La lettre juridique n°485 du 17 mai 2012 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2012

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N1896BTE

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var

le 17 Mai 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Cour de cassation. Dans le premier arrêt, en date du 11 avril 2012, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Chambre commerciale se prononce sur les conséquences de la poursuite de la relation contractuelle nonobstant la résiliation de plein droit du contrat en cours. Enfin, dans le second arrêt, en date du 11 avril 2012, sélectionné par le Professeur Pierre-Michel Le Corre, la deuxième chambre civile juge que la condamnation à combler l'insuffisance d'actif du dirigeant d'une société n'exclut pas en soi qu'il bénéficie des mesures de traitement du surendettement
  • Le contrat "résilié-continué" : conséquences de la poursuite de la relation contractuelle nonobstant la résiliation de plein droit du contrat en cours (Cass. com., 11 avril 2012, n° 10-20.505, FS-P+B N° Lexbase : A5891IIZ)

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a, le 11 avril 2012, rendu un arrêt particulièrement intéressant sur les conséquences de la poursuite de la relation contractuelle nonobstant la résiliation de plein droit du contrat en cours. L'intérêt de cet arrêt est souligné par la publication qui en sera faite au Bulletin.

En l'espèce, régie par la législation antérieure à celle du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT entrée en vigueur le 1er janvier 2006), un praticien médical était lié depuis de nombreuses années à une clinique par un contrat d'exercice au sein de celle-ci. Le 5 septembre 2005, la clinique a été mise en redressement judiciaire et un administrateur judiciaire a été désigné. Le 4 octobre 2005, le praticien médical a mis en demeure l'administrateur de se prononcer sur la poursuite de son contrat d'exercice. L'administrateur avait obtenu, par ordonnance du 27 octobre 2005, une prorogation du délai de réponse jusqu'au 30 novembre 2005. Ce n'est cependant que le 20 décembre 2005 que l'administrateur judiciaire a informé le praticien que les repreneurs de la clinique n'envisageaient pas la poursuite de son contrat d'exercice, de sorte que celui-ci serait résilié avec effet au 1er janvier 2006. Le praticien cocontractant a alors assigné la clinique devant le tribunal de commerce pour que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat d'exercice, non cédé dans le plan de cession, et afin que soit fixée sa créance indemnitaire postérieure fondée sur l'application des dispositions de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L6884AIS) applicable à la cause.

La cour d'appel de Pau (11 mai 2010) a fait droit à cette demande et condamné la clinique au paiement des indemnités de rupture au profit du praticien médical. Par l'arrêt rapporté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en énonçant que "ayant constaté que, postérieurement à la résiliation du contrat de plein droit au 30 novembre 2005, date d'expiration du délai imparti au liquidateur pour opter pour la continuation du contrat d'exercice liant la clinique à M. M [le praticien médical], ce dernier avait continué à travailler dans la clinique dans les mêmes conditions, qu'il s'agisse de son activité de praticien ou des honoraires qui lui ont été versés, c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation de la volonté des parties, rendue nécessaire par l'absence d'expression écrite de celle-ci, que la cour d'appel a retenu que ce nouveau contrat d'exercice avait le même contenu que le contrat précédent, et en a déduit que sa résiliation était soumise aux dispositions de l'article 17 de la convention d'exercice soumettant la rupture par l'une ou l'autre des parties à un préavis d'un an, et la rupture à l'initiative de la clinique au versement d'une indemnité égale à une annuité d'honoraires, quelles que soient les circonstances entourant la rupture et ses conséquences".

Quatre intéressantes questions sont abordées dans cet arrêt.

