse être à peu près équivalent au montant réclamé par le bailleur.

II - La responsabilité du bailleur et le préjudice du locataire pouvant résulter d'une méconnaissance des règles applicables aux régularisations de charges

- A la lecture de l'arrêt commenté, on constate d'emblée que l'attendu duquel se dégage la solution n'est pas un attendu de principe.

D'une part, la Haute juridiction a approuvé la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait "dans ce cas" ; d'autre part, l'expression très sobre "a pu retenir", démontre que le contrôle exercé au cas présent par la Cour de cassation sur la motivation de l'arrêt d'appel, s'est voulu restreint.

Quant au montant lui-même de la condamnation prononcée contre le bailleur, la Cour de cassation rappelle sans surprise qu'il relève du pouvoir souverain des juges du fond.

La portée de l'arrêt est donc limitée aux stricts faits de l'espèce, dont le particularisme et la nature rendent bien aventureuse toute entreprise consistant à vouloir dégager de la décision rendue par la Cour de cassation, un principe clair en matière de préjudice subi.

On ne peut cependant pas s'empêcher d'être frappé de constater que la Cour de cassation a approuvé une solution extrêmement sévère pour le bailleur... puisqu'il a finalement été condamné à payer, à titre de dommages et intérêts, davantage que ce que son locataire lui devait !

Il faut cependant raison garder.

- En l'espèce, ni l'une ni l'autre des obligations précitées pensant sur le bailleur (régularisation au moins annuelle des charges locatives, et justification des provisions appelées par la communication des résultats de l'année précédente) n'avaient été respectées par lui.

On ajoutera que parmi les obligations pesant sur tout bailleur qui facture des provisions sur charges, il existe celle posée par l'article 23, alinéa 4, de la loi du 6 juillet 1989 qui dispose : "un mois avant cette régularisation, le bailleur communique au locataire le décompte par nature de charges ainsi que, dans les immeubles collectifs, le mode de répartition entre les locataires. Durant un mois à compter de l'envoi de ce décompte, les pièces justificatives sont tenues à la disposition du locataire".

C'est sans doute la raison pour laquelle la cour d'appel avait, au cas présent, souligné en outre que le bailleur avait initialement présenté sa demande "sans aucun justificatif".

Mais ce reproche n'a finalement pas été repris par la Cour de cassation, parmi ceux qu'elle a extraits de l'arrêt pour en justifier la solution, puisqu'il est jugé de longue date qu'un bailleur peut toujours justifier les charges appelées en cours d'instance (pour un exemple à titre incident : Cass. civ. 3, 1er avril 2009, n° 08-14.854, FS-P+B N° Lexbase : A5279EEA).

Mais il y avait davantage, et l'examen des faits de l'espèce permet de s'en convaincre.

Par acte du 27 février 2002, le bailleur avait consenti un bail portant sur des locaux d'habitation, au profit d'une femme alors âgée de 87 ans, moyennant un loyer mensuel de 610 euros en principal, outre 77 euros de provisions sur charges locatives.

La cour d'appel a pris le soin de relever que, plus d'un an après la conclusion du bail, la locataire (par l'intermédiaire de ses enfants) s'était inquiétée auprès de son bailleur de n'avoir reçu aucun récapitulatif, débiteur ou créditeur, de sa situation locative.

Aucune réponse n'ayant été apportée par le bailleur, la locataire a réitéré sa demande d'information deux ans après la prise d'effet du bail, mais toujours en vain.

Ces premières circonstances en disent déjà assez long sur la façon dont chacune des parties envisageait les rapports contractuels, et ont fait dire en tout cas à la cour d'appel que "loin de se refuser à payer les charges réellement dues pour la location, [la locataire] s'était justement inquiétée du calcul des charges et avait réclamé au bailleur de lui faire parvenir le décompte exact des charges".

La condamnation du bailleur était en tout cas déjà vraisemblable, car ses fautes étaient certaines et le préjudice du locataire au moins certain dans son principe.