La première intéresse les conséquences de l'expiration du délai de réponse prorogé faisant suite à une mise en demeure d'avoir à opter sur la poursuite du contrat. En l'espèce, l'administrateur judiciaire, mis en demeure d'avoir à opter sur la poursuite du contrat, avait obtenu, à l'intérieur du délai d'un mois de la réception de cette mise en demeure, une ordonnance de prorogation du délai de réponse jusqu'au 30 novembre 2005. Cependant, ce n'est que le 20 décembre 2005 que l'administrateur avait informé le cocontractant de ce que son contrat d'exercice serait résilié au 1er janvier 2006 dans la mesure où les repreneurs n'envisageaient pas la poursuite de son contrat. Aux termes des dispositions de l'ancien article L. 621-28, alinéa 1er (N° Lexbase : L6880AIN), applicable en la cause, "le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l'administrateur restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l'administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour prendre parti". Il résulte de cette disposition, désormais contenue à l'article L. 622-13 III 1° (N° Lexbase : L3352IC7), depuis la loi de sauvegarde modifiée par l'ordonnance du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT), que l'expiration du délai de prorogation marque, en l'absence de réponse de l'administrateur, la résiliation de plein droit du contrat. Cette résiliation légale de plein droit ne peut en aucun cas être tenue en échec, par exemple par le maintien de relations entre les parties. Ce maintien de relations ne peut donc exister que sur le fondement d'un nouveau contrat (v. infra). En conséquence, en l'espèce, c'est bien au 30 novembre 2005 que s'était trouvé résilié le contrat d'exercice qui liait le médecin à la clinique au jour du jugement d'ouverture.

Que se passe-t-il cependant -et c'est là la deuxième question abordée par l'arrêt- si le cocontractant continue, en accord tacite ou expresse avec l'administrateur judiciaire, à fournir une prestation après la date de résiliation de plein droit du contrat ? En l'espèce, alors que le contrat s'était trouvé résilié de plein droit au 30 novembre 2005, l'administrateur judiciaire avait informé le cocontractant que son contrat d'exercice serait résilié avec effet au 1er janvier 2006, c'est-à-dire au lendemain de l'homologation du plan de cession ne prévoyant pas la cession judiciaire du contrat en cause. Puisque le contrat d'origine s'était trouvé résilié de plein droit à l'expiration du délai imparti à l'administrateur pour se prononcer sur la poursuite du contrat, les juges du fond ont considéré qu'un nouveau contrat d'exercice ayant le même contenu que le contrat précédent avait pris naissance. En l'occurrence, la reconnaissance par l'administrateur judiciaire de l'existence d'une nouvelle convention d'exercice ayant commencé à courir à compter du 1er décembre 2005 résultait du courrier de résiliation du contrat d'exercice par lettre recommandée du 20 décembre 2005, soit postérieurement à la résiliation de plein droit du contrat initial. Le cheminement suivi par les juges du fond est d'une logique implacable : puisque le contrat initial s'était trouvé résilié de plein droit au 30 novembre 2005 (date d'expiration du délai prorogé pour opter sur la poursuite du contrat en cours), le contrat dont l'administrateur judiciaire sollicitait la résiliation en décembre 2005 ne pouvait être qu'un nouveau contrat.

Ce constat, qui a vocation à être identiquement fait sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, est d'importance car, en pratique, il est classique que des relations contractuelles soient maintenues postérieurement à la date de résiliation de plein droit du contrat. Au regard de la solution adoptée en l'espèce, il faut considérer que, dans ces hypothèses, un nouveau contrat lie alors les parties et que les créances qui naîtront de ce contrat seront nées régulièrement dès lors qu'elles le seront dans le respect des règles de l'administration contrôlée. Tel était le cas en l'espèce puisque c'est l'administrateur judiciaire lui-même qui, en sollicitant la résiliation du contrat au 20 décembre 2005, date à laquelle le contrat initial était d'ores et déjà résilié, avait implicitement mais nécessairement affirmé qu'un nouveau contrat avait été mis en place. Ainsi, dans la mesure où le médecin "avait continué à travailler dans la clinique dans les mêmes conditions, qu'il s'agisse de son activité de praticien ou des honoraires qui ont été versés", la cour d'appel a souverainement apprécié la volonté des parties et retenu qu'un nouveau contrat d'exercice avait pris effet. La Chambre commerciale constate que c'est dans l'exercice de ce pouvoir souverain d'appréciation de la volonté des parties, rendue nécessaire par l'absence d'expression écrite de celle-ci, que la cour d'appel avait "retenu que ce nouveau contrat d'exercice avait le même contenu que le contrat précédent, et en a déduit que sa résiliation était soumise aux dispositions de l'article 17 de la convention d'exercice soumettant la rupture par l'une ou l'autre des parties à un préavis d'un an, et la rupture à l'initiative de la clinique au versement d'une indemnité égale à une annuité d'honoraires, quelles que soient les circonstances entourant la rupture et ses conséquences".

Une troisième question surgissait alors : quelle allait alors être la conséquence de la résiliation de ce nouveau contrat conclu postérieurement à l'ouverture de la procédure collective ? En d'autres termes, les indemnités découlant de la résiliation de ce contrat doivent-elles avoir le même sort que celles issues du contrat initial en cours au jour du jugement d'ouverture, c'est-à-dire doivent-elles être déclarées au passif ou, au contraire, doivent-elles être réglées à leur échéance en leur qualité de créances postérieures au jugement d'ouverture en application de l'ancien article L. 621-32 applicable en la cause?

Cette question est particulièrement importante au regard des conséquences financières qu'elle peut impliquer pour l'entreprise en difficulté : en l'espèce, la cour d'appel avait condamné la clinique à payer au praticien médical une coquette somme de 311 637,67 euros au titre de l'indemnité de préavis et la même somme correspondant au montant de l'indemnité de rupture du nouveau contrat. Cette décision de condamnation n'est pas censurée par la Chambre commerciale qui rejette le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt d'appel. Il en résulte que les créances d'indemnités résultant de la résiliation d'un contrat conclu -en l'espèce tacitement- après l'ouverture de la procédure collective ne répondent pas au même régime que les indemnités du contrat en cours au jour du jugement d'ouverture. Il est très largement préférable pour le cocontractant dont le contrat est résilié d'être lié au débiteur par un contrat conclu après jugement d'ouverture. En effet, en tant que créances postérieures, les créances d'indemnités issues du contrat conclu postérieurement au jugement d'ouverture pourront faire l'objet d'une décision de condamnation au paiement à l'encontre du débiteur. En revanche, les créances issues de la résiliation d'un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture ne peuvent donner lieu qu'à une déclaration au passif, tant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR) réformée par celle du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7 ; cf. C. com., art. L. 621-28, anc.) que sous celui de la loi de sauvegarde des entreprises (C. com., art. L. 622-3).

Une question se pose cependant sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises dans la mesure où, depuis le 1er janvier 2006, pour être éligibles au traitement préférentiel -et donc être réglées à leur échéance ou à défaut par privilège- les créances postérieures doivent répondre aux critères téléologiques posés à l'article L. 622-17 (N° Lexbase : L3493ICD) : elles doivent être nées "pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période" (1). Or, de toute évidence, les créances indemnitaires issues de la résiliation d'un contrat ne répondent pas à ce critère téléologique de sorte que, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, le paiement de ces créances ne pourra pas être ordonné. Elles auront vocation à être déclarées au passif dans le délai particulier posé par l'article R. 622-22 (N° Lexbase : L0894HZ7), c'est-à-dire celui de deux mois à compter de l'exigibilité de la créance.

Le quatrième point abordé par cet arrêt est celui de la conséquence de l'absence de cession d'un contrat en cours au jour de l'adoption du plan de cession. L'absence de cession judiciaire du contrat dans le cadre du plan n'emporte pas sa résiliation de plein droit. La solution est valable tant pour le contrat en cours au jour du jugement d'ouverture que pour celui qui, comme en l'espèce, est conclu après l'ouverture de la procédure collective. En conséquence, pour que la résiliation intervienne, il est nécessaire qu'elle soit demandée à l'initiative du cocontractant. Dès lors, il est tout à fait logique qu'en l'espèce le cocontractant ait assigné le débiteur pour que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat d'exercice, non cédé dans le plan de cession. Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, cette demande devait être portée devant le tribunal et non devant le juge-commissaire. Il semble qu'il doive en être toujours de même sous l'empire de la législation actuelle. Certes, les nouvelles dispositions de l'article L. 622-13, IV du Code de commerce issues de l'ordonnance du 18 décembre 2008 prévoient que "la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant". Cependant, cette disposition concerne la résiliation d'un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture (et non pas celle du contrat conclu après jugement d'ouverture) sollicitée à l'initiative de l'administrateur (et non à celle du cocontractant) dans les hypothèses où la résiliation n'intervient pas de plein droit. Il semble donc que, même sous l'empire de la loi de sauvegarde, le tribunal de droit commun soit compétent pour connaître de la demande de résiliation présentée par le cocontractant dans ce cadre.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Le domaine subjectif de la procédure de surendettement des particuliers : la situation particulière du dirigeant fautif (Cass. civ. 2, 12 avril 2012, n° 11-10.228, F-P+B N° Lexbase : A5855IIP)

L'occasion nous est donnée avec cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de tenter de faire le point sur le domaine d'application, quant aux personnes, de la procédure de surendettement des particuliers, qui, au regard du droit des entreprises en difficulté, se détermine par contrepoint, la personne éligible aux premières procédures ne l'étant pas aux secondes.