Quatre ans plus tard, un différend à propos d'un rappel d'indexation naît entre les parties, à l'occasion duquel la cour d'appel relève qu'après avoir réclamé à sa locataire (alors âgée tout de même de 93 ans) des sommes parfaitement indues au titre de l'indexation, le bailleur va expressément maintenir la provision de ses charges à 77 euros par mois.

Ce n'est que plus d'un an plus tard encore, que le bailleur va pour la première fois procéder à un rappel de charges à hauteur de 6 860,30 euros (soit quand même l'équivalent d'un an de loyers), et faire délivrer à sa locataire dans la foulée un commandement de payer avant de porter ses demandes au plan judiciaire.

Le contraste entre le comportement de la locataire et celui du bailleur, dans l'exécution de leur convention, était, il faut le reconnaître, assez saisissant.

- Saisie par le bailleur sur appel d'une décision du tribunal de grande instance de Dieppe en date du 11 mars 2010, la cour d'appel de Rouen va essentiellement retenir que :

- la demande du bailleur était intervenue "sans aucune explication", après sept ans de relation locative, et de vaines demandes d'explication de la part du locataire ;
- la réclamation du bailleur portait sur cinq années écoulées ;
- et révélait que les charges réellement dues par la locataire étaient trois fois plus élevées que le montant de la provision !

On précisera qu'en plus de tout cela, la locataire était décédée en cours d'instance à l'âge de 94 ans, circonstance dont la cour d'appel n'a certes pas tiré de conséquence juridique (autrement que sur un plan procédural), mais qui n'a, vraisemblablement, pas joué en faveur du bailleur, d'un point de vue psychologique tout au moins.

Voilà qui faisait beaucoup, du moins au goût des magistrats de la cour d'appel à qui, dès lors, la demande du bailleur est apparue "déloyale et brutale", au point de le condamner à des dommages et intérêts d'un montant (10 000 euros) supérieur à celui du rappel de charges auquel la locataire a, pour sa part, été condamnée (9 470,45 euros) !

L'intérêt de l'arrêt commenté réside ainsi également dans le montant de la condamnation qui a été prononcée contre le bailleur, qui relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, mais qui se trouve tout de même implicitement validé par la Cour de cassation.

Auparavant, les montants des condamnations prononcées n'avaient aucune commune mesure. A titre d'exemple, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 26 juin 2008 précité, le rappel des charges avait porté sur une somme de 4 270,54 euros ; mais "la sous-évaluation de la provision mensuelle pour charges et l'absence de régularisation annuelle [qui] n'ont pas permis à [la locataire] d'estimer le montant exact qu'elle devrait à ce titre, la rendant débitrice d'une somme importante sans avoir pu le prévoir" n'avait donné lieu qu'à une condamnation de 500 euros...

Un montant sans rapport aucun avec celui qui a été mis à la charge du bailleur au cas d'espèce !

Certes, la solution doit être relativisée au regard des autres fautes commises par ailleurs par le bailleur, étrangères à la problématique qui nous concerne, et qui ont justifié pour partie le montant de sa condamnation.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation a précisé in fine : "Ayant constaté [...] que l'immeuble comportait une cave qui n'avait jamais été mise à disposition de la locataire, et retenu qu'il en était résulté un préjudice pour la locataire, la cour d'appel [...] n'a pas porté atteinte à la substance des droits et obligations des parties, [et] a souverainement apprécié le montant des différents chefs de préjudice".

Pour autant, le préjudice qui peut résulter de l'absence de mise à disposition d'une cave ne peut être que réduit.

En sorte que le bailleur a bel et bien été de facto privé de presque toute sa créance de rappel de charges.

Et à relire l'arrêt d'appel, l'on constate que cette solution a été adoptée davantage en raison des fautes commises par le bailleur, et reprises par la cour de cassation dans son arrêt de rejet... qu'en raison du préjudice subi par le preneur, sur lequel pas un mot de motivation n'a été dit par la cour d'appel !

N'était-ce pas la meilleure façon d'anticiper le projet de loi qui, précisément, empêchera -s'il est adopté- les bailleurs de procéder à des rappels de charges lorsqu'ils se seront abstenus de procéder à leur régularisation dans les formes et délais de l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 ?

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