Des études fouillées ont été consacrées à cette question de la détermination des personnes éligibles aux procédures collectives et aux procédures de surendettement des particuliers (2). On sait d'abord que la personne morale de droit privé n'est pas éligible aux procédures de surendettement des particuliers, celles-ci étant réservées aux seules personnes physiques. On sait ensuite que le professionnel indépendant ne peut, pendant l'exercice de sa profession, bénéficier de la procédure de surendettement. La solution vaut pour tous les professionnels indépendants, qu'ils soient commerçants, artisans, agriculteurs ou professionnels libéraux.

La règle doit être étendue à l'auto-entrepreneur (3), quelle que soit l'importance de l'activité déployée dans le cadre de ce statut, et quels que soient également les revenus perçus au titre de cette activité. En effet, l'auto-entrepreneur bénéficie des procédures collectives réservées aux professionnels.

Le professionnel indépendant peut, s'il est retiré, bénéficier des procédures de surendettement, dans des conditions différentes selon que l'on est avant ou depuis la loi de sauvegarde des entreprises. Avant cette loi, le professionnel relevant des procédures collectives ne pouvait bénéficier de la législation sur le surendettement que passé le délai d'un an à compter de la cessation de son activité et, pour l'ancien commerçant, passé le délai d'un an à compter de sa radiation du registre du commerce et des sociétés et à condition que son surendettement soit caractérisé par des dettes non professionnelles. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises et la suppression du délai d'un an à compter de la cessation d'activité pour saisir le tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure collective, il faut se demander si l'impossibilité dans laquelle se trouve le professionnel retiré de rembourser son passif, résulte de dettes non professionnelles ou résulte, au moins pour partie, de dettes professionnelles, nées au titre d'une activité professionnelle indépendante antérieure.
Dans le premier cas, c'est-à-dire si le surendettement est constitué uniquement de dettes non professionnelles, l'intéressé relève de la procédure de surendettement. Dans le second cas, c'est-à-dire si le surendettement provient au moins pour partie de dettes professionnelles antérieures à son retrait, l'intéressé ne relève plus des dispositions du Code de la consommation, mais de celles du Code de commerce : il est éligible aux procédures collectives des professionnels (4). La solution subsiste pour un ancien professionnel libéral même si la cessation d'activité est antérieure au 1er janvier 2006, la cour d'appel, saisie d'un recours contre les recommandations de la commission devant se placer au jour où elle se prononce sur le recours pour apprécier la situation (5).

La création de l'entrepreneur individuel à responsabilité par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 (N° Lexbase : L5476IMR) et l'adaptation du droit des entreprises en difficulté à ce type d'entrepreneur par l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 (N° Lexbase : L8794INZ) conduit à rendre possible l'ouverture d'une procédure par patrimoine. Cette démultiplication des procédures emporte une autre conséquence, prise en compte par l'ordonnance du 9 décembre 2010 (art. 9). La personne exploitant une EIRL peut bénéficier de la procédure de surendettement au titre de son patrimoine non affecté (C. consom., art. L. 333-7, al. 2, nouv. N° Lexbase : L9077INI), ce qui ne sera pas sans provoquer des difficultés si une procédure collective est également ouverte (6). Dans les départements de l'Alsace-Moselle, elle peut bénéficier de la procédure d'insolvabilité notoire (C. com., art. L. 670-1, nouv. N° Lexbase : L3240IQ3).

Pour que la procédure de surendettement trouve application au bénéfice d'une personne éligible aux procédures collectives, il faudra que le surendettement soit caractérisé par des dettes contractées au titre de son patrimoine non affecté et, en outre, que ses dettes ne soient pas de nature professionnelle. Si le patrimoine non affecté abrite une activité rendant l'intéressé éligible aux procédures collectives, il cesse d'être éligible, au titre du patrimoine non affecté, aux procédures de surendettement (7).

Les dettes contractées dans le cadre de la création ou de l'exploitation de l'EIRL, non seulement ne seront pas prises en compte pour apprécier l'état de surendettement, mais encore ne seront pas traitées dans le plan conventionnel ou judiciaire de la procédure de surendettement, ou encore dans le cadre de la procédure de rétablissement personnel. Ainsi, la personne physique éligible aux procédures collectives du livre VI du Code de commerce est également éligible, au titre de son patrimoine non affecté, aux procédures de surendettement. En outre, les procédures peuvent se combiner, puisqu'il s'agit de traiter des passifs inclus dans des patrimoines différents.

Le dirigeant d'une société déclarée en redressement ou en liquidation judiciaire ou sous sauvegarde n'est pas, en cette qualité, éligible aux procédures collectives. Par voie de conséquence, il peut prétendre à l'application des règles du surendettement (8). Précisons à cet égard que, jusqu'à la loi de modernisation de l'économie n° 2008-776 du 4 août 2008 (9), le cautionnement donné en garantie des engagements de la société qu'il dirige ne pouvait caractériser le surendettement du dirigeant. L'article 14 de la loi de modernisation de l'économie permet, en modifiant l'article L. 330-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L9799INA), d'intégrer le cautionnement professionnel, dans les dettes susceptibles de caractériser le surendettement. Un sort particulier était fait à la dette de cautionnement du dirigeant social. Non seulement, cette dette pourra entrer en ligne de compte dans l'appréciation du surendettement, mais encore elle pourra être traitée dans le cadre de la procédure de surendettement, comme une dette non professionnelle.

L'intérêt de l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 12 avril 2012 est de s'intéresser au cas particulier du dirigeant de personne morale condamné à combler l'insuffisance d'actif de la société débitrice. Bénéficie t-il encore de la loi sur le surendettement des particuliers ?

Les juges du fond s'étaient mépris, apparemment sur la nature de la sanction prononcée à l'encontre du dirigeant. En effet, pour confirmer la décision du juge de l'exécution, la cour d'appel avait retenu que l'intéressé était dirigeant d'une société, qui faisait l'objet d'une liquidation judiciaire et dans le cadre de laquelle une extension du passif avait été prononcée. Au prétexte que le dirigeant avait ainsi connu une "extension du passif", la procédure de surendettement lui avait été refusée. L'ambiguïté tenait à cette expression d' "extension du passif" employée par les juges du fond. On connaît l'extension de procédure pour confusion des patrimoines ou fictivité. On connaissait, pour les procédures ouvertes avant le 1er janvier 2006, le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel, que la pratique qualifiait abusivement d'extension de procédure. On connaît, pour les procédures ouvertes entre le 1er janvier 2006 et le 14 février 2009, la sanction de l'obligation aux dettes sociales, qui permet de mettre à charge du dirigeant le passif de la personne morale. Mais on ne connaît pas l'extension de passif.

La Cour de cassation, après avoir relevé que les pièces du dossier ne faisaient pas état d'une extension de procédure, mais d'une condamnation à combler l'insuffisance d'actif, juge que la condamnation à combler l'insuffisance d'actif "n'exclut pas en soi le bénéfice des mesures de traitement du surendettement". Le principe est donc clair : le dirigeant condamné à combler l'insuffisance d'actif n'est pas exclu des procédures de surendettement. La solution ne peut être discutée. Il n'était pas possible d'interdire à une personne, qui relève par principe des procédures de surendettement, le bénéfice de telles mesures, faute de texte contraire, créant une exception.
Pour autant, il faut remarquer la réserve introduite par la Cour de cassation. La condamnation à combler le passif n'exclut pas "en soi" le bénéfice du surendettement. Cette précision nous semble permettre d'introduire la réserve suivante.

Tout d'abord, il semble difficile de considérer que la dette de condamnation à combler l'insuffisance d'actif soit de nature extra professionnelle. Il s'agit d'une dette professionnelle, qui ne doit donc pas, en tant que telle, entrer en ligne de compte dans l'appréciation du surendettement. Compte tenu de cette précision, la tentation qui aurait pu gagner l'esprit du juge de l'exécution de ne pas ouvrir la procédure de surendettement à ce dirigeant fautif, par ce qu'il aurait été de mauvaise foi, doit être combattue. En effet, dès lors que la dette est exclue de l'appréciation du surendettement, la question de savoir si cette dette a démontré une mauvaise foi du dirigeant ne se pose plus.
En revanche, si le surendettement est constitué à partir de dettes qui font abstraction de la condamnation à combler l'insuffisance d'actif, la procédure de surendettement pourra être ouverte et rien n'interdira alors, à notre sens, faute de disposition contraire dans la législation, de la traiter dans le cadre de la procédure de surendettement comme toutes les autres dettes.

La seule exclusion intéressant le dirigeant fautif concerne le dirigeant frappé de faillite personnelle (10). Cette dernière restriction est d'ailleurs curieuse, car cela revient à placer sur un même plan les procédures du livre VI du Code de commerce avec des mesures d'élimination de la vie des affaires, qui n'ont absolument pas le même objet.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cette disposition de la sauvegarde est applicable en redressement par renvoi. En liquidation judiciaire, l'article L. 641-13 (N° Lexbase : L3405IC4) précise que la créance postérieure doit, pour être éligible au traitement préférentiel, être née "pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité autorisé en application de l'article L. 641-10 (N° Lexbase : L5799ICR) ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant ce maintien de l'activité".
(2) C. Régnaut-Moutier et J. Vallansan, Faillite des entreprises et surendettement des particuliers - Etude comparative et prospective, in Mél. Héron, LGDJ, 2008, p. 444 ; Salhi, La répartition des procédures de surendettement et des procédures collectives d'entreprises, Rev. proc. coll., juillet/août 2009, étude 17, p. 16.
(3) En ce sens, F. Vauvillé, Brèves observations sur le passif de l'auto-entrepreneur, Rev. proc. coll., 2010/1, §3, p. 17 et s., sp. p. 19.
(4) Cass. civ. 2, 2 juill. 2009, n° 07-17.211,F-D (N° Lexbase : A9363EAZ), D., 2009, AJ, 1965, note A. Lienhard, Dr. et patr., 2010, n° 196, p. 92, note F. Macorig-Vénier ; Cass. civ. 2, 6 mai 2010, n° 09-15.106, F-D (N° Lexbase : A0797EXS), Act. proc. coll., 2010/10, n° 142, Dr. et patr., 2010, n° 196, p. 92, note F. Macorig-Vénier ; Cass. com., 17 mai 2011, n° 10-13.460, F-P+B+I (N° Lexbase : A2867HRM), D., 2011, actu 1407, note A. Lienhard, Gaz. pal., 9 juillet 2011, n° 189, p. 16, note F. Reille, Rev. sociétés, septembre 2011, p. 519, note Ph. Roussel Galle, Act. proc. coll., 2011/11, comm. 162, note P. Cagnoli, BJE septembre/octobre 2011, comm. 120, p. 240, note N. Taglarino-Vignal, Rev. proc. coll., novembre 2011, comm. 212, note Ch. Lebel.
(5) Cass. com., 17 mai 2011, n° 10-13.460, F-P+B+I, préc. et les obs. préc..
(6) C. Régnaut-Moutier, EIRL : adaptation de la règle [faillite sur faillite ne vaut], Rev. proc. coll., mars/avril 2011, dossier 18, p. 82.
(7) Rapport au Président de la République sur l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010.
(8) Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 08-19.984, F-P+B (N° Lexbase : A4641EQX), Bull. civ. II, n° 20; D., 2010, AJ, 321, note A. Lienhard, JCP éd. E, 2010, 1357, note Ch. Lebel ; JCP éd. E chron. 1296, n° 2, note Ph. Pétel, Rev. proc. coll., 2010/2, comm. 38, p. 32, note S. Gjidara-Decaix, Rev. proc. coll., 2010/4, §149, p. 43, note B. Saintourens, Dr. et patr., 2010, no 196, p. 93, note F. Macorig-Vénier, Bull. Joly sociétés, 2010, p. 567, §117, note P. Rubellin, Defrénois, 2010, chron. 39138, p. 1472, note D. Gibirila ; Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-10.178, F-D (N° Lexbase : A7244EXL), Gaz. Pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 20, note F. Reille, Rev. sociétés, 2010. 406, obs. Ph. Roussel Galle.
(9) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), JORF du 5 août 2008, p. 12471.
(10) Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 02-04.212, F-P+B (N° Lexbase : A0183DD7), Bull. civ. II, n° 386 ; RJ com., 2005/5, p. 448, note J.-P. Sortais.

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